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24 décembre 2024 2 24 /12 /décembre /2024 09:59

La grande presse évoque souvent la nécessité de retrouver le plan Pinay- Rueff dont on dit qu’il fut à l’origine du rétablissement de la France. Nous tenterons de montrer dans le présent texte que la situation, certes difficile de la France en 1958, n’a strictement rien à voir avec celle d’aujourd’hui.

Photographie rapide des contextes.

D’une certaine façon, il est en 2025 des préoccupations financières qui ressemblent à celle de 1958. Ces manifestations concrètes, essentiellement un déficit budgétaire important associé à un déséquilibre extérieur, se déroulent toutefois dans un contexte différent. En 1958, l’Etat-providence n’est pas encore ce qu’il est devenu aujourd’hui. A cette époque, c’est l’Etat régalien qui alourdit le déficit avec des dépenses militaires fortement croissantes en raison de la guerre d’Algérie (entre 6 et 7 points de PIB). Le plan de Constantine qui vise à mettre au niveau de la métropole les départements français d’Algérie viendra considérablement alourdir les perspectives de dépenses. Les choses sont difficilement quantifiables de façon sérieuse mais le plan de Constantine lancé par le général De gaulle en octobre 1958 représentera probablement 2 points de PIB jusque 1961. Par contre les dépenses sociales sont encore très réduites et par exemple les charges liées aux retraites sont quasi inexistantes en raison d’une espérance de vie égale à l’âge de départ à la retraite (65 ans). Signalons aussi qu’à l’époque il y a sur emploi et que les entreprises sont privées des classes d’âges qui sont mobilisées en totalité sur des services militaires de trente mois en Algérie. Le chômage n’existe pas, alors qu’il est simplement masqué aujourd’hui par des dépenses publiques colossales (cf par exemple les effets d’aubaine sur l’apprentissage ou les charges salariales allégées)

Au-delà de la grande différence dans les pondérations entre Etat Providence et Etat social dans la comparaison 1958/2025, nous avons une situation comparable avec un déficit de 5 points de PIB et déséquilibre commercial de 2,4 points pour 1958 (respectivement 6,1 et 3 pour 2025). Le plan Pinay, adopté fin décembre 1958, sera finalement assez classique et assez comparable avec  ce qui pourrait être un plan Bayrou en 2025 : baisse des subventions aux entreprises publiques de l’époque, fin généralisée des indexations et donc des majorations salariales automatiques, réduction des pensions militaires, hausse de la fiscalité y compris l’impôt sur le revenu et la fiscalité d’entreprise laquelle va engendrer une baisse des marges. Le plan entrainera mécaniquement un effet dépressif, mais un effet fort limité : la croissance du PIB déjà en ralentissement en 1958  se montera néanmoins à 2,7% en 1959. De quoi en rêver aujourd’hui.

Rien de comparable par conséquent avec la séquence qui s’ouvrirait avec un plan Bayrou semblable lequel devrait se dérouler dans un contexte de croissance proche de zéro. Il est vrai que le plan Pinay – Rueff s’inscrit dans les trente glorieuses et que dès l’année 1960 nous retrouvons des taux de croissance moyens de 5% avec même 8% pour l’année 1960.

Construction/valorisation d’une monnaie en 1958 et cage monétaire en 2025

Si l’on évoque encore aujourd’hui un plan Pinay- Rueff qu’il faudrait réinventer on oublie le plus souvent la variable monétaire.  Alors que le plan de décembre 1958 était l’objet d’une réinvention de la monnaie nationale  dans un espace de souveraineté, l’éventuel plan Bayrou n’évoquera en aucune façon le paramètre monétaire lequel n’est plus dans l’espace de souveraineté. Au mieux le plan Bayrou parlera d’un travail qui se réalisera sous la « protection de l’euro ».

En 1958, les monnaies européennes ne sont pas encore convertibles et la monnaie internationale, le dollar, est encore rare en raison du fort suréquilibre de la balance américaine. Nous sommes encore dans la période du « dollar Gap ». C’est dans ce contexte que les Etats européens ont mis en place une bourse d’échange de monnaies dans ce qu’on appelait à l’époque une « Union Européenne des Paiements » (UEP). Dans ce cadre, la France était régulièrement en difficulté en raison de son déficit extérieur. La règle voulant que l’Etat déficitaire solde -à intervalles réguliers- son compte en or, il devait s’ensuivre une division par trois des réserves de change de la France entre 1956 et 1958. Cette situation correspondait au vrai problème du pays qui devait dévaluer régulièrement avec en particulier une dévaluation «Félix Gaillard » de 20%  au moment de l’arrivée au pouvoir du général De Gaule. N’entrons pas dans le détail (réescompte jugé trop facile, sélectivité du crédit, etc.), mais précisons que la France était accusée de trop monétiser son déficit par le biais d’une banque centrale trop dépendante de l’exécutif. D’où l’appel dans des conditions dramatiques au FMI lequel accordera un prêt de 130 milliards de dollars et des conditions qui iront jusqu’à un humour grinçant : contestation de la politique algérienne de la France, mise à disposition d’un bureau au siège de la Banque de France au profit du directeur général du FMI, etc.[1]

C’est dans ce contexte que sera pratiqué un plan Pinay- Rueff qui débutera par une seconde dévaluation de 17,4% le 28 décembre 1958, et le lancement du franc fort convertible ( 1 nouveau franc = 100  anciens francs) A la fin de l’année 1959, le prêt du FMI est en totalité remboursé.

