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30 juillet 2019 2 30 /07 /juillet /2019 12:46

Ce titre est un peu la question que se pose Michael Vincent dans l’ouvrage : « Le banquier et le citoyen » ouvrage déjà évoqué dans l’introduction de l’article précédent publié sur ce blog, le 25 juillet dernier. Michael Vincent insiste dans sa conclusion sur l’urgente nécessité de former tout le monde : citoyens, politiques, voire banquiers et régulateurs eux-mêmes, pour bien comprendre l’enjeu posé par cette énorme industrie dont on brossait- toujours dans ce même article – quelques uns de ses principaux traits.

Nous voudrions, dans le présent texte, préciser d’autres points et tirer quelques conclusions sur les conditions nécessaires à la sécurisation de la finance.

La difficile distinction entre économie réelle et spéculation.

D’une certaine façon, le marché est toujours un pari. Entrepreneurs de l’économie réelle, Assureurs, banquiers, sont tous des spéculateurs, sur un produit ou service pour le premier, sur la probabilité d’un évènement pour le second, et sur à peu près tout pour le troisième… En effet le banquier de la moderne « banque universelle » spécule sur un produit ou service en accompagnant l’entrepreneur de l’économie réelle, spécule sur la probabilité d’un évènement, et de plus en plus spécule sur des fluctuations de prix d’actifs réels ou imaginaires, soit pour compte d’autrui soit sur compte propre.

De fait la distinction la plus efficiente est celle qui sépare des anticipations sur une demande réelle de biens ou de services (économie réelle qui s’intéresse au volume des ventes possibles), de celles qui s’intéressent aux risques d’une très forte instabilité des prix. Ce dernier risque est aussi celui qui intéresse l’économie réelle, mais de manière plus accessoire : l’entrepreneur de l’économie réelle s’intéresse  à la sécurité de son cadre d’action et pour cela se fait accompagner par des vendeurs de sécurité sur évènements probabilisables -les compagnies d’assurances- ou des évènements qui le sont moins comme les fluctuations imprévisibles des prix des consommations intermédiaires voire des produits finis. Cette distinction révèle clairement que, pour l’entrepreneur de l’économie réelle, le vrai sujet est la demande solvable pour le produit ou service qu’il génère, tandis que les fluctuations de prix sur ses consommations intermédiaires ne sont qu’un élément perturbateur potentiel. Symétriquement, les fluctuations de prix sont le vrai sujet et peut-être même le seul pour la finance. A priori, terrain de jeu ou matière première fondamentale seraient bien délimités : pari sur la demande solvable d’un côté, pari sur fluctuations de prix de l’autre.

Pour autant ,le point de départ de la finance est bien le terrain de jeu de l’économie réelle. Les compagnies aériennes investissent dans des avions en faisant le pari d’une évolution positive de la demande de transport, mais sont potentiellement victimes des fluctuations du prix du kérozène lequel constitue la dépense d’exploitation de loin la plus lourde. Ils sont prêts à s’ouvrir au marché d’un futur dans lequel ils échangent une garantie de prix alors même que l’on ignore le cours à venir du kérozène. Les acheteurs redoutent une hausse et veulent se couvrir contre cet évènement, tandis que les vendeurs anticipent une baisse et espèrent en tirer profit. Ce marché du futur fut -dans un rudiment de conceptualisation- mis en place dans la Grèce antique par Thalès de Milet qui,- faisant le pari d’une récolte abondante, acheta à prix modique le service des pressoirs pour sous-louer ensuite, à prix élevé le même service anormalement demandé en raison de l’abondance des olives à traiter. Cet exemple historique montre qu’effectivement la spéculation financière repose sur une réalité économique, mais que très vite elle est extériorisée par rapport à cette même réalité économique. Thalès n’était qu’un philosophe mathématicien, ni producteur d’olives ni propriétaire de pressoir et se trouvait transplanté dans une finance qu’il avait, de fait, engendrée. Cet exemple permet aussi de comprendre que  les marchés financiers qui feront suite à cette première expérience seront massivement occupés par de purs financiers et marginalement représentés par les vrais entrepreneurs économiques. Clairement, le marché à terme du kérozène est peuplé d’acteurs très éloignés de la matière première, de ses producteurs comme de ses consommateurs. D’où l’idée que la finance est purement spéculative alors même que sa pointe repose sur l’économie réelle.

Mais, s’il est vrai que la pointe est étroite, le corps est de plus en plus large et va donner l’impression d’une démesure de la finance. Car le problème devient celui de la gestion du risque de marché : l’acheteur transfère le risque d’une hausse du prix du kérozène venant pénaliser son activité, mais son contrat devient perdant si le prix futur baisse. Même chose pour le vendeur qui peut gagner si le cours baisse mais peut perdre s’il augmente. Ainsi le vendeur de kérozène -surtout s’il n’est qu’un financier-  peut perdre la totalité de son investissement s’il est obligé de livrer à terme l’acheteur à un prix plus élevé. C’est la raison pour laquelle la recherche de sécurité passe par un report permanent de risques et une recherche de davantage de sécurité. Acheteurs et vendeurs chercheront à se couvrir contre les risques du marché lui-même engendré et imaginé aux fins d’une recherche de sécurité. D’où l’apparition et la généralisation de produits dérivés et des options d’achats. D’où également les opérations de titrisation, le développement de CDS (Credit default Swaps) à position nue, spéculation sur compte propre, etc.  Nous avons là,, la compréhension de ce fait très connu : les contrats financiers représentent des montants sans commune mesure avec les réalités physiques des échanges, une multiplication par 100 ou 1000 voire davantage étant chose courante. La boursoufflure de la finance est-elle-même source de confiance potentielle: plus le nombre d’acteurs est important, plus le marché est profond, plus il est liquide, et plus le transfert de risque sur le marché est facile et donc plus le marché lui-même est recherché…

Les choses peuvent suivre un mouvement asymptotique si la base de la finance, donc l’économie réelle, se financiarise. Ce sera tout d’abord le cas si le monde passe progressivement d’une organisation plus ou moins planifiée avec prix plus ou moins administrés, vers une économie de marché, voire même  une société de marché. Plus le libéralisme devient le contrat social dominant et plus le moteur de la finance est alimenté par son combustible naturel qu’est la fluctuation de prix. Au plus on libère les prix, au plus ces derniers peuvent connaitre des fluctuations sur lesquelles des paris peuvent se nouer.

Ce régulateur ultime qu’est l’Etat peut lui-même donner lieu à des pyramides financières. Si , politiquement,  il est lui est interdit de fabriquer sa propre monnaie et que la dette publique qui  -par construction- en résulte, donne lieu à des contrats (spéculation sur les taux d’intérêt, spéculation sur les changes, etc.) plus la machinerie financière prend de l’embonpoint. Plus la globalisation avance et plus le combustible de la finance alimente une machine qui finit par dépasser l’ensemble de ses acteurs….d’où les étranges discours contradictoires chez les « sachants » qui ne savent plus si l’on va ou si l’on ne va pas vers une nouvelle crise financière. Le bon sens nous invite pourtant à observer qu’une pyramide reposant sur sa pointe (économie réelle) connait vraisemblablement et malheureusement un centre de gravité à l’extérieur de son périmètre de sustentation….

C’est que le travail de transfert de risque est à la fois chose très simple et chose très complexe. Parce que les fluctuations de prix sont aussi l’effet de rumeurs, d’effets d’annonce, de publicité, voire de désinformations ou de mensonges, ils donnent lieu à des courants mimétiques sur lesquelles peuvent être construites des stratégies ouvertement délictueuses. Tel fut le cas des surprimes dont l’investissement intellectuel correspondant n’avait rien à voir avec le difficile et honnête calcul économique que l’on rencontre dans l’économie réelle.

Sans même aborder ces questions de pure déontologie, il est vrai que le risque de marché toujours transféré et partagé avec une multitude d’acteurs n’est jamais évacué, d’où des tentatives intellectuelles pour éclairer ce qui apparait comme un immense désordre et en déduire des stratégies rationnelles. Des modèles mathématiques seront ainsi construits pour évaluer les risques, optimiser leur couverture, calculer les coûts de gestion du risque, etc. La finesse, la qualité et la vitesse d’exécution des algorithmes deviendront un élément de concurrence entre les différents modèles et donc entre les différentes entreprises de spéculation. La fluctuation de prix, élément périphérique de l’économie réelle, devra ainsi mobiliser les meilleurs ingénieurs qu’il faudra détourner de ladite économie afin qu’ils s’investissent dans la mathématique financière pure. Les ingénieurs désormais appelés «quants » entrent ainsi dans les salles de marchés et sont invités à délaisser les classiques préoccupations industrielles. La boursoufflure de la finance sera aussi une saignée sur les compétences mondialement connues des ingénieurs français, et -il y a peine une dizaine d’années-  33% des quants mondiaux provenaient des meilleures grandes écoles françaises. Le transfert de risque, simple périphérie du problème central de l’économie réelle en vient à manger cette dernière, sans même se rendre compte que l’incertitude qu’il s’agit de gérer n’est pas une affaire probabilisable….D’où les bavardages déplorables et continus « d’experts » dont l’écoute devient épuisante.

Un cadre juridique qui ne peut être celui d’un véritable Etat de droit.

Le commerce en général est un échange de droits de propriété donnant lieu à un gain partagé entre échangistes. L’activité correspondante peut donner lieu à des externalités. Dans le cas, le plus banal la législation intervient pour limiter les effets externe de la liberté d’échanger et débouchera sur des mesures publiques visant à internaliser les externalités potentielles. Tel est le cas du principe du pollueur payeur venant certes limiter les gains à l’échange mais garantissant le non report d’externalités sur les tiers.

De ce point de vue, la finance fait intervenir des échanges d’une toute autre nature et les échangistes gagnent en reportant sur d’autres acteurs les risques de marché. Et c’est précisément cette activité de report qui explique le gigantisme des marchés correspondants. Alors que dans le monde traditionnel, l’internalisation des externalités est possible et souvent vérifiée, le monde de la finance fait de l’échange le moyen dont le but est l’externalisation. Si le transfert de risque n’était pas possible les marchés financiers n’existeraient tout simplement pas.

Cette différence de la nature profonde de l’échange entre monde classique et finance est du reste inscrite dans l’article 1965 du code civil français - article repris dans les mêmes termes dans  nombre de codes étrangers- lequel stipule que « la loi n’accorde aucune action pour dette de jeu ou non exécution d’un pari ». De fait le législateur de l’époque n’acceptait que les actions sur le cadre d’un échange que l’on concevait comme réel : les titres de propriétés sur les biens ou services échangés sont-ils clairs ? Y-a-t-il tromperie sur la qualité des bien échangés ? l’échange était-il libre et volontaire ? etc. Nous ignorons largement ce qui animait le législateur lors de la rédaction de cet article. On peut toutefois penser qu’il s’agissait d’un fondement construit sur nombre d’expériences historiques jugées négatives. On peut aussi penser qu’il s’agit d’un avatar de l’interdit de la chrématistique chère à Aristote : finalement on peut accepter le gain à l’échange…encore faut-il qu’il corresponde à des valeurs d’usage concrètes…

Permettre l’externalisation à échelle infinie de contrats financiers entre acteurs supposait ainsi de tordre le cou au droit classique, ce qui sera obtenu dans le cadre de la loi du 28 mars 1885 par son article 1 qui énonçait : « tous marchés à terme sur effets publics et autres, tous marchés à livrer sur denrées et marchandises sont réputés légaux. Nul ne peut, pour se soustraire aux obligations qui résultent d’opérations à termes, se prévaloir de l’article 1965 du Code Civil, lors même que ces opérations se résoudraient par le paiement d’une simple différence ». Tous les textes modernes se rapportant aux contrats financiers, textes rassemblés dans le très volumineux Code Monétaire et Financier, devaient valider et étendre la portée de la loi de 1885. Alors que le droit classique cherche à limiter les externalités au nom du respect des droits de propriété et au final de la qualité du vivre ensemble, le droit financier ne peut assurer le fonctionnement normal de l’industrie financière que sur la base du transfert incessant de ce qui peut aussi être la « patate chaude » avec au final une logique de « bail-out » qu’il est de fait quasi -impossible de réduire : les contribuables doivent être au final les payeurs des catastrophes financières.

Ce qui peut apparaitre comme un interdit pour l’industrie financière de rejoindre le droit commun se vérifie en permanence dans les laborieuses tentatives de régulation. Alors que le droit classique permet par le contrôle des externalités de limiter des effets de contagion, le droit financier s’en trouve – par essence- bien incapable. La vérification de cette incapacité peut se lire - au-delà de la trop classique et bien connue « Union Bancaire »- en prenant l’exemple de « l’ European Market Infrastructure Regulation » (EMIR). Il s’agit d’un texte visant à réduire les risques de marché et de crédits généralement associés – donc les paris dangereux sur fluctuations de prix- en rendant obligatoire le mécanisme de la collatéralisation via un une contrepartie centrale. Le collatéral ou l’appel de marge est une somme déposée en chambre de compensation permettant de gager les contrats et faire en sorte que le jeu de l’externalisation par défaut donne lieu à une contagion et donc une crise financière. Imaginée dès 2012, sous l’impulsion concrète du « comité de Bâle » et de « l’Organisation Internationale des commissions de valeurs » (organisme rassemblant les principaux régulateurs boursiers mondiaux) la directive correspondante ne se met en place que fort difficilement et son efficacité est incertaine.

Mise en place difficile car la collatéralisation et les chambres de compensation sont couteuses ce qui fait que  dans un premier temps (2016), ne furent concernés que les acteurs les plus importants, ceux dont la valeur notionnelle des portefeuilles étaient supérieure à plus de 3000 milliards de dollars. La résistance reste forte chez las acteurs plus modestes (acteurs industriels disposant d’une salle de marché) et l’obligation des marges de sécurisation vient d’être reportée à 2021…alors que la directive est publiée depuis 2012.

Mais efficacité douteuse car d’une part il s’agit d’une mesure procyclique et le collatéral consiste à dépenser de l’argent au moment où on en a le plus besoin, et d’autre part il y a report au moins partiel du risque sur les chambres de compensation qui deviennent elles-mêmes « to big to fall »…. Avec le « bail-out » correspondant c’est-à-dire la ponction du citoyen.

