Il ne s’agit pas comme le veut la légende de se rendre maître de l’Asie, il s’agit simplement pour la France, mais aussi pour d’autres pays, de se libérer de la situation tragique dans laquelle elle se trouve. Inutile ici de rappeler que notre très faible croissance est improductivement suralimentée par une gigantesque béquille budgétaire brûlant 100 milliards de dettes supplémentaires tous les ans. Concrètement, il faut s’endetter de 3 euros pour enfanter une production matérielle de 1 euro, situation probablement jamais rencontrée dans l’Histoire.
Le présent texte cherche à proposer un chemin permettant de ne plus subir la force dévastatrice de l’objet « monnaie unique » tout en le respectant. Nous ne revenons pas sur sa force dévastatrice essentiellement concentrée sur un taux de change non maitrisé, non maitrisable, et complètement irréaliste. On sait que la surévaluation de la monnaie unique au regard de l’économie française entraîne une insupportable attrition de cette dernière, un phénomène qui devrait être compensé par des transferts issus de l’extérieur mais transferts totalement interdits et totalement irréalistes.
Pourquoi des transferts de ressources ?
Comprenons bien cette logique de transfert. Lorsque, dans un Etat Nation, un déséquilibre entre régions se manifeste, il n’est guère pensable que la région déficitaire se réanime par une dévaluation autorisant une meilleure compétitivité et le rétablissement d’un équilibre. Cette impossibilité résulte du fait que dans un Etat-Nation classique existe une seule et même monnaie. Le rééquilibrage passe donc tout simplement par un transfert de ressources organisé centralement. Par exemple, la fermeture des houillères en France a entrainé des difficultés pour les régions correspondantes, difficultés au moins partiellement compensées par l’Etat central qui va créer un « Fonds d’Industrialisation du Bassin Minier » assurant des transferts de ressources.
Des transferts impensables à l’intérieur de la zone euro.
Cette logique fort simple et fort classique est impensable entre pays de la zone euro. Si la France a accepté un taux irréaliste en abandonnant le Franc, elle s’est créée un déséquilibre potentiel qui ne pouvait plus être compensé par une dévaluation ultérieure. Désormais, un transfert est impensable et on ne voit pas pourquoi l’Allemagne financerait la France. La seule solution est donc la dévaluation interne et donc faire pression sur les coûts, en particulier exiger les sempiternelles réformes structurelles. La non réussite de ces réformes - difficultés à faire baisser la pression fiscale, difficultés à baisser le coût du travail, difficultés à réduire l’éventail des services publics et de l’Etat-Providence, se paie d’un déficit budgétaire, se répétant, et engendrant un déficit incontrôlable….A moins d’abandonner l’euro et de procéder à une massive dévaluation permettant le rééquilibrage.
Il est interdit d’en parler…ni même d’y penser.
On sait tous qu’il faudrait retrouver quelque chose comme une monnaie nationale permettant de retrouver la maîtrise d’un taux de change, éventuellement à l’intérieur du cadre d’une monnaie commune. On sait aussi que plus aucune entreprise politique ne propose de sortir de la contrainte de l’euro. La monnaie unique a cessé d’être un enjeu politique depuis très longtemps et donc il est inutile de continuer à répéter qu’il faut en sortir. Le choix de la servitude volontaire est inconscient et admis par l’immense majorité des acteurs. Sa réalité est sublimée dans les sempiternelles réformes structurelles, faces cachées de la dévaluation interne remplaçant la nécessaire et impossible dévaluation externe. Le prix du refus collectif de la dévaluation interne se lit dans ce qui est devenu l’invraisemblable déficit budgétaire d’aujourd’hui.
Comment s’en sortir ?
Bien sûr, le présent texte ne cherche évidemment pas à justifier l’euro. Il ne cherche pas non plus à le vilipender une fois de plus. A l’inverse, il tente d’imaginer une solution de contournement et de déraillement progressif permettant de sortir d’une impasse historique majeure. Et si possible le contournement doit se faire de façon souple, coordonnée et consensuelle. Il n’est pas raisonnable d’ajouter un désordre supplémentaire à un monde déjà fort troublé et fort dangereux.
Couper le nœud gordien est ici plus simplement entrer en dissidence masquée avec les règles du jeu de la finance - règles sacralisées dans les Traités européens - et de rétablir l’autorité de l’Etat. On trouvera dans le présent texte les propositions pratiques autorisant la fin d’une servitude volontaire…. et le départ d’une « politique de l’offre » qui va au-delà du simple discours. Ces propositions s’énoncent en quelques points, parfois un peu techniques, mais nécessaires pour en assurer la complète compréhension.
Un long chemin difficile mais qui n’est pas « chemin de croix ».
