Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 décembre 2020 1 07 /12 /décembre /2020 08:58

Comme tous les lundis Olivier Passet (XERFI) évoque en termes très brefs mais aussi très justes les réalités du temps présent. Bonne lecture.

L’histoire des taux d’intérêt depuis 30 ans, c’est celle d’un long affaissement au fil des cycles et des crises successives qui ont ébranlé les économies développées. Un affaissement des taux  sur toutes les échéances qui conduit à un écrasement structurel de la courbe des taux. Or dans la vision classique, les taux sont l’expression de notre relation au temps. La baisse des taux est le résultat d’un surcroît d’épargne sur l’investissement. Elle résulte d’une faible appétence des ménages pour le présent. Ces derniers ne sont pas dominés par l’impatience du plaisir de consommation immédiate. Ce que l’on dénomme souvent par « préférence pour le futur », avec l’idée d’une consommation différée. Les entreprises de leur côté, dans un contexte de faible consommation investissent peu, mais sont en quête de hauts rendements. Elles deviennent de plus en plus sélectives et jouent la croissance intensive, autrement dit la recherche de la profitabilité, plutôt que la croissance extensive, par expansion de leurs capacités. Ce pourrait être le paradigme d’une société vieillissante. Les ménages consomment peu, et cherchent à adosser leur revenu futur sur la rente produite par un capital sélectionné avec soin.


Pourtant, cette idée de préférence pour le futur, qui sous-tend le faible niveau des taux d’intérêt est trompeuse. Elle nous fourvoie par rapport à la réalité de notre relation au temps. Elle suggère une projection sur l’avenir qui est précisément absente du monde contemporain. Elle entre de surcroît en totale contradiction avec l’explosion des taux d’endettement public et privés que l’on observe depuis plusieurs décennies, qui alimente les dépenses courantes, et l’inflation des prix d’actifs, plus que l’investissement. Autrement dit, nos comportement de fourmis, entre des ménages qui préfèrent épargner et des entreprises de plus en plus sélectives sur leurs choix d’investissement, produirait paradoxalement des économies cigales, qui se consument dans la dette et qui utilisent avec frénésie tous les artifices monétaires, pour maintenir à flot les dépenses courantes et la valeur des actifs.


Tout cela n’a rien à voir avec une économie tournée vers l’avenir. Car une telle économie met au contraire en tension le marché des capitaux et donc les taux d’intérêt. Dans une économie confiante dans sa prospérité future, les ménages dépensent sans prudence excessive. L’acte d’épargne sera conditionné par un juste niveau de rémunération de cette dernière. Et les entreprises, confiantes dans le rendement futur de leurs investissements, dans les opportunités liées au progrès technique et dans l’expansion de leurs débouchés seront prêtes à s’endetter à taux positifs. Dans ce monde, tourné vers le futur, l’économie est traversée d’anticipations positives sur la croissance et l’inflation, dont les taux d’intérêt portent la marque.


Et, in fine, ce n’est pas une préférence pour le futur que reflètent les taux zéro et même négatifs sur les échéances longues, mais tout au contraire une préférence pour le passé disons plutôt un repli sur le passé. Il suffit de décrypter les arbitrages des acteurs privés et publics aujourd’hui pour en prendre toute la mesure.


Derrière la formidable explosion de l’endettement qu’y a-t’il ? Des entreprises, notamment les plus grandes qui débordent de cash. Et qui plutôt que de mobiliser cette liquidité sur des investissements nouveaux et une extension de leurs capacités en pariant sur l’avenir 1/ rachètent leurs actions anciennes sur le marché de l’occasion pour doper à court terme la valeur actionnariale de leur entreprise. 2/ jouent sur le levier d’endettement pour acquérir les concurrents ou les nouveaux entrants de leur secteur. Ce faisant l’endettement alimente le jeu de la concentration, renforce le pouvoir de marché et de réseau des acteurs déjà existants. Dans un monde de taux zéro et sur des marchés en attrition, il est beaucoup plus rentable financièrement d’opérer la cueillette des capacités et des compétences déjà installées, de tirer profit des synergies potentielles, de renforcer sa rente d’oligopole, que de prendre le risque de financer d’une croissance organique. Un mouvement de concentration qui a pour arrière-plan le développement des fusions-acquisitions avec des conditions favorables de financement. L’endettement alimente in fine un jeu d’enchère sur le capital existant, mobilier et immobilier dans la grande salle des ventes du capital d’occasion.


Du côté des États, la hausse phénoménale de l’endettement public depuis 15 ans est toute entière dédiée au maintien à flot des débouchés courants, au renflouement des secteurs en perdition, et donc à la sauvegarde, que qu’en soit le prix des capacités existantes. Ce sera l’occasion manquée du début du 21ème siècle. Les États auront mobilisé 40 points de PIB d’endettement supplémentaire  pour maintenir en état de survie artificielle l’économie du passé, loupant l’occasion de mettre sur les rails, à taux zéro, la transition écologique. 


Et face à cela, ce n’est pas l’abondance de l’épargne des ménages qui a permis de boucler cette fuite en avant dans la dette. Il a fallu l’irruption des banques centrales en acquéreuses en dernier ressort, de titres gagés sur le passé. Et ce que l’on retrouve du côté des ménages, comme trace des tombereaux de liquidité déversés par les banques centrales, c’est de l’épargne liquide, c’est de l’immobilier… Une composition de l’épargne, qui ressemble plus à une défiance qu’à une préférence pour le futur. 

 
 
Partager cet article
Repost0
1 décembre 2020 2 01 /12 /décembre /2020 07:43

Les partisans de l’ordre monétaire et financier actuel sont  sur la défensive quand on leur parle, depuis quelques jours, de l’opportunité d’une annulation de la dette COVID. C’est vrai qu’ils ne peuvent plus se cacher derrière la défense des investisseurs ou celle des épargnants, puisque ladite dette se trouve très largement logée à l’actif de la BCE, une institution qui ne repose pas sur de vrais créanciers potentiellement victimes d’indélicats défauts. Les arguments de défense empruntent alors la paresse du juridique : les traités interdisent l’annulation des dettes. Mais le politique n’est-il pas source de refondation du droit ? Ils empruntent aussi le scabreux argument de l’inflation qui résulterait d’un tel relâchement disciplinaire. Mais l’actuelle monétisation massive est- elle source d’inflation ?

En sorte qu’il existe probablement un risque caché, autrement plus important derrière cette mobilisation contre une annulation de la dette COVID. Quel est-il ?

Bien évidemment, à horizon assez bref, le roulement de la dette publique serait allégé. A priori de quoi limiter les déficits futurs ou baisser la pression fiscale ou augmenter les dépenses de reconstruction. Au total de quoi apporter de l’oxygène aux Etats les plus endettés. De quoi faire rêver un pays comme la France dont le gigantesque roulement de la dette n’est plus très éloigné du total de ses recettes fiscales. C’est oublier les réactions du marché et ce avant même de décider - par un Etat, voire plusieurs, voire même l’Union Européenne dans son ensemble -  l’annulation des dettes COVID.

Le fait d’en parler- à quelque niveau que ce soit, Etats, Conseil européen, Commission, etc.- entrainerait automatiquement une hausse des taux assortie de spreads considérables. La raison en est simple. Bien sûr aucun « investisseur » ou épargnant ne serait lésé puisque cette dette est, ou serait cantonnée, à l’actif de la seule banque centrale. Toutefois, une perte de confiance se manifesterait légitimement : les Etats ne vont-ils pas s’affranchir du respect qu’ils doivent à l’autre  partie de la dette publique, celle acquise par des investisseurs et qui figure dans des patrimoines privés, voire publics ? Plus simplement après avoir « tiré » sur une cible largement virtuelle - la BCE - ne vont-ils pas « tirer à balles réelles » sur les épargnants ?

Il est clair qu’un « bouquet » de hausse des taux s’élèverait rapidement et qu’un comportement de contagion mimétique s’enclencherait avec la vitesse de l’éclair. Dans le même temps, et à l’échelle planétaire, tous les produits financiers incorporant de la dette publique européenne verraient leur valeur s’affaisser avec effet boule de neige sur la plupart des titres mondiaux. N’oublions pas non plus les effets dévastateurs sur les dettes des pays émergents.  Bref, une série « d’événements » qui ferait  disparaître rapidement l’espoir d’une diminution du roulement de la dette et mettrait en cause la signature, donc les cotations, de la totalité des pays de l’Union Européenne

C’est dire que les principaux acteurs qui récemment sont intervenus après les propos du Secrétaire d’Etat italien Riccardo Fraccado, (le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau ; le chef Economiste du Trésor, Agnés Benassy-Quéret ; mais aussi Bruno Le Maire  et beaucoup d’économistes) ont utilisé des arguments qui cachaient le véritable objectif : celui de maintenir en l’état le dispositif monétaire et financier. La crise financière serait d’une telle puissance que l’ensemble de l’édifice financier serait détruit, laissant alors la place à un tout autre monde qu’il faudrait construire. Soyons donc rassurés, tout sera mis en œuvre pour entretenir la fiction d’un remboursement de la dette. C’est très difficile, mais il faut y arriver.

 Et donc tout sera mis en œuvre pour poursuivre les réformes structurelles censées participer au redressement des finances publiques… comprenons ici le maintien de la rentabilité des grandes entreprises financiarisées…. avec ses effets en chaîne sur les petites entreprises dépendantes toujours enkystées dans un taux de change irréaliste… lesquelles  attendent des réformes structurelles en compensation de la faiblesse des marges laissées par les grandes entreprises qui nourrissent leurs carnets de commande….

 Il est évident que l’annulation des dettes COVID ne lèse aucun épargnant, mais il faut surtout ne pas en parler.

 

Partager cet article
Repost0
30 novembre 2020 1 30 /11 /novembre /2020 07:01

Dans cette très brève première partie, nous tenterons de montrer que si de graves préoccupations économiques devraient retenir l’attention des divers candidats, celles-ci ne seront traitées qu’en oubliant de questionner la plus importante des branches d’activité du pays : l’industrie financière. Une industrie qui est la clé de voûte de l’ensemble et que nul candidat ne peut aborder avec un minimum de rigueur, voire d’honnêteté.

On pourrait imaginer qu’au moment de l’ouverture de la future campagne (approximativement d’ici moins de douze mois), les choses se soient rétablies tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique. Toutefois, en admettant un retour de confiance dynamisé par une couverture suffisante des nouveaux vaccins, il restera à gérer d’énormes conséquences économiques. Conséquences que chacun a en tête et qu’il est inutile de détailler. Contentons nous d’en dresser un résumé succinct : mise à l’écart durable de quelques branches d’excellence technologique ( Aviation civile), difficile retour de branches très consommatrices d’emplois moins qualifiés (tourisme), endettement fortement croissant des entreprises, (le système d’aide imaginé par l’Etat est extrêmement généreux mais non assurantiel), chômage massif avec en particulier une quasi-exclusion de la classe de jeunes normalement intégrables dans la machine économique au titre des années 2020 et 2021[1], endettement public colossal (probablement plus de 120% du PIB fin 2021). Ajoutons au niveau international que l’écart avec l’Allemagne se sera fortement accru, puisque la France sera plus touchée dans ses positions d’excellence que l’Allemagne. De ce point de vue, le grand écartèlement à l’intérieur de l’UE  sera considérablement aggravé.

On sait que si le bateau ne sera pas pour autant coulé fin 2021, c’est en raison des largesses de la BCE qui achète et continuera d’acheter la quasi -totalité de la nouvelle dette publique émise. Largesses qui s’expriment également et continueront de s’exprimer dans les bilans bancaires et financiers directement gonflés par la pompe BCE. D’où d’ahurissants propos d’économistes qui affirment que l’extrême abondance monétaire permet une réallocation des patrimoines impliquant des hausses à venir de 20% sur les actions de la zone euro et de 10 à 15% des prix de l’immobilier. D’une certaine façon, la BCE - en coopération complète avec les autres banques centrales - encourage la montée de toutes les dettes publiques et privées en veillant, par les taux, à ne point déboucher sur une crise financière majeure. La France voit ainsi, en cette fin d’année, sa dette privée atteindre les 150% du PIB[2], ce qui en fait   – en dehors de sa dette publique -  le pays  le plus endetté de la zone euro.