Nous restons ainsi dans une situation qui n’est pas véritablement celle d’un Etat de droit, c’est-à-dire – même sans parler de démocratie- un Etat capable de faire respecter le vivre-ensemble sur la base d’un relatif respect de la sécurité des règles du jeu.

Il semble que les choses se compliquent encore davantage avec la dette publique dont on oublie trop souvent qu’elle sert et servira toujours davantage de collatéral sur tous les marchés. Si les taux deviennent durablement négatifs sur les meilleures dettes, c’est aussi parce que la dette publique correspondante est fortement demandée, que l’on accepte de payer pour en disposer… aux fins de disposer de la matière première devenue indispensable sur les marchés financiers. Sans dette publique sûre quel collatéral serait-il accepté sur les marchés aux fins de continuer à spéculer sur des fluctuations de prix ? On comprend ainsi que la remontée des taux n’est guère envisageable pour les banques centrales car cela aboutirait à des difficultés insurmontables sur le marché du collatéral et l’équilibre de l’industrie financière. Mieux la spéculation sur l’approfondissement des taux négatifs rend plus solides les contrats financiers… Avec des conséquences inverses sur la rentabilité des banques,  la difficulté à attirer du capital et des encours de crédit qui ne progressent plus.

L’énorme pyramide financière n’est pas simplement dangereuse, elle est aussi improductive.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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25 juillet 2019 4 25 /07 /juillet /2019 13:45

Beaucoup d'articles de presse s'interrogent sur les compétences de madame Lagarde concernant ses capacités dans le domaine de la finance. Nous republions ici un texte relativement ancien permettant de se faire une idée  de ce qu'on appelle "Le monde de la Finance". Ultérieurement nous publierons une réflexion qui nous est venue au terme de la lecture d'un petit ouvrage fort intéressant: "Le Banquier et le citoyen, L'Europe face aux crises financières", ouvrage construit par Michael Vincent- ancien de la City - et publié par la Fondation Jean Jaurès. 

            Questions autour de la légitimité d’une hypertrophie financière

L’idée selon laquelle le système financier se serait transformé en gigantesque casino est devenue courante. Avec l’apriori suivant : tout comme au casino il n’y aurait pas de production de valeur et ce qui serait gagné par les uns serait strictement compensé par les pertes des autres.

Tentons toutefois d’apporter quelques éclaircissements à cette comparaison couramment utilisée par les critiques de la finance.

Des producteurs de valeur ajoutée ou de gains à l’échange semblables

Tout d’abord il y a lieu de s’interroger sur l’apport du Casino. Par exemple, quel est le résultat du jeu de l’échange sur les tables de roulettes ? Manifestement les salles de roulettes sont l’équivalent d’un atelier de production de valeur ajoutée classique, et valeur ajoutée faite d’une production ( les sommes nettes perdues par les joueurs diminuées des consommations intermédiaires). Il y a activité spéculative, paris effectués sur des numéros ou des couleurs,  et ce qui est gagné ou perdu par les joueurs est strictement équivalent à ce qui est gagné ou perdu par la banque. Simplement les règles sont ainsi faites que les probabilités de gain de la Banque sont supérieures à celles des joueurs. De quoi payer les charges de fonctionnement et le profit réclamé par les propriétaires.

Non seulement il y a production de valeur au sens de la comptabilité nationale, laquelle ne pourra distinguer une salle de roulettes d’une usine d’assemblage de voitures, mais il y a aussi au sens de la théorie économique un véritable gain à l’échange : Le propriétaire du casino gagne à répondre positivement à la passion du jeu, et les joueurs gagnent à pouvoir s’adonner à leur passion.

Il y a également production de valeur au niveau des salles de marché, lesquelles ressemblent – au-delà des technologies utilisées – aux salles de roulettes. Donc production de valeur au sens de la comptabilité nationale et production de valeur au sens de la théorie économique.

La comparaison, à connotation négative, du monde financier avec les jeux de casino est ainsi peut-être non fondée.

Mais nous ne sommes qu’au début de la comparaison.

Le statut du futur : probabilisable ou incertitude radicale ?

Les règles du jeu de roulette sont simples et connues de tous les participants. Il s’agit donc d’un marché dans lequel l’information est parfaite, sans asymétrie, avec, pour les joueurs, liberté de ne pas entrer dans le marché. L’environnement des salles de roulette est particulièrement stable, en particulier les mouvements de la société n’affectent guère le résultat du jeu. Point n’est besoin de relier la salle à Reuters ou Bloomberg : le mouvement du monde n’affecte pas le hasard de la rencontre entre la boule et un numéro. Et les « états du monde » sont parfaitement connus : probabilité de 1/36 pour les numéros, de 1/2 pour une couleur ou le genre d’un numéro, etc. L’avenir (le résultat du jeu) est inconnu mais il ne saurait réserver de surprise : la boule ne peut se stabiliser sur un numéro ou une couleur qui n’existe pas dans l’univers du jeu de roulette.

Le jeu du marché dans les salles de marché est d’une toute autre nature. Contrairement à ce que laissaient penser Black et Scholes, le monde des salles de marché est plus fractal que gaussien. Cela signifie que des risques extrêmes peuvent se produire, évidemment de façon totalement inattendue. Il s’agit du « Cygne noir » cher à Taleb et « cygne noir » que Mandelbraut avait théorisé dans les années 1960. Il est donc des états du monde totalement imprévisibles, d’où a priori des surprises, comme celle d’une crise financière.

 Le prix de marché remplace le numéro sortant du jeu de roulette, et ce prix est bien une extériorité qui dépend du rapport entre des hommes, rapport entre offre et demande, rapport qu’aucun ne maitrise et sur lequel tous exercent une influence en continue. Au jeu de roulette, la boule se stabilise. Personne ne peut connaitre son numéro d’ancrage, parce que le calcul théorique qui relève de la simple mécanique est tellement complexe, qu’il n’est pas maitrisable par le physicien, d’où l’impression que le résultat relève du hasard.

Le prix d’un contrat sur le marché à terme est d’une autre nature. Les causes du prix sont aussi infiniment complexes, d’où le trop facile et sans doute rassurant passage vers un monde gaussien alors même qu’il en est très éloigné. Prix et hommes agissent en boucle continue avec parfois des sauts déterminés par la contagion des croyances et rumeurs. C’est précisément parce qu’il y a du « social » dans la finance que le futur n’est pas probabilisable. Et c’est, à l’inverse, parce qu’il n’y en a pas dans les salles de jeu que le futur y est probabilisable.

Le caractère non probabilisable du futur dans la finance n’est certes pas confortable, mais il y a hélas beaucoup plus grave : l’inégalité fondamentale entre les joueurs.

Les règles du jeu : claires ou porteuses d’asymétries radicales ?

A l’inverse des salles de jeu où d’une certaine façon la population est homogène au regard du jeu -malgré sa grande hétérogénéité de fait (niveau d’instruction, de richesse etc.)- le monde de la finance est extrêmement hétérogène. Et cette hétérogénéité se reconnait d’abord dans l’asymétrie d’informations, peut-être ensuite dans l’asymétrie de pouvoir de manipulation. Et le tout rend « élastique » le patrimoine financier d’une collectivité. Ce qui signifie que le monde de la finance est celui où tous peuvent gagner  et où tous peuvent  perdre alors que dans les salles de jeu les patrimoines restent constants : ce qui est gagné par certaine est perdu par d’autres. Reprenons ces différents points.

L’asymétrie d’informations est banale et correspond au fait que tous ne disposent pas du même niveau de connaissance concernant la réalité des produits et la réalité des marchés. Plutôt que de parler d’asymétrie d’information, il vaudrait peut-être mieux parler d’asymétrie de connaissances. Au fond personne ne sait, puisque le prix est fonction d’une foule d’actions et de réactions, correspondants à une multitude d’informations. Et le plus souvent actions et réactions sur la base d’une chaine de causalités qui n’est pas scientifiquement établie. De ce point de vue le prix surplombe les acteurs du marché autant que le surnaturel pouvait surplomber les hommes de la pré modernité : il reste encore assez largement inaccessible et mystérieux. Pour autant, tous ne sont pas au même niveau de méconnaissance, et certains monopolisent des informations inaccessibles à beaucoup d’autres. C’est le cas des mathématiciens constructeurs de produits- algorithmes-  qui précisément apparaitront comme exotiques pour beaucoup d’acteurs. C’est aussi le cas de ceux qui maitrisent le mieux la vitesse de transmission de l’information en se trouvant par exemple plus proche de sa source. Exemple qui nous fait penser au trading informatisé et à la sophistication des algorithmes. Mais c’est aussi bien sûr, le cas de ceux qui disposent d’informations confidentielles et flirtent avec la notion de délit d’initié : il ne saurait- quoiqu’on en dise- exister de muraille de Chine dans les grandes institutions financières.

Cette première asymétrie est fondamentale et permet de comprendre l’énormité des rémunérations des plus talentueux, avec la fantastique résistance à toute modération des bonus. De ce point de vue, le risque de délocalisation est très réel et il sera impossible de réglementer sérieusement les rémunérations des principaux acteurs. Traders des marchés financiers et croupiers des salles de jeux, ne sont pas dans le même monde, et parce qu’aucune connaissance rare et stratégique n’est exigée chez ce dernier, sa rémunération ne sera guère comparable à celle du trader. Les énormes rémunérations des financiers peuvent partiellement relever d’un talent (ils apportent de la valeur en sécurisant ou en diminuant le cout d’une transaction), mais elles relèvent aussi d’une rente de situation.

L’asymétrie du pouvoir de manipulation est sans doute ce qui prolonge assez naturellement l’asymétrie des connaissances. Les cours, sur les marchés financiers, sont manipulables par les plus puissants, surtout s’ils disposent des possibilités de la globalisation financière, aujourd’hui ,il est vrai, partiellement remise en cause par les règles Volke, plan Vickers, lois de séparation des activités bancaires, etc. Ainsi des offres volumineuses d’achats immédiatement annulées, permettent de faire grimper un cours pendant un très court instant (quelques secondes et souvent beaucoup moins), et court instant mis à profit pour vendre. Le gain va ici chez le manipulateur de cours, gain éventuellement partageable avec celui qui aura été informé. Ce dernier cas est juridiquement un délit d’initié…qui ne peut évidemment être prouvé. La technologie fait ici barrage à l’application de la loi, et c’est l’une des  raisons pour laquelle Maurice Allais voulait conserver la cotation unique quotidienne et manuelle.

Le pouvoir de manipulation peut aussi être plus radical lorsque la loi – c'est-à-dire le tiers qui surplombe le jeu- disparait au profit des acteurs du jeu lui-même, c'est-à-dire des professionnels impliqués, à qui l’on confie la régulation du système. C’est ce qu’on a appelé la dérèglementation ou la dérégulation. Chacun sait aussi que lorsque le régulateur public existe, il est souvent capté, ou à tout le moins sollicité par les lobbystes. A titre d’exemple, la directive européenne sur les « hedge funds » et les fonds de « private equity »  a fait l’objet de 1690 propositions d’amendements en provenance de l’industrie. Beaucoup plus grave est sans doute les acteurs du comité de Bâle dans lesquels les Etats ne sont même pas représentés.

« L’élasticité du volume des patrimoines financiers », fait qu’à l’inverse des tables de jeux, des bulles vont régulièrement se former, et exploser tout aussi régulièrement. Parce que les objets financiers ne sont jamais une réalité, pensons au Bitcoin, mais une simple représentation ou un simple reflet, et quelquefois même reflet de reflet pour les produits les plus complexes, il y a toujours incertitude quant à leur valeur objective. Et incertitude concrètement vérifiée, par le mouvement incessant des hausses et des baisses de prix. A l’inverse de nombre de marchandises réelles classiques, une hausse de prix, peut entrainer une augmentation de la demande, entrainant une nouvelle hausse, et par un processus de contagion mimétique, développer une bulle. Il en résulte des phénomènes d’enrichissement, ou d’appauvrissement globaux, gravement perturbateurs à l’échelle macroéconomique. Et effets accrus en raison des interventions des banques centrales qui- à titre d’exemple-  développent  des hausses par le biais du « Quantitative Easing ».

La machine à produire d’incorrigibles inégalités.

Les différentes asymétries et bulles intrinsèques à la finance, sont génératrices d’une aggravation des inégalités sociales, et inégalités plus ou moins bien supportées selon les codes et normes sociales en vigueur, et donc selon les pays. De ce point de vue, l’emprise toujours plus grande des salles de marché, est beaucoup plus insupportable là où la passion de l’égalité est encore en vigueur (France), que là où la liberté est une valeur beaucoup plus importante que l’égalité (Grande Bretagne).

Le Fordisme classique, redistribuait d’autant plus volontiers les gains de productivité, que le lieu d’où ils jaillissaient, était outil de production construit et utilisé collectivement. Il était difficile de savoir, quel ingénieur, quel agent de maitrise ou ouvrier, était plus responsable que d’autres dans l’émergence du surplus de production. D’où, à l’époque, le caractère très contenu des échelles de rémunération. La salle de marché, est un rassemblement d’individus autour d’un outil technique, qui permet de lire à l’euro près ce que tel ou tel agent produit. L’atelier fordien était lieu de production indivise. La salle de marché est peuplée d’artisans, et chacun exige un bonus qui est une fraction d’une production artisanale très personnalisée.

Maintenant la financiarisation du réel étant en pleine expansion, se met en place les deux lames d’un ciseau, qui d’un côté, tend vers une hausse sans limite des rémunérations liées à la finance, et de l’autre, une pression sur les basses rémunérations dans le secteur de la « réalité », en raison des délocalisations facilitées par ce que nous appelions les « autoroutes de la finance ». Les salles de jeu appauvrissent fréquemment ceux qui jouent trop souvent (il existe un biais statistique en faveur du propriétaire du casino), mais les salles de marché appauvrissent ceux qui ne participent pas aux jeux financiers, ou plus exactement, tendent à déchirer les mondes où la valeur de l’égalité, était croyance et projet collectif. Ainsi, et d’une certaine façon, les salles de jeu ne développent pas d’effets externes majeurs ( a priori pas trop de pollution) tandis que les salles de marché développent des externalités négatives de grande ampleur.

