La gestion de la crise des années 2010 : Grand retour de l'Etat ou utopie post politique?
C'est semble t-il la question posée par Pierre Dardot et Christian Laval dans leur essai sur la société néolibérale : « La nouvelle raison du monde » (La Découverte , Janvier 2009). La question est sans doute dans l'air du temps et dans la plupart des pays on ne parle plus que du grand retour de l'Etat.
Et cette interrogation est essentielle pour qui veut comprendre en profondeur ce qui nous attend dans la gestion de la crise des années 2010 et son issue. Le diagnostic de la crise est maintenant assez bien établi. Ce qui l'est moins est le point de départ. S'est 'elle déclenchée dans un univers déréglementé, ou, au contraire, dans un univers encore très largement keynésien ?
Utilisons la grille classificatoire de F Hayek pour répondre à cette question. Comme on le sait, ce prix Nobel de sciences économiques a construit une théorie des ordres sociaux dans laquelle il oppose classiquement les ordres où le mode de coopération dominant entre les hommes est la hiérarchie, d'une part , et les ordres où ce même mode de coopération est le marché, d'autre part.
L'irréalité des ordres purs.
Ce sont les règles fondamentales du jeu social qui distinguent ce qu'il désigne par les expressions « d'ordre organisé » et « d'ordre spontané ».
Dans le premier cas, celui de « l'ordre organisé » ces règles fondamentales sont finalisées, c'est-à-dire chargées de sens, et sont invitation, à construire un monde jugé souhaitable (construire l'égalité, la paix universelle, le socialisme etc.). C'est dire aussi que constructrices d'ordre qui est lui même une finalité précise, un souhaitable, voire un devoir, ces règles fondamentales seront aussi très prescriptives : elles précisent ce qu'il faut faire et comment il faut faire. Sans doute le droit est-il codification des gestes des hommes, mais ici ces derniers sont pris par la main et les règles les conduisent sur le chemin de la construction de l'ordre. Et puisqu'il y a un but, ces règles sont probablement émises par un pouvoir qui connait l'objectif à atteindre. L'ordre est ainsi probablement équipé d'un capitaine, qui sait où il va, et qui sait adapter les règles pour atteindre les objectifs. Ainsi ces règles ont t'-elles probablement été émises par un véritable centre de commandement qui contrôle leur application et qui est capable de les changer, ou de les faire évoluer, en fonction de la conjoncture.
Toute autre est la nature des règles fondamentales de l'ordre spontané. Les règles n'ont pas à dire ce qu'il faut faire, mais à l'inverse elles procurent des espaces de liberté : elles ne sont pas prescriptives, mais simplement limitatives et prohibitives. Limitation et prohibition qui ne sont que les espaces de liberté de l'altérité. Et puisque la liberté est au centre du système, les règles ne sauraient être finalisées : l'ordre n'a pas de fin, et n'est que moyen pour des fins particulières, c'est-à-dire celles de ses acteurs. Maintenant l'ordre connait un capitaine qui n'est que le serviteur des règles : il ne les dominent pas et ne sont pas l'outil de son pouvoir. C'est la raison pour laquelle lesdites règles, sont probablement intangibles et qu'il ne peut les changer. On comprendra enfin que ces règles de l'ordre spontané disposent d'un socle commun : le droit de propriété perçu comme l'un des tous premiers droits de l'homme. La propriété est ainsi bouclier protecteur et règle constitutive de liberté.
Bien évidemment les ordres hayékiens sont des types purs que l'on ne rencontre dans la réalité que sous des formes bâtardes. Concrètement, une nation ou un continent est une combinaison des deux types avec dominante de l'un d'entre eux. La mondialisation, en particulier financière, est t'-elle une forme d'ordre proche de l'ordre spontané ? Si tel est le cas, on pourrait interpréter la thèse à la mode du grand retour de l'Etat, comme le passage de l'ordre spontané vers un ordre organisé. Et partout, depuis le déclenchement de la crise, on entend le même discours : on ne peut faire confiance au marché qui ne peut- désormais- que fonctionner sous la férule de ce grand architecte qu'est l'Etat. Et, simultanément ,on entend les libéraux dire à quel point nous sommes dans l'erreur : le catalyseur de la crise, est historiquement le trop grand interventionnisme de l'Etat américain, notamment dans la question des prêts hypothécaires. Et donc, il ne faut pas en rajouter, en demandant le grand retour d'un l'Etat qui aurait ainsi, déjà suffisamment pollué l'ordre spontané.
