Nous publions sur le blog le texte de mon intervention au colloque du G21 à Colombey - les -deux églises.
Entretiens de Colombey. 27 et 28 septembre 2019
Les nouvelles liquidités offertes à la finance sont-elles le chant du cygne de la BCE ?
Par Jean Claude Werrebrouck
La BCE a décidé, le 12 septembre dernier, de reprendre sa politique de quantitative easing en déversant mensuellement, et sans limitation dans le temps, 20 milliards d’euros sur les bilans des banques européennes. Le simple citoyen peut s’étonner de cette nouvelle « illimitation monétaire » - de nouveaux milliards d’euros distribués sans limite de temps après avoir déjà « imprimé » 2600 milliards entre 2012 et 2018- dans un contexte durable de grande « limitation budgétaire ». Le présent texte tente d’explique ce paradoxe.
La difficile distinction entre économie réelle et spéculation.
D’une certaine façon le marché est toujours un pari. Entrepreneurs de l’économie réelle, Assureurs, Banquiers, sont tous des spéculateurs, sur un produit ou service pour le premier, sur la probabilité d’un évènement pour le second, et sur à peu près tout pour le troisième… En effet le banquier de la moderne « banque universelle » spécule sur un produit ou service en accompagnant l’entrepreneur de l’économie réelle. Il spécule aussi sur la probabilité d’un évènement et, de plus en plus, spécule sur des fluctuations de prix d’actifs réels ou imaginaires, soit pour compte d’autrui soit sur compte propre.
De fait, la distinction la plus efficiente est celle qui sépare des anticipations sur une demande réelle de biens ou de services (économie réelle qui s’intéresse au volume des ventes possibles), de celles qui s’intéressent aux risques d’une très forte instabilité des prix. Ce dernier risque est aussi celui qui intéresse l’économie réelle, mais de manière plus accessoire : l’entrepreneur de l’économie réelle s’intéresse à la sécurité de son cadre d’action et pour cela se fait accompagner par des « vendeurs de sécurité » sur évènements probabilisables -les compagnies d’assurances- ou des évènements qui le sont moins comme les fluctuations imprévisibles des prix des consommations intermédiaires voire des produits finis. Cette distinction révèle clairement que pour l’entrepreneur de l’économie réelle le vrai sujet est la demande solvable pour le produit ou service qu’il génère, tandis que les fluctuations de prix sur ses consommations intermédiaires ne sont qu’un élément perturbateur potentiel. Symétriquement les fluctuations de prix sont le vrai sujet et peut-être même le seul pour la finance. A priori, terrain de jeu ou matière première fondamentale seraient bien délimités : pari sur la demande solvable d’un côté, pari sur fluctuations de prix de l’autre.
Pour autant le point de départ de la finance est bien le terrain de jeu de l’économie réelle. Les compagnies aériennes investissent dans des avions en risquant le pari d’une évolution positive de la demande de transport, mais sont potentiellement victimes des fluctuations du prix du kérozène, lequel constitue la dépense d’exploitation de loin la plus lourde. Ils sont prêts à s’ouvrir au marché d’un futur dans lequel ils échangent une garantie de prix alors même que l’on ignore le cours à venir du kérozène. Les acheteurs redoutent une hausse et veulent se couvrir contre cet évènement, tandis que les vendeurs anticipent une baisse et espèrent en tirer profit. Ce marché du futur fût - dans une ébauche de conceptualisation- mis en place dans la Grèce antique par Thalès de Milet qui - faisant le pari d’une récolte abondante- acheta à prix modique le service des pressoirs pour sous- louer ensuite à prix élevé le même service anormalement demandé en raison de l’abondance des olives à traiter. Cet exemple historique montre qu’effectivement la spéculation financière repose sur une réalité économique, mais que très vite elle est extériorisée par rapport à cette même réalité économique. Thalès n’était qu’un philosophe mathématicien- ni producteur d’olives ni propriétaire de pressoir- et se trouvait transplanté dans une finance qu’il avait - de fait- engendrée. Cet exemple permet aussi de comprendre que les marchés financiers qui feront suite à cette première expérience seront massivement occupés par de purs financiers et marginalement représentés par les vrais entrepreneurs économiques. Clairement le marché à terme du kérozène est peuplé d’acteurs très éloignés de la matière première, de ses producteurs comme de ses consommateurs. D’où l’idée que la finance est purement spéculative alors même que sa pointe repose sur l’économie réelle.
