Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 octobre 2020 4 08 /10 /octobre /2020 09:49

La BCE vient de publier un rapport d’une cinquantaine de pages sur un « euro numérique ».

L’affaire est sensible et se nourrit de la disparition des pièces et billets traditionnels, de la numérisation croissante des activités et, sans doute, de l’apparition jugée inopportune de crypto-monnaies privées. Le rapport n’évoque que très peu les implications concrètes d’une monnaie numérique « Banque Centrale » et conclut surtout sur la nécessité d’une enquête approfondie devant déboucher sur des expérimentations au cours de l’année 2021. Le présent texte tente d’identifier les tendances mécaniques lourdes d’un tel projet.

La monnaie numérique remplaçant les pièces et billets serait de fait, la possibilité pour les agents privés, de disposer d’un compte à la Banque Centrale comme traditionnellement les Etats et les banques. Il s’agirait d’une nouveauté majeure -a priori peu compréhensible- tant il est vrai que la crypto-monnaie pourrait être techniquement entièrement construite et gérée par le système bancaire classique.

Très vite - même si temporairement on associe comme le suggère le rapport, le système bancaire - il apparaitrait qu’un tel dispositif serait autrement plus rationnel que le dispositif présent. En effet, la monnaie numérique « Banque centrale » correspond à l’apparition d’une infrastructure très efficace de circulation de la valeur tant au niveau national qu’au niveau international : le marché interbancaire devient largement inutile et la sécurisation des transactions devient totale. Infrastructure, unique ou presque, de la circulation de la valeur, la BCE numériquement équipée ne ferait plus qu’enregistrer, à vitesse exceptionnellement élevée, les mouvements de compte à compte et ce, sur un document unique qui est son bilan. Bien sûr, la liberté est sans doute menacée, puisque désormais, la circulation laissera des traces utilisables par l’autorité monétaire. Billets et pièces n’avaient pas d’odeur, ce qui ne sera plus le cas même si l’on prend un luxe de précautions. De fait, la tendance lourde, si le projet devait aboutir, est la construction progressive - loi des rendements croissants aidant - d’un monopole naturel autrement plus performant que le système décentralisé d’aujourd’hui.

Cela signifie une lourde menace pour les banques traditionnellement - et considérablement - aidées par une BCE qui n’hésite pas à les subventionner par des prêts gigantesques à taux négatifs. En effet, si la disparition d’un numéraire encombrant correspond à une diminution des coûts de fonctionnement, à l’inverse, une augmentation de volume de la monnaie numérique correspond aussi à des dépôts bancaires plus réduits. Bien évidemment, le rapport précise que ladite monnaie ne concernerait que les « paiements de détails ». Toutefois, il est clair que la rationalisation apportée incitera les titulaires de comptes numériques à voir les choses en plus grand : pourquoi ne pas utiliser ce moyen facile pour concrétiser des achats plus importants voire des quasi investissements s’agissant des ménages ? En allant plus loin pourquoi - du point de vue des entreprises et des ménages - ne pas abandonner le compte bancaire traditionnel d’une institution jugée moins sûre et se réfugier en totalité dans un compte numérique d’une institution dont on sait que la faillite est impossible ? De ce point de vue, la concurrence du monopole naturel, sans même évoquer la possible élimination des entreprises de paiements électroniques, se ferait spontanément implacable, et il faudrait toute l’autorité des administrateurs de la BCE pour empêcher cette dernière de « commettre un malheur ». Malheur qui serait gigantesque, si d’aventure les comptes traditionnels s’asséchant, les actifs bancaires devaient se réduire et provoquer une crise financière. De fait, si dans un tel projet les personnels politico-administratifs confirment leur choix de servitude volontaire, il y aurait conflit entre les usagers (ménages et entreprises) qui souhaiteraient un compte numérique élargi et les banques et le système financier, qui veilleraient à en réduire le périmètre. La gestion de ce conflit ne donne pas lieu à solution unique et la BCE peut très bien trouver un consensus en achetant massivement les actifs financiers, lesquels seraient menacés de réalisation par des banques en cure d’amaigrissement du côté de leur passif. Ce dernier choix par la banque centrale la rendrait véritablement maitresse du jeu et la transformerait encore un peu plus en proto-Etat. Moins brutalement, la BCE pourrait envisager une solution plus décentralisée et laisser davantage de place aux banques, en leur accordant le bénéfice d’une délégation de service public, aux fins de gérer les nouveaux comptes numériques. Cette version plus conglomérale ne permet toutefois pas de dépasser l’impression de « totalisation » qui émanerait de la concrétisation d’un tel projet.

Quoiqu’il en soit, si le projet devait se matérialiser, la puissance de la BCE deviendrait - par le jeu classique de la construction d’un monopole naturel - considérable, et son bilan serait à nouveau alourdi. Désormais, tous les acteurs de la société européenne seraient sous la coupe d’une institution détentrice, par le biais des comptes, d’une partie substantielle de leur patrimoine. Et cette institution serait, en suivant ces comptes, spectatrice de toutes les relations entre tous les agents européens : Etats, banques, entreprises, ménages, extérieur….

Cette puissance et cette totalisation nous rappelle un peu l’histoire du Système de Law au cours de la période 1718- 1720. Il est difficile de donner un nom à cette gigantesque construction issue d’un accord ente le Régent et Law. D’où l’idée de « Système » dans lequel, Banque royale et Compagnie d’Occident, avalent un grand nombre d’institutions de l’époque (y compris les autres compagnies : voire le très complexe système de collecte de l’impôt) et vont former un vaste conglomérat et une totalisation. Totalisation, dont on ne sait plus si elle est d’essence privée ou d’essence publique. Bien sûr, le point de départ fût la question de la dette publique et de la rareté monétaire, mais cette réalité caractérisait aussi un certain état de la société à la mort du Roi Soleil. On connait l’issue catastrophique de cette construction au cours de l’année 1720 : un excès dans l’émission de papier monnaie par la Banque pour soutenir le cours de la Compagnie. A l’époque, comme plus tard pour les assignats, ce que nous avons appelé la « loi d’airain de la monnaie » joue pleinement. La société n’est nullement prête à abandonner le métal précieux et très vite l’émission monétaire est contestée et prendra ultérieurement la forme d’une panique. Les dirigeants du Système - comme plus tard les révolutionnaires - savaient cela, connaissaient déjà la loi d’airain et précisément, le projet ultime de Law était, grâce à la totalisation mêlant privé et public, d’aboutir à la démonétisation du métal. La richesse n’est pas l’or mais ce que pourra produire la compagnie et ses satellites. Même chose pour les révolutionnaires : l’or doit disparaître et un « projet de décret pour démonétiser l’or et l’argent » est présenté au législateur le 1er décembre 1793. Il ne sera jamais promulgué car anthropologiquement, idéologiquement, socialement, inacceptable.

Au niveau BCE, la nouvelle totalité qui pourrait se mettre en place est bien plus performante que celle du système de Law. Il n’y a pas à craindre de panique du côté des marchés : la BCE peut émettre autant de monnaie qu’exigée par le soutien des cours boursiers, ce qui n’était pas le cas de la Banque royale, enkystée dans la Compagnie. Il n’y a plus de loi d’airain et les euros émis massivement consolident l’ordre alors que les papiers de Law vont développer le chaos. La BCE est bien potentiellement un système total. Le système de Law l’était aussi mais il restait soumis à une fuite, qui n’était pas à l’époque, anthropologiquement, idéologiquement, socialement, susceptible d’être comblée.

Curieusement, l’ordre humain que maintient la BCE est l’inverse de celui voulu par le Système : la première cherche à maintenir - quel qu’en soit le prix - un ordre institutionnel, économique et social – approximativement, ce qu’on appelle le capitalisme financier - alors que le second était authentiquement révolutionnaire avec en particulier le projet de la fin des rentes. La BCE, devenant progressivement proto-Etat, se donne les moyens d’assurer - au moins provisoirement - la rente financière, tandis que le système de Law n’avait pas les moyens de tuer les vieilles rentes de l’ancien régime.

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
24 septembre 2020 4 24 /09 /septembre /2020 13:52

On en sait maintenant davantage sur le plan de relance européen et ses conséquences pour la France. Celle-ci recevra une subvention de 37,39 milliards d’euro. Compte tenu de sa participation d’un peu plus de 17% au budget européen, cela signifie mécaniquement que le pays devra rembourser 17% de 390 milliards de « subventions » offertes par la Commission, soit 66,3 milliards. En admettant que les taux de l’intérêt soient nuls comme ils le sont en utilisant les services de l’Agence France Trésor (AFT), cela signifie une perte de 28,9 milliards. Par comparaison, l’Allemagne recevra 22,72 milliards et remboursera 78 milliards (transfert de 55,28 milliards), l’Italie recevra 65,46 milliards et remboursera 54,6 milliards (gain de 10,86), et l’Espagne recevra 59,17 milliards pour un remboursement de 37 milliards (gain de 22).

Globalement, nous confirmons notre point de vue du 24 août dernier, [1]la France, pays beaucoup plus proche du sud que du nord est très mal traitée dans l’accord bruxellois du 21 juillet dernier. Notons également la relative faiblesse des gains pour le sud.

Le plus important toutefois est l’ensemble de contraintes associées au versement des fonds : disponibilité éloignée (jusque 2023), conditionnalité avec imposition d’une articulation des subventions aux plans nationaux et droits de regard de la commission sur l’ensemble, etc. A cet égard cette dernière vient de publier un « formulaire modèle » de 44 pages[2], que chaque gouvernement devra remplir, afin d’assurer une grande transparence de l’audit de recevabilité des projets. Bien évidemment seront retrouvées, dans les conditions de  la recevabilité, les anciennes « recommandations » concernant les réformes du marché du travail et les systèmes de retraites. La précision des demandes devra être appuyée sur une liste d’indicateurs chiffrés que chaque gouvernement devra construire d’ici le 15 octobre. On notera l’aspect humiliant de la procédure en examinant le document susvisé, notamment sa page 35 ramenant le dirigeant politique élu, au statut d’exclu implorant une aide auprès d’une administration. L’accord du 21 juillet est donc bien une montée en puissance de la Commission et une avancée spectaculaire dans la servitude des Etats…. toujours applaudie par leurs personnels politico-administratifs respectifs…

Cet aspect est d’une certaine façon bien plus important que les chiffres susvisés. Les remboursements des « subventions » ne commencent qu’en 2028 et vont s’échelonner jusqu’en 2058. Cela signifie que le coût économique, y compris pour l’Allemagne, sera négligeable ( 1, 8 milliards d’euros l’an…. et seulement à partir de 2028, soit moins de 0,01% du PIB allemand d’aujourd’hui). Par contre, l’avantage symbolique est important et surtout il y a une avancée significative d’un fédéralisme non démocratique et en toute hypothèse non adapté à un certain nombre de pays dont la France.

Il existait probablement d’autres voies pour financer la relance. Nous voudrions dans cet article évoquer celle de la crypto-monnaie nationale.

Une crypto-monnaie nationale.

L’idée est de s’extirper des contraintes de l’euro qui a construit les grandes faiblesses du pays. Parce que l’économie française s’est trouvée devoir s’appuyer, d’abord sur un « Franc fort », ensuite  sur une monnaie confirmant un taux de change durablement inadapté, le pays s’est acheminé vers des politiques de dévaluations internes masquées qui ont construit progressivement et durablement sa fragilité.

Sa première fragilité, souvent exprimée, est l’importance excessive des dépenses sociales. A ce titre, il est généralement affirmé qu’elles constituent le premier chantier des nécessaires réformes. C’est pourtant oublier que ces dépenses constituent la contrepartie, probablement involontaire, d’un déficit de compétitivité dû au taux de change. Parce que la dévaluation externe est devenue impossible depuis l’époque du Franc fort (Bérégovoy), il a bien fallu payer le prix du refus socialement exprimé de la dévaluation interne. Logiquement, parce que la masse des salaires est une composante macroéconomique fondamentale, la dévaluation se devait d’être essentiellement salariale : prise en charge du chômage résultant de l’implacable désindustrialisation, outils bureaucratiques de couvertures de dépenses sociales, de compensation du délitement économique, prise en charge par l’Etat de cotisations etc. La dévaluation interne directe sur les salaires s’avérant politiquement impossible, le déficit budgétaire est devenu le prix réel de ce refus. Avec bien sûr,, des conséquences sur d’autres dépenses. Nous y reviendrons. Globalement nous avons l’œil sur les réformes portant sur la boursouflure du social, question réelle, sans se poser la question de l’origine première de cette dernière.

Face à cet enfermement, la mise en place d’une crypto-monnaie nationale permettrait-elle de quitter les contraintes de l’euro et la pérennisation du modèle social français devenu dans le présent contexte impraticable ? Clairement existe-t-il une voie permettant de respecter plus ou moins les contraintes de l’euro tout en refusant la pleine dévaluation interne frappant ouvertement les salaires ?

La mise en place d’une crypto-monnaie nationale.

Le gouvernement Chinois, soucieux de sa pleine souveraineté teste actuellement avec l’aide de sa banque centrale, sa propre crypto-monnaie. Cette dernière permettrait aussi une traçabilité complète des échanges à l’intérieur du territoire. Il n’est évidemment pas question de demander à la Banque de France de produire une crypto-monnaie nationale : la banque étant soumise à l’euro-système, seule le Trésor serait en mesure, en toute liberté, de créer une crypto-monnaie dont l’usage serait la relance. De ce point de vue, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’est en aucune manière trahi par une telle décision. Techniquement, les choses sont aisées et la gestion de la pandémie avec l’aide massive du Trésor et de ses satellites a montré, au printemps dernier, que l’administration française était suffisamment équipée : elle possède l’identité des comptes bancaires et coordonnées de tous les agents économiques, en particulier ceux des entreprises et des ménages. Plutôt que d’envisager un plan de relance en euros, très long à mettre en place,  avec forte surveillance de la bureaucratie bruxelloise prenant en charge une partie des projets (à hauteur de 37,39 milliards),  il s’agirait de mettre en place un plan adapté et souple permettant la fin des dévaluations internes et une authentique reconstruction du pays.

Une crypto-monnaie du Trésor pourrait s’appeler « crypto-euro », serait parfaitement convertible avec l’euro au taux de 1 contre 1, et détiendrait un pouvoir légal et libératoire sans limite. Pour autant, aurait-elle les moyens d’assurer une relance quelconque sans entrer en contradiction avec ce qui est devenu l’autorité bruxelloise ?

Logiquement, au titre de la relance dont il faudra présenter la philosophie générale, il y a émission de monnaie nouvelle, donc dépense publique supplémentaire qui n’affecte pas le solde public en euros :la dépense publique supplémentaire s’effectue dans une nouvelle monnaie souveraine. Les ressources distribuées sont des moyens de paiement pour tous les agents. Aucun agent n’est censé la refuser en raison de la parfaite convertibilité et du cours légal. Toutefois, on peut penser que la loi de Gresham va s’appliquer, aussi en raison de l’énorme scandale provoqué, bien sûr auprès des autorités européennes, mais au-delà, à l’échelle du monde. Cela signifie que le circuit du Trésor va s’appliquer de façon intégrale : les agents économiques auront le souci de payer la totalité de leurs impôts et autres prélèvements publics obligatoires en crypto-euros. Bien sûr, fort classiquement, aux dépenses publiques nouvelles -circuit du Trésor oblige- se trouvent assorties des recettes induites. Elles seront logiquement libellées en crypto-euros. Mais, loi de Gresham aidant, les recettes publiques jusqu’ici payées en euros seront payées en crypto-euros et ce jusqu’au dernier centime. Les administrations publiques vont donc perdre des recettes en euros. Et donc l’utilisation de la crypto monnaie ne sera pas neutre sur le déficit « officiel » en euros. Dans un dispositif de relance en crypto-monnaie, le déficit supplémentaire en euros provient des recettes et non des dépenses, alors que dans un dispositif de relance en euros, le déficit provient des dépenses et non des recettes. Il est toutefois difficile de dire si l’un domine l’autre en termes d’effet sur le budget officiel.

