Le système à points mobilise fortement les enseignants et le pouvoir admet volontiers qu’il existe un problème de rémunération dans ce corps de fonctionnaires. Il apparaitrait ainsi que la retraite actuelle ne pourra être maintenue, chez les enseignants beaucoup plus qu’ailleurs, lorsque son calcul passera sur la base de la carrière entière et non plus sur celle des 6 derniers mois. Tentons d’apprécier l’ampleur de la question au travers d’un modèle simple.
Les 3 principales catégories (instituteurs, certifiés, agrégés) voient, durant leur carrière, leur rémunération mensuelle brute évoluer comme suit : de 1658 à 2474 euros pour les premiers, de 1818 à 3139 euros pour les seconds; de 2099 à 3889 euros les troisièmes. D’où les ratios suivants indicateurs de l’évolution des rémunérations : 1,49 pour les instituteurs, 1,72 pour les certifiés, et 1,85 pour les agrégés.
Sur la base 100 en début de carrière pour les 3 catégories cela signifie une rémunération de 149 pour les instituteurs, de 172 pour les certifiés et de 185 pour les agrégés. Compte tenu d’un taux de remplacement moyen de 0,75 pour la pension, nous avons respectivement des retraites mensuelles, de 111,75, de 129, et de 138,5. Cela concerne le dispositif actuel où la base de calcul prend comme référence les 6 derniers mois d’activité.
Si maintenant le nouveau système prend comme référence la totalité de la carrière, le poids du passé et de ses rémunérations beaucoup plus faibles prend de l’importance. Ainsi dans notre modèle la rémunération moyenne et non plus terminale à comme indice : 124,5 ((100+149)/2) ; 136 (( 100+172)/2 ; 142,5 ((100+185)/2. En appliquant le même taux de remplacement (0,75) les retraites passent respectivement à : 93 ; 102 ; et 107.
Les instituteurs perdent ainsi 111,75- 93= 18,75 points; les certifiés perdent 129- 102= 27 ; et les agrégés perdent 138,5- 107= 31,5.
Plus concrètement sans changement des profils de carrière, les instituteurs perdent ainsi près de 17% de leur pension, les certifiés perdent 21% de leur pension, et les agrégés perdent près de 23% de leur pension.
Le pouvoir annonce qu’il n’en sera rien et que les retraites seront maintenues. Sans transition, cela suppose une augmentation considérable des rémunérations tout au long de la carrière, avec des choix possibles : augmenter les indices des premiers échelons dans d’importantes proportions, ou amortir le choc en se focalisant davantage sur les derniers. En moyenne, et compte tenu des proportions entre les différents statuts à l’intérieur d’un effectif global de 902000 enseignants, cela supposerait une masse salariale augmentée d’environ 20%. Il est très difficile de connaitre de façon rigoureuse la masse budgétaire consacrée à la rémunération des seuls enseignants, mais on l’estime à environ 45 milliards d’euros, cela signifie par conséquent une petite dizaine de milliards d’euros, soit O,4 points de PIB. Compte tenu d’une croissance faible, de l’absence de gains de productivité, des règles bruxelloises, etc. ce scénario semble impensable. Par contre Il serait possible sans les contraintes d’une monnaie unique qui borne de façon radicale la croissance.
Le scénario de l’augmentation des rémunérations est d’autant plus impraticable que les enseignants ne sont pas les seuls fonctionnaires à connaitre une évolution de rémunération passant de 1,5 à 1,8 au long d’une carrière. Sans entrer dans les détails les fonctionnaires de catégorie A voire B sont un peu dans la même situation : début de carrière mal rémunérée et fin de carrière plus correcte. D’où le risque d’une forte dévalorisation des pensions sans une hausse significative des rémunérations d’activité.
Face au mur d’une dépense publique étroitement bornée par les contraintes d’une monnaie unique qui ne fonctionne qu’au bénéfice exclusif de l’Allemagne, le pouvoir embrume les choses par l’idée d’une transition de longue durée, d’un point indexé, de mesures diverses sur les femmes les paysans, les commerçants etc. Concrètement l’application de la réforme dans le monde enseignant devrait générer des couts énormes sans aucune contrepartie….
Le but de la réforme globale des retraites était relativement clair : diminuer le montant global unitaire des couts du vieillissement pour faire face à la rupture démographique dans le contexte des rigidités imposées par la monnaie unique. L’examen du seul cas des enseignants révèle que le fonctionnement des marchés politiques débouche nécessairement sur un effet pervers majeur : Au-delà de la lenteur de sa mise en place, le cout de la réforme est considérablement plus élevé que le gain escompté. Le pouvoir devra imposer brutalement, mentir, contourner, diviser, opposer, etc. pour maintenir son objectif de réduction des couts unitaires du vieillissement. Rudes batailles à prévoir sur les marchés politiques.