La question du taux de change continue de se poser aves les déclarations du premier ministre français et celles du ministre du redressement productif. Il est bien sûr à noter que l'Allemagne ne peut accepter un tel débat mettant en cause le consensus monétaire qui fonde le contrat social allemand. Et c'est bien de cette façon que vient de réagir Steffen Seibert porte parole de la chancelière allemande. Il est à regretter dans cette affaire l'attitude de Benoit Coeuré qui ne se borne à voir dans le taux de change qu'une "passion française", attitude qui soutient le consensus allemand.
Nous proposons à cet égard de reprendre notre article publié sur ce blog le 17 mars dernier:
Les débats concernant le taux de change de l’euro rebondissent à la faveur du seuil atteint au cours de ces derniers jours : près de 1,4 dollars.
Certains n’hésitent pas à considérer qu’il s’agit de la conséquence d’un commerce extérieur devenu fortement excédentaire : 158,8 milliards d’euros en 2013, contre seulement 79,2 milliards d’euros en 2012, soit 2,8 points de PIB. D’autres diront qu’il s’agit de la conséquence d’un statut de monnaie de réserve se substituant progressivement au dollar et suscitant une forte mobilisation de l’épargne asiatique.
Beaucoup s’en plaignent et considèrent à l’inverse que cela devrait entrainer une aggravation des comptes extérieurs négatifs de nombre de pays de la zone sud.
Plus grave est le fait que certains considèrent que le taux de change élevé est sans impact sur le commerce intra zone euro. Encore un raisonnement erroné tenu par des responsables de haut niveau.
S’il est exact que les prix des exportations de la France vers les pays de la zone euro ne sont pas impactés par une variation de taux de change - avec toutefois une composante coût des consommations intermédiaires qui peut varier en raison du fait qu’elles peuvent être importées depuis l’extérieur de la zone- ces mêmes exportations subissent, à destination, un environnement travaillé par une hausse du taux de change.
Prenons un exemple.
Soit une exportation française de produits manufacturés vers l’Italie.
2 cas peuvent se présenter : les produits exportés connaissent un contenu en importations en provenance de l’extérieur de la zone (scénario 1) ou, à l’inverse, il n’existe aucun contenu importé en provenance de ce même extérieur (scénario 2).
Scénario 1.
Dans cette situation, il existe pour les produits exportés une marge théorique plus grande pouvant affronter une éventuelle modification de l’environnement italien. Pour autant, cet environnement est négativement affecté par la hausse du taux de change : des exportateurs originaires de l’extérieur de la zone euro viennent concurrencer en Italie les exportations françaises. L’impact de la hausse de change étant, pour ces exportateurs, logiquement plus important que celui sur les consommations intermédiaires des exportateurs français, il en résulte une dégradation des marges théoriques au détriment de ces mêmes exportateurs français affrontant le marché italien.
Scénario 2.
En l’absence de contenu importé des exportations, les entreprises françaises concernées ne connaissent pas de modification de marge théorique sur le marché italien. Pour autant elles peuvent affronter de nouveaux compétiteurs sur le marché italien, compétiteurs qui sont des exportateurs en provenance de l’extérieur de la zone euro. Il en résulte une baisse des marges réelles pour les exportateurs français, voire une réelle éviction du marché italien.
Le scénario 2 aggrave le résultat négatif du scénario1.
Les choses sont sans doute encore plus complexes : la hausse du taux de change peut entrainer un effet revenu en Italie, une affectation autre à la marge théorique des exportateurs français, etc. Toutefois ces effets en cascade sont de faible portée et s’amortissent rapidement, laissant le problème du taux de change dans son entièreté.
Conclusion : Il est erroné de dire, avec Pascal Lamy en particulier, pour ne citer que ce dernier, que la hausse de l’euro ne constitue pas un problème pour les entreprises françaises qui exportent à l’intérieur de la zone euro.
A contrario, il est possible d’affirmer- toutes choses égales par ailleurs, en particulier sans faire intervenir les politiques de dévaluations internes - que toute hausse de l’euro affecte négativement l’ensemble du commerce intra-zone. Chaque Pays voyant ses exportations affectées dans la zone par la présence de marchandises substituables importées depuis l’extérieur de la zone.
Bien évidemment, une hausse du taux de change aggravée par des politiques restrictives menées en commun, et politiques visant la seule recherche de compétitivité, renforce un effet de décomposition : le commerce intra zone voit son poids diminuer. Ainsi entre 2003 et 2013 les exportations françaises vers la zone passent de 69 à 60% du total exporté, tandis qu’aux mêmes dates les importations en provenance de la zone passent de 64 à 60% du total importé. L’Allemagne voit également le poids de ces échanges avec la zone diminuer. Ainsi le poids de ses exportations dans la zone est passé de 63% avant la crise à 37% en 2013. Les comportements de passager clandestin de chaque pays (faire de la compétitivité au détriment des autres) entrainant la déconstruction progressive de l’Europe.