Les démineurs autour de la bombe atomique grecque
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Notre article « La bombe atomique grecque : combien de mégatones ?» publié en juin dernier sur ce blog connait une actualité encore plus vibrante que lors de sa publication[1]. Ses conclusions restent complètement actuelles. Simplement, le référendum grec vient de remette en pleine lumière le jeu des entrepreneurs politiques et des outils à leur disposition. Jusqu’alors, la façade ordo-libérale était maintenue en ce que l’entrepreneuriat politique se cachait largement derrière des institutions abritant un personnel politico-administratif aux ordres : hauts fonctionnaires de la Commission, euro-groupe, voire « indépendante » BCE….de fait devenue agent de la déstabilisation de l’économie grecque, etc. Dans ce jeu, le FMI constituait un acteur assez différent en ce qu’il était étranger au théâtre européen et faisait prévaloir ses propres intérêts –dont la reconduction au pouvoir de son dirigeant- lesquels passent davantage par le respect du libéralisme classique que l’ordo libéralisme allemand. Parce que le référendum était un moyen de quitter les débats techniques au profit du sens donné à la construction européenne, les entrepreneurs politiques, en particulier les plus importants, se doivent d’accompagner plus directement le déminage de la bombe grecque. Les serveurs et les démineurs de la bombe Autour de la bombe, il y a : - Les détenteurs susceptibles de l’actionner et pour qui elle peut représenter une force de dissuasion : il s’agit bien sûr des actuels détenteurs du pouvoir grec lesquels s’en sont vu remettre les clés à l’issue du référendum. Ils peuvent l’actionner à tout moment, non pas, par le biais d’une monnaie parallèle assurant des paiements en termes de reconnaissance de dettes, mais tout simplement par la saisie de la banque centrale et de l’ensemble du système bancaire [2] . - Les entrepreneurs politiques allemands qui ne peuvent se reproduire au pouvoir que s’ils affirment oser se moquer de la dissuasion en imaginant qu’il s’agit d’une bombe de papier. Prisonniers des électeurs eux-mêmes prisonniers d’une religion strictement allemande, l’ordo-libéralisme, ils sont tentés par une explosion douce. Pour cela ils peuvent directement agir sur un outil construit sur mesure, la BCE, qui peut être chargée d’une mission : faire exploser la bombe de façon indirecte en asphyxiant ceux qui la détiennent. Cela passe par la fin du dispositif ELA[3] et la fermeture du compte TARGET pour la Grèce. Et si au final l’explosion n’est pas douce, ces mêmes entrepreneurs politiques n’en seraient pas directement responsables et ne seraient pas directement les acteurs de la troisième catastrophe européenne, voire mondiale, en provenance de l’Allemagne. - Les autres entrepreneurs politiques sont à des degrés divers au service de la religion allemande qu’ils ont adoptée à titre utilitariste en vue de leur maintien au pouvoir. Pour autant, l’ordo-libéralisme dont la monnaie unique est issue, ne fonctionne correctement qu’au profit du dominant : l’Allemagne, les autres devant respecter la religion tout en la détestant à des degrés divers. C’est que les politiques dites structurelles directement issues de la rigidité des taux de change fabriquent de la dévaluation interne, de la baisse continue de pouvoir d’achat, donc de l’opposition interne et donc des risques de non reconduction au pouvoir. Les entrepreneurs politiques français sont bien évidemment dans ce cas : les classes dominantes françaises, en particulier celle liée à la finance et à la rente, aiment à titre complètement utilitariste, la religion allemande et souhaitent un pouvoir qui la diffuse : l’Allemagne est un modèle à suivre….mais les classes dominées sont aussi susceptibles de contrarier les résultats électoraux souhaités… Les entrepreneurs politiques, à cheval sur des économies à productivité globale plus éloignée de celle de l’Allemagne (Portugal, Espagne, Italie, etc.), ont payé cher l’euro : il leur a fallu adopter pleinement la religion allemande. Il leur a même fallu défendre cette religion à peine de disparition : les taux d’intérêt sur dette publique devenant objets ruineux au détriment de ceux qui détiennent le pouvoir. D’où des entrepreneurs politiques qui sont de véritables miliciens à la solde des entrepreneurs politiques allemands : ils accusent les entrepreneurs politiques grecs et ont peur de l’irradiation qui viendrait les chasser du pouvoir[4]. D’autres miliciens peuvent apparaitre au sein d’Etats plus petits pour lesquels l’euro constitue une garantie contre un impérialisme soviétique toujours menaçant. On voit ainsi des entrepreneurs politiques d’Etats baltes ou d’Europe centrale prendre des positions très anti-grecques. Suzerain et vassaux dans la toile de la finance. Les entrepreneurs politiques allemands disposent ainsi de relais dans l’ensemble de la zone. Ils sont les suzerains qui comptent bien que leurs vassaux continuent à être adoubés par les marchés politiques périphériques de leur nouvel empire[5]. Derrière la religion allemande il y a bien