Une boursouflure financière difficile à gérer.
Mais s’il est vrai que la pointe est étroite, le corps est de plus en plus large et va donner l’impression d’une démesure de la finance. Car le problème devient celui de la gestion du risque de marché : l’acheteur transfère le risque d’une hausse du prix du kérozène venant pénaliser son activité, mais son contrat devient perdant si le prix futur baisse. Même chose pour le vendeur qui peut gagner si le cours baisse mais peut perdre s’il augmente. Ainsi le vendeur de kérozène - surtout s’il n’est qu’un financier- peut perdre la totalité de son investissement s’il est obligé de livrer à terme l’acheteur à un prix plus élevé. C’est la raison pour laquelle la recherche de sécurité passe par un report permanent de risques et une recherche de davantage de sécurité. Acheteurs et vendeurs chercheront à se couvrir contre les risques du marché lui-même engendré et imaginé aux fins d’une recherche de sécurité. D’où l’apparition et la généralisation de produits dérivés et des options d’achats. D’où également les opérations de titrisation, le développement de CDS (Credit Default Swaps) à position nue, spéculation sur compte propre, etc. Nous avons là la compréhension de ce fait très connu : les contrats financiers représentent des montants sans commune mesure avec les réalités physiques des échanges, une multiplication par 100 ou 1000 voire davantage étant chose courante. La « boursoufflure » de la finance est-elle-même source de confiance potentielle : plus le nombre d’acteurs est important, plus le marché est profond, plus il est liquide, et plus le transfert de risque sur le marché est facile et donc plus le marché lui-même est recherché… [1]
Les choses peuvent suivre un mouvement asymptotique si la base de la finance, donc l’économie réelle, se financiarise. Ce sera tout d’abord le cas si le monde passe progressivement d’une organisation plus ou moins planifiée avec prix plus ou moins administrés, vers une économie de marché, voire même à une société de marché. Plus le libéralisme devient le contrat social dominant et plus le moteur de la finance est alimenté par son combustible naturel qu’est la fluctuation de prix. Au plus on libère les prix, au plus ces derniers peuvent connaitre des fluctuations sur lesquelles des paris peuvent se nouer. [2]
Ce régulateur ultime qu’est l’Etat peut lui-même donner lieu à des pyramides financières. Si politiquement, il lui est interdit de fabriquer sa propre monnaie et que la dette publique qui - par construction- en résulte donne lieu à des contrats (spéculation sur les taux d’intérêt, spéculation sur les changes, etc.), plus la machinerie financière prend de l’embonpoint. Plus la globalisation avance et plus le combustible de la finance alimente une machine qui finit par dépasser l’ensemble de ses acteurs…. d’où les étranges discours contradictoires chez les « sachants » qui ne savent plus, si l’on va ou si l’on ne va pas, vers une nouvelle crise financière. Le bon sens nous invite pourtant à observer qu’une pyramide reposant sur sa pointe (économie réelle) connait vraisemblablement et malheureusement un centre de gravité à l’extérieur de son périmètre de sustentation….
C’est que le travail de transfert de risque est à la fois chose très simple et chose très complexe. Parce que les fluctuations de prix sont aussi l’effet de rumeurs, d’effets d’annonce, de publicité, voire de désinformations ou de mensonges, ils donnent lieu à des courants mimétiques sur lesquels peuvent être construites des stratégies ouvertement délictueuses. Tel fut le cas des surprimes dont l’investissement intellectuel correspondant n’avait rien à voir avec le difficile et honnête calcul économique que l’on rencontre dans l’économie réelle.