L’utilisation d’une crypto-monnaie publique, sans renverser le dispositif européen, présente donc des effets difficilement évaluables. On peut penser que la propension à épargner (ici propension marginale) serait proche de zéro en raison de la possible loi de Gresham. Mais il peut y avoir substitution en raison du cours légal et donc apparition d’une propension marginale en euros…Il est donc difficile d’évaluer l’effet multiplicateur de la relance par la crypto-monnaie et de le comparer avec celui obtenu par l’euro. Nous y reviendrons. Dans le même ordre d’idées, on pourrait penser à de possibles réactions sur le marché officiel de la dette publique. Difficile de répondre à des questions qu’aucun modèle économétrique ne pourrait trancher.

Au-delà, en supposant que les effets pervers de la relance par crypto-monnaie soient sous contrôle, les avantages d’un retour partiel à la souveraineté vont se heurter à la question du taux de change.

Peut-on sauter au -dessus de la barrière de l’euro sans le faire tomber ?

Bien évidemment, le dispositif de crypto-monnaie permet d’échapper aux contraintes bruxelloises qui confondent les causes avec leurs effets : la situation très difficile du pays a moins pour cause des structures sociales à corriger, et bien davantage une  question de compétitivité.

En attendant, le retour de la souveraineté permettrait d’effacer une partie des dégâts provoqués par la servitude volontaire de nos personnels politico-administratifs. Les dévaluations internes masquées, et non assumées, ne  sont pas remarquées par la seule dette publique. De fait, c’est tout un ensemble de politiques qui se sont trouvées dans l’étau de la nécessaire dévaluation interne imposée par l’euro.

 On peut en citer quelques-unes. Ainsi les grandes infrastructures montées durant les trente glorieuses, sont relativement mal dotées, d’où des milliers de ponts devenus dangereux, un réseau routier insuffisamment entretenu, des voies ferrées dans un état désastreux, etc. Ainsi, des structures de recherche de moins en moins pourvues, tels le CNRS, l’INSERM, les Universités, etc. Ainsi les structures hospitalières victimes d’un ONDAM muselé transformant la T2A en « points flottants » continuellement décroissants. Ainsi, la spectaculaire diminution des dépenses militaires ( 3,5% de PIB en 1990 contre moins de 2% aujourd’hui) ou les insuffisances criantes sur l’appareil judiciaire. Les exemples pourraient être multipliés à l’infini et viennent s’ajouter aux énormes dépenses sociales qui ne sont, au moins partiellement, que la conséquence de l’effondrement progressif des structures productives du pays.

 L’essentiel de cet effondrement est, d’abord et surtout, celui des entreprises exposées à la concurrence internationale victimes d’un système de prix ne leur permettant plus de dégager des marges suffisantes pour investir. Elles aussi, en première ligne, furent et sont encore soumises à dévaluation interne. Ainsi le taux de marge ( Excédent brut d’exploitation/valeur ajoutée brute)  ne cesse de baisser depuis 2000 et se trouve aujourd’hui près de 11 points inférieur au taux allemand (environ 3O% contre 41 pour les entreprises allemandes) . Et là encore la  dévaluation fut plus ou moins masquée par des dispositifs malsains -tel celui du CICE- qui ont davantage préservés des emplois plutôt que d’en créer ou de contribuer à la modernisation.

Bien évidemment, une relance par le biais de la crypto-monnaie pourrait gommer cet ensemble de dévaluations internes.

En commençant par le début, il serait possible de revitaliser les entreprises par un apport massif de capitaux propres  dont certains pourraient être dépourvus de droits de vote, et ce afin d’éviter l’accusation d’étatisation. Il s’agirait non seulement de réduire leur endettement (près de 2000 milliards d’euros) mais de permettre une rupture soit technologique, soit de marché et d’autoriser une productivité permettant d’effacer la grande barrière de l’euro et d’entrer dans une compétitivité plus saine. L’enjeu est énorme car il s’agit de réduire un déficit commercial de 3 points de PIB (70 milliards d’euros) venant aussi affaisser le multiplicateur.

Pour réussir, une telle mise à niveau doit s’effectuer de façon simultanée et il ne peut plus être question de dévaluation interne masquée qui, depuis trente-cinq ans, pénalise directement certains agents pour en sauver d’autres. Clairement, les forces armées, l’hôpital, la science, les services publics, etc. ne doivent plus payer le prix d’un sauvetage d’entreprises menacées par le mur de l’euro et ses nécessaires compléments en termes de libre circulation du capital. Clairement, il faut à la fois aborder la question d’une réindustrialisation et la reconstruction de tout ce qui a été perdu sur l’hôtel de l’euro…y compris la qualité du lien social.

Cela signifie que la relance par la crypto-monnaie est plus affaire de projet global, ce qui implique que le volume de monnaie émise soit suffisamment important pour aborder tous les sujets, et ce de manière rapide.

Techniquement cela est possible puisque les lourdeurs bureaucratiques seraient allégées du détournement obligatoire et hautement surveillé de la Commission. De la même façon il ne sera plus question des réformes structurelles imposées par les exigences de l’euro-système, mais simplement choisies par un peuple souverain. De quoi renouer avec une culture commune et donc un lien social de meilleure qualité.

De ce point de vue, on peut être partiellement rassuré en revenant sur l’examen des déficits entrainés par la nouvelle monnaie. Prenons l’exemple d’une dépense supplémentaire de 100.

 Logiquement, pour un multiplicateur d’une unité, le retour correspond aux prélèvements classiques des administrations publiques, soit environ 45 pour la France. La loi de Gresham dont nous supposons l’application mécanique transformera ce retour en 100 unités puisque les agents voudront se débarrasser de la totalité de la monnaie nouvelle réputée « mauvaise monnaie ». Cela signifie en recettes une perte de 55 en euros sur le budget officiel surveillé par Bruxelles. D’où une aggravation du déficit officiel de 55.

Si maintenant, la relance ne  se fait pas par la nouvelle monnaie mais en utilisant l’euro, nous constatons le même résultat : Depense supplémentaire de 100 en euros et recettes publiques de 45, d’où un déficit accru de 55.

Bien évidemment, l’exemple est simplifié et évacue les remarques antérieures. Toutefois, nous pouvons choisir des multiplicateurs de valeurs différentes, le résultat est le même : le déficit est le même quelle que soit la voie empruntée.

Faire le choix d’une crypto-monnaie pour assurer une authentique transformation du pays n’est sans doute pas sans risque. Il est toutefois bien meilleur que celui consistant à aggraver le processus de dévaluation interne, aggravation autorisée par une Commission européenne qui, par le biais des modalités concrètes de son propre plan de relance, en arrive à contrôler le détail des plans nationaux. Parce que le plan de relance français, sous couvert de modernisation de « verdisation » et de « digitalisation » devient directement intégré  au contrôle européen à des fins de dévaluations internes, il est urgent d’envisager d’autres voies. Celle de la crypto-monnaie nationale en est une.

 

Partager cet article
Repost0
15 septembre 2020 2 15 /09 /septembre /2020 13:24

Quelques  idées complémentaires sont abordées dans ce papier :

  1. La forte montée de l’incertitude globale et mondiale engendrée par la pandémie détruit un capital social déjà fortement abimé. Les coûts de reconstruction de ce capital ne sont pas comptabilisés dans les plans de relance.
  2. L’oligopole asymétrique, et fortement coordonné des banques centrales autour de la FED, apparait faussement comme la solution présente à l’incertitude globale et mondiale.
  3.  Cet oligopole a pour actionnaires un duopole complexe fait de la finance mondialisée (actionnaire principal) et des organisations politico-administratives encore plus ou moins nationales (actionnaires secondaires ayant fait le choix de la servitude volontaire). L’oligopole asymétrique présente les caractéristiques d’un proto-Etat.
  4. Une façon de limiter la négativité de l’incertitude globale et la fausse solution d’un oligopole asymétrique se transformant en proto-Etat est le rétablissement de la souveraineté monétaire. Cette souveraineté peut profiter des technologies numériques et permet de remettre en pleine lumière ce qui fut historiquement la naissance du couple Etat/monnaie.

Le coût de la levée de l’incertitude et de la demande de protection

Les humains en tant que cellules formant un ensemble appelé « société » ont à régler les grands   problèmes de la vie : conservation, reproduction, régulation de l’ensemble. D’abord   conservation   qui oblige à absorber des éléments extérieurs (air, aliments) pour se maintenir en vie. Ensuite, reproduction qui, historiquement, a consisté à organiser la sexualité en vue d’une reproduction du monde. Enfin, régulation qui consiste en la mise à disposition d’un ensemble d’outils pour que la société fonctionne.

La résolution de ces grands défis a donné lieu à d’infinies variations de règles de fonctionnement d’où des cultures très diverses, voire des civilisations.

Ce phénomène de développement culturel répondant à des questions de vie est largement un fait         social émergent spontanément. De ce point de vue, Hayek a raison contre Descartes lorsqu’il affirme que si ce capital social (normes, visions, valeurs, morale, etc.) nous est largement utile dans notre interaction sociale quotidienne, nous n’en avons pas véritablement conscience. Clairement, notre action prend appui sur un capital socialement construit par les hommes mais très largement en dehors de leurs intentions.

Pour autant, ce capital est sécurisant puisque situé au-dessus de chacun d’eux, il est un langage commun sur le monde. Il permet d’anticiper assez largement les intentions des uns et des autres et fait que les sociétés humaines fonctionnent le plus souvent en dehors du risque de chaos. Ce capital forge des certitudes et de la confiance dans des actions concrètes jugées naturelles ou rationnelles et dont on attend un résultat avantageux.

On peut en déduire que la mise à disposition, toujours gratuite, de certitudes au profit d’un ensemble humain est fondamental. A contrario, l’apparition d’incertitudes provoque tout aussi naturellement un désordre qu’il faut éventuellement combler par des mesures réparatrices dont le coût est probablement proportionnel à la densité sociale, c’est-à-dire à la quantité des interactions sociales

C’est très exactement ce que nous rencontrons aujourd’hui avec la pandémie. Si un capital social plus ou moins dense permet de produire l’illusion sécurisante de contrôle du monde, la pandémie ouvre une période d’incertitudes difficiles à réduire en raison de l’extrême densité sociale qui caractérise le monde d’aujourd’hui. Inutile de rappeler ici toutes les mésaventures de l’interaction sociale que nous rencontrons.

Prenons simplement l’exemple de l’école et de la fermeture d’une classe pour risque sanitaire. L’extrême densité sociale fera que cela entrainera dans un certain nombre de cas, la mise au chômage partiel des parents et ce, avec des conséquences débouchant sur davantage d’incertitudes, pour les finances publiques, pour les charges des entreprises, pour leur fonctionnement concret avec toutes les conséquences pour la réalisation des contrats en cours ou marchés prévisibles, etc. Il n’y a pas que le virus qui est rhizomatique, et l’incertitude globale qu’il crée à partir d’une simple classe d’enfants d’âge scolaire concerne tous les aspects de la rencontre sociale et ce, à l’échelle de la société.

Nous ne parlerons pas ici des coûts de rétablissement du capital social. Ils sont probablement gigantesques à l’échelle de la planète. Signalons simplement qu’ils ne sont pas mesurables et ne peuvent pas être pris en considération dans les enveloppes des plans de relance de chaque pays. C’est dire aussi que ces enveloppes déjà non finançables sur les marchés classiques de la dette publique, devront probablement être corrigées à la hausse et ce, tant qu’un capital social suffisamment sécurisé ne sera pas rétabli. En attendant il semble qu’une sécurisation plus ou moins précaire apparaisse avec la montée en puissance d’un nouvel acteur dans le jeu social : le proto-Etat.

La fausse sécurisation par l’apparition de proto-Etats

L’élément, à première vue stable, qui produit encore un peu de certitudes dans un monde en déshérence, est sans doute le réseau des banques centrales dont on peut se demander s’il ne constitue pas les prémisses d’un ou de plusieurs proto-Etats.

De ce point de vue, il est clair que les banques centrales ont quitté leur métier de base consistant à valider le statut de simples infrastructures de marché, lesquelles autorisent le fonctionnement quotidien des banques et se trouvent faites logiquement de créances et de dettes à très court terme (prises en pension). Aujourd’hui, près de 80% du bilan de la BCE est constitué de prêts à moyen et long terme auprès du système bancaire (18%) et de prêts aux Etats (59%). Les montants correspondants sont colossaux : 1300 milliards pour 700 banques en juillet 2020, et un cumul au 19 juin 2020 de 3326 milliards d’euros pour les Etats. Dans le même temps est proposé un programme d’achat d’obligations d’entreprises, dont le contenu qualitatif serait finement précisé : éligibilité à la collatéralisation, à la cause climatique, etc. le tout assorti de protocoles de reporting tout aussi précis. Clairement, nous nous acheminons vers un dispositif d’aide au profit de la plupart des acteurs, les banques elles-mêmes avec un taux négatif permettant de remédier à leur rentabilité insuffisante, les Etats qui voient leurs engagements considérablement augmentés et sont tétanisés par la réapparition de spreads de taux, les entreprises qui, par le biais des 2 premiers acteurs, se maintiennent à flot par perfusion financière (20 points de valeur ajoutée pour les seules entreprises françaises). Comment ne pas découvrir une nouvelle réalité au-delà du voile déchiré de l’indépendance de la Banque centrale ? Comment ne pas voir qu’elle devient un proto-Etat chargé de la régulation d’un ensemble devenu chaotique ? Comment ne pas voir que de fait, elle a désormais pour acteurs un duopole composé de la finance et d’organisations politico-admiratives multiples (les Etats) ayant choisi la servitude volontaire pour se sauver elles-mêmes en sauvant les acteurs dont ils ont la charge (entreprises chargées de l’emploi du « demos ») ?

La FED est dans une situation analogue. Son bilan s’est accru de 3000 milliards de dollars pour soutenir un Trésor chargé d’un budget s’acheminant vers un déficit de 18,7 points de PIB en 2020. Simultanément, la FED s’est portée acheteuse sur le marché des ETF, marché qui représente les fonds indiciels et donc l’ensemble du paysage financier. Cette disposition ajoute à la grande porosité entre les deux marchés, celui des actions et celui des obligations, porosité déjà lisible avec les obligations convertibles et les obligations hybrides qui permettent à bon compte une augmentation des fonds propres.

 Tout aussi simultanément, la FED organise à des fins de protection à l’échelle planétaire la gestion de la dette des pays émergents. Pour se faire elle propose des swaps de devises entre banques centrales afin d’assurer une liquidité qui, en cas de disparition, pourrait avoir des conséquences à l’échelle du monde. Signalons enfin qu’une réflexion plus ou moins avancée concerne le projet de création d’une crypto-monnaie FED, dont l’usage serait proche de ce que l’on appelait « l’hélicoptère-monnaie ». Là encore comment ne pas voir l’apparition d’un couple finance/Etat, dont, il est vrai, la complexité en termes de rapports de forces est extrême (12 Banques centrales privées avec dominante de la Banque centrale de New York, elle-même dominée par 2 banques, Citigroup et JP Morgan ; articulation à un « Federal Open Market Comitee » (FOMC) présidé par le gouverneur de la Banque centrale de NY mais avec très fort poids du Trésor américain…..etc. ).

Plus globalement, la monnaie américaine étant encore la véritable monnaie de réserve, on comprend qu’il existe une certaine solidarité entre toutes les banques centrales occidentales avec, de fait, l’apparition d’un oligopole asymétrique avec dominance de la FED et des actionnaires, parmi lesquels les personnels politico-administratifs des Etats sont de fait en situation de servitude volontaire. Cette centralisation planétaire semble encore l’instrument le plus à même d’assurer la sécurisation évoquée plus haut.