sûr la finance qui voit dans ce trait culturel fondamental la garantie d’une possible expansion sans limite. C’est que l’ordo-libéralisme garantit un véritable paradis : au-delà de banques centrales indépendantes des Etats, ces derniers sont évincés de leurs droits régaliens s’agissant de la création monétaire au profit d’un monopole bancaire. De quoi être assuré que la monnaie créée sera assortie d’un taux de l’intérêt profitable. En cela la finance préfère de loin l’ordo-libéralisme allemand au simple libéralisme anglo-saxon. C’est l’entrepreneuriat politique allemand nourri d’ordo-libéralisme qui protège le mieux la finance. En retour la toile tissée par la finance dans l’espace de l’euro zone saura lui rendre d’éminents services et si, d’aventure, les marchés politiques périphériques devaient adouber des vassaux félons, les marchés financiers pourront venir sanctionner durement ces derniers avec des taux ravageurs sur la dette publique[6]. Les choix : faire sauter ou ne pas faire sauter ? Face aux détenteurs de l’arme de dissuasion, les entrepreneurs politiques grecs, il y a donc des démineurs qui ne sont guère indépendants car de fait vassaux des entrepreneurs politiques allemands. Pour autant, ils n’ont pas les mêmes intérêts. L’explosion douce, ce qu’on appelle « Grexit » est le scénario le plus avantageux pour les créanciers : il ne remet pas fondamentalement en question ni le marché politique central (le marché allemand) ni les marchés politiques périphériques. Un effondrement de la Grèce servant même d’exemple : seule la discipline est praticable. Maintenant l’utilisation « habile » de « l’indépendance » de la BCE, à savoir la technique du garrot, permettrait aux entrepreneurs politiques allemands d’échapper à toute forme de responsabilisation de l’effondrement grec. Par contre, ce scénario n’est probablement pas le plus avantageux pour la Grèce. Il est même franchement mauvais s’il se produit sans transformer fondamentalement le système financier grec. L’explosion violente est beaucoup plus complexe quant aux conséquences. D’abord, elle serait logiquement le choix de ceux qui n’ont plus rien à perdre : les Grecs et leurs entrepreneurs politiques qui devraient logiquement briser l’euro-système en infligeant un maximum de dégâts : défaut généralisé avec représailles sur les exigences des créanciers privés non évincés par la lex monetae, avalanche des soldes TARGET sur les banques centrales etc. Aux limites, la politique de la terre brûlée peut s’en suivre avec toutes ses conséquences géopolitiques. Simultanément elle devient un risque majeur pour la plupart des vassaux qui verraient, après les marchés financiers, les marchés politiques se retourner contre eux. Les entrepreneurs politiques du sud de la zone paieraient sans doute cher le choix de la vassalité. S’agissant des entrepreneurs politiques allemands les choses sont plus mesurées et il y aurait à comparer le coût moral et psychologique de la troisième catastrophe européenne voire planétaire dont l’Allemagne serait responsable et le bilan coût/avantage du rétablissement du Mark. Le déminage complet serait à priori le scénario le plus favorable. Complet et durable, il est pourtant strictement inenvisageable tant il est vrai qu’il n’existe pas d’espace de négociation possible entre le suzerain et le vassal devenu félon[7]. Il n’existe aucun intérêt commun entre entrepreneurs politiques grecs et allemands et c’est la raison pour laquelle les négociations relèvent d’une véritable guerre. C’est aussi la raison pour laquelle seul le déminage partiel n’est envisageable, lequel consiste comme d’habitude à gagner du temps. Le retour de l’entrepreneuriat politique sur le théâtre européen est un réel progrès, tant les réunions et décisions technocratiques masquaient mal des conflits d’intérêts privés entre seuls oligarques soucieux de carrière au sein d’organisations oligarchiques comme le FMI ou la BCE. Le progrès est toutefois modeste , le suzerain ne s’intéressant qu’à ses propres électeurs épris de la religion ordo libérale, et le vassal « félon » parlant de solidarité européenne pour mieux masquer les intérêts de ses seuls électeurs. Comment construire la fiction d’un intérêt général européen après avoir constaté, avec la montée de l’individualisme radical celle d’un intérêt général national ? [1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/06/la-bombe-atomique-grecque-combien-de-megatonnes.html [2] Il faut comprendre que le paiement, par exemple des retraites, à partir de reconnaissances de dettes est d’emblée inflationniste : les commerçants n’accepteront les titres en question que sur la base d’une décote. C’est dire que le pouvoir d’achat de ces titres ne peut qu’évoluer à la baisse. [3] Fin ou durcissement sous la forme de décote croissante des titres servant au collatéral. [4] C’est particulièrement le cas des entrepreneurs politiques espagnols [5] Pour davantage de détails, voir : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/03/mon
http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/07/les-demineurs-autour-de-la-bombe-atomique-grecque.html