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14 février 2021 7 14 /02 /février /2021 16:11

Les caractéristiques apparentes du pays vont toutes dans le même sens et laissent penser que l’effondrement n’est plus très loin. Souvent résumées par l’accent mis sur une situation économique déplorable qui se meurt dans l’étau d’une redistribution la plus élevée du monde, il serait opportun   de s’interroger sur les causes d’un tel phénomène. Production a priori de plus en plus muselée, corrélée à un épanouissement a priori sans limite de la redistribution, reste une étrangeté qui mérite explication.

Sans remonter très loin dans le temps le nid français s’est construit sur des institutions solides et une architecture économique très autocentrée. La recherche de rayonnement et de puissance s’inscrivait dans des politiques de grands programmes bien maitrisées par un appareil d’Etat de grande compétence. Il en résultait un bon contrôle de l’auto centrage et un rayonnement international s’appuyant aussi sur des espaces de souveraineté touchant l’ensemble de la planète. La France n’était pas qu’une grande puissance européenne et se trouvait présente sur tous les continents. Les régulations politiques correspondantes, s’enracinaient autour de conflits inscrits dans un universel indiscuté et une culture spécifique : une passion pour l’égalité ; une autre plus limitée pour la propriété ; la recherche d’une position honorable pour tous avec des valeurs telles la logique de l’honneur, la fierté d’être citoyen, la laïcité,  les droits de l’homme,  le mérite ; une méfiance au regard du marché débouchant sur la préférence de la loi sur le contrat. Une loi qui peut être rapidement changée par un Etat soucieux de respecter les valeurs fondamentales. Dans ce monde, les jeux économiques s’enracinaient dans l’idée d’une « justice résultats » et s’ils apparaissaient inacceptables au regard d’une majorité, il convenait de corriger le marché pour se diriger vers davantage d’égalité. Au-delà d’une planification indicative, Politique budgétaire et politique monétaire disposaient d’outils fondamentaux telle la complète maitrise de la finance et de la monnaie. L’économie était ainsi contenue dans un dispositif institutionnel lui-même issu d’une culture spécifique.

Plus tard la France fera le choix, très volontaire, de s’intégrer dans un dispositif institutionnel qui n’était pas le sien. Ce dispositif, essentiellement celui de l’Europe, est un mix de culture anglosaxonne et de culture germanique. Deux cultures qui, en tous points, sont fondamentalement étrangères à ce qu’on pourrait appeler la vision française du monde. Le mélange de libéralisme anglosaxon et d’ordo libéralisme germanique devait dessiner un ordre européen, lui-même immergé dans la globalisation, et produire des règles du jeu assez étrangères à l’ordre français. Dans cet ordre, la liberté passe moins par l’égalité que par la propriété, laquelle est conçue comme bouclier garantissant la dite liberté. Le marché, conçu comme échange libre de titres de propriété présente ainsi une valeur constitutionnelle et la loi ne peut facilement interférer dans les logiques de négociation. Parce que le marché est constitutionnalisé, les règles qui en découlent deviennent intangibles et ce qu’on appelle « Etat de droit » doit d’abord garantir la liberté sur le marché. Nous avons là la version plus spécifiquement allemande de l’ordre. Dans ce monde, Il n’y a pas à contester les résultats du jeu économique , il y a simplement à vérifier que les règles et procédures  qui y conduisent sont bien respectées. La monnaie elle-même ne peut être manipulée par le politique et va bientôt surplomber ce dernier.  La vision anglosaxonne du monde qui, elle aussi, est présente dans le dispositif européen, va plus loin et considère que l’espace du marché se doit de devenir la nouvelle universalité : rien ne peut échapper à sa logique et les biens communs peuvent et doivent devenir de simples marchandises. Dés lors rien n’interdit que tout devienne  marchandise : santé, éducation, sécurité, social, etc.

La conclusion est que manifestement il y a conflit de culture et la France est complètement étrangère à la vision du monde reprise dans le projet européen.

