Jean Peyrelevade, économiste et ancien président du Crédit Lyonnais publie dans deux articles -« France : le vrai diagnostic » (Les Echos du 9/09/2013) et « Les conditions de notre redressement » (Les Echos du 10/09/2013)- ce qu’il croit être la bonne solution à la crise pour l’économie française.
Augmenter la durée du temps de travail
Le diagnostic est classique, et les divers maux apparents – dette publique, attrition de l’outil industriel, déficit externe, chômage, etc. se ramènent à cette cause commune, cause qui reçoit aussi l’assentiment de nombre de commentateurs : le pays vit au- dessus de ses moyens. Les habitués du blog connaissent les limites d’un raisonnement cantonné au seul espace national, raisonnement qui se retourne quand on passe à l’échelle monde puisque les maux apparents dénoncés deviennent la contrepartie d’une production excédentaire par rapport à la distribution. En sorte que le monde vit en dessous et non au-dessus ses moyens.
Poursuivons toutefois l’analyse de Jean Peyrelevade, qui va traduire l’expression obscure et facile de « vivre au-dessus de ses moyens », par l'idée de décalage entre une productivité par tête qui augmente moins vite que la charge salariale. Et un décalage constaté dans toute une série de chiffres qu’il est difficile de contester, et qui reviennent en boucle dans le raisonnement : le décalage développe à la fois la hausse des prix dans le secteur abrité, d’où les déficits dans le secteur le plus abrité d’entre-eux (l’Etat), et la baisse des marges dans le secteur exposé (les entreprise), d’où l’attrition industrielle.
La solution serait donc simple : il faudrait une hausse des salaires réels moins rapide que celle réalisée au niveau de la productivité par tête.
Jean Peyrelevade en tire la conclusion, qu’au-delà d’une production plus capitalistique de l’économie, le moyen le plus simple d’obtenir ce nouvel écart est d’augmenter la durée du travail – hebdomadaire, annuelle, mais aussi sur l’ensemble de la vie - sans hausse directement proportionnelle des salaires. Conscient de la difficulté de revenir sur la durée légale du travail, l’auteur propose des accords d’entreprise, pour ce qui est de l’économie exposée, et une réduction du périmètre des activités des administrations publiques.
Jean Peyrelevade reprend au fond un discours très classique du libéralisme.
Diminuer la durée du temps de travail
Surprenant est le fait que d’autres auteurs, au moins aussi réputés et assez peu éloignés d’une certaine forme de libéralisme, tiennent des propos strictement inverses et croient pouvoir démontrer, que c’est la baisse et non la hausse du temps de travail, qui doit être envisagée pour s’extirper de la crise. C’est en particulier le cas de Michel Rocard et Pierre Larrouturou ( cf « La Gauche n’a plus le droit à l’erreur » , Flammarion, 2012).
Ces derniers ne croient pas comme le premier en des mesures autoritaires et s’appuient sur des mesures incitatives fortes, pour modifier en profondeur le marché du travail et, en particulier, obtenir une forte diminution de la durée du travail ( semaine des 4 jours par exemple).
Parmi ces mesures, on pourra noter la forte variabilité des charges sociales en fonction de la durée du travail. Ainsi les temps longs verraient des charges sociales alourdies, tandis que les temps courts se verraient octroyés de charges plus légères que la moyenne. Il est vrai que sur un marché déréglementé du travail- voyant l’emploi s’offrir aux plus productifs- jouer sur la variabilité des charges sociales, permettrait l’accès à l’emploi d’individus moins productifs. Une telle position, revient par conséquent à une logique de partage du temps de travail, reposant sur l’idée fort discutable selon laquelle l’élévation de la productivité détruit des emplois.
Essayer de raisonner correctement
Cette opposition de discours quant aux moyens de retrouver le plein emploi, est révélatrice d’une grande insuffisance des raisonnements.
Dans le cas des tenants de la hausse de la durée du travail, il n’y a évidemment pas conscience de la grande contradiction planétaire, entre l’offre mondiale et la demande mondiale de marchandises, contradiction due précisèment à une mondialisation, qui au nom de la liberté, ne prévoit pas de mécanisme d’équilibre obligatoire des échanges. Les Etats, restés Etats, malgré le cadre devenue mondial, ne peuvent plus imposer le salaire comme variable, simultanément coûts et débouchés. Il n’est plus qu’un coût, dont la surveillance a créé l’insuffisance mondiale des débouchés de la production. La solution classique, celle entre autre de Jean Peyrelevade, ne peut qu’aggraver la crise planétaire.
Concrètement elle se manifesterait dans ses effets de la façon suivante:
Le rééquilibrage des comptes extérieurs de la France, ferait cesser son propre étouffement …pour le reporter sur d’autres… jusqu’ici bien heureux de s’être forgé un excédent extérieur, assurant une oxygénétion de leur demande interne (Allemagne). Que l’on pense aussi aux pays d’Europe du sud, en plein effort de productivité selon la logique de Jean Peyrelevade, et reconstruisant leur équilibre extérieur en aggravant la situation française ( Espagne, Portugal, Grèce).
Maintenant, la hausse de la productivité, suppose aussi de s’attaquer au secteur protégé public, qu’il convient de faire maigrir sous la forme d’une diminution du nombre de fonctionnaires…et des débouchés correspondants à leur rémunération.
La logique de l’augmentation de la durée du travail, masque ainsi complétement le fait que la mondialisation a pris la forme d’une dislocation des équilibres antérieurs, et dislocation qui ne peut laisser la place à une reconstruction à l’échelle de la planète. D’une certaine façon, les politiques dites d’austérité accélèrent l’histoire en aggravant le mal qu’elles entendent combattre.
Le raisonnement inverse est bien sûr tout aussi insuffisant.
A enveloppe globale inchangé des cotisations sociales, cotisations simplement redéployées, il y a pourtant un changement dans l’efficacité productive : du travail très productif - et donnant lieu à des commandes supplémentaires en raison de sa forte productivité - est abandonné au profit de travaux moins productifs. Quel est l’impact global ? Est-il possible de freiner les commandes ,et donc la croissance, dans les secteurs exposés et très productifs, pour développer les secteurs à plus faible productivité ? Quel impact sur la demande globale ? A l’échelle mondiale, peut-on imaginer une stratégie aussi fondamentalement contraire de celle qui se pratique au quotidien, et qui correspond à la position de Jean Peyrelevade ? Ainsi, quel effet sur la balance extérieure ?
Là encore, le refus de prendre à bras le corps la forme prise par la mondialisation aboutit à des insuffisances inacceptables.
Raisonner correctement consisterait à resituer, temps de travail et rémunération correspondante, dans le cadre d’une mondialisation où les taux de change sont devenus l’outil éliminant le caractère dual du salaire (débouché et coût), pour le ramener à sa seule dimension coût à l’échelle mondiale. Dans nombre d’anciens pays, il est ainsi préféré la dévaluation interne (solution de Jean Peyrelevade) à la dévaluation externe. Ce fait est particulièrement constaté dans la zone –euro. Symétriquement dans les pays émergents – Chine en particulier - le refus de la réévaluation est une arme pour maintenir un gigantesque excédent, lequel ne peut se pérenniser qu’au prix d’un taux de salaire bas. A l’échelle de la planète existe ainsi une masse salariale- au-delà d’une répartition qui peut être questionnée- incapable d’absorber la gigantesque production mondiale.
La question du temps de travail ne peut être sérieusement évoquée en évacuant une donnée aussi fondamentale.