Sans même aborder ces questions de pure déontologie il est vrai que le risque de marché toujours transféré et partagé avec une multitude d’acteurs n’est jamais évacué, d’où des tentatives intellectuelles pour éclairer ce qui apparait comme un immense désordre et en déduire des stratégies rationnelles. Des modèles mathématiques seront ainsi construits pour évaluer les risques, optimiser leur couverture, calculer les coûts de gestion du risque, etc. La finesse, la qualité et la vitesse d’exécution des algorithmes deviendront un élément de concurrence entre les différents modèles et donc entre les différentes entreprises de spéculation. La fluctuation de prix, élément périphérique de l’économie réelle, devra ainsi mobiliser les meilleurs ingénieurs qu’il faudra détourner de ladite économie afin qu’ils s’investissent dans la mathématique financière pure. Les ingénieurs désormais appelés «quants » entrent ainsi dans les salles de marchés et sont invités à délaisser les classiques préoccupations industrielles. La boursoufflure de la finance sera aussi une saignée sur les compétences mondialement connues des ingénieurs français, et - il y a à peine une dizaine d’années- 33% des quants mondiaux provenaient des meilleures grandes écoles françaises. Le transfert de risque, simple périphérie du problème central de l’économie réelle en vient à manger cette dernière, sans même se rendre compte que l’incertitude qu’il s’agit de gérer n’est pas une affaire probabilisable….D’où les bavardages déplorables et continus « d’experts » dont l’écoute devient épuisante.
Un cadre juridique qui ne peut être celui d’un Etat véritablement démocratique et porteur de sécurité.
Le commerce en général est un échange de droits de propriété donnant lieu à un gain partagé entre échangistes. L’activité correspondante peut donner lieu à des externalités. Dans le cas le plus banal, la législation intervient pour limiter les effets externes de la liberté d’échanger, et débouchera sur des mesures publiques visant à internaliser les externalités potentielles. Tel est le cas du principe du « pollueur-payeur » venant certes limiter les gains à l’échange mais garantissant le non report d’externalités sur les tiers.
De ce point de vue la finance fait intervenir des échanges d’une toute autre nature et les échangistes gagnent en reportant sur d’autres acteurs les risques de marché. Et c’est précisément cette activité de report qui explique le gigantisme des marchés correspondants. Alors que dans le monde traditionnel l’internalisation des externalités est possible et souvent vérifiée, le monde de la finance fait de l’échange le moyen dont le but est l’externalisation. Si le transfert de risque n’était pas possible les marchés financiers n’existeraient tout simplement pas.
Cette différence de la nature profonde de l’échange entre monde classique et finance est du reste inscrit dans l’article 1965 du code civil français- article repris dans les mêmes termes dans nombre de codes étrangers- lequel stipule que « la loi n’accorde aucune action pour dette de jeu ou non-exécution d’un pari ». De fait le législateur de l’époque n’acceptait que les actions sur le cadre d’un échange que l’on concevait comme réel : les titres de propriétés sur les biens ou services échangés sont-ils clairs ? Y-a-t-il tromperie sur la qualité des bien échangés ? l’échange était-il libre et volontaire ? etc. Nous ignorons largement ce qui animait le législateur lors de la rédaction de cet article. On peut toutefois penser qu’il s’agissait d’un fondement construit sur nombre d’expériences historiques jugées négatives. On peut aussi penser qu’il s’agit d’un avatar de l’interdit de la chrématistique chère à Aristote : finalement on peut accepter le gain à l’échange…encore faut-il qu’il corresponde à des valeurs d’usage concrètes…
Permettre l’externalisation à échelle infinie de contrats financiers entre acteurs supposait ainsi de tordre le cou au droit classique, ce qui sera obtenu dans le cadre de la loi du 28 mars 1885 qui dans son article 1 énonçait : « tous marchés à terme sur effets publics et autres, tous marchés à livrer sur denrées et marchandises sont réputés légaux. Nul ne peut, pour se soustraire aux obligations qui résultent d’opérations à termes, se prévaloir de l’article 1965 du Code Civil, lors même que ces opérations se résoudraient par le paiement d’une simple différence ». Tous les textes modernes se rapportant aux contrats financiers, textes rassemblés dans le très volumineux Code Monétaire et Financier, devaient valider et étendre la portée de la loi de 1885. Alors que le droit classique cherche à limiter les externalités au nom du respect des droits de propriété et au final de la qualité du vivre ensemble, le droit financier ne peut assurer le fonctionnement normal de l’industrie financière que sur la base du transfert incessant de ce qui peut aussi être la « patate chaude » avec au final une logique de « bail-out » qu’il est de fait quasi -impossible de réduire : les contribuables doivent être au final les payeurs des catastrophes financières.
