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1 novembre 2024 5 01 /11 /novembre /2024 08:39

 

                                         

La présente note fait suite à la première qui développait le contenu de ce qu’on appelait « monnaie numérique de banque centrale »[1]. Après avoir évoqué les potentialités de ce qu’on appelait une technologie de rupture, le texte qui suit s’interroge sur l’incapacité d’une Assemblée nationale qui continue à raisonner dans un contexte aujourd’hui dépassé.

Il s’agit dans cette nouvelle note de prendre conscience du caractère hors-sujet des débats budgétaires de cet automne. Ces débats sont à L’Assemblée Nationale des tentatives de difficile navigation entre dette et impôt à l’intérieur d’un territoire balisé par des normes ou barrières. Parmi ces dernières, on notera plus particulièrement la notation de la dette publique par des agences (Fitch, Standard § Poor’s, Moody’s, etc.), ou le « spread de taux » au regard notamment de la dette allemande, ou du risque de sanctions européennes pour non-respect des règles.

C’est au final par le biais de ces menaces ou sanctions que le débat se trouve totalement « ancré » dans un cadre que l’on juge à priori indépassable. On peut certes discuter des modalités de l’impôt en imaginant par exemple, par le biais d’une foule d’amendements, de nouveaux outils voire continents fiscaux. On peut certes aussi imaginer des réductions de dépenses par le même biais. On peut même davantage tirer la corde et imaginer l’allongement de la dette jusqu’à la faire devenir perpétuelle… Mais il est impensable pour tous les parlementaires de raisonner en dehors du cadre et ce à priori sans exception.

Ce cadre est lui-même une base épistémologique pour ce qu’on appelle la science économique, laquelle formulera, à partir de modèles, les conséquences de tel ou tel choix à l’intérieur du dit cadre. L’ancrage dans l’espace ainsi défini devient le lieu d’exercice de la raison que les députés, quel que soit le parti, sont censés respecter et pratiquer. De la même façon qu’à l’époque du système de Ptolémée, il n’était guère question d’accepter des astronomes faisant tourner la terre autour du soleil, il n’est pas question de voir à l’Assemblée Nationale des députés mettant en doute la nature de ce qu’on appelle « la dette » ou « l’impôt ».

C’est dire qu’au travers des discussions existe un certain unanimisme avec des débats souvent  improductifs. Ils sont mêmes devenus totalement inutiles car les modèles basés sur l’épistémologie sus visée révèlent qu’ils auront pour effet des prises de décision faisant disparaître la très faible croissance, et donc faire disparaître toute idée d’amélioration du rendement d’un impôt devant réduire l’ampleur de la dette[2]. L’exercice de la raison à l’intérieur du cadre permet de mettre en doute le cadre lui-même.

Un « ancrage » fort ancien

Ces débats improductifs sur la dette et l’impôt sont évidemment très anciens. Pensons, par exemple, à notre dix-huitième siècle avec les dettes publiques laissées depuis la fin du règne de Louis XIV, dettes ingérables qui vont marquer le siècle, très loin au-delà de la Révolution de 1789. Si, à l’époque, cet Etat puissant qu’était la France, avait eu encore la possibilité de battre monnaie à partir de mines d’or totalement contrôlées, l’enfantement de la dette pouvait devenir impensable… à la réserve près que le royaume de France pouvait aussi dériver vers le simple bullionisme espagnol, ce qui suppose un projet réel de développement et l’abandon de la rente. En clair, une réalité anthropologique adaptée à ce qui sera plus tard la croissance, un contexte très éloigné de cette réalité dans le royaume espagnol (cf l’expulsion des juifs de 1492), et contexte beaucoup plus favorable dans l’ancien régime français y compris après l’abolition de l’Edit de Tolérance (1685).

 

Dans ce cadre ou ce type d’ancrage , celui de l’émission monétaire par l’Etat, il n’y a pas de dette publique et le statut de l’impôt se trouve métamorphosé. Dette et impôt ont un certain sens dans un monde où la centralité monétaire est perdue. Ils en disposent d’un autre dans un monde où l’Etat  bénéficie de la centralité monétaire. Tout est question d’ancrage et il serait bon que les parlementaires en aient conscience.

La dette publique disparait tout simplement parce que l’Etat est aussi banque centrale : il gère sa dépense publique à partir de la monnaie qu’il crée et à partir de la monnaie qu’il capte par voie fiscale. Maintenant, l’impôt reste bien sûr un prélèvement mais son montant est fixé par le volume de la base monétaire que l’Etat entend établir compte tenu de la volonté de briser tout risque inflationniste. L’impôt est bien davantage qu’un prélèvement, il est aussi instrument de siphonage des excès de liquidités impulsés par une dépense publique possiblement excessive…un tout autre monde que celui dans lequel nos députés raisonnent. Et un tout autre monde en terme de maîtrise ou de construction d’un avenir politiquement décidé.

Hélas, la France de l’ancien régime, avait perdu depuis très longtemps, comme la plupart des autres Etats, la centralité monétaire. L’Etat, créancier par nature, (il taxe ses sujets) était devenu lui-même endetté depuis fort longtemps car il était historiquement devenu incapable de créer la base monétaire qu’il imposait à ses sujets. Il était, très longtemps auparavant (cités grecques par exemple), banque centrale. Il n’était plus dès le grand siècle et n’est plus aujourd’hui qu’Etat devant, comme tous les agents, tenir une comptabilité de ses recettes et de ses dépenses. Travail que font les députés aujourd’hui, à l’intérieur du cadre dont ils ne perçoivent pas qu’il repose sur une base monétaire qui pourrait être aujourd’hui fort opportunément radicalement dépassée.