Il ne reste que des paris sur fluctuations de prix ….à prix fort élevé.

Les salles de roulettes, au surplus non reliées au sein d’une chaine planétaire, sont le lieu de spéculations aux conséquences simplement microéconomiques. Les salles de marché complètement intégrées sont le lieu de paris aux conséquences macroéconomiques mondiales. Cette démesure de la finance apparait pourtant très utile : elle assure en principe la sécurité des transactions, permet de lutter contre l’incomplétude des contrats, et diminue considérablement les couts correspondants. Concrètement, le marché à terme du kérosène et les gigantesques contrats auxquels il va donner naissance permet aux compagnies aériennes d’avoir de la visibilité sur une consommation intermédiaire représentant l’essentiel des couts desdites compagnies. Et des couts qui seraient autrement plus élevés s’il fallait se sécuriser par des stocks privés sur l’ensembles des aéroports utilisés. Et bien évidemment ce marché à terme sera d’autant plus satisfaisant pour ces acteurs s’il est fortement nourri par de la liquidité c’est-à-dire par la présence d’une multitude d’autres acteurs qui, regards rivés sur des écrans, n’ont pas à connaitre la nature profonde de l’actif travaillé c’est-à-dire du kérozène…

Ces agents infiniment plus nombreux que les compagnies aériennes sont des financiers qui peuvent se nommer « parieurs sur fluctuations de prix » et sont pourtant généralement faussement désignés « investisseurs ». Il s’agit bien sûr des spéculateurs. Et spéculateurs dont on sait qu’ils sont- en raison de leur poids- les acteurs en position quasi hégémonique sur le marché.

Leur apport est ambigu et ne peut être mesuré facilement par la valeur ajoutée de la comptabilité nationale. Très certainement, les paris sur fluctuations de prix, prennent une place croissante dans la valeur ajoutée bancaire, notamment au niveau des méga- banques américaines. Pour autant, on sait depuis le regretté Alfred Sauvy, que l’une des insuffisances de la comptabilité nationale, est de sommer des valeurs ajoutées… qu’il faudrait pourtant de temps en temps soustraire. Et chacun peut avoir en tête, pour en rester à l’exemple des hydrocarbures la consommation de carburant supplémentaire, provoquée par les bouchons dans les villes.

Replacé dans le contexte des salles de marché, les valeurs créées doivent- elles être ajoutées ou retranchées à la richesse nationale produite ? Il est possible de répondre à la question en la transformant : l’interdiction des paris sur fluctuations de prix déboucherait-elle sur une baisse relative du PIB ? Réponse assurément positive, si l’interdiction en questions (devises, matières premières, titres , etc.) aboutissait à des grippages de l’économie réelle : moins d’échanges risqués et davantage de stocks à financer pour contrer une trop grande volatilité des prix, demande globale en baisse par « effet richesse » devenu assez probablement négatif, etc.

Microéconomie et Macroéconomie

Et cette conclusion est banalement la bonne réponse car il est clair que si les entreprises de l’économie réelle se prêtent de plus en plus massivement aux jeux financiers (aujourd’hui tout est objet de financiarisation depuis les taux de change jusqu’aux produits viviers les plus banaux) c’est en raison de calculs microéconomiques simples : la financiarisation généralisée permet de diminuer les couts d’une gestion plongée dans la globalisation et la mondialisation. Exprimée de façon plus savante, l’hypertrophie financière se développe tant que les couts de la couverture des risques restent inférieurs au supplément de profit obtenu par ladite couverture. Et si les couts diminuent en raison des gains de productivité issus d’une technologie financière plus performante, il y a de la place au développement de cette boursoufflure sur le visage des sociétés. Il est donc compréhensible que des entreprises de l’économie réelle s’équipent- directement ou indirectement- de véritables salles de marché ( TOTAL ; EDF ; etc.) avec parfois æun nombre d’emplois crées rivalisant avec ceux du métier de base qui traditionnellement les définissait dans l’ancien monde.

Les externalités microéconomiques de la finance sont donc globalement positives. Son gigantisme est le produit d’une volonté de réduction des risques des agents de l’économie réelle, risques partagés et reportés sur une multitude considérable d’acteurs, et multitude qui fait la taille à priori aberrante de la finance. A cet égard peu de transactions paraissent illégitimes et même le rachat d’actions à partir de dettes nouvelles et donc de création monétaire est micro économiquement compréhensible. Plus globalement les modèles économétriques tels ceux construits par Natixis (Flash Eco N°1495) révèlent que la croissance économique est positivement reliée à celle de la finance

Par contre la financiarisation développe des externalités dotées d’une puissance illimitée et possiblement catastrophique au plan macroéconomique. Dire cela constitue une banalité puisqu’il s’agit d’une réalité empiriquement constatée : les périodes de répression financière sont historiquement celles d’une forte croissance tandis que les périodes de libéralisation furent marquées par des crises de grande ampleur, d’abord financière, puis économiques, et parfois des catastrophes politiques. Parce que le système financier est systémique et que le shadow banking n’est pas séparable du système bancaire, tout défaut ou risque de défaut de quelque importance développe des externalités à l’échelle planétaire.

Les banques doivent-elles conserver un quasi-monopole dans la création monétaire ?

Il faut pourtant s’interroger sur ces périodes de déréglementation ou libéralisation financière. A chaque fois il s’agit de libéraliser le processus de création monétaire en le laissant dans la main des banques, de sorte que toute addition de monnaie corresponde aussi à de la dette supplémentaire : il n’y a pas ou plus de monnaie sans dette assortie d’un taux de l’intérêt. Si maintenant il y a croissance économique avec libéralisation de tous les prix y compris des taux de change et totale libération du mouvement des capitaux, on comprend qu’il y a là tous les ingrédients propres à augmenter considérablement la base monétaire (pour des PIB croissants, des déséquilibres aussi bien budgétaires qu’extérieurs, des besoins de couverture, etc.). On comprend aussi puisque la base monétaire n’est que de la dette, que ces phénomènes sont inéluctablement engendreurs de risques de défauts  croissants ….qu’il faut couvrir par de nouveaux produits financiers….dont la matière première est une consommation supplémentaire de dette…Le cercle est bouclé.

Quand maintenant nombre d’experts, claironnent sur les risques d’un modèle de croissance qui reposerait sur de la dette, et s’alarment du fait que la dette cumulée mondiale serait passée de 234,6% du PIB mondial en 2006 à 275% en 2016, ils se trompent en affirmant que les leaders politiques n’ont pas entrepris les réformes structurelles requises pour restaurer la croissance. Le vrai problème n’est pas au cœur de l’économie réelle mais dans celui de la finance qui ne devrait plus produire de la monnaie sur la base d’une dette. Nous entrons là dans le grand débat de la monnaie pleine.

 

 

 

 

 

 

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24 juillet 2019 3 24 /07 /juillet /2019 05:19

Le texte qui suit est issu d'un article que j'ai signé avec des collègues et qui vient d'être publié sur La Tribune sous le titre suivant:

"Il est possible et il est temps de revenir sur l’erreur de la vente de la branche énergie d’Alstom".

Tous les Français le savent, Alstom énergie, un des leaders mondiaux dans les infrastructures de production d’électricité a été racheté en 2015 par l’américain General Electric, entreprise aujourd’hui en difficulté financière.

Alstom énergie est une entreprise stratégique produisant notamment les turbines Arabelle des centrales nucléaires françaises, les turbines du porte-avion Charles de Gaulle et d’autres navires militaires français, des turbines pour les centrales thermiques, hydrauliques ainsi que de nombreux produits de production et de distribution d’électricité. Cette entreprise a été construite par la commande publique et fait partie du patrimoine industriel des Français. Lorsqu’elle a été rachetée, Alstom mettait un pied dans les énergies renouvelables avec la mise au point et la fabrication d’éoliennes. Le secteur de l’énergie est un domaine stratégique pour tous les pays, d’autant plus depuis que la transition énergétique est devenue un enjeu mondial.

Il est inconcevable que le bon fonctionnement, la sécurité de nos centrales nucléaires et la propulsion du porte avion Charles de Gaulle dépendent du bon vouloir d’une entreprise étrangère. L’autorisation de cession de cette entreprise à l’américain General Electric, le 5 Novembre 2014, a été une erreur du ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron. Le président Macron peut aujourd’hui réparer cette erreur.

General Electric étant en difficulté financière et souhaitant recentrer ses activités dans l’énergie sur les turbines à gaz, est naturellement vendeur de la partie nucléaire voire d’une partie plus importante des activités d’Alstom qui lui rapporteraient l’argent nécessaire à sa bonne marche. L’Etat français dispose d’une « Golden Share » qui donne un droit de regard en cas de vente de la partie nucléaire d’Alstom. Au surplus, l’ancien ministre de l’économie Arnaud Montebourg a déclaré devant le Sénat que les circonstances de la vente d’Alstom énergie constituent un vice de consentement (pressions judiciaires américaines intentionnelles sur de hauts cadres d’Alstom); nous avons l’appareil juridique pour l’annuler. Nous disposons donc de l’ultime arme de négociation pour la reconquête de tout ou partie de notre souveraineté énergétique.

L’ancien numéro 3 d’Alstom, Frédéric Pierucci, s’est assuré de disposer de suffisamment de capitaux majoritairement français pour racheter la partie nucléaire d’Alstom. Il y a donc au moins un repreneur privé français pour cette activité stratégique. Et s’il y en d’autres, tant mieux et que le meilleur gagne. Emmanuel Macron a donc toutes les cartes en main pour racheter au minimum la partie nucléaire d’Alstom. Il aura ensuite le choix de la conserver dans le domaine public avec l’appui de la CDC et de la BPI ou de la revendre à une entreprise privée française.

Personne ne peut penser que le président français gâche une telle occasion de préserver des emplois, des savoir-faire français, des technologies de pointe et la sécurité nationale de notre pays. La dépendance en matière militaire ou énergétique serait une trop grande faiblesse pour la France.

 

Signataires :  Jacques Sapir économiste et directeur d’études à l’EHESS, Olivier Berruyer journaliste Les crises.fr, Jean-Luc Gréau économiste et ancien conseiller du Medef, Claude Rochet économiste et haut fonctionnaire, Jean-Claude Werrebrouck économiste et ancien professeur à l’Université de Lille 2, Philippe Murer économiste, Roland Hureaux essayiste et haut fonctionnaire, Henri Temple co-fondateur puis directeur du Centre de droit économique du marché (Université de Montpellier), expert international, philosophe, Gérard Lafay économiste et professeur émérite à l’Université de Paris 2, Guillaume Bigot politologue et essayiste, directeur général du groupe IPAG Business School, Hélène Nouaille Directrice de la rédaction chez La lettre de léosthène et spécialiste de géopolitique, Bertrand Renouvin essayiste et président de la NAR, Jean-Pierre Gérard, économiste, industriel et ancien membre du Conseil de Politique Monétaire de la Banque de France; Claude Gaucherand, contre Amiral; Jacques Hogard, Colonel.

 

 

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4 juin 2019 2 04 /06 /juin /2019 15:10

 

L’Italie se prépare à un bras de fer avec la commission européenne. Pour cela son parlement vient de lancer une offensive en actant le principe de l’émission par le Trésor de « mini- boots » destinés  à fluidifier les paiements entre Trésor et entreprises ( retards de paiement et dette fiscale). Entre cet outil à première vue technique et l’émission d’une monnaie parallèle rétablissant le circuit du Trésor à la française, il n’y a qu’un pas…mais aussi une forte menace sur l’euro et l’ensemble de la construction européenne. L’an dernier nous avions déjà publié une réflexion sur cette monnaie parallèle, monnaie imaginée par Varioufakis en Grèce en 2015 et dispositif rejeté par le premier ministre grec. Une occasion de renouer avec ce qu’on appelle la « Théorie Monétaire Moderne » très débattue aujourd’hui aux USA avec Stephanie Kelton.

 

L’Italie et la redécouverte de la monnaie comme instrument de souveraineté

On sait que la monnaie unique a fait disparaitre le lien fondamental qui, historiquement, reliait la monnaie à l’Etat. Au moment où des partis eurosceptiques prennent le pouvoir, il n’est pas inutile de rappeler ce fait.  Ce que l’on peut désigner par « big bang » des Etats, c’est-à-dire leur origine et leur naissance se comprend le plus souvent comme un processus faisant apparaitre un lien entre un créancier - le prince - et des débiteurs - les sujets - lien largement confirmé par un objet politique qu’on appellera « monnaie ». Toujours sur le plan historique, cet objet sera du métal précieux contrôlé par le prince, métal qui, par sa suprême liquidité, pourra servir au paiement de mercenaires voire de dettes envers d’autres princes. Le pouvoir, en sélectionnant l’objet servant au paiement des dettes invente déjà ce qui sera ultérieurement le circuit du Trésor. Il faudra payer tout ou partie du montant de l’impôt en métal précieux, lequel redescendra dans la société par la voie de la dépense publique. Une bonne partie de l’histoire monétaire peut se lire au travers de 2 lignes de forces, l’une verticale, celle de l’Etat et de son circuit du Trésor, et celle horizontale des marchands et financiers qui chercheront à utiliser au mieux, voire à contrarier la puissance du prince. Dans ce monde, il est important de contrôler mines de métal et « hôtels des monnaies » qui, de fait, seront les premières banques centrales. A partir de ces dernières, un « seigneuriage » sera d’autant plus facilement prélevé que le métal étant « réserve de valeur » sa thésaurisation potentielle entraine une rareté elle-même accrue par les besoins d’une économie qui se développe.  

Il est important de rappeler cette trop rapide fresque historique pour comprendre le démantèlement des Etats résultant de la construction de « l’euro système ». La banque centrale est devenue un objet séparé des Etats avec l’idée d’indépendance de l’institut d’émission. Mieux, les Etats qui, encore au vingtième siècle, pouvaient partiellement se nourrir de seigneuriage, par exemple les fameuses « avances non remboursables » au Trésor sont devenus des « interdits bancaires ». Chaque Etat dispose d’un compte du Trésor à sa Banque centrale, mais il est interdit à ladite banque de lui accorder un quelconque crédit. Et s’il existe une politique monétaire, elle est le fait d’une institution complètement extérieure, la Banque Centrale européenne qui,  de par sa vocation holistique, ne peut s’adapter aux réalités économiques spécifiques de chacun des pays de la zone.

