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Le présent texte tente d’analyser les conséquences des chocs de compétitivité que nombre de gouvernements européens - en particulier ceux des pays du sud - tentent de mettre en place aux fins d’un rééquilibrage des soldes extérieurs et en conséquence une amélioration de l’emploi.
Les chocs proposés sont des dévaluations internes résultant d’un impossible ajustement des taux de change en monnaie unique. Ces dévaluations internes reposent toutes sur une diminution globale du coût du travail, diminution utilisant des supports variés et souvent indirects : augmentation du temps de travail, baisse des charges sociales, prélèvements fiscaux, diminution des prestations sociales, etc. Notons au passage que lors de la crise de 1929, les entrepreneurs politiques des nations de l’époque disposaient de l’arme du taux de change, armes qu’ils ont utilisées sans ménagement, dans un jeu évidement non coopératif, pour exporter leur propre chômage. L’histoire a révélé que le résultat de cette politique fût collectivement ruineux.
Pour présenter la problématique du choc de compétitivité nous utiliserons l’exemple d’un pays, l’Espagne dans ses rapports avec l’Allemagne.
Supposons une baisse des rémunérations (avec l’hypothése que cette baisse se traduise mécaniquement par une diminution des prix) en Espagne, et examinons les conséquences attendues dans les deux pays.
Du point de vue de l’Allemagne quelles sont les conséquences prévisibles?
Les revenus distribués diminuent en raison d’une moindre exportation vers l’Espagne. Le volume concerné dépendra de l’élasticité/revenu de la demande d’importations espagnole.
Par contre du pouvoir d’achat se trouve libéré du fait de la baisse de prix des marchandises espagnoles importées. Ce pouvoir d’achat libéré est pourtant amputé par la plus grande compétitivité espagnole, laquelle entraine de plus grandes importations se substituant aux productions allemandes. Les volumes concernés dépendent évidemment de la valeur des élasticités/prix.
Cette perte de revenu pour l’Allemagne est donc égale aux importations supplémentaires en provenance d’Espagne, perte compensée par l’effet revenu procuré par la baisse de prix des marchandises espagnoles qui se sont substituées aux marchandises allemandes. Et perte également compensées par l’effet revenu résultant d’une baisse de prix des marchandises espagnoles jusqu’ici traditionnellement importées. Comme on le sait il s’agit là d’un effet important de la mondialisation se substituant aux vieux gains de productivité des 30 glorieuses.
Le gain résultant de la différence de prix est à comparer aux pertes résultants des importations supplémentaires. Comptablement la compensation est d’autant plus importante que la baisse de prix et donc le choc de compétitivité espagnol est élevé. Elle est aussi d’autant plus forte, que le poids des importations allemandes de marchandise espagnoles, est élevé dans le total du PIB allemand. En effet, dans une telle situation, la baisse de prix provoque un effet revenu important en Allemagne.
Concrètement, cette situation n’est pas empiriquement vérifiée, et le poids des importations de produits espagnols est extrêmement faible. Par ailleurs, l’effet revenu par baisse de prix est contrarié par un effet revenu négatif engendré par la hausse des importations.
Au total il est difficile de conclure à un effet positif sur les revenus allemands par le canal des importations. Comme de façon plus évidente, il y a baisse de revenus distribués en raison d’une chute des exportations, le bilan du choc de compétitivité de l’Espagne est mécaniquement négatif pour l’Allemagne.
Qu’en est-il de l’Espagne ?
La demande globale, et donc le revenu global, est affecté par le choc de compétitivité, lequel a pour effet de diminuer l’absorption interne : la demande nationale, qu’il s’agisse de biens de consommation ou de biens d’investissements, est réorientée vers une demande étrangère plus élevée. L’existence et l’importance d’un solde extérieur amélioré dépend encore une fois des élasticités.
Une façon simple de voir les choses, est de se dire que le jeu – à priori non coopératif - serait à somme nulle, et si l’Allemagne perd, l’Espagne gagne pour une même montant. Un tel raisonnement, suppose en fait que le niveau mondial de la demande et des revenus correspondants (dans notre exemple le monde est constitué de la somme des PIB Allemand et Espagnol) reste inchangé, malgré le choc de compétitivité espagnol. Il en découle mécaniquement que du point de vue de l’Espagne l’amélioration du solde extérieur est supérieur à la diminution de la demande interne. La différence représentant la diminution de revenus allemands.
