La France et l’Allemagne s’opposent sur la question du gaz, la première proposant un prix d’achat à ne pas dépasser et la seconde préférant une politique nationale d’aide dont l’enveloppe générale se monterait à 200 milliards d’euros.
Les difficultés de la technique du plafond de prix
Si l’on propose un prix plafond sans fixer, dans les contrats, les quantités concernées, ces dernières apparaitront comme un résultat ne correspondant pas nécessairement aux demandes nationales pour les différents pays. Cette considération n’est que le résultat banal de la théorie économique traditionnelle : pour un prix donné, la demande est celle correspondant aux demandes agrégées des participants au marché. A priori, il serait question d’une plateforme européenne d’achat de gaz avec redistribution aux différents acheteurs, en particulier privés, qui, jusqu’ici, négociaient des contrats de longue durée. Dans le cadre européen, cette plateforme faisant apparaître un acheteur unique est probablement juridiquement contestable mais surtout pose de redoutables problèmes.
Si Bruxelles fixe un maximum faible, la demande sera excédentaire par rapport à une offre déficitaire. En effet, le gaz russe - désormais d’accès interdit- participe à la limitation mondiale de l’offre disponible. Dans ces conditions, on voit mal les fournisseurs américains, norvégiens, etc. préférer le ravitaillement de l’Europe face à des débouchés plus rémunérateurs sur d’autres continents. Il en résultera des quantités insuffisantes qu’il faudra répartir entre les pays. Comme l’Allemagne est de très loin le pays le plus gros consommateur, son industrie sera relativement plus pénalisée que celle des pays dont la base industrielle s’est déjà largement évaporée. La réalité concrète est sans doute un peu plus nuancée en raison de la rigidité des infrastructures de livraison. Ainsi la Norvège est dépendante des oléoducs qui assurent l’exportation de son gaz, ce qui réduit son pouvoir de négociation. Toutefois les acteurs de la branche sont les entreprises classiques du secteur (Statoil, Exxonmobil, Total, Conoco philips, etc.). Il est donc évident que la souplesse des méthaniers de ces mêmes compagnies - lesquels circulent aussi bien depuis l’Amérique que depuis la Norvège- permettrait aisément de rétablir la force de négociation de la Norvège.
Si Bruxelles fixe un maximum élevé, la quantité disponible à répartir sera naturellement plus importante puisque les offreurs seront attirés par un effet-prix attractif. La limitation des quantités disponibles sera plus supportable pour l’économie Allemande. Toutefois l’écart de prix avec les zones bénéficiant d’une énergie abondante (essentiellement les USA, où cet écart est passé de 1à 2 en 2019 et à 7 en 2022) sera beaucoup plus importante et justifiera des délocalisations industrielles au détriment de l’Allemagne… et des délocalisations aussi attirées par des politiques gouvernementales telles que celles proposées par « l’inflation Reduction Act » américain. Cet écart étant probablement durable en raison de coupures probablement définitives des northstream 1 et 2, il y a menace sur l’existence même de l’industrie allemande.
Quel que soit le niveau choisi de prix maximum, L’Allemagne ne peut que refuser cette politique proposée par la France et quelques autres pays.
Les difficultés de la technique du bouclier tarifaire.
Le choix de l’Allemagne est clairement celui du maintien durable de son industrie à l’intérieur des frontières nationales. Elle semble vouloir y associer des moyens colossaux (200 milliards d’euros soit 5% de son PIB) essentiellement orientés vers des boucliers tarifaires. Ces moyens, maladroitement cachés dans un véhicule indépendant du budget fédéral, sont aussi autorisés par un endettement public allemand beaucoup plus modéré que partout dans le monde. Un effort semblable est impensable pour les compétiteurs de l’Allemagne en particulier la France et l’Italie. S’agissant de la France, le bouclier tarifaire qu’il faudrait retenir serait d’environ 135 milliards d’euros, alors que les moyens retenus sont respectivement de 24 milliards pour 2022 et 45 milliards pour 2023. S’agissant de l’Italie le bouclier tarifaire à retenir pour le niveau de protection retenu par l’Allemagne serait d’environ 95 milliards d’euros alors que les moyens retenus sont de l’ordre de 40 milliards. Bien évidemment ces énormes différences résultent des conditions macroéconomiques avec une Allemagne dont la dette publique ne se monte qu’à 70% du PIB alors qu’elle est abyssale pour la France (113%) et l’Italie ( 150%).
L’Allemagne, après avoir bénéficié pendant plusieurs dizaines d’années d’un taux de change favorable , taux de change autorisant des excédents commerciaux anormaux et jamais dénoncés par Bruxelles (jusqu’à 10% du PIB), tente aujourd’hui de profiter de la crise de l’énergie pour introduire une nouvelle sur-compétitivité autorisant la pérennisation de son modèle de développement. L’Allemagne a pu administrer l’Europe à partir de la mise au pas de la Grèce. Elle n’a plus les moyens de se sauver en blessant davantage ces grands pays que sont la France ou l’Italie. Hélas, ce n’est pas la solution française de prix maximum qui permettra la résolution de la crise et il faudra payer le prix de dizaines d’années de politiques publiques folles. Tous nos articles concernant la crise de de l’énergie sont là pour en témoigner[1].
http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/09/prix-de-l-electricite-un-probleme-sans-solution.html
http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/07/ce-que-pourrait-etre-une-nationalisation-d-edf.html
http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/05/pourquoi-payer-le-gaz-russe-avec-des-roubles.html
http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/02/en-route-vers-une-nouvelle-crise-de-l-energie.html