Quel que soit le résultat des élections législatives nous entrons en période de conflit au plus haut niveau, celui au sein de l'exécutif. Le président tirait, tire, et va tirer les ficelles dans la perspective d'un projet de carrière personnelle prodigieusement ambitieux. Il apparait en effet de plus en plus clairement que La Présidence de la République n'était qu'une étape, et - vu l'âge de son titulaire- nous sommes encore simplement en milieu d'une carrière qui se veut grandiose.
Le vrai problème est donc celui d'une cohabitation qui doit se concevoir comme tremplin vers une carrière prestigieuse hors de France et probablement contre la France. Chacun sait en effet que le président a toujours développé un européisme anormalement militant au regarde des seuls intérêts français. Piétiner la France pour valorise l’UE est une démarche militante admirée par les partenaires qui se sont toujours méfiés de la robustesse de l’architecture étatiste de la France. Ce piétinement vaut récompense et c’est bien l’agenda d’un président qui veut devenir patron d’une UE devenue grand Etat fédéral.
Pour Matignon les choses seront plus modestes:comment faire tourner le quotidien sur le plancher des vaches? Plus savamment comment d'un côté réparer et de l'autre comment détruire pour être plus crédible au regard du futur employeur « Fédération des Etats Européens »?
Jusqu'à présent les entrepreneurs politiques, mus par leur intérêt personnel devaient tenir compte de quelque chose comme l'intérêt général. On utilise toujours les outils et moyens de la puissance publique à des fins privées mais jusqu'à présent l'intérêt général était sur le devant de la scène. Aujourd'hui la dislocation, la mondialisation et donc la disparition du citoyen, voire de la démocratie elle-même, permet à un entrepreneur politique de s'autonomiser par rapport à la vieille contrainte d'un intérêt général. De ce point de vue notre président est le modèle parfait de l'entrepreneur politique post-moderne. Il est probablement au premier rang de la marche triomphale vers la fin de l'Occident.
Bien évidemment il se veut au premier rang mais il ne fait que suivre le mouvement général d’un capitalisme financiarisé et déterritorialisé se débarrassant d’une démocratie devenue poids trop lourd. C’est que naguère le fordisme générateur d’énormes gains de productivité supposait la redistribution et le partage à l’intérieur d’un conflit de classes, alors qu’aujourd’hui il peut abandonner tout esprit redistributif ( apparition de rémunérations stratosphériques, disparition des usines, etc.) et ne voir dans la démocratie qu’un cout inutile qu'il faut contenir (référendum de juin 2005). A l’époque du fordisme, ce qu’on appelait l’élite ne pouvait faire secession - peu de paradis fiscaux, monnaie souveraine, surveillance du compte de capital, etc.- et se devait de partager à l’intérieur d'un territoire et d’une démocratie plus ou moins réelle. Aujourd’hui, cette même élite, parce que pouvant bénéficier d’un espace mondial a perdu tout contact avec la base et peut faire sécession donc voir dans la démocratie un objet trop lourd qu’il faut contourner ou contenir. L’Etat dit "de droit" devient possible « coup d’Etat permanent» selon les expressions d’un Marcel Gauchet ou d’un Arnaud Montebourg. Ce même Etat baignant dans un capitalisme d'enclaves (Quinn Slobodian) ou ""archipélagique" (Vanessa Ogle) s'évapore en laissant la place à "l'individu désirant", à la haine et à la violence politique (Luc Rouban). Le président intellectuellement très équipé se sert de ce changement de paradigme pour booster sa carrière personnelle. En ce sens il est l'équivalent politique de l'élite économique mondialisée.
Il n'a pas oublié le vieux slogan de Joseph Shumpeter qui - s'intéressant aux entrepreneurs économiques- parlait de "destruction créatrice". Notre président va donc détruire et assurer l'échec d’une cohabitation tenue par des "mal- sentant de la foi libertarienne". A ce titre il deviendra la figure du héro méritant. L'histoire ne s'arrête pas.
La probable prochaine cohabitation, quelle que soit sa version, ne sera donc pas de la même nature que les trois précédentes. L’époque n’était pas la même et les présidents- naturellement eux aussi entrepreneurs politiques- ne pouvaient, en raison de leur âge, ambitionner une future carrière. Il s’agissait de se maintenir au pouvoir et non pas de considérer ce dernier comme simple marche- pied en vue d’une position plus grande. Au-delà, les entrepreneurs politiques de l’époque étaient encore cadenassés par l’idéologie d’un intérêt général se manifestant dans un espace encore démocratique, espace peuplé de citoyens et équipé d'une monnaie et de frontières. Matignon n’était pas dans une logique de résistance face à la destruction, mais dans une logique de conflictuelle conservation.
Si le RN gagne les élections législatives il doit être très conscient de ce contexte très particulier : le président va rester au pouvoir et organiser la guerre civile qu’il annonce avec cynisme. En 2027 il laissera à de nouvelles "petites mains" le soin de faire rentrer le pays dans le rang. La grandeur d’un homme dépourvu de tout scrupule se paiera de la ruine du pays.