C’est dans ce contexte qu’il faut imaginer la volonté du nouveau pouvoir italien d’émettre des certificats de Trésorerie, un peu comme jadis les hôtels des Monnaies frappaient le métal. Et le but serait de remédier à une situation économique particulièrement difficile.

De façon très résumée cette situation économique de l’Italie résulte pour l’essentiel d’une stagnation, voire un déclin exceptionnel de la productivité du travail, laquelle passe de 100 en 1996 à 98 en 2018. Soulignons que, dans le même temps la productivité du travail est passée de 100 à 150 aux USA, de 100 à 130 en Grande Bretagne, et de 100 à 120 en Allemagne. Ce fait fondamental, assorti d’un partage des revenus défavorable aux entreprises, explique la faiblesse de la rentabilité du capital, celle de l’investissement et au final la stagnation en longue période du PIB. Stagnation qui entrainera un affaissement international du pays que l’on pourra mesurer par l’évolution relative de sa compétitivité internationale :  hausse de 70% du volume des exportations depuis l’avènement de la monnaie unique, à comparer avec les hausses correspondantes pour la France (130%), ou mieux l’Allemagne (230%). Bien évidemment, on notera une grande corrélation entre ces faits et l’irruption de la monnaie unique, et corrélation aussi entre les dévaluations régulières de la Lire de jadis et l’extraordinaire réussite industrielle italienne jusqu’à la fin des années 80. Une réussite qui se déversait, certes plus modestement, dans le sud du pays grâce à des taux de change tenant compte de l’improductivité relative du sud par rapport au nord. En clair une Italie hétérogène adoptant déjà une monnaie unique pour l’ensemble du pays, mais une monnaie adaptée à la région la moins prospère.

Côté financier,- il faut bien sûr rappeler une dette publique colossale (132% du PIB) et donc un service de la dette venant naturellement s’ajouter aux dépenses publiques. Il faut aussi rappeler un stock élevé de créances douteuses (plusieurs centaines de milliards d’euros) alourdissant les bilans d’un système bancaire fragile.

C’est dans ce contexte que vient l’idée de monnaie parallèle qui, de par son double effet apparent d’instrument supplémentaire de la dépense publique et de réducteur d’imposition, est un point d’accord entre des partis au pouvoir dont les buts sont divergents.

L ’objectif est bien évidemment de renouer avec une croissance forte elle-même nourrie par des gains de productivité élevés issus d’investissements de modernisation tout aussi (quantitativement et qualitativement) importants. Tout aussi évidemment, il s’agit de desserrer les contraintes de la monnaie unique qui, dans le cas italien, imposent un excédent budgétaire primaire très élevé en raison d’un service de la dette très lourd. Contraintes qui entrainent un climat continuellement récessif et le déclin marqué du pays.

La victoire des partis dits « populistes » correspond ainsi à la volonté de mettre fin à cette situation.

Le principe de la monnaie parallèle est alors assez simple : il s’agit de construire un instrument de paiement, qui ne peut être juridiquement interdit par Bruxelles et qui permet de desserrer l’étau de la contrainte budgétaire. Cet instrument est un « bon de Trésorerie » émis par le Trésor lui-même qui servira de paiement de tout ou partie de l’impôt pour son détenteur. Concrètement, l’Etat règle ses engagements (achats, subventions, dette) par des Bons, lesquels - au terme d’une circulation correspondant au monde des affaires - viendront en déduction des montants d’impôts à payer au Trésor. Beaucoup de choses peuvent être imaginées ici : qualité des bons assis sur différents types d’impôts (TVA, Revenu, etc.) échéance du titre (court terme, moyen terme, etc.), qualité des bénéficiaires (investisseurs, producteurs, consommateurs, etc.). On peut aussi imaginer un paiement du service de la dette publique par émission de bons de trésorerie, ce qui revient à diminuer la charge de ladite dette. On peut ainsi imaginer des modalités nombreuses qu’il convient d’instruire en fonction des objectifs et de leur efficience.

Mais beaucoup de questions se posent immédiatement : si le titre est un instrument de paiement, sera -t-il assorti d’un cours légal ? un cours forcé ? Y aura-t-il mécaniquement un marché secondaire du bon de trésorerie ? une « loi de Gresham»? Plus fondamentalement, les défenseurs de l’euro proclameront que le déficit caché ne peut l’être très longtemps puisque la procédure revient à augmenter les dépenses publiques tout en diminuant à terme les prélèvements. On cache le non-respect des traités aujourd’hui… mais ils réapparaitront demain affirment les défenseurs de la monnaie unique.

A ce risque, la réponse est simple et consiste à considérer que la croissance retrouvée permettra des recettes fiscales supérieures au volume des bons en circulation, croissance et réduction du déficit fiscal allant de pair. En allant plus loin dans le concret, on peut imaginer que le supplément de dépense publique, par son effet migratoire, allège successivement les contraintes comptables de toutes les instances productives ou consommatrices. Une commande publique redresse une rentabilité ici… qui permet un règlement de dette là, un crédit ailleurs, un investissement plus loin, etc. De quoi assainir une relation particulièrement complexe en Italie entre banques chargées de créances douteuses et entreprises en difficultés générant les dites créances, une situation qui rappelle un peu celle de l’aveugle et du paralytique. Plus la chaine est longue et plus l’efficience des bons de trésorerie est grande. Inversement plus elle est courte et plus l’efficience est faible.

C’est la raison pour laquelle, dans cette affaire, la confiance est importante : si les bons deviennent une quasi monnaie, l’économie italienne pourra redémarrer. Inversement si la confiance est faible ou fragile l’effet risque d’être catastrophique.

Cette confiance peut- elle -même- être mesurée par la différence entre taux italien et allemand sur la dette publique, ce qu’on appelle le « spread de taux ». Si le lancement des bons de trésorerie réduit le spread de taux, cela signifie qu’il n’y a pas de fuite de capitaux, que la confiance règne, et que rien n’est entrepris pour détruire les effets positifs des bons sur l’activité économique. Dans ce cas le succès est probable et, en longue période, cela peut signifier que le retour de gains importants de productivité peut éviter la dévaluation et le retour de la Lire. Bien entendu cela suppose que ces gains de productivité soient significativement supérieurs à ceux des voisins de l’euro zone et vienne ainsi permettre le maintien de la monnaie unique : l’équivalent d’une quasi dévaluation interne se substituant à une dévaluation externe qui continue de rôder….

Nous ne connaissons pas le chemin qui se dessinera mais il est intéressant de noter que le dispositif qui va peut-être émerger remet en selle des principes radicalement opposés à toutes les croyances et dogmes du monde de la finance. Les bons de trésorerie deviennent une quasi-émission monétaire orchestrée par l’Etat, soit l’équivalent de ce qui existait lorsque banques centrales et Etats ne formaient de fait qu’une seule et même institution. Réalité qui s’oppose au principe devenu planétaire depuis la prise progressive du pouvoir par la finance partout dans le monde et qui a partout exigé l’indépendance des banques centrales et la fin de toute forme de seigneuriage au profit des Etats.

Bien évidemment l’émission de bons risquera très vite, comme nous le suggérons, d’élargir le spread de taux ce qui peut amener le gouvernement italien à mettre en place un contrôle des changes ….et renforcer les doutes… d’où un cercle vicieux possiblement catastrophique. Il faut donc comprendre que logiquement les acteurs du monde de la finance vont entrer en guerre contre le gouvernement italien et, de fait, tenter de le décrédibiliser. L’arme privilégiée étant de proclamer haut et fort que le gouvernement va ruiner les épargnants…

La chose ne sera pourtant pas facile car l’arme en question peut très bien se retourner contre ses utilisateurs si l’Etat italien s’appuie sur une souveraineté réaffirmée. On peut en effet imaginer la contagion suivante :

-la hausse des taux sur la dette italienne débouche sur un contrôle des changes et un essaimage vers les pays les plus endettés (Espagne) ;

- La baisse des cours affaiblit les banques européennes porteuses de dettes italienne (soit selon les chiffres fournis par « l’European Banking Association » près de 25 milliards d’euros de titres  pour les banques espagnoles, 30 milliards d’euros pour les banques françaises… et 172 milliards d’euros pour les banques italiennes) ;

-Mais elle affaiblit aussi- par contamination-  les banques européennes porteuses de dette espagnole ( 13 milliards d’euros pour les banques françaises, 23 milliards pour les banques italiennes …et 211 pour les banques espagnoles) ;

-l’émission de bons de trésorerie entre en difficulté : on ne peut sauver les banques- en crise d’illiquidité- avec de tels titres , et plus encore on ne peut faire face au passif extérieur net (10 % du PIB italien selon NATIXIS) avec ces mêmes titres…tandis que l’Espagne contaminée ne peut honorer ses engagements extérieurs (80% de son PIB selon la même source) ;

- explosion finale de l’euro avec ses conséquences sur tout ou parti des actifs nets extérieurs allemands (60% de son PIB selon NATIXIS), ce qui représente une gigantesque perte en capital pour le pays, auquel il faut ajouter la disparition de sa « compétitivité cout » par une réévaluation élevée (30% ?)

L’exercice assumé de la souveraineté de l’Italie et la panique des marchés sont ainsi porteurs d’un rétablissement des souverainetés chez tous les voisins.

L’ampleur d’un tel processus, sans doute élargi encore par l’énormité des stocks de produits dérivés contaminés, est évidemment connu de nombre d’acteurs et Il est certes possible d’imaginer un autre scénario plus complaisant avec le rétablissement d’un circuit du Trésor en Italie. On peut imaginer une Allemagne, très inquiète devant un risque majeur, devenir réaliste et fermer les yeux sur la monnaie parallèle italienne…qui dès lors essaimerait dans d’autres pays…et finirait par transformer l’euro- quasi-spontanément- en monnaie commune. Un tel dispositif mettrait fin au grand démantèlement des Etats et permettrait à ces derniers de retrouver l’essentiel de leur souveraineté. Le couple monnaie/Etat, momentanément abandonné par l’aventure fort singulière de la monnaie unique, serait reconstitué et permettrait le retour des fondements démocratiques des sociétés européennes.

                                                                                                                      

 

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3 juin 2019 1 03 /06 /juin /2019 12:20

                                     

La campagne pour l’élection du parlement européen n’a pas permis d’évoquer ce qui reste le talon d’Achille majeur de l’UE c’est- à -dire l’euro. Il est vrai que toutes les listes étaient, sans le dire ou le disant, favorables à la monnaie unique et l’expérience montre que toute critique fait perdre des voix sur les marchés politiques. D’où la prudence d’un gouvernement italien avec ses « mini-boots » dont on dit qu’ils ne seront jamais émis et qu’à fortiori ils ne seront jamais une monnaie parallèle. Pour autant l’euro n’a rien perdu de sa foncière nocivité et nous voudrions ici le rappeler en reprenant un teste déjà ancien écrit en décembre 2017 à l’occasion d’une conférence.

 

La banalité d’un avant euro

Les  nations qui s’acheminent vers l’ euro à la fin du siècle précédent sont, au regard d’une multitude de critères, très différentes : taille, forme d’Etat, systèmes politiques, fiscalité, administration, tradition culturelle, régime démographique, niveaux de formation, structures économiques, niveaux de développement, poids de l’internationalisation, systèmes monétaires et financiers, importance des avoirs et dettes vis à vis de l’étranger, inflation, croissance et gains de productivité, investissements en RD, etc. Et sans doute la productivité et son évolution sont de bons indicateurs de l’identité de ces passagers qui s’apprêtent à choisir la monnaie unique.

La mise en contact économique de mondes différents générait traditionnellement 2 prix fondamentaux : le taux de change et le taux de l’intérêt, le second étant lié au premier[1]. Ces deux prix sont ainsi les pièces permettant l’articulation -telle celle de deux portes d’écluse permettant la mise en contact entre deux biefs d’un canal -  de mondes différents. Ces deux prix ne sont pas nécessairement des prix de marché et l’écluse peut-être politiquement organisée : liberté ou pas de la circulation des capitaux ? contrôle des changes ou pas ? droits de douanes ? quotas d’importations ? protection réglementaire et normative ? quelle politique monétaire ? quelle politique budgétaire ? Bref, il existait comme sur les canaux des équipements ou outils secondaires permettant le bon fonctionnement de l’écluse.

Tous sur  le même canal.

Avec l’euro, les écluses sont supprimées et tout le monde va devoir apprendre à vivre et circuler sur un canal non régulé… selon notre image, sans biefs amont et sans biefs aval : monnaie unique et taux de change définitif…c’est-à-dire éternel…même banque centrale et même politique monétaire, politique budgétaire imposée, libre circulation du capital, marché unique, etc.

 Fin des écluses et navigation dangereuse.

Les diversités fort banales de l’avant euro vont devenir des lieux aux  divergences croissantes, lesquelles sont empiriquement constatées : hausse de 33% de la production industrielle en Allemagne mais baisse partout ailleurs…. Comme si ce bief aval que devient l’Allemagne se trouvait inondée par son industrie et les biefs amont asséchés.  Les inégales productivités et leurs croissances inégales vont très vite faire naitre des problèmes que l’on cherchera à masquer.

Les deux prix fondamentaux (taux de l’intérêt et taux de change) – devenus des extériorités pour chaque nation- vont imprimer des chemins divergents. L’Allemagne ne risque plus de dévaluation compétitive vis-à-vis de ses partenaires et donc le secteur exportateur industriel peut davantage investir sans risques. Parce que les traditionnelles fragilités monétaires des voisins disparaissent les taux de l’intérêt peuvent baisser sur le reste de l’Europe, d’où l’opportunité de diminuer les cots sur les dettes publiques française ou italienne et bien sûr grecque. D’où un crédit à la consommation moins onéreux assorti d’une monnaie solide et donc le développement d’une consommation jusqu’ici muselée par les deux prix susvisés.

