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1 février 2020 6 01 /02 /février /2020 10:24

 

Beaucoup s’étonnent du double mouvement de la croissance de la dette et de l’épargne. Les valeurs correspondantes n’ont jamais été aussi élevées[1] et il conviendrait d’en expliquer le moteur à un moment où l’on voit la finance s’intéresser à la réforme des retraites en proposant les services d’une capitalisation. Le présent article tente de proposer un éclairage sur la question.

Une réalité fort banale

Raisonnons sur un monde clos composé d’acteurs : ménages, entreprises, Etat etc., qui se livrent classiquement à des activités économiques avec leurs échanges correspondants. A un instant quelconque, on peut construire la comptabilité de ces activités et constater logiquement que certains acteurs seront en « capacité de financement » : ils auront constitué une épargne, tandis que d’autres seront en « besoin de financement » et devront s’endetter. Tout aussi logiquement certains vont donc détenir des créances sur d’autres. 2 constatations s’imposent :

  • La dette et l’épargne sont les deux faces d’une même réalité ;
  • La somme des « besoins de financement » est strictement égale à la somme des « capacités de financement ».

Le lecteur pourrait s’étonner et se poser la question d’une situation dans laquelle tous les acteurs seraient des fourmis dépensières… Dans ce cas, il n’y aurait tout simplement ni épargne ni dette… et la somme des capacités et des besoins serait égale à zéro…  Les économistes diraient que la somme algébrique des créances et des dettes est nulle.

Le monde n’est toutefois pas clos et les agents économiques se livrent à des échanges avec l’étranger : exportation, tourisme, placement de capitaux à l’étranger, revenus de capitaux issus de l’étranger, etc. Les économistes vont donc intégrer ces relations dans le système initialement clos et vont produire la comptabilité d’un ensemble plus vaste. Pourtant, rien ne va changer car ces relations avec le reste du monde feront introduire par les comptables nationaux, un agent appelé précisément « reste du monde », agent qui permettra de retrouver la clôture d’un système plus global. C’est dire qu’au terme des activités des uns et des autres, on va retrouver des agents en « capacité de financement » et des agents à « besoin de financement ». Le lecteur comprendra que le compte  « reste du monde » n’est que le miroir de la « balance des paiements », et que, là encore, la somme algébrique des créances et des dettes est égale à zéro. Nous retrouvons toujours la même réalité : si « A » a pu s’endetter vis-à-vis de « B », c’est que « B » disposait des moyens nécessaires et donc, qu’il a financé « A » à partir de son épargne. Classiquement, si le solde des activités des agents internes d’un pays   est un « besoin de financement », le solde de la balance des paiements dudit pays révèlera un endettement vis-à-vis d’un « reste du monde » devenu créancier. Plus concrètement encore, si les ménages français connaissent un « besoin de financement » et s’il en est de même des autres agents (Etat en déficit, entreprises qui s’endettent etc.), cela signifie que ces besoins ont été comblés par une épargne en provenance du « reste du monde  : achat d’entreprises françaises, achat de dette publique française, couverture du déficit de la sécurité sociale française par émission d’obligations internationales, etc.  Cette dernière situation est un peu celle de nombre de pays y compris les USA où le gigantesque « besoin de financement » interne, essentiellement provoqué par le déficit du Trésor américain (6 points de PIB), est compensé par des achats de dette publique par le reste du monde, essentiellement la Chine qui en fut grosse acheteuse pendant de très nombreuses années.

Globalement, pour un pays quelconque, le « besoin de financement » de certains de ses acteurs et les modalités de son comblement (souscription d’actions, souscription d’obligations, prêts, titres de dette publique, etc.), n’est que la contrepartie des « capacités de financement » d’autres acteurs, des acteurs qui ont dégagé une épargne, laquelle va se matérialiser par les instruments financiers susvisés. Il y a donc bien identité formelle entre dette et épargne.

L’introduction de la finance.

L’introduction du système financier dans le raisonnement vient compliquer les choses. Les banques sont des outils permettant de combler les besoins de financement des agents déficitaires…et à priori sans mobiliser une épargne puisque lesdites banques ont la possibilité de créer de la monnaie. Les banques ne sont pas de simples intermédiaires transformateurs d’une épargne - une « capacité de financement » - en dette pour des agents révélant un « besoin de financement » : les banques créent de la monnaie. Cette création est a priori une richesse qui n’existe pas. Il y a bien identité comptable sur le bilan du système bancaire pris dans son ensemble, mais il faut bien comprendre que la hausse de l’actif n’est qu’une promesse.

A l’inverse, dans un système qui ne prévoit pas de création monétaire, « besoins de financement » et « capacités de financement » sont des réalités tangibles. Si les acteurs « A », au terme de leurs opérations, ne disposent pas d’assez de moyens pour s’équiper de tel ou tel bien (voiture, machine, etc.), ils pourront s’endetter (combler leurs « besoins de financement ») auprès d’acteurs « B », qui eux, au terme de leurs opérations, disposent d’un excédent en biens déjà créés (voitures, machines, etc.). Bien sûr, il y a toujours le risque d’un non- respect des contrats, les acteurs « A » ne remboursant jamais les avances des acteurs « B ». Toutefois, dès qu’il y a création monétaire par les banques, il y a création d’une dette dont le remboursement relève d’un pari double : l’honnêteté des acteurs « A », mais aussi l’impossibilité potentielle pour ces derniers de rembourser en raison d’une promesse de richesse supplémentaire qui ne s’est pas réalisée. Dès que la finance s’en mêle, on comprend que dette et épargne ne sont plus les deux faces d’une même réalité.

On comprend aussi que le métier de banquier est de créer un maximum de dettes (faire grossir les « besoins de financement ») par le truchement d’une épargne fictive et surtout gratuite (émission monétaire). Quand, par conséquent, on introduit la finance dans l’équilibre comptable des besoins et capacités de financement, et donc dans l’équilibre de la dette et de l’épargne, on oublie de mentionner qu’une partie des capacités de financement - la soi-disant épargne- est purement fictive…. et donc inquiétante. Chacun aura ici en tête le crédit à la consommation qui n’est pas créateur de richesse, ou la dette publique dont une bonne partie ne correspond à aucun investissement. Il suffit ici d’avoir en tête l’activité de la CADES en France (Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale). Alors que, traditionnellement, on définit l’épargne comme la différence entre le revenu et la consommation, nous sommes au niveau macroéconomique dans une situation où un surcroit de consommation est autorisé par un revenu fictivement construit. Chacun aura ici en tête la crise financière de 2008 reposant sur l’épargne fictive d’américains endettés dans l’immobilier par le jeu des célèbres « Subprime ».

Cette épargne est aujourd’hui devenue aussi grosse que la dette (il ne saurait en être autrement) mais son caractère fictif et son risque d’évaporation se trouvent au cœur de toute crise financière.

Concrètement une crise financière est d’abord un actif devenu illiquide, ou simplement dévalorisé qui, de proche en proche, contamine l’ensemble du système financier, avec au final la disparition de l’épargne des ménages qui apparait au passif du bilan des banques. Comme en 2008, on sait aujourd’hui qu’une partie des dettes publiques et privées sont de fait « actifs pourris » dans les banques. C’est dire que le passif des dites banques, massivement faits de comptes privés représentant une bonne partie de l’épargne, notamment celle des ménages, est devenu lui-même pourri…. concrètement une épargne qui s’évapore.

L’introduction de la Banque centrale

Bien évidemment il y a le prêteur en dernier ressort qu’est la Banque centrale. Alors que les banques comblent les « besoins de financement » (la dette) par des « capacités de financement » partiellement fictives, et souvent dangereuses (les crises financières), la banque centrale reste un roc indestructible.

Elle peut, en principe, nettoyer les bilans bancaires en achetant la dette pourrie et inonder le monde de liquidités. Les spécialistes diront qu’elle fait « grossir » son bilan en y inscrivant à son actif la dette pourrie et à son passif l’émission monétaire nettoyant l’actif des banques.

De ce point de vue, les exemples de la FED et de la BCE sont intéressants.

 L’endettement du Trésor américain en 2019 fut tel qu’il a fallu émettre 11500 Milliards de dollars d’obligations publiques, soit plus de la moitié du PIB américain. Aucune épargne correspondante ne pouvant absorber une telle masse, un marché sensible, celui du « REPO », - le lieu d’échanges de liquidités à court terme entre institutions financières - devait en conséquence connaitre une brusque hausse des taux. Devant les conséquences de ce danger immédiat (dévalorisation massive de l’ensemble des actifs et effondrement des cours en Bourse) la FED est intervenue pour créer fictivement l’épargne correspondante…avec bien sûr alourdissement de son bilan à l’actif et au passif. Au moment où nous écrivons ces lignes la FED continue d’éteindre l’incendie sur le « REPO ».

L’exemple de la BCE, bien que fort différent, va dans le même sens. Dans le cas européen, la dette publique de bonne qualité ( la dette allemande) est trop rare en raison du faible endettement allemand et des exigences impulsées par « L’EMIR »[2]. La dette publique de la zone euro suppose toujours des monétisations massives de la part de la BCE (épargne fictice donc dette accrue) mais dans le respect des poids économiques de chaque pays. Cela signifie que, pour empêcher l’emballement des taux comme la FED aux USA, il faut ici, pour soutenir largement les dettes faibles (celles du sud de la zone)  acheter de la dette de qualité  ( les bons allemands) relativement rare. Il en résulte mécaniquement des taux négatifs en particulier sur la dette allemande (la demande est plus forte que l’offre).

Ainsi les banques centrales restent le roc indestructible sur quoi repose une finance hors-sol…. mais en artificialisant les taux et en créant une épargne de plus en plus fictive qui inonde le monde….

Quelles en sont les conséquences ?

Bien sûr, en inondant le monde de liquidités, la création monétaire sans retenue permet l’élargissement sans limite des jeux financiers avec, au final, la financiarisation de toutes les activités humaines.[3] On en connait les effets pervers souvent décrits sur ce blog : aggravation des inégalités, rachats massifs d’actions[4], spéculation immobilière, artificialisation des bilans, rentabilité affaiblie des banques et compagnies d’assurance, couples entreprises/banques zombies, etc.

Ces faits sont évidemment très graves mais l’essentiel est sans doute ailleurs. L’artificialisation des taux ne permet plus l’allocation efficiente du capital et autorise toutes les dérives sur l’économie réelle. Affirmation qui mérite le détour d’une explication.

 Lorsque les taux d’intérêt sont positifs, ils sont naturellement l’élément central de l’allocation : je vais affecter mon épargne à tel usage si ce dernier m’apporte un rendement supérieur ou égal au taux de l’intérêt. Si les taux sont très faibles- parce que les dettes sont devenues gigantesques et qu’il a fallu produire une non moins gigantesque épargne artificielle - alors il devient possible d’allouer le capital vers des zones moins efficientes, mais aussi obligatoire de rendre ces dernières brutalement plus efficaces. L’endettement facile permet en effet d’acheter à prix élevés des entreprises peu rentables…et de les rentabiliser par un management ou une réorganisation brutale. Les anciens actionnaires sont gagnants, et les nouveaux deviennent obligatoirement brutaux pour rembourser l’épargne artificielle mise à leur disposition. Dans nombre de cas, la valeur ajoutée produite n’augmente pas et se trouve simplement redistribuée entre actionnaires ou financiers et salariés. Ce qui nous renvoie à une logique de croissance faible et de fort développement des inégalités. Ce n’est plus le talent schumpetérien qui est rémunéré, mais la cupidité de simples rentiers. Globalement l’artificialisation de l’égalité des « besoins de financement » et des « capacités de financement » engendre des effets macroéconomiques et macrosociaux contestables.

Alors, retraite par capitalisation ?

Si dans la grande correspondance entre besoins et capacités de financement on vient greffer l’idée de retraite par capitalisation, on   ajoute au grand tumulte de la finance. Les fonds de pension, acteurs et utilisateurs des marchés financiers, ne peuvent que jouer à l’intérieur des règles du jeu et voient leurs actifs plonger dans le grand bain de l’incertitude radicale. Certes, les fonds en question peuvent privilégier la propriété plutôt que la dette et ainsi préférer le marché des actions à celui des obligations[5]. C’est toutefois méconnaitre que, par le biais de l’adoption généralisée de la norme IFRS09, le principe de la « fair value » concerne tous les bilans, lesquels sont affectés par l’irruption des fluctuations de prix sur lesquelles il est devenu impossible de ne point spéculer, ne serait-ce que pour se protéger. D’où, l’effacement progressif de la distinction entre une propriété jugée sécurisante (les actions) et la dette jugée plus dangereuse (les obligations). La retraite par capitalisation, contrairement à ce qu’affirment ses défenseurs, ne fait pas automatiquement grossir l’investissement macroéconomique. A l’inverse, elle déplace le centre de gravité du jeu économique : moins d’économie réelle et hypertrophie d’une finance simplement spéculative et improductive. Le résultat est une croissance quantitativement plus faible, et qualitativement plus inégale.

De tout ceci, il faut tirer une conclusion fort pratique : parce que l’économie réelle est plus solide que l’économie financière, il est sage de faire reposer l’avenir des retraites sur le travail et donc la répartition. Mais Il faut aussi immédiatement ajouter que la répartition également affectée - certes de plus loin -  par la financiarisation généralisée, une véritable réforme des retraites passe aussi par la dé- financiarisation de l’économie. Ce qui nous renvoie en priorité sur la « mère des réformes », c’est-à-dire la réappropriation par les Etats de tout ce qui est en amont de la finance, et en premier lieu la création monétaire. Ceci nous renvoie à l’important dossier de la « monnaie pleine » sur lequel le blog s’est parfois penché.