Ce qui peut apparaitre comme un interdit pour l’industrie financière de rejoindre le droit commun, se vérifie en permanence dans les laborieuses tentatives de régulation. Alors que le droit classique permet par le contrôle des externalités de limiter des effets de contagion, le droit financier s’en trouve – par essence- bien incapable. La vérification de cette incapacité peut se lire, au-delà de la trop classique et bien connue Union Bancaire, en prenant l’exemple de « l’ European market Infrastructure Regulation » (EMIR). Il s’agit d’un texte visant à réduire les risques de marché et de crédits généralement associés – donc les paris dangereux sur fluctuations de prix- en rendant obligatoire le mécanisme de la collatéralisation via un une contrepartie centrale. Le collatéral ou l’appel de marge est une somme déposée en chambre de compensation permettant de gager les contrats, et faire en sorte que le jeu de l’externalisation par défaut ne donne lieu à une contagion et donc une crise financière. Imaginée dès 2012, sous l’impulsion concrète du « comité de Bâle » et de « l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs »[3], la directive correspondante ne se met en place que fort difficilement et son efficacité est incertaine.
Mise en place difficile car la collatéralisation et les chambres de compensation sont couteuses, ce qui fait que dans un premier temps (2016), ne furent concernés que les acteurs les plus importants, ceux dont la valeur notionnelle des portefeuilles était supérieure à plus de 3000 milliards de dollars. La résistance reste forte chez les acteurs plus modestes (acteurs industriels disposant d’une salle de marché) et l’obligation des marges de sécurisation vient d’être reportée à 2021…alors que la directive est publiée depuis 2012
Mais efficacité douteuse car d’une part il s’agit d’une mesure procyclique et le collatéral consiste à dépenser de l’argent au moment où on en a le plus besoin, et d’autre part il y a report au moins partiel du risque sur les chambres de compensation qui deviennent elles-mêmes « to big to fall »…. Avec le « bail-out » correspondant c’est-à-dire la ponction du citoyen.
Nous restons ainsi dans une situation qui n’est pas véritablement celle d’un Etat sécurisant, c’est-à-dire – même sans parler de démocratie- un Etat capable de faire respecter le vivre-ensemble sur la base d’un relatif respect de la sécurité des règles du jeu[4].
La BCE : une Banque centrale piégée dans les contraintes de la monnaie unique
Il semble que les choses se compliquent encore davantage avec la dette publique dont on oublie trop souvent qu’elle sert et servira toujours davantage de collatéral sur tous les marchés. Si les taux deviennent durablement négatifs sur les meilleures dettes, c’est aussi parce que la dette publique correspondante est fortement demandée, que l’on accepte de payer pour en disposer… aux fins de disposer de la matière première devenue indispensable sur les marchés financiers. Sans dette publique quel collatéral serait-il accepté sur les marchés aux fins de continuer à spéculer sur des fluctuations de prix ? On comprend ainsi que la remontée des taux n’est guère envisageable pour les banques centrales car cela aboutirait à des difficultés insurmontables sur le marché du collatéral et l’équilibre de l’industrie financière. Mieux, la spéculation sur l’approfondissement des taux négatifs rend plus solides les contrats financiers… Avec des conséquences inverses sur la rentabilité des banques et la difficulté d’y attirer du capital aux fins de renforcer leurs bilans.
