Le Président de la République vient de choisir plus ouvertement la dévaluation interne étudiée dans notre article du 20 Août dernier(1). Les réformes structurelles vont donc l'emporter comme autant de tentatives de remèdes à la croissance disparue. Au delà des considérations économiques largement développées sur ce blog, il serait intéressant de réfléchir au mode de vivre ensemble qu'elles induisent.
La régulation fordiste mise en place à l'issue de la seconde guerre mondiale s'est aussi nourrie de réformes structurelles capables de participer à une formidable croissance que la crise de 1929 avait fait disparaitre.
Cependant, ces réformes étaient socialement inclusives, incorporaient l'idée de progrès continu, et consolidaient l'idée de communauté souveraine, maitresse d'un destin démocratiquement négocié.
Bien évidemment, elles étaient aussi et surtout un procédé de réevaluation interne du travail, un travail désormais mieux rémunéré et surtout protégé. La liste des réformes structurelles de l'époque est trop considérable pour la mentionner en quelques lignes ; disons simplement qu'elles provenaient notamment, directement ou indirectement, des idées du Conseil National de la Résistance.
Le fordisme finissant des années 70 avait déjà épuisé l'apport des réformes structurelles de l'après guerre - lesquelles devenaient contre-productives- lorsque ce même fordisme s'est mis à vivre par d'autres moyens : celui de la mondialisation(2). Parce que l'appareil de production du fordisme s'est fondamentalement transformé, la lente démonétisation des réformes structurelles s'est aussi déroulée sans l'hostilité décisive de ceux qui en bénéficient encore, parfois sur la base d'une dette publique croissante....donc à crédit...
Le salarié qui était aussi consommateur et citoyen, devient un être beaucoup plus éparpillé: sa citoyenneté s'évanouit dans la fin de la souveraineté de l'Etat-Nation et son intérêt de consommateur l'amène à fragiliser son emploi. Devenu "individu désirant", il consomme des droits liberté et s'illusionne dans l'économie mondialisée et numérisée(3).
Il est donc aujourd'hui politiquement possible d'aller plus loin et de proposer des réformes structurelles d'une toute autre nature : la loi dans sa rigidité n'est plus exigée, elle ne libère plus. Le contrat dans sa flexibilité lui est préféré. Dérégulation, simplification, ouverture, libre choix, fluidification, deviendront l'axiomatique du nouveau vivre ensemble.
Le prix économique de ces transformations est considérable et nous ne cessons de montrer sur ce blog qu'il est le principe explicatif de la grande crise des années 2010(4). Ce prix est pourtant jusqu'ici globalement accepté : le progrès ayant disparu avec l'effacement de la nation qui lui donnait du sens, il semble que les contraintes et efforts collectifs qu'il imposait, sont rejetés au profit de toujours plus de liberté formelle.
La voie est libre pour des réformes structurelles d'une toute autre nature. La France, qui était l'un des derniers pays à résister, accepte avec son nouveau gouvernement, toutes les conséquences de la dévaluation interne porteuses de l'ajustement à la mondialisation.
Désormais, les réformes structurelles ne seront plus inclusives mais chargées de poursuivre la déliaison sociale.
Désormais, les réformes structurelles ne seront plus porteuses d'un progrès continu et le temps bien orienté, devient futur écrasé par la gestion du présent (5).
Enfin, désormais, les réformes structurelles pousées par l'exigence des marchés, effaceront davantage encore l'idée de nation souveraine encadrant une démocratie.
La France dans son exceptionnalité avait jusqu'ici mieux résisté à la crise, ce qui faisait dire qu'elle ne connaissait pas les plans d'austérité. Absence à partir de laquelle les autres pays de la zone euro pouvaient soulager les douleurs de leur propre dévaluation interne par des exportations vers la France...protocole médical qui va s'achever.
Désormais elle va entrer dans l'austérité et va profondément transformer son vivre ensemble. Ce dernier - historiquement toujours diffcile à construire(1789,1830,1848,1970,1940,1958,) - va se défaire de façon plus accélérée.....sans qu'une solution soit aujourd'hui repérable. C'est que, jadis, les mesures structurelles rassemblaient, alors qu'aujourd'hui elles éparpillent dans une joyeuse noyade collective. Et les "candidats" à la noyade sont nombreux, tant l'ignorance de la réalité économique et sociale est grande. Quand les repères s'effondrent, la raison s'efface. Bien sûr, la prétendue liberté de la presse apporte sa pierre dans l'édification du brouillard intellectuel et la joyeuse noyade.
Les entrepreneurs politiques qui ont la malchance d'exercer le pouvoir ne peuvent même plus brandir l'idéologie de l'intérêt général et risquent de comprendre qu'ils ne sont plus que les marionettes de la "surclasse" chère à Jacques Attali. Les représentants de cette dernière, à l'abri de la noyade collective, marionettistes des premiers, peuvent exercer partout un lobbyisme prétendu vertueux : le logiciel intellectuel de formation qui leur a été proposé dans les écoles de commerce ne leur permet pas de déchiffrer "le monde tel qu'il est" (6).
Les réformes structurelles à venir : une gigantesque automutilation.
Note: Pour un approfondissement de ce billet nous invitons les lecteurs, à lire avec attention les textes évoqués en notes de bas de page.
----------------------------------------------------------------
(1)http://www.lacrisedesannees2010.com/2014/08/fin-de-l-euro-et-fin-de-la-privatisation-des-monnaies.html
(2)Cf. Jean Claude Werrebrouck;"Banques centrales, Indépendance ou soumission, un formidable enjeu de société"; Editions Yves Michel, 2012.
(3) Pour l'explication de la grande crise nous renvoyons à nombre d'articles du blog "Lacrisedesannees2010.com". Le lecteur intéressé en trouvera la liste à partir de son moteur de recherche.
(4) Les lecteurs interéssés par le processus correspondant pourront trouver des éléments de réflexion dans le texte suivant que nous recommandons:http://www.lacrisedesannees2010.com/article-grande-crise-printemps-francais-theorie-du-genre-122562078.html
(5)http://www.lacrisedesannees2010.com/article-un-futur-ecrase-par-le-present-ou-l-actualite-d-un-texte-ancien-114031997.html
(6)http://www.lacrisedesannees2010.com/article-le-monde-tel-qu-il-est-78572081.html