Tout ancrage de l’avenir des retraites sur les marchés financiers tels qu’ils sont, est une opération extrêmement risquée.


[1] La dette mondiale serait aujourd’hui, selon   l’Institut de la finance internationale, (« IIF »), de 246000 milliards de dollars (320% du PIB Mondial). Dans le même temps, l’épargne mondiale ne fait qu’augmenter. En particulier, les ménages français ont,  entre 2015 et 2019 ajouté à leur stock d’épargne un montant anormalement élevé, avec,  par exemple des dépôts courants qui ont augmenté de 34% dans une contexte de croissance très faible.

 

[2] « European Market Infrastructure Régulation ». Il s’agit d’un texte, fort contesté aujourd’hui, qui impose en Chambres de Compensation des « appels de marge », c’est-à-dire de garanties  prenant la forme de dette publique de qualité.

[3] Nous renvoyons ici à notre texte : http://www.lacrisedesannees2010.com/2019/10/les-nouvelles-pluies-de-monnaie.html

[4] Ces rachats prennent des dimensions spectaculaires : Plus de 3000 milliards de dollars sur les 5 dernières années pour les entreprises américaines (sources : analystes de Yardeni Research)…Soit plus que le PIB de la France ….

[5] De plus en plus les fonds de pension sont invités à travailler  sur des « Exchange Credit Funds » ( les célèbres ETF)  ou « Trackers ». Titres fondés sur les seuls indices boursiers ou des indices obligataires, ils deviennent une matière première privilégiée pour les plans d’épargne retraite (PER) et les plans d’épargnes en actions (PEA). Ces fonds indiciels sont aussi favorisés par la réglementation internationale mais aussi la fiscalité française.

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10 janvier 2020 5 10 /01 /janvier /2020 16:40

Tel que présenté dans le projet de loi, beaucoup en conflueront que la bureaucratie va accoucher d’une nouvelle usine à gaz. Un nouvel établissement public va naitre, établissement pantin d’un marionnettiste appelé Etat, lequel va fixer les paramètres du nouveau système de retraite. De quoi dépolitiser une fois pour toutes l’un des cadres fondamentaux de nos sociétés.  

Il y a dépolitisation puisque la règle sera vécue comme une extériorité radicale, une raison supérieure sur laquelle personne ne peut avoir de prise. Cette raison radicale est aussi la fin d’un système de solidarité : chacun étant entrepreneur de lui-même pourra, par le biais d’une analyse coût/ avantage complétement individualisée, acquérir une quantité jugée « optimale » de points.

Mais ce n’est pas parce que l’on aura dépolitisé l’un des cadres de la vie, qu’on aura réussi à transformer la retraite en marchandise. La suite de l’aventure sera bien évidemment l’exigence de transformation de cet objet administré qu’est le point de retraite en objet échangeable sur un marché. Impossible dira- t-on puisque la loi l’interdira.

Pour autant cette loi risque vite d’apparaitre comme une insupportable répression des gains potentiels à l’échange  entre acteurs dont certains désirent  davantage de points de retraites, et dont d’autres y voient un actif mobilisable au profit d’ actifs de nature différente. Par exemple, diront les économistes, le calcul coûts/avantages chez les moins de trente ans et chez les plus de 60 ans, fera que ces derniers seront éventuellement acheteurs de points de retraite, tandis que les premiers seront souvent vendeurs. La position des uns et des autres dans le temps de la vie, fait qu’un échange mutuellement avantageux existe potentiellement. Ainsi un jeune pourra trouver intéressant de vendre ses points pour rendre plus aisé l’acquisition d’un logement, tandis qu’un sexagénaire ayant épargné compléterait volontiers sa retraite par acquisition de points supplémentaires.

Il n’y a aucune raison de considérer que la grande vague de financiarisation des activités humaines s’arrêtera à la question des retraites. Bien sûr, existe déjà la retraite classique par capitalisation. Mais cette dernière repose sur des actifs financiers dont on sait qu’ils sont soumis à des crises régulières, des crises qui restent dans la mémoire des retraités, notamment anglo-saxons, qui en furent victimes voici une bonne dizaine d’années.

L’avantage du point bureaucratique de retraite est que sa valeur est administrativement fixée. Il n’y a pas risque de tromperie sur la marchandise comme cela est si souvent le cas sur les marchés financiers qui doivent se protéger pas de couteuses dépenses de couverture. En clair le point de retraite est potentiellement l’un de ces actifs sans risques tant recherchés par la finance.

La liquéfaction croissante de notre société passe donc par un marché du point de retraite, marché dont la naissance sera probablement exigée par tous les « modernisateurs » de la société, et marché que l’on ne peut concevoir à l’échelle de l’artisanat.

Il semble évident que les grandes institutions financières vont plutôt bouder les dangereux marchés de la retraite par capitalisation, pour exiger la naissance d’un confortable marché des points bureaucratiques. En cela elles s’annonceront porteuses de services « d’intérêt  général »: assurer la liquidité du marché. Les jeunes pourront facilement vendre leur portefeuille naissant et les vieux facilement ajouter au confort de leur retraite. A partir de là, toute une nouvelle pyramide financière pourra naitre et demain nous verrons peut-être les points bureaucratiques dans les « appels de marge », dans les « fonds propres », dans les « produits structurés », etc.

Bien évidemment, si un tel marché devait advenir le prix du point de retraite pourra s’éloigner de la valeur administrativement fixée, un peu comme du temps de l’étalon- or où chaque monnaie pouvait connaitre un cours légèrement différent de celui défini par le poids en métal précieux. C’est dire que sur une valeur solide,( merci la bureaucratie), les traders à venir, pourront parier sur les fluctuations de prix et s’octroyer de généreux bonus au nom d’un intérêt général bien compris.

Black rock a mieux à faire que de  s’attaquer à des « bouts de retraite par capitalisation ». S’il veut faire du lobbying intelligent, il doit attendre la fin des grèves,  attendre la fin de la résistance populaire, et proposer, à terme, un gigantesque marché des points de retraite. Mais peut-être y -a- t-il pensé avant nous.

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6 janvier 2020 1 06 /01 /janvier /2020 13:49

Nous proposons, dans le très bref texte qui suit, l’examen des fondements de ce qui pourrait justifier une refonte en profondeur de l’organisation du système des retraites.

Il convient tout d’abord de considérer que ce qu’on appelle retraite, est une partie du « coût de la vie humaine », partie que l’on peut désigner par « coûts d’entretien de la vieillesse ». Ces coûts sont en quelque sorte la fin d’une longue série : « coûts de la production et de la formation » ( il faut élever les enfants et les former) ; « coûts du travail consommé » ( l’employeur doit aujourd’hui rémunérer les salariés dont il consomme le travail et les compétences qui s’y rattachent) ; « coûts intermédiaires » ( la vie est aussi parcourue par la maladie, voire de l’inadaptabilité au travail, laquelle correspond en particulier au chômage possible).

En très longue période, on peut constater que l’humanité a toujours recherché à retarder la « sortie de la vie » en construisant des outils propres à la sécuriser et à la prolonger. Globalement, l’augmentation considérable de l’espérance de vie est un fait récent à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Elle est liée à l’augmentation considérable des « coûts de la production et de la formation » (on entre beaucoup plus tard sur le marché du travail). Elle est aussi liée à une augmentation « du coût d’entretien de la vieillesse ».

Dans le monde d'aujourd'hui, le coût complet de la vie (production, formation, travail consommé, coûts intermédiaires, coût d’entretien de la vieillesse) est globalement assuré par une Institution appelée « Entreprise ». Cette dernière distribue chaque mois des « bons » appelés « salaire », et « bons » qui prennent en charge les « coûts du travail consommé ». Au-delà,  les modernes fiches de paye, révèlent que l’institution « Entreprise » verse des « bons indirects » appelés charges sociales, lesquelles feront face à nombre d’ autres coûts de la vie ( allocations familiales, logement, chômage, maladie, vieillesse, etc.). c’est dire que l’institution « Entreprise » est au centre d’un réseau qui permet de solidariser le coût complet de la vie humaine. Au sommet de ce dernier se trouve l’Etat, acteur plus ou moins interventionniste dans un système social producteur de la dite solidarité. Empiriquement, on a pris l’habitude de distinguer un modèle social « bismarkien » d’un modèle « beveridgien », la réalité concrète étant souvent un mixe de ces deux modèles. Tout aussi empiriquement, on sait aussi que le coût complet de la vie n’a pas toujours été assuré par l’institution « Entreprise » et qu’il fut historiquement assuré par une cellule domestique plus ou moins élargie.

On oublie souvent que la prolongation de la vie est assortie d’un coût croissant : produire plus de temps de vie est assorti d’un coût croissant en charges indirectes : il faut beaucoup de formation, d’intelligence, de capitaux, pour améliorer l’espérance de vie par le biais d’un système de santé. C’est dire que le coût global de la vie, qui est aussi dans notre monde le coût global du travail, ne peut qu’augmenter. Lorsque l’on commence en France, à s’intéresser au risque de la vieillesse dans les années 30, on imagine déjà une augmentation du coût global du travail. Toutefois, le chemin est encore long car les salariés meurent peu de temps après la fin du travail. Il en résulte assez mécaniquement que même faibles les cotisations dépassent de loin les versements, et que naturellement le système des retraites devient un système excédentaire, pour lequel il faudra trouver des instruments de placement …..nous en sommes loin aujourd’hui

Et si, présentement, on dépense plus en soins pour prolonger la vie (12 points de PIB aujourd’hui contre moins de 1 point au début du siècle passé), le coût global du travail augmente par deux canaux : les dépenses croissantes de santé d’une part et celles tout aussi croissantes de retraites. Ces dernières ont en effet augmenté dans les mêmes proportions et vont passer de moins de 2 points de PIB au début du siècle précédent à 14 points aujourd’hui.

Quand on vit dans la période des 30 glorieuses, un système bismarkien est presque idéal. Il est un moment de social-démocratie où les partenaires sociaux, appuyés par un Etat bienveillant et bien nourri par un fort rendement de l’impôt, se partagent les gigantesques gains de productivité de l’époque ( 3 à 4% contre moins de 1% aujourd’hui). La hausse permanente du coût global du travail de l’époque est payée par les gains de productivité lesquels pourront aussi payer des hausses de profit justifiant des investissements eux-mêmes exigés par la hausse des dépenses salariales…Nous sommes dans un cercle vertueux.

Tel n’est plus le cas dans une économie mondialisée, où le coût global du travail perd sa contrepartie « débouché » pour n’être qu’un seul « coût » à comparer avec celui existant dans les pays émergents : Le coût global du travail ne peut plus augmenter. Si, au-delà, une monnaie unique fait disparaître l’outil "taux de change", et qu’en outre le taux initialement choisi est trop élevé, alors le coût global du travail doit impérativement baisser. Un malheur n’arrivant jamais seul, les dépenses croissantes de santé n’ assurent que peu de naissances supplémentaires mais sont la cause directe de beaucoup moins de décès. D’où la question démographique avec 0,74 retraité par actif aujourd’hui contre 0,24 en 1959.

Les entrepreneurs politiques qui ont mis en place, voici une quarantaine d’années, l’enveloppe règlementaire de la mondialisation, se doivent d’être cohérents et ne peuvent plus conforter un modèle bismarkien, ou social-démocrate qui, par ailleurs n’intéressent plus que les syndicats de salariés. C’est qu’en effet le basculement vers la mondialisation en provoque un autre : les entreprises ont davantage intérêt à négocier directement avec l’Etat et moins avec des syndicats restés enkystés sur un territoire jugé trop étroit.

La cohérence vise par conséquent à transformer le modèle bismarkien en modèle beveridgien. De ce point de vue, le projet gouvernemental - s’il ne dérape pas - est en parfaite adéquation avec les exigences de la monnaie unique. Il en est même une prothèse indispensable. On ne sait pas encore précisément comment fonctionnera la Caisse Nationale de Retraite Universelle, mais on sait déjà qu’elle sera, de fait, une agence centrale d’Etat dépourvue, à l’inverse des Autorités Administratives Indépendantes, d’une réelle autonomie. Les caisses existantes seront fermées et il sera ainsi mis fin au subventionnement de leurs déficits éventuels par le Trésor. C’est là un premier canal de diminution du coût global du travail.

La gouvernance de ce qui serait la « CNRU » sera paritaire mais des représentants de l’Etat y figureront comme employeurs, ce qui développe des conséquences essentielles.

En effet, les partenaires seront peut-être censés fixer chaque année la valeur du point, l’âge d’équilibre, le taux de cotisation, l’indexation des pensions, etc. Mais il ne s’agit que d’une illusion puisque la Caisse étant universelle, de telles prérogatives toucheraient immanquablement la loi budgétaire dont l’artisan est Constitutionnellement le seul Parlement. Parce que les pensionnés de l’Etat sont couverts par la loi budgétaire, des acteurs étrangers au parlement ne peuvent décider d’un des chapitres du budget de la Nation. Clairement le projet de loi concernant la réforme des retraites devra obligatoirement prévoir la valeur simplement consultative des propositions des partenaires sociaux. Derrière l’apparente bienveillance du terme « universel » se cache une formidable reprise du pouvoir sur une partie essentielle du coût global du travail.