La réalité de la réalité : la complexité.
De fait l'humanité n'a probablement jamais connu d'ordre spontané relativement pur. Même les ultra libéraux, sont obligés d'admettre que nombre de règles, furent générées par une instance dont on explique qu'elle est issue du marché, mais qu'elle est elle-même un ordre organisé : l'Etat. Ce dernier, selon la pensée ultralibérale n'est que le résultat involontaire de la coopération volontaire, et marchande, entre les hommes. De ce point de vue les ultralibéraux sont proches de Marx : cet ordre organisé qu'est la société incorporant un Etat, relève d'un processus d'aliénation. L'Etat reste fondamentalement une entité étrangère aux hommes. L'Etat n'était pas désiré : il est arrivé comme résultante inattendue de la coopération marchande. Au cœur de l'humanité il y aurait le marché auto- régulateur, malheureusement cette autorégulation, a débouché historiquement sur une mutation génétique engendrant l'Etat. L'objet du présent texte n'est pas de critiquer la théorie ultralibérale et d'en proposer une autre. Il est à l'inverse, de voir en quoi une telle vision du monde a pu devenir une fausse prophétie auto réalisatrice qui anime encore nombre de théories économiques, lesquelles sont présentement candidates au statut d'outil providentiel de gestion de la crise.
La mutation génétique à provoqué la naissance de l'ordre mixte : spontané/organisé. Dans la sphère juridique, sur un plan empirique, cela donne par exemple en France le dualisme droit privé/droit public. La majorité des écoles de pensées économiques - et ce même en dehors de la pensée ultralibérale, a largement mis à l'écart le pôle organisé de l'ordre mixte : théorie de la main invisible ; théorie de la faillite des marchés, public choice et anticipations rationnelles , etc. Niant ainsi, ou minimisant, ou à tout le moins critiquant, la réalité empirique : l'Etat n'a pas toujours été le complément du marché ; il édicte des règles à l'encontre du plein épanouissement de l'échange marchand et intervient sur nombre de marchés avant même la naissance de Keynes ; il limite le champ des droits de propriété et se trouve au cœur de l'échange en utilisant son pouvoir monétaire ; etc. Il faut d'ailleurs reconnaitre qu'ici, la pensée ultralibérale jouit d'une capacité explicative du réel, plus conséquente que celle d'autres écoles de pensée: l'Etat est une instance qui permet à certains groupes de briguer des objectifs privés, plus difficiles à atteindre en respectant le marché. Le politique devient un substitut du marché, et les groupes les plus divers utilisent la contrainte publique (les règles de l'ordre organisé) à des fins privées (fins jugées inaccessibles par le jeu des règles de l'ordre spontané, c'est-à-dire les règles du marché). De ce point de vue, la France fût et reste un magnifique exemple de cette demande d'Etat, voire de son accaparement, par des groupes qui par ailleurs n'hésitent pas à le vilipender en déifiant le marché autorégulateur. D'une certaine façon, il est des situations où l'ordre, qu'il soit spontané ou organisé se nourrit de son contraire. Nous reviendrons ci-dessous sur cette dernière idée.
L'ordre de la mondialisation : l'inversion de la fable du pêcheur et du phare.
Dans cette vision des choses, le passage à la mondialisation financière est la nouvelle forme d'utilisation du politique à la réalisation d'objectifs privés : les règles de l'ordre organisé sont devenues trop étroites, et si l'Etat de droit était devenu un monopole à conquérir pour conquérir des avantages privés, il faut aujourd'hui casser le monopole devenu trop étroit : le marché mondial, est devenu pour certains groupes, plus avantageux que le confinement dans l'ordre organisé antérieur. C'est, par exemple, la fin du capitalisme à la française et le passage à l'internationalisation des entreprises du CAC40.
