Deux études viennent confirmer l’inadéquation du taux de change de la France vis-à-vis de l’ensemble de ses partenaires européens ou non.
La première, issue du Think Tank « La fabrique de l’industrie » réalisée par Pierre Noël Giraud et Philippe Frocrain révèle que lorsque 100 emplois exposés à la concurrence internationale apparaissent dans un bassin d’emplois de France métropolitaine, 64 emplois abrités supplémentaires apparaissent dans la zone. L’inverse étant approximativement constaté, cela signifie que le secteur exportateur ayant perdu 200000 postes entre 1999 et 2013, il a entrainé derrière lui la fermeture d’un nombre considérable de postes abrités. Les variations de l’emploi du secteur exposé développent donc des externalités sur l’emploi abrité et des liens qui sont pour partie des liens mécaniques mais pour partie aussi des déversements de revenus d’autant plus importants que les rémunérations du secteur exposés sont plus élevées et traduisent des gains de productivité eux-mêmes plus élevés.
Vu de plus haut cette première étude révèle par conséquent qu’un taux de change trop élevé affaiblit la compétitivité du secteur exposé avec toutes ses conséquences sur l’emploi du secteur abrité. Mais aussi avec toutes ses conséquences sur la croissance puisque c’est le secteur exposé qui génère, le plus, les gains de productivité et donc la croissance.
La seconde étude est celle de de 2 chercheurs, Pierre-André Buigues et Denis lacoste, de la Toulouse Business School qui se sont intéressés aux modalités de développement des entreprises multinationales allemandes et françaises. Deux paramètres parmi d’autres sont ainsi livrés à une analyse comparative du processus d’internationalisation :
Le déploiement international s’opère davantage par des exportations côté allemand et davantage par investissements directs à l’étranger côté français. Le stock d’investissements directs à l’étranger des entreprises françaises représentant 59,1% du PIB français, tandis que ce même stock ne représente que 43,3% du PIB côté Allemagne. Les deux chercheurs en déduisent que ces stratégies différenciées sont à rapprocher des évolutions du commerce extérieur des 2 pays, défavorable côté français et favorable côté allemand.
Le déploiement international des entreprises allemandes obéit à un modèle de division du travail assez clair : R§D non délocalisé, assemblage sur territoire national, composants délocalisés. Le même déploiement français aboutit plutôt à lé délocalisation de la plupart des maillons de la chaine de la valeur avec réimportation de la production finale. Ainsi en 2011, 74% des importations françaises de la branche automobile étaient constituées de voitures (59% dans le cas de L’Allemagne) et 26% de pièces détachées ( 41% dans le cas de L’Allemagne).
La stratégie française de redéploiement prend parfois des proportions inquiétantes avec notamment l’implantation à l’étranger de toute une branche. Tel est le cas de Renault et PSA au Maroc avec un déménagement quasi complet transformant peu à peu le pays en futur « Grand » de l’automobile. Il est ainsi prévu qu’en 2020 la production du pays sera de 1 million de véhicules produits par 175 000 salariés[1].
Cette seconde étude n’aborde que de façon elliptique les causes profondes de la stratégie différenciée de l’internalisation en mentionnant qu’il s’agit probablement d’un problème de compétitivité. Effectivement l’Allemagne disposant d’un taux de change favorable n’est pas pénalisée par le maintien des pièces centrales de la chaine de la valeur sur le territoire national, ce qui n’est pas le cas de la France dont le taux de change est trop élevé.
La première étude fort différente aboutit toutefois à la même conclusion : le secteur exposé qui représentait en 1999 30% du total des emplois, n’en représente plus que 26,8% en 2013 en raison de la compétitivité faible du pays.
Plus globalement avec un taux de change faible pour une production haut de gamme, l’Allemagne voit ses exportations garanties et peut même constater une baisse de son élasticité-prix des exportations en volume (0,40 sur la période 2002/2016, mais seulement 0,28 sur la période 2006/2016)[2]. A l’inverse, la France, avec un taux de change trop élevé par rapport à sa production plus orientée moyenne gamme, voit ses exportations à la peine et peut constater un maintien de son élasticité-prix à l’exportation (0,75) un chiffre plus élevé témoignant de sa plus grande sensibilité à l’effet prix.