Nous serons donc bien dans un système où l’Etat reprendra l’essentiel des commandes et pourra lui-même procéder souverainement à la diminution du coût global du travail , ici, par la diminution sensible des pensions. Les instances de concertation seront le décor, mais le vrai partenariat sera celui entre les entrepreneurs politiques et les entrepreneurs économiques plongés dans le grand bain de la mondialisation.

Reste évidemment la question de la résistance syndicale vis-à-vis d’un basculement dont ils ne comprennent pas le principe, ni à fortiori le lien direct avec la question de l’euro. Il est très clair que, bizarrement, la négociation actuelle porte sur le prix de vente de la réforme. L’exemple des discussions ministérielles avec les enseignants est ici très symbolique. Dans notre langage, ce prix consisterait à relever de façon assez spectaculaire ce que nous avons appelé les « coûts du travail consommé ». Travail de gribouille pour les entrepreneurs politiques au pouvoir envers lesquels l’institution « Entreprise » exige une véritable diminution du coût global du travail, et non  du bricolage. La fin des corps intermédiaires au profit du partenariat entrepreneurs politiques/entrepreneurs économiques ne sera pas de tout repos.

Le premier tour de l’élection présidentielle de 2022 se jouera sur l’aptitude réelle du pouvoir à concrétiser l’exigence de baisse non dissimulée du coût global du travail. Les lecteurs de ce blog savent qu'il existe d'autres solutions que celles qui réaniment la Haine entre classes sociales. Celle du  rétablissement de l'Etat-Nation en est une....encore, il est vrai, peu déchiffrable sur les marchés politiques.

 

 

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26 décembre 2019 4 26 /12 /décembre /2019 06:12

 

 

Le monde politico-médiatique ne permet en aucune façon de comprendre la nuisibilité génétique de l’Euro.

Bien sûr, il ne lui est plus possible, sous peine de décrédibilisation, de nier l’existence de difficultés gravissimes, mais la réponse est toujours la même : l’euro nous sauve de difficultés autrement plus graves, à savoir une faillite généralisée. Cette situation de non-dit est très dommageable car elle donne à toutes les politiques publiques une image détestable nourrissant le populisme. Le citoyen de base comprend difficilement l’acharnement sur les couts globaux du travail (salaires et rémunérations directes, charges sociales, budget santé, charges du chômage, retraites, etc.) alors même que la BCE continue de déverser des flots colossaux de monnaie sur le système financier.

Il est donc important d’expliquer, le plus simplement du monde, en quoi l’euro constitue l’une des grandes barrières de la marche de l’humanité vers plus de  solidarité aussi bien interne (protection sociale) qu’externe (respect des identités culturelles de chaque peuple). Pour le lecteur pressé nous commencerons par un bref résumé des points importants de l’article qui suit.

 

Points à retenir :

- La réduction des déséquilibres entre zones économiques inégales et de même monnaie suppose des transferts.

- « Machines à homogénéiser », les Etats voient dans les transferts une source de légitimation.

- L’outil de transfert, et donc de légitimation, souvent privilégié est « l’Etat Providence ».

- L’euro chevauchant des zones économiques inégales correspondant à des souverainetés différentes contrarie le fonctionnement normal des Etats dans leur travail de légitimation.

- L’Etat de l’économie la plus performante ne peut que s’opposer à des transferts.

- l’union monétaire produit de la désunion économique et sociale entre nations.

- L’union monétaire fabrique un ensemble articulé « centre/périphérie » produisant l’affaissement de toute possibilité de choix démocratique dans les zones périphériques.

- En raison d’un taux de change inadapté, il est pour toute périphérie très difficile de rejoindre le centre en respectant les « règles du jeu » de la monnaie unique.

- Cette difficie jonction concerne particulièrement « les Etats Providences » de la périphérie.

- La pérennisation de la monnaie unique engendre des effets dépressifs sur la zone en particulier sur son « Etat Providence collectif »,

- Les effets dépressifs se propagent sur l’ensemble de la planète en raison du poids important de l’économie européenne dans le monde.

- Le projet de construction d’un « Etat Providence » mondial est une utopie.

- La clé de la compréhension et du sens des politiques publiques française passe par la compréhension des formidables contraintes de la monnaie unique.

 

1) Bien fixer le cadre du raisonnement : La monnaie unique dans un espace national où les échanges entre régions sont déséquilibrés.

 

Pour cela, nous raisonnerons à partir d’un exemple très concret, celui d’un Etat-Nation où, bien sûr,

 une seule monnaie circule. Imaginons deux régions, l’ex-bassin minier du Nord et du Pas de Calais dans ses relations avec la région parisienne. Pour simplifier encore, nous supposerons que la France ne comporte que ces deux régions.

 Sans donner de chiffres, on sait immédiatement que la première est déficitaire, tandis que la seconde est excédentaire. Clairement, les houillères ayant disparu[1] pour ne laisser que du vide, un espace de consommation et de solidarité (personnes âgées, chômeurs, malades, personnes en situation de handicap) ne peut être assis sur un espace de production disparu et donc des transferts proviennent de la région réputée excédentaire.

 

Comment les choses se manifestent sur le plan du système financier et en particulier des banques ?

 Pour simplifier, nous imaginerons qu’il n’existe qu’une seule banque pour la région des Houillères (« banque des houillères » : BH) et une autre pour la région Parisienne (« Banque de Paris » : BP).

 

Puisque la première région est déficitaire, les flux financiers se dirigent depuis BH vers BP. Ces flux ne font que traduire le fait que, par exemple, les clients de BH paient leurs fournisseurs dont le compte se trouve sur BP. La monnaie « fuit » ainsi depuis BH pour se diriger vers BP. Matériellement, chaque banque bénéficiant d’un compte à la banque centrale, cette fuite se repère au niveau de cette dernière et celle-ci va débiter en continu le compte de BH et créditer celui de BP.

Matériellement, puisque la région des Houillères ne produit plus, les marchandises achetées proviennent de la région parisienne qui, elle, est censée produire beaucoup. A ce flux physique correspond un flux des paiements en sens contraire.

Constatant que BH se vide progressivement, quelles sont les solutions qui permettraient d’éviter la rupture entre les deux régions, avec en particulier la disparition du système de solidarité  dans les houillères ?

Il en existe théoriquement 6 :

1- BP accorde continuellement des crédits aux clients de BH, ce qui alimente les comptes clients qu’elle gère, et donc son compte à la banque centrale.

2- BP accorde continuellement des crédits à BH, laquelle peut ouvrir de nouveaux crédits à ses clients. Des moyens de paiement sont ainsi distribués que BH pourra transférer vers BP.

3- La Banque de France (la banque centrale) fait crédit à BH et alimente le compte de cette dernière. En retour BH pourra faire crédit à ses clients et l’équilibre des paiements sera à nouveau assuré.

4- Le Trésor qui est l’organisme financier public au-dessus des deux régions, subventionne la région des Houillères ( RSA pour les anciens mineurs, aides diverses, aide à l’investissement des entreprises, investissements publics, etc.) Ces subventions viennent compenser la fuite de monnaie de BH vers BP.

5- Aucun crédit ni subvention n’est accordé à personne et la région des Houillères se détache progressivement du reste du corps social et politique. Il n’y aurait pas à proprement parler de rupture, mais émergence d’une zone de marginalisation très éloignée des standards de la région parisienne. Laissons le lecteur imaginer ce que serait la région sans les retraites des houillères, la reconfiguration du patrimoine immobilier, l’absence de sécurité sociale, l’absence de réels outils de formation, l’absence du Fond d’Industrialisation du Bassin Minier (FIBM), etc. Il n’y aurait même pas les entreprises de la Grande Distribution qui constituent l’essentiel du tissu économique et qui, toutes, se nourrissent des seuls fonds de transferts….

6- L’Etat introduit une nouvelle monnaie dans les Houillères, une monnaie ne s’échangeant avec l’ancienne que sur la base d’un taux fort réduit. On peut ainsi espérer que les habitants de la région vont moins consommer de produits, devenus excessivement chers, en provenance de la région parisienne et vont créer des activités devenant compétitives en raison du taux de change. Le résultat sera une exportation vers la région parisienne. De quoi rééquilibrer les flux entre les deux banques. En attendant l’équilibre, le système de solidarité se fera plus réduit : moins de soins, moins de médicaments, moins d’aides diverses.

 

Laquelle ou lesquelles de ces 6 solutions, théoriquement envisageables, sera (seront) retenue(s) ?

Les solutions 1 et 2 ne sont évidemment pas crédibles et on ne voit pas pourquoi BP ferait crédit à des débiteurs insolvables.

La solution 3 est envisageable dans le cas d’une Banque centrale soumise au Trésor : l’Etat donne l’ordre de créer de la monnaie au profit de BH, laquelle ouvre des crédits auprès de ses clients. Proche d’un « Quantitative easing for the people » elle est peu pensable dans le cas d’une banque centrale indépendante.

La solution 4 est celle historiquement constatée dans à peu près tous les pays du monde : la région déficitaire est largement subventionnée par les pouvoirs publics. Son défaut est naturellement qu’elle alimente les clientélismes et devient un enjeu majeur des marchés politiques.

La solution 5 n’est envisageable que fort rarement et peu de nations laissent en déshérence complète une région. La raison en est que le fonctionnement normal des marchés politiques débouche sur des mesures d’homogénéisation, de mise à niveau au moins partielles ou approximatives, qui elles -mêmes fabriquent une forme de légitimation du pouvoir. Ce que nous appelons « marchés politiques ».

La solution 6 n’existe pas au sein des Etats classiques car historiquement la monnaie, attribut de la souveraineté est « une » et permet l’homogénéisation recherchée par le pouvoir. Elle peut se vivre dans des conglomérats, très rarement dans des Etats fédéraux ou des empires, mais jamais au sein d’Etats Nations classiques. Cela signifie que la fin de l’Union monétaire qui existe dans un Etat, est politiquement impensable. A Paris comme à Lens on utilisera la même monnaie. Il y a bien « irréversibilité » de la monnaie unique comme il est devenu habituel de le dire pour l’Euro.

A y regarder de plus près, les solutions 5 et 6 sont historiquement non vérifiées car elles sont contraires au principe même du fonctionnement des Etats. Sans revenir à la question de la nature profonde des Etats, souvent examinée sur mon  blog [2], on sait qu’un Etat est logiquement et le plus souvent producteur d’une identité commune, en ce sens qu il produit – répétons-le - de l’homogénéité et ce, même s’il est décentralisé (souveraineté sur un espace délimité par des frontières, système juridique, linguistique, monétaire, militaire, etc. mais aussi principes d’égalité, d’unité nationale et territoriale, etc. Mais enfin principes de solidarité entre citoyens, principes très souvent porteurs de légitimité politique)

Dans ces conditions lorsque des déséquilibres entre régions émergent les solutions 5 et 6 apparaissent comme des échecs politiques majeurs et au nom de la solidarité qui se niche dans l’idéologie d’un intérêt général, la solution des transferts et aides diverses s’impose… donc au final s’impose la solution 4.

 

Si l’on dresse le bilan des possibles face à un déséquilibre régional, nous avons :

- Sur le plan financier, Impossibilité du recours durable au crédit, surtout dans un monde où l’indépendance des banques centrales est la règle (solutions 1,2 et 3).

- Sur le plan politique, Impossibilité des choix sécessionnistes (solutions 5 et 6).

Le seul choix est donc celui des transferts dont les caractéristiques quantitatives et qualitatives sont historiquement très variables. Ainsi on peut avoir le choix de solutions complètement rentières (la population est subventionnée pour rester fidèle à l’ordre politique en place) ou au contraire de mise à niveau (la région déficitaire bénéficie d’un programme visant à l’alignement sur la productivité de la région excédentaire). Dans les faits, au gré des marchés politiques, c’est souvent un mix qui finira par s’imposer.

 

Les conséquences macro-économiques.

 

La solution des transferts pose celle de son financement.

 Dans notre exemple, le déséquilibre correspondait au fait que le charbon n’est plus acheté par la région parisienne, laquelle va acheter du pétrole et va ainsi bénéficier d’un effet coût et d’un effet revenu. Les parisiens feront des économies lesquelles pourront être redéployées vers de nouvelles consommations et/ou de nouvelles formes de solidarité. Les producteurs de la région parisienne verront leur efficience productive s’améliorer - une énergie moins coûteuse - et la valeur ajoutée correspondante pourra se déverser sous la forme de profits, de salaires, voire de baisse de prix. De la même façon, si l’on suppose que les producteurs de pétrole sont dans la région parisienne, les revenus de cette profession viendront s’ajouter à la demande globale.

En contrepartie, la région parisienne perd sa clientèle du bassin houiller. Le redéploiement, faisant suite à la fin du charbon, est toutefois globalement avantageux car le « système productif nouveau » (disparition du charbon couteux et généralisation du pétrole moins cher) est plus efficient. Si au-delà on raisonne en « économie ouverte » (avec échanges extérieurs) le changement risque d’autoriser de nouvelles exportations.

Si l’on raisonne en économie sans échanges extérieurs[3], ce que les économistes appellent « l’économie fermée », la solution politique des transferts ne peut se faire que sur la base d’un prélèvement fiscal supplémentaire venant largement gommer tous les effets positifs du passage au pétrole. En revanche, ce même prélèvement vient aussi gommer les effets négatifs de la perte de débouchés correspondants à la crise du bassin houiller.

D’où la conclusion : en économie fermée le rétablissement de l’équilibre régional par le biais des subventions permet de maintenir les débouchés (les subventions deviennent des chiffres d’affaires) tout en assurant la solidarité (les subventions sont des revenus, des marques de solidarité et des capitaux de substitution).