 Le monde est devenu complètement instable, complètement imprévisible, et seul un proto-Etat composite ou multiple est encore capable de créer un minimum de sécurité. On en connait pourtant les inconvénients majeurs avec la croissance inéluctable des inégalités de patrimoine et de revenus correspondants, notamment des revenus insuffisants pour l’accès au logement de ceux qui ne sont pas rentiers. Question très débattue que nous n’aborderons pas tant elle est connue. L’avenir de ce faux pôle de stabilité reste évidemment un mystère. On peut certes penser à davantage de sélectivité dans la partie bancaire de la finance et ce, afin de restaurer des marges (une partie des actionnaires du proto-Etat ou des proto-Etats se révolte), mais les actionnaires principaux -conscients du risque accru de déflation et d’explosion sociale- ont les moyens d’éteindre l’incendie possible en subventionnant les banques avec des taux négatifs. Restaurer des marges avec de la déflation ou inonder les banques avec les subventions du ou des proto-Etats, bien malin qui pourra dire quelle solution, toujours précaire, émergera.

Le rétablissement d’une souveraineté monétaire par des Etats mettant fin à leur propre servitude ?

Au final c’est l’abandon soit d’une authentique souveraineté monétaire (Europe) ou son partage avec la finance (USA) qui questionne le retour à un monde plus stable. Or de ce point de vue nous avons déjà signalé les projets de crypto-monnaies souveraines par des proto-Etats Ces dernières, à supposer qu’elles puissent émerger,  peuvent-elles échapper à l’emprise de la finance ?

Dans la partie occidentale de notre monde nous avons, en dehors du projet américain encore très vague, des plans de création de monnaie centrale mais sans les caractéristiques de ce qu’était l’Etat souverain et démocratique, tel qu’il se manifestait encore avant l’ère de la prétendue indépendance des banques centrales. Curieusement, cette innovation semble être une copie moderne de ce qui fut la création historique des premiers Etats, lesquels se sont appuyés sur un objet de pouvoir qui allait devenir monnaie. Ce point mérite une explication.

Revenons quelques instants sur le capital social (normes, valeurs, visions, morale, etc). Produit par tous et n’appartenant à personne, il est, dans les sociétés premières, l’objet de questionnement dont la réponse est universelle : notre réalité est le fait des dieux, ce qui veut dire que la vie est un don de l’au-delà auquel il faut répondre par un contre-don. Fondamentalement, les humains sont des endettés. Ce que Pierre Clastres va appeler coup d’Etat fondant les premiers Etats est un processus historique, au terme duquel des individus vont prendre une partie de la place des dieux et devenir des créanciers vis-à-vis d’un « demos » désormais endetté. De ce point de vue on peut penser que la naissance des Etats est un premier exemple de privatisation et, ce qu’on appelle le personnel politico administratif, est le bénéficiaire de cette dernière : les anciens sacrifices envers les dieux deviennent des dettes envers des hommes (despotes, empereurs, princes, etc.), des dettes appelées plus tard impôts. Ces processus de privatisation de ce qui était commun s’est historiquement développé en de nombreux endroits, d’où une concurrence entre les gagnants de la privatisation.

Spontanément la dette doit aussi être réserve de valeur liquide d’où l’apparition des premiers circuits du Trésor : Contrôle d’une mine de métal précieux par le nouveau pouvoir étatique, transformation du métal en monnaie, circulation de la monnaie à l’intérieur de l’espace social soumis au phénomène étatique, retour au moins partiel vers l’Etat sous la forme de l’impôt.

En exigeant de la Banque centrale de Chine la création d’un devise numérique (« Central Bank Digital Currency » ou CBDC), le pouvoir chinois renoue spectaculairement avec l’antique modèle du couple Etat/monnaie. Chacun sait que l’indépendance des banques centrales est pure plaisanterie. Il en va évidemment de même pour la Banque centrale de Chine, laquelle pourra désormais être comparée aux vieux hôtels des monnaies de notre moyen-âge. Derrière cette construction nous retrouvons la question historique de la fusion entre Trésor et Banque centrale, lesquels ne font plus qu’un. Et déjà des journalistes évoquent, sans s’en rendre compte, le rétablissement du circuit du Trésor : la Banque centrale chinoise  commence à payer en cryptomonnaie des fonctionnaires qui peuvent ainsi payer leur cotisation au parti communiste Chinois….

Du point de vue du pouvoir, il s’agit de lutter contre les crypto-monnaies privées qui, en Chine, sont très répandues et sont considérées comme une menace : spéculation dans le champ de la finance de l’ombre (Shadow Banking) et surtout fuite des capitaux. Il s’agir de retrouver la centralité monétaire.

Y a-t-il risque d’une fuite devant la crypto- monnaie centrale et au final un destin tel celui des assignats des années 1790 en France ? La réponse parait négative car au-delà de la souveraineté classique, il y a en Chine une réalité identitaire : la souveraineté chinoise est aussi un nationalisme clairement affirmé. Et nationalisme qui se manifeste aussi dans les entreprises dont nombre d’entre-elles connaissent au passif de leur bilan une participation publique. De plus, sans connaitre davantage la réalité de la nouvelle monnaie, rien n’empêche de lui donner cours légal et cours obligatoire. En sorte que le destin de la monnaie numérique chinoise nous apparait être plutôt celui des effets « MEFO » de l’Allemagne nazie que celui des assignats dans une période où le capital social du royaume s’est largement effondré.

Au-delà des intérêts politiques dominants en France, rien n’interdit aujourd’hui le personnel politico-administratif français de créer une crypto-monnaie de nature identique. Bien évidemment, il ne peut utiliser la Banque de France prisonnière de l’euro-système. Par contre, il peut directement utiliser le Trésor. De ce point de vue la vitesse avec laquelle Bercy et ses satellites sociaux ont pu exécuter, lors du confinement, les décisions du pouvoir en matière d’aides aux ménages et aux entreprises, montre qu’il suffisait d’un simple changement de désignation de la monnaie pour échapper aux contraintes de l’euro.

 De quoi créer une monnaie locale à vocation nationale et ainsi restaurer les marges de manœuvre d’un Etat enfin rétabli dans la puissance conférée par la souveraineté. Une puissance évidemment contrôlée dans un cadre démocratique.

 S’agira-t-il de la prochaine étape dans la gestion de la crise ?

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
24 août 2020 1 24 /08 /août /2020 05:55

 

Après l’enthousiasme médiatique français concernant un plan européen que l’on disait révolutionnaire, nous connaissons un étrange silence depuis la publication du résultat des négociations : la France apparait  ouvertement comme le « dindon de la farce » avec des garanties du Trésor a priori 2 fois plus importantes que les ressources octroyées, ressources - que ce soit des subventions ou des crédits-  qu’il faudra rembourser. Rien à voir avec une Pologne qui recevra, prévisionnellement, contre de faibles garanties, des sommes qui permettent imprudemment à son président d’affirmer que, grâce au plan, la nation polonaise entre dans les années les plus glorieuses de son histoire.

Les sommes ne sont pas encore complètement arrêtées et vont tenir compte de l’évolution du chômage dans chaque pays. Quoi qu’il en soit, la France apparait comme la grande perdante et le présent texte se propose d’expliquer pourquoi.

Globalement, ce qu’on appelle Union Européenne est un ensemble constitué d’Etats sur lesquels vient s’appuyer une bureaucratie classique de hauts fonctionnaires. Chaque Etat est dirigé par des entrepreneurs politiques censés représenter l’état du rapport des forces politiques internes.

L’UE comme simple utilité.

Du point de vue de l’appartenance à l’UE, les entrepreneurs politiques voient en cette dernière un outil au service des Etats qu’ils dirigent. D’où une duplicité savamment entretenue en volonté affichée et répétée de participer à une aventure extranationale et volonté plus modeste de confirmer l’existence d’une nation sur laquelle leur pouvoir est assis. Cette duplicité prend des formes et  des allures différentes selon les Etats. Ainsi pour les pays de l’est, l’appartenance à l’UE apparait vitale en ce que cette dernière garantit une certaine sécurité au regard d’un ennemi historique. Pour d’autres cette même appartenance garantit le maintien d’une démocratie retrouvée. Pour d’autres encore, elle protège grâce à un taux de change exceptionnellement avantageux. Chacune des situations vient ainsi confirmer la réalité de l’UE : une simple utilité au service d’intérêts strictement nationaux.

L’exception française.

Il existe toutefois dans ce contexte une exception : La France. Pour ce pays, et ce pour des raisons là encore historiques, la duplicité apparait absente. Chez les entrepreneurs politiques français existe une  croyance européiste, aboutissant à l’idée d’une fusion des intérêts de l’UE et de ceux de la France. Cette situation est bien sûr d’ordre culturel, la philosophie  française des Lumières est, à l’inverse de la philosophie allemande, complètement universaliste. Elle explique ainsi que, pour nombre d’entrepreneurs politiques français, la construction européenne ne fût longtemps qu’un processus « d’agrandissement » de la France. D’où historiquement les idéologies et politiques développées par le couple Mitterrand/ Delors…. que les autres pays refuseront : il y aura bien une monnaie unique, mais son complément indispensable (passage à un authentique fédéralisme), sera  refusé. Il l’est encore aujourd’hui au travers du plan collectif de relance.

La logique de fonctionnement d’une bureaucratie de hauts fonctionnaires

En surplomb des Etats et de leur duplicité existe la bureaucratie de l’UE. Bureaucratie peuplée de beaucoup de hauts fonctionnaires, elle fonctionne selon un principe universel : ses acteurs sont en recherche permanente de pouvoirs plus grands  et de la puissance correspondante. Fondamentalement, la bureaucratie bruxelloise est naturellement européiste et souhaite le passage à un fédéralisme source de nouveaux plans de carrières.

De ce point de vue, l’accord de principe des entrepreneurs politiques allemands au projet du président français devient une aubaine : davantage de pouvoir et de puissance pour  la bureaucratie.

Le jeu des acteurs de la négociation

Les choses sont toutefois difficiles à négocier en raison du principe de duplicité exposé plus haut. La bureaucratie européiste doit en effet négocier l’accord des 27 pays et tout veto entrainerait la ruine du projet. L’accord sera donc chèrement payé au profit de pays qui, tout en refusant l’européisme, sont prêts à empocher les prêts et subventions propres à la facilitation de la reconduction au pouvoir des entrepreneurs politiques locaux. Certains pourront penser que dans le cas de la Pologne ou de la Hongrie, la négociation se rapproche d’un accord de corruption : plus de pouvoirs à la bureaucratie européiste contre reconduction locale  au pouvoir facilitée. Difficile à démontrer mais difficile de ne pas y penser. Tous les pays pour lesquels l’UE n’est qu’une utilité au service d’une nation seront également d’habiles négociateurs et si, par exemple, les « frugaux » ne recevront que des sommes symboliques, ils auront Parallèllement négocié un allégement de leur contribution au fonctionnement de l’UE.

La France nécessairement humiliée

Reste l’exception française : comment les négociateurs français pourraient-ils exiger de grands avantages alors même qu’ils sont les initiateurs de l’accord ? Du point de vue de la bureaucratie bruxelloise Le prix du non veto de la France peut ainsi devenir très modeste…jusqu’à devenir insultant… La France avec ses garanties 2 fois supérieures aux gains espérés doit ainsi payer pour les autres entrepreneurs politiques plus réalistes sur la nature de la construction européenne.

Les entrepreneurs politiques français, le président de la République en tête, sont ainsi les responsables involontaires de cette humiliation.

Au-delà, en raison même du principe de duplicité qui anime la plupart des entrepreneurs politiques européens, l’idée même d’un budget permettant les transferts massifs sans lesquels la monnaie unique ne peut survivre, reste complètement utopique. Le plan de relance imaginé par le président Macron est, pour la France, fondamentalement inefficace et  injuste.

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
17 août 2020 1 17 /08 /août /2020 08:46

Naguère, on parlait d’accumulation extensive ou intensive pour désigner, dans un cas, l’absence relative de gains de productivité et dans l’autre, son abondance. La cohérence entre offre globale et demande globale ne posait guère de problème aux personnels politico-administratifs chargés d’une mission de politique macroéconomique. En particulier, le régime des trente glorieuses assurait avec relative finesse, l’adaptation entre offre très rapidement croissante et demande : hausse des rémunérations directes et indirectes, équipements sanitaires, culturels, sociaux, infrastructures, etc.

 Progressivement, avec le temps, les bases nationales d’un engendrement continu de gains de productivité se feront trop étroites, d’où la période  de mondialisation qui s’ouvre dans les années 80. La nouvelle accumulation n’entre pas en rupture avec l’accumulation intensive et ne fera que dissoudre progressivement les outils de la cohérence au profit de l’inéluctabilité de la dette. La croissance nécessaire de la dette fut aussi permise par celle de la financiarisation et le développement d’un capitalisme spéculatif. L’expression de « régime d’accumulation par la dette », peu usitée, caractérise assez bien le monde jusqu’à l’apparition totalement imprévue des actuels risques sanitaires. La présente gestion de la pandémie aggrave considérablement les excès de ce régime. Et cette aggravation nous fait possiblement arriver sur un continent nouveau, un mystérieux régime d’accumulation ne reposant que sur la monétisation.

Explication :

La mondialisation n’allait plus permettre un contrôle de cohérences jusqu’alors évidentes : le salarié ne consomme plus les produits industriels, dont il était classiquement le producteur, il cesse d’être un classique débouché pour n’être qu’un coût en concurrence avec d’autres. Progressivement, les statuts sociaux de consommateur, de producteur, de salarié et de citoyen perdent leur congruence, et l’Etat-Nation comme ciment intégrateur est en perte de puissance. L’Etat traditionnellement producteur d’homogénéités voit sa fonctionnalité historique contestée. Les chaines de la valeur ne sont plus visibles dans un « Tableau des Echanges Interindustriels ». Ces dernières, mondialisées et peu lisibles  sont sans cesse optimisées en fonction des coûts du travail, de la recherche de rendements d’échelle, d’avantages réglementaires ou fiscaux, d’effets de grappe ou de pôle, d’externalisations positives les plus diverses. Etc.

Globalement, les tendances à l’illimitation de l’offre ne font que croître, mais la concurrence salariale planétaire crée un décalage entre offre mondiale et demande mondiale : c’est bien par la gigantesque dette américaine que les Chinois vont pourvoir commercialiser ce qu’ils vont commencer à produire ; c’est bien par la dette que l’Etat-providence français pourra  maintenir la demande globale alors que les outils de la redistribution ne sont plus alimentés faute de producteurs disparus. Nombre d’Etats vont à degrés divers entrer dans un tel processus et globalement les dettes publiques et privées vont devenir les outils compensateurs d’un déficit planétaire de demande globale. Alors que durant les trente glorieuses les outils de redistribution assuraient le fonctionnement de l’illimitation économique, ils deviennent progressivement des outils inadaptés, notamment pour les pays les moins bien placés sur l’échiquier de l’efficacité productive. C’est dire aussi que l’archipel de la dette devient de plus en plus inégal, avec des montants abyssaux ici et des montants contrôlés là.

Ainsi s’est mis progressivement en place un régime d’accumulation par la dette. On ne parlait guère de dette durant la période fordiste. Bien sûr il y avait création monétaire et émission de dette, mais une dette toujours remboursable par une création de richesse reposant sur une accumulation de capital productif. L’endettement se met progressivement en place avec la mondialisation.

