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14 septembre 2022 3 14 /09 /septembre /2022 16:55

Les ministres de l’économie des pays de  l’Union européenne sont en recherche de solutions pour assurer une maîtrise des prix de l’électricité tout en maintenant plus ou moins l’idée de marché. En cela, ils souhaitent respecter l’édifice juridique et institutionnel qui, tout au long de la construction européenne, s’inspirait de l’idée que l’électricité est une marchandise comme les autres et se doit  d'être mise à la disposition du consommateur européen par des mécanismes de marchés.

1 - Ce qu’implique un marché européen de l’électricité.

Plusieurs caractéristiques se doivent d’être mentionnées.

Une interconnexion permettant l’émergence d’un fort complexe prix unique.

Concrètement, les divers pays connaissant des situations très variables se devaient de procéder à des investissements d’interconnexion entre les réseaux nationaux. L’électricité n’étant plus une affaire de marché intérieur ou de service public, le consommateur européen devait pouvoir se ravitailler auprès du producteur de son choix quelle que soit son origine ou sa nationalité. Cela signifiait la construction progressive d’un prix unique sur lequel aucun pays n’a prise. Construction difficile car les réalités nationales sont très différentes. D’où, à titre d’exemple, gérer l’ultra compétitif EDF - ex monopoleur qu’il faut abattre pour créer le marché concurrentiel-  et  inventer l’étonnant prix règlementé d’accès au nucléaire dit historique (ARENH). On sait qu’historiquement cette initiative durement négociée, devait aboutir à l’artificialisation d’un marché de l’électricité avec des entreprises qui n’ont rien à voir avec l’industrie correspondante et, pour l’essentiel, ne sont que des entités factices se déployant dans un capitalisme de connivence accroché à une bureaucratie règlementaire nationale et européenne.

Un prix qui est un coût marginal.

Parce que l’électricité est toutefois élaborée dans des conditions techniques forts variables à l’intérieur de chaque pays et entre  pays - conditions qui relèvent de l’histoire ( par exemple choix de l’hydroélectricité puis du nucléaire en France) et de dotations naturelles ( sous- sol plus ou moins riche, montagnes etc.)- mais  surtout parce que l’électricité n’est pas stockable, le prix reflète en permanence la situation de plus ou moins grande tension entre l’offre et la demande. Logiquement, lorsque la demande est faible les différents systèmes nationaux produisent à partir des équipements les moins coûteux. Si la demande augmente, les producteurs procèdent à la mise en  activité d’unités jusqu’alors en sommeil. Logiquement cette mise en activité s’opère lorsque le prix de l’électricité dépasse les coûts variables. Si le prix baisse, les unités en question seront remises en sommeil. Il en va théoriquement ainsi dans toute l’Europe désormais interconnectée. On comprend ainsi que le prix de marché de l’électricité reflète les coûts des unités les moins efficaces.

Un coût marginal qui dépend d’autres prix.

Dans un pays quelconque, soulignons que les différentes unités de production sont technologiquement très variables : utilisation de l’eau, du vent, du soleil, du charbon, du pétrole, du gaz, de l’énergie nucléaire, etc. Les différences de coût de production sont importantes et assurent des rentes différentielles aux technologies les plus efficaces. Des rentes d’autant plus importantes que la demande exige des mises en activités d’unités peu efficaces. Mais cette efficacité dépend aussi très naturellement du prix des matières premières utilisées. Par exemple si le prix du gaz est, sur le marché correspondant,  très faible (début des années 2000), les centrales au gaz seront très compétitives et vont se ranger aux premiers rangs dans la classification des différentes unités de production de l’électricité. A ce titre, elles bénéficieront d’une rente différentielle. Si, à l’inverse, le prix du gaz est considérable (cas aujourd’hui), les centrales au gaz seront moins bien classées et d’autres technologies bénéficieront de la rente différentielle. Et une rente d’autant plus importante que le prix du gaz s’envole. Ce que médiatiquement on appellera des « surprofits ».

