Le texte qui suit, correspond à l’analyse des conséquences qui découlent de la situation des entreprises françaises (le secteur des ENF en comptabilité nationale) relativement à celles des entreprises allemandes. Nous n’évoquerons pas ici la question du déséquilibre budgétaire, qui fait beaucoup débat depuis quelques jours. Sa prise en considération - dans le sens d’une réduction- pour les raisonnements qui vont suivre, viendrait aggraver considérablement les conclusions des dits raisonnements[1].
La communication macronienne : la réforme code du travail cache la volonté d’alignement sur l’Allemagne.
L’examen des données exposées dans la première partie du présent article révèle immédiatement l’impasse de toute politique économique visant à s’aligner sur l’Allemagne. La mise en œuvre d’une politique de dévaluation interne apparait au regard des chiffres complètement hors de portée et certainement, beaucoup moins efficace qu’une variation du taux de change.
Hors de portée tout d’abord, en raison de la difficulté proprement politique à mettre en œuvre la dévaluation interne. Le président Macron compte beaucoup sur la réforme du code du travail pour impulser la baisse des salaires : Fin des contrats à durée indéterminée comme régime de base au profit des contrat de mission à durée déterminée, renversement de la hiérarchie des normes avec effets multiples sur les capacités de négociation des salariés (augmentation de la durée du travail, mise en concurrence des salariés à l’intérieur d’une branche, mise en concurrence des salariés à l’échelle internationale dans le choix des implantations d’activité, etc.), diminution des coûts de fin de contrat ( diminution des licenciements dans le cadre des contrats flexibles, baisse du niveau des indemnités prudhommales, etc.) Mais, concrètement, il y aura des résistances, des retards, des contournements, et Il ne sera pas facile d’arriver comme indiqué dans la première partie du présent article à une diminution de 9,6% de la masse salariale des ENF[2]. Rappelons aussi que la mise à niveau avec l’Allemagne suppose une baisse de la masse salariale des administrations publiques de l’ordre de 10% et que, là encore, de nombreuses rigidités, notamment celle d’un temps long, entre la décision et le résultat comptable sont à craindre.
Mais il y a plus grave car même en réussissant politiquement à faire accepter une déflation salariale de grande ampleur, les effets de ladite déflation ne sont nullement évidents.
Une baisse du niveau général des prix inférieure à la déflation salariale
Nos articles précédents ont mis en lumière les contraintes liées à la réussite d’une telle politique[3], contraintes qui se synthétisent dans le fait que la demande externe doit au moins compenser la réduction de la demande interne qui résulterait de la baisse de la masse salariale distribuée dans le pays[4]. Rappelons le chiffre : 115 milliards d’euros de baisse pour aligner au moins partiellement l’économie française sur l’économie allemande[5]. Un tel choc entraine un mécanisme complexe, type cause à effets multiples et souvent avec effets de boucle : baisse des coûts, amélioration des marges et du solde du compte de distribution secondaire du revenu, hausse de la FBCF[6], chute de la consommation, chute des importations, baisse des prix, hausse des exportations, etc… les conséquences sont aussi financières : niveau de l’épargne, solvabilité des agents et du système bancaire, etc. Globalement la question se ramène à celle de la conséquence macro-économique évaluée en terme d’évolution des demandes interne et externe. Or, nous avons montré que la baisse des prix qui est une variable déterminante dans l’augmentation du ratio : Demande externe/demande interne,[7] était plus faible que la baisse des salaires. Cela signifie que, malgré une déflation salariale d’environ 10%, les prix internes et à l’exportation diminueront de moins de 10%.
Une baisse des prix sans effets puissants sur le gonflement de la demande externe
Et même en admettant une baisse de 10% du niveau des prix, l’impact sur la demande externe sera très faible en raison de la sensibilité des flux d’échanges extérieurs aux prix, ce qu’on appelle les
élasticités-prix à l’exportation et à l’importation. Cette dernière est rigoureusement égale à zéro et la première peut être estimée à 0,7. Compte tenu des exportations françaises en 2016 (652 milliards d’euros) cela signifierait une hausse des exportations de moins de 5 milliards d’euros….
Le bilan est désastreux : sans qu’il soit possible de chiffrer de manière rigoureuse les effets à moyen terme de la déflation salariale, il est clair que cette dernière va imprimer une réduction de la demande interne qui ne sera pas compensée par une demande externe : un déclin du PIB est donc la certitude qui découle de cette stratégie. Elle peut avantager les décideurs économiques privés qui, logiquement, raisonnent au niveau micro-économique donc celui de l’entreprise - par exemple l’avantage de ne plus avoir peur d’embaucher quand on est un dirigeant de PME - mais elle est une catastrophe pour la Nation. La déflation salariale qui se cache derrière la réforme macronienne du code du travail aura donc des conséquences sociales, économiques et politiques de grande ampleur.