Compte tenu de ses deux études et sachant que du point de vue des importations l’ élasticité correspondante est pour la France strictement égale à zéro[3], Quelles sont les priorités d’une politique industrielle libérée de la gangue de la monnaie unique ?
Logiquement, la politique industrielle d’un pouvoir libéré devrait obéir aux priorités suivantes :
1 - Mettre tout en œuvre pour générer des activités substitutives des importations afin de lutter contre les effets catastrophiques de l’élasticité/ prix des importations qui reviendrait à une augmentation importante des prix et donc des revenus correspondants. Avec des effets de second tour sur la demande globale. Cela passe aussi par des incitations puissantes à la relocalisation avec par exemple une aide égale aux charges sociales nouvelles générées par les nouveaux emplois relocalisés…donc une aide signifiant l’équivalent d’un zéro charges sociales pour tout emploi créé dans une activité de substitution.
L’aide à la relocalisation se doit de concerner toutes les activités c’est-à-dire les unités d’assemblage, mais aussi les unités de fabrication des composants. Il est en effet évident que c’est l’ensemble d’une chaine de valeur qui est concernée, faute de quoi une unité d’assemblage relocalisée serait quand même pénalisée malgré l’aide en raison des surcoûts des intrants frappés par la baisse du taux de change. Un tel processus bien mené doit donc logiquement aboutir à un raccourcissement important des chaines de valeur[4]. Dans la pratique cela peut signifier des « contrats de relocalisation » avec préfinancement couvrant les coûts du redéploiement.[5] A terme la compétitivité nouvelle n’est plus assurée par un quelconque CICE budgétairement très coûteux mais par un changement de parité, lui-même accompagné d’investissements de capacité et de productivité.
Pour les branches dont l’élasticité/prix à l’importation n’est pas nulle mais reste très faible, le contrat de relocalisation se transforme en contrat de développement et se trouve assorti d’une aide. Il s’agit ici de dynamiser une activité en l’incitant - non pas à élever les prix et donc les marges et de capter les bénéfices de la dévaluation- mais à répondre à la demande et à embaucher. Là encore, l’aide se fixe à la hauteur des nouvelles cotisations sociales résultant de l’embauche. Et Là encore le coût budgétaire est nul.
Resteraient à envisager les substitutions d’importations non pas par relocalisation mais par création d’activités nouvelles interdites jusqu’alors par l’inadaptation du taux de change. Il s’agit du cas le plus difficile, difficulté allant jusqu’à l’impossibilité temporaire de rassembler les compétences nécessaires issues de métiers disparus ou de métiers non validés sur le territoire.
Globalement, il reste toutefois que le processus n’est pas simple, qu’il exige du temps, et qu’il n’est pleinement efficace que si les prix internes des nouvelles productions nationales rejoignent les prix des anciennes marchandises substituées. A défaut la demande globale interne restera affectée par le retour à la monnaie nationale.[6]
2- C’est la raison pour laquelle la seconde priorité sera de choisir délibérément l’industrie -et l’industrie haut de gamme- pour anticiper sur les gains de productivité à venir. Le haut de gamme ou tout simplement la modernisation de l’appareil productif doit en effet permettre d’assurer l’ancien pouvoir d’achat qui résultait de la force de l’euro. Il s’agit d’abord comme objectif prioritaire d’assurer le nivellement entre les productivités générant les anciennes importations et celles générant les nouvelles productions nationales. Cela passe évidemment par des investissements massifs publics et privés. Et cela passe par des investissements à classer en fonction de l’importance des externalités positives qu’ils sont capables d’engendrer. Clairement cela passe par ce qu'on appelle le "manufacturing 4-0", avec les robots collaboratifs, les dispositifs de réalité augmentée, l'Internet industriel, etc. le tout facilitant la "customisation de masse" et souvent la production locale au profit de débouchés locaux.
Auparavant, et à titre conservatoire, cela suppose la multiplication de contrats d’innovation qui permettront pour les usines installées de ne plus être menacées de perdre leur stock d’apprentissage par la financiarisation de leurs activités[7] .