C'est probablement de cette façon qu'il faut lire, au cours des années 80, le démantèlement des espaces monétaires nationaux ,avec des marchés des changes, qui deviennent d'authentiques marchés de la marchandise monnaie, qu'il faut assurer par la finance ; avec la libre circulation du capital ; avec la fin de toute forme de contrôle des changes. Mais la mondialisation ne peut n'être qu'une œuvre de déstructuration des Etats. Répétons que l'ordre organisé, qui n'est selon la vision ultralibérale qu'un lieu où chacun est à la fois voleur et volé , est à la fois travaillé par les groupes qui veulent plus de marché libre ou réputé libre, et les groupes qui exigent le maintien, où la production de nouvelles règles organisatrices de protection , et d'avantages de toutes nature. Il est également tout aussi clair que des ordres organisés vont utiliser les règles de cet ordre spontané naissant à l'échelle planétaire - la mondialisation- pour ne pas jouer clairement le jeu des droits de propriété (refus de la complète libéralisation des mouvements de capitaux en Chine par exemple). C'est la raison pour laquelle, nous disions que la gestion de la mondialisation était aussi difficile que de construire un cercle carré. En effet, beaucoup d'acteurs, voire et surtout ces ordres organisés de plein exercice que sont les Etats, voudront goûter aux délices de la déréglementation (l'ordre spontané) planétaire, tout en conservant les avantages de l'ordre organisé qu'est l'Etat-nation. C'est probablement vrai du couple « Chimérique » déjà évoqué.
Nous retrouvons du reste ici une nouvelle version de la théorie des marchés défaillants ( ordre spontané) illustrant la nécessité des biens publics (ordre organisé). Ainsi celle de la fable- que l'on trouve dans les manuels de sciences économiques- du phare (bien public émergent) et du pêcheur pressé de rentrer au port . Parce que l'ordre spontané est défaillant- les caractéristiques du produit empêchent de faire naître la marchandise lumière- un phare ne sera jamais construit, d'où l'irruption de l'ordre organisé pour le construire sans passer par le marché. Simplement, la problématique est ici renversée : ce sont des Etats qui sont à la place des pêcheurs pour demander non pas de l'ordre organisé (la réglementation de la mondialisation) mais pour exiger plus de marché (plus de liberté) . Et de la même façon que les pêcheurs veulent continuer à bénéficier de l'ordre spontané, malgré l'irruption du phare en tant que bien public, des Etats nations et leurs représentants voudront conserver leur ordre organisé tout en bénéficiant de l'ordre spontané de la mondialisation. Il est des situations où l'ordre organisé se nourrit de son contraire.
On comprend mieux pourquoi la mondialisation consistait à faire émerger un cercle carré : elle est assez bien peuplée de « free riders » qui peuvent se déclarer par ailleurs très keynésiens. On comprend aussi pourquoi la gestion de la crise financière verra l'irruption de nouvelles réglementations : il s'agit, à tout le moins, de faire reculer ce que l'on croit être l'ordre spontané planétaire. De quoi faire en sorte que l'on puisse construire un cercle sans trop passer par le carré.
Gestion inacceptable de la crise, diront les libéraux et ultralibéraux, rejoints en cela par les tenants de certains ordres organisés, qui se lovaient dans les délices de l'ordre spontané planétaire .Comme le pêcheur qui ,satisfait que le phare soit finalement construit , exigeait aussi le report des charges fiscales correspondantes , sur des citoyens non pêcheurs . Concrètement, un certain nombre d'Etats, parfois très keynésiens verront très mal un recul de la mondialisation libérale. Ce colossal ordre organisé qu'est la Chine, est-il prêt à revoir sérieusement son taux de change ? Ce non moins colossal ordre organisé, revêtu des habits des ordres spontanés, que sont les USA, est- il prêt à diminuer, sérieusement, ses dépenses militaires partiellement financées par la Chine ?
Retour triomphal de Keynes ou banal maintien de l'ordre public ?
Les libéraux croyaient voir dans la mondialisation le plein épanouissement de la liberté et suivaient en cela l'utopie hégelienne de la fin de l'histoire chère à Fukuyama. Ils voyaient surtout la fin du politique, et de ce qu'il représentait : l'ordre organisé. Ils souffrent sans doute aujourd'hui de voir, ceux d'entre-deux en charge de la gestion de la crise, c'est-à-dire des gouvernements, se transformer en dociles mécaniciens keynésiens. Souffrance accrue du fait que leur propre explication de la crise, ne semble guère écoutée des nouveaux mécanos de la tuyauterie keynésienne. Pour autant, qu'ils se rassurent : le grand retour de l'Etat n'est pas celui de keynes et les mécanos ne cherchent pour le moment, qu'à maintenir l'ordre public partout où c'est encore possible. Le processus de deleveraging est loin d'être terminé et pouvait mal se terminer : l'effondrement monétaire planétaire. Par les garanties prises dans la hâte , par les recapitalisations...peut-être par les nationalisations partielles ou totales, partout dans le monde, les mécanos ont réussis , et continuent de réussir , à empêcher le retour de la barbarie. Qu'ils en soient remerciés. Il est d'ailleurs étonnant, que la littérature n'ait jusqu'ici jamais évoqué le risque de retour de la barbarie dès l'automne 2008. Les choses sont pourtant évidentes : que se passe-t-il dans un ordre spontané, donc un ordre marchand quand l'outil assurant l'échange paisible, c'est-à-dire la monnaie disparait ? L'effondrement du système bancaire signifiait, sans les mécanos, la fermeture des banques... et les émeutes et pillages résultant de l'impossibilité d'échanger. Aujourd'hui, même si le système bancaire s'effondre partout, les guichets des banques resteront ouverts, et au moins pour ce qui est du court ou moyen terme , la vie continuera. Les libéraux à la tâche, ceux de nombre gouvernements, ont dans la hâte veillé à l'essentiel : le maintien de l'ordre public, par le maintien - même artificiel- de la ronde des échanges. Ils ne sont pas nécessairement keynésiens et rêvent encore du passage mythique des ordres organisés aux ordres spontanés. En cela Ils sont fidèles à la sagesse de Montesquieu et de son doux commerce, et savent que le maintien de la ronde des échanges, est le plus sûr moyen de maintenir les hommes dans une posture relativement paisible. Le marché, lorsqu'il fonctionne bien est un bon lieu de dressage des hommes : ils y perdent une partie de la violence naturelle qui les anime.