Il convient ici de préciser davantage en quoi le développement de la finance fut le fantastique outil autorisant le nouveau régime. Les années 70/80 font émerger une foule d’événements dont chacun deviendra le fertilisant d’une finance jusqu’alors réputée réprimée :  taux de change devenant de simples prix aux larges fluctuations alors qu’ils étaient des contrats intangibles entre Etats, fin de la fixité des prix des grandes matières premières , notamment le pétrole, et naissance du marché des pétro-dollars, loi ERISA qui fait naitre les fonds de pension et la transformation des rapports de pouvoirs dans les entreprises, principe de libre circulation du capital, dépendance croissante des entreprises au regard de la finance par la généralisation du principe de la « fair-value », fin du « Glass Steagall Act » et libéralisation croissante de la réglementation financière à l’échelle planétaire. La liste est incroyablement longue de ces évènements dont on voit les fortes corrélations. On aurait pourtant tort de voir dans ces multiples évènements des décisions organisées par quelques marionnettistes. L’humanité dans ses composantes voit toujours par le biais de ses entrepreneurs politiques prendre des décisions dont on ignore en grande partie la portée. Ainsi Gérald Ford, entrepreneur politique non élu, ignorait très probablement que le « petite loi ERISA » devant solutionner le problème de l’épargne salariale dans les grandes entreprises, allait connaitre un effet « aile de papillon ». Gérald Ford à autorisé, probablement sans le savoir, et donc sans le vouloir, le fantastique développement des actuels monstres financiers, (Caryle,Blackstone,Blackrock,etc). Il en est de même pour nombre de cette foule d’évènements dont les effets « ailes de papillon » ont abouti à la colossale hypertrophie financière d’aujourd’hui. Il n’existe donc probablement pas de « complot », idée trop souvent mise en avant dans une certaine littérature.

C’est le gonflement vertigineux de la finance qui va faciliter la grande transformation avec apparition de zones surendettées nourrissant des zones de plus en plus excédentaires. Nous avons bien sûr en tête l’Europe du sud avec un système financier mondialisé facilitant dangereusement dettes publiques et privées, participant de fait à l’étouffement des productions locales moins performantes, au profit d’exportateurs du nord qui ont quelque peine à concevoir que leurs exportations reposent sur une accumulation malsaine. Chacun reconnaitra ici, par exemple, les rapports Allemagne/Grèce dans la précédente décennie.

Parce que la dette est censée être remboursée, elle devient progressivement source d’inquiétude et de développements spéculatifs nourris par la financiarisation : comment allons -nous financer nos retraites ? A-t-on le droit de laisser la charge de la dette aux générations futures ? etc. Et quand la passion de la mondialisation va jusqu’à introduire une monnaie unique dans un espace complètement ouvert, l’inquiétude se fait autour d’Etats particulièrement endettés. D’où des politiques restrictives ici, et de formidables expansions là. De ce point de vue, l’architecture monétaire de l’Europe réduit considérablement la puissance de son régime d’accumulation par la dette. Les chiffres en témoignent :4,9% de croissance entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2020 en Zone Euro, contre 21,1% aux USA. Alors que l’Euro ne peut se maintenir que par une relative répression sur la dette du sud (soldes publics et soldes TARGET), et donc sur une limitation de la croissance, le Dollar US reste encore à l’abri et des montants astronomiques de nouvelles dettes publiques (émission de 128 milliards de dollars de dette nouvelle par le Trésor sur la seule seconde semaine d’août 2020) peuvent dynamiser la demande et donc la croissance.

Bien évidemment, nous sentons les limites d’un tel régime où progressivement il y a prise de conscience que le remboursement est, désormais définitivement hors de portée. Il n’est désormais plus possible d’associer endettement à contrainte de remboursement. La dette devient ainsi progressivement émise en dehors de toute contrainte. Et cette prise de conscience devient évidente avec la pandémie. Cette dernière globalement gérée par un arrêt partiel  des activités économiques avec maintien  des revenus distribués, voire des aides nouvelles, ne fait qu’entrainer un accroissement colossal des dettes déjà présentes. Et une substitution entre dettes issues de l’architecture de la mondialisation et dettes issues de la pandémie est évidemment impossible. La structuration planétaire de la dette issue de la structuration des systèmes productifs mondialisées reste gelée et personne n’est aujourd’hui capable d’imaginer clairement les mouvements des chaines de la valeur. La gestion de la pandémie a donc bien pour effet un ajout colossal de dette sans restructuration visible de l’ancienne.

C’est la raison pour laquelle l’idéologie du remboursement s’est considérablement éloignée, d’où cette curieuse impression d’un changement des propos gouvernementaux : traditionnellement inquiets ils donnent aujourd’hui l’impression d’une illimitation des ressources qui pourtant n’existent que dans le gonflement illimité du bilan des banques centrales. Gonflement continu et illimité qui est la marque de la monétisation.

La relance très difficile, en raison de l’illisibilité du monde, ne sera pas keynésienne et se bornera à une tentative d’accumulation par simple monétisation. A ce titre, le pouvoir se déplace complètement du côté d’un outil possiblement conseillé, voire davantage, par les géants de la finance, et outil apparaissant faussement comme oligopole coordonné fait de quelques grosses banques centrales auxquelles viennent se rattacher la plupart des autres dans le cadre de « swaps » sécurisants. Clairement, la présidence apparente de cet oligopole reste la FED. Hélas, les contenus très techniques des prochains débats de Jackson Hole (rencontre des banquiers centraux) ne permettront probablement pas de décrypter  toute l’ampleur du déplacement des pouvoirs mondiaux.

Partager cet article
Repost0
6 juillet 2020 1 06 /07 /juillet /2020 15:12

Il est curieux de voir la littérature contemporaine s’interroger sur le travail présent  et à venir des BC[1], et ce sans en connaitre sa réaiité institutionnelle profonde. Et la connaissance de cette réalité passe par celle d’une identité qui s’est  forgée au travers d’une histoire que nous avons rapidement évoquée dans la première partie du présent texte. De ce point de vue les BC présentes ne sont jamais que les formes transformées d’une réalité qui s’est constituée en rapport étroit avec le politique au sens le plus large.

La première partie de notre texte a cherché à mettre  en évidence que l’Histoire des banques centrales et du statut de la monnaie étaient le fruit de la rencontre entre acteurs, ou plus rigoureusement entre variables dépendantes : Etat et entrepreneurs politiques, banquiers, entrepreneurs économiques, demos (reste de la population). Cela donne plusieurs configurations historiques :

Banques centrales et monnaie peuvent être monopolisés par les seuls entrepreneurs politiques. Au-delà des diversités de pure forme, Trésor Public et banque centrale se confondent et ne constituent qu’une seule institution. Cela engendre un monde vertical, possiblement totalitaire ou démocratique, et au regard  de la loi d’airain possiblement souverain  ou dépendant . Historiquement nous avons là les premières civilisations, ou la très courte période qui est celle d’une partie du 20 ième siècle, une période où la loi d’airain est maitrisée sans que cette dernière n’exerce une influence déterminante sur la nature des régimes politiques. Au regard des autres acteurs, en particulier entrepreneurs économiques ou demos, un choix secondaire peut être laissé entre niveau de pression fiscale et niveau de monétisation.

Banques centrales et monnaie sont des autorités fruit d’un partage entre pouvoir des entrepreneurs politiques et pouvoir des banquiers. Cela donne un monde où la verticalité politique accepte une horizontalité marchande avec bénéfices possiblement partagés avec les entrepreneurs économiques. Le reste de la population restant soumis à l’impôt. L’exemple historique est celui de l’Europe du moyen -âge jusqu’à la première guerre mondiale. La loi d’airain de la monnaie s’impose à tous les acteurs et aucun choix n’est laissé entre fiscalité variable  et monétisation impossible.

Banques centrales et monnaie sont des autorités fruit d’un partage très inégal entre entrepreneurs politiques et Banquiers. Les premiers font le choix d’une servitude volontaire au service des seconds en réintroduisant massivement la loi d’airain de la monnaie, et ce en allant jusqu’à la naissance du « curieux marché » exposé dans la première partie du présent article. Cette dernière loi est l’outil nécessaire à l’illimitation d’une économie que les acteurs (entrepreneurs économiques) ont besoin de sécuriser. La mondialisation exige une homogénéisation des règles du jeu monétaire et donc une marginalisation des Etats (dérégulation généralisée). Nous avons là l’ère des banques centrales dites indépendantes.

Loi d’airain avec toutefois, dans cette configuration, une exception, celles des USA. La fin de Bretton-Woods (15 aout 1971) n’est pas l’abandon mondial de la loi d’airain (fin de la convertibilité du dollar en métal) mais la fin de la loi d’airain pour les seuls Etats-Unis. D’où le maintien au moins temporaire  de l’hyper-puissance américaine. Monde par conséquent complexe, avec pouvoir accru d’une fiance américaine, recul relatif des Etats soumis à la loi d’airain, domination des entrepreneurs économiques américain, domination des entrepreneurs politiques américains. Et monde aussi très complexe car la fin de la loi d’airain pour les seuls USA nourrit de nouveaux entrepreneurs économiques et politiques  en Asie, avec en perspective le basculement du monde vers l’Asie.

Nous sommes aujourd’hui dans une tentative ultime de pérennisation de la configuration précédente. Banques centrales et monnaies voient leur autorité assise sur un nouveau partage des pouvoirs. Les Etats et leurs entrepreneurs politiques sont toujours en situation de servitude volontaire (maintien du curieux marché) mais l’armature juridique qu’ils tiennent encore (définition de la base monétaire, cours légal et forcé etc.) est devenue tellement menacée que l’ensemble du système financier est tenu- à peine d’effondrement- de les aider quoi qu’il en coûte. Chaque acteur du jeu social devient à la fois dépendant et outil de capture. Les banques centrales toujours officiellement indépendantes deviennent de simples outils capturés : elles monétisent massivement la dette publique. La double servitude volontaire entre banquiers maitrisant partiellement la banque centrale et entrepreneurs politiques devenus mendiants, ouvre une coopération attentive pour maintenir hors de l’eau, cette fois, la totalité des acteurs : les entrepreneurs économiques et l’ensemble de la population. La monétisation massive à l’échelle de la planète va ainsi ré-autoriser le choix d’une moindre fiscalité associée à un monde économique de plus en plus irréel. Face à cette configuration, les Etats vidés de leur contenu et désarmés, vont laisser- pour se sauver eux-mêmes-  nombre de leurs souveraines prérogatives à leurs  banques centrales.

Les exemples sont  nombreux. Nous prendrons les plus importants : ceux de la FED et la BCE.

Premier exemple, celui de la banque centrale américaine. La FED  toujours officiellement indépendante est de fait l’outil indispensable de la politique budgétaire de l’Etat Fédéral. Sans achats massifs de dettes publique, il est clair que le plan américain de relance serait rigoureusement impossible. Mais l’on sait aussi que l’augmentation considérable du bilan de la FED, (plus de 3000 milliards de dollar entre mars et juin 2020), passe par son intervention sur la dette d’entreprise et les ETF émis par des fonds indiciels. Clairement on aide l’Etat fédéral, mais on l’aide aussi en maintenant la simple « façade financière » d’une activité économique dont l’effondrement peut rejaillir sur le politique. Nous n’en sommes pas à la monétisation par achat direct d’actions, mais le maintien des cours de la dette corporate permet par le bais de SWAPS de transformer cette dernière  en actions….d’une certaine façon, la FED devient organisatrice d’un actionnariat plus ou moins déconnecté de la réalité économique. Parce que potentiellement les prix de marché deviendraient une bombe, la FED est l’instance qui -comme au bon vieux temps du Gosplan soviétique- permet à l’ensemble des acteurs de se maintenir à flot. Avec bien sûr de considérables inégalités, puisque seuls les épargnants ont la possibilité de se porter acquéreurs d’actifs gonflés par la FED. Les revenus redistribués sont moins ceux de l’économie réelle que ceux de la spéculation tenue à bout de bras par la Banque centrale. Les canaux de cette redistribution sont nombreux : commissions bancaires accrues sur la transformation de la liquidité distribuée en titres nouveaux, rachat d’actions et montée artificielles des cours, liquidités se transformant en matière première pour de nombreux « shortsellers » spécialisés ou cachés dans les hedge funds, hausse vertigineuse du prix de vente des données (data), etc. Et parce que la dette devenue ingérable de l’Etat américain se double de la dette des pays émergents, il est possible par le biais d’accords de SWAPS sur plus d’une quinzaine de banques centrales d’assurer la liquidité de Banques centrales périphériques gravement affectée par la crise. Ainsi nait une véritable fédération hiérarchisée de banques centrales, toujours officiellement indépendantes, dont l’ultime vocation est de sauver les Etats pour sauver planétairement la gigantesque pyramide financière, de façon prioritaire   les banques et le shadow banking, et de façon beaucoup plus périphérique, les entreprises et l’emploi.

Second exemple, celui de la banque centrale européenne. La BCE est-elle aussi- très active, avec un total de bilan qui passe de 1150 milliards d’euros fin 2006 à 5636 milliards eu 19 juin 2020. Le concours à court terme aux banques sur le marché monétaire constituait avant la crise de 2008 l’essentiel de son bilan, et les concours à long terme tant aux banques qu’aux Etats étaient insignifiants. Aujourd’hui le concours à moyen et long terme aux banques est devenu le cinquième du bilan (18%) et celui offert aux Etats représente 59% du même bilan ( 3326 milliards d’euro sur 5636). Les activités de simple infrastructure monétaires sont devenues complètement marginales avec des crédits à court terme aux banques ne représentant que 0, 00008 du total du bilan. Des chiffres qui – à tout le moins- font comprendre, d’abord l’étonnement, ensuite  l’accusation  de non proportionnalité  de la Cour de Karlsruhe. Au-delà une activité de surveillance des banques, non pas quant à leur solvabilité, mais quant à l’utilisation des crédits alloués est de plus en plus d’actualité. Et plus loin encore il est aujourd’hui proposé à la BCE, de définir et prendre en charge de véritables objectifs de dette publiques, et de programmer, dans le détail, des politiques d’achat d’obligations d’entreprises, dont le contenu qualitatif serait finement précisé : éligibilité à la collatéralisation, à la cause climatique, etc. le tout assorti de protocoles de reporting tout aussi précis. En attendant des précisions, c’est Plus de 40 milliards de subventions qui viennent d’être octroyées aux banques par le biais des 1300 milliards d’euros de crédit à moyent terme assortis d’un taux de -1%. Pour sauver les Etats toujours prisonniers du « curieux marché » il faut d’abord sauver les banques afin qu’elles puissent participer au  marché sauveur des Etats….

Les Etats progressivement vidés de leur contenu sont même invités à entrer en désobéissance avec leur ordre Constitutionnel… une situation que l’on découvre dans le vote du Bundestag autorisant, contre la décision de juge suprême de Karlsruhe, la Bundesbank à continuer l’aventure du QE au sein de la BCE….

Conclusions

Si l’on tente de dresser un bilan de la présente situation, nous sommes invités à reprendre l’histoire de la grande aventure des Etats. Le regretté Pierre Clastres[2], étudiant les sociétés dites primitives et sans Etat, avait évoqué le « coup d’Etat créateur de l’Etat » pour marquer la capture du politique par cette nouvelle instance dans l’histoire de l’humanité.

Si l’on reprend le moment plus politique qui imprégnait la première partie du présent texte publié le 1ier juillet dernier, Il est possible de se demander si la nouvelle forme de la capture n’est pas celle des banques centrales dont on continue d’affirmer- contre vents et marées- qu’elles sont indépendantes. La grande aventure fut d’abord celle des Etats : captant le politique, les premiers entrepreneurs politiques de l’Etat embryonnaire sont longtemps restés prisonniers de la loi d’airain de la monnaie. La suite est l’apparition d’un partage toujours renégociable de la capture entre entrepreneurs politiques, banquiers, et entrepreneurs économiques. L’apparition du demos et de l’éventuelle démocratie correspondante n’étant que la dernière forme de la capture, celles idéologiquement vécue comme « intérêt général » et de la « neutralité de l’Etat ». A cette situation réputée neutre correspondait celle des banques centrales enkystées dans les Etats et porteuses d’une fin possible de la loi d’airain de la monnaie.