Les inégales productivités se renforcent et vont de plus en plus justifier des spécialisations catastrophiques : dépendance de l’Allemagne vis-à-vis de son secteur exportateur, de la France vis-à-vis de son Etat Providence qui se gonfle sous les effets de la désindustrialisation, de l’Espagne vis-à-vis de son secteur immobilier qui se nourrit de taux bas, de la Grèce vis-à-vis de sa consommation rapidement croissante de marchandises qu’elle ne produira plus. Et à force de s’industrialiser d’un côté et de s’acheminer fort logiquement et fort rationnellement vers d’autres choix ailleurs (immobilier, consommation, fonction publique) la divergence entre les productivités ne fera que s’accroitre, accroissant du même coup les forces centrifuges et tendances à l’écartèlement. Ces choix fondamentaux ne peuvent que s’autorenforcer car l’efficience productive est le propre de l’industrie et beaucoup moins celle des services. Il en découle que logiquement l’Allemagne doit être de plus en plus riche et le sud de plus en plus pauvre. La fin des écluses inonde le bief aval et dessèche les biefs amont.

La dette ou le renflouement par l’artifice des pompes.

 Les exportations allemandes vers le reste de la zone et en particulier le sud, doivent être payées par des clients qui, eux, situés dans des zones qui ne disposent pas de ressources pour exporter vers l’Allemagne. Clairement ils ne disposent pas des réels moyens de paiement nécessaires à leurs achats de produits allemands. C’est donc avec des revenus insuffisants que l’on va acheter les exportations allemandes. D’où l’idée de dette. Il n’y a de surplus net de l’Allemagne que parce qu’il y a déficit net du sud. En reprenant la métaphore du canal, la circulation dans les biefs amont (les pays du sud) ne peut reprendre que si l’on arrive à faire remonter- par exemple à l’aide d’une pompe-  de l’eau depuis le bief aval (l’Allemagne). 3 types de pompes furent successivement employées.

 

Première pompe : Acheter les marchandises allemandes avec des crédits bancaires : Des banques du nord, allemandes ou non, qui s’installent directement ou indirectement dans le sud, peuvent prêter à des acheteurs du sud lesquels importeront des marchandises allemandes. Avec cet argent, les fournisseurs allemands pourront faire face à leurs charges, pourront investir, moderniser leur outil de production. Au-delà, ils pourront aussi se constituer une épargne qui, par exemple, s’investira dans des fonds de pension, pouvant eux -mêmes recycler l’épargne constituée dans des crédits aux banques du nord effectuant des prêts dans le sud. ….Le circuit est rétabli et  la pompe du système financier vient se substituer aux écluses disparues…

Deuxième pompe : Acheter les marchandises allemandes avec du déficit budgétaire : les Etats du sud qui se désindustrialisent, embaucheront des fonctionnaires, se livreront à de lourdes dépenses au profit des citoyens lesquels -bardés de revenus non économiquement créés-  pourront continuer à alimenter le surplus allemand. La dette publique ainsi émise pourra être achetée par des fonds de pension allemands accueillant la nouvelle épargne allemande résultant de la croissance du surplus allemand. Et si le surplus allemand se pérennise et s’accroit vis-à-vis du sud, alors logiquement la dette du sud doit tout aussi logiquement augmenter. Bien sûr il pourrait être mis fin au surplus s’il existait une barrière aux exportations allemandes (droits de douane, quotas, dévaluation, contrôle des changes, etc.), mais chacun sait que ces barrières sont interdites par les Traités et n’ont aucun sens sous le règne de l’euro. Et bien sûr cette fin du surplus serait aussi la diminution de la dette…et de l’épargne allemande figurant sous la forme de titres financiers. …Dans notre image du canal dépourvu d’écluses, si l’on met en place une pompe ce n’est pas pour en réduire son efficience…La bonne circulation dans le canal malgré la fin des écluses passe par une pompe….

Troisième pompe : Acheter les marchandises allemandes avec les largesses de la Banque centrale européenne : Les choses peuvent encore devenir plus folles, et si les banques du sud commencent à voir que la dette devient trop importante et trop risquée, alors il serait bon d’assurer un minimum de sécurité en impliquant directement les banques centrales. Globalement, les banques centrales des pays dont les citoyens achètent le surplus allemand, vont financer les banques de leur Etat, voire l’Etat lui-même, ce qui signifiera qu’elles s’endettent auprès de la BCE…. dont le principal actionnaire est l’Etat allemand. Nous avons là toute l’inquiétude qui se manifesta à propos des soldes « TARGET2 ». ..Selon notre image si les premières pompes s’avèrent insuffisantes alors mettons en place une nouvelle beaucoup plus puissante….

Les allemands ne sont pas nécessairement dupes et se rendent compte - depuis longtemps- de la folie du dispositif. Un certain vivre ensemble ne peut se constituer en Allemagne (plein emploi) que sur la seule base d’un mercantilisme qui lui-même ne peut s’avérer que de plus en plus fragile et contestable. Le contrat social allemand ne peut fonctionner qu’avec les pompes qui rendent solvables les clients de l’industrie allemande.

Des pompes :..peut-être, mais… ; des transferts politiquement décidés: assurément jamais.

Le relatif contrat social allemand repose sur les exportations qu’il faut à tout prix maintenir, en contenant les salaires internes, en rétablissant un impérium sur le centre de l’Europe[2] , en maintenant un euro, gros pourvoyeur de compétitivité par son taux de change[3], etc. Mais en même temps les plus lucides savent aussi qu’il faut un impérium y compris au détriment des grands voisins en veillant à ce  qu’aucun transfert ne se manifeste, par exemple au profit de ce grand déficitaire qu’est la France. Que diraient les électeurs allemands si - déjà soumis à la rigueur salariale- devaient au-delà s’acquitter de taxes supplémentaires au profit d’européens du sud voire de certains pays situés plus au nord ?

C’est qu’il faut choisir entre dettes croissantes et transferts. Les pompes ne génèrent que de la dette …et pour l’Allemagne des actifs ,certes de plus en plus douteux…, mais préférables à des transferts nets de richesse depuis des agents économiques allemands vers des agents étrangers. C’est la raison pour laquelle les allemands se méfient de plus en plus de la dette des clients qu’ils aimeraient voir s’amincir par les célèbres « réformes structurelles » ; mais pour autant ils ne sont pas prêts à des transferts venant compenser toute l’eau dont ils bénéficient depuis la disparition des écluses…

L’Allemagne schizophrène et autoritaire.

Aucun transfert, donc, chez tous les pays clients, des politiques restrictives…. qui, pourtant, réduisent le terrain de jeu du surplus potentiel qu’il faut néanmoins maintenir….On ne peut avoir l’ambition de n’être qu’une « grosse Suisse » quand il faut surveiller voire devenir  autoritaire vis-à-vis de ses voisins…Et cette surveillance et cet autoritarisme sont en même temps illogiques puisque le respect intégral des « règles du jeu »  transformerait les voisins en exportateurs nets…ce que l’on ne souhaite pas….On ne peut pas tous devenir exportateurs nets…..sauf si la contradiction , comme nous le verrons, est évacuée vers le reste du monde.

L’épargnant allemand ne peut, lui aussi, être dupe et commence à se rendre compte que son épargne accumulée sur le surplus ne vaudra plus rien si d’aventure les clients débiteurs se rendaient compte que la dette est tellement gigantesque que l’impérium devient un tigre de papier…Un jour, les exportations risqueront de ne plus être payées tandis que l’épargne se sera évaporée….

On peut comprendre les grandes tensions politiques plus ou moins souterraines en Allemagne: comment avoir un emploi correct et ne pas être concurrencé par des étrangers ? comment garantir une épargne qui nourrit les retraites ? comment maintenir le surplus ? comment ne pas redevenir une nation agressive et avoir tout le monde contre soi autour des tables de négociations ?

Vers l’extériorisation de la schizophrénie ?

Le débat entre les écologistes et les autres partis est certes fondamental, mais plus fondamental encore est celui entre les tenants de l’orthodoxie (épargnants vieillissants et groupe des grands exportateurs) et ceux qui veulent trouver une voie médiane permettant de sauver ce qui peut encore l’être….en militant pour un fédéralisme…de très basse intensité au sein de l’UE.

Les premiers ( FDP ? CSU ? AFD ? autres ?) peuvent estimer, que le surplus est maintenant acquis bien davantage sur des exportations vers le reste du monde que sur des ventes à l’intérieur de la zone euro[4]. Il est donc possible de maintenir la rigueur chez les voisins de la zone afin de n’en point subir les risques - hausse des taux sur les dettes publiques par exemple et effondrements menant à la disparition de l’euro- et maintenir les positions acquises sur le reste du monde à l’abri d’un euro dévalué[5].

Les seconds ( CDU, SPD, écologistes ? autres?) peuvent penser que la situation devient intenable et qu’une voie médiane doit être trouvée. Cette solution serait aussi favorisée par un précaire retour à une croissance européenne tirée par les exportations non plus de la seule Allemagne mais aussi celle résultant de 6 années de dévaluation interne faisant de certains pays du sud de nouveaux compétiteurs. Il s’agit au fond de reporter les effets de la contradiction interne sur l’extérieur et obtenir un excédent collectif sur le reste du monde. Cette solution est pourtant précaire et ne peut correspondre à la construction d’une Europe sociale puisque les dévaluations internes ne sont pas coopératives et ne mettent pas fin au long processus de divergence.

Ce schéma qui extériorise partiellement la contradiction interne, et qui est le plus probable à l’heure où ces lignes sont écrites, ne permet aucune solution au problème de l’euro.

Son cours sera probablement trop élevé et mangera les bénéfices des dévaluations internes du sud, tout en avantageant les chaines de la valeur allemande se nourrissant de consommations intermédiaires fabriquées dans une Europe centrale extérieure à la zone. Globalement l’effet taux de change des dévaluations sera neutre et les divergences seront maintenues. Il n’existe pas de solution à la désertification des biefs amont lorsque les écluses disparaissent.

                                                                                         Jean Claude Werrebrouck

                                                                                         2 décembre 2017

Ce texte reste d’une grande actualité et on voit aujourd’hui que la fuite en avant, c’est – à -dire le report de la grande contradiction allemande vers l’extérieur connait de sérieuses limites avec les politiques américaine et chinoise. Le président Trump cherche à mettre fin à l’excédent allemand sur les échanges avec les USA, notamment dans le domaine de l’automobile. L’administration américaine désire même aller plus loin en prétendant que l’excès d’épargne globale a des effets récessifs à l’échelle de la planète. La Chine est quand à elle fixée sur ses objectifs 2015 visant à l’auto centrage du pays et donc la fin des excédents allemands en termes d’équipements industriels. 


[1] La relation entre ces deux prix et leurs liens avec la productivité, elle-même reliée à nombre de caractéristiques qui forment une nation concrète, ont été étudiés par une foule d’économistes parmi lesquels on pourra citer : Balassa, Samuelson, Rogoff, Genberg, Mundell, Fleming, Lucas, etc.

[2] Cet impérium est aujourd’hui tel que les pays de l’Est (Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Pologne,etc) ne sont que les fournisseurs de composants assemblés en Allemagne. Ces fournisseurs génèrent d’importants gains de productivité absorbés non par les salariés locaux mais transférés vers l’industrie allemande. Nous avons là tout le malaise de ces pays qui constatent que leur intégration à l’UE n’est pas faite que d’avantages.

[3] Chacun sait que la disparition de l’euro entrainerait une hausse considérable d’un Mark restauré.

[4] C’était en 2016, près de 60% du surplus extérieur qui se réalisait avec l’extérieur de la zone euro, soit plus de 155 milliards d’euros. Il y a 8 ans le surplus ne se montait qu’à 130 milliards et se trouvait acquis d’abord sur les échanges intra-zone euro.

[5] Selon Le FMI la sous-évaluation de l’euro au regard de l’Allemagne serait de 15%, tandis que la sur -évaluation de ce même euro au regard de la France serait de 11%.

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22 mai 2019 3 22 /05 /mai /2019 09:29

La publication d’un rapport encore provisoire du Conseil National de la Productivité[1] nous permet de nous interroger sur la notion d’objectivité dans les débats macrosociaux.

On sait que parmi les multiples recommandations des instance européennes, des conseils nationaux de productivité doivent être mise en place dans tous les pays de la zone euro. Il s’agit de produire une vision commune des réalités des pays de la zone en vue d’assurer une meilleure coordination des politiques économiques.

S’agissant de la France ce Conseil installé depuis le 23 juin 2018 est présidé par Philippe Martin, lui-même président du Conseil d’Analyse Economique. Il regroupe plusieurs dizaines d’experts de Bercy, de la Banque de France, etc. mais aussi quelques universitaires. Il vient de donner lieu à une publication  qui sera amendée par les représentants des partenaires sociaux.

Le rapport n’apporte pas d’informations ou de connaissances réellement nouvelles mais construit des propositions de politiques économiques à l’échelle de la zone. Constitué de 2 parties et 6 chapitres il s’interroge d’abord sur la productivité pour évoquer ensuite la compétitivité et conclure sur une offre de recommandations à des fins de consolidation de la zone euro.

On ne saurait reprocher une démarche entièrement constructiviste et on comprend naturellement qu’il s’agit de sauver ce qui peut l’être et à ce titre les interrogations concernant les taux de change intra-zone n’apparaissent qu’entre les lignes. On comprend ainsi parfaitement que le rôle fondamental de ce type de rapport est de contribuer à produire des outils qui sont censés permettre la survie de la monnaie unique, laquelle est vécue comme clé de voûte d’un édifice appelé à s’effondrer si d’aventure la clé devait céder. Pour autant le document se veut plus ou moins scientifique et cherche à découvrir ce qu’il croit être les causes des problèmes de la France et ceux de la zone Euro dans son ensemble.

Une sous- productivité en France ?

La partie consacrée à la productivité n’introduit pas une compréhension correcte des divergences européennes examinées dans la suite du rapport. Le rapport définit classiquement la productivité du travail par le rapport du PIB sur la quantité de travail utilisée. Au-delà des questions de mesure, il existe d’emblée un problème de comparaison et d’évolution des productivités à l’intérieur de la zone euro.