La dévaluation externe comme démarche éthique et seule possibilité pratique…même difficile.
C’est dire que la dépréciation du taux de change est infiniment préférable : même peu efficace en raison de l’insensibilité relative du commerce extérieur au taux de change, elle présente l’immense avantage de ne point en faire payer le prix aux salariés. Et parce que l’on ne punit pas une population qui ne fut pour rien dans les mauvais choix d’une élite, il faut se donner les moyens nécessaires à la reconstruction du pays en s’efforçant de relever le niveau des élasticités. On sait en effet que c’est l’allongement démesuré des chaines de la valeur qui rend à court terme une grande insensibilité des exportations et beaucoup plus encore des importations On continue à importer ce que l’on ne sait plus produire depuis longtemps et les exportations ont un contenu important en importations devenues plus coûteuses avec la baisse du taux de change. L’augmentation de la demande externe est une affaire longue et difficile car il faudra raccourcir des chaines de la valeur que l’euro a si catastrophiquement allongé. C’est la raison pour laquelle nous disions dans un article précédent que l’euro continuerait à nuire longtemps après sa disparition[8].
Bien évidemment, ce fait ne peut constituer un renoncement à la volonté de faire disparaitre l’euro. Et ce n’est pas parce que l’après- Euro sera une période difficile qu’il faut renoncer à sa disparition. Certes, il existe d’autres moyens pour aligner la France sur l’Allemagne, mais cela passe par des investissements considérables autorisant un saut de productivité pouvant nourrir des rémunérations élevées tout en rétablissant l’équilibre de la balance commerciale. De quoi rendre comparable désormais les comptes du secteur des ENF des deux pays. Mais la lourdeur de tels investissements (robotisation, digitalisation massive, formation, etc.) suppose une intervention publique garante, laquelle requiert l’intervention de la banque centrale et donc la fin de son indépendance. Circonstance impensable dans l’ordo-libéralisme allemand dont la doctrine ne porte pas sur la monnaie unique mais se trouve intransigeante sur le dogme de l’indépendance. C’est la raison pour laquelle les multiples appels sur le « quantitative easing réel » se sont tous soldés par un échec.
On peut et on doit se battre non plus sur l’euro mais sur l’indépendance de la Banque Centrale, mais nous retrouverons toujours une radicale opposition allemande[9]. Il n’existe donc pas de solution coordonnée et il ne peut y avoir de couple franco-allemand. C’est la brutalité soit de la crise, soit du rejet du nouveau pouvoir en France qui nous fera parler à nouveau de l’euro…même en utilisant d’autres mots pour ne pas trop effrayer les croyants….
[1] En particulier, les dépenses fiscales nouvelles pour attirer la City de Londres avec parallèlement la réduction des dépenses militaires relèvent d’un choix proprement ahurissant : il y a préférence pour des activités inutiles voire nuisibles (finance) au détriment d’activités industrielles porteuses d’avenir et d’innovations engendreuses de progrès (industries de la défense).
[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2017/07/la-verite-va-nous-rattraper-il-faudra-bien-un-jour-reparler-de-l-euro-partie-1.html
[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/2017/06/presidence-macron-en-marche-vers-la-devalauation-interne-partie2.html et http://www.lacrisedesannees2010.com/2017/06/president-macron-bonaparte-ou-talleyrand-avec-des-minuscules.html
[4] La richesse produite est comptablement égale à la somme des demandes interne et externe. Si la demande interne diminue, la richesse produite s’affaisse sauf si une demande externe (solde des exportations et des importations) vient compenser ou mieux surcompenser la chute de la demande interne.
[5] http://www.lacrisedesannees2010.com/2017/07/la-verite-va-nous-rattraper-il-faudra-bien-un-jour-reparler-de-l-euro-partie-1.html
[6] Formation brute de capital fixe.
[7] Logiquement si le niveau des prix baisse l’économie domestique est plus compétitive à l’échelle internationale et donc tout aussi logiquement le rapport demande externe/demande interne devrait augmenter.
[8] http://www.lacrisedesannees2010.com/2017/06/president-macron-bonaparte-ou-talleyrand-avec-des-minuscules.html
[9] Il n’est pas exagéré d’affirmer que l’indépendance de la banque centrale est l’un des fondements de la société allemande laquelle voit dans le repli de l’Etat la solution aux drames historiques qu’elle a connu. Il ne saurait donc être question pour un allemand de revenir sur ce qui est considéré comme une règle indépassable Curieusement l’idéologie allemande, qui n’est pas néolibérale, a fait le miel de la finance néolibérale planétaire : l’indépendance des banques centrales est devenu l’outil fondamental de la puissance de la finance. C’est dire qu’un discours politique concernant un « quantitative easing réel » n’est pas facile à tenir.