A la vitesse de réaction de la finance s’oppose la lenteur de la mise en place du plan de relance. Ce dernier - intégrant à près de 40% le plan de relance européen - ne commencera, au mieux, à voir ses premiers effets que durant la campagne présidentielle. Une lenteur qui risque encore de s’aggraver avec le blocage de la Hongrie et de la Pologne. Comment en effet, à ce jour, être convaincu que sur les 32 milliards investis au titre de la relance 2021[3], les 17 milliards prévus en provenance du plan européen seront effectivement disponibles ?

Le questionnement est d’autant plus légitime que rien n’est dit sur l’essentiel. On peut certes pérorer sur les modalités du plan de relance et ne pas aborder la question fondamentale de l’étouffante financiarisation des entreprises laquelle aboutit toujours, malgré la crise, à une exigence de ROE d’environ 12% [4]. Concernant cette question fondamentale, le pouvoir persiste et continue à garantir le modèle en ne renonçant pas aux réformes structurelles, en s’interdisant toute hausse de la fiscalité, voire même en mettant en place une commission de réflexion sue le retour à l’équilibre des finances publiques[5]. Le pouvoir est ainsi tenu de marcher sur un fil : il ne peut se permettre de refuser les largesses de la BCE et  se doit de rester en totale conformité avec les règles de la finance. La France, comme nombre d’autres pays, restera bloquée dans sa croissance par le mur du mode de propriété et de l’énormité des rentes spéculatives correspondantes. Les revenus versés aux créanciers, au lieu d’être réinvestis dans des moyens de production pour aider l’économie à croître, sont et seront dépensés pour acheter d’autres actifs. D’une certaine façon, Michael Hudson n’a pas tort de comparer la présente situation, à celle plus intelligente des civilisations de l’Antiquité, où l’extinction autoritaire et périodique de toutes les dettes était aussi le moyen de rétablir le vivre ensemble[6]. Rassurons-nous, la question de la dette ne sera abordée que dans sa dimension publique tout au long de la campagne présidentielle et aucun candidat n’évoquera l’énormité des dettes privées. Aucun candidat n’abordera la question de la solvabilité du système bancaire français nécessairement plus malade dans les prochains mois en raison d’une forte accumulation de créances douteuses. Aucun candidat n’abordera la question de la spéculation qui a -elle seule- explique la taille gigantesque de la finance, avec ces conflits secondaires comme celui du marché des dérivés (50000 milliards d’euros au titre des couvertures)… que l’on  ne peut plus conserver à Londres… et qu’il faudrait- faute de mieux en termes de maintien de la liquidité- transférer sur Wall-Street….En conséquence aucun candidat n’abordera la question de la grande confusion qui existe aujourd’hui entre la qualité d’investisseur de celle de spéculateur, voire de simple truand, et confusion savamment entretenue par les médias[7].  Aucun candidat n’évoquera l’anormalité du ROE. Aucun candidat n’évoquera la question des dizaines de milliers d’emplois hautement qualifiés de la finance, emplois  gaspillés dans des bullshits jobs dont le contenu essentiel est  « l’adresse » ou le « talent » à effectuer de bons paris sur de simples fluctuations de prix. Une «adresse» et un   «talent» confiés de plus en plus -rationalité oblige- à des « fintech » elles- mêmes grandes consommatrices de personnels hautement qualifiés qui pourraient se déployer dans des activités moralement et économiquement plus acceptables.

 Rien ne permet de penser aujourd’hui qu’un état des lieux sérieux et réfléchi concernant le colossal édifice financier, sera abordé par les divers candidats : trop délicat, mais aussi trop compliqué pour des élus ou anciens élus qui ne comprennent pas toujours la dimension « casino » d’un monde financier qu’ils ont pourtant largement construit.


[1] La récente du CEREQ, reprise par la chronique d’Olivier Passet (XERFY)en date du 30 novembre dernier révèle à quel point la génération de la crise financière (2010) fut pénalisée par rapporte aux générations antérieures : plus de précarisation, affaissement des profils de carrière, etc. La présente génération verra ces effets s’aggraver avec d’autant plus de force que les politiques d’acompagnement de la crise actuellle ont largment profité aux insiders : l’intégration se fera au compte-gouttes.

[2] Il faut ici préciser que cette dette privée se compose de la dette des ménages (65,9%) et de la dette des entreprises ( 84,7% ). Au total, la France est beaucoup plus financiarisée que les autres pays de la zone euro.

[3] Estimation  de L’OECE dans son « Policy Brief » d’0ctobre 2020.

[4] Nous renvoyons ici à notre article : http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/11/le-mur-du-neo-liberalisme-interdira-toute-sortie-de-crise.html

[5] « Commission sur l’avenir des finances publiques » dont certains membres sont issus du MEDEF et ce afin de rassurer les marchés financiers.

[6]CF : «  Debt and Economic Renewal in the Ancient Near East » ; University presse of Maryland ; 2018.

[7] Sans s’apesantir sur les cas français, on peut s’étonner du respect donné à l’information de Saudia Aramco (Les Echos du 17/11/2020) qui déclare que pour payer les dividendes, il faudra trouver des acheteurs d’obligations nouvelles pour un montant de 6 milliards de dollars….donc des investisseurs…Mais où se trouve le capital investi ? Comme quoi le terme investissement mériterait d’être clairement identifié.

Partager cet article
Repost0
13 novembre 2020 5 13 /11 /novembre /2020 08:20

 

Nous ne savons évidemment pas quel sera le monde de l’après crise. Par contre, il se dit que des transformations majeures feront l’objet - à tort ou à raison- de chantiers considérables. La préoccupation environnementale constitue un exemple de ces chantiers qui seraient prioritaires dans nombre de pays. Le présent papier se propose de montrer que le néo-libéralisme n’est pas l’outil susceptible de prendre en charge les transformations souhaitées. Auparavant, il nous faudra élucider ce qu’est le chemin historique du néolibéralisme. Démarche qui permettra d’en comprendre sa nature et sa dynamique au regard des enjeux d’aujourd’hui.

Le jeu logique du néo-libéralisme historique

Nous tenterons ici de reprendre partiellement l’excellente[1] présentation du travail de Pierre-Yves Gomez. Le néo-libéralisme n’a pu apparaitre qu’avec la redécouverte, la consolidation et la libération  de l’épargne au début des années 70. La promulgation aux USA de « l’Employer Retirement Income Security Act » le 2 septembre 1974, fera que les caisses de retraites des entreprises deviennent des organismes financiers autonomes chargés de diversifier leurs placements. Il s’agit là de l’acte de naissance de ce qui deviendra des fonds de pensions, fonds qui, eux-mêmes, vont se diversifier et, plus tard, concevoir des partenariats avec ce qui deviendra des organismes de gestion d’actifs aux périmètres croissants.

Cette première libération de l’épargne entraînera presque mécaniquement des effets importants : d’abord une augmentation du poids de la Bourse qui deviendra un outil, voire une contrainte dans le devenir des grandes entreprises. Assez rapidement,  la valeur de ces dernières s’exprimera en « valeur boursière », une valeur qu’il faudra ménager et qui va intéresser aussi bien les fonds de pension que tous les gestionnaires d’actifs dont les futurs « hedge funds ». Comme il est de l’intérêt des épargnants de sécuriser une retraite, le passif des fonds deviendra souvent des dettes fixes (retraites futures dont le montant est fixé à la signature des contrats, ce qu’on appelle les retraites à prestations définies). Une telle disposition invitera à la vigilance sur les actifs donc les titres des grandes entreprises. Cela signifiera que les entreprises doivent de plus en plus être sous surveillance. Ces dernières, soucieuses de s’approvisionner en capital, devront elles-mêmes rassurer les actionnaires en veillant à leurs résultats économiques, ce qui passe aussi par des innovations permanentes et des projets disruptifs qu’il faut communiquer, voire inventer pour élever les cours[2]. Au-delà, pour mieux sécuriser et mieux surveiller, on invitera à des réorganisations managériales en alignant l’intérêt des dirigeants d’entreprises sur ceux des actionnaires. Plus tard, cet alignement imposera aussi des processus de concentration avec tentative de construction de monopoles planétaires. On passe ainsi progressivement, disons dans les années 70, d’un capitalisme des grands organisateurs[3] éloignés de la finance, à un capitalisme partiellement noyé dans une matière première appelée épargne et dont le volume  - croissant et libre de toute attache - donne lieu à une  spéculation financière sans limite. Cette matière première est à l’origine d’une nouvelle industrie appelée « industrie financière ».

La logique de ce jeu est, bien sûr, de s’élargir continument, de devenir un modèle de rationalité, et surtout d’imposer une élévation continue du rendement du capital, le « return on equity » (ROE), lequel atteint aujourd’hui les 12%. Cette élévation est  un simple effet de marché qu’il faut expliquer. Dans le monde de l’économie réelle, la concurrence a le plus souvent pour effet la baisse des prix. Par contre, dans l’industrie financière, la concurrence entre fonds de pension, gestionnaires d’actifs, entreprises de capital-investissement, fonds activistes, fonds de private equity, etc. a logiquement pour effet de faire monter le prix du capital. C’est la réalisation de cet objectif que les épargnants de base ( les clients finaux de l'industrie financière) attendent de l’institution sous peine de fuir vers la concurrence. Chacune des organisations de l’industrie financière se doit par conséquent de ponctionner toujours davantage la valeur ajoutée des entreprises… au risque de ne pas survivre.  On pourrait certes imaginer que des fonds de pension raisonnables se contentent de collaborer avec des entreprises moins productrices de ROE. Toutefois, au nom de la rationalité, ils délègueront la gestion à de nouveaux entrants de l’industrie, les Hedges funds par exemple, dont l’objectif sera de capter toujours plus de valeur… avec une partie redistribuée aux fonds de pension dans le cadre d’une relation d’agence peu transparente. Globalement, il en résultera une contraction de la vision et du temps : les investissements réels des entreprises seront de moins en moins des investissements visant le long terme[4]. Plus grave encore, la captation croissante de valeur sur l’économie se paie d’une forte pression sur les salaires, lesquels vont augmenter 3 fois moins que la productivité du travail sur les 20 dernières années. Certes, toutes les entreprises ne seront pas financiarisées, mais celles qui le deviennent reporteront la ponction financière sur leurs propres salariés, mais aussi sur leurs fournisseurs (qu’il faudra également surveiller) lesquels ne survivront qu’en comprimant leur masse salariale. Une vague qui, de proche en proche, finira par atteindre la très petite entreprise… pourtant à priori très éloignée de l’industrie financière et de ses exigences…et dont les résultats économiques sont souvent très modestes…Mais aussi une vague qui va concerner les Etats, lesquels se doivent de devenir fiscalement moins voraces afin de ne pas entraver le bon fonctionnement de ces entreprises désormais très surveillées par les actionnaires.

Le jeu logique du néo-libéralisme historique est donc très clair : une épargne peu dirigée vers un futur lointain, une exigence croissante de rendements (ROE de 12%) comme effet de la concurrence sur le marché de l’industrie financière, des inégalités sociales croissantes et non maitrisables. Au final, l’éviction de tous les investissements de rendements inférieurs et donc une croissance globale de plus en plus limitée. Chaque nouvelle étape de la financiarisation devient l’approfondissement d’un cycle qui s’éloigne de plus en plus de ce que l’on pourrait vaguement appeler un intérêt général. Nous en sommes là au moment du déclenchement de la pandémie.

Un monde d’après qui se fracassera sur le mur du néo-libéralisme.