Remarque : C’est donc la solution 4 qui s’impose, celle que l’on pourrait désigner « solution de  l’Etat-Nation ». Dans les faits l’Etat-Nation c’est aussi une banque centrale sous contrôle de son ETAT, et donc la possibilité de passer par la solution 3. Macro économiquement, cette solution peut provoquer, sous la pression des marchés politiques, une demande globale excédentaire et des hausses de prix affectant la compétitivité externe. Historiquement la « solution de l’Etat-Nation » peut être un mix de solution 3 et 4, mix qui fût la grande caractéristique de la France avec son modèle social, avant la naissance du projet de monnaie unique. Observons que la réunification allemande du siècle dernier fut aussi celle de l’Etat-Nation empruntant non pas la solution 3 mais la solution 4.

 

2) L’application du raisonnement au cas de déséquilibres des échanges entre nations sous monnaie unique (zone euro).

 

Chacun a déjà pu comprendre que derrière l’exemple du bassin minier et de la région parisienne pouvait  se cacher celui de la Grèce et de l’Allemagne. Exemple qui restera probablement gravé dans l’histoire.

 

Ici bien sûr nous ne pouvons raisonner en économie fermée et la zone euro est elle-même ouverte sur le reste du monde.

 

Le dispositif TARGET 2 comme cadre des échanges entre pays de la zone euro.

 

Les raisonnements jusqu’ici menés entre régions d’une même nation sont à reconduire au niveau d’un espace de plusieurs nations. Lorsqu’il n’y a pas de monnaie commune, on sait bien que la fuite de monnaie précédemment analysée se trouve rapidement bloquée. Par exemple, si l’Italie dont la monnaie était la Lire, est en déficit vis-à-vis de la France, pays dont la monnaie était le franc, les échanges vont se bloquer rapidement, car on ne voit pas pourquoi la France viendrait subventionner les achats de l’Italie. Si par exemple le commerce entre France et Italie se fait en dollars, le déséquilibre italien fera que la France ne retrouvera jamais les dollars éventuellement prêtés à L’Italie. Historiquement la solution fut celle d’une restriction de la liberté des échanges, voire une manipulation des taux de change.

La construction européenne avec son projet de marché unique, de libre circulation des marchandises et du capital, ne peut dans le cadre de l’euro accepter de blocages. En clair, les problèmes perçus lors de l’exemple précédent entre BH et BP doivent, au niveau des nations, disparaître. Plus clairement encore, il fallait mettre en place un dispositif institutionnel efficace, garantissant la libre circulation des paiements sur toute la zone, et ce quelle que soit la situation des pays y adhérents.

Il faut bien comprendre le caractère fondamental de cette obligation. Si par exemple la Grèce est en déficit vis-à-vis de l’Allemagne parce qu’elle achète trop de voitures ou trop d’armes à ce dernier pays, il faut néanmoins assurer les paiements et transferts correspondants. Car, si ce n’était pas le cas cela voudrait dire que l’euro grec n’est pas équivalent à l’euro allemand…et donc il n’y aurait pas de monnaie unique…

Le dispositif retenu fut de maintenir des banques centrales nationales, mais banques centrales aussi chargées d’assurer les transferts entre banques classiques. Sans imaginer un quelconque transfert il fut décidé que les déficits, par exemple de la Grèce, deviendraient des créances allemandes automatiquement inscrites au bilan de la Banque centrale allemande. Ces créances s’appellent dans le jargon européen, « créances TARGET ».

Concrètement en cas de déséquilibres, des actifs figurant aux bilans des banques du pays déficitaire sont transférés au bilan de la banque centrale du pays excédentaire.

 

Déséquilibres récurrents et transferts théoriques dans le cadre de TARGET.

 

Prenons le cas de la Grèce en situation déficitaire et de l’Allemagne en situation excédentaire, et reprenons les différentes solutions envisagées dans le cadre du bassin minier et de la région parisienne

Réexaminons les diverses solutions précédemment envisagées.

Les solutions 1 et 2 ont d’une certaine façon largement fonctionné au service de la Grèce, de son Etat et de ses entreprises et ménages : Toutes les banques européennes se sont précipitées avec comme produit phare des taux d’intérêt très bas, inconnus jusqu’alors dans le cadre de la Drachme. D’où un déséquilibre qui ne pouvait être que croissant : les marchandises allemandes notamment celles exportées en Grèce sont largement financées par du crédit bon marché. Elles sont aussi favorisées par un taux de change qui ne peut plus bouger : La Grèce ne peut plus dévaluer pour résister à l’invasion des importations, voire exporter davantage : la monnaie unique devient une massue qui écrase l’économie grecque.

Bien évidemment, s’il n’y a pas de base productive suffisante en Grèce (comme plus haut dans le bassin minier orphelin de son charbon) capable de produire du revenu, le manège ne peut durer : il a cessé progressivement avec les plans d’aide de 2010 et 2012, puis l’arrivée de la « Troïka ». Et il faut bien comprendre cette arrivée à la lumière des créances TARGET : La banque centrale allemande s’inquiète des actifs grecs qu’elle doit réglementairement conserver à son bilan, actifs qui ne valent rien...

La solution 3 est juridiquement impossible car la BCE ne finance pas les Etats, sauf contournement des textes, ce qui s’est fait pour la Grèce[4] mais aussi pour nombre d’autres pays, comme l’Irlande ou le Portugal.

La solution 4 fut, de fait, largement pratiquée notamment par le biais des « fonds structurels » qui ont permis l’octroi à la Grèce d’environ 4% annuel de son PIB pendant de très nombreuses années. Elle s’est poursuivie avec le plan de 2012 qui a permis de faire passer la dette du secteur privé vers le secteur public.

La solution 5 n’a pas été retenue jusqu’à aujourd’hui et la Grèce n’était pas abandonnée par le reste de la zone.

La solution 6 est celle de la sortie de la Grèce de la zone euro.

Si l’on dresse un bilan des 6 solutions concernant les rapports entre Grèce et Allemagne, deux points doivent être retenus :

-il est erroné de dire que la Grèce n’a jamais bénéficié de transferts, simplement ceux-ci se sont concentrés dans les fonds structurels- environ 200 milliards d’euros depuis 1981- lesquels furent  largement gaspillés dans le cadre de lobbys, experts en jeux sur les marchés politiques, tant grecs qu’étrangers. La preuve en est le délabrement de l’économie grecque, avec en particulier, un recul des investissements, lesquels sont passés de 23,7 points de PIB en 2008 à 11,6 en 2014. Tous les Etats, y compris la Grèce sont responsables de cela. Par contre, les marchés politiques ont néanmoins autorisés l’affermissement d’un début d’Etat-Providence notamment dans le domaine sanitaire ou celui des retraites. Encore aujourd’hui, 16% du PIB grec est consacré au versement des retraites.

Globalement si la Grèce a bénéficié de transferts ils n’ont pu compenser les déséquilibres, eux mêmes aggravés par l’énorme chute de l’investissement (on ne prépare plus l’avenir) dans le cadre d’un taux de change fixe.

- Les solutions 1,2 et 3 ont fonctionné à l’excès  (une dette de plus en plus inquiétante en raison de sa masse et de l’étroitesse de son potentiel de solvabilité), d’où l’envolée des taux et les mémorandums imposés par la « Troïka ». Elles tentent de fonctionner depuis 5 ans  mais à l’envers en provoquant un  énorme effet dépressif : 26 points de PIB partis en fumée depuis 2009 et probablement d’autres points supplémentaires avec la mise en place du nouveau plan[5], points heureusement évités par le boum d’un tourisme se détournant de l’Afrique et du Moyen-Orient. Avec bien sûr des conséquences parfois dramatiques en termes d’effondrement d’un Etat-Providence qu’il faut impérativement dévaluer en dévaluant le cout global du travail. Et d’une certaine façon, il faut bien comprendre l’enfermement catastrophique de la position allemande. Sans ce fonctionnement à l’envers, sans dévaluation interne, les créances Target sur le bilan de la Banque centrale allemande sont de plus en plus problématiques : la Grèce transfère des créances, mais quelle valeur leur accorder ? Et si cette valeur est nulle cela veut dire dans l’idéologie allemande que la banque centrale est menacée…qu’elle doit être recapitalisée avec l’argent des contribuables allemands, etc.

La conclusion est donc celle de l’alternative entre une solution 5 ou 6, et celle d’un retour massif à la solution 4. Comme cette dernière solution n’est guère envisageable sur les marchés politiques du reste de l’Europe (Paris peut être solidaire avec Lens, mais Berlin ne veut pas être solidaire avec Athènes), il ne reste que le choix du départ ou de la marginalisation dans un espace très assombri.

L’Euro est venu détruire les productions locales comme le pétrole devait détruire le bassin minier du nord de la France.

  L’Euro devait assurer le rapprochement des économies : il en assure l’écartèlement avec bien sûr des conséquences en termes de solidarité et de protection sociale.

 

Quelles sont les conséquences macro –économiques ?

 

Le raisonnement mené sur les rapports entre Grèce et Allemagne peut être étendu à l’ensemble de la zone. Les solutions 1, 2, 3 et surtout 4 sont très limitées et se heurtent frontalement à l’impossibilité  d’envisager une réelle politique de transfert à l’intérieur de la zone. Alors que les transferts ne soulèvent que peu de difficultés à l’intérieur des Etats-Nations classiques, ils se heurtent à de grandes difficultés à l’intérieur de ce qui reste un espace international. Le choix de l’euro devenant celui de la servitude et la probable marginalisation pour les zones dont le taux de change unique est inadapté à la réalité économique. Globalement, il n’y aura pas de transferts du nord excédentaire vers le sud déficitaire. Ce que l’on savait en théorie est désormais confirmé par la réalité empirique : les négociations de la nuit du 12 au 13 juillet 2015 resteront une date dans l’histoire. L’inflexibilité allemande sur tout projet qui pourrait entrainer un risque de transfert  (union bancaire, budget de la zone euro, etc.) confirme quotidiennement cette réalité.

Parce que le système financier du sud voit la monnaie fuir  vers le nord (on peut reproduire le raisonnement mené plus haut entre BH et BP), parce que les solutions type endettement ont atteint leurs limites (solutions 1,2 et 3),  parce que les transferts sont interdits (solution 4), et  que le maintien de l’euro reste la « commune volonté » (l’euro constituerait une « irréversibilité »  donc il n’y aurait pas de solution 6),  la seule réalité qui s’impose est la cure durable d’austérité (marche forcée vers la solution 5). Economiquement cela correspond à une dévaluation interne, c’est-à-dire une politique brutale de dévaluation du cout global du travail

Mais cette « solution » est un drame pour l’ensemble de l’humanité puisqu’elle planifie durablement un déficit de la demande globale planétaire.

En effet, il faut empêcher la fuite de monnaie vers le nord, donc supprimer le déficit par la seule diminution des dépenses globales. Concrètement il faut moins consommer, moins investir, diminuer les dépenses publiques de toutes natures (régaliennes, sociales et de solidarité…) autant de diminutions qui correspondent à une contraction de  débouchés pour un même montant. Quand tout est bloqué, maintenir l’Euro, c’est provoquer un déficit global de débouchés et donc une tendance planétaire à la récession.

En plus clair encore : ce que nous avons démontré pour la relation Bassin minier/Région Parisienne dans le cadre d’un monde fermé, se retrouve à l’échelle planétaire. Avec toutefois une différence importante : le système fermé national pouvait théoriquement se rééquilibrer, en terme macro-économique, en abandonnant le bassin minier à son sort. Offres et demandes étaient remodelées dans la continuité d’un équilibre. Même chose dans le cas beaucoup plus probable de transferts financés par l’impôt. Tel n’est plus le cas du système planétaire : la demande globale  diminue sous l’effet de pays qui se maintiennent dans la zone sous régime  d’austérité obligatoire. L’offre étant inchangée, la tendance planétaire à la récession se confirme… sauf si, en d’autres points du monde, l’endettement peut se propager[6].

 Maintenant, il reste évident que, les plus performants pourront, dans un espace déprimé planétairement, tirer leur épingle du jeu. L’Allemagne a pu ainsi continuer à prospérer sur la base d’un mercantilisme ouvert. Par rapport à l’exemple de la Région Parisienne dont on supposait l’impossible exportation en contrepartie de la perte de débouchés dans le bassin houiller, l’Allemagne non alourdie pas le poids des transferts, a pu connaitre un excédent jusqu’à plus de 8 points de PIB… en 2015, avec il est vrai des dépenses de solidarité très inférieures à la France (25,4 points de PIB contre 31,7 pour la France). En jouant le jeu de la frayeur sur les créances TARGET, qui, il est vrai, continuent d’alourdir le bilan de la Banque centrale allemande, le pays correspondant a pu, jusqu’à une date très récente, être  le seul à tirer son épingle du jeu.

Les politiques d’austérité dans le sud finissent par gonfler ce qui est déjà un excédent de la zone vis-à-vis du reste du monde (3 points de PIB de la zone depuis 2015, soit en pourcentage le chiffre le plus élevé de la planète). Politique et résultats contestés par le reste du monde qui considère qu’il n’a pas à souffrir de la monnaie unique. Ainsi la Chine,  déjà intrinsèquement en difficulté,[7] se trouve face à une Europe où la pression déflationniste  ajoute brutalement à ses difficultés exportatrices. On peut évidemment énoncer les mêmes propos s’agissant des USA qui sous l’ère Trump, ne sont plus décidés à absorber les 180 milliards de dollars d’excédents européens contrepartie du déficit américain.

