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8 novembre 2021 1 08 /11 /novembre /2021 09:34

Résumé : Le monopole public EDF fut longtemps moteur et catalyseur d’une économie de marché performante. La construction d’une politique tarifaire intelligente fut le principe actif de cette performance pendant des décennies. Le passage à un système de prix violant les règles élémentaires de ce qu’on appelle un marché, a détruit une architecture institutionnelle et technologique dont la France pouvait être fière. Les débats concernant la  prochaine élection présidentielle devraient être l’occasion d’un retour au bon sens et une invitation à  la fin de turpitudes par ailleurs trop méconnues

Sans reprendre ici les travaux complexes des économistes qui ont longuement réfléchi sur les prix de l’électricité qu’il fallait pratiquer à la naissance d’EDF en 1946, on peut résumer en quelques points les grandes lignes doctrinales qui vont organiser l’entreprise jusqu’au début des années 2000.

1 - L’électricité est un bien commun accessible à tous. A ce titre, il n’est pas une marchandise et se trouve hors commerce.

2 - L’électricité doit obéir à un principe de « MiniMax » garantissant, au- delà de l’accessibilité à tous, un intérêt général. Il s’agit pour un assemblage de facteurs de production donné d’assurer un maximum de satisfaction pour les utilisateurs. La préoccupation fondamentale d’EDF est donc celle du rendement maximal de son activité.

3 - La traduction concrète de ce principe fait que les prix doivent indiquer aux utilisateurs, de façon aussi précise que possible, la rareté de la ressource. Dit autrement l’utilisateur doit savoir par le montant payé, ce qu’est le coût exact de la ressource. Cette stratégie n’est possible que pour des monopoles publics, et ne convient pas à des monopoles privés lesquels peuvent par segmentation du marché parvenir à une maximisation de la rente de monopole et entrainer une limitation des quantités offertes. Ce qu’on appelle dans les manuels d’économie le malthusianisme du monopoleur privé.

4 - Consommateurs et utilisateurs en général sont des agents libres effectuant des choix libres sur les marchés. L’objectif de rendement maximal passe par cette liberté de choix. Si le prix est inférieur à la dépense pour produire le KWh acheté, nous ne sommes pas dans la logique du rendement maximal et l’utilisateur ne dispose pas d’une information objective lui permettant d’effectuer lui-même des choix rationnels. A l’inverse si le prix est supérieur à la dépense pour produire le KWh acheté, l’utilisateur n’est pas non plus correctement informé et se prive de choix qu’il aurait pu envisager à prix moindre. Le lecteur avisé sait que ce type de réflexion mènera à la tarification au coût marginal, c’est-à-dire le cout de production du KWh supplémentaire.

5 - Dans la pratique fort complexe de la gestion du parc de production du monopole, la tarification au coût marginal doit se comprendre de façon large. Elle ne peut se ramener à un prix nul en raison du fait que sur une même unité de production un KWh supplémentaire ne coûte que les charges variables supplémentaires soit une quantité infiniment faible de matière première. Le tarif retenu du KWh deviendra alors le coût de la réadaptation, sur le long terme, du parc productif à la production au moindre coût du KWh supplémentaire. La réadaptation est ainsi optimisée, ce qui veut dire que le monopole est aussi rationnellement guidé dans sa politique d’investissement par la tarification au coût marginal. Bien évidemment ce principe de tarification ne peut être rigoureusement tenu en raison de la complexité du réel, la réadaptation continue du parc, la non stockabilité de l’électricité, la gestion des pointes de consommation, etc.

6 - La logique du rendement maximal de la production d’électricité – production en amont de toutes les activités, toutes les combinaisons productives mais aussi la consommation des ménages et la production d’autres biens communs (éclairage public par exemple) - est aussi celle qui permet les bons choix dans le cadre de toutes ces activités.