La situation est aujourd’hui inversée : ce sont les Etats et leurs entrepreneurs politiques qui sont enkystés dans une banque centrale devenue outil de sauvetage généralisé pour tous les acteurs. De fait, la nouvelle banque centrale est, telle un Etat, au -dessus ou en surplomb au regard de tous les acteurs, chacun d’eux exigeant d’elle le travail d’un Ulysse : empêcher, au moins à court terme, l’effondrement du monde.

 


[1] Par exemple Patrick Artus qui propose une remise en question du rôle des banques centrales en décrivant ce qu’elles font  sans en approfondir l’identité.  ( cf son article dans les Echos du 15/06/2020)

[2] Cf son ouvrage majeur : « La société contre l’Etat » ; Editions de Minuit ; 1974.

Partager cet article
Repost0
1 juillet 2020 3 01 /07 /juillet /2020 13:53

       Le comportement des banques centrales devient étrange et complètement nouveau : Réputées indépendantes elles semblent aujourd'hui de plus en plus soumises à de nouvelles forces  en devenant sauveteuses d'Etats en pleine déconfiture. Mais pourquoi sauver les Etats? Qui leur demande d'agir ainsi? Deviennent- elles des "proto-Etats" en charge de la politique budgétaire? De la même façon on a le sentiment qu'elles ne sont plus de simples fournisseuses d'infrastructures des marchés de la monnaie. Elles sembleraient ainsi devenir des planificatrices des prix (taux) et des quantités échangées (liquidités), non pas simplement au profit du seul système financier mais au profit du bilan des entreprises elle-mêmes . Seraient-elles ou vont-elles devenir des institutions, type de celles des "Gosplans" soviétiques, chargées d'une planification impérative nouvelle au bénéfice du sauvetage du capitalisme?  Ces questions, et bien d'autres encore, semblent de plus en plus intriguer les économistes et commentateurs. Nous souhaitons apporter ici une contribution en resituant tout d'abord la grande aventure du couple

monnaie /Etat dans une histoire longue. C'est en "lisant les faits", l'évolution de la monnaie, celle des Etats, et bien sûr celle des banques centrales que l'on pourra comprendre que nous sommes probablement arrivés dans une nouvelle configuration historique. Cette lecture du mouvement historique de la monnaie, des Etats et des banques centrale, lecture restituée dans celles des acteurs au sein des sociétés fera l'objet du premier texte ci-dessous., un article déjà ancien publié sur ce blog . Une seconde partie consacrée à la grande transformation présente sera publiée dans quelques jours.            

 

 La grande aventure du couple  monnaie/Etat (nouvelle version d'un texte écrit en 2012) 

Dans le modèle de la « potentia multitudinis » André Orléan et Frédéric Lordon[1] nous ont donné un explication satisfaisante de la sélection du métal précieux comme base monétaire. Le paradigme de la rivalité mimétique, emprunté à René Girard[2], est sans doute le bon outil pour expliquer que la monnaie, invention des hommes, correspond aussi le plus souvent à un processus d’aliénation, ce que nous appelons la "loi d’airain de la monnaie". La monnaie est pure convention sociale, mais elle est aussi, le plus souvent,  une implacable contrainte, et l’histoire des crises monétaires nous montre qu’il est difficile de s’en affranchir.

Pour autant, la loi d’airain résulte aussi de la progressive montée de l’économie dans les communautés humaines.

Montée de l’économie et promotion du métal précieux

Lorsque dans les sociétés primitives, le face à face entre individus est permanent, Marcel Mauss[3] nous a appris que si échange il y a, celui-ci peut être simple échange de dons ou échange de valeurs économiques, dont le but n’est pas le profit  mais simplement celui d’assurer la simple lutte contre l’entropie : il faut bien manger, s’habiller, etc. et donc produire les valeurs d’usages correspondantes dans une quantité suffisante - sans surplus- pour assurer la reproduction de la société. Dans ce type de monde, si des signes monétaires se mettent à circuler, on ne peut  les considérer comme équivalents aux nôtres, car ils ne sont probablement pas réserve de valeur et ne sont probablement pas thésaurisés. Les monnaies en question, ne sont probablement pas du métal précieux et ne sont, conventionnellement, que des signes comptables matérialisant le crédit que se font des échangistes,  qui se connaissent et vivent par ailleurs dans un tissu social extraordinairement dense résultant du holisme ambiant. Les monnaies correspondantes sont ainsi probablement l’équivalent de nos monnaies locales.

Ces monnaies perdurent le plus souvent  alors même que les monnaies faites de métal précieux commencent à circuler. Nous avons là des espaces de circulation monétaires, qui ne se recoupent pas et les vieilles monnaies servent aux usages communautaires traditionnels (le dedans), tandis que les autres feront circuler des marchandises beaucoup plus impersonnelles car appartenant à  des inconnus et véhiculées par d’autres inconnus (le dehors). Dans l’Europe du Moyen-âge, on parlait ainsi des « monnaies noires », faites de cuivre, de bronze ou de plomb, et que l’on opposait aux pièces faites de métal précieux. Toutefois ce fait historique,  marque le passage à l’économie et si la simple lutte contre l’entropie persiste dans les cellules domestiques de base, d’autres agents s’adonnent à son dépassement avec le jeu d’un échange qui devient authentiquement économique et marchand. Avec son potentiel d’illimitation.

 

 C’est ce bouleversement qui, immanquablement, doit déboucher sur l’aliénation monétaire : le métal précieux est automatiquement « élu » et devient aussi réserve de valeur. Elu car l’élargissement de l’espace de communication (le dehors) fait diminuer le capital social : la confiance, sous-produit du holisme, laisse place à la méfiance envers ceux que l’on connait moins. La monnaie ne peut plus être un symbole, que l’on pourrait même ne pas utiliser, si la division du travail était extrêmement réduite. Il faut qu’elle devienne réalité, qu’elle libère de tout engagement et qu’en même temps, elle soit pouvoir d’achat général, éventuellement en attente d’une opportunité. La monnaie de métal précieux, devient ainsi la quintessence de la liquidité et réserve de valeur.

Vertu libératrice avec sa contrepartie aliénante : c’est la perte de capital social, qui la met en avant en tant que paravent, face aux risques de ce qui devient l’économie. Elle devient ainsi un substitut de confiance…un ersatz, envers qui la confiance doit, en conséquence, se maintenir.

 

Nous avons là la perspective d’une grande marche vers la "loi d’airain de la monnaie".

 

 Il ne faut pas qu’elle soit produite malhonnêtement et il faut lutter contre les faussaires, mais en même temps, comme elle est réserve de valeur, son grand penchant, est celui de devenir le vecteur de la thésaurisation laquelle  va engendrer sa rareté, et probablement sa dimension récessionniste. Elle risque de se faire trop rare et donc de réprimer l’économie, alors qu’elle résulte de la montée de cette dernière  et du passage au dépassement chez les hommes de la simple et si ancienne lutte contre l’entropie. Exigence d’abondance croissante, mais aussi mise en place spontanée, d’un mécanisme de raréfaction, dépassant largement les raretés naturelles procurées par l’épuisement des mines.

 

Montée du politique et marche vers la centralité monétaire du métal précieux

 

Les hommes se mettent à produire et échanger plus que ce qui est nécessaire aux fins de la simple reproduction de la communauté. Ils vont ainsi connaitre les premières civilisations, et parfois les empires correspondants. Mondes qui ont dépassé le strict stade de la simple lutte contre l’entropie et produisent du surplus, dont la contrepartie sera une accumulation d’objets symboliques, religieux et politiques : temples, objets d’arts, constructions témoignant de la puissance du prince, etc. Formes qui élargiront la fonction réserve de valeur du métal. Et du métal qui sera aussi la contrepartie de ce qui est le premier investissement de ce monde nouveau : le surplus, fait d’objets symboliques dans les ordres politique et religieux, est l’investissement « macroéconomique » de ce type de monde, investissement dont le coût est la rémunération monétaire des artistes, artisans, et autres bâtisseurs de temples et de cathédrales.

 La montée de l’économie et de la monnaie métallique est aussi celle de la grande aventure étatique.

C’est que le politique, qui  dans ce type de monde prend la place des dieux, bénéficie du statut de ces derniers et accapare leur position de créancier infini : l’impôt se substitue, partiellement, plus rarement en totalité, aux sacrifices envers les divinités. Il y aura même parfois concurrence, ou complémentarité, et Périclès racontera - nécessité de la guerre oblige- qu’il fallait prélever sur les offrandes et objets sacrés de Délos de quoi financer les armées. Les entrepreneurs politiques sont ainsi - comme les dieux - des créanciers, et la dette qu’on doit leur régler est bien sûr variable : dette de vie, esclavage, dépendances diverses, impôt en nature, mais aussi impôt monétaire.[4]

Et là encore, plus les prélèvements sont liquides, et plus leur « pouvoir d’achat » est grand, notamment vis-à-vis d’étrangers, individus simples mercenaires, voire puissances politiques étrangères, connaissant la même aventure. On comprend par conséquent que c’est le métal précieux qui logiquement doit devenir « équivalent général », se substituant progressivement à nombre d’autres formes de prélèvements. Les princes deviennent ainsi - fait social émergent et donc spontané- les personnages centraux d’une circulation monétaire plus moderne, celle qui initie l’âge économique de l’humanité. Ce qui permet de comprendre le célèbre adage : « battre monnaie est un attribut de la souveraineté ». Mais en même temps de comprendre aussi la vocation du métal à être dissimulé et thésaurisé : la guerre peut se manifester à chaque instant et les potentialités récessionnistes du métal sont ainsi récurrentes.

La centralité monétaire est donc fondamentale. Les princes doivent y veiller, empêcher si possible l’exportation du métal, qui par exemple va saigner Rome et devenir l’une des causes de son effondrement, et surtout se construire un monopole de la frappe : les hôtels des monnaies. De fait, monnaie et souveraineté se trouvent indissolublement liées. Une souveraineté soudée à la centralité monétaire qui n’est évidemment pas simple à construire si les Etats ne sont pas encore bien clairement et indiscutablement constitués.

 

Une loi d’airain avec laquelle il faudra ruser

 

La sélection du métal, comme effet du fonctionnement de la société, est aussi un fardeau pour le prince. D’un côté elle affirme sa puissance, et son pouvoir de prédation sur ces endettés désignés que constituent les sujets. Mais en contrepartie, il faut en réguler correctement le flux si l’on ne veut pas faire face à une pénurie source de récession, ou à l’inverse, risquer une méfiance résultant d’une abondance trop importante. Problème qui reste d’actualité pour nos modernes gouverneurs de banques centrales. Le prince a intérêt à une multiplication des signes monétaires surtout s’il lui devient difficile de pérenniser sa prédation par des voies ouvertement trop violentes : maintien de l’esclavagisme, lourdeurs des corvées, augmentation de l’impôt, etc. La conjonction d’une pénurie de métal par épuisement ou perte de contrôle de mines conjuguée à des résistances croissantes des sujets, peut l’amener à « tricher » au niveau des hôtels des monnaies. Ainsi, en France le mandement royal de 1358 affirme sans pudeur que l’on doit préférer la monétisation à l’impôt et que le roi doit mobiliser les rentes qu’il tire de la frappe. Fait troublant, qui peut être comparé avec le comportement, il est vrai plus pudique de la BCE aujourd’hui. Cette dernière en achetant massivement de la dette publique espagnole, italienne, etc. va-t-elle soulager les contribuables  correspondants ? Comparaison intéressante et sans nul doute à approfondir avec la naissance des « Outright Monetary Transactions » (Transactions Monétaires Fermes) de Mario Draghi en septembre 2012.

Maintenant, si les sujets prennent conscience de la politique très classique de dilution, le prince pourra trouver d’autres méthodes, par exemple l’obligation de renouvellement plus rapide de la frappe des monnaies anciennes, ou l’émission d’une nouvelle monnaie, voire la simple vente des hôtels des monnaies lesquels deviennent des charges publiques pour une bourgeoisie financière en voie de constitution.

Toute la période, qui va de l’éveil de l’économie et de celui de l’Etat, jusqu’à leur plein épanouissement, avec les révolutions industrielles et le passage progressif à l’Etat de droit, correspond à l’histoire de cette ruse au regard de la loi d’airain.

Pendant très longtemps, la monnaie de papier est une impossible solution à la rareté, d’où des catastrophes bien connues, par exemple  en France le système de Law ou celui des assignats. Un autre problème fût celui de « l’élection » de 2 métaux précieux que l’on fait circuler simultanément avec des valeurs légales (la monnaie est un fait de souveraineté) qui ne correspondent pas nécessairement à celles du marché (la monnaie baigne dans l’économie, et le rapport des prix de marché de l’or et de l’argent, ne correspondent pas nécessairement aux valeurs « politiquement décidées »). Nous avons là, toute la question du bimétallisme et de cette fausse solution qu’était l’Union Latine (1865), voulue par un empereur cherchant peut-être à restaurer un empire et une monnaie européenne unique. Derrière toutes ses tentatives, la « loi de Gresham »[5] s’est très souvent manifestée. Et parce qu’elle fait peur, le métal continuera à manifester son irrésistible puissance. La Grande Bretagne s’y pliera très longtemps,  et paiera ainsi très cher sa tentative de retour à l’étalon-or dans les années 1920. Organisant la pénurie monétaire, son Etat devait plonger le pays dans un tourbillon récessionniste mettant fin à la grandeur britannique.

La véritable cause de la loi d’airain est bien sûr la fonction réserve de valeur de la monnaie, et cette fonction réserve préoccupe des groupes sociaux dont l’existence politique s’affirme en même temps que l’Etat de droit.

 

Loi d’airain et affrontements autour de la rente.

 

Lorsque les princes, prédateurs infinis, saisissent qu’il est de leur intérêt de laisser grossir une masse taxable par le biais d’une prédation plus intelligente, ils laissent l’économie s’épanouir et avec elle le groupe des entrepreneurs économiques. Un dialogue s’introduit petit à petit entre  les vieux entrepreneurs politiques ( les princes) et les modernes entrepreneurs économiques. Petit à petit la prédation se transforme. Les créances que s’octroient les princes sur les sujets deviennent insuffisantes et se trouvent complétées par l’obtention de prêts  en provenance des entrepreneurs économiques, en particulier financiers. La fonction réserve de valeur de la monnaie s’épanouit et avec elle la rente, c’est-à-dire le taux de l’intérêt. Phénomène qui développe des endettements publics croissants et parfois gérés par la violence de l’Etat endetté : banquiers italiens du moyen- âge, machiavéliques expulsions des juifs avec extinction juridique des dettes de leurs débiteurs par versement du cinquième des sommes dues au Trésor royal, etc. Les exemples et procédures imaginées sont une mine sans fonds pour l’historien. Exemples et procédures qu’il serait utile de comparer avec les événements d’aujourd’hui.

Mais la marche  progressive vers  l’Etat de droit aboutit à un partage plus serein de la rente générée par la fonction réserve de la valeur de la monnaie métallique, et petit à petit, contre un véritable début de partage de la souveraineté monétaire, le prince, beaucoup moins puissant  se trouve plus ou moins assuré de bénéficier des services des banquiers . Ceux-ci acquièrent, le plus souvent sans titres, un véritable droit sur la monnaie légale : ils  commencent à émettre du papier au-delà de leurs réserves métalliques, ce qui correspond à un début de transfert de la fonction régalienne d’émission monétaire. En revanche l’entrepreneur politique, de plus en plus souvent soumis à l’élection, dans le cadre d’un marché politique naissant, est satisfait de voir le déficit public couvert par un achat régulier de titres producteurs de rentes. La rente perpétuelle du 19ième siècle est en même temps annonciatrice d’une classe de plus en plus nombreuse de rentiers, heureux de voir des déficits publics qui ne sont que la contre- partie d’ un style de vie confortable et sécurisant . Ainsi à la belle époque ( en 1900) le service de la dette publique française est-il évalué à 25% du total du budget de l’Etat, lequel représente environ 12% du PIB de l’époque. Cela correspond ainsi à un service de la dette d’environ 3 points de PIB, charge assez comparable à ce que l’on constate aujourd’hui[i][6]. Les entrepreneurs politiques devenus beaucoup plus modestes et ne rusant plus que fort modérément avec la loi d’airain –le franc germinal reste stable tout au long du 19ième  siècle- prennent ainsi en charge les intérêts supérieurs des rentiers. Comme jadis les princes pouvaient protéger les aristocrates.