A l’échelle planétaire, parce que la monnaie unique interdit tout transfert, toute solidarité, elle exige aussi une sur compétitivité dont se trouvent victimes les pays candidats à la construction  d’Etats Providences nationaux. D’où les difficultés du Brésil, de l’Argentine, de l’Afrique du sud, et de tous les pays émergents avec bien sûr, au premier plan,  la Chine dont la croissance est devenue probablement inférieure à la croissance américaine….[8] D’où finalement des difficultés pour l’ensemble de la planète ainsi que  le reconnait la Fondation Bertelsmann[9].Comme la concurrence entre Etats n’en affaiblit pas le nombre, il est illusoire d’imaginer un monopole, c’est-à-dire un Etat mondial, harmonisant l’équilibre entre demande et offre planétaire, équilibre lui-même assorti de l’édification d’un Etat providence planétaire.

La conclusion est donc simple :

Sauf difficile retour à une certaine forme d’Etat-Nation, (celui qui reste soucieux de sa souveraineté monétaire),  « l’Etat social à la  française » est durablement menacé par la monnaie unique.

Le secteur sanitaire et social, dans toutes ses dimensions y compris celle du dispositif retraites ou gestion du chômage,  ne peut que tenir compte de cette situation. Il se doit naturellement d’accroitre son efficience intrinsèque : c’est le devoir de tout manager. Mais il doit comprendre qu’une partie de la réponse à la satisfaction des besoins à venir passe par le rétablissement de la complète souveraineté monétaire, une souveraineté vérifiée dans nombre de pays, mais interdite dans le cadre de la construction européenne. Cette souveraineté est l’aliment de la compétitivité, et donc d’une croissance pouvant faire face aux besoins.

C’est donc à la lumière de ce qui vient d’être expliqué qu’il faut comprendre la quasi-totalité des politiques publiques menées en France depuis un certain nombre d’années : ordonnances sur le droit du travail, loi PACTE, réforme SNCF, réforme de l’assurance chômage, réforme des retraites, etc. Dans chaque cas il s’agit de s’adapter, certes à la mondialisation classique mais, au-delà, de se plier aux formidables contraintes de la monnaie unique.

 

Note explicative  finale sur le sens à donner au mot « transfert ».

Nous venons de comprendre la nécessité des transferts là où une monnaie reste commune à un ensemble humain. Nous comprenons aussi que ces transferts sont un instrument de légitimation politique. Nous devons aussi comprendre qu’ils sont pour une large part des transferts sociaux et donc transferts plutôt logés dans le sous -ensemble « Etat Providence » que dans celui de l’« Etat Régalien ». Dans l’Etat régalien, il y a plutôt mutualisation des dépenses publiques et peu de transferts. Dans « l’Etat Providence » existe  bien davantage de transferts assis plus particulièrement sur une base redistributive.

On comprend du même coup que le pays qui refuse toute logique de transfert (Allemagne) est aussi un pays où les transferts internes sont assez modérés : l’Etat Providence  allemand n’est pas l’Etat Providence français. Et si les transferts entre allemands sont modérés, il faut comprendre qu’ils doivent- pour des raisons culturelles - rester inexistants entre allemands et « pays du club Med ».

 

 


[1] 220000 salariés en 1947…contre pratiquement zéro aujourd’hui, avec une population totale qui n’a pas beaucoup variée.

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/04/avenir-des-etats-declin-fragmentation-union-desunion-partie1.html

[3] Ce qui suppose dans notre exemple que le pétrole soit produit dans la région parisienne….

[4] Cf notamment : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=86184

[5] Lorsqu’on impose un excédent primaire pour rembourser la dette (solde budgétaire positif) on diminue la demande globale et le PIB se contracte. Pour plus de détails voir : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/07/peut-on-enfouir-la-bombe-atomique-grecque.html

[6] De ce point de vue il faut savoir que les banques centrales ont injecté plus de 40000 milliards de dollars dans les circuits financiers, soit environ 80% du total du PIB planéte. La taille du bilan des banques centrales mondiales, avec un doublement depuis 2012,  n’a jamais été aussi élevée. En 2018 l’endettement global mondial (public et privé) se montait à 230% du PIB planétaire. A cet égard la Banque mondiale dans son rapport « Les vagues mondiales de la dette » publié en décembre 2019, précise que la croissance de la dette des pays émergents augmente au rythme de 7% depuis 2010 : du jamais vu.

[7] Il n’a pas fallu attendre le président Trump pour que l’on puisse parler de guerre des monnaies. Dès 2915 La chine dévalue sa monnaie dans l’espoir de reprendre ses exportations vers l’Europe. Et cette baisse est immédiatement suivie d’autres : Taïwan, Malaisie, Corée du Sud, Singapour,  Australie, etc. De quoi se diriger vers une guerre commerciale aux fins de lutter contre la récession.

[8] La presse spécialisée parle encore de 5 à 6% de croissance. Pour autant Patrick Artus, chef économiste chez NATIXIS, prétend au terme d’une analyse économétrique minutieuse  que la croissance chinoise est aujourd’hui d’un peu plus de 2%.

[9] Cj l’étude de la Fondation : « Des temps difficiles pour le changement démocratique » commentée dans « Le Monde » du 29 février 2016.

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16 décembre 2019 1 16 /12 /décembre /2019 07:03

 

Le système à points mobilise fortement les enseignants et le pouvoir admet volontiers qu’il existe un problème de rémunération dans ce corps de fonctionnaires. Il apparaitrait ainsi que la retraite actuelle ne pourra être maintenue, chez les enseignants beaucoup plus qu’ailleurs,  lorsque son calcul passera sur la base de la carrière entière  et non plus sur celle des 6 derniers mois. Tentons d’apprécier l’ampleur de la question au travers d’un modèle simple.

Les 3 principales catégories (instituteurs, certifiés, agrégés) voient, durant leur carrière, leur rémunération mensuelle brute évoluer comme suit : de 1658  à 2474 euros pour les premiers, de 1818 à 3139 euros pour les seconds; de 2099 à 3889 euros les troisièmes. D’où les ratios suivants indicateurs de l’évolution des rémunérations : 1,49 pour les instituteurs, 1,72 pour les certifiés, et 1,85 pour les agrégés.

Sur la base 100 en début de carrière pour les 3 catégories cela signifie une rémunération de 149 pour les instituteurs, de 172 pour les certifiés et de 185 pour les agrégés. Compte tenu d’un taux de remplacement moyen de 0,75 pour la pension, nous avons respectivement des retraites mensuelles, de 111,75, de 129, et de 138,5. Cela concerne le dispositif actuel où la base de calcul prend comme référence les 6 derniers mois d’activité.

Si maintenant le nouveau système prend comme référence la totalité de la carrière, le poids du passé et de ses rémunérations beaucoup plus faibles prend de l’importance. Ainsi dans notre modèle la rémunération moyenne et non plus terminale à comme indice : 124,5 ((100+149)/2) ; 136  (( 100+172)/2 ; 142,5 ((100+185)/2.  En appliquant le même taux de remplacement (0,75) les retraites passent respectivement à : 93 ; 102 ; et 107.

Les instituteurs perdent ainsi 111,75- 93= 18,75 points; les certifiés perdent 129- 102= 27 ; et les agrégés perdent 138,5- 107= 31,5.

Plus concrètement sans changement des profils de carrière, les instituteurs perdent ainsi près de 17% de leur pension, les certifiés perdent 21% de leur pension, et les agrégés perdent près de 23% de leur pension.

Le pouvoir annonce qu’il n’en sera rien et que les retraites seront maintenues. Sans transition, cela suppose une augmentation considérable des rémunérations tout au long de la carrière, avec des choix possibles : augmenter les indices des premiers échelons dans d’importantes proportions, ou amortir le choc en se focalisant davantage sur les derniers. En moyenne, et compte tenu des proportions entre les différents statuts à l’intérieur d’un effectif global de 902000 enseignants, cela supposerait une masse salariale augmentée d’environ 20%. Il est très difficile de connaitre de façon rigoureuse la masse budgétaire consacrée à la rémunération des seuls enseignants, mais on l’estime à environ 45 milliards d’euros, cela signifie par conséquent une petite dizaine de milliards d’euros, soit O,4 points de PIB. Compte tenu d’une croissance faible, de l’absence de gains de productivité, des règles bruxelloises, etc. ce scénario semble impensable. Par contre Il serait  possible sans les contraintes d’une monnaie unique qui borne de façon radicale la croissance.

Le scénario de l’augmentation des rémunérations est d’autant plus impraticable  que les enseignants ne sont pas les seuls fonctionnaires à connaitre une évolution  de rémunération passant de 1,5 à 1,8 au long d’une carrière. Sans entrer dans les détails les fonctionnaires de catégorie A voire B sont un peu dans la même situation : début de carrière mal rémunérée et fin de carrière plus correcte. D’où le risque d’une forte dévalorisation des pensions sans une hausse significative des rémunérations d’activité.

Face au mur d’une dépense publique étroitement bornée par les contraintes d’une monnaie unique qui ne fonctionne qu’au bénéfice exclusif de l’Allemagne, le pouvoir embrume les choses par l’idée d’une transition de longue durée, d’un point indexé, de mesures diverses sur les femmes les paysans, les commerçants etc. Concrètement l’application de la réforme dans le monde enseignant devrait générer des couts énormes sans aucune contrepartie….

Le but de la réforme globale des retraites était relativement clair : diminuer le montant global unitaire des couts du vieillissement pour faire face à la rupture démographique dans le contexte des rigidités imposées par la monnaie unique. L’examen du seul cas des enseignants révèle que le fonctionnement des marchés politiques débouche nécessairement sur un effet pervers majeur : Au-delà de la lenteur de sa mise en place, le cout de la réforme est considérablement plus élevé que le gain escompté. Le pouvoir devra imposer brutalement, mentir, contourner, diviser, opposer, etc. pour maintenir son objectif de réduction des couts unitaires du vieillissement. Rudes batailles à prévoir sur les marchés politiques.

 

 

 

 

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9 décembre 2019 1 09 /12 /décembre /2019 15:29

 

Il n’est pas nécessaire d’être économiste pour se rendre compte que le projet des entrepreneurs politiques au pouvoir est fondamentalement un grand projet de dévaluation interne. Parce que l’euro bloque toute modification à la baisse du taux de change, il faut bien faire pression sur le cout complet du travail, ici en s’attaquant sur les couts de la vieillesse qui deviennent rapidement croissants avec l’évolution de la démographie du pays.

Et la pression se doit d’être forte car le pays est bien - sans changement fondamental des règles du jeu-  dans une nasse. Les prélèvements obligatoires français sont les plus lourds de l’OCDE et donc probablement les plus lourds du monde. Le déficit public continue d’assurer une montée de la dette laquelle vient frôler le seuil des 100% du PIB. La croissance reste évidemment faible et ne permet pas de faire monter des taux d’activité ou d’abaisser des taux de chômage, taux qui restent en dehors des normes des pays de l’OCDE. Les gains de productivité devenus très réduits ne laissent plus de marge de manœuvre[1]. Le déficit des échanges extérieurs est devenu abyssal et témoigne d’une sous compétitivité croissante. Face à cet étouffement, on peut comprendre l’impératif du blocage du poids des retraites à 13,8% du PIB. Certes, il faudrait aller plus loin pour – dans le cadre des règles du jeu- obtenir une vraie dévalorisation avec le gain de compétitivité qui en découle, mais le groupe politique au pouvoir est trop faible pour risquer une aventure plus dangereuse.

De fait, jusqu’ici, et de façon très mécanique, le vieillissement de la population entrainait automatiquement une réévaluation interne aggravant encore la sous-compétitivité d’une économie française privée de l’outil taux de change. Il y avait donc urgence à se porter sur le front des retraites pour en diminuer le montant moyen. Les marchés politiques ne le permettant pas, il faut se contenter d’un simple plafond de PIB. Dans un système ouvert classique et de complète souveraineté monétaire, les entrepreneurs politiques au pouvoir n’ont guère de peine à gérer une augmentation des couts de la vieillesse. L’augmentation mécanique des prélèvements qui en découlent ne détruit pas une compétitivité qui se rétablit par une baisse des taux de change. Un tel contexte permet en effet de récupérer par le mécanisme des prix externes les charges nouvelles.   L’euro interdit cette souplesse de fonctionnement.

Avec le plafond envisagé nous sommes pourtant assurés d’une dévalorisation du montant des retraites. Certes les entrepreneurs politiques au pouvoir se doivent de tenir des discours rassurants en évoquant les revalorisations potentielles des pensions pour les  femmes, pour les agriculteurs, pour les artisans et commerçants, etc. l’enveloppe globale  - en masse et non en taux - peut s’agrandir avec la croissance, mais le nombre de retraités va connaitre une croissance plus grande encore[2]. A l’échéance 2030, compte tenu d’une population active quasi inchangée la croissance sera proche de 1% tandis que les effectifs de pensionnés s’accroitraient à un rythme proche de 2%. Cela signifie par conséquent une vaste redistribution du montant des pensions à l’intérieur d’un groupe devenu plus important. A supposé qu’il existe encore une certaine croissance, ce groupe social plus important va voir son statut se dévaloriser. Les bénéficiaires de pensions théoriquement maintenues mais en déclin relatif par rapport aux rémunérations des actifs  seront invités à partager avec les retraités qui vont bénéficier de la réforme. Bref, les classes moyennes qui surnagent encore vont devoir se solidariser davantage avec les vrais perdants de la mondialisation. Les entrepreneurs politiques segmentent le marché en faisant apparaitre des « gagnants » et des « perdants » au mieux de leur objectif de reconduction au pouvoir, mais globalement le niveau moyen sera amené à baisser pour satisfaire aux exigences de l’euro zone. Voilà pour l’aspect macroéconomique voire macro politique des choses. La mécanique de la réévaluation interne sera politiquement bloquée, mais de fait le plafonnement à 13,8% de PIB assure de façon plus ou moins masquée la réelle dévaluation interne exigée par les contraintes de l’euro.

