Dans « Zone euro : les clandestins le resteront jusqu’au bout » nous disions que la prochaine étape de la clandestinité serait sans le dire l’ouverture maximale des robinets de la BCE. C’est chose faite aujourd’hui avec le lancement d’offres à 3 ans sur la base d’un collatéral qualitativement généreux et quantitativement illimité, le tout assorti d’un taux d’intérêt très inférieur aux meilleurs taux offerts sur les dettes souveraines de qualité. Et cette ouverture maximale porte un nom chez les financiers : le « Sarko trade » pour ainsi désigner ce que le président Français aurait obtenu, au terme d’interminables négociations.
A priori, il s’agit d’un cadeau direct aux banques assorti d’un cadeau indirect aux Etats.
Cadeau direct aux banques en ce que ces dernières peuvent se soulager d’une masse considérable d’actifs, dont la qualité sera fort peu vérifiée par la BCE, contre des liquidités offrant des potentialités importantes. C’est ce qui vient de se passer concrètement pour les banques, qui viennent d’acheter de la dette espagnole, à partir des fonds de la BCE, opération ayant rapportée 300 points de base.
Mais aussi cadeau indirect aux Etats, qui se trouvent en présence d’un système financier davantage acheteur, en raison de béquilles offertes par la BCE. De quoi financer la dette en espérant des taux acceptables.
Pour autant les effets secondaires méritent d’être analysés.
Dans cette opération il n’y a pas de disparition de collatéral, et celui cédé à la BCE est remplacé par de la dette souveraine fraiche. Seule la différence de qualité peut être évoquée, et il est évident, que si à l’avenir la BCE se fait plus exigeante, en refusant par exemple du crédit à la consommation espagnol comme collatéral, il est possible que l’image des bilans bancaires ne s’améliore guère. Ce qui , de fait, signifie que l’amélioration de l’image des bilans ne puisse se réaliser que si la BCE accepte un statut de « Bad bank ».
Or la pression en ce sens ne peut que s’aggraver. Si en effet la BCE cherche à se protéger par la qualité, ses opérations d’offre de liquidités vont de fait aggraver la situation des banques avec apparition d’un « collateral crunch ». Parce que dans cette hypothèse la proportion d’actifs de mauvaise qualité augmente dans les bilans, il se crée une pénurie relative de collatéral de bonne qualité – le Bund allemand – par exemple, ce qui signifie un financement inter bancaire toujours aussi fermé. Comme par ailleurs, de façon mécanique, la crise accroit partout le taux de mauvaises créances, la base des actifs éligibles se réduit. Ce qui réduit, là encore, la capacité de fonctionnement du marché inter bancaire . Parallèlement, la diminution de la qualité des bilans entraine tout aussi mécaniquement, une moindre incitation à financer des crédits non éligibles en collatéral, comme celui accordé aux PME.
La pression ira donc mécaniquement dans le sens de la facilité : une BCE peu exigeante, et des banques maximisant leur espérance de gain, en prêtant plus aux Etats, et moins aux entreprises et ménages. Choix se matérialisant par moins de croissance, et donc moins de rentrées fiscales …donc une augmentation de la dette …
Mais la recherche de la rentabilité maximale passe aussi par la sélection des dettes souveraines. Si le choix des Etats au détriment des entreprises est acquis, il convient de choisir quelle dette souveraine assurera la meilleure rentabilité bancaire : dette allemande moins rentable mais moins risquée, ou dette espagnole plus rentable mais plus risquée ? Alternative qui invite à penser, que la transmission du cadeau de la BCE fait aux banques, ne se dirigera pas prioritairement vers les dettes souveraines des Etats faibles. Si en effet le cadeau se dirige massivement vers le Trésor espagnnol, il en résulterait une diminution du spread de taux vis-à-vis du Bund allemand, situation instable puisqu’affectation non optimale des liquidités acquises sur la BCE. Ce qui signifie un redéploiement de la dite liquidité , assurant le maintien de spreads, dont les déterminants reposent sur des considérations macroéconomiques bien connues. La conclusion est simple, même l’ouverture maximale du robinet de la BCE ne peut réduire la difficulté des Etats périphériques de la zone euro.
Le « Sarko trade » n’est donc que la prolongation prévue de l’agonie du bateau des passagers clandestins. On connait l’étape suivante : fin de l’indépendance de la BCE avec financement direct des Etats, et reconfiguration complète voire disparition de l’euro – zone. Affaire à suivre…