Des prix instables qu’il faut sécuriser par la finance.

Sans interconnexion, on pourrait imaginer un Etat interventionniste qui viendrait réguler le marché. C’est d’ailleurs encore plus ou moins le cas avec les unités de production que, politiquement, on veut protéger (éoliennes, panneaux solaires). C’est encore le cas pour tout ce qui est tarifs réglementés encore autorisés par les autorités européennes. Mais, pour l’essentiel, les Etats ne peuvent intervenir sur les interconnexions puisque cela reviendrait à contrôler les exportations ou importations d’électricité. Le marché doit être respecté et la bureaucratie européenne y veille. Le prix de marché est ainsi d’autant plus volatile que la demande varie dans l’instantanéité et qu’encore une fois il est matériellement impossible pour les producteurs de constituer des stocks. Il faut  ainsi matériellement imaginer au niveau européen une structure d’échange très transparente qui sera la Bourse des échanges d’électricité avec ou sans chambre de compensation (échange over the counters ou OTC). Que l’on soit consommateur ou producteur il s’agit de contrôler/sécuriser  les prix et quantités par des contrats sur des marchés à terme où se fixent des paris sur les fluctuations de prix. Les paris ont un prix, ce qu’on appelle le coût des couvertures sur risques, lesquels mobilisent d’importants moyens financiers (le collatéral) à priori étrangers à l’industrie électrique elle-même. Mais ces contrats sont d’autant plus sécurisants que le nombre d’acteurs est grand sur le marché : il faut par conséquent ouvrir la bourse des échanges à des acteurs qui n’ont rien à voir avec l’industrie. Il s’agit par conséquent de l’ensemble des acteurs de la finance qui seront ainsi chargés d’assurer la bonne liquidité sur les paris, bonne liquidité assurant in fine le bon échange de l’électricité réelle sur le marché réel….Concrètement cette bonne liquidité, aussi assurée par des opérations d’arbitrage entre toutes les bourses d’électricité, suppose un marché des échanges de paris plusieurs dizaines de fois supérieur aux échanges réels.

La présente crise, faite d’un prix aligné sur un coût marginal explosif est naturellement constitutive de prix beaucoup trop élevés pour nombre d’activités et bien sûr pour les consommateurs finaux. Elle produit en conséquence d’énormes rentes différentielles pour les acteurs des unités infra marginales.

2 - Les fausses solutions  à l’intérieur des cadres du marché européen.

Parce qu’il n’est pas imaginé de sortir d’un cadre général de marché, nous avons les possibilités classiques d’actions sur les prix, d’actions sur la formation de ces derniers soit d’actions sur les quantités.

Un écrémage des rentes différentielles

Une première piste étudiée au niveau européen est celle   d’un écrémage des rentes différentielles sous la forme d’une législation type « windfall profits tax » ( profits tombés du ciel) déjà utilisée aux USA lors de la première crise pétrolière durant les années 80. Ce que médiatiquement on appelle la « taxation des superprofits ». Il s’agirait de mobiliser les fonds rassemblés pour les redistribuer auprès des utilisateurs/consommateurs, avec comme conséquence un approfondissement des responsabilités européennes en matière de prélèvement et de redistribution entre pays. Pour le reste on ne touche pas au marché et à la formation des prix. Le chantier est d’une grande complexité technique et politique : comment saisir les hauteurs des rentes ? comment les apprécier ? sont-elles de véritables rentes ou bien sont-elles les effets d’un entrepreneuriat dynamique ? faut-il taxer ou bien imaginer un versement volontaire au titre d’un bien commun (abondement d’un fond vert) ? Peut-on venir en secours à la liquidité sur la finance en utilisant le produit de la capture des rentes différentielles ? Quelles clés de répartition des rentes captées entre les Etats ? Cette voie est manifestement un approfondissement de la bureaucratie de marché : une énorme armature réglementaire se rajoutant aux autres pour maintenir quoi qu’il en coûte un marché européen de l’électricité. Cette voie est aussi celle qui est logiquement défendue par de très nombreux acteurs et structures : personnels politico-administratifs des Etats et de Bruxelles toujours aidés de leurs agences dites indépendantes et de leurs entreprises de conseil, financiers et traders enracinés dans leurs régulateurs, cadres et dirigeants des entreprises de pacotille du secteur, etc.