Il faut aider les banques qui ne gagnent plus d’argent avec des taux ridiculement bas et sont en outre ponctionnés par la BCE avec son taux négatif sur les dépôts excédentaires. Mais cette même BCE sait aussi que les liquidités déversées sont mal utilisées : rachats d’actions, immobilier, investissements ne générant pas de gains de productivité, entreprises zombies couplés à des banques zombies…bref des actifs qui ne sont plus sérieusement évaluables. Pour autant il faut garantir leur valeur apparente si l’on veut que les actifs bancaires assurent la solvabilité des dites banques. Avec un rendement très faible, toute baisse de la valeur des actifs pondérés signifie le grignotage du capital et une possible insolvabilité aux effets contagieux en raison de l’interconnexion généralisée des bilans. A cet égard le ratio « price-to-book » (valeur boursière de banques de la zone euro rapportée à leur valeur comptable) n’est que de 0,75 (à comparer à 1,25 pour les banques américaines[5]), ratio qui signe la fragilité extrême du système financier de l’euro zone. Ainsi ayant plongée - sans doute malgré elle- dans la zone des taux négatifs, la BCE doit nager encore plus profond : maintenir la valeur apparente de l’actif pondéré des banques. Et un actif qui ne cesse de grossir au rythme du grossissement des dettes publiques et privées…fertilisées par le QE de la banque centrale…[6] Au-delà il lui faut aussi garantir le collatéral (couteux par son taux négatif) devenu la matière première fondamentale des marchés financiers. Ce collatéral est essentiellement de la dette publique qu’il faut donc soutenir, pour les marchés financiers et pour les Trésors nationaux.
Mais, à l’inverse des banques centrales nationales classiques, la BCE se doit dans ses politiques d’achats de titres publics de respecter les contraintes de la zone euro, en particulier la non mutualisation des dettes, qui fait que les achats de titres doivent respecter la structure du capital de la banque centrale. Concrètement, le déversement de liquidités sur les banques se fera en achetant beaucoup de dette publique allemande (25% du capital de la BCE), relativement rare en raison de sa qualité, et beaucoup moins de dettes publiques des pays du sud (poids plus faible et parfois négligeable dans le capital de la BCE), abondantes car non recherchée. De ce point de vue le QE de la zone euro est beaucoup plus handicapé et handicapant que celui mobilisé par les autres banques centrales : il provoque un puissant effet de rareté[7] sur les titres déjà les plus recherchés et se trouve incapable de procéder à l’homogénéisation des taux entre les pays de la zone.
Ainsi l’effet de rareté qui plonge durablement les taux déjà négatifs de la zone relève de plusieurs origines : D’abord le relèvement des ratios de liquidité sous l’emprise de « Bâle 3, ratios mobilisant de la dette publique ; ensuite la mise en place progressive de la réglementation EMIR sur le collatéral ; enfin et surtout le handicap structurel de l’interdit de mutualisation qui oblige à des enveloppes QE très élevées pour des effets modestes sur les titres les plus fragiles.
On comprend ainsi toute la gêne du gouverneur de la BCE. Par le retour du QE annoncé le 12 septembre 2019 :
- il élargit potentiellement le champ de la finance avec ses effets pervers à savoir une aggravation des inégalités, les patrimoines importants détenus par les seuls rentiers s’accroissant encore avec l’accroissement général des dettes publiques et privées ;
- Il ne permet pas l’allocation optimale du capital, favorise massivement les dangereux rachats d’actions, maintient des activités obsolètes, et autorise des investissements de faible efficience ;
-Il affaisse dangereusement le rendement des banques[8] et des compagnies d’assurance voire des systèmes de retraites, avec le risque de taux négatifs sur les dépôts classiques et une possible fuite devant la monnaie[9] voire un attrait nouveau pour l’or;
- Arrivé dans les taux négatifs, Il ne maintient le couteux système qu’en répandant l’idée que ces mêmes taux vont encore diminuer.
Les administrateurs de la BCE font état de leurs divergences de points de vue. On comprend leur inquiétude mais aussi leur volonté de dissimuler la réalité.