La montée de l’Etat de droit, c’est aussi celle de l’idéologie du contrat social et de l’intérêt général. Les entrepreneurs politiques quittent leur statut de prédateur, et leur reconduction au pouvoir, passe par un marché fort particulier où il est question de services publics dont le coût est financé par un impôt. Le libéralisme croit ainsi mettre fin au prédateur alors qu’il ne met fin qu’à son représentant historique, et laisse intacte la machine à prédater, laquelle pourra fonctionner démocratiquement au gré des majorités parlementaires. Ce que soupçonneront les premiers libéraux comme un Benjamin Constant[7], un Fréderic Bastiat[8] ou un Herbert Spencer[9]. Contrat social et intérêt général sont bien une fiction, puisque services publics et impôts ne relèvent pas d’un contrat. Aucun agent n’achète sur un marché, des services publics contre un paiement volontaire : quantité et qualité de services publics et impôts ne relèvent pas de l’échange volontaire entre personnes libres de décider.

 Mais un tel âge de l’aventure étatique , celui du contrat social, correspond à une réalité devenue massive : les entrepreneurs politiques ne sont plus que des bâtisseurs d’une majorité permettant leur reconduction au pouvoir. Et majorité acquise en distribuant divers avantages directement ou indirectement économiques. La distribution d’aides ou subventions et d’un  « crédit à la consommation ou équipements  de services publics » est facteur de consolidation d’un contrat social. Ce crédit, qui n’est rien d’autre qu’un déficit public, peut faire l’unanimité des divers groupes sociaux, et se trouve être un bon produit pour assurer la reconduction au pouvoir. Au-delà, il développe un peu plus une communauté d’intérêts et de destin entre entrepreneurs de la finance et entrepreneurs politiques : la rente contre-partie de la dette, elle-même contre- partie de la fonction réserve de la valeur se trouve de mieux en mieux partagée.

Il est pourtant des événements majeurs qui peuvent mettre en cause la communauté d’intérêts et de destin entre entrepreneurs de la finance et entrepreneurs politiques.

 

Loi d’airain maîtrisée et étiolement  de la rente.

 

Lorsqu’à l’illimitation de l’économie pourra correspondre l’illimitation de la guerre et des besoins financiers correspondants (2 guerres mondiales), les limites de la monnaie doivent être définitivement repoussées. Les mines de métal, hôtels des monnaies et bricolages des banquiers privés deviennent des outils dérisoires. Il faut inventer une usine à produire, toujours centralement, de la monnaie. Au-delà des fictions juridiques, il faut que Trésors et banques centrales soient confondus et que les moyens monétaires deviennent tout aussi illimités que la violence militaire.[10] L’apparente mondialisation du 19ième siècle laisse la place à une forte consolidation des Etats-Nations. Curieusement, déficits et dettes publique devenus aussi gigantesques qu’aux époques pré-modernes (France de l’ancien régime, Grande Bretagne de l’époque napoléonienne, etc.) ne sont plus un boulet pour les pays qui - peut-être à l’exception de la Grande Bretagne- décident de ne pas s’en soucier, et préféreront s’adonner aux investissements de reconstruction. Et il est vrai que si Trésor et Banque centrale ne font plus qu’un, la dette publique n’a plus  de sens. Cette dernière n’a de réalité que si Trésor et Banque centrale sont séparés et n’ont de contact qu’avec un «  curieux marché » où l’Etat (Trésor) est demandeur de monnaie – la monnaie légale, donc la sienne, celle qu’il a « adoubé » - et où la banque centrale se trouve offreuse de cette même monnaie. Sans séparation, plus de marché de la dette et donc plus de dette publique. Dans un tel système où l’unité réelle – au-delà des apparences juridiques et institutionnelles- du Trésor et de la Banque centrale est validée, c’est le Trésor qui fixe la quantité de monnaie en circulation et non pas le système financier. De quoi s’interroger aujourd’hui avec l’OMT de Mario Draghi qui fait tant rêver les naïfs : « Pourquoi tant d’argent pour les banques et rien pour les Etats ? ».

Durant quelque 60 années au vingtième siècle, dans nombre de pays, l’unité du Trésor et de la Banque centrale font que L’Etat retrouve la pleine souveraineté monétaire et cette fois sans risque d’épuisement de réserves métalliques. Ni même de catastrophe monétaire tant il est vrai que la mobilisation de tous les facteurs de production donne davantage de sens que la spéculation. Même l’Allemagne, victime d’une gigantesque inflation, saura avec le docteur Schacht (1932-1936) et ses « effets Mefo »[11], se ressaisir très rapidement en faisant correspondre  circulation monétaire et production.

Désormais, dans nombre d’Etats, la production de monnaie s’ajuste à la croissance de l’économie laquelle a pour limite  - à la fois supérieure et inférieure- les réserves en facteurs de la production et en gains de productivité. En termes savants, la croissance réelle est proche de la croissance potentielle et l’étau monétaire a disparu. Et avec lui - au moins partiellement -  la rente. Surtout si, comme ce sera le cas de la France, la fusion de la banque centrale et du Trésor correspondant, est telle que le « curieux marché » n’existe plus, tant il est contourné, et que les taux d’intérêt réels (inflation comprise), sont politiquement décidés à  un niveau proche de zéro. La rente est ici victime de ce qui sera appelé plus tard « la répression financière ». Ce que Keynes avait appelé « l’euthanasie des rentiers ».

Avec cette monnaie où la fonction réserve de la valeur s’évanouit, il n’y a plus à dire que l’épargne (fonction réserve) génère l’investissement (fonction accumulation). A l’inverse, c’est le souci de la mobilisation de tous les facteurs de la production (plein emploi) qui génère l’investissement financé par création monétaire. La loi d’airain est ainsi maîtrisée. Elle n’est pourtant pas morte, et les entrepreneurs économiques sauront un jour  réorienter les actions des entrepreneurs politiques, dans un sens qui ira vers une grande perte de leur souveraineté monétaire.

Elle n’est également pas morte en raison  du comportement des autres souverains monétaires, souverains maîtres de lieux dans lesquels elle peut, en fonction des circonstances, se pérenniser. La fonction réserve de la valeur cherchera ainsi à se maintenir malgré la répression financière, d’où la fuite devant la monnaie, la spéculation etc., qui mécaniquement développera le renforcement de l’appareil répressif, avec un contrôle des changes rigoureux, l’interdiction stricte de la circulation du capital, etc.

De fait, le souverain moderne, en renforçant l’Etat-Nation crée ou renforce un « dedans » qui ne peut exister que face à un « dehors » lui-même renforcé et qui vient limiter sa souveraineté monétaire.

La montée en puissance de l’Etat-Nation ne fait évidemment pas disparaître l’économie, et de la même façon que les monnaies noires (le dedans) cohabitaient avec les monnaies d’argent et d’or (le dehors), les nouvelles monnaies souveraines (celles du dedans) se construisent sur la base d’un dehors qui échappe au souverain : l’Euthanasie des rentiers est ainsi un processus toujours limité.

 

Le retour de la loi d’airain de la monnaie.

 

Contrairement aux apparences, la fin de Bretton-Woods avec la décision du président des USA, le 15 Août 1971, de supprimer la conversion en métal du dollar, ne correspond nullement à une nouvelle victoire sur la loi d’airain. Elle est probablement, à l’inverse, une victoire des entrepreneurs de la finance qui, bénéficiant de l’illimitation  économique nouvelle  correspondant à la mondialisation, se sentent capables de repousser les limites du « déficit sans pleurs »[12]. Le déficit ne doit plus être un problème et la finance américaine est capable par création monétaire de le rendre non limité. Et, au déficit extérieur, le « déficit jumeau » qui peut lui correspondre ( le déficit public), est tout aussi capable de se maintenir, voire de s’élargir par une bonne gestion marchande des titres publics correspondants. A l’époque le président des USA ne se doutait  peut-être  pas du cadeau ainsi fait à la finance, qui, à partir de cette date, va commencer à accroître sa « part de marché » dans le PIB planétaire.  Quelques années plus tard, toute la législation Roosveltienne sera progressivement abolie pour supprimer toute forme de loi d’airain dans la finance. Vaste mouvement qui sera aussi justifié par une recherche universitaire, étrillant le corpus keynésien, au profit d’une nobélisée « théorie des marchés efficients ». La grande machine à fabriquer de la dette …et de la rente, donc machine à  financiariser toute l’économie réelle, se met en ordre de marche.

De fait, partout dans le monde, les entrepreneurs de la finance se libèrent de la répression financière imposée par les entrepreneurs politiques…. Et vont reporter les contraintes de la loi d’airain sur les Etats. Nous passons ainsi de la répression financière à la répression des Etats. Car la fin de la répression financière est aussi le retour de la loi d’airain pour les Etats. La meilleure illustration, est bien évidemment la séparation complète des Trésors et des banques centrales, avec des  positions extrémistes  comme celle de l’Europe ou les banques centrales de l’euro-zone ne peuvent même pas participer aux enchères de la dette publique.  Nous avons là le comportement mimétique, l’effet de foule, aussi aidé par le « nouveau savoir » universitaire, qui à la fin des années 80, va imposer partout dans le monde l’indépendance des banques centrales, c’est-à-dire le « curieux marché ».

 C’est dire que le rétablissement- au sens du 19ième siècle- d’un vrai marché de la dette publique rétablit la rente avec comme garantie supplémentaire que celle-ci  voit son maintien assis sur une politique rigoureuse de stabilité des prix,  grand devoir et grand travail des banques centrales indépendantes . Grand devoir et grand travail qu’il faut lire comme fin de la dissolution  des stocks de dettes par cet acide qu’était l’inflation. Les banques centrales deviennent gardiennes de la valeur des actifs financiers de toute nature, ce qui libère la finance et ce qui contraint les Etats.

 

Loi d’airain de la monnaie , mondialisation et retour de la « loi d’airain des salaires »

 

Mais si cette fin de la répression est le rétablissement d’une frontière infranchissable entre le monde des Trésors et celui des banques centrales, elle est aussi la fin de la frontière monétaire entre les Etats-Nations. Cela correspond à un autre grand travail : édifier la mondialisation. Edification d’une frontière d’un côté, et disparition d’une autre par ailleurs, vont dans le même sens : la souveraineté monétaire qui avait abouti à la relative maîtrise  de la loi d’airain s’évanouit à la fin du 20ième siècle.

Les causes de cet immense travail juridique, correspondant à l’édification  de la mondialisation sont connues : l’épuisement du fordisme dès la fin des années 60, doit être combattu en recherchant de nouvelles productivités dans les espaces périphériques[13]. Il faut donc agréger aux vieux espaces d’accumulation de nouveaux territoires où les basses rémunérations deviendront des ersatz se substituant partiellement aux gains de productivité déclinants dans les espaces centraux. Ce qui est moins connu, est que cette continuation du fordisme par d’autres moyens, ne peut établir un équilibre entre l’offre globale mondiale et la demande correspondante. Parce que le fordisme national disparaît, disparaît avec lui l’ensemble des institutions qui garantissaient les débouchés d’une offre rapidement croissante. En termes simples, parce qu’il n’existe plus de mécanismes de redistribution, la pression sur les salaires se fera planétaire et rétablira ce que l’on appelait avant le fordisme la « loi d’airain des salaires » à l’échelle mondiale. De quoi réfléchir à ces « sursauts de compétitivité » passant par une baisse du coût du travail dont le monde s’abreuve aujourd’hui en constatant l’affaissement de la croissance…

Ce phénomène développe ce qu’on pourrait appeler une crise de « l’entrepreneuriat politique » phénomène qui, à la surface des choses, est vécu comme la « fin du politique » au profit de la dictature de l’économique. Bien évidemment il n’en est rien puisque la mondialisation est elle-même une construction institutionnelle. Simplement les entrepreneurs politiques qui construisent la mondialisation pour faire reculer les limites du fordisme sont obligés de la négocier contre la mise à l’index des Etats- providence…. lesquels étaient une pièce essentielle de ce même fordisme. Difficile dans ces conditions de maintenir la crédibilité d’un entrepreneuriat politique qui s’était souvent bien construite dans la phase ascendante du fordisme.

Mais «  la loi d’airain des salaires » impose une crise mondiale de débouchés où chaque Etat, tente de reporter par une concurrence agressive sur tous les autres, les problèmes qui en découlent. Avec toutefois l’irruption des remèdes miracles désormais offerts par la finance dérégulée. Parce que la fin de la répression financière aboutit au dessaisissement des Etats en matière monétaire, les entrepreneurs de la finance peuvent offrir par la voie de l’endettement une solution plus ou moins précaire à l’insuffisance mondiale de débouchés. Nous avons là la problématique américaine des subprimes qui permettait à des personnes , victimes nouvelles de la nouvelle  loi d’airain des salaires, de consommer des revenus qu’elles ne possédaient pas.

Les Etats, qui, désormais dépossédés d’une souveraineté monétaire qui avait pourtant évoluée vers une maîtrise de la loi d’airain, ne sont pas tous dans la même situation au regard de la finance libérée.

 

Retour de la loi d’airain de la monnaie et rapports de forces différenciés entre entrepreneurs politiques et entrepreneurs de la finance.

 

En dehors de cas très particuliers : Chine, Corée du nord, etc. le nouvel équilibre entre entrepreneurs politiques et entrepreneurs de la finance est un rapport de forces variable.

Pour les pays à monnaie de réserve, il est clair qu’il existe une grande communauté d’intérêts. Ainsi pour les USA, la politique de puissance peut se pérenniser et c’est bien l’industrie financière qui, en augmentant sa part de marché dans le PIB, permet aussi le développement de la part de marché américain dans le total des dépenses militaires mondiales.  Le financement de la guerre qui était naguère soumis à la loi d’airain ( il fallait de l’or pour payer les mercenaires) s’en libère au moins temporairement grâce à l’illimitation de la  finance. De ce point de vue, la fin de Bretton-Woods, associé au statut du dollar comme monnaie de réserve, est aussi  ce qui permettra le gonflement du budget militaire américain avec le financement des guerres associées : Vietnam, Irak, Afghanistan.

Et si le gouvernement américain peut déclarer au reste du monde que le dollar est « notre monnaie et votre problème »[14], il oublie de signaler qu’il est aussi le double intérêt du système politique américain et de ses entrepreneurs de la finance.

 

Pour les pays dont la monnaie ne repose que sur une base légale étroitement nationale, le rapport de force entre entrepreneurs de la finance et entrepreneurs politiques est tout autre, et la loi d’airain s’impose durement à ces derniers sous la forme du « curieux marché » : la rente doit être payée par les contribuables et vient limiter l’éventail des possibles. La classe des rentiers réapparaît avec la séparation complète du Trésor et de la banque centrale, avec pour le premier la nécessité d’acheter sa propre monnaie aux correspondants (les banques) de la seconde -une institution qui lui est devenue étrangère, une institution sui generis comme disent les juristes- et les entrepreneurs politiques doivent construire de nouveaux compromis  pour conquérir ou se reconduire au pouvoir. Compromis plus difficiles car la séparation entre Trésors et banques centrales correspond aussi à la nouvelle mondialisation qui impose une gestion monétaire très stricte, une prudence fiscale et sociale etc. Investir pour parvenir au plein emploi, n’est plus une décision de politique économique, et il ne faut désormais compter que sur la confiance des marchés.