Un bouclier tarifaire

Une  piste parallèle, voire complémentaire de celle  de l’écrémage des  rentes différentielles consiste à maintenir le marché en intervenant sur les prix qui s’y forment. Ici les rentes différentielles sont partiellement écrémées et les unités de production marginales, celles dont le coût variable est supérieur au prix autoritairement déterminé, sont subventionnées. Il s’agit du bouclier tarifaire dont vont bénéficier les utilisateurs. Ce boucler peut être infiniment variable et dépend des choix politiques et sociaux des divers pays. A peine de sortir de la règle du marché unique européen - ce qu’ont obtenu l’Espagne et le Portugal- la fiction du marché se maintient  et l’interconnexion généralisée continuera de permettre la formation d’un prix unique. Cette piste parallèle pose évidemment les mêmes questions et renforce celles liées aux entreprises de pacotilles qui se voient doublement subventionnées par l’ARENH d’une part et par la garantie de prix désormais administrés : c’est désormais l’administration qui fixe tous les prix, ce qui permet de vivre dans un cocon réglementaire complet très éloigné de l’entreprise classique. Avec bien sûr le transfert de tous les risques de prix à l’administration elle-même, laquelle les reportera sur les contribuables, et donc l’émergence partielle d’un monde complètement renversé….

Un prix plafond

Une autre piste en réflexion est celle d’un plafond sur les prix d’achat du gaz auprès du fournisseur russe, plafond venant limiter les prix de l’électricité et les rentes différentielles au profit des producteurs les plus efficaces. Cette pratique suppose l’acceptation d’un monopole bilatéral avec en face de Gazprom la seule administration bruxelloise. Ce choix est difficilement tenable car il s’agirait d’empêcher les comportements de passagers clandestins à l’intérieur de l’union européenne : Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, comportements favorisés par la Russie. Il est également une réalité contestable au niveau des autres producteurs qui pourraient revendiquer le prix plafond pour leurs exportations vers l’union européenne.

Un rationnement

Une dernière piste est bien évidemment celle d’un rationnement quantitatif soit contractuel soit imposé. Le rationnement contractuel ne pose guère de difficultés et il est technologiquement aisé de mettre aux enchères des périodes d’effacement dont le coût pourrait être financé par une taxation des rentes différentielles. Une autre solution celle de "l'Ecowatt" de RTE peut aussi s'avérer intéressante. Le rationnement imposé supposerait des interventions autoritaires et naturellement bureaucratiques. Soulignons toutefois que cette dernière piste maintient les difficultés déjà envisagées dans les pistes antérieures.

Entre le rationnement et le bouclier tarifaire il est aussi possible d’utiliser des mécanismes particulièrement complexes très difficiles à qualifier et qui, de fait, concerne une manipulation des bourses européennes de l’électricité. Tel est le cas du relèvement automatique du prix maximum que l’on vient de suspendre au terme d’une difficile négociation entre l’association des dirigeants des bourses, le régulateur européen et la commission[1]

Globalement les solutions sus énoncées présentent le défaut de ne pas s'attaque au problème central: celui d'un service public qui  ne peut s'appuyer sur le marché qu'en le contournant par l'édification d'une bureaucratie métastasique. 

