Les débats électoraux sont clos et la politique économique du quinquennat se met en place. On sait déjà que tout sera fait pour réduire le déficit public et ce, malgré le maintien des projets fiscaux ou les questions concernant le délai de la disparition du CICE[1]. Il s’agit de plaire à l’Allemagne et de la rejoindre dans le groupe des « pays sérieux ».
Hélas, il sera impossible d’imiter l’Allemagne et nous nous appuierons sur le travail initié par Jean Hernendez et Jean Pierre Gérard dans le cadre des réflexions menées au sein du groupe G21[2].
L’idée de ce travail est simple et consiste à puiser dans la Comptabilité nationale, les sources essentielles de divergences entre les deux économies. Tout repose, en effet, sur l’analyse des différents comptes du secteur des entreprises non financières des deux pays. Ultérieurement, le travail pourra se poursuivre avec le même regard comparatif sur les autres secteurs et les comptes qui leur sont associés[3].
CONSTATATIONS CONCENANT LES COMPTES DE PRODUCTION DU SECTEUR
Au-delà de la différence de taille du secteur des ENF entre la France (production totale de 2630 milliards d’euros pour 2016) et l’Allemagne (production totale de 3868 milliards d’euros), il importe de souligner la différence de productivité des consommations intermédiaires : 0,55 pour l’Allemagne contre 0,58 pour la France[4]. Cela signifie une plus grande productivité des consommations intermédiaires en Allemagne.
CONSTATATIONS CONCERNANT LES COMPTES D’EXPLOITATION DU SECTEUR
La masse salariale en France est excédentaire par rapport à celle constatée en Allemagne. Présentée toutes charges incluses, il faudrait la diminuer de 9,6% pour mettre sur un pied d’égalité les entreprises des 2 pays.
Les subventions à la production sont dans le rapport de 2 à 1 au bénéfice des ENF françaises. Ces dernières sont globalement beaucoup plus aidées en France qu’en Allemagne.
CONSTATATIONS CONCERNANT LES COMPTES D’AFFECTATION DES REVENUS PRIMAIRES DU SECTEUR
En ressources, s’agissant des ENF françaises, on constate un gros apport des revenus de la propriété lesquels viennent gonfler l’excédent brut d’exploitation. Ces revenus sont issus d’autres secteurs, essentiellement les administrations publiques et surtout le reste du monde. L’apport de la propriété représente ainsi 58 % de l’EBE. Signalons aussi que le rapport « Revenus de la propriété /EBE » n’a fait qu’augmenter dans de très importantes proportions au cours du temps[5]. Ce même rapport est beaucoup plus faible pour l’Allemagne et se monte à 18%.
En emplois, on constate des charges d’intérêt dans un rapport de 1 contre 2,5 au détriment des ENF françaises : ces dernières paient de lourds intérêts : 50,5 milliards d’euros contre seulement 19,3 pour l’Allemagne[6].
Au niveau de la distribution des revenus, il n’existe pas de différence significative entre les deux pays. Simplement on constate un mode de financement différent.
INTERPRETATION
VALEUR AJOUTEE ET EBE
Il n’est pas question ici de reprendre une nouvelle comparaison entre les deux pays et chacun connait les différences fondamentales. En revanche, l’examen des comptes nationaux pour le seul secteur des ENF permet déjà d’apporter un éclairage complémentaire et significatif.
Ce sont évidemment les salaires qui font la différence tant au niveau de la productivité des consommations intermédiaires qu’au niveau de la détermination de l’EBE. Il faut du reste noter que cet EBE est d’autant plus rogné que les charges salariales versées et par les salariés et par les employeurs ne financent pas l’intégralité du coût total du travail : les risques de la vie sont aussi financés par de la dette en France. Cela signifie, par conséquent, un écart réel supérieur aux 9,6% avancés précédemment. En intégrant l’effet de taille des 2 secteurs, l’alignement des charges salariales des ENF françaises sur celles de l’Allemagne, implique qu’il faudrait diminuer la masse salariale de ces ENF d’environ 8O milliards d’euros. Cela représente près de 4 points de PIB pour le seul secteur des ENF. Comme il n’est guère possible d’imaginer un gouvernement ne s’intéressant qu’aux seuls salariés des entreprises, il faudrait aussi imaginer -au nom du principe d’égalité- une réduction de la masse salariale dans les autres secteurs définis par les comptables nationaux, essentiellement celui des entreprises financières et des administrations publiques. Compte tenu des masses salariales dans ces deux secteurs (respectivement 53 et 284 milliards d’euros pour 2016) cela signifierait toutes proportions gardées, une réduction des masses d’environ 35 milliards d’euros supplémentaires, soit 1,7 points de PIB.
