Quel que soit le résultat du référendum du 23 juin les conséquences seront probablement considérables.
Hypothèse du maintien dans l’UE
Ce scénario n’est pas celui de la continuité car il marque le succès d’une stratégie de blocage de l’intégration vers toujours plus d’Europe. Les britanniques en utilisant pour la première fois dans l’histoire un article conçu pour ne jamais être utilisé (article 50 évoquant les conditions d’un départ de la construction européenne) obtiennent un régime d’exception. Il n’est pas douteux que cette stratégie deviendrait un chemin banal pour les pays qui sans vouloir déserter chercheraient à améliorer leur position dans l’édifice. L’UE européenne ne serait plus un bouc émissaire seulement désigné mais concrètement utilisé, et les forces de dislocation concurrenceraient celles d’une cohésion historiquement toujours croissante.
La conséquence est bien sûr aussi la victoire des stratégies néo libérales de déréglementation et la fin des projets de mise en place d’un ministre européen de l’économie et des finances. Elle est aussi la continuité de l’approfondissement des accords de libre Echange avec les USA ou le Canada, l’accord sur la libéralisation des services, etc.
Hypothèse du « leave ».
N’abordons pas ici les résultats souvent négatifs proposés par la multitude des modèles qui se sont intéressés à la question. Calculer comme le font la plupart la prétendue diminution de PIB à partir de ce qu’on appelle une « augmentation des couts du commerce international », lui-même induit par un éloignement du marché unique n’a guère de sens. L’effet du Brexit n’est pas dans le registre du calculable. Et, n’est pas calculable non plus, la différence (donc le « solde » ?) entre un éventuel PIB plus faible et une « démocratie plus grande » en ce que les résultats de son jeu ne serait plus prédéterminé par les métarègles de l’UE.
Bien évidemment des conséquences économiques émergeraient rapidement, mais pour autant, elles seraient maitrisables. Rapides, car on peut parier sur un courant spéculatif vigoureux, portant sur la vente d’actifs britanniques défavorables à la tenue de la livre. La balance courante structurellement déficitaire est jusqu’ici couverte par des achats d’actifs britanniques. La réorientation spéculative du flux de capitaux entrainerait une forte chute de la livre, d’où probablement une forte hausse des taux, et une augmentation de l’épargne. Le changement ne serait pourtant pas catastrophique et l’effet récessif attendu serait partiellement compensé par une amélioration de la compétitivité impulsée par la baisse du taux de change. Reste la question des taux sur une dette publique importante, question qui elle aussi n’est pas insoluble. Il est toutefois impossible de fixer le résultat global d’un tel changement et là encore les modèles économétriques ne sont pas épistémologiquement sérieux.
A moyen terme, sur le plan financier, la place de Londres ne serait pas menacée, car les barrières à l’entrée qui s’opposent à toute place se voulant concurrente sont colossales : accumulation de compétences techniques en tous domaines sur un même lieu, qualité des infrastructures, liberté des rémunérations, adossement « naturel » sur des paradis fiscaux, etc…. la place de Paris malgré ses compétences humaines ne saurait rivaliser avec celle de Londres de l’après Brexit.
Toujours à moyen terme, la renégociation des accords avec l’UE au-delà des intérêts divers est parfaitement envisageable. Inscrite dans la durée (deux années selon l’article 50) elle n’empêchera pas le maintien des contrats ou des normes, et permettra le maintien de toutes les activités tant il est vrai que l’esprit libre échangiste sera maintenu[1].
On voit mal la France punissant la grande Bretagne en imposant des clauses restrictives sur les importations en provenance d’Outre-Manche, au prétexte qu’il faut faire peur… au Front National…et ce d’autant que l’excèdent français sur la Grande Bretagne est important ( 8,4 milliards d’euros pour 2015) et présente un caractère d’exception puisque la France est déficitaire au regard de la plupart des grands pays partenaires. Il n’est pas dans l’intérêt de la France de gêner en quoi que ce soit l’épanouissement des intérêts britanniques jusqu’ici garantis par les textes existants.
