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3 février 2016 3 03 /02 /février /2016 09:12

On parle à nouveau beaucoup de la chute du prix du pétrole et de ses effets sur les principaux acteurs économiques. A ce titre nous republions un article paru sur le blog le 20 janvier 2015 : « Les USA et la nouvelle géopolitique du pétrole ». De notre point de vue, il n’a pas pris une ride : l’offre de brut américain ne baisse que très peu et l’administration américaine se permet même de supprimer le vieil interdit d’exportations de produits pétroliers. Natixis[1] n’a sans doute pas tort d’imaginer l’émergence d’un cycle de prix…mais sur la base de la nouvelle structure des coûts américains. Bien évidemment nous restons dans l’incertitude radicale sur les conséquences ultimes de ce changement, aussi bien en termes économiques que politiques et sociaux.

 

Résumé: Contrairement à ce qui est trop rapidement affirmé, le nouveau pétrole américain n'est pas menacé par la chute des prix du brut. A l'inverse, les USA vont redevenir le "faiseur de prix" à l'instar de ce qui existait au beau milieu du 20ème siècle. Parallèlement L'Arabie Saoudite risque de perdre définitivement sa place de "swing producer".

La littérature concernant l'évolution du marché pétrolier à moyen terme ne permet pas de s'appuyer sur des conclusions convergentes quant aux prix futurs. Certains voient un effondrement rapide de la production américaine et donc une hausse des prix dès l'été prochain, hausse qui résulterait d'une chute de l'offre. D'autres pensent que la production américaine pourrait se maintenir et ainsi contribuer au maintien de prix faibles.

Il est temps de reconsidérer les raisonnements à partir d'une analyse des coûts de production.

Depuis la naissance de l'industrie pétrolière en Pennsylvanie dans les années 1870/1880 jusqu'au début des années 2000, nous étions dans une configuration où au niveau de chaque puits, les charges fixes étaient importantes et le coût marginal proche de zéro. Il en était ainsi car l'ouverture plus grande de la tête de puits est une opération de coût nul générant un flux plus important d'huile. S'Il est vrai que lorsque furent entrepris -au cours de la seconde partie du vingtième siècle- les opérations de récupération assistée le coût marginal cessa d'être nul, il était pour autant très faible.

Cette caractéristique fût celle qui devait expliquer la stucture fortement oligopolistique de l'industrie correspondante. C'est que, dans un tel modèle, les rendements étant sans cesse croissants, la concurrence devient rapidement catastrophique. Par exemple les petits producteurs américains des années 1880, endettés au titre de l'achat des appareils de forage optimisaient leur gestion par l'ouverture maximale des têtes de puits, d'où une offre rapidement croissante, une baisse brutale de prix, et la ruine, elle-même souvent accompagnée d'une pollution de la nature puisqu'il devenait avantageuc de jeter l'huile dans les rivières.

La suite est historiquement connue avec la fin de la concurrence au profit de la naissance de la Standard Oil qui devait réguler l'offre et stabiliser le marché. Une histoire qui se pousuivra par une régulation par les "sept soeurs", un "posted price" unique et mondial, des "frets fantômes", des accords secrets entre compagnies, etc ; mais aussi la naisssance de l'OPEP et des compagnies nationales de pays producteurs. De quoi construire à partir de coûts marginaux nuls ou proches de zéro une immense rente pétrolière.

Dans cet état du monde, les schistes bitumineux et autres sables asphaltiques étaient tout simplement hors-jeu, tant les coûts d'accès étaient incomparablement plus élevés qu'au Moyen Orient.

Depuis le milieu des années 2000, nous nous dirigeons vers une structure de coûts complètement différente.

S'agissant des nouvelles huiles extraites, notamment aux Etats-Unis, nous rencontrons une structure de coûts beaucoup plus classique. Les coûts de forage sont très faibles comparés aux nouveaux coûts de forage pour les pétroles classiques. Il est difficile de pénétrer dans le secret des coûts, mais l'on croit savoir qu'ils sont incomparablement plus faibles que les coûts d'accès aux grandes profondeurs au large du Brésil voire en Sibérie ou en Alaska. Par contre, les forages ont un rendement qui diminue rapidement (division par 2 au bout de 6 mois d'exploitation) alors que le forage sur gisement classique peut produire pendant 30 ans. Cela signifie une multiplication régulière du nombre de forages sur un gisement (jusqu'à 50 fois plus que sur un gisement classique).

Par ailleurs, les coûts d'exploitation -même instantanés- ne sont plus proches de zéro, car il s'agit toujours d'une récupération très assistée par l'injection de  grandes quantités  de produits et de liquides divers pour obtenir l'extraction.

La période 2005-2015 est ainsi très différente de celle des années 1880. Il n'y a pas de concurrence catastrophique et nombre de producteurs américains sont nouveaux et de petite taille, ce qui n'a pas débouché sur de catastrophiques rendements croissants impliquant leur élimination, comme ce fut le cas en Pennsylvanie.

Au delà, la technologie qui correspond à cette nouvelle structure de coûts est aussi celle qui permet d'introduire dans l'industrie des réserves naturelles jusqu'alors inexploitables. Shistes bitumineux et sables asphaltiques ne sont plus en dehors du théatre pétrolier et vont prendre une place décisive.

Et c'est ici qu'il convient de proposer ce que nous croyons être le scénario d'une très nouvelle géopolitique du pétrole.

Beaucoup de choses ont été dites -sans apporter de preuves- sur des accords entre Russie et Arabie Saoudite, ou entre ce dernier pays et les USA, dans un cas pour géner les USA et dans l'autre pour géner la Russie. Avec des conséquences secondaires lourdes pour d'autres pays: Vénézuela, Algérie, Nigéria, Iran,etc.

