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7 octobre 2023 6 07 /10 /octobre /2023 09:41

Le climat est un bien commun dont la vulnérabilité est le fait d’acteurs divers qui coopèrent au sein d’un système humain, c’est-à-dire une société concrète. Ce qui caractérise l’Occident et ce qu’on appelle la modernité  est la relative  méconnaissance de  son inclusion dans un système global appelé nature. De fait, dans ce type de monde, la nature est idéologiquement à la disposition des hommes et les externalités qu’ils y développent sont jusqu’ici assez largement négligées. Voilà pour l’angle anthropologique de la question.

Vu sous l’angle économique, la notion d’externalité fut d’abord seulement réservée aux interactions de marché, ce que l’on trouve encore de façon amusante  dans les manuels d’économie , par exemple le fait que les tanneurs ne peuvent polluer une rivière dont l’eau est utilisée par une brasserie située en aval. Et de ce raisonnement devait émerger le grand principe du pollueur payeur que l’on utilise encore de façon plus ou moins raffinée dans ce qu’on appelle le marché du carbone. Dans cette façon de raisonner, la question de l’environnement reste secondaire par rapport à celle complètement centrale : le droit à une onde pure qu’il faut préserver par des coûts de dépollution à imposer aux tanneurs. Dans un tel contexte si l’on préserve la nature c’est d’abord pour préserver un bon fonctionnement des marchés : les tanneurs doivent payer le coût complet de leur activité et ne pas imposer à la brasserie des dommages économiques. Le but n’est pas la préservation de la nature mais son utilisation à des fins d’optimisation des marchés. Clairement, la préservation de la nature est un moyen et non une fin. Nous avons là la traduction économique de l’axiome anthropologique de l’Occident.

Il est possible d’approfondir la question des externalités à partir de notre exemple en posant la question de la disponibilité quantitative de l’eau : Pour tous les utilisateurs, elle devient un bien commun gérable par une collectivité ou un Etat. A ce titre il y a des dépenses de protection à prévoir qui vont apparaître comme un prix ou une taxe. Le plus souvent, on reste dans le même logiciel et la même économicité : la nature reste un moyen - une matière première de l’économie - et non une fin. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui la décarbonation peine à quitter une problématique de marché. Elle en connait toutes les contradictions, par exemple : comment sortir les actifs carbonés des bilans, en particulier bilans bancaires ? De ce point de vue, des activités, par exemple les producteurs d’énergie fossile, apparaissent aujourd’hui aussi obsolètes que les producteurs de carrosse dans l’industrie automobile. On veut mettre un prix à la nature pour la préserver et donc  sanctionner certaines activités et on se retrouve dans une difficulté de marché. Par exemple, comment empêcher que la taxe carbone aux frontières de l’Europe que l’on vient de mettre en place ne débouche pas sur de nouvelles délocalisations ? Les producteurs de carrosses mourraient broyés sur le mur du marché alors que l’industrie européenne, affectée par une taxe carbone aux frontières, n’est que blessée et donc  peut se redéployer dans un espace plus accueillant. Se battre contre le marché n’est pas chose simple et les conséquences inattendues sont nombreuses.

On peut aller plus loin dans la préservation de la nature  et déclarer  que celle-ci  dispose de droits opposables aux humains. Dans ce cas, il appartiendrait  à tous les acteurs humains de respecter les droits de la nature. Cela suppose naturellement un principe d’universalité acceptée par tous les Etats. Mais là encore pure illusion puisque nombre d’Etats en formation se servent du marché pour se construire et s’affirmer. C’est le cas de la Russie qui vient de déclarer qu’elle s’opposerait à toute réduction de la production d’énergies fossiles. C’est le cas de  la Chine, laquelle ne peut accepter une telle norme qui bloquerait sa politique de puissance.

Il faut en conclure que la gestion des communs suppose un coût qu’aucun acteur ne peut clairement accepter dans le cadre d’une société globale reposant sur le seul marché. On voit mal qu’en un point quelconque du monde, en raison d’un principe universel, une entreprise, quelle que soit sa nationalité puisse être condamnée par un tribunal mondial, à verser des réparations à la nature. Et la question est d’autant plus difficile que la nature est d’une formidable complexité (climat, biodiversité, adaptation au réchauffement, etc.) et qu’elle ne se résume pas à la seule question de la température de la planète.

La contrainte environnementale ne  peut donc qu’être gérée par tout ou partie d’une renoncement à la logique mondiale des marchés. Une logique qui jusqu’ici correspondait bien à l’axiome anthropologique de l’Occident.  Dans un monde en quête de compétitivité permanente, la pression sur l’environnement reste majeure. Nous en restons sans le dire à la « tragédie des biens communs » et les solutions des spécialistes de ces questions ne sont ni la collectivisation/nationalisation (Garret Hardin) ni la privatisation généralisée (solution libertarienne ) ni l’auto-gouvernance ( Elinor Ostrom). D’où les débats incessants sur la réalité du problème. D’où les légitimes interrogations en France sur la publication du « rapport sur l’impact environnemental du budget de l’Etat », document annexé au projet de loi de finances.

Et la pression sur l’environnement n’est pas la seule externalité globale des marchés mondialisés. Bien avant que les questions environnementales ne soient clairement posées, la recherche de compétitivité a déployé d’autres pressions : celle sur la fiscalité qu’il faut limiter en raison de la concurrence, mais aussi celle sur le fonctionnement des Etats qui devront limiter leurs dépenses régaliennes et de plus en plus celles sur le service public lui-même. La première signifie l’enkystement dans une dette croissante pour la plupart des Etats, la seconde signifie la dégradation voire l’inadaptation croissante des services publics pour ces mêmes Etats désormais noyés dans un « new public management », toujours revisité et toujours revisitable, pour le plus grand bonheur des marchands de management. Cette dernière dégradation en entraîne une autre celle de la démocratie de plus en plus contestée car devenue incapable d’apporter les réponses exigées par les citoyens.

Le FMI lui-même s’affole  en prenant conscience d’un prix du carbone qu’il faudrait multiplier par 12,  d’une dette publique qu’il faudrait accroître massivement (10 à 15 points de PIB) pour les pays développés, et bien davantage encore pour les pays émergents et en développement. Curieusement ce même FMI considère que face à cette quasi-impossibilité il faudrait avoir recours au secteur privé pour financer la transition énergétique.

Il sera très difficile d’échapper à la nouvelle, et beaucoup plus dangereuse, tragédie des communs, celle qui s’articule et prend force autour de plusieurs axes : environnement, dette, dysfonctionnement public, démocratie. La solution que nous avons proposée dans notre article précédent (http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/politique-publique-entre-la-dette-et-le-climat-il-faut-choisir.html) réduit la douleur mais ne fait pas disparaître la maladie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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