On voit mal l’Allemagne punissant la Grande Bretagne alors qu’elle exporte massivement ( 89 milliards d’euros en 2015) vers ce dernier pays. Là aussi tout sera fait pour ne pas gêner un client si important.
On voit mal l’Irlande cherchant à créer une frontière avec sa partie nord pour punir la Grande Bretagne…
Etc.
Clairement, le ton sera celui de la bienveillante dans les négociations de sortie et l’on se dirigera peut-être vers l’appartenance à L’Espace Economique Européen, (EEE) voire l’AELE (Association Européenne de Libre Echange). Plus probablement l’issue sera celle d’accords classiques en raison du fait que EEE et AELE valident la liberté de circulation du travail que la Grande Bretagne cherche à maitriser. Du point de vue de la grande Bretagne la sortie correspondrait mieux à sa vocation libre échangiste avec la possibilité de conclure des accords bilatéraux avec n’importe quel pays, ce qui n’est pas vrai aujourd’hui. Ajoutons qu’une telle solution correspondrait aussi mieux à sa réalité puisque plus de 50% de son commerce mondial se réalise avec des pays étrangers à l’UE. La Grande Bretagne libérée du carcan communautaire retrouverait ainsi sa vocation mondiale. Précisons enfin- pour reprendre les termes de « cout du commerce international » des fabricants de modèles- que cette dernière solution est la plus avantageuse en raison des énormes contributions financières correspondants à l’appartenance à l’EEE ou L’AELE.
Les réactions politiques
Si le tabou de l’article 50 est levé et qu’au surplus il aboutit à une sortie, il est clair que les forces de dislocation deviennent plus dangereuses et qu’à cet égard les forces politiques intégratives seront déployées[2]. La première d’entre elle est bien sûr le personnel politico-administratif qui a fait carrière et trouve des débouchés croissants au sein des énormes pyramides institutionnelles de l’UE. Elle sera la première force en quête de mobilisation des acteurs politiques nationaux. Elle sera toutefois bien en peine dans son choix stratégique d’influence auprès des décideurs politiques nationaux : pour éviter la désintégration et donc se reproduire au pouvoir dans la pyramide institutionnelle européenne faut-il choisir davantage de fédéralisme ? Ou éviter toute nouvelle forme de mutualisation comme c’est le cas encore aujourd’hui ?
Les choses ne sont pourtant pas simples car il faut compter à l’intérieur de chaque Etat avec la montée des partis non européistes, voire des partis sécessionnistes. Et surtout il faut compter avec l’éternel problème de l’euro, monnaie dont on commence à avouer- avec 20 années de retard - qu’elle est « incomplète » …et probablement frappée d’incomplétude…ce qui n’est pas encore avoué…
La Catalogne voit d’un bon œil le Brexit et ses conséquences possibles sur la sécession d’une Ecosse demandant son intégration dans l’UE. Son intérêt est peut-être de freiner une intégration plus forte l’emprisonnant davantage dans une Espagne qu’elle veut quitter. Les choses sont plus claires pour des Etats-nations plus solides :la montée du populisme en Hollande bloquera les ardeurs du président de l’Euro Groupe ; la montée de l’AFD en Allemagne rendra prudent le gouvernement correspondant ; la montée du Front National agira de la même façon pour la France. On pourrait multiplier les exemples.
Ces blocages internes qui poussent à l’arrêt de l’approfondissement se heurtent toutefois au problème fondamental de la monnaie unique qui lui exigerait à court terme une volonté plus intégratrice.
On sait que la suppression des taux de change est la condition fondamentale de l’existence d’une monnaie unique entre nations différentes. A l’intérieur d’une nation, les déséquilibres régionaux ne posent guère de problème et des transferts existent -et sont politiquement acceptés en raison de l’homogénéité existant à l’intérieur d’un espace national - entre régions excédentaires et régions déficitaires. La région déficitaire ne dévalue pas une monnaie nationale – chose au demeurant impossible- pour restaurer l’équilibre, et va donc bénéficier de la solidarité des régions riches de la même nation. Tel n’est pas le cas entre nations différentes où aucun espace de solidarité naturelle n’existe.
