Le « Tax Cut and Jobs Act » est donc publié depuis le 20 décembre dernier. Cette réforme ne ressemble pas à celles qui ont émaillé l’histoire fiscale américaine depuis la première politique du « Tax Cut » envisagée par le président Kennedy en 1961. En effet elle présente la particularité de s’intéresser de près à l’énorme déficit extérieur du pays.
Rappelons quelques chiffres fondamentaux pour l’année 2016: le déficit représentait pour la balance des biens et services 2,7% du PIB et pour celle des seuls biens 4% de ce même PIB. Rappelons aussi que ce déficit concerne massivement l’industrie automobile (- 185 milliards) et presqu’ aussi massivement l’industrie informatique (-171 milliards). Rappelons enfin que ce même déficit s’est construit essentiellement autour des échanges avec 3 pays : Chine, Mexique, Allemagne.
Si dans les débats parlementaires le très brutal projet de « Border Adjustment Tax » (BAT) fut abandonné, c’est l’idée d’une accise au taux de 20% qui fut finalement retenue.
La BAT fut délaissée en raison de son impact très lourd. Dans le projet initial, l’impôt payé par les entreprises avait pour assiette la masse de profit à laquelle était ajoutée, selon des modalités à définir, le solde du commerce extérieur de l’entreprise. On concevait ainsi une machine gigantesque détruisant un commerce mondial qui jusqu’ici s’était étirée par l’allongement illimité des chaines de la valeur. De quoi relocaliser très rapidement des entreprises dont le processus de délocalisation s’était étiré sur 30 ans. C’est probablement la violence du processus de démondialisation, associée à d’autres innombrables effets pervers devant être traités par des cas d’exception, qui devait engendrer son abandon.
Dans la loi qui vient d’être publiée et pour laquelle les décrets d’application sont en cours de rédaction, il est finalement retenu un droit d’accise de 20% sur l’ensemble des importations de biens mais aussi de services avec impact sur les pratiques d’inversion fiscale. Concrètement cette taxe frapperait toutes les productions issues de territoires étrangers, et ce quelle que soit la nationalité des dites entreprises. On peut imaginer que les décrets d’application introduiront de la souplesse, toutefois appliquée brutalement, et ramenée aux importations de biens et de services au titre de l’année 2016 ( 2712 milliards de dollars ) une telle taxe devrait engendrer plus de 500 milliards de dollars en année pleine. De quoi financer le nouveau déficit budgétaire engendré par la baisse de la fiscalité et les énormes augmentations des dépenses militaires (près de 100 milliards supplémentaires soit 3 fois le budget de la défense français)
Bien évidemment un tel dispositif pourra être juridiquement attaqué - et notamment mobilisé à tout le moins le système de règlement des différends de l’OMC - car il ressemble fort à un droit de douane uniforme sur les dizaines de milliers de types d’articles importés. Il sera certes difficile d’invoquer le caractère simplement fiscal de la mesure, mais que pèse l’OMC si le gouvernement américain décide de se passer d’une institution qui n’était jusqu’ici que son ombre ? L’Union européenne pourra certes dire que ce n’est pas un vrai droit d’accise comme elle l’entend dans sa propre réglementation (Directive/118/CE du Conseil du 16 décembre 2010), en évoquant le fait que la future taxe américaine sera ad-valorem, non limitée dans son champ d’application, non enkystée dans une tradition historique, etc. Ces arguments seront évidemment de peu de poids dans une improbable négociation sur les décrets d’application car l’administration américaine pourra rétorquer que les pratiques européennes sont -elles-mêmes en contradiction avec le principe de la concurrence libre et non faussée….
S’il est risqué de chiffrer comme on vient de le faire rapidement les ressources engendrées, il est en revanche possible d’en évaluer la portée générale. Il s’agit tout d’abord d’une puissante invitation à la relocalisation des entreprises américaines sur le territoire domestique. Il s’agit aussi d’une puissante invitation à ce que les entreprises étrangères installées aux USA localisent sur le territoire américain tout ou partie de leur chaine de valeur. Vouloir vendre aux USA lorsque l’on y est déjà installé c’est réfléchir à ne plus exporter composants ou produits finis vers les Etat-Unis mais produire localement…à peine de perdre le marché américain…..
Mesure probablement plus efficace qu’une dévaluation, elle n’en produit pas l’ensemble de ses effets pervers. Ainsi le cout plus élevé des importations est compensé par des recettes fiscales d’un même montant et il n’y a pas dégradation immédiate des termes de l’échange. Le cours du dollar devrait à terme logiquement s’élever en raison des mouvements de capitaux engendrés par la nouvelle loi. Il en résulte qu’à l’inverse d’une dévaluation qui diminuerait le pouvoir d’achat des USA dans le monde, le maintien d’un cours élevé sera source d’avantages. Outre le fait de se saisir de capitaux en voie de dévalorisation dans d’autres espaces ( on produit moins pour exporter puisque les USA importent moins, et donc la vieille logique : «le monde produit et les Etats-Unis consomment » s’efface) il restera possible d’entretenir les quelques 800 bases militaires américaines dans le monde. Si on y ajoute l’accélération vers l’ indépendance énergétique, les Etats-Unis mettent ainsi en place au travers du « Tax Cut and Jobs Act » un retardant efficace dans le déclin de la puissance.