Prenons un exemple simple pour situer le problème

Supposons 2 Etats ne produisant que des oranges mais dont l’un est coupé du reste du monde et dont l’autre est relié par des réseaux de transports performants. Supposons en outre que les productivités strictement physiques soient égales, par exemple 100 oranges par unité de travail. S’agissant de l’Etat isolé la productivité en valeur (les oranges seront échangées à l’intérieur du périmètre des frontières) sera très certainement inférieure à celle de l’Etat ayant accès aux échanges internationaux. Les échanges étant muselés d’un côté et libérés de l’autre l’utilité totale obtenue- la somme des gains à l’échange- sera en principe plus grande dans l’économie ouverte. Ce résultat évident montre que la productivité du travail parce qu’elle s’exprime en valeur ne peut internationalement être comparée sans faire référence à un système de prix lui- même très affecté par un « prix chef d’orchestre » qui est un taux de change. Et si le « prix chef d’orchestre » est fixé à un niveau trop élevé, les acheteurs étrangers d’oranges se feront rares. En clair la productivité du travail risque d’être plus faible si le taux de change est trop élevé. Dire cela est déjà très important pour comprendre la langueur de l’économie française. Mais les choses sont plus graves encore car une productivité plus faible peut ne pas statistiquement apparaitre si dans le panel des activités, celles les moins productives disparaissent : des usines ferment et des emplois sont détruits, ce qui met en lumière les activités qui elles restent fortement productives.

Le rapport du Conseil National de la productivité ne peut pas aborder correctement cette question. Il reconnait une productivité française qui se maintient aussi par disparition d’activités et existence d’un fort chômage, mais ce dernier n’est pas imputé à un taux de change inadapté entre les divers pays. Par contre il est attribué à une question de compétence et de qualité de la main d’œuvre.

Un peuple handicapé ?

Cette qualité insuffisante est examinée avec le plus grand détail. 18 pages du rapport sont de fait consacrées à ce que l’on croit être des insuffisances spécifiquement françaises. En amont le système scolaire et universitaire, mais aussi l’appareil de formation continue sont mis en cause par leur très faible participation à la production des compétences recherchées, avec notamment leur incapacité à produire chez les formés de la confiance et l’esprit d’innovation nécessaire au dynamisme des entreprises. Ce handicap se reproduit naturellement au niveau du mangement lequel est jugé très inférieur à ce que l’on trouve dans nombre de pays, la France se classant dans les derniers rangs au niveau des indicateurs retenus dans ce que l’on croit être la plupart des études. On trouve également dans le rapport des aspects culturels qui seraient handicapants, ainsi la très forte méfiance vis-à-vis des entreprises et des institutions en général. Bien évidemment, même si le rapport ne fait qu’énumérer sans se livrer à une démarche réellement causale, il signale les rigidités multiples sur le marché du travail, celui de la réglementation, celui de la régulation, etc.

Ce que l’on peut lire comme une inadaptation assez générale à l’esprit de compétition se traduit naturellement  dans d’autres domaines : résistance à l’automatisation des process, au numérique, aux investissements de modernisation, etc.

L’économie française respire mieux lorsqu’elle s’éloigne de son peuple ?

Bref il ne ferait pas bon de produire en France, ce qui expliquerait que pour les esprits les plus dynamiques il vaut mieux quitter le pays et produire à l’étranger. Ici encore on peut empiriquement vérifier que la France de l’extérieur se porte bien. Le rapport n’évoque guère cette réalité, mais il faut souligner que les actifs français à l’étranger sont considérables et représentaient en 2017 1473 milliards de dollars, soit 56% du PIB de l’époque avec 12 entreprises dans le top 100 mondial des actifs implantés à l’étranger.  Ainsi la France se situe au troisième rang mondial, loin devant l’Allemagne ou la chine. L’emploi industriel dans les filiales étrangère représente 73% de l’emploi national, et celui dans les filières de groupes nationaux à l’étranger représente 6,1 millions de personnes contre seulement 5,7 pour une Allemagne dont le PIB est pourtant de 35% supérieur au PIB français. Au total cette France qui est sortie de ses frontières pour produire représente 33% de l’emploi marchand hexagonal contre seulement 17,8% pour l’Allemagne. Comme si la France faible à l’intérieur et forte à l’extérieur était un peu l’image inversée de l’Allemagne :  plus faible à l’extérieur et plus forte à l’intérieur.

Ces chiffres rassemblés par Xerfy sont peu connus et seraient certainement validés par les auteurs du rapport. Toutefois 2 explications peuvent se concurrencer : La France de l’étranger réussit parce que la réalité humaine et sociale de l’hexagone est devenue irrespirable pour l’économie ou bien la France a-t-elle du s’extravertir parce que le taux de change résultant de la mise en place de l’Euro a étouffé son économie, voire celles de nombreux pays de la zone ? On pourrait aussi aller plus loin,  reconnaitre les insuffisances humaines et sociales de la France qui très certainement peuvent handicaper le cout global du travail, et dire que la maitrise politique du taux de change était l’outil spécifiquement français qui naguère compensait, et assurait le rayonnement du pays. Bien évidemment pour les auteurs du rapport le choix est fait : il faut transformer le pays pour sauver l’euro. Le taux de chance n’est pas un paramètre central dans la productivité et seule les spécificités humaines et sociales le sont.

Des propositions révolutionnaires ?

Si donc la première partie du rapport rassure les défenseurs de l’Euro, encore faut-il que ses auteurs proposent des solutions au fonctionnement correct de la zone. De ce point de vue on peut constater dans le rapport un vrai progrès avec la prise de conscience que les politiques budgétaires imposées à l’issue de la crise n’étaient guère opportunes. A l’issue de la grande dépression, sauf le cas particulier de la France, les déficits extérieurs de ce qu’on appelait les PIGS ont disparu, tandis que les excédents du nord sont devenus gigantesques. Au total la zone connait un excèdent courant en 2017 de 3,5 points de PIB. D’où de nouveaux problèmes : risques de montée du cours de l’euro, maintien d’un excès d’offre, maintien d’une épargne excédentaire sur l’investissement, etc. De ce point de vue le rapport reconnait qu’il existe désormais au sein de la zone un important déficit de demande globale. Il faut aussi souligner la prise de conscience de la modification des politiques commerciales des USA qui de plus en plus évoque la notion de juste échange et dénonce les excédents européens et an particulier allemands.

La mise en avant de ces faits bien connus mais jusqu’ici peu évoqués dans les cercles bruxellois, débouche dans le rapport sur des solutions d’une certaine façon assez révolutionnaires : mise à l’index des procédures budgétaires issues de la crise, mise en avant d’une stratégie d’équilibre des comptes courants supportée par les excédentaires (essentiellement Allemagne et Hollande). S’agissant de ce dernier point, il est suggéré une modification des prix relatifs à l’intérieur de la zone, par le biais d’un différentiel d’inflation entre l’Allemagne (3,5%) et le reste de la zone (1,5%), différentiel obtenu par assouplissement budgétaire, relance de l’investissement public, voire de la consommation privée.  

Le rapport du Conseil national de la productivité ne dit pas comment il sera possible d’évoquer l’idée d’inflation dans la seule Allemagne. Il ne dit pas non plus comment envisager une politique monétaire unique dans une zone où durablement existeraient des niveaux d’inflation différents. Il fût très difficile d’imposer des dévaluations internes aux PIGS, ceux qu’on appelait les cigales parce que peu vertueux. Comment imposer une dévaluation interne aux fourmis (essentiellement Allemagne et Hollande) ?

Au total la lecture du rapport laisse voir des auteurs qui commencent à être déstabilisés par le mouvement du monde. On reste adepte des réformes structurelles classiques en soulignant une image assez dégradée de la société française. Simultanément on prend conscience d’une réalité des déséquilibres qui ne peut plus être évoquée par la petite histoire de la cigale et de la fourmi.

 


[1] Productivité et Compétitivité. Où en est la France aujourd’hui ? Premier rapport du Conseil National de Productivité. Avril 2019. 20 Avenue de Ségur, Paris.

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13 mai 2019 1 13 /05 /mai /2019 15:45

 

La presse se fait de plus en plus échos de projets de crypto-monnaies qui seraient lancées par les grandes entreprises du Web. C’est le cas d’Amazone et c’est aussi le cas de Facebook qui annonce le lancement de sa monnaie pour l’été prochain.

Avant de commenter cette innovation nous voudrions présenter  ce que l’on pourrait appeler la fiche d’identité de ces étranges objets que sont les crypto- monnaies et en particulier le bitcoin[1].

Ce que la crypto-monnaie n’est pas

En tout premier lieu il ne s’agit pas d’une monnaie légale dont les caractéristiques seraient définies par un Etat. Son appellation ne fait l’objet d’aucun texte légal. Elle n’est pas unité de compte, ne dispose pas de règles de monnayage et son pouvoir libératoire n’est que contractuel. A l’inverse - en dehors des monnaies locales - toutes les monnaies qu’elle que soit leur nature (centrale, fiduciaire, scripturale) ont pour support, directement ou indirectement, un Etat ou un ensemble d’Etats. La monnaie scripturale privée, qui fait aujourd’hui l’essentiel de la masse monétaire, est aussi légale que la monnaie publique et ses émetteurs privés épousent les définitions données par l’Etat qui les accueille.

On pourrait penser que le bitcoin n’est qu’une variété monétaire nouvelle à l’instar de ces néo monnaies que l’on trouve maintenant en Asie et il est vrai que son utilisateur est incité à le penser. La différence est pourtant essentielle et les « néo monnaies » restent de la monnaie légale classique, de fait émises par des banques classiques dont la forme numérisée ne fait qu’ajouter de la compétitivité à des institutions qui demeurent ce qu’elles sont.

Si donc, des « mineurs »[2] - les créateurs de crypto-monnaies telles le bitcoin – décidaient de payer l’impôt avec ce type de support ils seraient éconduits, avec suspicion de faux monnayage. Depuis leur naissance, voici plusieurs milliers d’années, les Etats choisissent le support dans lequel ils perçoivent l’impôt et ce support est monnaie légale créée directement ou indirectement par eux. De fait les « mineurs » se livrent à une « émission au noir », émission qui ne peut être reconnue, sauf dans des cas très particuliers comme celui du Japon[3].

Une crypto-monnaie n’est pas une monnaie privée dotée d’un statut juridique car elle n’est pas émise par une institution disposant d’une licence permettant la création monétaire légale c’est-à-dire une banque.

Une crypto-monnaie n’est pas non plus une monnaie locale dont la mission essentielle est -à l’inverse des monnaies classiques - de créer du lien social au sein d’une communauté ayant choisi de privilégier la coopération sur la compétition entre les acteurs. Alors que dans la monnaie classique, l’acheteur est en principe libre de choisir son fournisseur, le porteur de monnaie locale est plus ou moins tenu de ne choisir qu’à l’intérieur d’une communauté. La crypto-monnaie n’est pas - malgré ses apparences- un instrument communautaire et permet surtout de s’affranchir d’une communauté nationale et de ses composantes avec lesquelles elle ne souhaite exprimer aucune solidarité. Une crypto-monnaie n’a rien de local et efface par les vertus de l’informatique toutes les distances. En particulier elle peut se moquer des frontières en particulier des frontières monétaires.

Parce qu’elle n’est pas une monnaie, une crypto-monnaie ne possède pas de réelle vertu de seigneuriage[4]. Toutes le monnaies sont traditionnellement assorties de seigneuriage dont le montant est approximativement la différence entre la valeur faciale et le coût de production. L’émission par code informatique, par exemple celle du Bitcoin n’échappe pas à cette logique. Pour autant la rémunération des « mineurs » est faible, contenue dans le code informatique, et décroit selon une progression géométrique. Ainsi tous les 21000 blocs[5] constitués, le seigneuriage est divisé par 2[6]. Cette faiblesse de la rémunération a déjà abouti à la concentration des « mineurs » lesquels se regroupent. Signalons enfin que le code informatique est conçu pour aboutir, dans le cas du bitcoin, à un plafond limité de production[7] dont on pense qu’il serait atteint vers 2140.

Ce que la crypto-monnaie est

Elle est d’abord un vecteur de sécurisation. Adossée à la blockchain[8] qui en est le support informatique, elle est un outil qui garantit la sécurité et l’inviolabilité des transactions. Ces derniers caractères sont issus d’une certification rendue possible par la puissance d’ordinateurs répartis sur toute la planète.[9]

La blockchain fut semble- t-il historiquement inventée pour créer le Bitcoin mais il est vrai qu’elle est aussi une technologie plus générale permettant de diminuer considérablement les coûts de transaction sur nombre d’opérations. On peut ainsi parler d’un effondrement de coûts de transaction et de sécurisation dans l’ensemble des opérations du commerce international avec une mue du crédit documentaire. On peut aussi parler d’un véritable effondrement des coûts dans le domaine de l’assurance avec davantage de fluidité dans les relations entre assureurs quant à la répartition des indemnités, mais également la possibilité de développer les contrats intelligents et automatiques sur des micro marchés comme celui de l’assurance retard. On peut enfin parler, ce qui nous ramène à la monnaie, de la future disparition des chambres de compensation. Le Bitcoin et les cryptomonnaies en général bénéficient de cet effondrement des coûts dans toutes les opérations de transferts.

Parce qu’elle  est un vecteur n’utilisant plus, comme la monnaie classique, un tiers dans les transactions (la banque), elle est une « non monnaie » à priori plus compétitive que la monnaie. Elle n’est pas victime des coûts associés aux barrières des changes et des frais financiers imposés par des tiers (banques, et organismes financiers). elle est aussi une « non monnaie » assurant une totale confidentialité que la monnaie moderne, voire même les néo monnaies, ne peuvent plus assurer et que les vieilles monnaies (billets et pièces) garantissaient.[10] Ainsi la non monnaie Bitcoin rétablit  la liberté jusqu’ici assurée par les vieilles monnaies.

Bien évidemment, c’est l’anonymat qui rend précieuse cette liberté avec tout ce qui a déjà été dit sur le bitcoin, à savoir un instrument idéal pour les délits classiques, de blanchiment, d’évasion fiscale, de contournement de législation sur les contrôles des changes, etc.

« Non-monnaie privée », une crypto-monnaie est aussi un objet ne pouvant bénéficier des systèmes de compensation existant dans les systèmes bancaires hiérarchisés classiques. Alors que les monnaies bancaires privées bénéficient d’une convertibilité en monnaie officielle, les crypto-monnaies ne bénéficient d’aucun système de compensation et la convertibilité reste aléatoire au sein des plateformes qui le gère[11].