1 - Passer par un « trou de souris » et profiter des travaux actuels de modélisation de l’euro numérique de banque centrale (MDBC) pour accélérer sa mise en place expérimentale au sein de la banque de France.
2 - Ouvrir rapidement des comptes numériques au passif de la banque au profit de tous les agents : ménages, entreprises, institutions financières, administrations privées, Etat.
3 - Le compte numérique de chaque agent devient un actif librement utilisable au titre des règlements, économiques et financiers. Les agents qui disposent déjà d’un compte classique à la banque centrale (Trésor et banques) en détiennent désormais un second désigné « compte digital ».
4 - La banque de France est chargée de la circulation de la valeur digitale exactement comme RTE est chargé de la circulation de l’électricité. Toute circulation de la valeur digitale entre les agents passe par des opérations de débit et de crédit laissant inchangé le total du passif de la Banque centrale.
5 - La banque centrale devient, dans ces conditions, un monopole naturel assurant la garantie des opérations et le respect complet des droits de propriété. Les situations de « bank-run » deviennent impossibles et le compte numérique n’est pas juridiquement une dette de la banque envers son titulaire. Parallèllement, la confidentialité des opérations doit être juridiquement garantie.
6 - La Banque centrale est créatrice de monnaie digitale selon des règles et quantités politiquement définies et autorisées. Constitutionnellement, l’instance politique est chargée de maintenir la valeur de la monnaie. A ce titre le montant de création monétaire digitale suit logiquement la variation du PIB. Un gonflement du total du bilan non décidé par le pouvoir politique devient impossible. Il en résulte un frein à l’inflation des actifs financiers et immobiliers avec leurs effets nocifs sur la structure et la répartition des patrimoines entre les agents.
7 - L’Etat créateur de monnaie peut aussi, dans le respect strict de l’objectif de stabilité des prix, décider de la répartition de la création monétaire digitale entre les agents : subvention, baisse d’impôt, aide à l’investissement, etc. Cette répartition est le fait de la banque centrale soumise aux ordres de l’Etat. La banque crédite les comptes numériques des agents visés.
8 - La monnaie digitale n’est pas directement convertible en monnaie classique et réciproquement la monnaie classique n’est pas directement convertible en monnaie digitale. Cette inconvertibilité ne donne lieu à aucune spéculation type loi de Gresham puisque les deux monnaies disposent strictement des mêmes caractéristiques et des mêmes utilités.
9 - L’inconvertibilité ne signifie pas un impossible pont de communication et par exemple l’achat d’un titre de la dette publique en monnaie digitale suivie d’une revente en monnaie classique est évidemment possible : la monnaie digitale reste l’euro avec toutes ses caractéristiques.
10 - Le système bancaire classique demeure – au moins temporairement- ce qu’il est en tant que créateur de monnaie classique : renoncement à l’idée de monnaie pleine, report des délais d’application des nouvelles régulations (FRTB, « output floor »), etc. L’émission monétaire totale est donc l’addition de celle des banques et de celle de la Banque centrale, cette dernière étant elle-même créatrice des 2 monnaies.
11 - Le double compte du Trésor mérite une attention particulière. Son compte classique fonctionne selon la règle traditionnelle : il est le lieu de l’enregistrement des dépenses et recettes fixées dans le cadre de la loi de finance. Son compte digital suppose au moins à terme un appui sur une loi de finance digitale. Bien évidemment s’imposera ultérieurement une loi de finance consolidée, et ce dans la mesure où la monnaie digitale renforcera la puissance de l’Etat, un Etat désormais armé pour lutter contre les effets pervers de l’Euro.
12 - La création monétaire au profit du Trésor vient alléger le poids de la dette publique de marché. On pourrait sans doute aller plus loin et supprimer la totalité du marché de la dette publique mais ici la rupture avec l’orthodoxie serait trop grande et la finance serait totalement déstabilisée. On peut donc se contenter d’une création de monnaie digitale dont le flux viendrait alléger le mur de la dette. De quoi restreindre progressivement le champ d’activité de l’Agence France Trésor (AFT) face à ses « primary dealers » qui, en France, sont les «Spécialistes en Valeurs du Trésor » (SVT).
13 - Désormais existeraient 2 sources au flux d’achats de bons du Trésor : les achats traditionnels par les « Spécialistes en Valeurs du Trésor» ( eux-mêmes pouvant mobiliser leur avoir en monnaie digitale) et plus strictement les achats sur seule monnaie digitale ( entreprises, ménages).
14 - La baisse de pression sur le déficit public connait plusieurs causes : recours affaibli aux SVT, création monétaire digitale au profit des agents (entreprises, banques, ménages). Il devrait en résulter une baisse des taux sans doute contrariée par des opérations de « Carry Trade » qu’il faudrait juguler. Ce qui suppose à terme une régulation restrictive sur les « paris » sur fluctuations de prix.