7 - La logique du bien commun et de l’intérêt général ne sont pas des principes de redistribution et EDF ne devait que se soucier de ces quelques règles. En ce sens, le monopole public recevant sa mission d’organiser un « Minimax » aux conséquences à la fois micro et macroéconomiques n’a pas à se préoccuper de politiques industrielles ou sociales. Ces dernières politiques devraient donc être assurées par l’Etat lui -même en laissant au monopole le travail quotidien de la tarification aux fins du respect du principe du rendement maximal. On sait bien évidemment que ce principe fut historiquement quelque peu contrarié.

La libéralisation du marché de l’électricité - exigé par Bruxelles- devait faire disparaitre ces principes organisationnels qui avaient fait d’EDF l’entreprise la plus efficiente du monde dans son secteur.

La fin du monopole et l’irruption de la concurrence devait fondamentalement changer la politique de tarification.

Le principe du bien commun, notamment dans sa dimension hors commerce est maintenu. Le consommateur peut rester client de l’ex-monopoleur lequel appliquera en principe une tarification hors marché, ce qu’on appelle encore le tarif réglementé.

Par contre, la réorganisation institutionnelle va développer des changements majeurs avec au final irruption de prix qui vont davantage se rapprocher de préoccupations mercantiles éloignées d’un intérêt général.

La réorganisation institutionnelle porte sur la fin du monopole public, son démantèlement avec séparation entre les divers stades de la vieille intégration verticale : production, transport, distribution, mais aussi l’irruption des marchands d’électricité (une quarantaine aujourd’hui). Il convient bien sûr de détailler cette transformation.

Tout d’abord, la commission bruxelloise reconnait que l’électricité n’est pas une marchandise comme les autres, qu’elle est probablement un bien commun voire un bien de souveraineté économique. Il convient donc de marier des acteurs dont certains seront soumis à des contraintes publiques et d’autres soumis à de simples engagements contractuels. La logique d’un « Minimax » se trouve ainsi quelque peu ébranlée. EDF peut  se charger d’un intérêt public avec maintien de politiques tarifaires spécifiques, mais il doit laisser une place majeure à de prétendues entreprises d’électricité qui, bien évidemment, incapables de concurrencer les coûts du nucléaire vont devenir agents parasites à l’intérieur du dispositif appelé ARENH (Accès Réglementé à L’Energie Nucléaire Historique).  Ce dispositif lui-même très règlementé donne accès à 25% de la production nucléaire à des prix inférieurs aux coûts unitaires. EDF ne peut donc obéir à ses   règles lui permettant de construire -au-delà de celles constitutives du bien commun- l’intérêt général. En particulier l‘actuel prix de l’ARENH -42 euro/MWh-est très inférieur au cout marginal en développement du nucléaire (EPR). Les marchands d’électricité de plus en plus nombreux engendrent parfois des situations ubuesques. Ainsi celle du groupe Total qui rebaptisé en « Total Energie » se transforme en marchand d’électricité pour connaitre un accès à l’ARENH. Face à un tel désordre de prétendu marché, on peut se demander avec humour  si en contrepartie EDF dispose de droits d’accès aux énergies fossiles produites par le groupe Total. Des situations finalement peu éloignées de celles que l’on connaissait en URSS à la veille de son effondrement.

 La multiplicité des acteurs aux intérêts divergents et le mélange privé/public complexifie les choses à l’extrême et l’on comprend que si EDF sans bureaucratie excessive dans sa gestion rationnelle devait simplement être surveillée par la puissance publique, il faudra maintenant passer au stade de la régulation bureaucratique d’un ensemble beaucoup plus vaste. Ce sera la mission d’une autorité administrative indépendante- véritable fragment de «  Gosplan »- la Commission de Régulation de l’Energie, (CRE) peuplée de 250 fonctionnaires travaillant quotidiennement avec des centaines d’autres fonctionnaires notamment bruxellois, et des acteurs de marché improductifs donc largement inutiles au monde.