Un nouvel ancrage plus sérieux que dans les expériences passées

Les députés de notre Assemblée ne savent pas qu’ils disposent aujourd’hui d’un outil monétaire potentiel autrement plus sérieux que le « système de Law » de la Régence de Philippe d’Orléans ou que les « Assignats » de la Révolution. Cet outil est la monnaie numérique de banque centrale. Si les députés étaient davantage au courant des travaux de la Banque de France, travaux portant sur des expérimentations de monnaie numérique devant remplacer la monnaie fiduciaire, ils seraient probablement invités à réfléchir sur ce qui est une opportunité historique. En particulier, il serait intéressant que les parlementaires tentent de faire évoluer le dispositif en réflexion vers au moins un début de recentralisation monétaire. Bien évidemment, cela suppose de bien connaître les dispositifs européens chargés d’interdire radicalement toute tentative de recentralisation… pour bien les contourner….

Les députés doivent se saisir de la technologie monétaire de rupture

 L’Ancrage actuel des débats parlementaires ne laisse aucun espoir sur les moyens d’une diminution de la dette, sur ceux du rétablissement des services publics, ceux du sauvetage de la nature, ceux d’une réelle politique industrielle, etc. Il en va de même pour la plupart des Etats du monde[3]. Ce même ancrage parce que purement comptable (diminuer les dépenses et augmenter les recettes par tous moyens et bien sûr en respectant l’article 40 de la Constitution… sans trop se soucier de principes de bonne gestion) ne permet pas de se poser sérieusement des questions fondamentales : Comment favoriser le capital productif ? Comment orienter une épargne qui, en France, veut fondamentalement rester liquide ? Comment faire naître des fonds de pension de capacités mondiales ? Comment ranger ce qui relève plutôt de l’endettement et ce qui relève plutôt de l’impôt ? Comment cesser de favoriser des produits de taux ? etc.

Il serait temps de faire basculer l’ancrage des débats parlementaires en profitant de la rupture technologique offerte par la perspective d’une monnaie digitale de banque centrale. Bien évidemment, ce basculement doit se faire par étapes, mais il est fondamental de voir le parlement s’équiper d’une réflexion de fonds : le rétablissement de la centralité monétaire. Aujourd’hui, aucun parlementaire ne se risque vers ce basculement d’ancrage. Les causes sont probablement nombreuses et seront évoquées dans une prochaine note. Toutefois, l’une d’entre elles parait essentielle : la construction européenne a éloigné tous les décideurs du champ de la réflexion monétaire. Pour le législatif comme pour l’exécutif, il n’y a plus à s’intéresser à la banque centrale devenue jalousement indépendante ; il n’y a plus à s’intéresser au taux de change, réalité devenue hors du champ politique ; il n’y a plus à s’intéresser au robinet monétaire des banques devenues dépendantes de règles extérieures au champ politique ; il n’y a plus à s’intéresser à la finance qui se régule à Bâle ou à Bruxelles, etc. En sorte que le travail de construction de la loi budgétaire n’est plus qu’une très étroite affaire de recettes et de dépenses en principe sous contrainte d’optimisation et de bonne gestion… Avec probablement les applaudissements et rires de ceux des acteurs qui, dans un tout autre monde, se sont construits leur propre centralité monétaire, à côté des Etats, et qui sont devenus de gros Etats au-dessus des Etats classiques : les géants du numérique… en train de se construire un parc nucléaire… objectif inaccessible pour le budget français… Avec aussi probablement les applaudissements et rires d’Etats en résurrection (BRICS) qui cherchent, même très difficilement, à mettre en place une nouvelle centralité monétaire sur la base de monnaie digitale commune. De ce point de vue nous invitons le lecteur à suivre les décisions du sommet de Kazan avec la mise en place de "BRICS Clear" qui prévoir la naissance  de monnaie numérique tenue par la Nouvelle Banque de Développement.

Le retour vers au moins un début de centralité monétaire ne sera pas chose facile et il faudra d’abord que les parlementaires aient une claire vision de la puissance de la résistance qui s’y opposera. Cela passe par une bonne connaissance de l’objet monnaie, de fait sa nature profonde, jamais évoquée par les économistes, et réalité  que nous tenterons de présenter dans une prochaine note. Son titre sera : « Un combat politique pour corriger l’ADN méconnu de la monnaie ».

 

                                                                                         Jean Claude Werrebrouck

 

[2] Le multiplicateur budgétaire en France est aujourd’hui de 0,7. Cela signifie qu’une diminution de déficit de 2 points de PIB signifiera une réduction de croissance de 1,4 points…soit une totale disparition de la croissance avec ses effets sur les rentrées fiscales…A moins qu’une réduction de l’épargne vienne surcompensée l’effet récessif de la diminution du déficit. Rester à l’intérieur de l’ancrage est donc catastrophique.

[3] Le cas américain est emblématique. Le Congressional Budget Office (CBO) Considère que la trajectoire de la dette américaine va rapidement entrainer des charges d’intérêts dépassant les plus gros postes budgétaires du pays. Ils dépassent déjà en 2024 le budget de la défense : 882 milliards de dollars contre 874 pour la défense.

 

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