Au-delà, l’irruption d’un critère technocratique, « le point », transforme fondamentalement un système sur plusieurs aspects essentiels : abandon de la règle de prestations définies, disparition des institutions régulatrices, éloignement d’un système[JCW1]  relativement « bismarckien » au profit d’un « système beveridgien ». Le résultat étant une tentative de dépolitisation de la question des retraites : il n’y aura plus à débattre des retraites et chacun pourra construire sa stratégie en devenant davantage « entrepreneur de lui-même ». Avec de potentielles dérives à imaginer : Bien au-delà du marché de l’assurance, pourquoi ne pas transformer le « point » en actif financier librement négociable sur le marché ? De quoi rendre enfin les acteurs sociaux responsables…

Nous avons là une tentative de dépolitisation que l’on retrouve dans l’ensemble de l’activité gouvernementale moderne – santé, médicosocial, énergie, fonction publique, climat, etc. - avec des entrepreneurs politiques devenus, dans un contexte de mondialisation financiarisée,  de simples adeptes du « Nudge Management ».

Pour autant cette tentative de dépolitisation présente, s’agissant de la seule réforme des retraites, des couts potentiellement considérables. Parce qu’une réforme dite systémique  exige une transition de longue durée, dans un contexte de vieillissement rapide, il faut en attendant réduire un trou budgétaire difficile à vendre sur les marchés politiques. Augmenter l’âge de départ à la retraite, et donc rester dans le cadre d’une réforme paramétrique était plus simple et plus immédiat. On ne passe pas d’un âge institutionnel à une société liquide en un battement de paupière. De quoi se lamenter de la règle bruxelloise des 3% et devoir, sans délai,  augmenter les salaires de plus d’un million de fonctionnaires, tout en finançant  le déficit d’une transition de longue durée. On voulait une réforme systémique sans réforme budgétaire : nous aurons les deux.

Remercions Madame Lagarde qui, dans la suite,fort sage, de Mario Draghi, continuera sa politique monétaire dans le seul but d’éviter l’éclatement de la zone euro.

 

[1] Réduction mal expliquée alors que l’on peut voir dans cet indicateur le double mouvement de la sur financiarisation des activités humaines d’une part, associée au sous-investissement résultant d’un taux de change inadapté d’autre part.

[2] Plus brutalement encore le COR dans sa dernière évaluation nous apprend que le nombre d’actifs baisserait de 108000 personnes entre 2020 et 2030 tandis que dans le même temps le nombre de personnes de 65 ans et plus augmenterait de 2,7 millions.


 [JCW1]

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25 novembre 2019 1 25 /11 /novembre /2019 15:48

La BCE dans le dernier numéro de sa revue consacrée à la stabilité financière, reconnait les problèmes posés par sa politique monétaire. Ces derniers, mis en évidence depuis plusieurs années ne sont plus à analyser et méritent un simple rappel :  élargissement du champ de la finance avec aggravation des inégalités ; élévation des patrimoines rentiers et des dettes publiques et privées ; mauvaise allocation du capital avec dangereux rachats d’actions ; maintien d’activités obsolètes et investissements de faible efficience ; affaissement du rendement des banques, des compagnies d’assurances et fragilisation des systèmes de retraites ; auto réalisation de taux négatifs[1] avec perspectives de nouvelles baisses destructrices du capital bancaire; etc…

 Cela fait beaucoup. Déjà les inquiétudes sur les assurances vie se manifestent bruyamment. Le financement obligataire classique ne permet plus d’assurer les engagements contractuels de rentabilité d’où un effet de ciseaux anéantissant la rentabilité et danger d’évaporation d’une partie du capital. D’où la récente baisse de notation par Moody’s ou la note de la BaFin qui signale que 34 assureurs sur 84 sont déjà sous surveillance renforcée[2].

Ce que ne dit pas la BCE est que son QE est aussi beaucoup plus lourd et moins efficace[3] que celui de la FED .  Déjà lourd en raison de l’architecture de la finance européenne (on finance l’économie par les bilans bancaires et non par le marché) il n’a cessé de s’alourdir : 43% du PIB de l’UE, contre 17% du PIB américain pour la FED. Aujourd’hui encore le QE prévisible de l’année 2020 se montera à quelque 240 milliards d’euros pour représenter près de 30% de l’appel des Trésors publics de la zone euro (appel prévu d’environ 900 milliards d’euros). Il a aussi tendance à se transformer en pratiquant l’achat de dette privées y compris sur les marchés primaires[4].

Tout ceci  mérite réflexion et explication.

En matière de politique monétaire les Traités laissent de grandes marges de liberté. Ainsi la règle de non dépassement du tiers de la dette émise par un pays est purement conventionnelle et peut en théorie être modifiée par le conseil des gouverneurs. Par contre la règle du respect de la proportionnalité des achats QE aux quotes-parts de chaque pays dans le capital de la BCE est beaucoup plus politique et donc très contraignante. Il s’agit tout simplement d’éviter l’inégalité de traitement entre pays. Cette règle est toutefois très embarrassante et devient la vraie limite de la politique monétaire de la BCE.

Prenons un exemple. Imaginons que la BCE décide d’aider l’Italie en achetant en 2020 le tiers de la dette prévisionnellement émise - environ 230 milliards d’euros- soit 69 milliards d’euros. Le poids de l’Italie dans le capital de la BCE est de 16,8¨% et celui de l’Allemagne est de 27%. Ces chiffres fixent le montant global de dette allemande devant obligatoirement être achetée par la BCE, soit 69 X 27/16,8 = 110,8 milliards d’euros. Somme très supérieure au tiers de la dette nouvellement émise par l’Allemagne en 2020 (probablement moins de 200 milliards de dettes nouvelles). Cela signifie par conséquent que l’aide à l’Italie est de fait considérablement limitée par la politique budgétaire allemande. Dans notre exemple, le QE maximal pour l’Allemagne serait de 66,66 milliards d’euros, ce qui correspondrait à un QE maximal pour l’Italie de 41,47 milliards d’euros.

Les choses sont encore complexifiées par le fait que la grande vague de collatéralisation imposée par les régulateurs[5] depuis la crise de 2008 va mobiliser les dettes publiques de bonne qualité. La meilleure étant la dette allemande, celle-ci est la matière première recherchée par les marchés financiers. Les émissions de dette allemande sont ainsi très convoitées, et tout QE sur l’Allemagne en vue d’aider les pays du sud par un QE spécifique significatif débouche sur une hausse considérable de son cours et des taux négatifs. Dit simplement, il faut aider l’Italie mais un tel exercice gène considérablement les épargnants allemands. Nous avons là la vraie limite de la politique monétaire. Plus l’Allemagne se dirigera vers un excédent budgétaire, moins elle aura recours à des émissions de dettes publiques, et moins il sera possible de contenir les spreads de taux au détriment de l’Italie. C’est cette limite qui a probablement poussé la BCE à sortir des QE strictement adossés aux dette publiques pour se lancer vers les achats de dettes privées.

Au total le QE européen est, comme le QE américain, source d’effets contre productifs clairement identifiés, mais il est aussi très difficile à gérer en raison de l’existence encore manifeste d’Etats-Nations productrices d’hétérogénéités importantes. L’une des plus importante d’entre-elles étant probablement la dimension culturelle. Certes l’Allemagne a imposé son ordo-libéralisme au reste de la zone mais au -delà, ses croyances et intérêts, font que ce qui reste de sa souveraineté (décision d’une politique budgétaire excédentaire) impacte directement d’autres économies. Alors que la FED peut pratiquer un QE sur un territoire plus ou moins unifié, la BCE est extrêmement contrainte et c’est la politique budgétaire de l’Etat dominant (l’Allemagne) qui vient délimiter le périmètre de son action au profit des Etats sur lesquels des risques existent. Plus simplement encore le QE de la BCE, très lourd, débouche plus rapidement que celui de la FED vers les taux négatifs[6]. On comprend ainsi mieux les discours de supplique adressée à l’Allemagne et concernant le souhait d’une politique budgétaire ouvertement expansionniste.

Parce que l’Allemagne- malgré les difficultés croissantes rencontrées par son système bancaire[7]-restera probablement sourde, la BCE devra aller plus loin, quite à se transformer en une sorte de « proto-Etat européen ».

Le défi est à priori simple : le système financier menacé par les taux ne peut survivre qu’en accroissant encore massivement la dette, laquelle est bloquée par l’Allemagne. Il faut donc, du point de vue de l’intérêt supérieur de la finance, et notamment de son intérêt fondamental à la pérennisation de l’euro, mettre en place un dispositif de protection qui ne soit plus de la dette et qui permette de relancer une activité soutenue. Si par un moyen à définir et à construire - un moyen éloigné de la politique budgétaire peu praticable et éloigné d’une politique monétaire inefficiente- l’activité pouvait fortement augmenter,  les risques pourraient s’apaiser. D’abord les risques bilantaires du système financier : la croissance forte rend l’endettement moins dangereux lequel consoliderait  le capital. Ensuite la croissance forte permettrait de diminuer le risque de déflation et la cible des 2% d’inflation deviendrait crédible. Du point de vue de l’intérêt supérieur de la finance et de son attachement indéfectible à l’euro, il apparait que l’idée de François- Xavier Oliveau de mettre en place « un dividende monétaire » (une variante « d’hélicoptère monnaie » chère à Friedman) serait sans doute à étudier[8] et idée qu’il faudrait sans doute mixer avec les questions actuelles consacrées à la transition écologique et aux gigantesques investissements qui devraient lui -être consacrée[9].

Si tel devait être le cas il faudrait réguler les injections de monnaie non remboursable et sans taux d’intérêt au travers de dispositifs précis : quelle fréquence ? quels niveaux ? quels destinataires ? quels objectifs ? quelle répartition entre Etats ? Quels dispositifs pour la mise sous contrôle des effets pervers ? Peut-on associer ce qui serait de fait un dispositif de monnaie pleine à un dispositif qui resterait celui d’une monnaie dette ?  Sur un plan concret et donc opérationnel, on voit mal une décentralisation, dans laquelle les Trésors nationaux recevraient un montant de monnaie librement utilisable, et donc entrant potentiellement en contradiction avec les règles du grand marché et de la concurrence libre et  non faussée. « L’hélicoptère monnaie » relèverait donc d’une gestion extraordinairement complexe, lourde, bureaucratique, probablement autoritaire et centralisée ; ce qui amènerait la BCE à élargir considérablement le champ de ses compétences….un élargissement la faisant cheminer vers une forme de proto-Etat. La surveillance bancaire et financière l’a déjà amenée à embaucher plusieurs milliers de fonctionnaires, il est probable qu’un « hélicoptère monnaie » propre à réduire les inefficiences conjuguées des politiques monétaires et budgétaires l’entrainerait vers l’embauche de plusieurs milliers de fonctionnaires supplémentaires.

Au-delà, la vraie question est de savoir si ce proto-Etat qui autoriserait l’espoir d’affaiblir la schizophrénie allemande ( une épargne mieux garantie, des bilans financiers solides et des débouchés nouveaux) fonctionnerait encore sur des bases allemandes ( injections de monnaie  pleine en respectant les quotes-parts) ou des bases autorisant l’équivalent de transferts entre Etats ? Cette solution serait la seule permettant le fonctionnement de l’euro avec à terme une homogénéisation de la zone. De quoi en finir avec les soldes TARGET, ou la panique des transferts du nord vers le sud,  et donc à nouveau rassurer l’Allemagne.

Le chemin du rétablissement des taux de change entre les pays serait sans doute plus simple-d’essence éminemment libérale, non bureaucratique  et beaucoup plus démocratique- mais l’addiction à l’euro semble ouvrir cette voie très complexe vers la naissance d’un Etat à partir d’une banque centrale. Si tel devait être le cas, il s’agirait d’une révolution historique car jusqu’à présent les banques centrales sont nées au cœur des Etats et non l’inverse. Par contre cette perspective confirmerait ce mix  complexe d’ultralibéralisme, de bureacratisme et d’autoritarisme qui caractérise nombre de nos présentes institutions.

                                                                                         Jean Claude Werrebrouck le 25/11/2019

 

[1] Rappelons qu’un taux nul pour un actif quelconque signifie par actualisation une valeur qui tend vers l’infini, ce qui n’a strictement aucun sens. D’où l’idée que les taux nuls ou négatifs ne permettent plus de donner une vision claire sur les réalités économiques.

[2] Moody’s vient aussi de dégrader la notation des banques allemandes. Notons que le ratio valeur boursière/actifs net est de 0,22 pour Commerzbank, de 0,24 pour Deutsche Bank, de 0,44 pour Société générale, etc. Ce ratio appelé dans le milieu financier « price-to-book » devrait être logiquement supérieur à 1. Il est de 1,73 pour JP Morgan et cela montre toute la différence entre le système financier américain et le système financier de la zone euro.