L’interconnexion entre les réseaux nationaux devrait logiquement permettre, grâce à des bourses d’échanges d’électricité, la formation d’un prix de gros européen. En particulier les prix qui devraient s’y former sont assez naturellement ceux du coût marginal. La raison en est simple : les acteurs qui se présentent sur les bourses sont peu efficients et n’échangent que des quantités d’électricité produites à partir d’unités coûteuses (énergies fossiles). Logiquement il n’y a pas d’électricité nucléaire échangeable sur les bourses de gros, les possesseurs voulant la conserver pour la revente sur le marché du détail, et les candidats acheteurs sont surtout attirés par les seuls contrats ARENH. Le marché de gros est donc bien ancré sur les coûts marginaux eux-mêmes constitués pour l’essentiel par les prix de marché des énergies fossiles…qu’il faut décarboner…. en utilisant aussi  les bourses d’échange de carbone…. la spéculation sur la transition écologique faisant grimper les cours des uns et des autres.

Pour les consommateurs français, la belle histoire de la tarification au coût marginal perd tout le sens qu’elle avait au temps du monopole public. Le prix égal au coût marginal révélait bien la rareté de la ressource électricité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui où il ne fait que révéler une rareté qui se trouve ….dans les autres pays européens, et rareté aggravée par le capitalisme spéculatif constructeur de rentes. Sans décision majeure concernant un marché de l’électricité complètement inventé et allant contre les intérêts supérieurs de la France, les usagers seront contraints par des prix anormalement élevés, eux-mêmes  animés de mouvements erratiques au gré de la spéculation sur les bourses. De quoi déstabiliser une économie qui a tant besoin d’un approvisionnement stable autorisant des investissements éclairés.

Il n’y a pas encore de véritables prix de marché européen car les contraintes techniques sont encore loin d’être levées : non homogénéité du marché en raison d’une interconnexion imparfaite, et imperfection augmentée des surcharges en cascades, des écroulements de tension ou de fréquences, etc.  Le capitalisme spéculatif est donc encore entravé par des frontières que la commission de Bruxelles continue à vouloir faire disparaitre.

Pour la France qui est victime d’une institution qui vilipende son avance technologique, il existe une solution rapide : celle de ne plus respecter les règles d’une concurrence artificiellement construite. En clair, mettre fin à L’ARENH et donc probablement provoquer la disparition des prétendues entreprises marchandes d’électricité. Une telle décision permettrait déjà à EDF de récupérer, du jour au lendemain, 25% de sa puissance  et de  diriger immédiatement un morceau de sa contrepartie financière vers des installations gérant les pointes. Un autre morceau pourrait être consacré à la reprise de contrats des marchands d’électricité déchus, reprise assortie d’une substantielle baisse de prix représentant les coûts inutiles et la marge des dites entreprises. Un troisième morceau pourrait servir d’appui à une baisse des tarifs classiques. 

Dans un second temps, il faudra bien encore accepter de payer des  pointes devenues plus rares avec des coûts marginaux très élevés mais qui ici ne seront plus représentatifs de la réalité massive de l’entreprise.   Le monopole public reconstitué pourra proposer des tarifs sur des coûts reflétant davantage la réalité d’un nucléaire compétitif dont l’économie nationale a tant besoin. La réforme proposée ne coûte rien, ne suppose aucune transformation des infrastructures de production, de transport et de distribution, et peut par conséquent être très rapidement menée. Peut aussi être très rapidement menée la disparition des structures bureaucratiques qui tant à Bruxelles qu’en France et  dans l’entreprise EDF elle-même  ne sont que les échafaudages permettant de faire tenir debout un marché artificiel. La contrepartie de cet échafaudage pouvant apparaitre comme élément de réduction du cout de fonctionnement des administrations publiques. La réforme n’est donc qu’un simple retour à la raison et l’éloignement d’une idéologie mortifère.

 Il n’y a aucune raison de voir le prix de l’électricité flamber en France. Beau sujet pour les candidats à la prochaine élection présidentielle.

 

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