Bien des choses peuvent se produire en 2015. Nous pensons toutefois que beaucoup peut se comprendre à partir de l’ADN des banques centrales. Aucune entreprise politique aujourd’hui, que ce soit en France ou à l’étranger, ne se pose la question de cet ADN. Il est pourtant ce qui presque mécaniquement explique l’essentiel de l’état du monde et des sociétés correspondantes. Pour faire simple et sans entrer dans les détails, ou bien la Banque centrale est indépendante (situation universelle ou presque aujourd’hui) ou bien elle se trouve soumise au Trésor et à son Etat correspondant ( ce qui était souvent le cas au milieu du vingtième siècle).
On peut sans doute imaginer des situations institutionnellement intermédiaires :une relative autonomie dans une relative dépendance. Toutefois par souci de clarté nous prendront ci-dessous des alternatives radicales
Tout peut se résumer dans le tableau suivant qu’il nous faut expliquer.
Banque centrale détachée du Trésor / Banque centrale soumise au Trésor
Implications:
1-Mode "marché" de gestion de la dette contre Mode "hiérarchique" de gestion de la dette
2-Etat enkysté dans la finance contre Finance enkystée dans l’Etat
3-Choix de la dette contre Choix de l’inflation
4-Répression des Etats contre Répression de la finance
5-Création monétaire plutôt par les banques de second degré contre Création monétaire
plutôt par la banque centrale
6-Bilans bancaires hypertrophiés contre Bilans bancaires plus classiques
7-Inégalités croissantes des patrimoines et revenus, contre Moyennisation possible de la société
8-Financiarisation généralisée conre Financiarisation muselée
9-Congruence avec la mondialisation contre Congruence avec l’Etat- Nation classique
10-Contradiction entre statuts :salarié,consommateur,épargnant,citoyen, contre Cohérence entre statuts : salarié, consommateur, épargnant, citoyen.
11-Risques systémiques importants contre Risques systémiques sous contrôle
12-Régulation démocratique contestée et difficile contre Régulation démocratique plébiscitée.
13-Soldes extérieurs comme résultat contre Soldes extérieurs comme construction
Explications:
1- La gestion de la dette peut se faire comme aujourd’hui par émission de dette par un organisme qui vend des titres de créances à des acheteurs, et qui par conséquent s’adresse à des marchés où se négocient offre et demande de dette. On peut toutefois en cas de Banque centrale juridiquement dépendante, par exemple banque propriété de l’Etat, exiger d’elle qu’elle porte à son actif des titres publics remboursables ou pas contre de la liquidité. Dans le premier cas l’Etat a recours au marché, dans l’autre il produit lui-même les fonds dont il a besoin. Exactement comme l’entreprise qui a le choix entre produire elle-même ses consommations intermédiaires, ou au contraire les acheter sur un marché, soit la célèbre alternative entre le « make » ou le « buy »,le « mode marché » ou le « mode hiérarchique ». On observera que dans le cas de la dette, les consommations intermédiaires produites par la banque centrale sur ordre de l’Etat jouissent d’un coût économique nul, et par conséquent la logique du « make » devrait l’emporter.
Si tel n’est pas le cas c’est que d’autres intérêts interviennent sur les marchés politiques. Les entreprises sont libres de choisir et adoptent la stratégie conforme à leurs intérêts. On en déduit à l’inverse que les Etats ont aujourd’hui fait le choix de la dépendance. L’indépendance des banques centrales a pour corollaire la soumission des Etats.
2- Cette alternative résulte directement de la première. Avec l’indépendance des banques centrales, et plus encore lorsqu’il est interdit à la BCE d’acheter de la dette publique au moins sur les marchés primaires, les Etats sont enkystés dans la finance et deviennent des entités faisant l’objet d’une notation. Réalité impensable dans le cas de la logique du « make », dont on sait aussi qu’il correspond au concept central de souveraineté.
3- Le passage par le marché est aussi le plus couteux et la dette sera grossie par le montant des intérêts versés aux acheteurs. Dans le cas inverse, l’endettement se fait à coût nul et ce même si l’on imagine des avances au Trésor remboursables moyennant un taux d’intérêt : ce que paie le Trésor lui revient en tant que propriétaire des profits de sa banque centrale. Si l’Etat se fait très exigeant vis-à-vis de sa banque centrale et l’oblige à créditer des sommes considérables devenant ultérieurement dépenses publiques, un risque réel d’inflation se manifeste avec le cas échéant perte de la valeur externe de la monnaie.
4- Le choix du « make » comprime le déploiement de l’industrie financière puisque le périmètre de l’Etat est sanctuarisé. Simultanément l’arme de l’inflation rogne l’ensemble des actifs financiers existants ou en construction. On peut ainsi parler d’une répression de la finance. Le choix du « buy » aboutit à la situation inverse : les Etats sont réprimés par la finance, et si d’aventure l’émission de dette est jugée excessive et donc dangereuse une prime de risque sera exigée sur les marchés.
5- Dans le cas du « buy » il est clair que l’Etat pourtant garant du bien public monétaire, n’est jamais créateur de monnaie. Il transfère ainsi son pouvoir au secteur bancaire, lequel crée de la monnaie en octroyant du crédit…y compris à l’Etat lui-même. La masse monétaire devient ainsi contrepartie d’une dette. Ce que certains appellent « l’argent dette ». La situation inverse est celle où la monnaie est créée sur injonction publique par la banque centrale, situation non grevée par de la dette. Derrière cette alternative se retrouvent les points 2, 3 et 4.