A l’origine de ce projet , la France pensait que sa réalité était aussi un projet civilisationnel et qu’à ce titre   « l’Europe des 6 » se concevait comme une  France en plus grand. Une Europe d’ailleurs assez proche, dans son périmètre, de la France des 130 départements de l’empire napoléonien. La suite de l’histoire est autre, et c’est finalement un mix de culture germanique et anglosaxonne qui devait fixer les règles d’un jeu très étrange pour la vision française du monde. L’arrangement institutionnel retenu va progressivement laisser la place à un ordre économique extraverti avec un allongement considérable des chaines de la valeur, la disparition des grands projets, la réduction du périmètre de l’Etat, sa fragmentation dans des agences indépendantes proches des marchés, sa dépolitisation en devenant instance de simple gouvernance managériale. Dès lors, le marché qui ne pourra plus être directement corrigé, se trouvera contourné afin de maintenir les anciennes valeurs : l’Etat-providence grossit alors que, dans le même temps, l’économie s’extravertit. Les acteurs les plus proches des valeurs de marché font le choix- volontaire ou obligé de la sécession et maintiennent une France prospère et puissante sur les marchés étrangers. Pour l’économie de l’intérieur les choses sont plus graves, et la rentabilité des affaires ne fait que faiblir, au moment où l’ambition de prélèvements nouveaux - aux fins de maintenir un Etat-providence puissant - se renforce. Pour les hommes de pouvoir, la stratégie - ou plus exactement la tactique - du contournement des règles nouvelles était la seule permettant le maintien de leur apparente légitimité. Prenant conscience que nul pouvoir ne dispose des moyens d’affronter une culture, c’est-à-dire la substance même de toute société, la tactique du contournement était la seule possible.

 La France vit ainsi un conflit de culture : il lui faut apprivoiser un monde étranger sans pouvoir se débarrasser de son histoire. Son arrangement institutionnel et notamment économique était serti dans sa vision du monde. Elle constate aujourd’hui que cette économie lui échappe et le pays se trouve éternellement en retard d’une adaptation.  Le nid est devenu fragile mais il est de moins en moins habité par des citoyens. Par contre, il est de plus en plus habité par des consommateurs, notamment en recherche de sécurité, habité aussi par de plus en plus de passagers clandestins, habité enfin par de plus en plus de  personnes  ayant peine à devenir entrepreneurs d’eux-mêmes dans ce monde aux exigences nouvelles. Le langage de l’adaptation obligée d’aujourd’hui n’est pas celui des choix maitrisés d’hier.

Le conflit de culture en débouchant sur des difficultés matérielles génère aussi un questionnement démocratique. Réduits à de simples administrateurs des affaires, les hommes politiques n’expriment plus de stratégie, mais une simple « sortie d’urgence »  vers le marché des biens comme celui des rapports sociaux. L’universel, disparaissant avec la fin du citoyen, laisse la place à l’émiettement, chacun devenant porteur de son universel spécifique. Face à cette grande dislocation - aussi entretenue par des réseaux sociaux qui peuvent aussi fabriquer des entrepreneurs de la colère voire de la haine - les hommes politiques en quête de ce qui reste de pouvoir, se transforment en entrepreneurs politiques aux prises avec des marchés politiques. Il n’y a plus de grands programmes mais de simples distributions de libertés ou de créances vis-à-vis de tout ce qui est devenu l’espace du « politiquement correct ». La prise de pouvoir ou sa reconduction se fait ainsi en obéissant à ces micro-marchés que sont les groupes les plus divers: racialistes, féministes, LGBT, ethnicistes fondamentalistes, etc. Dépourvus de sens, ces marchés politiques se contentent de tenter de répondre à de simples besoins exprimés par des électeurs bruyants.

 

