Il est inutile de rappeler qu’un réel âge d’or de l’Europe et de l’euro passe par le recyclage des excédents et de ceux de l’Allemagne en particulier[1].
L’Allemagne d’aujourd’hui n’est pas l’Amérique de 1945
Un certain âge d’or du capitalisme avait été ouvert après la seconde guerre mondiale par une Amérique qui, soucieuse de ses intérêts de long terme, recyclait son considérable surplus commercial en exportant aide et investissements directs vers l’Europe et le Japon. Dans un cadre de guerre froide, un tel transfert correspondait au « containment » de l’Union Soviétique et au maintien de l’hégémonie américaine[2].
Dans un monde que l’on prétend mondialisé, L’Allemagne et son personnel politico-administratif ne mettent en avant que des intérêts strictement nationaux, en particulier ceux d’électeurs rentiers. Il est donc logique et parfaitement justifié, de voir l’Allemagne refuser de construire un grand projet Européen, comme naguère les USA construisaient un projet mondial. Les grecs ne bénéficieront ainsi jamais d’un plan Marshall, et ce d’autant plus que le reste du monde accepte, jusqu’ici, d’absorber le surplus Allemand.
Allons plus loin et ajoutons de la fantaisie au raisonnement. Historiquement, les USA se sont trouvés très vite, après la période de reconstruction, en position débitrice, un peu comme les pays du sud de la zone euro aujourd’hui. Pour autant, le débit fut, comme on le disait dans les années 60, un déficit « sans pleurs ». La raison est simple : les acteurs excédentaires du reste du monde acceptent tous des actifs, quels qu’ils soient, libellés en devise américaine, c’est-à-dire le dollar. Parce que le dollar, en particulier la dette publique américaine, est la liquidité ultime ou absolue, aucun agent n’est venu jusqu’ici exiger un quelconque paiement : être payé en dollars est le mode de règlement le plus universellement accepté. Ce qui n’est évidemment pas le cas des soldes TARGET grecs que la banque centrale allemande ne peut accepter. Les actifs grecs des soldes correspondants n’ont pas la qualité des dollars….même si ceux-ci sont imprimés par des banques américaines sur l’ensemble de la planète. Les USA ont pu poursuivre jusqu’ici à crédit, par déficit régulier et croissant, leur expansion et leur domination mondiale. La Grèce restera bloquée par son déficit. L’Allemagne n’a pas les mêmes intérêts que les USA et ne remplacera jamais ceux-ci sur cet espace réduit qu’est la zone Euro.
La zone euro restera donc, en principe, le parking de ceux qui sont en panne de croissance, parking visité par le meccano BCE qui tente, avec les moyens du bord, de réanimer ce qui est paralysé.
Parmi ces moyens du bord, il y a l’helicopter money. Si les USA poursuivent leur expansion grâce à la création continue de dollars[3], pourquoi la BCE ne pourrait-elle pas réanimer la croissance de la zone euro par le biais d’un déversement de monnaie sur les zones déficitaires ? Le déficit américain nourrit la demande mondiale, ce qui est interdit à l’échelle de la monnaie unique, mais pourquoi alors ne pas remplacer ce déficit interdit, par de l’injection monétaire nourrissant directement la demande dans la zone ? Ce qu’on appelle « l’helicopter money ».
On sait l’opposition radicale du personnel politico-administratif allemand au regard d’un tel projet. Mais on sait aussi que cette opposition s’inscrit dans une représentation du monde qui est l’ordo libéralisme. Si on dépasse cette pure vision pour se plonger vers une argumentation, si possible, plus objective, quels sont les avantages et inconvénients du recours à l’helicopter money (HM) pour l’Allemagne ?
Le bricolage d’un « ersatz » de transfert.
Nous pouvons pour cela construire un tableau présentant les avantages et inconvénients en fonction des diverses modalités imaginables de l’helicopter money ( HM).
Type de HE et clé de répartition |
En % du PIB de chaque pays |
En % du PIB de chaque pays |
En faveur du sud (grèce) |
En faveur du sud (Grèce) |
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Utilisation |
Résultats |
Utilisation |
Résultats |
Etat |
-Remboursement dette publique
-Investissements |
-Avantageux pour l’Allemagne -Risques d’inflation -Répression financière |
-Remboursement dette publique
-Investissements |
-Avantageux pour la Grèce -Sécurisation relative de l’épargne allemande -Répression financière |
Entreprise |
-Remboursement dette privée.