[3]Concernant les cause de son inefficacité cf. :  http://www.lacrisedesannees2010.com/2019/11/il-est-plus-difficile-d-etre-patronne-de-la-bce-que-d-etre-patron-de-la-fed.html

[4] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/2019/11/il-est-plus-difficile-d-etre-patronne-de-la-bce-que-d-etre-patron-de-la-fed.html

[5] Vague il est vraie contrariée par la décision du parlement européen de mettre en concurrence les chambres de compensation, avec un effet mécanique sur la contraction des appels de marge (le collatéral fait de dette publique bien notée).

[6] On peut s’étonner du positionnement allemand dont les dirigeants participent indirectement à la négativité des taux en poursuivant, en toute circonstance, une politique budgétaire qui alimente ladite  négativité.

[7] Révision à la baisse de sa notation par Moody’s.

[8] Cf. « l’Institut Sapiens » et l’article de FX Oliveau : « Monetary dividend : a new tool monetary policy to handle tech deflation »

[9] La commission européenne évoque des investissements de 1,5 point de PIB par an. Impraticable sans changement radical des règles du jeu.

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25 novembre 2019 1 25 /11 /novembre /2019 07:00

 

La BCE dans le dernier numéro de sa revue consacrée à la stabilité financière, reconnait les problèmes posés par sa politique monétaire. Ces derniers, mis en évidence depuis plusieurs années ne sont plus à analyser et méritent un simple rappel :  élargissement du champ de la finance avec aggravation des inégalités ; élévation des patrimoines rentiers et des dettes publiques et privées ; mauvaise allocation du capital avec dangereux rachats d’actions ; maintien d’activités obsolètes et investissements de faible efficience ; affaissement du rendement des banques, des compagnies d’assurances et fragilisation des systèmes de retraites ; auto réalisation de taux négatifs avec perspectives de nouvelles baisses destructrices du capital bancaire; etc…

 Cela fait beaucoup. Déjà les inquiétudes sur les assurances vie se manifestent bruyamment. Le financement obligataire classique ne permet plus d’assurer les engagements contractuels de rentabilité d’où un effet de ciseaux anéantissant la rentabilité et danger d’évaporation d’une partie du capital. D’où la récente baisse de notation par Moody’s ou la note de la BaFin qui signale que 34 assureurs sur 84 sont déjà sous surveillance renforcée.

Ce que ne dit pas la BCE est que son QE est aussi beaucoup plus lourd et moins efficace[1] que celui de la FED .  Déjà lourd en raison de l’architecture de la finance européenne (on finance l’économie par les bilans bancaires et non par le marché) il n’a cessé de s’alourdir : 43% du PIB de l’UE, contre 17% du PIB américain pour la FED. Aujourd’hui encore le QE prévisible de l’année 2020 se montera à quelque 240 milliards d’euros pour représenter près de 30% de l’appel des Trésors publics de la zone euro (appel prévu d’environ 900 milliards d’euros). Il a aussi tendance à se transformer en pratiquant l’achat de dette privées y compris sur les marchés primaires.

Tout ceci  mérite réflexion et explication.

En matière de politique monétaire les Traités laissent de grandes marges de liberté. Ainsi la règle de non dépassement du tiers de la dette émise par un pays est purement conventionnelle et peut en théorie être modifiée par le conseil des gouverneurs. Par contre la règle du respect de la proportionnalité des achats QE aux quotes-parts de chaque pays dans le capital de la BCE est beaucoup plus politique et donc très contraignante. Il s’agit tout simplement d’éviter l’inégalité de traitement entre pays. Cette règle est toutefois très embarrassante et devient la vraie limite de la politique monétaire de la BCE.

Prenons un exemple. Imaginons que la BCE décide d’aider l’Italie en achetant en 2020 le tiers de la dette prévisionnellement émise - environ 230 milliards d’euros- soit 69 milliards d’euros. Le poids de l’Italie dans le capital de la BCE est de 16,8¨% et celui de l’Allemagne est de 27%. Ces chiffres fixent le montant global de dette allemande devant obligatoirement être achetée par la BCE, soit 69 X 27/16,8 = 110,8 milliards d’euros. Somme très supérieure au tiers de la dette nouvellement émise par l’Allemagne en 2020 (probablement moins de 200 milliards de dettes nouvelles). Cela signifie par conséquent que l’aide à l’Italie est de fait considérablement limitée par la politique budgétaire allemande. Dans notre exemple, le QE maximal pour l’Allemagne serait de 66,66 milliards d’euros, ce qui correspondrait à un QE maximal pour l’Italie de 41,47 milliards d’euros.

Les choses sont encore complexifiées par le fait que la grande vague de collatéralisation imposée par les régulateurs[2] depuis la crise de 2008 va mobiliser les dettes publiques de bonne qualité. La meilleure étant la dette allemande, celle-ci est la matière première recherchée par les marchés financiers. Les émissions de dette allemande sont ainsi très convoitées, et tout QE sur l’Allemagne en vue d’aider les pays du sud par un QE spécifique significatif débouche sur une hausse considérable de son cours et des taux négatifs. Dit simplement, il faut aider l’Italie mais un tel exercice gène considérablement les épargnants allemands. Nous avons là la vraie limite de la politique monétaire. Plus l’Allemagne se dirigera vers un excédent budgétaire, moins elle aura recours à des émissions de dettes publiques, et moins il sera possible de contenir les spreads de taux au détriment de l’Italie. C’est cette limite qui a probablement poussé la BCE à sortir des QE strictement adossés aux dette publiques pour se lancer vers les achats de dettes privées.

Au total le QE européen est, comme le QE américain, source d’effets contre productifs clairement identifiés, mais il est aussi très difficile à gérer en raison de l’existence encore manifeste d’Etats-Nations productrices d’hétérogénéités importantes. L’une des plus importante d’entre-elles étant probablement la dimension culturelle. Certes l’Allemagne a imposé son ordo-libéralisme au reste de la zone mais au -delà, ses croyances et intérêts, font que ce qui reste de sa souveraineté (décision d’une politique budgétaire excédentaire) impacte directement d’autres économies. Alors que la FED peut pratiquer un QE sur un territoire plus ou moins unifié, la BCE est extrêmement contrainte et c’est la politique budgétaire de l’Etat dominant (l’Allemagne) qui vient délimiter le périmètre de son action au profit des Etats sur lesquels des risques existent. Plus simplement encore le QE de la BCE, très lourd, débouche plus rapidement que celui de la FED vers les taux négatifs[3]. On comprend ainsi mieux les discours de supplique adressée à l’Allemagne et concernant le souhait d’une politique budgétaire ouvertement expansionniste.

Parce que l’Allemagne- malgré les difficultés croissantes rencontrées par son système bancaire[4]-restera probablement sourde, la BCE devra aller plus loin, quite à se transformer en une sorte de « proto-Etat européen ».

Le défi est à priori simple : le système financier menacé par les taux ne peut survivre qu’en accroissant encore massivement la dette, laquelle est bloquée par l’Allemagne. Il faut donc, du point de vue de l’intérêt supérieur de la finance, et notamment de son intérêt fondamental à la pérennisation de l’euro, mettre en place un dispositif de protection qui ne soit plus de la dette et qui permette de relancer une activité soutenue. Si par un moyen à définir et à construire - un moyen éloigné de la politique budgétaire peu praticable et éloigné d’une politique monétaire inefficiente- l’activité pouvait fortement augmenter,  les risques pourraient s’apaiser. D’abord les risques bilantaires du système financier : la croissance forte rend l’endettement moins dangereux lequel consoliderait  le capital. Ensuite la croissance forte permettrait de diminuer le risque de déflation et la cible des 2% d’inflation deviendrait crédible. Du point de vue de l’intérêt supérieur de la finance et de son attachement indéfectible à l’euro, il apparait que l’idée de François- Xavier Oliveau de mettre en place « un dividende monétaire » (une variante « d’hélicoptère monnaie » chère à Friedman) serait sans doute à étudier[5] et idée qu’il faudrait sans doute mixer avec les questions actuelles consacrées à la transition écologique et aux gigantesques investissements qui devraient lui -être consacrée[6].

Si tel devait être le cas il faudrait réguler les injections de monnaie non remboursable et sans taux d’intérêt au travers de dispositifs précis : quelle fréquence ? quels niveaux ? quels destinataires ? quels objectifs ? quelle répartition entre Etats ? Quels dispositifs pour la mise sous contrôle des effets pervers ? Peut-on associer ce qui serait de fait un dispositif de monnaie pleine à un dispositif qui resterait celui d’une monnaie dette ?  Sur un plan concret et donc opérationnel, on voit mal une décentralisation, dans laquelle les Trésors nationaux recevraient un montant de monnaie librement utilisable, et donc entrant potentiellement en contradiction avec les règles du grand marché et de la concurrence non faussée. « L’hélicoptère monnaie » relèverait donc d’une gestion extraordinairement complexe, lourde, bureaucratique, probablement autoritaire et centralisée ; ce qui amènerait la BCE à élargir considérablement le champ de ses compétences….un élargissement la faisant cheminer vers une forme de proto-Etat. La surveillance bancaire et financière l’a déjà amenée à embaucher plusieurs milliers de fonctionnaires, il est probable qu’un « hélicoptère monnaie » propre à réduire les inefficiences conjuguées des politiques monétaires et budgétaires l’entrainerait vers l’embauche de plusieurs milliers de fonctionnaires supplémentaires.

Au-delà, la vraie question est de savoir si ce proto-Etat qui autoriserait l’espoir d’affaiblir la schizophrénie allemande ( une épargne mieux garantie, des bilans financiers solides et des débouchés nouveaux) fonctionnerait encore sur des bases allemandes ( injections de monnaie  non remboursable en respectant les quotes-parts) ou des bases autorisant l’équivalent de transferts entre Etats ? Cette solution serait la seule permettant le fonctionnement de l’euro avec à terme une homogénéisation de la zone. De quoi en finir avec les soldes TARGET, ou la panique des transferts du nord vers le sud,  et donc à nouveau rassurer l’Allemagne.

 

Le chemin du rétablissement des taux de change entre les pays serait sans doute plus simple, mais l’addiction à l’euro semble ouvrir cette voie très complexe vers la naissance d’un Etat à partir d’une banque centrale. Si tel devait être le cas, il s’agirait d’une révolution historique car jusqu’à présent les banques centrales sont nées au cœur des Etats et non l’inverse.

 

[1]Concernant les cause de son inefficacité cf. :  http://www.lacrisedesannees2010.com/2019/11/il-est-plus-difficile-d-etre-patronne-de-la-bce-que-d-etre-patron-de-la-fed.html

[2] Vague il est vraie contrariée par la décision du parlement européen de mettre en concurrence les chambres de compensation, avec un effet mécanique sur la contraction des appels de marge (le collatéral fait de dette publique bien notée).

[3] On peut s’étonner du positionnement allemand dont les dirigeants participent indirectement à la négativité des taux en poursuivant, en toute circonstance, une politique budgétaire qui alimente ladite  négativité.

[4] Révision à la baisse de sa notation par Moody’s.

[5] Cf. « l’Institut Sapiens » et l’article de FX Oliveau : « Monetary dividend : a new tool monetary policy to handle tech deflation »

[6] La commission européenne évoque des investissements de 1,5 point de PIB par an. Impraticable sans changement radical des règles du jeu.

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16 novembre 2019 6 16 /11 /novembre /2019 09:59

 

Si l’on en croit les monétaristes, logiquement le QE pratiqué depuis 2012 aurait dû entrainer une hausse rapide des prix. Si tel n’est pas le cas, c’est aussi que l’on constate que la hausse du volume de monnaie disponible n’a pas affecté directement l’économie réelle sous la forme d’une hausse de l’activité. De fait seule l’économie financière fut directement affectée avec les effets qu’il est inutile de rappeler[1]. Ainsi l’apparente grande dichotomie constatée entre économie réelle et économie financière permet de mettre au rebut les vieilles théories de la déflation. La déflation par la dette, naguère théorisée par Fisher, n’est pas d’actualité puisque le stock de dette[2] ne fait qu’augmenter et ce sans l’introduction d’un effet prix. La tendance déflationniste par une politique de monnaie forte n’est pas non plus crédible, puisqu’il n’y a pas de politique de taux de change au sein de la BCE, et que le cours de l’euro est manifestement trop faible aussi bien pour l’équilibre allemand que pour celui de la zone prise dans son ensemble. Resteraient alors les explications plus classiques : vieillissement démographique, préférence pour l’épargne et la liquidité, baisse des couts et tendance générale à la surproduction.

Tentons d’y voir plus clair.

Il faut d’abord admettre qu’un QE très puissant est, en zone euro, associé à une croissance faible, beaucoup plus faible que la croissance américaine, laquelle est associée à un QE très faible, voire partiellement supprimé[3]. Ainsi sur une base 100 en 2010, le PIB par tête aux USA s’est accru de 12,5 points contre seulement 9 points dans la zone euro. Un écart sensible, pourtant amoindri par les effets d’une expansion démographique très dynamique aux USA, et très faible dans l’union européenne. Dans le même temps, le total du bilan de la FED est passé de 12 à 17% du PIB américain alors que celui de la BCE est passé de 22 à 43% du PIB de la zone euro. Ajoutons qu’à partir de 2015 le bilan de la FED se réduit drastiquement en diminuant de 5 points de PIB US, alors que dans le même temps celui de la BCE augmente de 15 points de PIB. Toujours dans le même temps la croissance américaine est significativement plus élevée que la croissance européenne. Ce grand écart signifie que très probablement des facteurs spécifiques interviennent en zone euro.