Au total il faudrait réduire la masse salariale de la France d’environ 115 milliards d’euros pour entrer en conformité avec le modèle allemand. Cette masse salariale plus réduite en Allemagne fait aussi la puissance économique du pays avec un EBE des ENF d’un peu plus du double de l’EBE des entreprises françaises (723 Milliards contre 348 milliards pour la France). C’est dire que la comparaison des PIB (2225 milliards pour La France et 3134 milliards pour l’Allemagne) reflète mal une différence autrement plus considérable des capacités productives réelles des deux pays. Dit autrement, et compte tenu que les comptables nationaux ont décidé que les administrations publiques produisent de la valeur ajoutée, on énoncera que la France grossit avec le gonflement de son Etat tandis que l’Allemagne grossit avec la puissance de ses entreprises. Une telle différence de puissance ne saurait être gommée en quelques années même si l’on met en avant les contraintes démographiques spécifiques de l’Allemagne.
LES REVENUS DE LA PROPRIETE
La différence entre les deux pays est considérable et les deux ratios présentés plus haut révèlent des stratégies très différentes de déploiement international des ENF françaises et allemandes. Globalement, les entreprises allemandes se nourrissent de consommations intermédiaires plutôt produites à l’étranger, tandis que les ENF françaises ont tendance à délocaliser un plus grand nombre de maillons de la chaîne de la valeur[7]. Pour ne prendre que la branche automobile et ce, pour l’année 2011 : 74% des importations françaises étaient constituées de voitures et 26% de pièces détachées ; s’agissant de l’Allemagne, nous avions respectivement 59% et 41%. Ces différences de stratégies se traduisent aussi en termes d’internationalisation du capital des entreprises : pour la France, il représente 59,1% de son PIB tandis que pour l’Allemagne il ne représente que 43,3% du PIB allemand.
Ces chiffres expliquent partiellement les données de la Comptabilité Nationale déjà présentées : la productivité plus grande des consommations intermédiaires allemandes qui participent à la richesse du pays et la faiblesse d’une EBE qui se construit de plus en plus à l’étranger pour la France. En sorte que le PIB français est à la fois saigné et nourri par l’internationalisation des ENF.
Cette situation mériterait d’être observée de façon plus fine. Parce que moins internationalisées, les entreprises allemandes exercent une pression maximale sur les entreprises étrangères fabriquant les consommations intermédiaires, elles peuvent ainsi augmenter les marges par des prix de transfert avantageux et peu discutables. Parce que plus internationalisées, les entreprises françaises qui fabriquent des consommations intermédiaires à l’étranger peuvent pratiquer des prix de transfert élevés faisant au final apparaitre des profits plus élevés à l’étranger, un profit déjà nourri par les conditions locales de production. L’internationalisation joue donc ici plus au profit des entreprises qu’à celui du pays. En Allemagne, l’internationalisation joue au profit des entreprises comme à celui du pays. La différence avec ses effets sur l’emploi est fondamentale pour comprendre la plus grande cohésion dans ce dernier pays et les difficultés croissantes d’un vivre ensemble en France.
[1] On pourra ici lire dans le Monde du 8 juillet l’article de
Thomas Piketty : « la comédie du CICE ».
[2] http://g21.fr/
[3] Ce travail sera lui-même présenté au colloque du G21 qui se tiendra à Colombey Les deux églises les 6 et 7 octobre prochain.
[4] Signalons que, logiquement, la productivité des consommations intermédiaires s’accroit. Cette dernière n’est que le reflet de la croissance de l’efficience productive au cours du temps. Ainsi cette productivité qui n’était que de 0,7 en 1950 en France n’a cessé de se développer : 0,652 en 1960 ; 0,615 en 1970 ; 0, 611 en 1980 ; 0, 582 en 2000.
[5] Il n’était que de 4% en 1960, c’est à dire à une époque où l’économie française était très auto-centrée. Il a régulièrement dépassé les 50% à partir des années 2000.
[6] Les ENF allemandes paient réellement 30 milliards d’euros, mais rapporté au poids plus faible du secteur des ENF françaises, le versement théorique n’est plus que de 19 milliards.
[7] On pourra reprendre ici notre texte : http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/09/la-politique-industrielle-d-un-france-liberee-du-carcan-de-l-euro.html.