Les effets destructifs considérables de la pandémie se conjuguent aux défis laissés par une croissance sous dépendance de l’industrie financière[5]. D’où l’émergence de ce nouveau vocabulaire pour envisager le futur : « construire le monde d’après ». Sans que l’on sache très bien,  on sait pourtant que nous serons probablement amenés à envisager des investissement de long terme aux dimensions colossales et aux rendements inconnus : restauration des fonds propres des entreprises victimes de la crise sanitaire, recomposition des chaînes de la valeur et relocalisations industrielles, reconversion de l’agriculture, décarbonisation de toutes les activités, isolation de l’habitat, conversion aux énergies nouvelles, réaménagement des services de santé, recherche et mise à niveau du ou des pays dans cette matière première de demain qu’est « l’électron », infrastructures nouvelles et nouveaux moyens de transport. La liste n’est évidemment pas exhaustive. A cette liste, il faudrait aussi ajouter tous les abandons par les pouvoirs publics d’investissements ou de simples entretiens de biens communs, ce que nous avons appelé les « dévaluations internes masquées »[6]. Il s’agit là des infrastructures  civiles généreusement construites au cours des 30 glorieuses et que la financiarisation des activités devait au moins partiellement laisser en jachère : rails, ponts, routes, canaux, etc. Il s'agit aussi des équipements militaires dont les dépenses au titre du simple amortissement ont été souvent abandonné. Au total une reconstruction à périmètre et profondeur gigantesques devant mobiliser l'entièreté de la population, avec peut-être la fin de la sécession des gagnants de l'industrie financière, qui ont tant capté la valeur ajoutée pour la transformer en rente mondialisée (Au cours des dernières années, 1% de la population capte 82% du supplément de richesse produite selon OXFAM).

S’agissant de la France, de tels travaux d’Hercule ont déjà été envisagés après la seconde guerre mondiale. A l’époque, il fallait reconstruire le pays, ce qui passait là aussi par des besoins d’investissements colossaux, investissements qui furent réalisés sous la houlette des pouvoirs publics. A simple titre d’exemple, l’électron ou le numérique de l’époque, était l’électricité, d’où des investissements colossaux dans le nouvel EDF. Ainsi, en 1950, l’investissement de l’entreprise dépassait son chiffre d’affaires, un investissement réalisé sur fonds publics. Toutes les grandes entreprises nationales, les fameuses « GEN », furent ainsi vitaminées avec des participations ou aides publiques de long terme. A l’époque, il n’y avait guère d’épargne substantielle et donc, un modèle administré d’économie d’endettement s’est mis en place[7]. Bien évidemment, c’est l’articulation entre le Trésor, la Banque de France et les grandes institutions financières publiques (Caisse de Dépôts et Consignations, Crédit National, Crédit Foncier, Crédit Agricole, etc.) qui va permettre des investissements colossaux largement financés par création monétaire de la Banque de France. L’Etat n’a lui-même pas de marché financier disponible à l’échelle mondiale et ne peut disposer de ce qui est aujourd’hui l’Agence France Trésor, chargée avec l’aide de ses « SVP »[8] de valoriser une dette publique à l’échelle planétaire. Ses moyens reposent, par conséquent, assez largement sur la répression financière : il contrôle les Banques, oblige ces dernières à lui acheter des bons du Trésor et dispose d’importantes avances de la Banque de France. L’Etat oblige également ses institutions satellites, c’est-à-dire les grandes institutions financières susvisées et les banques, à financer le colossal investissement des entreprises. Les crédits à moyen et long terme sont ainsi aisément escomptables auprès du guichet de la Banque de France, ce qui est bien sûr pur acte de création monétaire. On conçoit ainsi que, sans argent, c’est-à-dire sans épargne, il est donc possible d’assurer la reconstruction du pays.

Si l’on compare maintenant les 2 périodes, la présente et celle de l’après- guerre, on constate une similitude et une grande différence :

La similitude est le fait que, dans les 2 cas, la banque centrale est mobilisée, naguère pour des investissements programmés dans l’économie réelle, aujourd’hui pour le maintien d’une situation éminemment dangereuse. La monnaie créée aujourd’hui a pour objectif essentiel d’empêcher -par toute hausse des taux… même infiniment petite- l’effondrement de la pyramide financière avec effets sur la solvabilité des entreprises et des Etats[9]. Elle avait naguère pour objet une réelle reconstruction, en particulier industrielle.

La grande différence est que naguère, même sans épargne, rien ne s’opposait à la reconstruction du ou des pays sinistrés, alors qu’aujourd’hui l’industrie financière, de part sa simple logique de fonctionnement que nous venons de présenter, étouffe toute tentative de reconstruction. Il n’y a évidemment pas de complot, et ce que certains appellent « l’oligarchie » est simplement composée de gens qui, pour se sauver, sont tenus de tenir les banques centrales et contrôler la montée en puissance de ces dernières[10]. Le ou les Etats ne restent que les accompagnateurs dociles du mouvement général. Ils devraient même remercier leur maitre car,  dans l'éruption monétaire, ils récupèrent le moyen de faire face aux nouvelles dépenses publiques associées à la pandémie. De quoi leur donner une apparence de légitimité. Par contre toute tentative sérieuse de modification - même légère- des règles du jeu, par exemple un durcissement de la loi PACTE, ne pourrait que contrarier le mouvement du ROE, avec effets de contagion sur la pyramide financière qu’il faudrait restabiliser par plus de création monétaire…[11]. D'où l'interrogation populaire bien légitime: comment se fait-il que l'Etat dépense sans compter (pandémie) tout en poursuivant ses  objectifs de réformes structurelles imposées par la logique de la finance ? 

La conclusion nous semble  claire : on ne pourra pas établir un monde enviable en modifiant les règles du jeu néo-libéral mais en changeant de jeu. S’agissant de la France, cette préoccupation devrait être au centre des débats au titre de l’élection présidentielle de 2022.


[1] « L’esprit malin du capitalisme » ; Desclée De Brouwer ; 2019.

[2] Le cas de la présente course au vaccin contre la covid19 est à cet égard édifiant, les bourses connaissant un accroissement de valeur de quelque 1400 milliards de dollars en 2 séances…suite à un simple communiqué de Pfizer.

[3] C’est la thèse de James Burnham dans son ouvrage : « l’ère des organisateurs » ; Calmann-Levy ;1947.

[4] C’est la conclusion de la Thèse de Sandra  Rigot – Cotillon soutenue en 2011 à l’Université de Nanterre sous l’autorité de Laurence Scialom et Michel Aglieta : «  Stratégie et gouvernance des fonds de pension ».

[5] Au cours des années 60 le taux d’investissement des sociétés non financières était en moyenne de 24%. Il tombe à 19% entre 1990 et 2010.

[6] http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/09/une-crypto-monnaie-souveraine-pour-la-france.html

[7] On sait que les économistes aiment distinguer cette croissance par création monétaire de celle d’aujourd’hui qu’on appelle économie de marchés financiers.

[8] C’est-à-dire des banques sélectionnées pour devenir des spécialistes en valeurs du Trésor.

[9] http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/08/enfer-de-la-dette-ou/et-paradis-de-l-illimitation-des-ressources-financieres.html

[10] http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/10/comprendre-la-toute-puissance-de-la-banque-centrale.html

[11] A la limite on notera qu’au titre de la pandémie,  les aides publiques aux ménages et aux entreprises financées avec de la dette immédiatement monétisée par la banque centrale, aide qui ressemble ainsi à l’hélicopter monnaie souvent vanté par les critiques du néo-libéralisme…ne fait que contribuer au bon fonctionnement de ce dernier….

Partager cet article
Repost0
12 novembre 2020 4 12 /11 /novembre /2020 09:49

Nous nous permettons de publier sur notre blog le texte d'une vidéo réalisée par l'un des dirigeants de XERFI : Olivier Passet. Exprimée avec des mots bien choisis, ce texte très bref donne une vision claire de notre réalité. Bonne lecture.

La crise sanitaire marque en apparence un retour de l’État, disons une re-légitimation de l’État interventionniste. Sans son action, l’économie se serait effondrée. A travers les aides ciblées, à travers les dispositifs de chômage partiel, le système des prêts garantis, ou encore à travers le soutien aux différents secteurs névralgiques du plan de relance, l’économie est maintenue en état de survie artificielle. Mais il ne s’agit pas là d’un choix doctrinal. Cette bifurcation s’impose, au gouvernement français comme à tous les autres gouvernements de la planète, y compris les plus rétifs, Allemagne en tête. Les gouvernants ne se sont pas soudain tous converti à la dette, à la relance keynésienne, pas plus qu’ils n’ont renoncé à l’économie de marché et décidé de se rallier au dogme de l’intervention, de la socialisation et peut-être demain de la collectivisation des moyens de production. Rien n’a été prémédité. Ce revirement ne tient qu’au pragmatisme et à une fuite en avant dans l’action pour sauver ce qui peut être sauvé. Mais au fond, personne ne connaît l’issue d’un processus improvisé dans l’urgence. Les gouvernements des pays avancés sortiront de cette séquence avec plusieurs dizaines de points de PIB de dette supplémentaire. Et chacun pressent, que ce qui fait solution à court terme, peut devenir le problème de demain.


Le discours sur le retour de l’État, ne saurait se contenter de la seule volumétrie des dépenses et des dettes. Certes le poids de la dépense publique dans le PIB augmente partout. Et l’accès à une dette gratuite semble ne plus opposer aucune limite à la croissance des dépenses. Mais cette dernière reproduit ce qui s’est passé lors d’autres épisodes de crise depuis plusieurs décennies. L’état à travers son intervention ne fait au fond que reprendre à son compte les pertes de la sphère privée, qu’il socialise. Autrement dit qu’il répartit entre tous les contribuables. Cette dérive des dépenses s’inscrit dans une tendance qui n’a fait que se renforcer au fil des années. Un non-dit dont nous avons maintes fois souligné l’importance croissante. La montée en puissance d’une fonction assurantielle de l’État, qui est à l’origine de l’essentiel de la hausse de la dette des pays avancés depuis 20 ans et qui ne donne lieu à aucun provisionnement faute d’être reconnue.  Le nouveau consortium qui se dessine entre la finance et les États, et qui semble procurer à ces derniers des moyens illimités, sur lequel ils pourraient asseoir son ascendant sur les autres acteurs de l’économie, n’existe que pour expurger le risque de la sphère privée, et protéger les détenteurs de capitaux des pertes inhérentes à l’instabilité croissante du système. Ce faisant, cet ascendant apparent de l’État n’est que la manifestation d’une instrumentation sur lequel, ni le citoyen, ni le politique n’a droit au chapitre. Le renflouage des agents privés, le report de la dette sur la collectivité se produit sous la tutelle bienveillante des banques centrales, et tout cela a pour seul but d’éviter une défaillance généralisée des agents privés, une contagion des risques qui atteindrait tout aussi violemment la sphère réelle et la sphère financière.


Et ce poids croissant de la dette est précisément ce qui étiole peu à peu ses possibilités d’intervention discrétionnaires traditionnelles. Le renflouage des pertes du privé prend le pas sur toutes les autres missions de l’État. Elle met sous pression les fonctions historiques qu’elles soient régaliennes, sociales ou productives. L’hyper sensibilité de la solvabilité des États aux conditions de financement, le risque disproportionné induit par une petite variation des taux d’intérêt, fait que ces derniers passent sous tutelle financière comme ils ne l’ont jamais été et qu’ils sont soumis plus que jamais, comme les entreprises aux bonnes règles de gouvernance qu’édictent les gestionnaires d’actifs.  Une tutelle qui dramatise l’impôt, notamment sur le capital et dédramatise la dette. Ce que produit la crise, c’est un état obèse… mais plus faible que jamais et de moins en moins en mesure de répondre aux préférences issues du jeu démocratique.