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commentaires

H
"La vision anglo-saxonne du monde qui, elle aussi, est présente dans le dispositif européen... considère que l’espace du marché se doit de devenir la nouvelle universalité."<br /> <br /> C'est bien là le point de retournement crucial, contraire à toute l'histoire de la civilisation: <br /> Les hommes étaient sortis de l'état sauvage primitif en renonçant au "chacun pour soi", conscients que ce dernier les empêchait d'atteindre un optimum plus désirable, celui où l'on abandonne la libre disposition de soi qu'a l'animal dans sa jungle pour les avantages supérieurs qu'a l'organisation consentie et assurée par le collectif ("contrat social" de Rousseau"), <br /> Une illustration avant l'heure de "la liberté qui opprime" et "la loi qui protège"...<br /> <br /> "Prenant conscience que nul pouvoir ne dispose des moyens d’affronter une (telle) culture, c’est-à-dire la substance même de toute société, la tactique du contournement était la seule possible."<br /> "<br /> C'est ce que firent les "libéraux" et en se parant des atours d'une fausse technicité, par l'"économie" au plan politique et par l'"économie mathématique" au plan universitaire:<br /> Puisque physiciens et chimistes ont étudié la matière en partant des lois auxquelles obéissent ses constituants élémentaires, pourquoi ne pas concevoir la société humaine comme l'entomologiste conçoit celle des insectes, en partant d'une seule loi évidente, l'intérêt individuel et immédiat de chacun ? <br /> <br /> On a ainsi abouti à la politique de l'équilibre par le marché et à l'économie de cet équilibre (Walras) par la théorie des jeux la plus simpliste (Nash), celle nous ramenant à l"état sauvage du chacun pour soi... sans dynamique, sans mémoire ni futur.<br /> Mais les fourmis et les abeilles font beaucoup mieux !<br /> Pour y remédier, on célébra un moins simpliste "optimum de Pareto" pouvant améliorer la solution pour chacun sans défavoriser personne, horizon indépassable des économistes de "la régulation", mais toujours sans dynamique, mémoire ou futur, a fortiori imagination ou progrès...<br /> L'ennui, c'est que l'optimum de Pareto est instable et n'est donc pas viable en économie libérale: tous les individus doivent l'adopter en même temps, mais un seul y dérogeant obtient alors mieux qu'en y obéissant. De proche en proche, personne n'y obéit (effondrement), sauf si une autorité l'impose ou instaure des "incitations" de façon arbitraire ! <br /> C'est non seulement le talon d'Achille du libéralisme, mais la justification d'autres systèmes, ce que les hommes savaient déjà pour l'avoir découvert au cours de l'histoire depuis le néolithique, en y adjoignant leur mémoire du passé (civilisation) et leur imagination du futur (progrès).<br /> <br /> C'est pourquoi l'économie actuelle, a fortiori sa théorie néo-classique, ne sont d'aucun secours pour concevoir un futur désirable et le proposer aux hommes.
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H
D'accord avec tout ce qui est écrit par haiku dans sa réponse, ce qui implique de compléter la mienne pour souligner les conséquences de "L'ennui, c'est que "l'optimum" de Pareto est instable...sauf si une autorité l'impose ou instaure des incitations [ou des règlementations] de façon arbitraire".<br /> En fait ces mesures d'incitation ou règlementation ont pour but de rétablir la stabilité (que posséde un équilibre spontané de type Nash), tout en satisfaisant une "optimalité" ou plutôt efficience au sens de Pareto.<br /> Ce faisant, on a changé structurellement le système par les dites mesures... Il ne s'agit plus du système libéral originel (chacun pour soi) mais d'un nouveau système dont le nouvel équilibre spontané a changé en conséquence, le but étant qu'il soit aussi un "optimum de Pareto". <br /> En fait la "régulation" n'est pas de passer d'un équilibre de Nash à un optimum de Pareto, mais de modifier le système pour que le premier ait en plus la propriété du second.<br /> Ces modifications, la manière de les imaginer, et le nouveau point d"équilibre obtenu ne sont évidemment pas uniques, en général, ce qui nous a fait employer ci-dessus l'expression "de façon arbitraire".<br /> C'est là que se trouvent le sens de ma conclusion en commentaire précédent, ainsi que l'esprit du billet, me semble-t-il.<br /> C"est en effet toute la civilisation, avec des hauts et des bas dans sa quête, qui n'a cessé de modifier les systèmes politiques dans le but plus ou moins conscient sus-dit, mais au niveau plus général de tous les aspects de la société. Se caler sur l'économie à un moment où son libéralisme prédateur s'empare des technologies nouvelles, sans aucune régulation, c'est revenir en arrière et non progresser.
H