-Investissement
-Achat de dettes |
-Avantageux pour l’Allemagne -Risques d’inflation -Répression financière |
-Remboursement dette privée.
-Investissements |
-Avantageux pour la Grèce -Sécurisation relative de l’épargne allemande -Répression financière |
Ménages |
-Epargne
-Consommation |
-Avantageux pour l’Allemagne -Risques d’inflation |
-Epargne -Consommation |
-Avantageux pour la Grèce
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L’examen du tableau appelle plusieurs remarques:
Si on considère comme résolue la question de l’acceptabilité par l’Allemagne d’une clé de répartition du HM en faveur des pays du Sud[4], une question très brûlante est celle de ses conséquences sur la finance.
Finance en berne et répression financière
De ce point de vue, il faut considérer que le HM est d’abord une forte exception au principe classique de la création monétaire : la monnaie est jusqu’ici, dans sa totalité, la contrepartie d’une dette, ce que certains appellent « l’argent dette ». Le HM met fin à ce monopole, et introduit l’idée qu’il est possible de créer de la monnaie, bien sûr à coût nul, sans la rémunération qui lui est associée, c’est-à-dire le taux de l’intérêt. Une première conclusion est que l’on entre ainsi dans un mécanisme de répression financière avec, d’une part des risques inflationnistes, et d’autre part le rétrécissement du marché de la création monétaire jusqu’ici réservé aux seules banques. De ce point de vue, le rentier, allemand ou non, peut se poser de légitimes questions concernant la rentabilité de son épargne, question abordée sous un autre angle dans le point qui suit.
Car une autre question complètement liée au mécanisme de la répression est celle de l’affectation du HM entre Remboursements de dettes privées ou publiques, Investissements privés ou publics et épargne. De ce point de vue le HM est un mécanisme d’aggravation des effets déjà constatés sur le QE, à savoir la baisse des coûts donc des taux d’intérêt sur les dettes publiques et les obligations d’entreprises[5]. Là aussi il faut s’attendre à une répression financière accrue et donc une rémunération très faible de l’épargne.
On peut certes imaginer un interdit juridique d’utilisation du HM au remboursement de la dette, et donc une surveillance active de sa bonne utilisation au profit de l’économie réelle. Et il est vrai que sans cet interdit, le HM peut aussi ressembler au QE et à ses inconvénients , à savoir la montée de la spéculation avec tous ses risques. Mais alors, on entre dans un processus d’interventionnisme croissant et à la répression financière s’ajoute un interventionnisme qui n’est même plus couvert par l’idéologie d’un intérêt général lequel n’est concédé qu’aux Etats : en Quoi la BCE est-elle légitime pour surveiller les entreprises et ce de manière très procédurière ? Et en quoi serait -elle garante de la bonne affectation des ressources ?
Une hétérogénéité enfin combattue ?
Une autre question est celle de la capacité d’un HM à réduire l’hétérogénéité entre le nord et le sud . Il est en effet évident que le HM sur les ménages grecs, ne peut que développer les importations à court terme, alors que ce même HM sur les entreprises grecques développera aussi les importations de court terme, pour n’autoriser les exportations que dans le long terme. C’est dire que le processus est beaucoup plus consommateur de temps, qu’une modification d’un taux de change, ce qui nous renvoie à la monnaie unique. Et la comparaison peut être faite avec ce qui était le « QM » américain de l’après-guerre : la reconstruction a certes exigé du temps, mais à l’époque il y avait des barrières douanières et donc des productions nationales en voie de reconstruction, relativement protégées.
Si l’on dresse un bilan relativement à notre question de savoir si un HM peut produire les effets d’un transfert refusé et pourtant exigé pour le fonctionnement normal d’une zone monétaire, nous disposons des conclusions suivantes :
Un ersatz qui fait des gagnants et des perdants
Parmi les perdants d’un HM nous avons :
- d’abord la finance dont le périmètre d’activité se réduit par la fin du monopole de « l’argent dette » le risque d’inflation, la baisse des taux, et le probable interventionnisme d’une banque centrale ou des Etats, cherchant à limiter la transformation le HM en QE, lequel fut d’emblée matière première de la spéculation.