Reste que la crise a eu une autre conséquence, qui la différencie des précédentes. Elle surligne précisément les défaillances de l’État sur ses fonctions essentielles qui ont trait au bien commun. Santé, éducation, production à caractère stratégique, qui exposent nos économies à des risques d’effondrement économiques et sociaux qui revêtent un caractère systémique tant la finance, est exposée, elle-aussi à cette défaillance. Elle replace aussi au premier plan l’État comme commanditaire clé pour solvabiliser et impulser les marchés de demain. Mais comment ignorer l’autre message tout aussi fort de la crise.  L’État n’a plus la main sur les infrastructures collectives essentielles. Il a été moins le garant de la continuité du système productif et du lien social que les géants de la net économie ou de l’industrie pharmaceutique. La vision du capitalisme de demain est portée in fine par ces acteurs et les gestionnaires d’actif qui les gouvernent. Et lorsque l’État fait mine de reprendre la main comme agent productif, il ne fait qu’accélérer les dessins d’acteurs privés plus puissants que lui

 

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2020 3 04 /11 /novembre /2020 10:33

Les articles précédents ont largement évoqué la progressive transformation des Banques centrales en véritables proto-Etats[1]. Devenues structures protectrices d’entités très affaiblies par le choix de l’endettement, elles s’obligent aussi à maintenir des taux très bas afin de ne pas provoquer un tsunami financier. En sorte que « tenant le tout » et responsables de l’essentiel, elles sont elles-mêmes devenues les outils d’une finance dont la faiblesse est d’abord son gigantisme. Ces proto-Etats au service d’un capitalisme spéculatif sont -ils des outils infaillibles ? Les très nombreux économistes qui annoncent l’imminence d’une crise financière semblent douter de cette capacité des banques centrales à « tenir le tout ».

Le présent texte se propose  d’approfondir la question.

A priori, Covid aidant, La crise pourrait venir des Etats devenus incapables d’assurer le roulement d’une dette continuellement croissante. Elle pourrait aussi provenir de la finance dans ses excès spéculatifs aux conséquences macroéconomiques graves. Elle pourrait enfin provenir d’un mix de ces deux causes.

S’agissant des Etats, le point de départ serait bien évidemment une remontée des taux. Ces derniers sont actuellement négatifs pour nombre d’Etats et cela signifie que l’offre de titres est inférieure à la demande. Pour bien comprendre cette situation, il faut savoir que le marché primaire de la dette se fait aux « prix demandés », c’est-à-dire aux prix proposés par les acheteurs (banques) pour une émission par le Trésor. Si le prix proposé est supérieur, voire très supérieur au nominal, cela signifie que pour un taux fixé par le Trésor, le rendement peut devenir négatif. Par exemple si, pour une maturité de 1 an, une obligation de 100 au taux de 2% est vendue 105, cela signifie que le porteur recevra à terme 2 (intérêt)+ 100 (le capital investi), alors qu’il a avancé 105. D’où une perte de 105- (100+2) = 3. Si le rendement net est négatif, c’est bien en raison du prix, un prix ici trop élevé. A l’inverse, si la dette publique était boudée et que le prix demandé n’était que de 95, il est clair que l’opération serait autrement rentable pour les banques… et le coût de la dette autrement plus élevé pour le Trésor. Dans ce cas le Trésor devra à terme payer 100+ 2= 102 alors qu’il n’aura reçu que 95. Ce qu’il faut donc comprendre au travers de cet exemple est, qu’en cette fin d’année 2020, le prix des titres publics est plus élevé que le nominal et que, par conséquent, la dette publique est d’une certaine façon trop rare : les Trésors des grands pays sont, d’une certaine façon, insuffisamment endettés et le roulement de la dette n’est pas suffisant au regard des appétits des investisseurs. Le lecteur averti sait aussi que si l’appétit des banques pour la dette publique est grand, c’est aussi pour une double raison, d’abord l’énorme liquidité dont elles sont abreuvées par les banques centrales[2], ensuite la réputation de solvabilité des Etats. Cette seconde raison est ancienne alors que la première est très nouvelle et résulte du seul choix des banques centrales : « tenir le monde tel qu’il est ». Et d’une certaine façon, les Etats trouvent dans « l’abri » Banque centrale de quoi s’enrichir : plus ils s’endettent et plus ils gagnent de l’argent. En particulier, le Trésor allemand avec une dette à 10 ans au Taux de -0,6% peut fort bizarrement combler une partie de son déficit….Il s’agit là d’un paradoxe parmi d’autres…

Le poids des dettes publiques est, en moyenne, d’environ 100% des PIB des Etats. Même s’il est appelé à s’accroitre fortement en raison de la double crise sanitaire et économique, il restera faible au regard des dettes privées et de la finance en général. C’est dire que les banques centrales sont tout à fait capables d’entretenir cette rareté de dette publique -rareté garantissant des taux négatifs ou proches de zéro - en augmentant leur aide aux banques. Ainsi pour la BCE qui verrait en 2021 un roulement de la dette européenne de probablement 1200 milliards d’euros, il lui sera techniquement aisé d’augmenter son bilan de quelques centaines de milliards par le biais de nouvelles aides aux banques acheteuses de dettes publiques nationales. Et même une aggravation de la crise économique résultant de celle de la crise sanitaire serait parfaitement gérable pour les instituts d’émission. En particulier, la BCE qui a pu abandonner certaines de ses règles internes et qui n’est plus menacée par la Cour Constitutionnelle allemande, peut sans difficulté maintenir l’artificielle pénurie de dette publique et donc des taux proches de zéro.

Au total, il est peu probable que la prochaine crise financière ait pour berceau la dette publique et l’endettement croissant des Etats.

Les choses sont sans doute différentes pour ce qui est des dettes privées et de la finance en général, dettes dont le volume est autrement considérable. Les estimations sont diverses et cela correspond à ce que l’on y inclut : d’une part, encours de crédits, obligations d’entreprises, capitalisation boursière, activités du shadow banking, garanties diverses, finance de marché, etc.   et à la  définition des activités correspondantes, d’autre part. Quoi qu’il en soit, et au -delà de la seule dette publique, la taille de la sphère financière se situe entre 550 et 1100% des PIB. S’agissant de la France, ce volume en dehors de la dette publique se compose approximativement de la dette des ménages (65% du PIB), de la dette des entreprises (entre près de 100% du PIB pour l’évaluation de la Banque de France et 160% du PIB pour l’évaluation d’Oxford Economics), du total des bilans bancaires (environ 450% du PIB), et  du total des engagements hors bilan et de la finance de l’ombre (environ 200% du PIB). Le total global s’élève ainsi aux alentours de 850% du PIB.

Bien évidemment, si l’on pouvait opérer une consolidation, la situation ne serait guère effrayante. Hélas, un accident même modéré sur un actif, par exemple un défaut sur dette d’une entreprise envers son banquier, peut entrainer une contagion. Le mécanisme est simple à comprendre : puisque tout défaut sur la valeur des actifs (les crédits bancaires aux entreprises sont un actif) entraine une diminution de même valeur des fonds propres des banques, les actionnaires sont directement impactés[3]. Un mouvement de contagion est donc théoriquement possible avec les étapes suivantes : rapide disparition de la fragile digue du mécanisme de l’Union Bancaire, effondrement du cours des banques, impossibilité de reconstituer du capital sur les marchés, affolement de la multitude des clients qui soldent leurs comptes privés, explosion de l’illiquidité sur la finance de marché, etc… La propagation, en raison de la foule des acteurs sur les marchés financiers -une foule ordonnée qui devient foule paniquée- provoque une illiquidité planétaire et donc un effondrement généralisé. Et la panique ne provient pas exclusivement de la foule travaillant modestement dans le périmètre des bilans comptables (entreprises, ménages), elle provient aussi de la foule située dans l’ensemble des hors bilans (finance de marché…avec ses produits très sophistiqués et très dangereux), une foule par nature autrement volatile puisque le métier de base est le report en continu des risques sur les autres acteurs.[4]

Théoriquement, les banques centrales peuvent unir leurs efforts pour empêcher l’effondrement mais force est de constater que la tâche est autrement plus  difficile que le simple sauvetage des Etats. Deux forces se conjuguent ici : la taille du système financier dont nous venons de voir qu’il était près d’une dizaine de fois plus important que le système étatique, et la contagiosité. Dans le cas des Etats, la contagion est complètement contenue par la séparation, par l’isolement des acteurs et par la réputation de solvabilité. Dans le langage courant, il y a disparition possible des entreprises et jamais  disparition des Etats. Plus simplement encore, la BCE, par exemple, peut traiter séparément les cas difficiles en achetant davantage de dettes publiques aux Etats du sud de la zone euro. Par contre, elle ne peut isoler les banques systémiques fragilisées et leur porter durablement secours sans entamer les règles de la concurrence. Il faut donc agir globalement sur des montants gigantesques. Alors que le maintien de la solvabilité étatique peut se payer en centaines de milliards d’euros (en termes d’accroissement du bilan de la BCE), il se paie en milliers de milliards d’euros pour le maintien du système financier.

Toutefois, l’irruption potentielle d’une panique entrainant quasi mécaniquement un effondrement généralisé -avec un effondrement des Etats eux-mêmes qui devraient affronter une remontée des taux-  est bien sûr dans le viseur des Banques centrales. C’est la raison pour laquelle la plupart d’entre-elles monétisent de la dette d’entreprises, une monétisation qui affecte même les petites banques centrales (Pologne, Thaïlande, Mexique, Colombie, Israël, Corée du sud, etc.), et une monétisation qui au final protège et améliore la rentabilité des fonds propres des entreprises financiarisées.

Au total, si une crise financière devait se déclencher, elle passerait d’abord par le système financier et laisserait probablement intacte la capacité des Etats à rouler la dette et au final leur solvabilité. Notre conclusion est fort nuancée : les banques centrales sont toutes puissantes, peuvent retarder une explosion, limiter une panique, mais face à un tsunami qui s’énoncerait en milliers voire en dizaines de milliers de milliards d’euros, il est difficile d’imaginer qu’elles puissent doubler ou tripler leurs bilans en quelques heures.

De fait, les banques centrales ne pourraient confirmer leur toute puissance que si elles arrivaient à limiter le gigantisme financier, ce qui passerait par une dé-financiarisation de l’ économie réelle, et donc une prise de pouvoir beaucoup plus approfondie, c’est-à-dire  un pouvoir d’Etat classique. Cela passerait par une redéfinition complète de la gouvernance des grandes entreprises et donc la modification des relations qu’elles entretiennent avec les détenteurs de leur capital. Une telle modification permettrait la fin de l’alignement de l’intérêt des managers sur ceux des gestionnaires d’actifs, donc une redéfinition plus juste du partage de la valeur ajoutée. Cela passerait aussi par un contrôle strict des activités  spéculatives ou dangereuses : interdiction de la titrisation, interdiction des « Credit Default Swaps » à position nue, interdiction d’accès aux marchés à termes pour les  spéculateurs non impliqués dans l’activité économique réelle, etc. On pourrait même imaginer l’interdiction de création monétaire par les banques. Autant de thèmes aux conséquences macro-économiques considérables, qui supposent un travail juridique de grande portée réglementaire et évidemment un travail politique….  Mais aussi autant de thèmes impensables dans la réalité de la  gouvernance des banques centrales qui font de ces dernières un outil, certes puissant, mais  simple outil au service de la seule finance.

 Devant ce handicap, les Banques centrales restent, d’une certaine façon, spectatrices du développement des effets pervers charriés par leur stratégie de simple maintien du monde tel qu’il est : bulles sur les actifs financiers voire immobiliers avec le fantastique développement des inégalités  sociales qui en découlent, maintien d’entreprises zombies, faiblesse des gains de productivité et donc de la croissance potentielle.  

 


[3] On comprend ici toute l’inquiétude suscitée dans la profession par les différés de remboursement imaginés par le Ministre de l’économie en France. La Banque de France considère traditionnellement qu’un différé, surtout sur une somme aussi importante (123 milliards pour 600 000 entreprises au titre du PGE) correspond à un véritable défaut aux conséquences incalculables. D’où les pressions sur les régulateurs et les modifications déjà intervenues dans le calcul des fonds propres.