Simplement, les libéraux à la tâche , viennent de se rendre compte que l'ordre spontané peut connaitre des défaillances et que le politique tant vilipendé car trop englué à leur goût dans le keynésianisme, était aussi le fil invisible qui pouvait maintenir l'ordre spontané.
Le retour de l'Etat n'est donc que le maintien de l'ordre public, et la nationalisation des banques ne sera là que pour rassurer les acteurs : convertir les titres préférentiels du trésor US chez Citigroup en actions ordinaires, ne relève pas d'un projet économique, mais de la volonté d'ajuster un simple ratio de solvabilité jugé trop risqué car pouvant alimenter une éventuelle panique. Il ne s'agit pas de donner du sens mais de maintenir l'ordre.
L'utopie post-politique comme dépassement des ordres hayékiens.
La logique du maintien de l'ordre comme simple évitement d'un désordre, aboutit, dans le monde des apparences, à extirper les dimensions idéologiques des ordres hayékiens . L'ordre spontané, quoiqu'automatique, car reposant sur les ressorts du marché, et moins chargé de sens que l'ordre organisé, bénéficiait d'une base idéologique solide : la liberté, en tant que premier des droits de l'homme, est un projet qu'il faut assurer avec cet outil essentiel qu'est la propriété. Et seul l'individu est en charge de construire son propre projet de vie.
Il semble pourtant, que si l'on continue de vilipender le keynésianisme comme version civilisée des ordres organisés, la dimension idéologique des ordres spontanées disparait - ou se cache- désormais derrière les apparences de la rationalité. Il ne s'agit plus de dire que le marché libre est supérieur à la tyrannie administrative, il s'agit de rendre obligatoire le bon fonctionnement du marché : une injonction à rester libre en quelque sorte. Ce que Dardot et Laval appellent « l'ordo libéralisme ». L'économie politique s'était faite sciences économiques, elle se fait aujourd'hui simple injonction comportementale.
Bien sûr on veut, avec beaucoup de rigueur, maintenir ce bouclier de la liberté qu'est la propriété. En la matière, la stabilité monétaire est, et reste, fondamentale. Bien sûr, comme nous le disions, partout dans le monde, la planche à billets quitte déjà son grenier, mais tout est entrepris pour nier le risque d'inflation. La stabilité monétaire, est le garant essentiel du respect des contrats, et s'est historiquement annoncée comme la victoire du libéralisme sur un keynésianisme honni,un keynésianisme qui, justement, n'a jamais respecté la rigueur des contrats. La stabilité monétaire est l'axiome de base de la grammaire libérale. Et si un jour - jour fort probable- se manifeste une nouvelle « euthanasie des rentiers », elle ne sera qu'un fort regrettable effet pervers.
Mais la stabilité monétaire, première annonce du dressage comportemental, n'est pas encore l'ordo libéralisme. Il y aura ordo libéralisme lorsqu'on légiférera sur les conséquences, souvent constatées, du fonctionnement des marchés libres, à savoir les ententes mais surtout les monopoles. Le monopole acquis, en respectant les droits de propriétés des acteurs , sur les marchés, n'est jamais condamné par les libéraux traditionnels qui savent que, de fait, le monopole sera toujours contesté par le marché. Et chacun sait, que beaucoup de monopoles sont aujourd'hui au cimetière. Les ordo libéraux vont plus loin, et imposent la concurrence, comme naguère l'Etat pouvait imposer son monopole public. C'est évidemment le cas de la commission européenne, qui sous ses apparences libérale, impose la concurrence et plus encore impose de jouer au meccano, avec autant d'autorité qu'à l'époque des politiques industrielles. L'industrie de l'énergie en est un bel exemple.