Ces facteurs spécifiques, sources de tendances déflationnistes, ne sont pas l’évolution des prix des matières premières ni celui du pétrole. Certes les indices de prix des matières premières sont variables d’une année sur l’autre mais sont assez constants en longue période : sur une base 100 en 2000 ils atteignent 113,9 en 2008 et sont à 107,8 en 2019. S’agissant du prix du pétrole il a- après avoir atteint un prix supérieur à 100 dollars le baril au début des années 2010 - beaucoup baissé et reste dans une zone comprise entre 60 et 70 dollars. Il n’y a au total pas de déflation sensible et surtout son impact est à peu près identique aux USA et en Europe. Mieux, les USA, en raison de la renaissance pétrolière[4], devraient être davantage victimes de tendances déflationnistes, ce qui n’est pas le cas.

Concernant la part des salaires dans la valeur ajoutée, les choses sont aussi assez comparables et globalement on constate des 2 côtés de l’Atlantique une diminution de la part du travail dans la valeur ajoutée : entre 1994 et 2015, diminution de 2,7 points aux USA contre 2,9 en Allemagne, 2,2 en Italie, 5,2 en Espagne, mais il est vrai + O,6 en France[5]. La différence relative réside dans les causes d’un tel mouvement, soit une baisse des salaires (salaires nominaux ou surplus distribué inférieur au surplus annuel de productivité), soit une hausse de l’intensité capitalistique, soit un mix de ces  2 mouvements. Les causes de cette déformation du partage de la valeur ajoutée sont probablement liées à la mondialisation et ses effets : l’intensité capitalistique augmente aussi par délocalisations des activités les plus intensives d’un travail acquis à meilleur cout dans les pays émergents ; également le pouvoir de négociation des salariés diminue sous le double effet d’un commerce international libéré et de la grande transformation des entreprises, où l’ère des organisateurs chère à James Burnham[6], laisse la place au pouvoir des actionnaires. Ce qu’on appelle classiquement le capitalisme financiarisé.

Nous sommes ici dans une explication type crise de surproduction avec une demande globale tendanciellement inférieure à l’offre en raison d’une consommation bridée par l’évolution des revenus distribués (diminution de la part du travail dans la valeur ajoutée). Ceci serait confirmé par une hausse de la part des profits, lesquels ne se transforment pas en investissements. D’où les liquidités thésaurisées notamment par les entreprises, mais aussi les ménages. Curieusement, La Grèce est le pays où la part des profits dans la valeur ajoutée est la plus élevée (53% contre 31% pour l’Allemagne en 2018). Mais c’est aussi le pays où la FBCF (11,7% de la valeur ajoutée) est de loin la plus faible(21,7 pour la zone euro en 2018). On notera que l’Italie est aussi un pays qui avec 19% de FBCF ne peut rejoindre la norme zone euro. Autant de remarques qui soulignent que les pays à priori les plus faibles ne prennent pas le chemin de la convergence avec le reste de la zone.

Globalement, l’effet crise de surproduction qui résulte d’une déformation du partage de la valeur ajoutée est plus faible aux USA qu’en Zone euro. Des structures productives contraintes aux USA par une masse salariale elle-même contenue et largement mobilisée par l’achat de produits importés, se trouvent néanmoins oxygénées par une épargne mondiale venant nourrir en particulier l’immense complexe militaro-industriel[7]. Cette épargne mondiale vient soulager l’effort en QE et assure encore un minimum de croissance[8].

Le cas de la zone euro est fondamentalement différent. Equipée d’une balance courante dont l’excédent est proche de 3% de son PIB (2,9% prévu en 2019) la zone est très exposée au ralentissement chinois. Cet excédent est lui-même imposé par les règles qui président au fonctionnement de la monnaie unique. Les pays du sud, les moins compétitifs ne peuvent rétablir une compétitivité par modification d’un taux de change national. Par ailleurs ce retour à l’équilibre est, d’une certaine façon, imposé par l’Allemagne qui ne peut accepter le déficit des soldes TARGET de ces pays. Ils doivent devenir excédentaires par la seule voie de la dévaluation interne. L’Allemagne, elle, bénéficie encore d’un taux de change dont l’extrême faiblesse se lit dans un excédent extérieur anormalement élevé.

 Globalement l’ensemble de la zone souffre d’un déficit de demande qu’il est impossible de combler. Une hausse de la demande interne dans le sud, soit par le canal des rémunérations du travail, soit par le canal budgétaire, aboutirait a de nouveaux déséquilibres avec risques de nouveaux spreads de taux et un gonflement des déséquilibres TARGET. Parallèllement le redémarrage de l’investissement serait interdit par le maintien de l’inadaptation du taux de change.  

Cette même hausse côté allemand mettrait en cause la position mercantiliste du pays, position devenue structurelle avec un outil industriel qu’il faudrait pourtant massivement restructurer.       La marche vers l’auto-centrage des activités industrielles chinoises est un danger pour l’Allemagne et un danger qu’on ne peut aggraver avec des pertes de compétitivité impulsées par une hausse des couts.        

Fort de ce contexte d’hétérogénéité croissante, entièrement imputable à l’existence de l’euro, le seul élément apaisant est la toute puissance du QE. Ce dernier tente de gommer l’hétérogénéité en maintenant la fiction de taux d’intérêts assez proches sur les dettes publiques. Mais pour aider un peu les dettes du sud, il faut – là encore en raison des règles inscrites dans le marbre du SEBC- acheter beaucoup de dette allemande trop rare et trop demandée[9] : il est impossible de cacher la réalité de l’hétérogénéité de la zone. Le QE européen doit être beaucoup puissant que le QE américain qui lui n’est pas handicapé par son devoir de masquer l’hétérogénéité. Derrière l’échec relatif d’une lutte contre la déflation, malgré l’overdose monétaire il y a fondamentalement les règles du jeu d’une monnaie unique qui loin de gommer les hétérogénéités n’a fait que les renforcer.

Cet échec se confirme avec la reprise  du programme d’achat de dettes et  2,8 milliards d’obligations d’entreprise absorbées sur une seule semaine[10]. La reprise du QE ne peut plus se faire avec la dette publique comme matière première, et donc l’effort se porte sur la dette d’entreprise y compris sur son marché primaire. Il s’agit par conséquent d’inventer une nouvelle forme de QE, avec probablement en ligne de mire, le soutien préventif d’un système financier à soutenir face au risque de défaut en cas de ralentissement trop marqué de la croissance économique[11]. Si ce type de nouveau QE devait se poursuivre dans le futur, il y aurait ouverture d’un continent neuf et inconnu dans la politique monétaire. En effet des achats plus massifs de dettes privées pourraient entrainer un effet d’éviction avec report des investisseurs sur des obligations «high yield »[12]… de quoi entrer indirectement pour la BCE, dans un champ qui lui est juridiquement interdit[13].

QE anormalement élevé ; QE enkysté dans les règles intangibles de la monnaie unique ; QE s’investissant -contre toute attente- sur les marchés primaires de dette privée… On peut comprendre que Madame Lagarde a encore beaucoup à apprendre d’une réalité institutionnelle qui devient de plus en plus difficilement identifiable. La BCE est-elle encore une Banque centrale classique?                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             


[1] Cf :  http://www.lacrisedesannees2010.com/2019/10/bce-changement-de-gouvernance-ou-transfert-de-patate-chaude.html

[2] En croissance continue le stock mondial de dettes est selon L’institut pour la Finance Internationale de 320% du PIB de la plénète.

[3] Même s’il réapparait depuis Octobre 2019.

[4] La production américaine  de pétrole augmente de façon spectaculaire : 16,7 millions de baril/jour en 2018 soit 17% de la production mondiale et, en prévision 22,8 millions de baril/jour en 2024, soit près de 21% de la production mondiale à cette date.

[5] Sources : « Trésor Eco », n°234 ; janvier 2019.

[6] Cf son ouvrage déjà publié en 1941 : « The managerial revolution », ouvrage dont les idées furent reprises beaucoup plus tard par John Kenneth Galbraith et Raymond Aron.

[7] D’où l’idée naguère véhiculée que finalement ce serait la Banque centrale chinoise, qui par le biais de l’achat de dette publique américaine, permettrait au Trésor US de régler les colossales commandes militaires achetées au complexe militaro industriel.  

[8] Notons toutefois que cette épargne semble se méfier d’un déficit fédéral en croissance rapide, d’où une augmentation du cout des couvertures, les présentes tensions sur le « repo »,  et l’intervention d’un nouveau QE depuis l’automne 2019. Réalité qui semble manifester une monétisation cachée du déficit fédéral.

[9] Concernant cette rareté nous renvoyons au même texte : http://www.lacrisedesannees2010.com/2019/10/bce-changement-de-gouvernance-ou-transfert-de-patate-chaude.html

[10] Cf Les Echos du 13 novembre 2019.

[11] Risque souligné par le FMI dans son rapport sur la stabilité financière d’octobre dernier.

[12] Obligations à forts rendements incorporant une prime de risques importante.

[13] Les achats en direct de dettes privées ne sont pas interdits, mais la qualité des titres doit, en principe, être garantie par une bonne notation par les agences du même nom.

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14 novembre 2019 4 14 /11 /novembre /2019 14:53

 

Les Echos du mercredi 13 novembre dernier laissent à la chronique de Jean Daniel une large place à  la « politique confuse de Donald Trump ». L’expression est sans appel. Le choix historique de laisser la chine devenir un atelier peu couteux, et les USA un débouché, a effectivement construit de grands déséquilibres avec un déficit commercial américain de 620 milliards de dollars en 2018, dont 420 issus du commerce bilatéral entre les deux pays. Toujours selon Jean Daniel, une telle situation a créé 2 sacrifices : celui du consommateur Chinois ne disposant pas des revenus de son juste travail pour maintenir la compétitivité chinoise, et celui des producteurs américains victimes de cette même compétitivité. Le gagnant de cette relation asymétrique serait le consommateur américain bénéficiant des prix dont la faiblesse était engendrée par celle des salaires chinois.

 La situation, souligne Jean Daniel, va évoluer avec la revalorisation salariale en Chine, revalorisation débouchant sur une modification de l’équilibre extérieur du pays : les exportations vont certes encore progresser de 75% depuis 2009, mais les importations vont croitre depuis cette même date de  125%. Et ce serait là une conséquence de l’émergence d’une classe moyenne soucieuse de consommer selon des standards occidentaux. De quoi engendrer tendanciellement  un équilibre du commerce extérieur chinois, alors même que les USA vont continuer à connaitre un déséquilibre massif.

Le président des Etats-Unis n’aurait pas compris que le déséquilibre est en fait d’abord celui de son budget fédéral avec probablement un déficit de plus de 1000 milliards de dollars pour l’année 2019…le fameux « déficit jumeau » américain. Fort de cette incompréhension le président Trump aurait déclaré la guerre commerciale à la Chine par le biais d’une élévation des barrières douanières.

Jean Daniel nos explique alors que le déficit public contribue à alimenter une demande élevée, en particulier un excès de consommation américain lui-même entretenu par des baisses d’impôts et des dépenses militaires en forte hausse (750 milliards de dollars programmés pour 2020). Pour Jean Daniel il n’y aurait donc pas d’agressivité commerciale chinoise et consécutivement de menace de destruction de l’outil industriel américain… qu’il faudrait protéger par des barrières tarifaires. Il y a simplement un keynésianisme donc une politique de demande catastrophique qui sécurise trop les entreprises américaines lesquelles perdent leur incitation à l’innovation. Une politique qui inquièterait le citoyen américain lequel commencerait à épargner….par peur du « populisme politique » du président américain.

Jean Daniel contribue ainsi au raisonnement classique des « experts » lesquels concluent tous aux bienfaits du libre-échange. Il n’est pas ici question de nier la réalité empirique et les chiffres avancés par Jean Daniel sont exacts. Par contre l’interprétation peut être discutée et une toute autre lecture des faits peut-être proposée.

Si donc la réduction du déficit budgétaire devait être une mesure de politique économique préférable à la taxation des importations issues de Chine, tentons d’en évaluer les effets.

Le premier serait une formidable diminution de la demande américaine globale : des impôts plus élevés venant comprimer la dépense des consommateurs et /ou des dépenses publiques plus faibles ne venant plus nourrir les entreprises et les citoyens. Rigoureusement, la demande américaine diminuerait du montant du déficit budgétaire (environ 1000 milliards de dollars), soit plus de 5% du PIB américain. De quoi plonger le pays dans une crise générale de débouchés…donc de surproduction… Il y a moins d’acheteurs pour la colossale production militaire (L’Etat) et moins d’acheteurs dans les magasins ( le groupe des consommateurs disposant globalement d’un revenu plus faible).

L’économie américaine dans ce cas n’aurait pas finie de se désindustrialiser. Dans le même temps, et c’est un second effet,  l’économie Chinoise verrait ses exportations vers l’Amérique se contracter, de quoi poser des problèmes d’emploi dans ce pays.

Certes, on pourrait stimuler la demande américaine en augmentant les salaires d’un montant égal au déficit budgétaire que l’on aurait fait disparaitre. Mais qui va décider ? Et par ailleurs cela suppose une baisse des profits américains à la hauteur du déficit budgétaire disparu ? De quoi convaincre les investisseurs américains d’exporter leurs  profits amaigris vers des cieux plus cléments.

Il est des expertises faciles qu’il convient d’éviter afin de respecter un minimum de rigueur dans les raisonnements.

Pour aller plus loin on pourra se référer à :

http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-nouvelle-euthanasie-des-rentiers-ne-peut-effacer-la-crise-123599630.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-grande-crise-les-8-fondamentaux-pour-conclure-54153801.html

 

 

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