[4] Notons toutefois qu’une partie de la finance de marché se déroule à l’intérieur du périmètre des bilans bancaires, c’est le cas de la finance pour compte propre des banques.

Partager cet article
Repost0
18 octobre 2020 7 18 /10 /octobre /2020 09:00

A la fin de ce mois d’octobre 2020 le total du bilan de la BCE dépassera les 7000 milliards d’Euros soit davantage que le total du bilan de La FED. Compte tenu du recul du PIB des pays de la zone, il dépassera en 2021  les 60% de la richesse produite dans ladite zone . Pour l’essentiel la croissance du bilan provient des prêts  aux quelque 700 banques de la zone (plus de 1300 milliards d’euros) et au roulement de la dette publique ( quelque 800 milliards). A cela il faudrait encore ajouter les achats de dettes d’entreprises (« Corporate Sector Puchase Program»- CSPP-)  et du papier commercial.

L’émission massive de monnaie correspondante n’est pas, contrairement à ce qui est généralement affirmé, une détérioration potentielle du bilan de la BCE : une banque centrale ne connait pas comme les agents économiques classiques d’exigence de passif. C’est la raison pour laquelle certains souhaitent l’annulation des dettes, en particulier les dettes publiques devenues des poids lourds dans le budget des Etats. Et il est vrai qu’une telle annulation ne rendrait pas la BCE plus pauvre et qu’elle soulagerait nombre d’agents.

Que devient la considérable liquidité ainsi émise ?

En juillet 2020, les banques européennes ont vu leur compte à la BCE augmenter de 1300 milliards d’euros, au titre d’un nouveau crédit à moyen terme de la part de l’Institut d’émission. Cette écriture en actif a ensuite permis des prêts considérables aux entreprises arrêtées dans leurs activités pour cause sanitaire. A ce titre, s’agissant de la France, c’est au moins 140 milliards qui sont ou seront au total débloqué par les banques en 2020. Pour autant les banques ne voient pas leur liquidité affectée, et les 140 milliards en accroissement d’actifs (prêts) se retrouvent en ressources pour un montant équivalent (dépôts). Tout étudiant en économie sait en effet que les « prêts font les dépôts » et seule une conversion en billets (de plus en plus rare) vient nuancer cette banalité. Nous sommes donc dans un système monétaire – tout au moins dans la zone euro- où la liquidité extrême permet des achats de titres, et en particulier des titres de la dette publique. Une dette dont on pense qu’elle est sécurisante en ce que, comme l’or - banque centrale oblige - elle est un titre qui ne figure finalement dans le passif de personne : la banque centrale a acheté 71% de la dette émise en 2020[1] et ne s’appauvrit pas si les débiteurs sont indélicats. Il existe à cet égard une assez grande confusion des esprits et souvent ce sont les mêmes qui considèrent comme sûre la dette publique tout en s’inquiétant du mythe de la dégradation du bilan de la banque centrale.

La liquidité extrême se portant sur la dette publique fait évidemment monter la valeur des cours des dettes publiques et, corrélativement, baisser les taux correspondants. On comprend ainsi qu’une dette publique, jugée plus sûre encore que toutes les autres, puissent déboucher sur un taux négatif : le Trésor allemand peut ainsi proposer, en ce mois d’octobre, un Bund à 10 ans à -0,60%. Et si le Bund est trop rare sur le marché, donc trop cher, les banques pourront se reporter sur des dettes moins sûres qui  seront toutefois assorties de taux proches de zéro. C’est ainsi que même l’Italie et la Grèce vont bientôt bénéficier de taux nuls. Les « investisseurs », essentiellement ce qu’on appelle en France les « Spécialistes en Valeurs du Trésor » (SVT) sont des  banques qui, elles -mêmes, ont bénéficié de prêts à moyen terme à taux négatifs de la part de la BCE. De fait, recevant une subvention de la BCE, les SVT partagent ladite subvention avec les Etats endettés. Et un partage bien intéressé puisque la dette publique, pour des raisons purement conventionnelles, donc relevant de pratiques comptables validées par la Banque des Règlements Internationaux, ne « mange » pas les fonds propres comme cela est le cas pour une dette corporate. Se trouve ainsi mis en place un circuit allant de la BCE vers les banques, puis les Etats, avec retour vers la BCE sous forme de rachat de la dette. Et un circuit qui accroit la liquidité, et des banques et des Etats, et qui a pour moteur la BCE.

Mais la BCE ne prête pas qu’aux banques et ne monétise pas que de la dette publique, elle achète de plus en plus de dette corporate, donc des obligations d’entreprises. Ce faisant, elle en soutient le cours et permet d’améliorer d’abord l’image des entreprises, les conditions de leur mobilisation de capital, voire leur rentabilité si les rachats débouchent aussi sur le rachat par les entreprises de leurs propres actions. La BCE peut ainsi contribuer indirectement au financement de profits simplement spéculatifs. Plus généralement elle participe, avec sans doute d’autres banques centrales, et en particulier la FED,  au soutien de l’ensemble de la finance de l’ombre, avec en particulier les poids lourds de la gestion d’actifs. Ainsi Black Rock, Vanguard, JP Morgan, Amundi, etc. dépendent directement des politiques monétaires devenues aussi progressivement de vrais politiques budgétaires des banques centrales. Plus généralement encore une extrême liquidité en hausse constante nourrit un Trading qui fait l’essentiel du profit des grandes banques américaines[2], l’investissement dans le casino étant plus rentable que dans celui de l’économie.

Face à un rapetissement des Etats, on peut se demander si la clé de voûte du système - la Banque centrale qui semble tenir le tout - n’est pas que simple apparence. Manifestement, la banque centrale n’est pas au service d’elle-même mais au service d’autres acteurs qui se situent essentiellement dans le monde de la finance, de la banque, et d’une manière plus générale dans ce qu’on appelle le réseau des acteurs d’un capitalisme devenu financier.

D’une certaine façon, la BCE a déjà dépassé le stade du proto-Etat classique. On se rappelle en effet que le « coup d’Etat constitutif des Etats » (Pierre Clastres)[3] correspond à l’accaparement de ce qui était le commun des hommes par des individus privés. Nous disions dans un texte précédent[4] que l’Etat primitif était la première privatisation dans le monde des humains. Manifestement, la Banque centrale moderne n’est pas le fait d’un coup d’Etat, et ses dirigeants sont de fait les simples exécutants d’une œuvre qui les dépasse. Le système des « portes tournantes » chère à Laurence Scialom[5] ne contredit pas ce point de vue : les acteurs privés de la finance, prennent momentanément les rênes de la machine pour la rendre obéissante…. mais le passage dans le public est d’autant plus bref que la carrière se déroule ailleurs…. Cela signifie aussi en reprenant notre article du 8 octobre dernier[6] que le scénario rationnel d’une banque centrale devenant monopole naturel est assez peu probable[7].

Très réellement, Marx a partiellement raison dans son analyse de l’Etat qui fait des acteurs politiques les architectes d’une reproduction des « rapports sociaux de production ». La Banque centrale de la décennie qui s’ouvre, est déjà un Etat moderne chargé, au plus haut niveau, du maintien de l’ordre néo-libéral. Et dans ce contexte les vieux Etats, d’une certaine façon, nourris par le roulement continu et croissant de la dette, n’ont plus qu’à aider, telle une simple collectivité locale, à entretenir chacun dans son espace, l’ordre libéral.

Et cet entretien à l’échelle devenue locale doit respecter les règles du système : même si le roulement de la dette est garanti par des taux nuls devenus obligatoires si l’on veut sauver le système,[8] ces nouvelles collectivités territoriales que sont devenues les vieux Etats, doivent épauler l’entreprise financiarisée en rabotant en permanence ses charges. Ils doivent aussi concourir à la disparition des spreads de taux sur la dette publique en maitrisant la dépense publique. Garantir le respect du libre-échange, garantir la parfaite circulation du capital, mais surtout diminuer le poids des charges sociales et de la fiscalité,   sont devenus la besogne quotidienne de chaque vieil Etat, une besogne dument contrôlée par des acteurs qui les dépassent.

 Ce travail peut apparaitre comme celui de « petits bras » puisque les sommes rapportées par les réformes structurelles (marché du travail, retraites, fiscalité, etc) , se comptent, pour un pays comme la France, en dizaines de milliards quand le simple roulement de la dette s’énonce, lui, en centaines de milliards. Il est néanmoins fondamental car il contribue à la bonne tenue des cours de la dette des entreprises et aux valorisations boursières devenues fondamentales avec la financiarisation généralisée. Au fond la Banque centrale tient le système par le haut, tandis que ces nouvelles collectivités territoriales que sont devenus les vieux Etats sont chargés de le soutenir par le bas…tâche rémunérée par la garantie du roulement de la dette.


[1] CF FMI dans le Fiscal Monitor d’octobre 2020 : « Policies for the recover ».

[2] 25,6 milliards de dollars pour le seul troisième trimestre 2020 pour les 6 grandes banques américaines : JP Morgan, Bank of America, Goldman Sachs, Morgan Stanley et Wells Fargo.

[3] Cf son ouvrage majeur : « La société contre l’Etat » ; Editions de minuit ; 1974.

[5] Cf : « La fascination de l’ogre» ou comment desserrer l’Etat de la finance- Fayard ; 2019.

 

http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/10/questions-autour-de-l-euro-numerique-de-la-bce-monopole-naturel-ou-proto-etat.html[6]

[7] Nous renvoyons ici à notre article du 6 juillet et à ses conclusions : http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/07/les-banques-centrales-vont-elles-devenir-des-etats,partie-2.html

[8]  condition devenue fondamentale pour la finance, y compris pour les banques qui seraient vites en cessation de paiement si leurs actifs devaient s’effondrer par une remontée des taux.

Partager cet article
Repost0
8 octobre 2020 4 08 /10 /octobre /2020 09:49

La BCE vient de publier un rapport d’une cinquantaine de pages sur un « euro numérique ».

L’affaire est sensible et se nourrit de la disparition des pièces et billets traditionnels, de la numérisation croissante des activités et, sans doute, de l’apparition jugée inopportune de crypto-monnaies privées. Le rapport n’évoque que très peu les implications concrètes d’une monnaie numérique « Banque Centrale » et conclut surtout sur la nécessité d’une enquête approfondie devant déboucher sur des expérimentations au cours de l’année 2021. Le présent texte tente d’identifier les tendances mécaniques lourdes d’un tel projet.

La monnaie numérique remplaçant les pièces et billets serait de fait, la possibilité pour les agents privés, de disposer d’un compte à la Banque Centrale comme traditionnellement les Etats et les banques. Il s’agirait d’une nouveauté majeure -a priori peu compréhensible- tant il est vrai que la crypto-monnaie pourrait être techniquement entièrement construite et gérée par le système bancaire classique.

Très vite - même si temporairement on associe comme le suggère le rapport, le système bancaire - il apparaitrait qu’un tel dispositif serait autrement plus rationnel que le dispositif présent. En effet, la monnaie numérique « Banque centrale » correspond à l’apparition d’une infrastructure très efficace de circulation de la valeur tant au niveau national qu’au niveau international : le marché interbancaire devient largement inutile et la sécurisation des transactions devient totale. Infrastructure, unique ou presque, de la circulation de la valeur, la BCE numériquement équipée ne ferait plus qu’enregistrer, à vitesse exceptionnellement élevée, les mouvements de compte à compte et ce, sur un document unique qui est son bilan. Bien sûr, la liberté est sans doute menacée, puisque désormais, la circulation laissera des traces utilisables par l’autorité monétaire. Billets et pièces n’avaient pas d’odeur, ce qui ne sera plus le cas même si l’on prend un luxe de précautions. De fait, la tendance lourde, si le projet devait aboutir, est la construction progressive - loi des rendements croissants aidant - d’un monopole naturel autrement plus performant que le système décentralisé d’aujourd’hui.