Les investissements publics doivent d’abord assurer la qualité de la liaison entre les maillons des chaines de la valeur en voie de reconstitution. Ils doivent donc assurer la qualité et la fluidité des infrastructures de base. Ils permettent aussi de mobiliser massivement les chômeurs éloignés des compétences exigées par l’industrie et les services haut de gamme. Il faut en effet préciser que la réussite c’est aussi la rapidité et donc la diminution très rapide du chômage. Ces investissements publics sont aussi liés au domaine de la recherche développement dans le sens de la construction d’un Etat Stratège, qui permet de donner de la visibilité et une demande solvable aux investissements privés.
3 - Le caractère massif de l’investissement pose évidemment la question de la nouvelle organisation financière. Il est évidemment impossible de reconstruire dans le long terme en restant victime de la tyrannie du court terme. Parce que les investissements doivent être massifs et porteurs de résultats immédiats et importants en termes de réduction du chômage, il est nécessaire de reconfigurer dans sa totalité le système bancaire et financier.
Le passage urgent et rapide à une économie décarbonée suppose des crédits qui ne se limitent pas à l’épargne constituée, et donc exige une émission monétaire à la hauteur des moyens techniques et humains mobilisables au titre de la décarbonisation. Cela suppose, en reprenant le schéma proposé par Michel Aglietta[8], la sélection et la certification des investissements bas carbone, leur financement par des banques avec la certitude de pouvoir les céder à la banque centrale pour la valeur inscrite. Au total, le bilan de la Banque centrale s’accroit en actifs carbone, actifs dont la contrepartie au passif est l’augmentation de la réserve monétaire des banques. Il est possible d’envisager des procédures semblables pour les infrastructures et autres investissements moteurs de la relocalisation.
On comprend immédiatement que de tels schémas supposent la stricte obéissance de la Banque centrale envers les décideurs de l’Etat Stratège. On comprend aussi que le système bancaire doit être largement contraint par ce même Etat[9]. On comprend enfin que nous entrons dans une véritable économie de l’offre qui, par la hauteur de l’investissement nouveau financé par création monétaire, génère un flux de revenus propre à réanimer la croissance.
4 - Cette politique proactive suppose la mobilisation d’une main d’œuvre nouvelle devant s’adapter aux métiers correspondants. Pour cela le premier impératif porte sur la réquisition de l’ensemble des fonds de la formation professionnelle, 35 milliards d’euros, souvent improductivement dépensés. La réallocation autoritaire des ressources devra devenir l’outil au service des investissements industriels et de protection de l’environnement. En particulier cela passe par moins de légéreté au profit de formations de complaisance et la mise en place immédiate de filières industrielles d'excellence. Cela passera aussi par des contrats de formation et d’emploi avec sanction lourde en cas de non-respect par les parties signataires. Il est en effet urgent de mettre fin au gaspillage de la formation continue Cela passera enfin par la modération des nouvelles dépenses aux services à la personne dont le fonctionnement ne génère pas de rendements croissants.
[1] Les Echos du 10 septembre 2016.
[2] Selon Natixis.
[3] Toujours selon Natixis.
[4] Raccourcissement et renationalisation des chaines de la valeur permet aussi de diminuer l’évaporation fiscale qui résulte notamment des prix de transferts toujours contestables, et des facilités offertes par les paradis fiscaux.
[5] Il s’agirait bien d’un préfinancement donc un crédit puisque les sommes avancées au titre du redéploiement ne seront de fait remboursées que sous la forme des cotisations sociales nouvelles entrainées par la relocalisation.
[6] Précisons toutefois qu’avec une élasticité/prix à l’exportation d’environ 0,75, le changement de parité devrait entrainer un gain d’exportation développant la demande globale.
[7] Nous pensons ici en particulier au cas d’Alstom, mais aussi à toutes les industries de l’armement.
[8] « La monnaie entre dettes et souveraineté »- Odile Jacob- 2016.
[9] A cet égard on pourrait aller beaucoup plus loin et imposer une renationalisation complète de la monnaie dans le cadre de ce qu’on appelle le 100% monnaie. Dans une telle hypothèse la monnaie créée par la banque centrale est créditée au compte du Trésor qui revend et répartit ladite monnaie au sein du système bancaire.