- Les rentiers victimes d’une finance réprimée qui n’a pas plus les moyens de proposer des produits hautement rentables à sa clientèle. Les pays où la rente est la plus importante, sont aussi ceux où les régimes de retraites par répartition sont les plus fragiles et où le vieillissement démographique est le plus accentué. De ce point de vue l’Allemagne est de loin le pays le plus touché. D’où déjà les réactions indignées des entrepreneurs politiques allemands et responsables des grandes institutions d’épargne, comme les Sparkassen face à la politique de la BCE. A cela il faut ajouter que la baisse de l’euro normalement associée à un HM , ne joue pas non plus en faveur des rentiers et retraités allemands.
Parmi les gagnants, nous aurons vraisemblablement tous les agents qui vont bénéficier du transfert que les règles bruxelloises interdisaient. La fiction d’un transfert par ce tiers qu’est la BCE, deviendra, au moins provisoirement réalité pour les déficitaires : Etats et entreprises, voire ménages du sud.
A noter que pour la nation la plus importante à savoir l’Allemagne, les entreprises notamment exportatrices- donc l’ensemble du secteur industriel- ne sont pas nécessairement défavorables à un HM qui produit de nouveaux marchés dans des conditions de rémunérations non dégradées : la baisse de l’euro joue en défaveur de la valeur ajoutée dégagée par les intrants importés, mais en faveur de la valeur ajoutée à l’exportation. Cette spécificité joue, on le sait, à plein dans une chaine de la valeur très émiettée et ce qu’on appelle une production « by germany ».[6]
Ces conclusions restent très globales et doivent être nuancées en fonction des modalités concrètes du HM que la BCE pourrait théoriquement organiser : déversement plutôt sur les Etats ? plutôt vers les entreprises ? plutôt vers les ménages ? Et au-delà quelles modalités concrètes de répartitions : PIB ? Niveau de déficit ? importance de la population ? Combinaison de plusieurs paramètres ?
Mais un ersatz qui est aussi un acide destructeur
Il est de ce point de vue évident que l’Allemagne pourrait atténuer son opposition radicale si le HM prenait pour critère l’importance du PIB : les risques associés qui se conjuguent au détriment des rentiers peuvent être compensés par des garanties : suppression de la hantise du défaut du sud et de la hausse des impôts correspondante, amélioration des régimes de retraites, avec indexation sur l’inflation, etc. Plus globalement, prise de conscience qu’il faut choisir entre cette mauvaise solution, et celle de porter le poids de ce qui pourrait apparaitre comme un peuple responsable d’une troisième catastrophe européenne…
De fait l’opposition radicale viendrait plutôt du système financier qui fera tout pour éviter la diminution radicale de son poids dans l’économie.
Si toutefois le scénario du HM devait, malgré les multiples oppositions, se manifester il resterait système assis entre 2 chaises : interventionnisme accru et donc plus de surveillance, plus de règlements, plus de barrières, et moins de marché[7]….sous la houlette d’un acteur- la BCE- situé en dehors du champ politique… Il est clair que le chemin menant au HM a pour destination ultime la fin de l’indépendance des banques centrales….
L’euro ne peut se maintenir qu’avec de gigantesques transferts réels du nord vers le sud. Parce que Politiquement impensable, un substitut, un ersatz de transfert appelé HM, peut être envisagé. Mais la « consommation productive de l’ersatz » fonctionnera comme acide et détruira la clé de voûte du système euro à savoir l’indépendance de sa banque centrale, une destruction qui entrainera l’ensemble de l’édifice euro zone.
[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/02/bien-comprendre-la-logique-devastatrice-de-l-euro.html
[2] On pourra ici s’appuyer sur l’ouvrage de Yanis Varoufakis : « le minotaure planétaire », Enquêtes et perspectives, 2015 .
[3] Et une expansion qui permet aussi l’expansion de biens d’autres pays, le déficit américain nourrissant une demande planétaire croissante
[4] De fait l’opposition Allemande sera forte sur le principe et modérée sur son application car le maintien de l’ouverture des frontières permettrait, en cas de privilège accordé au sud, aux entreprises allemandes d’aller bénéficier, en se délocalisant, des faveurs de la BCE.
[5] Selon le flash eco : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=90851 et le modèle construit à ce effet, l’actuel QE confirme ce point de vue et ajoute une hausse des primes sur titres risqués aboutissant à une réduction de la production.
[6] Nous retrouvons ici l’idée que l’économie allemande est relativement moins concernée que d’autres par la question du taux de change.
[7] Comment en effet construire/reconstruire le sud en le laissant au grand vent d’une concurrence assortie d’un taux de change irréaliste ?