Dans ce cas, il y a bien amélioration de la situation espagnole au détriment de celle de l’Allemagne.
Le bilan global du choc de compétitivité est donc douteux et se trouve aussi contestable que les forts douloureuses dévaluations des années 30.
Mais le doute sur les chocs de compétitivité se trouve renforcé par le fait qu’ils se mènent dans un cadre plus général de politiques d’austérité visant la réduction des déficits budgétaires .
S’agissant de l’Espagne par exemple, il y a bien une politique de compétitivité ( blocage des salaires avec possibilité de les fixer à un niveau inférieur à ceux fixés par les conventions collectives, réduction des indemnités de licenciement, augmentation de la durée d’essai, etc.), avec une amélioration déjà constatée de son solde extérieur, au détriment des autres pays, dont la France (La balance courante en % du PIB passe de -4,6 à -3,5 entre 2010 et 2011 pour l’Espagne, et -1,7 à -2 entre les mêmes dates pour la France) ; mais cette politique se trouve étroitement mêlée à une politique d’austérité visant le déficit budgétaire ( 62 milliards d’euros de réduction de dépenses pour la seule année 2012). L’examen des mesures prises, révèle qu’il est d’ailleurs difficile de séparer les mesures relevant du choc de compétitivité, de celles prises dans le cadre de la réduction des déficits. Et ce pour une raison très simple qui nous renvoie à la notion de déficits "jumeaux".
Il est donc difficile d’évoquer les chocs de compétitivité sans le complément de l’austérité. Or ce complément développe des effets négatifs en raison de la remontée des multiplicateurs budgétaires déjà évoqués par Patrick Artus et récemment repris par le FMI. Selon ce dernier, le multiplicateur budgétaire négatif serait passé de 0,5 avant le déclenchement de la crise à des valeurs comprises entre 0,9 et 1,7 (1,25 selon Artus). En termes simples, cela signifie que toute diminution de déficit développe des vagues de diminutions de revenus, qui se propagent dans l’ensemble de l’économie, et viennent affecter le montant global de richesses produites (le PIB). Les valeurs du multiplicateur révélées par le FMI s’étalent sur une vaste plage en raison des spécificités nationales et des choix en termes de réduction des déficits. Par exemple, on sait que- à court terme il est vrai- le choix de la hausse de l’impôt, et surtout sa progressivité, est moins dépressive que celui de la diminution des dépenses publique. La raison en est que les dépenses publiques sont plus immédiates et touchent des ménages dont la propension à consommer est plus élevée. Au-delà de ses considérations techniques, il faut se rendre compte que lorsque le multiplicateur n’était que de 0,5, une diminution de déficit de 1% de PIB se traduisait par un recul de croissance de 0,5% de PIB. Aujourd’hui, la même réduction de déficit, se traduirait par un recul de 1,7% (pour les multiplicateurs les plus élevés). Cela signifie que contrairement aux attentes, en raison de l’effet dépressif de la réduction du déficit, les recettes fiscales diminuent alors que les dépenses publiques augmentent. C’est précisément la situation aujourd’hui constatée en Espagne ou mieux encore en Grèce.
Cela signifie que l’austérité est devenue radicalement incompatible avec la compétitivité. Cela n’était pas le cas avant la crise, d’où les réussites du Canada, de la Nouvelle Zélande mais surtout de l’Allemagne du début des années 2000... Ce qu’on appelle aujourd’hui choc de compétitivité dans les pays de la zone euro, n’est pas une démarche propre à surmonter la grande crise des années 2010.
Il convient dès lors de s’interroger, sur l’enthousiasme unanime des défenseurs des réformes dites structurelles - toutes militent pour un abaissement du coût du travail - enthousiasme qui cache mal la volonté de maintenir – quelles qu’en soient les conséquences -un libre échange devenu le protectionnisme des gagnants de la mondialisation.