La seconde partie du présent papier a longuement insisté sur le caractère polycentrique des infrastructures monétaires et ce, à l’échelle de la planète. L’irruption des banques en ligne, des néo banques et autres « mobile money », développe davantage encore ce polycentrisme. C’était ce caractère qui imposait l’existence d’un dangereux marché monétaire, les banques devant se faire confiance entre elles pour assurer la circulation de la valeur et les banques centrales venant en surplomb pour garantir ce qui n’est pas facile à sécuriser. Pour reprendre l’exemple de la seconde partie de l’exposé, il est relativement facile quand on est SNCF de garantir la bonne circulation des TGV entre Paris et Nice, mais il est beaucoup plus difficile et complexe, quand on est système bancaire, de faire circuler la valeur entre banques. Et c’est au final l’une des grandes causes des crises financières. D’où l’idée un peu dérangeante de la seconde partie du texte de proposer la fin du présent système bancaire au profit d’un monopole des banques centrales. Ce que les économistes désignent par le terme de monopole naturel.
Cette proposition est pourtant d’autant plus crédible que, malgré les précautions, malgré l’imposition de règles de prudence sous la forme de réserves obligatoires, de fonds propres suffisants, de ratios nombreux et divers, de stress tests, etc. les accidents restent possibles et graves. C’est bien ce que nous constatons présentement avec les banques américaines et les effets de contagion possibles. Parce que l’infrastructure monétaire est polycentrique, les bilans comptables des banques ont toujours été victimes d’une évaporation potentielle que l’on ne retrouve pas dans l’économie réelle. Les bank run ont toujours existé et les paniques correspondantes pouvaient détruire rapidement les banques attaquées par des retraits massifs de la part de leurs déposants. Dans l’économie réelle, les bilans ont toujours été plus solides et les dettes (passif) ne donnent pas lieu à un bank run, tandis que les actifs, parce que largement matériels, ne sont pas susceptibles de connaître un effondrement comme peuvent le connaître les titres financiers à l’actif des banques.
Or, cette évaporation potentielle et toujours menaçante s’accroit considérablement aujourd’hui. La raison essentielle est que désormais, grâce aux nouvelles technologies, des centaines de milliards de dollars peuvent, d’un simple « clic », quitter le passif d’une banque. Jadis il fallait se présenter physiquement au guichet pour effectuer un retrait. Aujourd’hui les choses sont beaucoup plus simples et donc l’évaporation peut entraîner la ruine en quelques heures. Ajoutons que les facilités du numérique développent aussi la puissance des comportements mimétiques et donc celle de la contagion. Il faut donc en conclure que les outils prudentiels ne sont plus à la hauteur des dangers, et ce n’est pas en affûtant les divers ratios que les régulateurs imposeront aux banques, que l’on pourra raisonnablement lutter contre une évaporation beaucoup plus puissante et beaucoup plus radicale que par le passé. Le polycentrisme de l’infrastructure monétaire était supportable dans le cadre des technologies anciennes, il ne l’est plus aujourd’hui. De ce point de vue les récentes critiques contre les dirigeants de la FED sont probablement exagérées. La crédibilité de la FED n’est pas contestable par l’incompétence des ses dirigeants, elle l’est de part une évolution technologique qui durablement va rebattre les cartes.
Dans le même temps, les technologies nouvelles ont avec la blockchain et les crypto monnaies créé bien des inquiétudes pour les infrastructures monétaires : désormais la circulation de la valeur peut se réaliser sans la participation des banques. Cette inquiétude s’est évidemment propagée aux Etats eux-mêmes. La réponse est venue des banques centrales avec le projet de création d’une monnaie numérique de banque centrale, projet pour lequel la Chine est en avance. Nous avons à plusieurs reprises exposé dans le blog la problématique de ces monnaies. Sans y revenir de façon détaillée on peut imaginer la nouvelle architecture qui pourrait en résulter tant du point de vue des banques que des Etats eux-mêmes. Architecture qui peut se résumer en quelques points :
1 - Désormais tous les acteurs sont invités à transférer leurs dépôts vers un compte à la banque centrale.
2 - Le Trésor et les banques conservent leur compte à la banque centrale. Le transfert des dépôts vers ladite banque a pour contrepartie un dépôt en monnaie centrale figurant au passif des banques. Désormais, leur passif est pour l’essentiel de la monnaie centrale constitutive d’une dette envers la banque centrale.
3 - L’infrastructure monétaire devient un monopole naturel et la circulation de la valeur correspondante se déroule au seul niveau de la banque centrale. Tous les paiements se traduisent par la seule mobilisation de comptes en actif et en passif à la banque centrale. Il n’existe donc plus de marché monétaire et si les banques peuvent rester en concurrence pour des opérations de crédits et d’investissements, la méfiance source de crise et d’une bonne part des opérations spéculatives disparait. La circulation de la valeur est sécurisée.
4 - Parce que le passif des banques n’est plus constitué de dettes aisément disponibles ( dépôts des ménages et entreprises) mais d’une dette envers la banque centrale, l’émission monétaire n’échappe plus à cette dernière. Elle dispose techniquement du monopole de la création monétaire.
5 - Du point de vue des banques, la fonction d’infrastructure monétaire disparait en totalité. En revanche la fonction de gestion de l’épargne et de l’investissement reste inchangée. Elles restent en concurrence dans le cadre de cette activité. Toutefois ne disposant plus de la capacité à créer de la monnaie, elles dépendent de l’autorisation de la banque centrale laquelle peut créer de la monnaie à la demande des banques.
6 - Les grandes fonctions sont institutionnellement séparées, les banques disposant du monopole du crédit et la banque centrale se réservant le monopole naturel de circulation de la valeur. Il est interdit à la banque centrale de financer directement l’économie.
7 - Un traitement particulier est réservé à la dette publique. Banques et banques centrales peuvent acheter de la dette publique mais il n’existe plus de marché primaire de la dette publique. Le financement des Trésors se déroule hors marché et ce financement sous contrôle démocratique ne se conçoit que pour les seuls projets d’investissements.
8 - La politique de la Banque centrale, qui n’a plus rien à voir avec une politique monétaire traditionnelle, est politiquement définie par l’exécutif. C’est dire que la notion d’institution « sui generis » disparait au profit d’une institution publique détenue à 100% par les Etats.
9 - La mission des banques centrales n’est plus de garantir la stabilité monétaire mais celle de garantir un volume de monnaie guidé selon des besoins démocratiquement définis. La transparence de gestion de la banque centrale est constitutionnellement assurée par un contrôle démocratique permanent.
10 - Les banques centrales composites ou fédérales, telle la BCE, s’organisent pour laisser aux nations participantes imaginer leur adaptation au modèle proposé.
Bien évidemment nous sommes conscients du caractère provisoirement utopique de ce dernier.