15 - L’opération monnaie digitale est probablement indolore pour le système financier : il est pleinement associé à l’émission de monnaie digitale et la dette publique, qui est sa matière première de base, ne disparait pas. La spéculation reste assise sur une grande disponibilité de « collatéral » en titres publics.
16 - De fait, la monnaie digitale est d’abord conçue pour suppléer au nécessaire transfert entre pays excédentaires et pays déficitaires et transfert rendu tout aussi bien indispensable (taux de change inadapté) qu’interdit par l’architecture de l’euro zone. Ce faux transfert de « réparation » ou de « compensation » doit être imaginé pour rétablir la compétitivité et donc rétablir l’équilibre de la balance extérieure. Ce transfert nécessaire - pourtant impossible- représente probablement plus de 10 points de PIB, ce qui donne une première idée du périmètre de la monnaie digitale à créer. Bien évidemment la restauration de la compétitivité pourra mettre fin – mais à terme- à la nécessaire monnaie digitale correspondante. A pleine puissance, ce transfert de réparation devrait dépasser le seuil de 300 milliards d’euros de monnaie digitale.
17 - La monnaie digitale est aussi conçue pour réparer un environnement qui ne peut être financé par un endettement porteur d’un intérêt. Classiquement, l’intérêt n’est pensable que parce que l’actif mobilisé est porteur de richesse (investissement en machines et équipements divers), ce qui n’est pas le cas de l’environnement en général. La monnaie digitale est donc aussi la possibilité de créer un financement sans dette. La création de monnaie digitale correspond donc aussi aux lourds travaux de réparation de l’environnement. Le même raisonnement peut être invoqué à propos du financement de la guerre.
18 - L’émission de monnaie digitale passe par une phase expérimentale visant à ne pas brutaliser les « faucons » de l’organisation de Bruxelles : « minage » (au sens du bitcoin) par la banque de France, porte-monnaie électronique distribué à tous les agents et pour un même montant (ménages, institutions financières, entreprises administrations privées, Trésor) sur la base de 100 euros, comptabilité hors-bilan. Le « minage » est établi dans un cadre temporel : 3 mois ? 6 mois ? 1 an ? Vu le nombre total d’agents (environ 30 millions de comptes) cela correspond à une création expérimentale sans dette de 3 milliards d’euros (A comparer avec une masse monétaire actuelle de 3500 milliards d’euros laquelle est contrepartie d’une dette ).
19 - La phase d’expérimentation est suivie dans ses effets : modes de circulation des 100 euros, lieux de concentration/accumulation, élasticité fiscale de la dépense, etc.
20 - Une montée en puissance peut-elle passer par un transfert du « minage » sur le seul Trésor ? Un tel choix, géopolitiquement plus difficile, est techniquement facilité par la puissante et très efficace infrastructure numérique des services fiscaux. Elle est également facilitée par l’utilisation d’une application devenant porte-monnaie sur téléphones portables. Le passage éventuel de l’émission de la banque centrale vers le Trésor change l’architecture générale telle que présentée dans les 7 premiers points de la présente note, mais ne change en aucune façon le résultat. On peut même penser que l’actuel et très officiel travail de réflexion sur un modèle de monnaie digitale de banque centrale (MDBC) devrait associer les services de la banque de France et ceux des services fiscaux.
21 - A échéance sans doute plus lointaine, la très probable concentration du stock de monnaie digitale sur les entreprises, ouvre des pistes de transformation du système productif devant conduire au rétablissement des comptes extérieurs avec comme objectif final la fin d’une dépense nationale issue de revenus qui n’ont pas été produits. Avec l’espoir d’un effacement progressif des effets sociétaux négatifs associés à cet historique décalage et en particulier le rapport des individus au travail. Elle ouvre également des pistes sur la transition environnementale.
22 - Un outil de politique économique concret du transfert de la consommation vers la production est la dévaluation des stocks accumulés de monnaie digitale au détriment des entreprises très importatrices et la réévaluation des stocks de monnaie digitale au profit des entreprises autocentrées ou exportatrices. Le jeu des dévaluations/réévaluations doit mettre fin aux externalités négatives de la mondialisation sous contrainte de l’euro.
23 - Globalement la concentration de monnaie digitale depuis les ménages vers les entreprises doit atteindre plus particulièrement la Grande Distribution, composante sans doute importante de la désindustrialisation. Sans stratégie de recentrage clairement pratiquée, son stock de monnaie digitale devrait être dévalué. La Grande Distribution devra désormais mieux mesurer le coût d’opportunité de l’extension des chaînes de la valeur. A l’opposé, l’industrie de la défense beaucoup plus autocentrée et néanmoins très exportatrice devrait bénéficier de la réévaluation de son stock de monnaie digitale.