Il y a ordo libéralisme, et donc obligation de respecter les lois du marché, lorsque, constatant une rationalité trop limitée, des comportements opportunistes, des contrats incomplets, des asymétries d'informations, des relations d'agences troubles etc., se trouve mis en place tout une série d'outils propres à faire émerger la maximisation des gains à l'échange, telle que prévue dans les manuels de théorie économique. Dans le monde des apparences, ces outils n'ont d'autre ambition que celle de la mise en œuvre de l'efficacité comportementale : qui pourrait raisonnablement s'opposer au projet d'aller plus loin dans la rationalité ? Et ces outils, sont évidemment des règles qui viennent s'ajouter aux libres négociations qui, elles, s'appuient en théorie sur des règles simplement prohibitives, limitatives et intangibles, celles de l'ordre spontané. Ces règles issues de la rationalité venant surplomber celles des ordres spontanés, n'ont-elles mêmes rien de spontanées. Elles ont un sens, celui d'une injonction, alors que les autres en sont dépourvues, puisqu'en théorie simple espace de liberté. Elles sous tendent par conséquent un véritable dressage des comportements, et correspondent parfois, à ce qu'on appelle le développement de la « soft law » face à la « hard law » en recul. Certaines de ces règles sont sans doute légitimes, notamment celles concernant les possibles passagers clandestins, les possibles externalités, etc. D'autres, sans doute les plus nombreuses, posent la question de la liberté : peut-on forcer les hommes à être rationnels ? Surtout si l'on envisage le niveau politique que l'on voudrait aussi changer en marché forcé. Ainsi peut-on adhérer aux thèses de l'école du « libéralisme paternaliste » qui avec Thaler et Sunstein propose de remplacer « le » politique par la politique des « nudges » ( les coups de pouce ou incitations) qui aurait l'avantage d'orienter les hommes, ces hommes parfois irrationnels, pulsionnels, animés de passions et affects divers, etc., vers les bonnes décisions ? L'Etat peut-il se transformer en dompteur bienveillant, sanctionnant et récompensant les bonnes décisions des citoyens ? Peut-on adhérer à nombre de thèses qui ,bien qu'auréolées du prestige du prix Nobel (Hurwicz, Maskin et Myerson), en viennent à repenser le fonctionnement des marchés politiques, afin que les hommes respectent davantage les lois fondamentales de l'économie ? A-t-on le droit d'interdire la politique économique soupçonnée de polluer l'efficience des marchés ? A-t-on le droit au nom de la rationalité, d'envisager des dispositifs constitutionnels, rendant impossible le vote de budgets déficitaires par des gouvernements ? A un moment où certains- très peu nombreux- veulent encadrer le marché par une constitution économique (Jorion) la majorité des adeptes de la micro économie veulent encadrer le politique par réduction du champ de sa constitutionnalité, donc de sa légitimité.
Les thèses se fondant sur une théorie plus générale des incitations, qui peuvent parfois rejoindre aujourd'hui les sciences cognitives, sont en vogue et constituent aujourd'hui un axe essentiel de la recherche économique, recherche à vocation- on l'a compris- normative. Nul besoin de préciser qu'elles sont déjà à l'Œuvre , dans la recomposition du paysage financier d'après le désastre de la crise :les nouvelles réglementations du G20 seront largement déduites de ce nouveau paradigme. Elles sont discutablebles, car véhiculent l'idéologie d'un espace humain post-politique. Les hommes n'auraient plus à débattre, effectuer des choix sur des modes d'organisation, ne seraient plus des sujets citoyens, etc. et seraient simplement des acteurs, dont le comportement- grâce à un bon cocktail d'incitations- s'avère prédictible. Même les gouvernements se feraient dociles sous la férule d'une constitution simplement confectionnée de « nudges ».
La gestion de la crise des années 2010 ne sera pas aisée : le keynésianisme ne fait plus recette et ses nouveaux supporters manquent de conviction. L'ordo libéralisme peut-il prétendre à la nouvelle régulation du système, en invitant l'humanité à se déployer dans un espace post-politique ?