"Production a priori de plus en plus muselée, corrélée à un épanouissement a priori sans limite de la redistribution, reste une étrangeté qui mérite explication."<br /> <br /> Etrange phrase en vérité pour décrire un monde économique qui n'a jamais été aussi inégalitaire depuis le début du 20é siècle, où la richesse s'accumule dans les paradis fiscaux et où la valeur boursière des entreprises n'a jamais été aussi élevée...De quelle redistribution parte-t-on et de quelles limites à la production ?<br /> <br /> Etrange affirmation aussi que "Prenant conscience que nul pouvoir ne dispose des moyens d’affronter une culture, c’est-à-dire la substance même de toute société, la tactique du contournement était la seule possible". <br /> C'est au contraire le pouvoir qui ( au début) avec Reagan et Thatcher a permis que l'"ultralibéralisme" ( je justifierai ce terme plus loin) puisse éclore et envahir la planète entiere balayant les cultures des pays occidentaux (et autres..) à cette époque...Faut-il rappeler les terribles grèves en GB sous Thatcher et les interventions de la CIA en Amérique latine ( et ailleurs) ? Faut-il rappeler les roles du FMI et de la banque mondiale pour mettre à genoux économiquement les pays qui refusaient d'adopter cette politique ( et bien souvent aussi ceux qui l'acceptaient faute de mieux) pour comprendre que cette "culture" a été imposée par la force , par le pouvoir et par la propagande aux sociétés du monde entier ? Ce pouvoir et cette idéologie ont, au contraire, détruit de nombreuses cultures.<br /> <br /> Enfin un mot sur "l'ultralibéralisme".<br /> En théorie économique, il est nécessaire de distinguer le libéralisme du néolibéralisme et aussi de l'ultralibéralisme.<br /> Je m'explique: le libéralisme est au départ une théorie philosophique destinée à limiter les pouvoir d'un "état centralisé" dans le domaine des libertés publiques et du comprtement écomnomique; en matière économique , c'est le "laisser faire"; mais même Adam Smith concédait que dans certains domaines les marchés devaient être régulés par l'état.<br /> La théorie économique mathématique s'est alors posé la question suivante: sous quelles hypothèses l'affirmation classique selon laquelle si chacun suit son intérêt personnel cela sera bénéfique à l'ensemble de la société dans un sens "utilitariste" ( optimum de Pareto. Et la théorie économique mathématique a montré qu'il fallait de nombreuses hypothèses pour pouvoir justifier cette conclusion, hypothèses souvent très irréalistes sur lesquelle je ne reviendrai pas ici.( en particulier concurrence pure et parfaite) .La théorie économique mathématique a alors montré que si l'on supprimait ces hypothèses irréalistes, il fallait que l'état intervienne sur le nombreux marchés ( marchés avec pollution et avec biens collectifs, ou encore lorsqu'il y a information asymétrique des agents économiques sur la "qualité" des biens ). En conséquences cette théorie a fourni un grand nombre de modalités d'intervention ( de régulation) des pouvoirs publics sur les marchés pour restaurer l'optimalité sociale de l'activité économique: c'est le "néolibéralisme" qui préconise donc l'intervention régulatrice de l'état.Cette théorie était auusi compltée par des théories redistributives concernant la justice sociale car comme le souligne Hadrien, l'optimun de Pareto n'a rien à voir avec la justice sociale, même s'il peut être calculé dans des contextes dynamiques tout comme l'équilibre walrasien des marchés.<br /> Puis paradoxalement et dépit de la théorie mathématique économique dominante dès les années 1980 est apparue une idéologie qui affirmait en dépit de toutes les preuves théoriques contraires que "l'état n'est pas la solution, l'état est le problème"( Reagan) : c'est "l'ultralibéralisme" qui est une pure idéologie, une religion de l'économie. Bien entendu, ces ultralibéraux sont quand même pragmatiques: ils ont laissé couler Lehman Brothers au nom de l'ultralibéralisme et de la non intervention sur les marchés, mais quand ça commençait a sentir trés mauvais et que la crise économique s'emplifiait, ils sont alors intervenus ( à contre- coeur )sur les marchés en finançant en catastrophe les banques pour éviter le pire (2008).<br /> Donc pour les ultralibéraux, l'état n'est pas là pour prévenir les crises mais pour essayer ( pour les plus modérés) d'arrêter l'hémoragie...s'il n'est pas déjà trop tard. Cette religion économique a couté des milliers de milliards de dollars à l'économie mondiale en 2008, mais elle continue à faire son bonhomme de chemin car elle favorise les plus riches en se contentant en matière de redistribution de s'en remettre à la fameuse "théorie" du ruissellement qui n'a jamais fonctionné et qui était déjà moquée par Diderot !!<br /> La solution n'est donc pas dérégulation des marchés et la mondialisation associée ou la trop importante (!?) redistribution, c'est au contraire le problème !

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