6- Le point 5 permet de comprendre le poids des bilans bancaire selon que l’on est dans l’un ou l’autre régime. Lorsque la Banque centrale est indépendante et que les banques créent de l’argent dette, la limite à la création d’actifs financier est d’autant plus éloignée que ce régime assure la stabilité des prix. Les actifs financiers s’accroissent à un rythme beaucoup plus élevé que ce qui est exigé par la quantité de monnaie nécessaire au développement de l’économie réelle. Ce phénomène fonctionne en boucle: parce que ces actifs doivent répondre aux exigences de liquidité, la tenue de marché exige de la profonduer et donc une très grande quantité disponible d'actifs les plus divers. Cette même exigence de liquidité développera l'innovation financière avec la création d'une multitude d'actifs synthétiques, et au total des bilans bancaires souvent plus élevés que le PIB du pays d'accueuil .
7- La dette publique et privée croissante dans un régime de « buy » devient un actif de plus en plus important pour une classe de rentiers, qui par ailleurs pourront bénéficier d’un recul de la pression fiscale ayant pour résultat un accroissement de dette publique, elle même source d’achats de titres publics avec les capitaux non accaparés par les Etats. L’absence de réelle dette publique dans le régime du « make » allège les Etats qui peuvent en retour mobiliser davantage de moyens au profit des classes moyennes et ainsi construire un projet de relatif moyennisation de la société.
8- ce dernier point est la conséquence des autres . En régime de « buy » et d’abandon de la monnaie en des mains privées, l’abondance de la liquidité permettra de financiariser toutes les activités, avec notamment irruption de cette dernière sur l’ensemble des grands marchés : « commodities », produits agricoles, matières premières, etc. Ce que le blog a apellé la "titrisation généralisée du réel". Le régime du "make" permet de limiter autoritairement la transformation des marchés en casinos.
9- Dépourvus de l’autorité monétaire les Etats du « buy » ont aussi abandonné la liberté de choisir un taux de change : la valeur de la monnaie nationale devient un prix comme les autres, prix dont les fluctuations pourront être encadrés ou protégés par des marchés financiers. La liberté de circulation du capital est complète et vient matérialiser le dessaisissement de la souveraineté. D’où l’idée de mondialisation. L’adoption en sens inverse de la logique du « make » est à l’inverse en congruence avec des taux de change décidés et des logiques de contrôle de la circulation du capital.
10-Il devient difficile dans le cas d’un dessaisissement du pouvoir monétaire d’éviter les logiques de délocalisation industrielle avec, en conséquence, une forte pression sur les salaires directs et indirects, lesquels cessent d’être à la fois couts et débouchés, à l’intérieur d’Etats-Nations, pour ne devenir que des couts à comprimer à l’échelle mondiale. L’irruption d’une monnaie unique, garantit tout taux de change politiquement défini, et vient aggraver l’impératif de dévaluation interne au titre du maintien d’une compétitivité que chaque Etat – désormais en situation de servitude volontaire- tente d’acquérir pour surnager parmi les autres. D’où l’idée d’incohérence : une course à la productivité qui ne mène qu’à la crise permanente de surproduction. Une incohérence qui à l’inverse dans le cas de la logique du « make » laisse la place à des politiques possibles de redistribution, et donc une échelle des revenus plus ressérée .
11- En mode « buy » le poids de la finance aggravée par le choix de la dette, elle-même liée à l’écart entre offre globale mondiale et demande globale mondiale (crise planétaire de surproduction) engendre une croissance hors de contrôle des dettes privées et publique. Cette croissance est imposée par la croissance des déséquilibres de l’économie réelle dans un contexte de mondialisation et se heurte aux limites des capacités d’endettement. D’où des crises financières qui ne peuvent que se reproduire à échelle continument élargie. On notera qu’à l’inverse, le choix du « make », parce que correspondant à une création monétaire qui n’est pas de « l’argent dette », exclut très largement tout risque de crise financière.
12- La démocratie étant le choix d’une communauté, il est difficile de la faire fonctionner si des tiers interviennent en permanence dans les dits choix. La fin de la souveraineté imposée par celui de l’abandon de la monnaie signifie l’intervention permanente de tiers : les marchés, toujours accompagnés de « d’évaluateurs d’Etats ». Cela signifie aussi des fonctionnements démocratiques dégradés.
13- L’abandon de la monnaie signifiant aussi l’affaiblissement du repérage des frontières ( taux de change comme simple prix, circulation sans entraves du capital, etc.) le solde des échanges extérieurs n’est plus qu’un résultat constaté et peut même devenir une variable futile en cas de monnaie unique…avant bien sûr l’affolement des marchés et la crise correspondante….A l’inverse la souveraineté fait des échanges extérieurs un paramètre fondamental : son équilibre se doit d’être construit à peine de perdre le contrôle d’une monnaie dont les fondamentaux sont politiquement décidés.
Rien de sérieux ne peut être entrepris en 2015 sans un changement de logiciel des banques centrales. Bien évidemment les marchés politiques s'y opposeront avec énergie.