Cela signifie une lourde menace pour les banques traditionnellement - et considérablement - aidées par une BCE qui n’hésite pas à les subventionner par des prêts gigantesques à taux négatifs. En effet, si la disparition d’un numéraire encombrant correspond à une diminution des coûts de fonctionnement, à l’inverse, une augmentation de volume de la monnaie numérique correspond aussi à des dépôts bancaires plus réduits. Bien évidemment, le rapport précise que ladite monnaie ne concernerait que les « paiements de détails ». Toutefois, il est clair que la rationalisation apportée incitera les titulaires de comptes numériques à voir les choses en plus grand : pourquoi ne pas utiliser ce moyen facile pour concrétiser des achats plus importants voire des quasi investissements s’agissant des ménages ? En allant plus loin pourquoi - du point de vue des entreprises et des ménages - ne pas abandonner le compte bancaire traditionnel d’une institution jugée moins sûre et se réfugier en totalité dans un compte numérique d’une institution dont on sait que la faillite est impossible ? De ce point de vue, la concurrence du monopole naturel, sans même évoquer la possible élimination des entreprises de paiements électroniques, se ferait spontanément implacable, et il faudrait toute l’autorité des administrateurs de la BCE pour empêcher cette dernière de « commettre un malheur ». Malheur qui serait gigantesque, si d’aventure les comptes traditionnels s’asséchant, les actifs bancaires devaient se réduire et provoquer une crise financière. De fait, si dans un tel projet les personnels politico-administratifs confirment leur choix de servitude volontaire, il y aurait conflit entre les usagers (ménages et entreprises) qui souhaiteraient un compte numérique élargi et les banques et le système financier, qui veilleraient à en réduire le périmètre. La gestion de ce conflit ne donne pas lieu à solution unique et la BCE peut très bien trouver un consensus en achetant massivement les actifs financiers, lesquels seraient menacés de réalisation par des banques en cure d’amaigrissement du côté de leur passif. Ce dernier choix par la banque centrale la rendrait véritablement maitresse du jeu et la transformerait encore un peu plus en proto-Etat. Moins brutalement, la BCE pourrait envisager une solution plus décentralisée et laisser davantage de place aux banques, en leur accordant le bénéfice d’une délégation de service public, aux fins de gérer les nouveaux comptes numériques. Cette version plus conglomérale ne permet toutefois pas de dépasser l’impression de « totalisation » qui émanerait de la concrétisation d’un tel projet.

Quoiqu’il en soit, si le projet devait se matérialiser, la puissance de la BCE deviendrait - par le jeu classique de la construction d’un monopole naturel - considérable, et son bilan serait à nouveau alourdi. Désormais, tous les acteurs de la société européenne seraient sous la coupe d’une institution détentrice, par le biais des comptes, d’une partie substantielle de leur patrimoine. Et cette institution serait, en suivant ces comptes, spectatrice de toutes les relations entre tous les agents européens : Etats, banques, entreprises, ménages, extérieur….

Cette puissance et cette totalisation nous rappelle un peu l’histoire du Système de Law au cours de la période 1718- 1720. Il est difficile de donner un nom à cette gigantesque construction issue d’un accord ente le Régent et Law. D’où l’idée de « Système » dans lequel, Banque royale et Compagnie d’Occident, avalent un grand nombre d’institutions de l’époque (y compris les autres compagnies : voire le très complexe système de collecte de l’impôt) et vont former un vaste conglomérat et une totalisation. Totalisation, dont on ne sait plus si elle est d’essence privée ou d’essence publique. Bien sûr, le point de départ fût la question de la dette publique et de la rareté monétaire, mais cette réalité caractérisait aussi un certain état de la société à la mort du Roi Soleil. On connait l’issue catastrophique de cette construction au cours de l’année 1720 : un excès dans l’émission de papier monnaie par la Banque pour soutenir le cours de la Compagnie. A l’époque, comme plus tard pour les assignats, ce que nous avons appelé la « loi d’airain de la monnaie » joue pleinement. La société n’est nullement prête à abandonner le métal précieux et très vite l’émission monétaire est contestée et prendra ultérieurement la forme d’une panique. Les dirigeants du Système - comme plus tard les révolutionnaires - savaient cela, connaissaient déjà la loi d’airain et précisément, le projet ultime de Law était, grâce à la totalisation mêlant privé et public, d’aboutir à la démonétisation du métal. La richesse n’est pas l’or mais ce que pourra produire la compagnie et ses satellites. Même chose pour les révolutionnaires : l’or doit disparaître et un « projet de décret pour démonétiser l’or et l’argent » est présenté au législateur le 1er décembre 1793. Il ne sera jamais promulgué car anthropologiquement, idéologiquement, socialement, inacceptable.

Au niveau BCE, la nouvelle totalité qui pourrait se mettre en place est bien plus performante que celle du système de Law. Il n’y a pas à craindre de panique du côté des marchés : la BCE peut émettre autant de monnaie qu’exigée par le soutien des cours boursiers, ce qui n’était pas le cas de la Banque royale, enkystée dans la Compagnie. Il n’y a plus de loi d’airain et les euros émis massivement consolident l’ordre alors que les papiers de Law vont développer le chaos. La BCE est bien potentiellement un système total. Le système de Law l’était aussi mais il restait soumis à une fuite, qui n’était pas à l’époque, anthropologiquement, idéologiquement, socialement, susceptible d’être comblée.

Curieusement, l’ordre humain que maintient la BCE est l’inverse de celui voulu par le Système : la première cherche à maintenir - quel qu’en soit le prix - un ordre institutionnel, économique et social – approximativement, ce qu’on appelle le capitalisme financier - alors que le second était authentiquement révolutionnaire avec en particulier le projet de la fin des rentes. La BCE, devenant progressivement proto-Etat, se donne les moyens d’assurer - au moins provisoirement - la rente financière, tandis que le système de Law n’avait pas les moyens de tuer les vieilles rentes de l’ancien régime.

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
24 septembre 2020 4 24 /09 /septembre /2020 13:52

On en sait maintenant davantage sur le plan de relance européen et ses conséquences pour la France. Celle-ci recevra une subvention de 37,39 milliards d’euro. Compte tenu de sa participation d’un peu plus de 17% au budget européen, cela signifie mécaniquement que le pays devra rembourser 17% de 390 milliards de « subventions » offertes par la Commission, soit 66,3 milliards. En admettant que les taux de l’intérêt soient nuls comme ils le sont en utilisant les services de l’Agence France Trésor (AFT), cela signifie une perte de 28,9 milliards. Par comparaison, l’Allemagne recevra 22,72 milliards et remboursera 78 milliards (transfert de 55,28 milliards), l’Italie recevra 65,46 milliards et remboursera 54,6 milliards (gain de 10,86), et l’Espagne recevra 59,17 milliards pour un remboursement de 37 milliards (gain de 22).

Globalement, nous confirmons notre point de vue du 24 août dernier, [1]la France, pays beaucoup plus proche du sud que du nord est très mal traitée dans l’accord bruxellois du 21 juillet dernier. Notons également la relative faiblesse des gains pour le sud.

Le plus important toutefois est l’ensemble de contraintes associées au versement des fonds : disponibilité éloignée (jusque 2023), conditionnalité avec imposition d’une articulation des subventions aux plans nationaux et droits de regard de la commission sur l’ensemble, etc. A cet égard cette dernière vient de publier un « formulaire modèle » de 44 pages[2], que chaque gouvernement devra remplir, afin d’assurer une grande transparence de l’audit de recevabilité des projets. Bien évidemment seront retrouvées, dans les conditions de  la recevabilité, les anciennes « recommandations » concernant les réformes du marché du travail et les systèmes de retraites. La précision des demandes devra être appuyée sur une liste d’indicateurs chiffrés que chaque gouvernement devra construire d’ici le 15 octobre. On notera l’aspect humiliant de la procédure en examinant le document susvisé, notamment sa page 35 ramenant le dirigeant politique élu, au statut d’exclu implorant une aide auprès d’une administration. L’accord du 21 juillet est donc bien une montée en puissance de la Commission et une avancée spectaculaire dans la servitude des Etats…. toujours applaudie par leurs personnels politico-administratifs respectifs…

Cet aspect est d’une certaine façon bien plus important que les chiffres susvisés. Les remboursements des « subventions » ne commencent qu’en 2028 et vont s’échelonner jusqu’en 2058. Cela signifie que le coût économique, y compris pour l’Allemagne, sera négligeable ( 1, 8 milliards d’euros l’an…. et seulement à partir de 2028, soit moins de 0,01% du PIB allemand d’aujourd’hui). Par contre, l’avantage symbolique est important et surtout il y a une avancée significative d’un fédéralisme non démocratique et en toute hypothèse non adapté à un certain nombre de pays dont la France.

Il existait probablement d’autres voies pour financer la relance. Nous voudrions dans cet article évoquer celle de la crypto-monnaie nationale.

Une crypto-monnaie nationale.

L’idée est de s’extirper des contraintes de l’euro qui a construit les grandes faiblesses du pays. Parce que l’économie française s’est trouvée devoir s’appuyer, d’abord sur un « Franc fort », ensuite  sur une monnaie confirmant un taux de change durablement inadapté, le pays s’est acheminé vers des politiques de dévaluations internes masquées qui ont construit progressivement et durablement sa fragilité.

Sa première fragilité, souvent exprimée, est l’importance excessive des dépenses sociales. A ce titre, il est généralement affirmé qu’elles constituent le premier chantier des nécessaires réformes. C’est pourtant oublier que ces dépenses constituent la contrepartie, probablement involontaire, d’un déficit de compétitivité dû au taux de change. Parce que la dévaluation externe est devenue impossible depuis l’époque du Franc fort (Bérégovoy), il a bien fallu payer le prix du refus socialement exprimé de la dévaluation interne. Logiquement, parce que la masse des salaires est une composante macroéconomique fondamentale, la dévaluation se devait d’être essentiellement salariale : prise en charge du chômage résultant de l’implacable désindustrialisation, outils bureaucratiques de couvertures de dépenses sociales, de compensation du délitement économique, prise en charge par l’Etat de cotisations etc. La dévaluation interne directe sur les salaires s’avérant politiquement impossible, le déficit budgétaire est devenu le prix réel de ce refus. Avec bien sûr,, des conséquences sur d’autres dépenses. Nous y reviendrons. Globalement nous avons l’œil sur les réformes portant sur la boursouflure du social, question réelle, sans se poser la question de l’origine première de cette dernière.

Face à cet enfermement, la mise en place d’une crypto-monnaie nationale permettrait-elle de quitter les contraintes de l’euro et la pérennisation du modèle social français devenu dans le présent contexte impraticable ? Clairement existe-t-il une voie permettant de respecter plus ou moins les contraintes de l’euro tout en refusant la pleine dévaluation interne frappant ouvertement les salaires ?

La mise en place d’une crypto-monnaie nationale.

Le gouvernement Chinois, soucieux de sa pleine souveraineté teste actuellement avec l’aide de sa banque centrale, sa propre crypto-monnaie. Cette dernière permettrait aussi une traçabilité complète des échanges à l’intérieur du territoire. Il n’est évidemment pas question de demander à la Banque de France de produire une crypto-monnaie nationale : la banque étant soumise à l’euro-système, seule le Trésor serait en mesure, en toute liberté, de créer une crypto-monnaie dont l’usage serait la relance. De ce point de vue, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’est en aucune manière trahi par une telle décision. Techniquement, les choses sont aisées et la gestion de la pandémie avec l’aide massive du Trésor et de ses satellites a montré, au printemps dernier, que l’administration française était suffisamment équipée : elle possède l’identité des comptes bancaires et coordonnées de tous les agents économiques, en particulier ceux des entreprises et des ménages. Plutôt que d’envisager un plan de relance en euros, très long à mettre en place,  avec forte surveillance de la bureaucratie bruxelloise prenant en charge une partie des projets (à hauteur de 37,39 milliards),  il s’agirait de mettre en place un plan adapté et souple permettant la fin des dévaluations internes et une authentique reconstruction du pays.

