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26 août 2024 1 26 /08 /août /2024 07:35

 

Sans entrer dans le débat constitutionnel, la réalité du pouvoir s'incarnait, jusqu’en juillet dernier, d'abord dans un représentant de ce qui fait l'Etat (Gardien des lois et des institutions), un patron de l'exécutif et un organe législatif. Traditionnellement, le Président de la République cumulait ces pouvoirs : gardien des lois, « patron » d'un ensemble de « cadres » et de leur dirigeant  premier ministre, « patron » d'une majorité parlementaire. D'une certaine façon, la séparation des pouvoirs restait un principe parfois malmené, mais l'efficacité était relativement garantie. De quoi retrouver certaines caractéristiques du bonapartisme. 

La cinquième République au temps du fordisme triomphant

Cette réalité supposait parallèlement une matière première anthropologique où la citoyenneté restait un ciment de qualité : La République était unanimement respectée et empêchait la dissolution des acteurs dans le grand marché de l'économie. Concrètement, il pouvait exister des entreprises politiques appelées partis[1], mais les élections législatives, à l’inverse de ce qui se passait sous la quatrième république, ne pouvaient que produire une majorité et une opposition. Le résultat n’étant que la victoire ou l’échec du camp présidentiel. La difficulté ne se manifestait que lorsqu'une majorité nouvelle venait contester la majorité du président. D'où des cohabitations.

Globalement, dans l’enfance de la cinquième République, le marché politique était simple, il s’agissait d’un duopole (socialisme contre libéralisme) ne comprenant que peu de variétés, car l’essentiel des exigences s’inscrivait dans  la question de la gestion du social et du périmètre de l’Etat providence. La question centrale n’était au fond  que le partage des énormes  gains de productivité engendrés par le fordisme triomphant. La citoyenneté ne laissait percevoir que le couple traditionnel socialisme/libéralisme dans ses versions les moins détaillées et les plus enracinées dans l’histoire.

Ajoutons que les duopoles politiques aboutissaient traditionnellement à une offre globale peu variée en raison de l’impératif de la captation de l’électeur médian : chaque entreprise politique se devait de capter l’électeur médian pour obtenir la victoire et donc très simplement le RPR devait de plus en plus ressembler au PS, et réciproquement ce dernier devait de plus en plus ressembler au RPR, constatation bien conforme à ce que prédisait le théorème de l’électeur médian[2]. De la même façon qu’aux USA le parti démocrate devait de plus en plus ressembler au parti républicain. Ce ne sera qu’avec les effets massifs de la mondialisation sur le statut des individus que l’électeur médian deviendra très difficile à découvrir, ce qui provoquera en réaction de la variété dans les offres politiques.

 La production politique, de l’époque, était face à un marché de masse mais comme dans l’économie à l’époque de la naissance du fordisme, peu de produits étaient offerts…comme le modèle T de couleur noire... chère à Henri Ford en 1912… modèle produit en masse mais sans variétés possibles.  Les problèmes étaient sociaux et l'infinie complexité du sociétal restait congelée dans la citoyenneté. Des marchés politiques qui, plus tard, vont exploser avec la décongélation et explosion elle-même facilitée par les errances d’une mondialisation sans doute fort mal gérée. Quelle entreprise politique - au-delà des mots et slogans vides de sens type « libre-échange » contre « protectionnisme » - s’était intéressée sérieusement au mode d’articulation de la France, de son industrie et de son agriculture, au marché mondial ?

Un président très jeune et très moderne… refusant le changement de notre monde

Aujourd'hui, les choses sont très différentes et la réalité anthropologique est devenue celle du « consommateur souverain »[3]. C’est dire que le citoyen, comme l’électeur médian, s’est effacé[4]. Que l’on soit cadre de l’industrie, dealer, médecin, gilet jaune, périurbain, immigré, fonctionnaire, etc. on est d’abord - très riche ou très pauvre - « individu désirant ».   D'où la multiplication, face à un marché de masse, des produits des entreprises politiques. D’où aussi l'abondance des produits  issus des grandes usines de « l’Etat providence pour tout et  pour tous ». Bien évidemment, le marché devenant agité, le bipartisme disparait et laisse la place à des blocs multiples et fragmentés. Et des ensembles incapables de générer des offres de produits politiques cohérents. L’incohérence programmatique devient une réalité asymptotique et commune à tous les partis.

La fragmentation et la dislocation potentielle s’est plus clairement manifestée au cours du présent été en France. Une réalité complètement inadaptée aux règles de la cinquième République. Le président ne peut plus disposer d'une majorité présidentielle et ne peut plus être le patron réel, ni de l'exécutif, ni du législatif. Au surplus, il a sans doute accéléré le processus de fragmentation et d’élargissement du spectre politique par une stratégie du « en même temps ». La réalité est qu’il devient simple arbitre, une réalité qu’il ne peut accepter.

Bien évidemment, cette réalité va contre son projet de carrière future dans les instances européennes et il ne peut accepter et n'acceptera pas l'apparition et la mise sur le marché de produits politiques affaissant le projet européen. Le premier ministre ne sera plus un simple collaborateur mais il devra respecter le plan de carrière privé du président de la République. Le Président n'est plus patron du législatif mais il ne peut en accepter les conséquences qui, au-delà de l'Europe, détruirait son projet personnel de carrière. Il ira jusqu’au bout de sa logique d’entrepreneur politique schumpetérien au service d’un grand Etat fédéral européen qu’il veut chevaucher[5]. Et si le parlement résiste, il ira probablement plus loin et n'hésitera pas à recourir à une certaine forme de violence saluée par Bruxelles Il s’agit pour lui d’une question de survie.

Une violence qui en appellera une autre avec déjà la mise en avant de l'article 68 de la Constitution. Il est difficile d'aller plus loin pour le moment et constatons qu'il y a simplement conflit de légitimité. Dans le monde des apparences, monde repris par la majorité de la grande presse, le Président se veut fort d’une légitimité présidentielle même si l’élection de 2022 est venue brutalement l’affaisser. Toujours dans le monde des apparences, L’Assemblée Nationale est également légitimement constituée. Mais les entrepreneurs politiques et les dirigeants qui l’anime, pensent silencieusement que le vrai problème est l’éviction rapide du Président. Il ne s’agit donc pas de respecter les règles d’un jeu devenu impossible, mais de précipiter un départ…qui risque de ne rien régler si le futur président reste accroché à des dispositifs institutionnels ne pouvant s’emboiter à la réalité anthropologique.  

Autrefois les conflits de légitimité se réglaient de manière brutale et efficace. Pensons par exemple au « coup de majesté » du jeune Louis 13 face à une régence légitime mais abusive. Sauf effacement de « l’individu désirant » qui constitue la réalité anthropologique dominante, la cinquième République ne peut plus correctement fonctionner et il faudra un jour acter le retour au statut de simple arbitre des présidents. Si possible, sans « coup de majesté ».

                                                                                         Jean Claude Werrebrouck – 25 Aout 2024-

 

[2] Rappelons toutefois que le théorème de l’électeur médian n’est valable que si les préférences des agents sont unimodales

[4] En termes savants nous dirons que nous sommes en plein paradoxe de Condorcet.

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