3 - S’éloigner du marché européen et rétablir le service public en France

La spécificité de la France est que sa branche électricité bénéficie d’un coût unitaire moyen plus faible que partout ailleurs en Europe. Cela résulte de ses choix antérieurs qui font que les centrales à coûts variables élevés ( fuel, charbon, gaz) sont peu nombreuses. Toutefois le prix de marché s’alignant sur les unités de production les moins efficaces, l’excellente performance globale de la branche n’irrigue pas les utilisateurs. Il convient donc de rétablir cette irrigation par  une nationalisation qui va bien au-delà de celle envisagée pour EDF. Plusieurs propositions sont à envisager allant dans le sens d’un  rétablissement de  la mission d’EDF à produire du service public.

La disparition de l’ARENH

Le dispositif ARENH doit être abandonné et EDF doit pouvoir vendre la totalité de sa  production aux utilisateurs finaux. Il en résultera mécaniquement la disparition de toutes les entreprises et administrations de pacotille et la fin de l’emploi de milliers de cadres et salariés occupés dans des activités complètement improductives voire nuisibles à tout intérêt général. Ces derniers souvent hautement qualifiés peuvent se redéployer sans difficulté dans des activités productives. Au-delà la fin du marché français de l’électricité mettra  fin aux risques de marché tel celui miraculeusement évité par une erreur dans la spéculation chez « Electricité de Strasbourg »[2] début septembre. Des erreurs techniques peuvent toujours se matérialiser mais il est possible d’éviter les erreurs de marché en le supprimant. Il est donc important de supprimer le marché.

Un prix administré

La politique tarifaire d’EDF, libérée du poids de l’ARENH doit se situer entre le coût unitaire moyen du nucléaire et les coûts variables pour les centrales les moins efficientes. Le tarif correspondant doit lui-même être imposé aux producteurs d’énergie électrique intermittente et renouvelable. Leur survie dépendra de leur propre efficience ou promesse d’efficience, et il n’est plus question de laisser en jachère des unités de production EDF pour venir au secours d’unités intermittentes. Cela signifie la disparition du gaspillage de capital (2 capacités pour une unité produite).

Une interconnexion qui cesse d’être une atteinte à la souveraineté.

L’interconnexion avec les autres Etats européens est bien évidemment maintenue dans un esprit de secours mutuel. Les bouses à l’international sont maintenues mais EDF doit y  retrouver son monopole d’exportation et d’importation. Il n’existe donc pas de barrières à l’entrée ou à la sortie et EDF peut   acheter et vendre de l’électricité à l’étranger. Les activités de transport voire de distribution peuvent rester inchangées.

Le retour de l’efficience

La fin de l’électricité marchandise au profit du service public permet à EDF de récupérer une grande partie de sa rente nucléaire. Elle-même rente différentielle, elle permet à l’entreprise de retrouver progressivement des marges jusqu’alors perdues dans les coûts des entreprises de pacotille disparues, donc de retrouver les moyens de son développement. Une autre partie de la rente nucléaire est captée par les utilisateurs qui progressivement cesseront d’être victimes d’un marché conçu en dehors de toute réflexion géopolitique sérieuse (l’Allemagne face à Gazprom).

A plus long terme, avec la reconstruction de ce qui a été détruit par plus de 20 années de domination de  l’idéologie du marché, il sera possible de mettre fin à la crise de l’énergie.


[1] Le très bureaucratique marché avait été conçu de telle sorte qu’à chaque seuil de prix administrativement imaginé, un saut de 1000 euros le MWh était imposé aux fins de limiter la demande en faisant augmenter les prix. Ce mécanisme vient d’être abandonné et les opérateurs de marché ne peuvent plus jouer sur les prix pour répondre à la demande de leurs clients, d’où un report sur les marchés journaliers et une forte incitation aux économies d’énergie.

[2] La perte de marché résultant d’une vente massive suivie d’un rachat tout aussi massif s’est montée d’après le Financial Times du 11 septembre à 60 millions d’euros et a mobilisé RTE pour des compensations en provenance du Royaume-Uni et de l’Espagne.

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