24 - L’efficience de l’outil dévaluation/réévaluation est régulièrement questionnée : périmètre et hauteur des dévaluations/réévaluations, mesure du rendement, rythme des opérations et de leur planification, mesure des effets pervers, solutions apportées, etc. A terme, peut-il émerger un dispositif automatique permettant d’éclairer en continu les choix stratégiques des entreprises au profit de la reconstruction du pays ?
25 - Une telle irruption de monnaie parallèle, d’abord à titre expérimental, puis probablement institutionalisé, doit être communiquée et faire l’objet d’une grande attention pédagogique. Plus fondamentalement, il serait important que, dans les Universités et écoles, les économistes mettent fin à la colonisation mentale de la jeunesse et, à ce titre, revoient fondamentalement et en urgence l’enseignement de la théorie monétaire.
26 - Les chances d’institutionnalisation du dispositif dépendent aussi de l’attitude des « faucons » face à l’exploitation d’un « trou de souris » par la France. Ces derniers auront à mesurer le coût d’opportunité de l’utilisation du dispositif de sanction européen. Faut-il renouveler sur une base très élargie le « Next Generation EU » que l’on découvre dans le nouveau plan Draghi, plan jugé inacceptable par les « faucons », ou bien laisser monter un dispositif qui fondamentalement rend l’euro fonctionnel. Précisément, le trou de souris pourrait s’élargir dans le cadre des débats qui semblent s’ouvrir à propos du diagnostic qui fonde le rapport Draghi.
Un peu de lumière au bout du chemin.
- Il est à l’interne politiquement acceptable car l’Etat peut jouer le jeu de la défense d’une finance qui, jusqu’ici, semble vivement s’inquiéter de l’énorme risque de la MDBC telle qu’elle semble se construire aujourd’hui. La monnaie digitale est en effet une rupture technologique potentiellement révolutionnaire de toute l’organisation bancaire, avec potentiellement la possibilité de remplacer toutes les banques par un monopole celui de la banque centrale. Situation plus ou moins comparable avec ce qui s’est passé après la seconde guerre mondiale dans l’industrie de l’électricité avec la disparition de centaines d’entreprises au profit d’un EDF fonctionnant à rendements croissants. Idéologiquement, la finance menacée par une technologie disruptive peut rechercher la béquille d’un Etat bienveillant. Le projet peut donc apparaître rassurant et ne pas « soulever les marchés ». Bien évidemment la rupture technologique suppose une grande attention à certains de ses effets en particulier toutes les entreprises directement liées à la logistique monétaire: Cartes Bancaires, infrastructures de marché,etc.), mais aussi les risques associés en termes de cyberattaques qui justifient parfois un nouvel intérêt pour le cash ( par exemple les pays nordiques qui craignent l'impérialisme russe).
- Il est au niveau bruxellois acceptable : l’euro reste la monnaie de la zone et les faucons n’ont plus à se battre contre des emprunts européens risquant de devenir des transferts réels de ressources depuis les fourmis vers les cigales. De quoi aussi rétablir un climat de confiance au niveau de la finance mondiale. Mais aussi de quoi intéresser la finance européenne et le régulateur européen qui ne verrait (sauf accompagnement d’une mesure brutale par l’Etat français type imposition d’une monnaie pleine) aucune limite à la capacité des banques à prêter.
- Il est au niveau géopolitique d’un intérêt majeur : il permet un financement sans dette des investissements de réparation/conservation de l’environnement, des investissements d’infrastructures nécessaires au développement et des investissements dans le domaine de la défense et des réparations de guerre. Dans un futur sans doute plus lointain, le dispositif pourrait devenir instrument de « géofinance » à l’instar de l’utilisation du dollar américain dans la politique internationale américaine.
- Il est au final la solution à la grande contradiction historique au cœur d’une culture française : celle de l’articulation du fonctionnement des marchés politiques d’une part, à celle des marchés économiques, d’autre part. De façon quasiment pluriséculaire, le fonctionnement des marchés politiques - animé autour de la sacralité de l’Etat- élargit le périmètre de l’Etat-Providence, tandis que celui des marchés économiques tend à le comprimer. Historiquement, la contradiction était levée par la dévaluation externe régulièrement répétée (Quatrième République et une bonne partie de la cinquième, marquée à sa naissance par 2 dévaluations massives). L’euro vient interdire ce mode de régulation et le fonctionnement contradictoire des deux marchés se solde dans l’attrition de la production, la dégradation des services publics, et la fuite vers une dette à élargissement continu. Le « mode de vie français » - sous le régime de la monnaie unique- débouche mécaniquement sur un étranglement des entreprises et une dette abyssale. La solution de monnaie parallèle numérique réintroduirait le premier type de régulation avec le retour de la « production », la fin de la « dette », et l’acceptation de la « culture française ».
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