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2 avril 2021 5 02 /04 /avril /2021 08:46

Nous partons du texte ci dessus tiré d'une vidéo d'Olivier Passet (XERFY): "Rembourser ou non la dette: le choix entre la peste et le cholera". Nous le commentons rapidement après sa lecture.

La dette Covid fait l’objet de débats passionnés. Entre ceux qui voudraient la rembourser au prix du sang et de la sueur en réduisant les dépenses de l’État, ceux qui la considèrent indolore tant que les taux sont à zéro et ceux qui considèrent qu’il faut lui administrer un traitement d’exception : soit la rendre perpétuelle pour ne pas exposer les États à une obligation de remboursement, soit carrément l’annuler. Le débat se perd vite dans les considérations techniques et légales.


Aucun État ne rembourse vraiment sa dette


Du côté des antis, annuler la dette Covid détenue par la banque centrale :

1. revient à faire financer le déficit par de la monnaie, ce qui est contraire aux traités ;
2. ne sert à rien puisque les États sont tenus de combler les pertes en capital de la banque centrale dans un jeu à somme nulle ;
3. atteint la crédibilité du système, créant une défiance sur la dette publique plus préjudiciable que le gain de l’annulation partielle.


Du côté des pro-annulations :
1. par son caractère exceptionnel et circonscrit, l’annulation ne remet pas en cause les principes généraux des traités ;
2. que la banque centrale détienne à son actif des titres publics (qui ne lui rapportent rien aujourd’hui et à haut risque de défaut en cas de remontée des taux) ou des fonds propres devenus négatifs après annulation à son passif (qui ne lui coutent rien aussi) ne change pas grand-chose à son fonctionnement ;
3. il existe des pistes de faisabilité dans le non-dit des traités ;
4. et le remboursement compromet le financement écologique, risque plus lourd que celui du non-remboursement.


Le problème de ce débat est qu’il passe à côté de l’essentiel… Et reconnaissons que la charge de la preuve doit être du côté des partisans de l’annulation. Promouvoir une telle transgression doit démontrer que le statu quo sur la dette est plus préjudiciable à la crédibilité de l’édifice monétaire que l’annulation partielle, surtout si l’on veut dégager demain un compromis entre les 19 pays de la zone euro.
Je suis pour ma part toujours surpris d’entendre les économistes les plus sages considérer que la situation actuelle n’est pas problématique. Certes, les taux seront sans doute durablement inférieurs au taux de croissance, notamment si le monde demeure en stagnation et en déflation larvée, élimant le risque d’un emballement boule de neige de la dette liée à une hausse cumulative des charges d’intérêt. Certes, aucun État ne rembourse de fait aujourd’hui sa dette, puisque chaque tranche arrivant à échéance est automatiquement réempruntée sur le marché.


La France émet 3 à 4 fois plus de dettes qu’au début des années 2000


Mais prenons le cas de la France pour montrer en quoi cette situation est profondément délirante et fragile.
Avant crise, la France levait 200 milliards d’euros de dettes par an sur le marché. Plus en fait, car ce chiffre ne tient pas compte des levées de fond destinées au rachat anticipé de titres de dette. Disons pour simplifier qu’elle émettait le double de ce qu’elle émettait dans les années 2000. Si je fais la moyenne des années 2010 : 62% sont allés au remboursement des tranches passées ou leur restructuration par rachat anticipé ; et 38 % sont allés au financement du déficit public.


Avec la Covid, nous avons franchi un nouveau saut. L’État lèvera environ 290 milliards en 2020 et en 2021. On peut se dire que la situation est transitoire, du fait de l’explosion exceptionnelle du déficit public. Mais non, car dans les années suivantes, c’est environ 220 milliards par an que l’État devra rembourser ou racheter (soit le niveau des tranches émises dans les années 2010 qui arrivent à échéance). À quoi il faut ajouter le financement du déficit. Nous sommes donc durablement installés sur un plateau d’émission de l’ordre de 280 à 300 milliards et qui s’approchera de 400 milliards dans 8 ans quand les émissions de crise arriveront à échéance. Nous émettons donc 3 à 4 fois plus que dans les années 2000 et pour longtemps. Et cette absorption à taux zéro n’est rendue possible depuis 2010 que parce que la banque centrale acquiert massivement cette dette, maintenant artificiellement la situation de taux gratuits. Sans cela, le système aurait explosé.


