Il n’est pas nécessaire d’être économiste pour prendre clairement conscience que le déséquilibre des finances publiques est probablement apparenté au déséquilibre extérieur, et en particulier à celui correspondant à l’échange des biens et des services. Si les 4 points de PIB du déficit commercial français de 2011 se transformaient en production nationale, il en résulterait davantage de prélèvements sociaux et fiscaux, et aussi moins de dépenses publiques, orientées vers la gestion du sous emploi et des problèmes qui lui sont attachés. Pour l’année 2011, un équilibre des échanges extérieurs aurait aisément fait entrer la France, sous le seuil réglementaire des 3% de déficit des administrations publiques. Il est donc inutile d’insister sur un fait qui est largement intervenu dans la récente dégradation de la note de la France.
Par contre, ce qui est moins connu et fort peu évoqué, est le fait que le déficit extérieur nourrit des déséquilibres financiers, qui à l’intérieur de la zone euro deviennent difficilement contrôlables. Jadis, c'est-à-dire avant l’introduction de la monnaie commune, et plus encore avant l’introduction de taux de change flottants, un déficit commercial non compensé par des mouvements de capitaux, se soldait par une sortie nette de devises, et- à terme - par une possible dévaluation rééquilibrant la balance. La monnaie unique supprime – en théorie- la contrainte extérieure et l’on se trouve dans la question énoncée il y a si longtemps par Jacques Rueff à propos des USA, à savoir la question du « déficit sans pleurs ». D’où le terme pleinement justifié de grecs disposant d’une « monnaie de réserve à l’américaine ». Eric Dor dans une intéressante étude sur le fonctionnement du dispositif « Target 2 » de l’euro système révèle clairement le problème. 'http://my.ieseg.fr/bienvenue/DownloadDoc.asp?Fich=303790470_2011-ECO-07_Dor.pdf
« Target 2 » fonctionne au niveau européen, comme pouvait le faire, et peut encore le faire, un marché interbancaire. Dans un système monétaire national, l’échange interbancaire se soldait par des excédents et déficits journaliers, que l’on pouvait aussi repérer au niveau des comptes des banques au passif de la banque centrale. Si durablement la banque A voyait sa monnaie fuir vers la banque B, les choses se soldaient momentanément par son endettement auprès de B, le cas échéant avec une aide de la banque centrale. Mais la fuite n’était guère durable, et si A était en permanence victime d’une fuite de monnaie (part de marché trop réduite, qualité de service insuffisante, méfiance, etc.) il en résultait généralement sa disparition, et une plus grande concentration du système bancaire. « Target 2 » reproduit d’une certaine façon ce schéma, mais entre pays différents. De fait, le dispositif technique retenu pour la compensation interbancaire, fait intervenir les banques centrales des pays de la zone. En sorte que désormais, ce sont les anciennes banques centrales qui se trouvent dans la position de la banque A et de la banque B. En termes concrets, les pays qui connaissent un déficit extérieur, sont des pays dont la monnaie fuit vers les pays excédentaires, ce qui se traduit par un endettement de la banque centrale du pays débiteur, et une position créancière de la banque centrale du pays excédentaire. En termes encore plus concrets, la banque centrale de Grèce, devient de plus en plus débitrice de la banque centrale d’Allemagne. Et le « bank run » qui peut exister en Grèce, peut n’avoir d’autres conséquences que l’accroissement vertigineux d’actifs de la banque centrale d’Allemagne sur la banque centrale de Grèce. Ce fait constitue l’un des aspects les plus magiques de la « drogue euro » : la fuite peut théoriquement devenir infinie, et les grecs peuvent débarquer dans les aéroports des pays excédentaires avec des valises d’euros sans affecter réellement les banques grecques.
L’Europe reproduit ainsi à une échelle plus modeste ce qui se passe à une échelle plus considérable entre les USA et la Chine. Les USA empruntent à la Chine, ce qui permet de faire fonctionner les usines chinoises. Dans l’euro zone les grecs, mais aussi d’autres pays déficitaires, empruntent à l’Allemagne de quoi faire fonctionner les usines allemandes.
Les dettes publiques « roulent » grâce au fonctionnement des agences et des banques, ces dernières étant elles mêmes incitées par la BCE à se livrer à du « sarko trade ». Ce plus ou moins bon roulement de la dette, en permet un autre plus discret, car seulement lisible dans les comptes des banques centrales : celui d’une accumulation croissante, des moyens de payer les importations en provenance d’Allemagne, pays qui est ainsi amené à financer par le crédit, ses propres exportations. Tout comme la chine, qui paie ses exportations vers les USA en achetant des bons du Trésor américain. Le gonflement du bilan de la banque centrale allemande est une nécessité, et les entrepreneurs politiques allemands n’ont pas les moyens de s’y opposer. Une éventuelle sortie de la zone euro des pays les plus débiteurs au titre de leurs échanges extérieurs, n’est pas une menace pour la Bundesbank, et encore moins pour l’Etat allemand, qui n’aurait pas nécessairement à recapitaliser - à raison de son poids dans l’euro système , c'est-à-dire 30%- sa banque centrale: Il peut en effet être décidé de monétiser. Par contre, le vrai danger serait la très vive chute des exportations allemandes.
La dette publique n’est donc que l’apparence d’une autre plus fondamentale, celle engendrée par des déséquilibres extérieurs, les largesses et facilités de cette dernière venant nourrir la première plus visible et aussi plus dénoncée. Parce que plus visible, beaucoup d’entrepreneurs politiques évoquent une règle d’or sur les budgets publics. Il serait pourtant plus judicieux d’envisager une telle règle sur les échanges extérieurs. Règle évidemment inacceptable aux yeux des croyants de la mondialisation et des groupes d’intérêts qu’ils représentent.