Une crypto-monnaie du Trésor pourrait s’appeler « crypto-euro », serait parfaitement convertible avec l’euro au taux de 1 contre 1, et détiendrait un pouvoir légal et libératoire sans limite. Pour autant, aurait-elle les moyens d’assurer une relance quelconque sans entrer en contradiction avec ce qui est devenu l’autorité bruxelloise ?

Logiquement, au titre de la relance dont il faudra présenter la philosophie générale, il y a émission de monnaie nouvelle, donc dépense publique supplémentaire qui n’affecte pas le solde public en euros :la dépense publique supplémentaire s’effectue dans une nouvelle monnaie souveraine. Les ressources distribuées sont des moyens de paiement pour tous les agents. Aucun agent n’est censé la refuser en raison de la parfaite convertibilité et du cours légal. Toutefois, on peut penser que la loi de Gresham va s’appliquer, aussi en raison de l’énorme scandale provoqué, bien sûr auprès des autorités européennes, mais au-delà, à l’échelle du monde. Cela signifie que le circuit du Trésor va s’appliquer de façon intégrale : les agents économiques auront le souci de payer la totalité de leurs impôts et autres prélèvements publics obligatoires en crypto-euros. Bien sûr, fort classiquement, aux dépenses publiques nouvelles -circuit du Trésor oblige- se trouvent assorties des recettes induites. Elles seront logiquement libellées en crypto-euros. Mais, loi de Gresham aidant, les recettes publiques jusqu’ici payées en euros seront payées en crypto-euros et ce jusqu’au dernier centime. Les administrations publiques vont donc perdre des recettes en euros. Et donc l’utilisation de la crypto monnaie ne sera pas neutre sur le déficit « officiel » en euros. Dans un dispositif de relance en crypto-monnaie, le déficit supplémentaire en euros provient des recettes et non des dépenses, alors que dans un dispositif de relance en euros, le déficit provient des dépenses et non des recettes. Il est toutefois difficile de dire si l’un domine l’autre en termes d’effet sur le budget officiel.

L’utilisation d’une crypto-monnaie publique, sans renverser le dispositif européen, présente donc des effets difficilement évaluables. On peut penser que la propension à épargner (ici propension marginale) serait proche de zéro en raison de la possible loi de Gresham. Mais il peut y avoir substitution en raison du cours légal et donc apparition d’une propension marginale en euros…Il est donc difficile d’évaluer l’effet multiplicateur de la relance par la crypto-monnaie et de le comparer avec celui obtenu par l’euro. Nous y reviendrons. Dans le même ordre d’idées, on pourrait penser à de possibles réactions sur le marché officiel de la dette publique. Difficile de répondre à des questions qu’aucun modèle économétrique ne pourrait trancher.

Au-delà, en supposant que les effets pervers de la relance par crypto-monnaie soient sous contrôle, les avantages d’un retour partiel à la souveraineté vont se heurter à la question du taux de change.

Peut-on sauter au -dessus de la barrière de l’euro sans le faire tomber ?

Bien évidemment, le dispositif de crypto-monnaie permet d’échapper aux contraintes bruxelloises qui confondent les causes avec leurs effets : la situation très difficile du pays a moins pour cause des structures sociales à corriger, et bien davantage une  question de compétitivité.

En attendant, le retour de la souveraineté permettrait d’effacer une partie des dégâts provoqués par la servitude volontaire de nos personnels politico-administratifs. Les dévaluations internes masquées, et non assumées, ne  sont pas remarquées par la seule dette publique. De fait, c’est tout un ensemble de politiques qui se sont trouvées dans l’étau de la nécessaire dévaluation interne imposée par l’euro.

 On peut en citer quelques-unes. Ainsi les grandes infrastructures montées durant les trente glorieuses, sont relativement mal dotées, d’où des milliers de ponts devenus dangereux, un réseau routier insuffisamment entretenu, des voies ferrées dans un état désastreux, etc. Ainsi, des structures de recherche de moins en moins pourvues, tels le CNRS, l’INSERM, les Universités, etc. Ainsi les structures hospitalières victimes d’un ONDAM muselé transformant la T2A en « points flottants » continuellement décroissants. Ainsi, la spectaculaire diminution des dépenses militaires ( 3,5% de PIB en 1990 contre moins de 2% aujourd’hui) ou les insuffisances criantes sur l’appareil judiciaire. Les exemples pourraient être multipliés à l’infini et viennent s’ajouter aux énormes dépenses sociales qui ne sont, au moins partiellement, que la conséquence de l’effondrement progressif des structures productives du pays.

 L’essentiel de cet effondrement est, d’abord et surtout, celui des entreprises exposées à la concurrence internationale victimes d’un système de prix ne leur permettant plus de dégager des marges suffisantes pour investir. Elles aussi, en première ligne, furent et sont encore soumises à dévaluation interne. Ainsi le taux de marge ( Excédent brut d’exploitation/valeur ajoutée brute)  ne cesse de baisser depuis 2000 et se trouve aujourd’hui près de 11 points inférieur au taux allemand (environ 3O% contre 41 pour les entreprises allemandes) . Et là encore la  dévaluation fut plus ou moins masquée par des dispositifs malsains -tel celui du CICE- qui ont davantage préservés des emplois plutôt que d’en créer ou de contribuer à la modernisation.

Bien évidemment, une relance par le biais de la crypto-monnaie pourrait gommer cet ensemble de dévaluations internes.

En commençant par le début, il serait possible de revitaliser les entreprises par un apport massif de capitaux propres  dont certains pourraient être dépourvus de droits de vote, et ce afin d’éviter l’accusation d’étatisation. Il s’agirait non seulement de réduire leur endettement (près de 2000 milliards d’euros) mais de permettre une rupture soit technologique, soit de marché et d’autoriser une productivité permettant d’effacer la grande barrière de l’euro et d’entrer dans une compétitivité plus saine. L’enjeu est énorme car il s’agit de réduire un déficit commercial de 3 points de PIB (70 milliards d’euros) venant aussi affaisser le multiplicateur.

Pour réussir, une telle mise à niveau doit s’effectuer de façon simultanée et il ne peut plus être question de dévaluation interne masquée qui, depuis trente-cinq ans, pénalise directement certains agents pour en sauver d’autres. Clairement, les forces armées, l’hôpital, la science, les services publics, etc. ne doivent plus payer le prix d’un sauvetage d’entreprises menacées par le mur de l’euro et ses nécessaires compléments en termes de libre circulation du capital. Clairement, il faut à la fois aborder la question d’une réindustrialisation et la reconstruction de tout ce qui a été perdu sur l’hôtel de l’euro…y compris la qualité du lien social.

Cela signifie que la relance par la crypto-monnaie est plus affaire de projet global, ce qui implique que le volume de monnaie émise soit suffisamment important pour aborder tous les sujets, et ce de manière rapide.

Techniquement cela est possible puisque les lourdeurs bureaucratiques seraient allégées du détournement obligatoire et hautement surveillé de la Commission. De la même façon il ne sera plus question des réformes structurelles imposées par les exigences de l’euro-système, mais simplement choisies par un peuple souverain. De quoi renouer avec une culture commune et donc un lien social de meilleure qualité.

De ce point de vue, on peut être partiellement rassuré en revenant sur l’examen des déficits entrainés par la nouvelle monnaie. Prenons l’exemple d’une dépense supplémentaire de 100.

 Logiquement, pour un multiplicateur d’une unité, le retour correspond aux prélèvements classiques des administrations publiques, soit environ 45 pour la France. La loi de Gresham dont nous supposons l’application mécanique transformera ce retour en 100 unités puisque les agents voudront se débarrasser de la totalité de la monnaie nouvelle réputée « mauvaise monnaie ». Cela signifie en recettes une perte de 55 en euros sur le budget officiel surveillé par Bruxelles. D’où une aggravation du déficit officiel de 55.

Si maintenant, la relance ne  se fait pas par la nouvelle monnaie mais en utilisant l’euro, nous constatons le même résultat : Depense supplémentaire de 100 en euros et recettes publiques de 45, d’où un déficit accru de 55.

Bien évidemment, l’exemple est simplifié et évacue les remarques antérieures. Toutefois, nous pouvons choisir des multiplicateurs de valeurs différentes, le résultat est le même : le déficit est le même quelle que soit la voie empruntée.

Faire le choix d’une crypto-monnaie pour assurer une authentique transformation du pays n’est sans doute pas sans risque. Il est toutefois bien meilleur que celui consistant à aggraver le processus de dévaluation interne, aggravation autorisée par une Commission européenne qui, par le biais des modalités concrètes de son propre plan de relance, en arrive à contrôler le détail des plans nationaux. Parce que le plan de relance français, sous couvert de modernisation de « verdisation » et de « digitalisation » devient directement intégré  au contrôle européen à des fins de dévaluations internes, il est urgent d’envisager d’autres voies. Celle de la crypto-monnaie nationale en est une.

 

Partager cet article
Repost0
15 septembre 2020 2 15 /09 /septembre /2020 13:24

Quelques  idées complémentaires sont abordées dans ce papier :

  1. La forte montée de l’incertitude globale et mondiale engendrée par la pandémie détruit un capital social déjà fortement abimé. Les coûts de reconstruction de ce capital ne sont pas comptabilisés dans les plans de relance.
  2. L’oligopole asymétrique, et fortement coordonné des banques centrales autour de la FED, apparait faussement comme la solution présente à l’incertitude globale et mondiale.
  3.  Cet oligopole a pour actionnaires un duopole complexe fait de la finance mondialisée (actionnaire principal) et des organisations politico-administratives encore plus ou moins nationales (actionnaires secondaires ayant fait le choix de la servitude volontaire). L’oligopole asymétrique présente les caractéristiques d’un proto-Etat.
  4. Une façon de limiter la négativité de l’incertitude globale et la fausse solution d’un oligopole asymétrique se transformant en proto-Etat est le rétablissement de la souveraineté monétaire. Cette souveraineté peut profiter des technologies numériques et permet de remettre en pleine lumière ce qui fut historiquement la naissance du couple Etat/monnaie.

Le coût de la levée de l’incertitude et de la demande de protection

Les humains en tant que cellules formant un ensemble appelé « société » ont à régler les grands   problèmes de la vie : conservation, reproduction, régulation de l’ensemble. D’abord   conservation   qui oblige à absorber des éléments extérieurs (air, aliments) pour se maintenir en vie. Ensuite, reproduction qui, historiquement, a consisté à organiser la sexualité en vue d’une reproduction du monde. Enfin, régulation qui consiste en la mise à disposition d’un ensemble d’outils pour que la société fonctionne.

La résolution de ces grands défis a donné lieu à d’infinies variations de règles de fonctionnement d’où des cultures très diverses, voire des civilisations.

Ce phénomène de développement culturel répondant à des questions de vie est largement un fait         social émergent spontanément. De ce point de vue, Hayek a raison contre Descartes lorsqu’il affirme que si ce capital social (normes, visions, valeurs, morale, etc.) nous est largement utile dans notre interaction sociale quotidienne, nous n’en avons pas véritablement conscience. Clairement, notre action prend appui sur un capital socialement construit par les hommes mais très largement en dehors de leurs intentions.

Pour autant, ce capital est sécurisant puisque situé au-dessus de chacun d’eux, il est un langage commun sur le monde. Il permet d’anticiper assez largement les intentions des uns et des autres et fait que les sociétés humaines fonctionnent le plus souvent en dehors du risque de chaos. Ce capital forge des certitudes et de la confiance dans des actions concrètes jugées naturelles ou rationnelles et dont on attend un résultat avantageux.

On peut en déduire que la mise à disposition, toujours gratuite, de certitudes au profit d’un ensemble humain est fondamental. A contrario, l’apparition d’incertitudes provoque tout aussi naturellement un désordre qu’il faut éventuellement combler par des mesures réparatrices dont le coût est probablement proportionnel à la densité sociale, c’est-à-dire à la quantité des interactions sociales

C’est très exactement ce que nous rencontrons aujourd’hui avec la pandémie. Si un capital social plus ou moins dense permet de produire l’illusion sécurisante de contrôle du monde, la pandémie ouvre une période d’incertitudes difficiles à réduire en raison de l’extrême densité sociale qui caractérise le monde d’aujourd’hui. Inutile de rappeler ici toutes les mésaventures de l’interaction sociale que nous rencontrons.