[1] Ainsi la Banque des Règlements Internationaux dans son dernier rapport trimestriel souligne que le marché des changes a augmenté en volume de 30% entre 2016 et 2017. Il serait aujourd’hui de 6590 milliards de dollars/jour…. Soit au quotidien 2 fois le PIB annuel de l’Allemagne…et bien évidemment sans commune mesure avec la réalité des échanges de marchandises et de services.
[2] Cette liberté des prix atteint aujourd’hui tous les actifs et donc arraisonne les normes comptables, notamment avec la norme IFRS09 qui atteint aussi bien les bilans bancaires que les bilans des entreprises. La relation de marché n’atteignait jusqu’ici qu’indirectement l’entreprise qui conservait une enveloppe institutionnelle et un bilan comptablement peu contesté par les fluctuations de prix. Désormais l’enveloppe disparait et la logique de la « fair value » fait que la relation de marché devient une inondation généralisée…et donc toute institution est invitée à protéger son bilan- donc elle-même- contre les fluctuations de prix. En plongeant les bilans dans le marché généralisé, on crée ainsi de nouvelles opportunités de marché pour la finance. Cette dernière se gave ainsi de la marchandisation généralisée du monde et se trouve intéressée par sa désinstitutionalisation. Les conséquences, au-delà de l’économie, en sont anthropologiquement, culturellement, sociologiquement, et politiquement majeures.
[3] Organisme rassemblant les principaux régulateurs boursiers mondiaux.
[4] Le marché du « Repos » (« Repurchase Agreements ») qui est un lieu d’échanges de liquidités à court terme entre institutions financières s’effectue très largement de gré à gré, donc sans chambre de compensation. Marché gigantesque (12000 milliards de Dollars selon la BRI) il est pourtant fortement consommateur de collatéral et en particulier de dette publique. Il donne souvent lieu à des embardées peu expliquées, (par exemple celle du 17/09/2019 qui voit la FED intervenir massivement ) et constitue l’un des trous noirs de la finance.
[5] Sources : Banque de France, repris dans Les Echos du 11 septembre 2019.
[6] La dette mondiale se monterait aujourd’hui à 246000 milliards de dollars soir 320% du PIB mondial. Elle ne se montait qu’à 305% de ce même PIB en 2012. Sources : « Institut of International Finance » (IIF).
[7] L’effet de rareté et l’apparition des taux négatifs est facile à comprendre à partir d’un exemple. Soit une obligation de valeur faciale 100, à échéance de 5 ans et assortie d’un taux de 2%. Si l’effet de rareté impulsé par le QE fait monter le cours à plus de 110, il en résultera un rendement négatif : la somme rassemblée à l’issue de l’opération ( 100+ 5 fois 2= 110 est inférieurs à la somme investie ( plus de 110 à l’achat). Concrètement la dette publique allemande à 10 ans enregistre aujourd’hui un rendement de -O,5%. L’effet de rareté devrait s’accroitre encore avec le nouveau QE et des cadres de la BCE pensent que certains titres deviendraient difficiles à trouver.
[8] Affaissement sans doute partiellement modéré par une flexibilisation du taux négatif sur les excédents de réserves des banques au bilan de la BCE. Ainsi la procédure dit du « tiering » devrait réduire les couts de ces excédents (7 milliards d’euros pour les banques de la zone euro en 2018) et baisser de 2,7 milliards pour l’année 2020. Ce chiffre donne lieu à contestation.
[9] Au 15 septembre 2019, 107 des 162 banques et caisses d’épargne allemandes répercutent au moins partiellement les taux négatifs sur les dépôts des entreprises. Le ministre des finances Olaf Scholz souhaite interdire cette pratique sur les dépôts inférieurs à 100000 euros. On peut se poser la question d’un risque de fuite vers les billets…qu’il faudrait aussi interdire…Ajoutons que selon la BCE sur les 1260 milliards d’euros sous la forme de billets en circulation 600 milliards seraient stockés dans les ménages. La BCE signale aussi que la demande de billets a beaucoup augmentée passant de 820 milliards en 2009 à 1260 aujourd’hui.