Le travail de la BCE est d’éviter l’effondrement du système


Bref, nous entrons dans une ère de QE massif et continu sans perspective de normalisation. Toute la politique monétaire et l’esprit des traités sont ainsi déjà dévoyés. La fonction première de la BCE n’est plus d’assurer la stabilité, mais de produire un artifice qui évite l’effondrement du système. Le statu quo sur la dette valide en fait cette fuite en avant où la banque centrale n’a plus aucune marge de régulation monétaire. Toute remontée des taux ferait exploser le système et le bilan même de la banque centrale surexposée sur le risque souverain, avec des pertes très supérieures à l’annulation de la dette Covid. En attendant, la mission ultime et délirante de la Banque Centrale est une fuite en avant dans la liquidité et les taux zéro, qui évite la ruine des détenteurs d’action ou d’immobilier et lamine l’épargne des petits détenteurs rémunérés par intérêt.


Et au fond, ce débat sur la dette est celui entre la peste d’une finance sans arrimage réel, en bulle permanente et produisant des distorsions de richesse perpétuelle, et le choléra d’une annulation qui fragilise la crédibilité du système, mais peut permettre demain à la Banque centrale de reprendre la main sur la canalisation de la finance.

Commentaires rapides

Nous avons à plusieurs reprises signalé sur le blog que la BCE se transformait petit à petit en une sorte de proto-Etat. Ainsi dans la zone euro, chaque Etat a perdu la souveraineté monétaire. Naguère la monnaie centrale était émise par la banque centrale d'un Etat souverain et , au delà des discours comiques sur l'indépendance de la dite banque, il fallait bien que cette dernière obéisse au parlement national qui, souverainement, décidait d'un écart négatif entre dépenses publiques et recettes publiques. Ce n'est plus vrai en zone euro et lorsqu'un  Etat entre en déficit, il ne bénéficie plus des ressources potentiellement illimitées en monnaie nationale, mais d'une monnaie centrale qui n'est plus la sienne mais celle de la BCE. C'est donc bien la BCE qui veille à ce que l'Etat déficitaire reste solvable et historiquement l'a fait savoir durement à la Grèce. La BCE devient  souveraine et les Etats deviennent dépendants.

Observons que la FED reste elle très dépendante de l'Etat fédéral américain. Les plans Biden vont entrainer des déficits jamais rencontrés dans l'Histoire. Soyons rassurés, le compte de l'Etat fédéral à la banque centrale américaine ne sera pas bloqué comme le fut celui du Trésor grec. L'Etat fédéral dispose d'une monnaie souveraine et le blocage de son compte est impensable. L'idée d'une  dette américaine insoutenable relève elle-même davantage de la communication que de la réalité. Concrètement les dollars émis sur injonction de dépense publique vont augmenter les réserves à la FED de toutes les banques qui vont répartir les dépenses sur les comptes de tous les bénéficiaires de la dépense publique. Ces comptes abondés peuvent eux-mêmes être à l'origine de multiples dépenses dont l'achat de bons du Trésor censés représenter une dette. Mais la dette n'est pas une charge pour l'Etat fédéral et reste une simple opportunité pour les acteurs qui ayant consommé et investi se proposent de bénéficier d'une rémunération en transformant la liquidité nouvelle en bons du Trésor. De fait, la masse monétaire augmente avec la croissance économique réelle à venir. Et même les Chinois qui vont largement bénéficier des dépenses américaines ne craignent rien: leurs comptes en dollars vont augmenter et leurs choix de laisser grossir ces comptes ou de bénéficier d'un taux d'intérêt en les transformant en bons du Trésor américain restera libre. 

Il n'y a qu'en Europe que les problèmes de dette publique sont redoutables. Avec la pandémie le proto-Etat BCE se fait bienveillant et accepte la disparition des règles sur le déficit et la dette des Etats. Le problème est que les taux sur la dette publique des différents Etats évoluent de façon fort divergente, ce qui signifie un doute sur la valeur  de cette monnaie centrale laquelle serait  différente selon les pays. Un euro allemand vaut-il un euro grec? Le proto-Etat BCE est ainsi amené à se faire très actif sur le marché de la dette, en particulier celle des pays les plus exposés au risque de taux. Et cela pose de grandes questions sur l'équité entre les pays, questions déjà évoquées sur le blog. D'où l'angoisse d'une Allemagne qui sent depuis longtemps que le proto-Etat en formation n'est plus un tigre de papier: ce proto-Etat va t-il s'extirper de la main allemande?

Cela permet aussi de comprendre l'énorme croissance du bilan du proto-Etat BCE : plus de 50% sur l'année 2020, ce qui correspond aujourd'hui à quelque 72% du PIB de la zone. Là aussi du jamais vu. 

Nous reviendrons ultérieurement sur ces questions qui, de fait, vont réanimer un débat interdit, celui de la pérennité de l'euro.

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