L’Histoire enseigne que la monnaie est initialement un objet politique qui va d’abord servir au règlement de la dette des sujets envers le Prince. Les premières pièces vont ainsi, assurer le paiement des mercenaires au titre du service de la guerre, circuleront vers des marchands, et reviendront vers le prince sous la forme de l’impôt. Nous avons déjà souligné qu’il s’agissait de la première forme de "circuit du Trésor". Le Prince choisit le véhicule ou le vecteur assurant le paiement de la dette des sujets envers lui. Historiquement, en raison de la compétition entre les princes, ce véhicule sélectionné sera le métal précieux.
Le Plan B de Yanis Varoufakis dont il a présenté quelques contours au NYT en Aout dernier relève un peu de cette logique de « circuit du Trésor ».
Mais pourquoi créer une monnaie parallèle en Grèce?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord connaitre la situation bancaire Grecque telle qu’elle va apparaitre à la fin du printemps et au début de l’été 2015.
La crainte d’une sortie de la zone euro précipite les départs de capitaux vers le nord de la zone et aggrave la préférence pour les billets. Parallèlement l’endettement laisse progressivement la place aux défauts : parce que l’activité se réduit les échéances deviennent insupportables pour nombre d’acteurs, échéances non réglées qui mettent en difficultés d’autres agents, etc.
Concrètement les comptes bancaires (entreprises et ménages) se vident au profit de comptes bancaires ouverts à l’étranger ou se transforment en billets supplémentaires. Cette fuite réduit à zéro le compte des banques à la Banque centrale….invitée à l’abonder en permanence pour alimenter de nouvelles fuites.
Sachant que la théorie économique nous apprend que la masse monétaire se trouvant sur les comptes est la contrepartie de crédits (les crédits font les dépôts), il est clair que le système bancaire grec se trouve avec des crédits douteux à l’actif du bilan, crédits qui sont la contrepartie de dépôts… désormais partiellement à l’étranger ou qui ont fui le système grec. Bien au-delà de l’insolvabilité du système bancaire grec c’est aussi- mais aussi de façon très théorique- l’insolvabilité de la Banque centrale.
On sait que le colmatage des fuites fut, au cours de l’été, l’imposition d’un contrôle des capitaux et la restriction de la conversion des dépôts en billets.
C’est dans ce cadre qu’est intervenu le projet non abouti du plan B de Varoufakis.
En attachant un compte numérique au code fiscal de chaque acteur (entreprises, ménages,etc.) le ministre de l’époque se proposait de créer un « circuit du Trésor » sans lien avec le système bancaire ni même sans lien avec la Banque centrale.
Prenons un exemple. Le circuit aurait pu fonctionner de la façon suivante : Une entreprise de fournitures militaires qui met en difficulté ses propres fournisseurs- parce que le Trésor grec est en position d’illiquidité et se trouve incapable de payer en faisant débiter le compte qu’il possède à la Banque centrale- se voit désormais payée directement par le Trésor. Ce dernier alimente en monnaie électronique le compte de l’entreprise concernée, monnaie avec laquelle ladite entreprise pourra régler ses dettes, ce qui permettra de régler d’autres dettes des fournisseurs situés plus en amont. La monnaie ainsi créée a pour propriété d’assurer la disparition d’une chaine de dettes immobilisant l’activité économique. En bout de chaine le retour de la solvabilité des acteurs permet le paiement directement au Trésor de l’impôt qui lui est du. Sans « aide » de la BCE, sans aucune autorisation de « l’euro-système » l’illiquidité du Trésor est ainsi vaincue.
Véritable retour à l’antique « circuit du Trésor » qui marquait la naissance de la monnaie dans les premières configurations de l’Etat.
En théorie le plan B de Yanis Varoufakis permettait aussi de se libérer de la dette publique dans sa dimension marchande c’est-à-dire celle passant par la finance internationale. En effet les échanges –échanges inter-entreprises notamment - auraient pu se généraliser à partir du compte numérique de chaque entité. Ce faisant un système de paiement alternatif se serait mis en place au détriment du système bancaire, système de paiement incorporant la gestion de la dette publique elle-même. Les comptes de chaque entreprise auraient désormais assuré un minimum de liquidité au Trésor. Et ce minimum aurait pu être élargi par la possibilité d’inviter les entreprises à basculer une partie de leurs dépôts bancaires dans le compte désormais possédé au sein du Trésor, versement moyennant bien sûr une rémunération pour le service rendu.
Cette rémunération aurait pu tout simplement devenir une diminution de la pression fiscale.
Le plan B fût comme on le sait refusé et son inspirateur devait apparaitre comme un conspirateur à éloigner, voire à sanctionner. Varoufakis n’est plus ministre et s’est même trouvé menacé de connaitre les foudres de la justice.
De fait le rétablissement d’un « circuit du Trésor » en Grèce n’est pas chose simple.
Le premier défaut du plan Varoufakis est qu’il ne pouvait pas fonctionner sans la violence du cours forcé. Il serait difficile pour l’entreprise de fournitures militaires d’accepter le paiement numérique sans passer par les banques classiques, et ce pour la simple raison que « l’Euro du Trésor » vaut moins que celui de la BCE. La solution sera donc l’injonction :on ne discute pas avec le Trésor, ou la négociation: Le Trésor accorde un paiement en « euros-Trésor » supérieur au montant de la facture initiale. Sans l’injonction, et la violence correspondante, un taux de change « Euro-Trésor »/Euro BCE se met en place et se généralise avec tous les fournisseurs….lesquels pourront ultérieurement négocier avec le Trésor pour reporter les pertes de changes sur le montant de l’impôt….Le système est donc probablement générateur d’inflation. Sans compter les salariés qui bien évidemment pourraient manifester quelque mécontentement à être payés en « Euro-Trésors ».
En second lieu, la mauvaise monnaie chassant la bonne, la solution au maintien du service de la dette en bonne monnaie suppose le recours déjà indiqué : Le Trésor grec doit inviter au basculement d’une partie des dépôts restés dans le système bancaire vers les comptes numériques. La rémunération d’un tel service, au-delà d’un taux de change qui apparait spontanément suppose, comme vu plus haut quelque chose comme l’équivalent d’une baisse de la pression fiscale. Il n’existe pas d’autre solution car, victime de la loi de Gresham, le Trésor grec se trouverait rapidement exclu de tout accès à la bonne monnaie.
La troisième difficulté, et de loin la plus importante, est évidemment que « l’Euro-Trésor » ne règle en aucune façon la question de l’accès aux échanges internationaux. Il est vrai que « l’Euro-Trésor » peut initier un retour à la liquidité en autorisant l’extinction d’une chaine de dettes internes, de quoi aussi améliorer les bilans bancaires. Par contre , de par ses effets extrêmement négatifs sur le climat des marchés, d’une part, et de ses effets inflationnistes d’autre part, il est difficile d’imaginer que « l’Euro-Trésor » puisse régler la question de la compétitivité de l’économie grecque.
La conclusion de cette affaire de plan B est qu’il est illusoire de croire que l’on peut contourner ou plus exactement éviter un affrontement brutal avec les autorités européennes. La BCE, probablement sous l’ordre des autorités monétaires allemandes, a étranglé le système bancaire grec jusqu’à la commune décision de fermer les banques. Face à une telle situation, Il n’existe pas de médecine pour soulager l’étranglement , et la seule solution est de couper la corde. Concrètement il est impérieux de réquisitionner la Banque centrale, de la saisir, et dans un même geste de détruire l’Eurosystème.