Comprenons bien que le succès résulte de la surcompensation  des effets récessifs du plan -baisse programmée des dépenses et pression fiscale accrue- par les dévaluations externes. Le plan est naturellement récessif et se trouve être une dévaluation interne : La France, avec notamment sa politique algérienne,  vit au-dessus de ses moyens. Mais la dévaluation monétaire, donc la dévaluation externe rétablit sa compétitivité. L’effet récessif du rétablissement de l’équilibre budgétaire est compensé par une demande globale croissante correspondant à davantage de demande étrangère et moins de demande nationale d’exportations étrangères.

Au final le plan Pinay- Rueff était chose facile : pas de cage monétaire et au contraire utilisation de la monnaie pour rétablir la souveraineté. Dès 1959, les capitaux disparus bénéficient de l’effet d’aubaine de la dévaluation en s’investissant en France, d’où le remboursement rapide du FMI. A l’inverse du plan Pinay- Rueff, le plan Bayrou ne pourrait être que très difficile : L’Euro nous protège dans une cage dont il est impossible de sortir. La dévaluation interne devrait  peser de tous ses effets et la dépression risquerait d’empêcher le rétablissement des comptes. Le caractère hors-sol de ce qui sera probablement le plan Bayrou sera amplifié par le blocage déjà constaté des grandeurs économiques fondamentales telle l’investissement ou la consommation.

Polarisation soulagée en 1958 et polarisation renforcée en 2025.

1958 et 2025 sont des années de forte polarisation politique avec d’un côté, l’effondrement de la quatrième république au regard de la crise algérienne et de l’autre, l’incapacité politique radicale à réguler une mondialisation elle-même en recomposition. Il existe toutefois une grande différence. En 1958 on peut  - certes très temporairement-  prolonger l’Algérie française par le biais d’un plan de Constantine dont le coût ahurissant peut bizarrement s’intégrer dans un plan Rueff, certes officiellement plan d’austérité, mais plan fortement surcompensé par des dévaluations massives. A l’inverse, en 2025, la polarisation politique ne peut que se prolonger car il n’existe pas de porte de sortie : Aucune dévaluation n’est à la portée de ce qui reste du pouvoir politique. Il n’existe pas de solution externe, pas d’échappatoire au débat très polarisé sur la réforme des retraites. Le refus d’une réforme est intégralement payable sur les marchés : alourdissement du déficit extérieur comme celui du budget public. En 1958 la folle transformation d’une Algérie coloniale devenant pleinement la France n’était pas payable sur les marchés, mais la non réforme des retraites aujourd’hui serait pleinement sanctionnée par ces mêmes marchés.   La cage euro protège mais elle est aussi la prison qui renforce les effets de la polarisation, avec cette impression de cohésion sociale devenue impossible. Alors que la polarisation peut être très temporairement soulagée (moins de deux années) tout en maîtrisant les questions budgétaires en 1958, la polarisation politique ne peut – en 2025- que se renforcer en se cognant sur le mur indépassable de la dette. La survie politique  en 2025 ne peut que signifier davantage de dette. Et déjà on annonce, non plus un déficit final de 6,1 points de PIB pour 2024, mais un déficit de 6,4 points. Et déjà le plan de souscription de dettes nouvelles par l’Agence France Trésor (300 Milliards d’euros pour 2025) est reconnu insuffisant. Le budget 2025 confirmera l’incapacité radicale à réduire le déficit.

Resterait à imaginer l’impossible : une  politique monétaire ambitieuse - et à tout le moins non conventionnelle  - comme celle des transferts monétaires directs aux ménages par le biais de la BCE. Mais nous serions dans un tout autre monde. Un monde pourtant -très curieusement- déjà imaginé par quelques  économistes de la London School of Economics[2]. Rupture épistémologique ?

Rassurons- nous : l ’Etat profond français reste très éloigné de tout risque de rupture épistémologique.


[1] Sur toutes ces questions nous renvoyons au travail de Florian Strehaiano :

https://www.sciencespo.fr/public/sites/sciencespo.fr.public/files/STREHAIANO%20Florian-%20M%C3%A9moire%20EAP.pdf

[2] Cf l’article « Préparons l’hélicoptère monétaire » du professeur Xavier Jaravel publié dans les Echos du 14 décembre dernier.

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