 

Les pays de la zone euro sont sans doute les plus malmenés dans le retour de la loi d’airain. En dehors de l’utopique fusion des marchés politiques au profit de la naissance d’un Etat européen animé par des entrepreneurs politiques européens, la monnaie unique ne peut fonctionner que sur la base d’une loi d’airain particulièrement stricte. Ici la séparation des Trésors de leur banque centrale ne peut être que radicale. Et l’on se plait à confirmer que la BCE est probablement la plus « crédible » du monde car la plus indépendante des banques centrales du monde.

Comprenons en effet que si cette indépendance n’était pas radicale, le comportement de passager clandestin se ferait tout aussi radical et  l’on tomberait très vite dans le célèbre « dilemme du prisonnier » : les entrepreneurs politiques de chaque Etat, auraient en effet intérêt à imprimer des billets dont le coût serait supporté par leurs collègues des autres Etats. Il en résulterait globalement une loi de Gresham au détriment de l’euro que l’on voulait construire. Cette remarque est fondamentale : sans fusion réelle des marchés politiques, l’indépendance de la BCE doit être radicale, et donc le financement des Etats ne peut se faire que par le « curieux marché ». Alors que le « quantitative easing » peut s’imaginer dans les autres pays, par accord entre entrepreneurs de la finance et entrepreneurs politiques, tout en respectant la logique formelle d’une séparation entre Trésor et Banque centrale, cette solution est fort logiquement exclue dans le cas de l’euro zone. Le « curieux marché », qui ici ou là peut plus ou moins être contourné, ne peut être au moins sur le papier que prison monétaire pour les Etats.

Cette situation particulière de l’Euroland peut d’ailleurs être confirmée par le fait que même en disposant d’une législation stricte qui vient limiter les déficits budgétaires ( critères de Mastricht) les comportements de passager clandestin n’ont cessé de suinter de toutes parts, et ce en provenance de tous les Etats, sans exception. Cela signifie par conséquent que la zone euro est probablement le lieu où le retour de la loi d’airain est le plus fort, fonctionne le plus au détriment relatif des entrepreneurs politiques, et le plus au profit de l’industrie financière.

Ce point de vue est sans doute confirmé par les récentes décisions de la BCE, concernant le rachat sans limite de titres, et ses fonctions futures dans l’union bancaire européenne en cours d’élaboration. Sans doute des décisions qui sauvent aussi les entrepreneurs politiques incapables de quitter le statut de passager clandestin, mais d’abord des décisions qui favorisent puissamment la rente : les créanciers voient leurs titres garantis. Et si demain l’ensemble du système bancaire européen, avec de fait ses annexes que constituent le « Shadow Banking »[15], passe sous le contrôle de la BCE, le rapport de forces au profit de la finance sera grandement amélioré. Le puissant multiplicateur du crédit dopé par l’OMT de la BCE est  « fête » pour la finance et simple « os à ronger » pour les Etats.

Mais là encore, et de façon plus globale il faut nuancer, la finance n’a pas intérêt à ponctionner  les Etats jusqu’au défaut, Etats qui doivent rester  solvables si l’on veut éviter l’effondrement planétaire. 

 

                                              Fin de l'article de 2012 et fin de première partie

 

 

 

[1] « Genèse de l’Etat et genèse de la monnaie », Revue du MAUSS, avril 2007.

[2] « La violence et le sacré », Grasset, 1972.

[3] « Essai sur le don » texte inséré dans le recueil d’articles préfacé par Claude Lévi-Strauss, PUF,1950.

[4] Sur ces questions nous renvoyons  au chapitre premier de « Banques centrales, indépendance ou soumission », Jean Claude Werrebrouck, Editions Y Michel, 2012.

[5] Thomas Gresham était un financier anglais du 16ième siècle qui avait constaté que lorsque 2 monnaies circulaient simultanément dans un espace, les agents thésaurisaient la bonne monnaie pour ne financer leurs échanges qu’avec la mauvaise. D’où l’expression « la mauvaise monnaie chasse la bonne »

[6] 2,5% du PIB  pour la France de 2013(environ 50 milliards d’euros de rente –service de la dette – pour un PIB d’environ 2000milliards d’euros).

[7] 1767-1830. Cf notamment son célèbre discours de 1819 : « De la liberté des anciens comparée à la liberté des modernes »

[8] 1801-1850. Cf ses œuvres complètes disponibles sur Wikipédia Commons et notamment « Sophismes économiques » ou « Harmonies économiques »

[9] 1820-1903. Son livre majeur : « Le droit d’ignorer l’Etat » (1850) servira de références aux libertariens contemporains et notamment Robert Nozick.

[10] Déjà Joseph Proudhon avait imaginé en 1846 un « projet de réunion de la Banque de France au domaine public ». Rédigé sous la forme d’une loi, le projet stipulait que la banque était « réunie au domaine de la nation et fonctionne à son compte » tandis qu’elle était « placée sous la surveillance des représentants du peuple ». Très curieusement le projet stipulait aussi que la banque « était indépendante du gouvernement ». L’idée fort contradictoire de fusion et d’indépendance était déjà dans la tête de Proudhon

[11] Les effets Mefo, véritables moyens de paiements publics, étaient des reconnaissances de dettes garanties par l’Etat et escomptables à la banque centrale. Au-delà des aspects techniques, l’objectif était d’activer les facteurs de la production durablement non utilisés en raison de la crise, en remettant en circulation la monnaie thésaurisée. Le docteur Schacht qui fût parfois qualifier de « magicien » devait réussir à extirper l’Allemagne de la crise sans accroissement notable de la circulation monétaire. Sur la base d’un désaccord avec Hitler sur le sens à donner à la relance de l’activité, Il quittera ses fonctions ministérielles en 1936 .

[12] Expression de Jacques Rueff –ministre du Général De Gaulle -  pour désigner le déficit extérieur américain.

[13] On trouvera développements et explications plus précises de ce qui suit dans le chapitre ­­6 de « Banques centrales, indépendance ou soumission ».

[14] Expression de John Connally  Secrétaire au Trésor à l’époque de Richard Nixon

[15] Ensemble du système bancaire et financier parallèle, non soumis à la réglementation bancaire, et pourtant d’un poids  presque équivalant au système réglementé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Published by Jean Claude Werrebrouck - dans banques centrales
29 mai 2020 5 29 /05 /mai /2020 16:01

 

La crise, devenue économique avec ses effets différenciés sur les Etats, rend très urgente la nécessité de transferts entre partenaires[1]. Plus que conseillée dans toute union monétaire, ces transferts devenus impossibles avec la construction concrète de la monnaie unique, deviennent radicalement impératifs avec la crise actuelle.

Les jours qui viennent vont nous en dire plus sur le chemin suivi par les divers acteurs (Etats et institutions qui à priori les accompagnent ou les surplombent) mais d’ores et déjà on peut imaginer le scénario le plus probable.

Certains Etats, avec un besoin de roulement représentant des montants colossaux (jusqu’à 25% de la dette publique totale italienne dans les 2 prochaines années) ne peuvent se maintenir dans la zone euro sans une aide massive de la BCE.

La BCE elle-même ne peut facilement maintenir cette aide massive en raison de la décision de la Cour constitutionnelle allemande du 5 mai dernier. A cet égard, il lui faut obéir au droit constitutionnel allemand et ne plus solliciter la Bundesbank dans le QE. Elle choisira donc de désobéir aux règles internes à l’Eurosystème, ce qui, dans la hiérarchie des normes, constitue un moindre mal. Cette décision marquera la supériorité du droit national sur le droit européen. Le prix symbolique est très élevé mais il faut bien faire face à l’effondrement réel des Etats.

Il pourra y avoir recours auprès de la Cour Européenne de Justice si la BCE n’intègre plus la Bundesbank dans son activité de sauvetage. Mais la procédure sera longue et comme nous le disions, on arrivera bien à déclarer que « les cercles sont des carrés[2] ».

Au-delà, La BCE, gravement menacée par son surpoids en terme  de taille de bilan, va être enfin aidée dans son travail de secouriste par le budget de l’UE et l’accord en préparation. Mêmes les 4 Etats dits « frugaux[3] » devront accepter une partie du projet en raison de sa réalité très inoffensive.

Contrairement à ce qu’on entend, l’accord en préparation ne remet pas fondamentalement en cause l’interdit des transferts et celle de la mutualisation des dettes. Il nous faut aborder cette question de plus près.

Tout d’abord la réalité historique est aussi celle de transferts certes dérisoires mais néanmoins réels. Sur un budget annuel de moins de 150 milliards d’euros, il y a toujours eu des différences entre cotisations des Etats et prestations aux Etats. Les gagnants étaient les pays les plus pauvres et les plus nouveaux dans le processus d’intégration (Pays de l’Est et certains petits pays du nord et du sud). Les cotisants nets étant les pays les plus importants et les plus anciens. Ces transferts nets sont toutefois dérisoires : généralement moins de 10 milliards d’euros, sauf pour l’Allemagne dont la cotisation nette atteignait jusqu’ici 15 milliards d’euros …soit moins de 0,4% de son PIB…

Les choses vont -elles changer dans la difficile bataille de sortie de crise ?

L’endettement prévu de l’UE (750 milliards) va représenter environ cinq fois son budget annuel. Un montant qu’il faudra rembourser à partir de 2028 et ce, pendant 30 années. Sur les 750 milliards il y aurait 500 milliards de subventions dont 433 milliards aux Etats et 67 milliards aux banques, et 250 milliards de prêts. Les prêts seront remboursés par les Etats bénéficiaires et, à ce titre, il n’y a qu’un transfert dérisoire pour les pays emprunteurs, transfert mesuré par la différence de taux, entre celui d’un prêt supposé national et plus cher, et le taux obtenu par l’UE supposé moins élevé.

La réalité du transfert possible porte donc sur les 433 milliards qui feraient l’objet de subventions. On sait aussi que qu’elle que soit la solution retenue pour rembourser l’emprunt de l’UE (augmentation du budget, diminution des dépenses, ressources fiscales nouvelles) chaque Etat sera amené à contribuer au remboursement selon la règle habituelle du poids de son PIB. Compte tenu de la charge des taux, on peut ainsi penser que le coût du remboursement s’élèvera à environ 30 milliards dès la première année, c’est-à-dire en 2028. Cela représente une hausse de quelque 20% du budget de l’UE.

 

Prenons l’exemple d’un pays très marginalisé dans la zone : l’Italie qui, jusqu’ici est un contributeur net d’environ 6 milliards d’euros. L’Italie, d’après les sources d’informations actuelles, recevrait sur les 3 prochaines années entre 82 et 91 milliards (selon les sources). Toutefois, l’Italie étant nation cotisante dans le budget européen verrait sa charge de cotisation augmenter au titre du remboursement du prêt à l’UE. Le supplément de cotisation est difficile à estimer, aussi en raison de l’inconnue du taux accordé à l’UE. Toutefois, on peut concevoir une augmentation de 20% de toutes les cotisations et donc de celle de l’Italie, soit 3,4 milliards sur 30 années, c’est-à-dire 102 milliards, soit davantage que la subvention pressentie.  Pour qu’il y ait transfert au profit de l’Italie, il faudrait une subvention beaucoup plus importante, (150 milliards ? …) mais cela supposerait le sacrifice d’autres Etats du sud, eux-mêmes en grande difficulté. La conclusion est très claire : le plan de relance n’est en aucune façon un plan de transfert de ressources vers les Etats les plus en difficulté. L’union monétaire reste ce qu’elle est, c’est -à-dire une Union incomplète.

En revanche, ce plan, s’il est adopté, est aussi un plan de contribution ou d’aide au travail de la BCE : on trouve ici les moyens d’accompagner une BCE qui est institutionnellement en difficulté...

Le système des subventions accordées aux Etats n’est donc qu’un prêt caché. Reconnaissons toutefois qu’il s’agit d’un prêt très avantageux puisque le début du remboursement ne commence qu’au bout de 10 ans, ce qui laisse supposer qu’il serait largement payé par l’efficience de la subvention.

On ne connait pas encore la répartition définitive de ces fausses subventions et vrais prêts, une répartition qui fera l’objet de discussions au cours du prochain sommet. Il faut pourtant conclure que le plan est d’abord un outil de communication et que, fondamentalement, l’accord restera très éloigné d’une problématique de transfert. Ajoutons aussi qu’il sera très éloigné d’une logique d’homogénéisation des Etats. A cet égard, l’hétérogénéité devrait s’accroitre en raison des politiques nationales qui ont été décidées pour surmonter la crise. Ainsi, les aides d’Etat totalisant aujourd’hui 1900 milliards d’euros, sont beaucoup plus massives que le plan européen, et surtout sont très inégales. A titre d’exemple les plans allemands représentent 29% du PIB du pays, à comparer avec les plans italiens qui ne représentent que 17% du PIB.

Les pays du sud ne bénéficieront d’aucun transfert : ils sont les plus endettés, furent les plus touchés par la crise sanitaire et seront les plus touchés par la crise économique en raison de leurs spécialités dans les chaînes de la valeur.


[1] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/02/bien-comprendre-la-logique-devastatrice-de-l-euro.html

[2] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/05/la-reponse-de-la-bce-a-la-cour-constitutionnelle-de-karlsruhe.html

[3] Il faut comprendre la résistance de ces Etats face à l’hétérogénéité extrême de la zone : comment expliquer à un citoyen d’un Etat dont le dette publique est de l’ordre de 35% du PIB  -Suède par  exemple- , les problèmes de l’Italie dont la dette publique atteindra bientôt 170% de son PIB ?

Partager cet article
Repost0
26 mai 2020 2 26 /05 /mai /2020 12:32

Le débat sur la montée spectaculaire des dettes d'Etats fait à nouveau rage chez les économistes. L'idée d'une annulation ou transformation en dette perpétuelle développée dans nombre de publications est reprise dans les Echos du 26 mai. Ce débat serait plus sain et surtout plus clair si les protagonistes avaient travaillé avec sérieux la question de l'identité de l'objet  "Banque Centrale". Les scientifiques font ce travail. A l'inverse les économistes plus bavards ne le font pas et parlent souvent de choses sans véritablement les connaitre. 

On trouvera ci -dessous un article que nous avons publié sur le blog le 12/12/ 2013. Il reste complètement d'actualité et permet de comprendre ce qu'est une banque centrale. Il permet aussi de comprendre que les obscurs débats d'aujourd'hui, parce que contradictoires, parce qu'inquiétants, permettent  aussi de tenter la reconduction du monde tel qu'il est. Le texte nous fait replonger rapidement vers des considérations historiques et politiques indispensables  avant d'aborder la question des banques centrales elles-mêmes. le lecteur pressé pourra néanmoins se contenter du paragraphe intitulé: "Le passif non exigible des Banques Centrales". Bonne lecture.

 

L’expression de passif non exigible est d’un point de vue libéral un incompréhensible choc des mots : Le passif est une dette, et sauf non-respect des droits de propriété il est en principe exigible. De fait dans un monde soucieux du respect des engagements, les agents se doivent de disposer d’actifs suffisants en qualité et quantité pour honorer les engagements figurants au passif de leur bilan. Au premier rang de ces agents figurent des entreprises économiques qui peuvent disparaitre après anéantissement de leur capital faute de pouvoir répondre à l’exigibilité.

Pour autant, s’il existe dans les sociétés concrètes des contrats dont le respect des termes est exigé et sanctionné, il existe aussi un « contrat social » -complètement fictif ou relevant du mythe- qui résulte de la présence d’une extériorité appelée Etat, et extériorité dont les outils – ce qu’on appelle la contrainte publique - sont captés par une coalition d’intérêts utilisant la loi (violente ou plus démocratique) à des fins privés[1]. Ce qu’on appelle « contrat social » relève en effet plus de la contrainte que  d’un échange de volontés. Ainsi, aucun acteur du monde social n’a signé de  contrat d’appartenance à une  nationalité, aucun acteur du monde social n’a signé de contrat portant  sur les qualités et quantités de dépenses publiques, ou portant sur les qualités et quantités des prélèvements publics précisément dénommés « obligatoires ». C’est dire que depuis l’émergence des Etats, il existe un agent manipulable et manipulé qui a la possibilité de ne pas respecter les droits de propriété, agent qui est l’Etat lui-même, et qui à ce titre peut ne pas respecter le jeu de l’échange volontaire. Cet agent-là peut connaitre des dettes et décider plus ou moins souverainement de leur non-exigibilité.