Prenons simplement l’exemple de l’école et de la fermeture d’une classe pour risque sanitaire. L’extrême densité sociale fera que cela entrainera dans un certain nombre de cas, la mise au chômage partiel des parents et ce, avec des conséquences débouchant sur davantage d’incertitudes, pour les finances publiques, pour les charges des entreprises, pour leur fonctionnement concret avec toutes les conséquences pour la réalisation des contrats en cours ou marchés prévisibles, etc. Il n’y a pas que le virus qui est rhizomatique, et l’incertitude globale qu’il crée à partir d’une simple classe d’enfants d’âge scolaire concerne tous les aspects de la rencontre sociale et ce, à l’échelle de la société.

Nous ne parlerons pas ici des coûts de rétablissement du capital social. Ils sont probablement gigantesques à l’échelle de la planète. Signalons simplement qu’ils ne sont pas mesurables et ne peuvent pas être pris en considération dans les enveloppes des plans de relance de chaque pays. C’est dire aussi que ces enveloppes déjà non finançables sur les marchés classiques de la dette publique, devront probablement être corrigées à la hausse et ce, tant qu’un capital social suffisamment sécurisé ne sera pas rétabli. En attendant il semble qu’une sécurisation plus ou moins précaire apparaisse avec la montée en puissance d’un nouvel acteur dans le jeu social : le proto-Etat.

La fausse sécurisation par l’apparition de proto-Etats

L’élément, à première vue stable, qui produit encore un peu de certitudes dans un monde en déshérence, est sans doute le réseau des banques centrales dont on peut se demander s’il ne constitue pas les prémisses d’un ou de plusieurs proto-Etats.

De ce point de vue, il est clair que les banques centrales ont quitté leur métier de base consistant à valider le statut de simples infrastructures de marché, lesquelles autorisent le fonctionnement quotidien des banques et se trouvent faites logiquement de créances et de dettes à très court terme (prises en pension). Aujourd’hui, près de 80% du bilan de la BCE est constitué de prêts à moyen et long terme auprès du système bancaire (18%) et de prêts aux Etats (59%). Les montants correspondants sont colossaux : 1300 milliards pour 700 banques en juillet 2020, et un cumul au 19 juin 2020 de 3326 milliards d’euros pour les Etats. Dans le même temps est proposé un programme d’achat d’obligations d’entreprises, dont le contenu qualitatif serait finement précisé : éligibilité à la collatéralisation, à la cause climatique, etc. le tout assorti de protocoles de reporting tout aussi précis. Clairement, nous nous acheminons vers un dispositif d’aide au profit de la plupart des acteurs, les banques elles-mêmes avec un taux négatif permettant de remédier à leur rentabilité insuffisante, les Etats qui voient leurs engagements considérablement augmentés et sont tétanisés par la réapparition de spreads de taux, les entreprises qui, par le biais des 2 premiers acteurs, se maintiennent à flot par perfusion financière (20 points de valeur ajoutée pour les seules entreprises françaises). Comment ne pas découvrir une nouvelle réalité au-delà du voile déchiré de l’indépendance de la Banque centrale ? Comment ne pas voir qu’elle devient un proto-Etat chargé de la régulation d’un ensemble devenu chaotique ? Comment ne pas voir que de fait, elle a désormais pour acteurs un duopole composé de la finance et d’organisations politico-admiratives multiples (les Etats) ayant choisi la servitude volontaire pour se sauver elles-mêmes en sauvant les acteurs dont ils ont la charge (entreprises chargées de l’emploi du « demos ») ?

La FED est dans une situation analogue. Son bilan s’est accru de 3000 milliards de dollars pour soutenir un Trésor chargé d’un budget s’acheminant vers un déficit de 18,7 points de PIB en 2020. Simultanément, la FED s’est portée acheteuse sur le marché des ETF, marché qui représente les fonds indiciels et donc l’ensemble du paysage financier. Cette disposition ajoute à la grande porosité entre les deux marchés, celui des actions et celui des obligations, porosité déjà lisible avec les obligations convertibles et les obligations hybrides qui permettent à bon compte une augmentation des fonds propres.

 Tout aussi simultanément, la FED organise à des fins de protection à l’échelle planétaire la gestion de la dette des pays émergents. Pour se faire elle propose des swaps de devises entre banques centrales afin d’assurer une liquidité qui, en cas de disparition, pourrait avoir des conséquences à l’échelle du monde. Signalons enfin qu’une réflexion plus ou moins avancée concerne le projet de création d’une crypto-monnaie FED, dont l’usage serait proche de ce que l’on appelait « l’hélicoptère-monnaie ». Là encore comment ne pas voir l’apparition d’un couple finance/Etat, dont, il est vrai, la complexité en termes de rapports de forces est extrême (12 Banques centrales privées avec dominante de la Banque centrale de New York, elle-même dominée par 2 banques, Citigroup et JP Morgan ; articulation à un « Federal Open Market Comitee » (FOMC) présidé par le gouverneur de la Banque centrale de NY mais avec très fort poids du Trésor américain…..etc. ).

Plus globalement, la monnaie américaine étant encore la véritable monnaie de réserve, on comprend qu’il existe une certaine solidarité entre toutes les banques centrales occidentales avec, de fait, l’apparition d’un oligopole asymétrique avec dominance de la FED et des actionnaires, parmi lesquels les personnels politico-administratifs des Etats sont de fait en situation de servitude volontaire. Cette centralisation planétaire semble encore l’instrument le plus à même d’assurer la sécurisation évoquée plus haut.

 Le monde est devenu complètement instable, complètement imprévisible, et seul un proto-Etat composite ou multiple est encore capable de créer un minimum de sécurité. On en connait pourtant les inconvénients majeurs avec la croissance inéluctable des inégalités de patrimoine et de revenus correspondants, notamment des revenus insuffisants pour l’accès au logement de ceux qui ne sont pas rentiers. Question très débattue que nous n’aborderons pas tant elle est connue. L’avenir de ce faux pôle de stabilité reste évidemment un mystère. On peut certes penser à davantage de sélectivité dans la partie bancaire de la finance et ce, afin de restaurer des marges (une partie des actionnaires du proto-Etat ou des proto-Etats se révolte), mais les actionnaires principaux -conscients du risque accru de déflation et d’explosion sociale- ont les moyens d’éteindre l’incendie possible en subventionnant les banques avec des taux négatifs. Restaurer des marges avec de la déflation ou inonder les banques avec les subventions du ou des proto-Etats, bien malin qui pourra dire quelle solution, toujours précaire, émergera.

Le rétablissement d’une souveraineté monétaire par des Etats mettant fin à leur propre servitude ?

Au final c’est l’abandon soit d’une authentique souveraineté monétaire (Europe) ou son partage avec la finance (USA) qui questionne le retour à un monde plus stable. Or de ce point de vue nous avons déjà signalé les projets de crypto-monnaies souveraines par des proto-Etats Ces dernières, à supposer qu’elles puissent émerger,  peuvent-elles échapper à l’emprise de la finance ?

Dans la partie occidentale de notre monde nous avons, en dehors du projet américain encore très vague, des plans de création de monnaie centrale mais sans les caractéristiques de ce qu’était l’Etat souverain et démocratique, tel qu’il se manifestait encore avant l’ère de la prétendue indépendance des banques centrales. Curieusement, cette innovation semble être une copie moderne de ce qui fut la création historique des premiers Etats, lesquels se sont appuyés sur un objet de pouvoir qui allait devenir monnaie. Ce point mérite une explication.

Revenons quelques instants sur le capital social (normes, valeurs, visions, morale, etc). Produit par tous et n’appartenant à personne, il est, dans les sociétés premières, l’objet de questionnement dont la réponse est universelle : notre réalité est le fait des dieux, ce qui veut dire que la vie est un don de l’au-delà auquel il faut répondre par un contre-don. Fondamentalement, les humains sont des endettés. Ce que Pierre Clastres va appeler coup d’Etat fondant les premiers Etats est un processus historique, au terme duquel des individus vont prendre une partie de la place des dieux et devenir des créanciers vis-à-vis d’un « demos » désormais endetté. De ce point de vue on peut penser que la naissance des Etats est un premier exemple de privatisation et, ce qu’on appelle le personnel politico administratif, est le bénéficiaire de cette dernière : les anciens sacrifices envers les dieux deviennent des dettes envers des hommes (despotes, empereurs, princes, etc.), des dettes appelées plus tard impôts. Ces processus de privatisation de ce qui était commun s’est historiquement développé en de nombreux endroits, d’où une concurrence entre les gagnants de la privatisation.

Spontanément la dette doit aussi être réserve de valeur liquide d’où l’apparition des premiers circuits du Trésor : Contrôle d’une mine de métal précieux par le nouveau pouvoir étatique, transformation du métal en monnaie, circulation de la monnaie à l’intérieur de l’espace social soumis au phénomène étatique, retour au moins partiel vers l’Etat sous la forme de l’impôt.

En exigeant de la Banque centrale de Chine la création d’un devise numérique (« Central Bank Digital Currency » ou CBDC), le pouvoir chinois renoue spectaculairement avec l’antique modèle du couple Etat/monnaie. Chacun sait que l’indépendance des banques centrales est pure plaisanterie. Il en va évidemment de même pour la Banque centrale de Chine, laquelle pourra désormais être comparée aux vieux hôtels des monnaies de notre moyen-âge. Derrière cette construction nous retrouvons la question historique de la fusion entre Trésor et Banque centrale, lesquels ne font plus qu’un. Et déjà des journalistes évoquent, sans s’en rendre compte, le rétablissement du circuit du Trésor : la Banque centrale chinoise  commence à payer en cryptomonnaie des fonctionnaires qui peuvent ainsi payer leur cotisation au parti communiste Chinois….

Du point de vue du pouvoir, il s’agit de lutter contre les crypto-monnaies privées qui, en Chine, sont très répandues et sont considérées comme une menace : spéculation dans le champ de la finance de l’ombre (Shadow Banking) et surtout fuite des capitaux. Il s’agir de retrouver la centralité monétaire.

Y a-t-il risque d’une fuite devant la crypto- monnaie centrale et au final un destin tel celui des assignats des années 1790 en France ? La réponse parait négative car au-delà de la souveraineté classique, il y a en Chine une réalité identitaire : la souveraineté chinoise est aussi un nationalisme clairement affirmé. Et nationalisme qui se manifeste aussi dans les entreprises dont nombre d’entre-elles connaissent au passif de leur bilan une participation publique. De plus, sans connaitre davantage la réalité de la nouvelle monnaie, rien n’empêche de lui donner cours légal et cours obligatoire. En sorte que le destin de la monnaie numérique chinoise nous apparait être plutôt celui des effets « MEFO » de l’Allemagne nazie que celui des assignats dans une période où le capital social du royaume s’est largement effondré.

Au-delà des intérêts politiques dominants en France, rien n’interdit aujourd’hui le personnel politico-administratif français de créer une crypto-monnaie de nature identique. Bien évidemment, il ne peut utiliser la Banque de France prisonnière de l’euro-système. Par contre, il peut directement utiliser le Trésor. De ce point de vue la vitesse avec laquelle Bercy et ses satellites sociaux ont pu exécuter, lors du confinement, les décisions du pouvoir en matière d’aides aux ménages et aux entreprises, montre qu’il suffisait d’un simple changement de désignation de la monnaie pour échapper aux contraintes de l’euro.

 De quoi créer une monnaie locale à vocation nationale et ainsi restaurer les marges de manœuvre d’un Etat enfin rétabli dans la puissance conférée par la souveraineté. Une puissance évidemment contrôlée dans un cadre démocratique.

 S’agira-t-il de la prochaine étape dans la gestion de la crise ?

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
  • Contact

Recherche