Une crypto-monnaie est aussi un vecteur de spéculation découlant directement de l’absence de système de compensation. Parce qu’il n’y a pas de cours de la « monnaie Société générale », de la « monnaie BNP », de la « monnaie Crédit Agricole », etc. il n’y a pas de spéculation possible entre ces différentes monnaies. A l’inverse, parce que non compensable il existe nécessairement une spéculation sur le Bitcoin. Et de ce point de vue les différentes crypto monnaies vont se concurrencer entre-elles. Celle dont la blockchain sera la plus répandue et la plus importante en infrastructures de services verra son cours augmenter tandis que les autres seront dévalorisées. A terme, on pourra voir se créer une « non monnaie unique » fonctionnant sur une blockchain considérée comme monopole d’infrastructure de réseau. Ce qui ne viendra pourtant pas apporter de solution de garantie de convertibilité et viendra conforter son statut de support de spéculation.

Une crypto-monnaie est aussi une non monnaie d’essence déflationniste. Bien sûr elle ne peut comme monnaie classique être un outil de relance de l’activité. Mais parce que son statut de non monnaie ne lui permet pas d’utiliser une quelconque planche à billets - ce que les Etats peuvent faire dans certaines limites-elle est conçue comme une masse non monétaire dont la croissance diminue de façon asymptotique et donc, bien incapable de répondre à une demande de monnaie en congruence avec la croissance économique.

On pourrait certes imaginer que les crypto-monnaies deviennent monnaie véritable si les Etats se mettaient eux aussi à en fabriquer. Il s’agit là d’une hypothèse, parfois évoquée, mais à tout le moins hardie.

Certes on retrouverait dans cette situation un retour à l’ordre politique qui fut celui de la création des Etats. Ces derniers se sont historiquement constitués en prélevant tout ou partie de l’impôt dans la forme choisie par leurs dépenses. Tenus de payer le service des armes avec du métal précieux, ils ont aussi imposé le paiement de l’impôt sous la même forme[12]. Une cryptomonnaie construite sur une blockchain répondant au besoin d’un Etat est-elle pensable ? On peut certes penser que sur le plan de la rationalité on ne verrait que des avantages : les coûts de transaction liés aux dépenses et aux recettes publiques s’effondreraient, et on pourrait imaginer un code informatique assurant d’une part un copieux seigneuriage et d’autre part une production ajustée sur les besoins de la croissance.

 Pour autant l’hypothèse reste hardie car se pose la question de la transition vers un tel modèle. Une telle transition ne peut s’imaginer que par temps calme et l’histoire a montré que les « paléo cryptomonnaies », tel le « système de Law » ou celui des « Assignats » fut catastrophique. On voit mal aujourd’hui l’Etat Français lançant sa crypto-monnaie à l’intérieur du cadre des traités européens et renouer avec un « circuit du Trésor »[13] imposant par exemple des planchers d’achat de crypto monnaies étatiques par les banques[14]. Et on ne voit pas non plus une crypto monnaie partielle venant s’ajouter à l’euro, une crypto-monnaie dont le cours pourrait aussi devenir une épée de Damoclès supplémentaire pour le Trésor.

Le plus surprenant toutefois est que conçu dans un cadre volontairement libertarien - échapper aux Etats et à leurs monnaies- le dispositif permettant de sortir des griffes d’un Etat haï par ceux qui refusent toute forme de citoyenneté, soit récupéré. Précisément on peut imaginer que les géants du Web, armés de nouvelles crypto-monnaies s’opposeront aux Etats non plus pour les détruire mais pour prendre leur place.

La possible crypto-monnaie des GAFA.

Elle correspond tout d’abord bien au mythe libertarien fondateur : la nouvelle monnaie est ce qui permet d’échapper à tous les dangers et contraintes d’une société trop pesante. En ce sens elle permet le développement illimité du « pair à pair » dans lequel les partenaires peuvent en toute sécurité, celle offerte par la blockchain, maximiser les gains à l’échange. Jusqu’à présent les GAFA permettaient le partage de la valeur (envoyer une photo, un message, etc.) et se trouvaient contraintes par des tiers et intermédiaires dès qu’ll s’agissait de transférer des valeurs (payer une somme d’argent). Ainsi le commerce électronique, en utilisant- même avec des moyens numériques- un système bancaire couteux ou insuffisamment sécurisé, notamment dans le cas de l’échange international, ne permet pas de maximiser tout le potentiel des gains à l’échange. Du point de vue des GAFA il serait ainsi bon de construire une blockchain et une monnaie utilisée par tous les partenaires et usagers, lesquels représentent aujourd’hui une large majorité de la population à l’échelle de la planète. De quoi ne plus être exposé aux tricheurs, aux faillites bancaires, aux couts des risques de change, etc. et donc maximiser et sécuriser les gains à l’échange.  Une telle situation permettrait aussi de compenser- certes fort modestement- la critique majeure faite aux GAFA , soit un système monopoliste et centralisé, en ayant recours à ce  numérique décentralisé qu’est la blockchain.

Bien évidemment l’argument de la suppression des intermédiaires est peu crédible car toute relation dite « pair à pair » mobilise de fait des tiers. Même l’échange le plus primitif, un poisson que l’un vient de pêcher contre un lapin qu’un autre vient de chasser, suppose des intermédiaires voire des tiers de confiance. L’échange entre individus suppose toujours la participation directe ou indirecte ou l’intervention d’autres individus : qui a fabriqué l’hameçon ? la flèche ? Qui à produit les compétences nécessaires à la production ? qui a permis la confiance dans la rencontre ? etc. Dans le cas du Web, les intermédiaires et autres tiers de confiance ne disparaissent pas avec l’irruption de la nouvelle monnaie. Cette dernière n’existe que par le biais de producteurs d’électricité, de la surveillance de dizaines de milliers de kilomètres de câbles, d’une couverture satellitaire, etc. Certes la blockchain ne concerne pas que la monnaie et ses usages multiples, entrainent très probablement d’importants gains de productivité et l’automatisation d’un grand nombre d’activité.[15] Toutefois l’intervention d’un transfert de valeur est le plus souvent nécessaire et un transfert qui ne peut être totalement sécurisé  par le système blochain/crypto-monnaie. L’optimisme libertaire si souvent affiché à propos d’une monnaie magique n’est donc qu’une idéologie militante.

Mais une monnaie émise par les GAFA n’aurait rien de libertarien et porterait le risque d’un nouveau recul de la puissance des Etats.

Revenons au « monde d’avant » pour mieux comprendre. Dans ce monde très matériel, on pourrait imaginer une banque propriétaire de l’essentiel de ce qui fait l’activité économique de l’époque. Une telle banque disposerait d’un pouvoir d’émission illimité puisque jamais sa monnaie ne fuirait vers d’autres banques. Chacun serait obligé d’effectuer la totalité de ses transactions en utilisant  la monnaie en question, elle-même acceptée par l’ensemble des acteurs économiques concrets[16]. Dans le cas du monde numérique des GAFA nous aurions, en raison de leur poids, des zones monétaires gigantesques concurrençant de manière très effective des espaces « monnaies publiques » de grande taille. Dans une telle hypothèse ce n’est plus l’équivalent du Montenegro ou du Kosovo qui utilisent l’Euro (monde réel), mais des pays comme la France ou l’Italie qui pourraient utiliser la « monnaie Amazone » ou la « monnaie Facebook » (monde numérique).

Dans un tel monde l’Etat se fait lilliputien. La politique monétaire à priori impossible dans l’espace des premières crypto-monnaies (bitcoin aux effets récessifs en raison de la chute programmée du « minage »), devient le monopole des géants  de l’internet. Désormais ils produiront la quantité de crypto-monnaie nécessaire à la croissance mondiale et à l’intérêt privé de leurs actionnaires. Et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité nous n’aurions plus un Etat qui choisit et impose la forme monétaire de ses créances fiscales, mais au contraire un Etat possiblement endetté en « monnaie Amazone » ou en « monnaie Facebook ».

Mais ce même Etat serait sans doute en difficulté s’il voulait casser les géants du Web, à l’instar de ce qu’avait décidé le gouvernement américain en 1911 à propos de la Standard Oil de John Rockefeller. Dans ce dernier cas, en cassant le monopole, le gouvernement américain prenait une décision populaire en ce qu’une baisse des prix du pétrole pouvait en résulter. Aujourd’hui, outre le fait que les GAFA sont beaucoup plus internationalisées et leurs produits beaucoup plus planétairement consommés, cette même production est largement gratuite aux yeux des consommateurs…. Le démantèlement des GAFA passera par autre chose qu’une loi type celle du congrès américain de 1911.

 


[1]Il existe aujourd’hui de nombreuses publications. Nous recommandons en particulier le site wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bitcoin mais surtout l’ouvrage récent de Jaques Favier et Adli Tokkal Bataille : « Bitcoin la monnaie acéphale » ; Editions du CNRS ; juin 2017.

[2] On parle de « mineurs » pour le bitcoin car il est considéré que les utilisateurs du modèle informatique qui le génère sont un peu comme les chercheurs d’or qui fabriquaient la matière première de la monnaie métallique.

[3] Selon Kenneth Rotgoff Le japon accorde une certaine reconnaissance du Bitcoin dans un but utilitariste, celui de devenir un centre mondial de la technologie financière.

[4] On sait que pour les billets et pièces le seigneuriage est gigantesque. Ainsi pour une pièce de 2 euros fabriquée par la Monnaie de Paris, le coût de production est de 17 centimes, coût facturé à l’Etat qui lui le revend 2 euros au système bancaire. Il en résulte un seigneuriage de 1,83 euros. On imagine que s’agissant des billets à coût proche de Zéro, le seigneuriage correspond quasiment à la valeur inscrite sur le billet.

[5] Cf note 8 sur la Blockchain.

[6] Il faut ajouter à cela le fait que la chaine de blocs est consommatrice d’énormes consommations d’électricité. Ainsi il est estimé que la création et les échanges de Bitcoin en 2020 consommeront 14000 Mégawats, soit la production annuelle d’électricité d’un pays comme le Danemark.

[7] 21 millions de Bitcoins.

[8] La Blockchain est un algorithme assurant la sécurisation des transactions, ce qu’on appelle parfois en informatique la solution au « problème des généraux byzantins ».

[9] Il faut toutefois nuancer l’idée de sécurité totale car il y a déjà eu une fraude importante due à un bug de codage informatique permettant au cours de l’été 2016 une évaporation de capital sur une blockchain concurrente du Bitcoin (l’Ethereum).

[10] La monnaie était jadis une vraie liberté et aucune traçabilité maitrisée par un tiers n’apparaissait. Les comptes bancaires aujourd’hui mobilisés dans les transactions sont traçables et effacent complétement l’anonymat.

[11] Il semble toutefois que Facebook prépare le lancement d’une crypto-monnaie à taux de change fice avec un panier de monnaies classiques.

[12] Nous renvoyons ici à l’article : « Genèse de l’Etat et genèse de la monnaie : le modèle de la potentia Multitudinis » de Fréderic Lordon et André Orléan. Cet article est publié dans un ouvrage collectif sous la direction d’Yves Citton et Fréderic Lordon : « Spinoza et les sciences sociales. D’une économie des affects à la puissance de la multitude », Editions d’Amsterdam, Coll. « cautes ! »,2008

[13] Expression que l’on doit à François Bloch-Lainé. Voir ici son cours à l’IEP de Paris : « Le Trésor Public. Introduction générale ». Voir également, François Block-Lainé et Pierre de Voguë, Le Trésor Public et le mouvement général des fonds, PUF, 1960.

 

[14] A l’instar de ce qui existait dans les années 50/60 qui imposait aux banques des « planchers de bons du Trésor » c’est-à-dire l’achat obligatoire de bons de la dette publique.

[15] Ainsi les « smart contracts » fonctionnant sur la logique du « if-then » permettent à des objets connectés de fonctionner à distance sans intervention humaine. De quoi augmenter considérablement la productivité.

[16] Ce type de monde a pu exister, au cours de siècles passés, à l’état embryonnaire dans le cas d’un capitalisme où des salariés étaient payés avec des bons échangeables dans des magasins qui étaient eux-mêmes propriété des capitalistes employeurs.

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1 mai 2019 3 01 /05 /mai /2019 19:18
 

Appel à co-signatures aux enseignants, chercheurs, intellectuels, universitaires

Le présent texte a été écrit par Patrick Guiol, sociologue, Henri Temple, professeur de droit, Jean Claude Werrebrouck, professeur d'économie. Nous souhaitons, à l'occasion des prochaines élections européennes le diffuser très largement afin d'impulser un véritable débat citoyen. Si vous êtes d'accord merci de nous le signaler sur le blog avec si possible vos noms, prénoms et votre position professionnelle. Vous figurerez ainsi dans le groupe des personnalités qui souhaitent un véritable changement dans l'actuelle construction européenne. Bien évidemment les points abordés ci-dessous sont discutables et n'ont d'autre but que de lancer un authentique débat.

En décembre 2018 les presses de la Sorbonne publiaient un ouvrage collectif signé d'intellectuels universitaires reconnus : historiens, géographes, économistes, juristes, politistes, philosophes, psychosociologues, de 4 pays, et intitulé : Qu'est-ce qu'une nation en Europe ? Alors qu'une totale liberté éditoriale leur était laissée le résultat convergent était que les nations sont des faits incontournables, ayant une grande incidence sur l'organisation politique, économique, géographique culturelle des sociétés, et que la vie intérieure et le destin des êtres humains qui y vivent en sont intimement façonnés. Un déni ''collectif '' de cette réalité est encore imposé par la doxa dominante au moyen de ce qui reste d'un amalgame paresseux et fallacieux entre nation et nationalisme, populisme ou ''repli frileux sur soi''. ..

Au cours de ces dernières années nul n'a pu ignorer que le continent européen est devenu l'objet de fortes tensions extérieures, et d'enjeux, demandes ou rejets puissants de part des nations, et parfois des peuples qui y sont intégrés.