Le passif non exigible du patrimoine des  princes

Nous ne reviendrons pas ici sur l’histoire des Etats et ses modalités de fonctionnement avec le passage progressif du créancier infini, vers le créancier fini, puis vers le créancier endetté[2]. Soulignons simplement, qu’en sa qualité indépassable de juge et partie,  il a – historiquement- massivement utilisé la violence et plus  rarement accepté la logique de l’échange volontaire.

C’est dire que pour lui la notion de passif non exigible est une réalité de toujours.

Une façon radicale de faire émerger le concept de passif non exigible est de transformer le créancier réel en débiteur : le sujet est porteur d’une dette de sang à régler au profit du prince. Une autre, beaucoup plus respectueuse des prolégomènes d’un Etat de droit, sera l’extinction violente des dettes publiques : un décret viendra les annuler. Une façon plus douce encore fut de mettre fin au mythe de la « loi d’airain de la monnaie »[3] et d’enfermer le créancier dans la monnaie dont le souverain aura décidé le cours légal. Le pouvoir d’achat du souverain devient ainsi infini et le passif, fictivement exigible ne l’est plus réellement, le créancier pouvant le cas échéant le vérifier dans  la sévérité d’un contrôle des changes.

Cette idée de passif non exigible est aujourd’hui curieusement reprise avec les banques centrales  dites « indépendantes ».

Les libéraux ne peuvent pas davantage  accepter l’idée  de banque centrale qu’ils n’ont accepté l’idée d’Etat. Et ils y sont opposés en ce sens que l’idée de passif non exigible est aujourd’hui transmise aux banques centrales par les Etats eux-mêmes.

Logiquement, selon les libéraux, une banque centrale devrait fonctionner comme simple assureur ou caisse de compensation sur un marché interbancaire. Cette fonction, du point de vue de l’idéologie libérale, suppose l’existence de fonds propres venant en garantie du respect des contrats. Les actionnaires d’une telle banque centrale seraient ainsi soucieux du sérieux et du bon déroulement des transactions au niveau des banques elles-mêmes. Cela passerait par la surveillance des risques et probablement par des règles très strictes en matière de création monétaire.

 

Le passif non exigible des banques centrales

Dans la réalité les banques centrales disposent de fonds propres et dans l’euro zone la BCE elle-même, dispose d’un capital social constitué par les banques centrales des pays adhérents selon des pourcentages respectant le poids de chacun d’eux en termes de PIB. Certains libéraux pensent ainsi que la BCE, en particulier, est une vraie banque et s’inquiètent de la dégradation de son bilan au terme de politiques dites « non conventionnelles » menées depuis plusieurs années. Avec la possibilité de crises en boucles s’autoalimentant : Les Etats endettés se font racheter de la dette publique par des banques nationales qui cèdent elles -mêmes ces titres douteux à la BCE contre de la monnaie créée. Et face à l’apparente dégradation du bilan de la BCE, les Etats seraient obligés de souscrire à une augmentation des fonds propres, ce qui entraine un alourdissement des dettes publiques et leur refinancement impératif. La boucle est bouclée.

Cette version des choses n’a strictement aucun sens et la BCE n’a en aucune façon besoin d’être recapitalisée comme ce serait le cas d’une entreprise. Il n’y a pas non plus dégradation de son bilan, son passif étant constitué  de billets et des réserves des banques, qui sont de fausses dettes puisque la Banque centrale n’a besoin d’aucun actif pour répondre aux exigibilités. Une entreprise non couverte par un système assurantiel, victime pour une raison quelconque de la disparition de tout ou partie de ses actifs (Tsunami ravageant stocks, machines, bâtiments, etc.), ne peut échapper aux contraintes de son passif, les créanciers continuant d’exiger le respect des contrats.

Par contre la BCE, victime d’une dévalorisation massive des titres figurant dans son actif, ne connait pas de contrainte de passif.[4]

Il n’en serait bien sûr pas ainsi si les créanciers pouvaient exiger le paiement dans une monnaie que la BCE ne peut émettre, par exemple des dollars. Dans ce cas la banque devrait échanger des euros qu’elle émet contre des dollars…. situation fort épineuse car il n’y a aucune raison- en cette circonstance – qu’elle découvre des acheteurs d’euros si tous les agents internes refusent les euros et exigent leur transformation en dollars.

Parce que les banques centrales, ici la BCE, peuvent produire et imposer les paiements dans la monnaie qu’elles produisent[5] – de fait la monnaie dont le cours légal est fixé par l’Etat- elles ne connaissent pas de contrainte de passif : ce dernier est non exigible.

Et c’est ici que les choses deviennent intéressantes dans le processus historique de retrait des Etats et de montée de l’indépendance des banques centrales. Jadis, le privilège de passif non exigible était le fait de la violence des Etats qui, même parvenus dans la phase démocratique de leur histoire, imposaient à leurs  créanciers le choix d’une monnaie qu’ils créaient et manipulaient, dans le sens de leur intérêt : réduire le passif exigible. Cela passait par la dilution, les ateliers de rénovation monétaire, le seigneuriage, l’inflation, etc.

Aujourd’hui les banques centrales semblent plus efficaces : le passif devient non exigible – non plus partiellement- mais dans sa totalité.

Cette efficacité l’est à l’avantage du système financier car la contrepartie de la non exigibilité du passif est la production sans limite d’actifs nouveaux pour les banques qui, plongées dans le marché, se voient offrir une forte réduction de contraintes de leur propre  passif. La sécurité en liquidité et en solvabilité est artificiellement assurée par les privilèges quasi souverains de la banque centrale, et ce avec des contraintes de fonds propres qui resteront très faibles malgré les normes de « Bâle 3 ».

Bien évidemment cela n’a rien à voir avec le libéralisme et le respect de la propriété privée, et dans cette affaire,  les « ordo- libéraux » [6]allemands, pour qui la notion de passif non exigible relève de la forfaiture, sont éthiquement plus libéraux que les « brigands des marchés ». Ce qui ne veut pas dire que ces mêmes ordo-libéraux ont compris les mécanismes profonds de la grande crise. Le passif non exigible des banques centrales constitue – encore aujourd’hui – l’outil essentiel sur lequel peut s’appuyer la méga machine à faire de la dette, une machine venant à l’échelle planétaire combler le déficit de pouvoir d’achat par rapport à l’offre mondiale de marchandises[7]. Comme quoi les « brigands des marchés » ont au moins un rôle social : celui d’empêcher ou de retarder l’effondrement économique planétaire.

 

[1] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-l-aventure-etatique-reprise-d-un-texte-ancien-119831125.html

[2] Nous renvoyons ici à notre livre : « Banques centrales –indépendance ou soumission ? Un formidable enjeu de société » Editions Yves Michel, octobre 2012.

[3] Cf notre article dans le numéro 34 (janvier, février,mars 2013) de la revue Médium, Pages 101/119.

[4] Idée déjà exprimée dans le Flash Natixis du 27 juillet 2011 : « La qualité du bilan de la banque centrale est-elle une question sérieuse ?».

[5] Nous nous plaçons ici dans le cadre du paradigme néo-chartaliste. On pourra ici consulter : http://frappermonnaie.wordpress.com/tag/neochartalisme/

[6] Sur l’ordo libéralisme on pourra consulter notre article dans le tome LXVI- N°3- Septembre 2013 de la revue « Economie Appliquée » : « Regard sur les banques centrales : essence, naissance, métamorphoses et avenir ». En particulier on pourra lire les pages 167 et suivantes.

[7] On saluera la prise de conscience d’une réelle crise planétaire de surproduction- pour la première fois chez des responsables ou observateurs- dans l’article publié par « Le Monde » du 10/12/2013 « Pour un nouveau système productif français », article signé par les dirigeants de Xerfy, Laurent Faibis et Olivier Passet. C’est à notre connaissance la première fois que l’on trouve dans le monde des affaires la compréhension profonde de la nature de la grande crise.

Partager cet article
Repost0
18 mai 2020 1 18 /05 /mai /2020 18:41

Les articles qui se consacrent au  monde d’après, se multiplient : grand retour de l’Etat ? reconstruction des services publics ? fin de la mondialisation ? édification de biens publics mondiaux ? etc. Ce qu’il y a de commun dans ces diverses réflexions, est finalement la fin plus ou moins annoncée du néo-libéralisme ambiant.

Nous voudrions dans ce texte préciser 2 points essentiels concernant la France et en particulier ses possibles projets de relance :

  1. La fin du présent régime de la dette au profit de sa monétisation constitue la preuve d’une production nationale insuffisante
  2. Le retour à un régime d’inflation constitue une hypothèse vraisemblable.

Le premier point peut s’appuyer sur une comparaison entre les régimes de la dette au cours de la première guerre mondiale et celui qui est déjà en place ou va venir se mettre en place aujourd’hui.

On sait déjà que le budget 2020, en raison de ses dépenses prévisibles et aussi en raison du poids des dettes passées, fait apparaitre un besoin de financement de plus de 20 points de PIB[1]. Ce besoin, d’abord pris en charge par les fonctionnaires de l’Agence France Trésor, est et sera très largement immédiatement monétisé par la BCE qui rachète une partie des dettes publiques de tous les Etats de la zone. Dans ce contexte, le « plan hôpital » pour ne prendre que cet exemple aura pour financement une simple création monétaire. Si ce plan et d’autres qui devraient suivre sont quelque chose comme un rétablissement du service public ou une reconquête de souveraineté, ou une marche vers davantage de résilience, ils révèlent aussi la vraie nature de la crise globale du pays.

De fait, la France, pour se rétablir, n’a d’autre moyen que la monétisation, en particulier celle déjà utilisée au cours de la première guerre mondiale au titre du maintien de la survie du pays. A cette époque, les choses étaient évidemment infiniment plus graves et sur 100 de dépenses de guerre moins de 16 provenaient de l’impôt. Bien évidemment, l’emprunt était lui-même très insuffisant, et l’essentiel des dépenses d’armement était financé par la Banque de France qui créditait directement le compte du Trésor. De fait, cela signifie que pour financer son effort de guerre sans monétisation il eut fallu que le PIB soit environ 6 fois supérieur à ce qu’il était à l’époque ( 100/16)[2].

Certes bien moins dramatique, nous sommes dans une situation comparable. Si le Trésor utilise, sans le dire, la monétisation c’est qu’il n’a pas les moyens d’assurer le maintien d’un service ni une forme de souveraineté élémentaire, ni de rétablir une résilience disparue. Logiquement, si la situation était saine, il utiliserait les revenus de l’impôt ou un transfert de revenus appartenant à d’autres agents (l’emprunt). Ces revenus et emprunts correspondent à des prélèvements sur une production réalisée par d’autres agents. Au-delà d’une question organisationnelle donc de productivité[3], l’origine de la monétisation présente est donc assimilable, comme l’exemple de la première guerre mondiale nous l’a montré, à une production insuffisante, laquelle renvoie à un taux de croissance trop faible. Si donc la France connait un délitement de ses services publics c’est aussi parce qu’il n’y a pas assez d’entreprises qui, en produisant, déversent les revenus correspondants (salaires, profits, etc.) lesquels, au final nourrissent le Trésor en impôts et emprunts.

Dans leur effervescence, les libéraux diront que la production est muselée, précisément par les impôts et autres prélèvements. Il faudrait donc les diminuer…avec pour conséquence une plus forte monétisation…d’autant plus forte que les entreprises sont amenées à fonctionner partiellement en mode dégradé en raison de la gestion de la crise sanitaire. D’autres économistes diront qu’il faut baisser les salaires directs et indirects…avec pour conséquence une diminution de la demande globale. D’autres enfin, considéreront qu’il faut un taux de change plus faible permettant l’augmentation de la demande extérieure et une diminution de la demande interne…donc une hausse de la production, d’où - à taux inchangé- une masse fiscale plus grande et une monétisation plus faible. Plus facile et plus rationnelle, cette solution soulève par conséquent celle de l’euro et du rétablissement de la souveraineté monétaire.

 Au-delà de désaccords qui n’abordent pas l’essentiel, à savoir la démesure financière souvent évoquée sur ce blog, le consensus se fait sur une nécessaire augmentation de la production marchande, laquelle passe par une réindustrialisation et la transformation profonde de l’agriculture. Au final l’entrepreneuriat politique tentera donc une réindustrialisation par monétarisation si possible sans toucher au dogme de la monnaie unique. Un dogme qui sera pourtant questionné en raison des conséquences ultimes de la monétisation.

C’est qu’en effet, l’hypothèse de l’apparition d’un régime nouveau d’inflation ne peut être exclue et c’est la seconde question qu’il nous faut aborder.

L’expérience de la première guerre mondiale est ici encore d’un très grand intérêt. D’une certaine façon, cette guerre s’inscrit dans un régime de croissance forte avec un contenu de plus en plus non marchand : les outils de la guerre ne sont pas des marchandises. D’une certaine façon, biens publics particuliers, ces outils sont pourtant payés très largement avec des ressources ni fiscales ni empruntées mais simplement issues de la création monétaire. Les énormes dépenses militaires sont ainsi du pouvoir d’achat largement disséminé dans le corps social, un pouvoir d’achat sans réelle contrepartie sur un marché nécessairement restreint. A l’époque le PIB non marchand (militaire essentiellement) est probablement plus important que le PIB marchand. Il en résulte mécaniquement une hausse continue des prix[4].

Si les divers plans qui vont se mettre en place, sont au moins partiellement des projets de rénovation du service public (plan santé, protection de l’environnement, transports, prise en charge de coûts de relocalisation, de transformation du monde agricole, etc.) ils auront comme les dépenses de guerre un effet inflationniste provoqué par une distribution de pouvoir d’achat sans marchandises correspondantes. Le produit marchand n’en augmentera pas pour autant si la concurrence étrangère se trouve moins affectée par le retour de l’inflation. En clair, si la monétisation est plus faible à l’étranger qu’en France, la balance commerciale française verra son déficit s’accroître. Un déficit qui sera aussi la marque de la grande difficulté du pays à se réindustrialiser. Beaucoup d’auteurs pensent que l’issue de la crise se manifestera sans inflation…ils oublient aussi que ce sera la marque d’une impossible réindustrialisation du pays. Dans ce possible  retour au régime d’inflation notons que L’Allemagne sera largement épargnée avec des besoins de financement de seulement 12 points de PIB : la monétisation de la dette est largement contrôlée. A l’inverse l’Italie, avec des besoins de financement de 30 points de PIB est très exposée. De quoi alimenter un différentiel d’inflation…qui rappelle les dangereux spreads de taux de la décennie précédente….Décidément il est impossible de quitter la redoutable question de l’euro….


[1] Environ 11 points pour le roulement de la dette, 10 pour le solde primaire, et un peu moins de 2 pour le paiement des intérêts.

[2] Sur ces points nous renvoyons à Pierre-Cyrille Hautcœur, « Was the Great War a watershed? The économices of World War I in France », in Stephen Broadberry et Mark Harrison (dir.), The Economics of World War I, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.

[3] Cette question est sans doute importante dans toutes les comparaisons notamment entre les systèmes de soins en Allemagne et en France. Toutefois, il faut comprendre que le PIB/tête en Allemagne étant plus élevé, un même poids de dépense publique (12,2 points de PIB) doit logiquement, toutes choses égales par ailleurs, produire un système de soin de meilleure qualité en Allemagne.

[4] Le niveau général des prix est ainsi multiplié par 5 entre 1913 et 1924.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
  • Contact

Recherche