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29 mai 2023 1 29 /05 /mai /2023 07:01

Des experts de la BCE au nombre d’une cinquantaine continuent de travailler sur le projet d’Euro  numérique. Il s’agit d’une innovation technologique, sans doute importante pour les usagers, mais qui ne sera toutefois pas une innovation financière majeure.

Le potentiel est pourtant bien présent. Techniquement il est possible d’équiper tous les agents du jeu économique (ménages, entreprises, Institutions financières, Trésors), qu’ils soient résidents ou non, d’un porte-monnaie électronique susceptible d’assurer, à partir de la BCE, la totalité de leurs transactions. Bien évidemment, il serait raisonnable de limiter pareille révolution en cantonnant la BCE au rôle d’infrastructure monétaire. Cela signifierait que les banques ne disparaissent pas, qu’elles continuent à assurer la transformation de l’épargne en investissement et qu’elles resteraient des intermédiaires financiers de premier plan. Ce cantonnement à la fonction d’infrastructure serait pourtant déjà une révolution, en ce sens qu’il y aurait disparition de la monnaie banque centrale sous la forme de billets, et surtout sécurisation puisque les porte-monnaies  seraient de la monnaie banque centrale donc insusceptible de disparaître dans une crise bancaire. Au fond, la nouvelle monnaie serait aussi sécurisée que les billets dont on sait qu’ils sont un titre de propriété réelle à l’inverse des dépôts qui ne sont qu’une créance toujours susceptible d’évaporation. Les dernières crises bancaires américaines sont là pour en témoigner Cette révolution pourrait bien sûr offrir une garantie supplémentaire de base : l’interdit d’un recueil des données associées à l’euro numérique.

 Bien au-delà, l’Euro numérique serait l’occasion d’un redéploiement de la puissance monétaire vers les autorités centrales : en faisant disparaître les dépôts bancaires classiques qui sont la matière première de la circulation de la valeur et de la création de monnaie bancaire, on empêcherait les banques de battre monnaie et on réserverait la création monétaire à la banque centrale : la création de monnaie deviendrait le monopole de cette dernière et seule la monnaie banque centrale serait susceptible d’être émise. Bien évidemment un tel dispositif suppose une révolution dans la révolution, à savoir la disparition de l’indépendance de la Banque centrale et son grand retour dans le giron de la collectivité. Avec une ultime conséquence qui serait la disparition du lucratif marché de la dette publique au profit de quelque chose comme un don en monnaie centrale aux Etats…..une véritable rupture épistémologique…

Les travaux actuellement menés par les experts de la BCE sont, sans le dire, très conscients de l’immense potentiel offert par la technologie numérique. L’ambition du groupe de travail est donc très inscrite dans  un périmètre bien défini, à surtout ne pas dépasser.

Tout d’abord , et ceci correspond aux exigences du public  à l’encontre des banques, il n’est pas question de faire disparaître la monnaie centrale sous sa forme billets. Bien évidemment, les banques souhaitent cette disparition pour 2 raisons, la première est la question de son coût (lourdes manipulations avec technologies coûteuses dans la distribution), la seconde est la préférence pour les dépôts en tant qu’outil de la création monétaire bancaire continue. Les étudiants en économie connaissent tous que le taux de conversion des dépôts en billets est un frein à ce que l’on appelle le « multiplicateur du crédit ». Toutefois il est clair que l’Euro numérique offrant les mêmes garanties que le billet et surtout offrant une  utilisation beaucoup plus aisée concurrencera rapidement ce dernier. Dans ces conditions, si les experts ne limitent pas drastiquement l’ampleur de l’utilisation de l’Euro numérique, il y aura étouffement de l’activité bancaire avec des conséquences douloureuses pour le crédit et le marché de la dette publique. Dans les conditions institutionnelles présentes, l’Euro numérique ne peut donc être qu’un cash plafonné. On évoque présentement un plafond de 3000 euros, ce qui pour les ménages semble beaucoup. Nul doute que, dans la pratique, ce cash plafonné sera vécu par les agents comme trop limité puisque dans la réalité financière le porte-monnaie numérique est plus sécurisé (pas de risque[JCW1]  de faillite pour une monnaie centrale) que le dépôt classique (risque de faillite pour une monnaie bancaire). Il faudra donc compter sur la très forte résistance de la BCE en tant que protectrice du système financier  pour l’extrême limitation du plafond.

Cette résistance sera d’autant mieux assurée que la distribution de l’Euro numérique sera le fait des banques elles-mêmes, exactement comme pour les billets. Ces derniers sont un prélèvement à l’actif et au passif sur le total des bilans et il en sera de même pour la monnaie numérique : toute élévation du montant des porte–monnaies numériques est une contraction des bilans disponibles. Les banques auront donc intérêt à ce que les comptes de dépôts classiques ne se transforment pas trop rapidement en portemonnaies numériques. Il s’agit là d’un frein majeur à la construction d’une infrastructure complète  de circulation de la valeur. L’espoir de voir, par conséquent, la création d’une infrastructure rationnelle de transport de la valeur est donc limitée alors même que la technologie l’y invite. En termes imagés, la BCE veut ouvrir une porte…que les utilisateurs veulent voir grande ouverte…et que les banques souhaitent voir fermée. D’où la prudence de la BCE qui parle toujours d’un projet avec expérimentation sur plusieurs années avant lancement dans trois ou quatre ans….

Une question fondamentale est celle de l’interopérabilité, d’abord à l’interne (circulation de la valeur entre pays de la zone euro), ensuite à l’externe (circulation de la valeur entre banques centrales adoptant des monnaies numériques assorties de taux de change divers). La première forme laisse bien évidemment la question des comptes TARGET portant sur les déséquilibres entre les pays de la zone. La seconde revient à transformer partiellement le marché monétaire national en marché monétaire international mettant en jeu les échanges de monnaies numériques de banques centrales. Au final, au-delà d’une efficience accrue et donc de coûts de fonctionnement beaucoup plus faibles peu de changements sont à attendre : les banques centrales sont reliées par ce marché monétaire international et l’une d’entre elles, la FED, est à la fois banque centrale nationale et prêteuse en dernier ressort. Ce qu’elle est déjà quand on affirme qu’elle est la banques centrale des banques centrales.

Beaucoup d’autres questions vont se poser : quel coût de mise en place et quelle logique de partage de ces derniers ? Si l’utilisation de l’Euro numérique est  - au-delà d’une diminution des coûts de transaction - porteuse de davantage de sécurité,  faut-il lui faire payer un service de coffre-fort ? Si oui, sous quelle forme ? Peut-on profiter d’un potentiel basculement vers l’Euro numérique pour envisager autrement la question du financement de la décarbonation généralisée, par exemple sous la forme de don en monnaie centrale au profit des agents concernés ? Etc.

Affaire à suivre.

 

 

 

 


 [JCW1]

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