De fait, nous pensons que les Etats-Unis vont conquérir seuls, une place déterminante leur conférant un poids géopolitique nouveau.

Tout d'abord, l'offre américaine ( près  de 10 millions de barils/jour) est devenue majeure et anéantit l'efficience de l'OPEP, lequel voit sa part de marché passer de 55% en 1973 à 35% aujourd'hui. Cela signifie que l'OPEP n'a plus les moyens de fixer le prix. A l'intérieur de l'OPEP, l'Arabie Saoudite perd aussi son statut de "swing producer" qui lui allait si bien en diminuant ou en augmentant voire en doublant sa production en quelques jours - ce qu'elle fit lors de la première guerre du Golfe - grâce à la vertue des rendements croisssants sur chaque puits.

Face à l'offre américaine nouvelle, l'Arabie Saoudite a fait le choix du maintien relatif de sa part de marché au détriment des prix : sa production s'est maintenue. Elle espère que ce choix, très coûteux en terme de rente pétrolière,  va éliminer les producteurs marginaux américains.

Il est possible que les coûts unitaires totaux du baril américain soient trop élevés (60/70 dollars?), d'où la très forte diminution -en quelques semaines- des investissements de forage dans certaines zones du territoire américain. Coûts trop élevés jusqu'ici protégés par des couvertures à termes, y compris des CDS, qui seront  (on parle de plusieurs centaines de milliards de dollars) peut-être une lourde perte pour le système financier américain dès la fin du printemps 2015. Lourde perte aussi de débouchés pour l'ensemble des fournisseurs de l'industrie pétrolière, y compris les sidérurgistes.

Pour autant, la continuîté de l'offre de pétrole américain ne peut plus être entamée.

Lors des révolutions pétrolières des années 70 qui vont porter le "posted price" d'environ 2 dollars le baril à quelque  40 dollars, l'écart des coûts avec les huiles potentielles était beaucoup trop important: les USA, sans offre nationale alternative, devaient simplement payer. Tout au plus pouvait -on maintenir les routes de l'approvisionnement grâce à l'outil militaire.

Le paysage est aujourd'hui très différent. Parce que les technologies de production nouvelles le permettent, il existe désormais une solution de continuïté entre les différents pétroles, et le gouvernement fédéral américain pourra décrêter des mesures protectionnistes sur la nouvelle industrie du pétrole. Il s'agira de protéger une " industrie dans l'enfance", alors qu'il s'agissait de protéger des routes maritimes avec la flotte.

De fait, sans retrouver le vieux "posted price" à prétention planétaire des ports américains du golfe du Mexique, les USA vont devenir faiseurs de prix. Si le prix de marché détruit des producteurs marginaux américains, il est probable qu'une taxation sur huiles importées interviendra, taxe flottante puisqu'au nom du libre échange elle pourra disparaitre si les prix permettent aux producteurs marginaux de vivre.

Le coût en développement de la nouvelle industrie pétrolière américaine devient ainsi le pivot du prix mondial du pétrole. Notons enfin que ce  coût est probablement inférieur au prix du pétrole, garantissant la plus ou moins grande stabilité sociale de nombre d'Etats pétroliers. Le prix du pétrole assurant la paix sociale en Algérie, au Nigéria, etc. (80, 100 dollars le baril?) est de loin supérieur au coût en développement de l'huile américaine. De quoi donner aux USA , dans le domaine pétrolier, un poids géopolitique qu'ils n'avaient pas au 20ème siècle. Avec une nuance importante : les gisements de nouvelle huile seront-ils  capables d'envisager des plans de production de long terme ? Concrètement, le poids nouveau des USA sera-il durable?

 

 

[1] Flash économie du 2 février 2016, N° 107.

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commentaires

B
Et la bulle du secteur de l'acier ?<br /> <br /> Nous pouvons en parler ?<br /> <br /> Après tout, le secteur de l'acier est aujourd'hui une gigantesque bulle, qui ne demande qu'à éclater.<br /> <br /> Lundi 8 février 2016 :<br /> <br /> Acier : attention au "risque d'effondrement" du secteur (ministres européens).<br /> <br /> Plusieurs ministres européens de l'Economie ont mis en garde lundi dans une lettre commune contre "un risque important et imminent d'effondrement du secteur européen de l'acier", confronté au "dumping" pratiqué par la Chine et à une situation de surcapacité mondiale.<br /> <br /> Dans cette missive adressée à la Commission européenne, les ministres de l'Economie allemand Sigmar Gabriel, français Emmanuel Macron, italien Federica Guidi, polonais Mateusz Morawiecki, britannique Sajid Javid, belge Kris Peeters et luxembourgeois Etienne Schneider appellent l'Union Européenne à "utiliser tous les moyens disponibles" et à "agir fortement pour répondre à ce nouveau défi". <br /> <br /> http://www.romandie.com/news/Acier-attention-au-risque-deffondrement-du-secteur-ministres-europeens/674354.rom
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A
Bonjour<br /> Que diriez-vous de ces deux commentaires?<br /> 1. Si les US veulent démolir la Russie , c'est une stratégie.<br /> 2. Mais, financièrement, les prix très bas actuels sont-ils tenables longtemps sans risque pour les producteurs américains (endettés) de pétrole-gaz de schistes?<br /> Cordialement
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J
A votre question 1 je répond que c'est un hypothèse crédible.<br /> S'agissant de votre question 2 je pense que le gouvernement américain peut subventionner les extractions non rentables, ce qui maintiendrait des producteurs marginaux dont l'effet serait la pérennisation de prix bas favorables à l'économie américaine mais tuant une partie de l'extraction russe..<br /> Cordialement

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