Concrètement le bon fonctionnement de l’euro suppose des transferts entre nations …des transferts dépourvus de toute légitimité naturelle. Il n’existe pas d’espace de solidarité entre l’Allemagne et la Grèce. D’où les très importants disfonctionnements de la zone euro. En cas de Brexit Les schémas d’intégration renforcée prennent -ils en compte cet élément d’hétérogénéité qui délégitime l’idée de solidarité ? La réponse est clairement non.
Tous les projets de renforcement actuellement sur la table, près d’une dizaine, butent sur la question des transferts. Tous militent pour un pouvoir discrétionnaire appuyé par un parlement authentique de la zone euro. Tous militent pour un gouvernement économique avec un budget important, une convergence fiscale et sociale, parfois même avec une assurance chômage centralisée, des dépenses d’infrastructures appuyées par ce qui serait un budget de la zone euro au sein d’un Trésor de la zone euro. Mais quelle que soit la solution retenue, il est clair que l’Allemagne ne pourra que s’opposer au fait que les dépenses correspondantes seraient de fait payés automatiquement par les allemands. On peut ainsi penser que jamais l’Allemagne n’acceptera un parlement authentique, capable de légiférer démocratiquement sur des recettes et dépenses, un parlement où pour des raisons de simple arithmétique démographique elle serait éternellement et fort légitimement minoritaire
Ainsi on peut raisonnablement penser que le Brexit accélérera la mise à nu de l’existence d’un nœud gordien, que ce même Brexit permet de trancher. En particulier la Grande Bretagne partie, il n’y a plus que 2 pays importants : l’Allemagne et la France, de quoi imaginer l’instauration d’un rapport de forces nouveau pour peu que le nouveau président de la République prenne conscience de la nécessite de trancher le nœud gordien : ou bien l’Allemagne accepte de nouvelles règles ou bien la zone euro disparait…
Parce que le Brexit éloigne un tabou, parce qu’il permet de poser des questions jusqu’ici interdites, parce qu’il engendre des idées de liberté chez les peuples, une liberté que les appareils politico-administratifs nationaux et communautaires tenteront de contenir en démasquant - bien involontairement - le nœud gordien de l’euro, il accélérera la décomposition de l’UE telle qu’elle s’est historiquement constituée.
Et cette décomposition porteuse du rétablissement de la démocratie ( le résultat des élections peut être respecté car les métarègles européennes non démocratiques ont disparu) va dans le sens de la présente histoire : l’affirmation , partout dans le monde, d’Etats- nations soucieuses de souverainetés portant en elles l’espérance démocratique.[3]
[1] Et cette bienveillance sera présente même si la colère de certains se fait vive, comme celle par exemple de l’euro députée Sylvie Goulard qui vient d’écrire une charge contre le premier ministre Britannique ;« Goodbye europe » publié chez Flammarion. Voici un court extrait qui donne le ton : « Un premier ministre britannique récalcitrant en difficulté avec son propre camp, dicte ses conditions et voilà que 27 dirigeants et toutes les institutions européennes cautionnent un discours de dénigrement et cèdent au chantage. C’est extravagant ».
[2] Il faut en effet bien comprendre que ce serait aussi historiquement le premier référendum contre l’Europe, consultation organisée dans un grand pays, qui donnerait lieu à un succès et surtout qui serait exécuté. D’autres référendum se sont produits notamment celui du 29 mai 2005 en France, mais ils ont toujours terminé leur parcours dans les oubliettes. Ce ne serait pas le cas d’un Brexit.
[3] En reprenant les propos d’Olivier Gosset (XERFY) on assisterait ainsi à la « déseuropéanisation » en parfaite congruence avec ce qu’il croit être une démondialisation à l’œuvre. Il est vrai que déjà les mouvements de capitaux entre pays de l’UE ont pratiquement disparu tandis que le poids du commerce inter UE se réduit.