Des divergences profondes apparaissent désormais sur l'état actuel et le devenir de la construction politique dont le siège est à Bruxelles, et qui découle juridiquement principalement des traités de Rome, de Maastricht et de Lisbonne. Il est donc inévitable qu'après avoir réfléchi sur : Qu'est-ce qu'une nation en Europe ? et après en avoir retenu l'idée que les nations sont incontournables, les enseignants, intellectuels, universitaires et chercheurs se confrontent dès lors à la question désormais logique : Que serait une Europe des nations ? En effet après le Brexit du Royaume Uni et les tensions irrédentistes apparues dans plusieurs autres pays, le devoir des intellectuels est d'explorer les autres pistes possible, s'il devenait nécessaire ou souhaité de construire une autre Europe pour passer à une Deuxième Union Européenne, comme la France en est venue, de république en république, de la première à la cinquième. Car le pari idéologique fédéral voulu par Maastricht et, plus encore par Lisbonne, est désormais contesté, ou même fui.  L'Europe doute, souffre et même se rebelle contre ce dogmatisme ; de telle façon qu'il faut prendre en compte ce constat avant d'imaginer ce que seraient d'autres chemins convergents pour une Union apaisée.

1 Avant tout l'Europe politique devra embrasser toute l'Europe géographique et culturelle. Pas question d'exclure, de laisser partir, de punir ou d'oublier quiconque. Le Conseil de l'Europe associe bien tous les pays d'Europe (sauf la Biélorussie) et même quelques pays d'Asie comme la partie de la Russie qui s'étend de l'Oural au Pacifique, l'Azerbaïdjan et la Turquie. Or l'actuelle Union européenne ne comprend pas : l'Albanie, la Bosnie, l'Islande, le Kosovo, la Macédoine, la Moldavie, le Monténégro, la Norvège, le Royaume-Uni, la Serbie, la Suisse. Ce qui veut dire que, au lieu de présenter ou d'imposer des solution extrémistes, la nouvelle Union devra tout d'abord rassembler, et se fonder sur le consensus de tous.

2 Il n'est pas envisageable, eu égard à sa dimension de faire figurer la Russie dans la nouvelle Union composée de pays de petite taille ou de taille moyenne. Pour autant la Russie est européenne par l' histoire, la culture, les valeurs religieuses, et tout simplement par l'attirance du Peuple russe vers l'Europe et par la forte inclination que les Peuples d' Europe ont pour la Russie. Une Grande Europe associera par un traité-cadre de paix et de coopérations, l'ouest et l'est européens (Biélorussie, Russie, l'Ukraine).

En vue de démilitariser cette Grande Europe un nouveau traité d'OSCE sera négocié, impliquant un retrait progressif de l'OTAN, une dénucléarisation, puis la fin des menaces et provocations militaires réciproques.

Les abcès de la Transnistrie, de Chypre nord Est, du Kosovo seront réglés.

La situation en Ukraine sera réglée en tenant compte des particularités et des besoins démocratiques des minorités.

3 Sur le plan politique, l'Europe ne sera forte et unie que si les nations sont fortes et consensuelles. Un nouveau Traité de Rome sera conclu, qui associera tous les pays d'Europe de l'ouest, selon une philosophie confédérale :

- Suppression de la Commission, du Parlement, de la Cour de justice.

- Création d'un parlement confédéral à deux chambres composées d'élus délégués des parlements de chaque pays : une Assemblée (au prorata de la population) ; un Sénat confédéral compétent pour les questions de politique étrangère et de défense, votant par pays.

- Création de 32 agences confédérales de coordination remplaçant les 32 Directions Générales + deux Commissions intergouvernementales de concertation : affaires étrangères et défense. Des coopérations libres s'établiront entre les états qui ont des projets en commun. Ce sont des fonctionnaires nationaux qui se rencontrent pour proposer des actions communes ou concertées.

4 Sur le plan économique et social : l'économie est faite pour les peuples et pas l"inverse.

Rétablissement de la préférence communautaire.

Taxation à la source des revenus des entreprises réalisés sur un marché national. Interdiction des travailleurs détachés.

Rétablissement des politiques agricoles nationales ce qui n'exclut pas des concertations comme ce fut le cas, sur les marchés des productions, à l'origine de l'UE . Préservation des terres arables et des exploitations familiales. Aides aux coopératives de distribution.

Renationalisations des services publics par les pays qui le souhaitent. Contrôle des prises de participations étrangères par les pays qui le souhaitent. Participation des salariés. TVA sociale. Maîtrise des salaires astronomiques.

En cas de nouvelle crise financière mondiale (explosion de la bulle de la dette de 300 % du PIB mondial): remplacement de l'euro par un écu et un SME perfectionnés.

Retour à la maitrise de l'industrie financière par les Etats. Maîtrise collective de l’émission monétaire  et des variations des taux de change (SME nouveau).

Mesures d'égalisation contre les dumpings sociaux, fiscaux ou autres.

Préservation des filière menacées.

5 Sur le plan écologique établissement d'une  carbone proportionnelle à la distance des importations. Taxation du kérosène et des porte-conteneurs. Préservation drastique des terres arables et des exploitations familiales.

Grand effort en faveur d'une alimentation saine et naturelle, notamment par un contrôle vigilant aux frontières.

6 Sur le plan juridique : Conservation provisoire des acquis communautaires et renégociation progressive de leur contenu. Remplacement du droit supranational par des lois uniformes confédérales ( réservées aux relations transfrontières) et application par la création de tribunaux spécialisés sur les questions transfrontières.

Réforme de la CEDH par introduction des principes supérieurs de la DUDH de l'ONU (droits des nations).

7 Sur le plan international. Liberté nationale des politiques immigratoires. Aide au co-développement des pays pauvres (sociétés d'économie-mixte et bi-nationales). Sanctions lourdes contre les pays qui ne respectent pas les droits de l'homme ou qui tolèrent les trafics d'êtres humains, de stupéfiants, .

Création de coordinations militaires entre pays des zones concernées. Coopération stratégique de dissuasion Royaume-Uni/France.

Sortie progressive de l'OTAN et de l'OMC

En résumé : une alternative européenne est nécessaire et sera possible, dès lors qu'elle sera souhaitée par le concert des peuples d'Europe.

 

Les intellectuels,  enseignants chercheurs , universitaires qui sont d'accord pour associer leur nom à ces pistes de réflexions peuvent l'écrire à <jclwerrebrouck@nordnet.fr> et diffuser à leurs collègues. Grand merci 

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23 avril 2019 2 23 /04 /avril /2019 09:33

La vie suppose plusieurs impératifs dont l’automaticité porte à l’admiration : la capacité à s’auto- conserver, la capacité à s’auto reproduire, enfin la capacité à s’autoréguler. Les impératifs précités, lorsqu’ils concernent les hommes, peuvent se traduire par des gestes et activités socialement accomplis, un peu comme si les diverses sociétés humaines étaient un ensemble de cellules vivantes dans un corps plus large. Ainsi la capacité à s’auto-conserver passe par des activités basiques : il faut boire et manger pour ne point mourir ; et ces activités le plus souvent socialement accomplies s’appellent « économie »…voire guerre ou prédation... Ainsi parce que la vie ne fait que précéder une mort inéluctable, il faut la reproduire (contrainte d’auto--reproduction) par l’activité sexuelle laquelle supposait jusqu’à maintenant une organisation appelée famille. Ainsi l’ensemble humain formant société se doit aussi, telle une organisation biologique composée de cellules différenciées et complémentaires, s’autoréguler. Il faudra pour cela engendrer un ordre que l’on pourra appeler juridique.  

L’invariant de la condition humaine

Sans même le dire, ces trois impératifs du vivant supposent la génèse de ce qu’on appelle des institutions lesquelles ne sont  rien d’autres que des ordres répondant aux trois défis. Eux-mêmes se traduisent par des mots d’une grande banalité : économie, famille, droit.

Les contraintes de la vie ne se traduisent pas par une mécanique standardisée. Il se trouve que chez les humains -soumis comme tous les animaux aux trois impératifs - existe une possibilité extraordinaire, celle de lire leur condition biologique, de l’imaginer ou de l’interpréter plus ou moins rationnellement ou plus ou moins obscurément, et même de prendre quelques libertés par rapport à la dure réalité. Le point d’aboutissement étant aujourd’hui le transhumanisme. Ce dernier, cherchant à affranchir ses usagers des lois d’airain de la vie, jusqu’ici plutôt conçues pour entretenir, réparer, compenser, pourra demain affronter la problématique de l’homme « augmenté », et peut- être celle de l’homme « dépassé » …lui-même constitué d’éléments biologiques agrégés à des éléments qui ne le sont pas…

Historiquement, il semble que ladite humanité s’est, de façon très diverse, plus ou moins affranchie de la dure réalité biologique en adoptant des comportements et attitudes différenciées au regard des contraintes. Alors même que la société des abeilles connait strictement les mêmes contraintes que la société des hommes, il n’y a jamais eu émergence de cultures différenciées chez les premières. Il n’existe pas, sauf transformation environnementale aux conséquences génétiques, d’histoire chez les abeilles. Chez les humains existeront au contraire des variétés culturelles très nombreuses, correspondant aux lectures et interprétations infiniment variées du réel biologique. Les mots économie, famille et droit trainent, depuis la nuit des temps, dans l’histoire humaine mais ces trois mots se transforment dans leur contenu, se moulent et s’articulent pour donner une société historique concrète et, quand une société réussit plus qu’une autre, elle peut devenir civilisation.

La famille, sans doute très élargie, fut probablement l’institution fondamentale permettant de rassembler la réalité des trois mots susvisés. Autrement dit, pendant très longtemps la famille fut le principe d’intégration de l’économie et du droit. Elle fût la cellule productrice de base, la cellule organisant la vie sexuelle, la cellule régulatrice assurant la reproduction de l’ensemble par des règles générales qui vont devenir des coutumes régulant les rapports entre familles. En ce sens, elle est aussi la première institution politique, une institution qui dépasse déjà son strict périmètre puisque la reproduction de la vie suppose l’exogamie et donc des règles dépassant chaque cellule familiale. De quoi former sur un espace, qui un jour comportera des frontières politiques, une société avec une culture spécifique.

Tant que les cultures voire les civilisations restent largement prisonnières de ces contraintes biologiques et n’ont pas découvert les moyens d’en alléger le poids, les institutions restent peu nombreuses et l’Etat lui-même issu d’une interprétation religieuse de la réalité biologique est une affaire de famille. Les libertariens, tout comme Marx risqueront même l’idée que l’Etat en tant que porteur des règles fixant le jeu entre les individus est de fait une machinerie de contraintes publiques utilisées à des fins privées.

La phase ascendante de l’Occident

Tout ceci constitue ce qu’on peut appeler l’invariant de la condition humaine. Parmi les sociétés historiques concrètes qui semblent avoir réussi et devenir civilisation, il faut compter un ensemble appelé Occident. Ensemble hétérogène certes, mais ensemble qui fit naitre au terme d’un processus pluri-millénaire, l’impérialisme mercantile, l’Etat-Nation, le concept de souveraineté, la mondialisation…

La trajectoire de ce qu’on appelle Occident est, en un point situé plutôt à l’Est de la méditerranée, une lecture particulière des contraintes de l’invariant biologique, lecture passant par une représentation spécifique de la nature humaine. Dans cette conception, l’homme est moins membre d’un groupe qui le dépasse qu’un individu qui doit s’associer à d’autres individus. C’est le sens qu’il faut donner à l’homme perçu comme « animal politique » dans la Grèce antique. Les contraintes de ce qui permet la vie (efforts au titre de la conservation, de la reproduction et de la régulation) ne sont pas à la portée de chaque individu, lequel doit s’associer à d’autres dans le cadre d’une loi générale elle-même porteuse de règles particulières. Il y a déjà dans ce qui deviendra l’Occident un individu que l’on dira libre, mais cette liberté est celle de l’agir en communauté : la cité est mue par l’ensemble des citoyens à priori auto-déterminés, mais des citoyens qui ne disposent pas réellement de vie privée : la liberté y est davantage publique que privée. La très grande proximité avec les dangers de la vie et leur interprétation ne peut déboucher sur l’idée d’un homme entièrement délié des contraintes de la cité[J1] . Benjamin Constant avait déjà pu en 1819, dans un discours resté célèbre, évoquer la distance entre la liberté des anciens et celle des modernes.

 Le grand manteau de la chrétienté qui devait historiquement recouvrir le monde antique va confirmer cet enracinement dans l’idée d’individus simplement soumis à l’impératif d’association avec d’autres. L’église ne nie pas ouvertement la notion « d’animal politique », elle ne fait qu’ajouter une précision : l’individu est une « créature d’un Dieu », créature esclave du péché et donc créature invitée à réfléchir sur son comportement, en tant qu’individu d’abord directement relié aux forces de l’au-delà avant d’être un être socialement inséré.

Parallèlement et ultérieurement, l’Etat se cristallise et s’enkyste dans la religion tout en accroissant son périmètre d’activités. La liberté des anciens qui faisait de l’homme un animal politique disparait et ce dernier, tout en restant créature de Dieu, devient sujet soumis à des entrepreneurs politiques qui vont massivement utiliser l’appareil de contraintes publiques qu’est l’Etat à des fins privées. A cette fin, ils feront grossir l’appareil d’Etat.  La concurrence inter-étatique, l’apparition de zones de prédation délimitées par des frontières toujours remaniées, la naissance d’un ordre westphalien doublé d’un mercantilisme devenu sans frontière ( expansion coloniale de l’Occident) vont nourrir un projet civilisationnel majeur lequel sera susceptible d’embrasser l’ensemble de la planète.

Mais tout aussi parallèlement les entrepreneurs politiques vont être amenés à négocier des transformations majeures avec leurs sujets lesquels vont progressivement devenir des citoyens réputés libres à l’intérieur d’espaces devenus démocratiques. L’Occident mercantile et prédateur se fait aussi libéral et va accoucher d’une nouvelle représentation de l’homme… qu’il va croire universelle : l’homme est un être qui est porteur de droits. D’abord animal politique, puis créature de dieu, puis sujet de puissants maitrisant les appareils d’Etat, il devient porteur de droits appelés droits de l’homme.

Pertes de repères et déclin de l’Occident

L’histoire ne peut évidemment s’arrêter et il faudra déterminer le contenu de ces droits et son évolution. La définition la plus simple souvent ramenée au trio vie, propriété, liberté, cache mal la hiérarchie entre ces termes : la propriété et la vie ne sont que les boucliers de la liberté, laquelle est la fin ultime. Comme si les contraintes majeures de la condition humaine avaient totalement disparu.

Il convient d’étudier avec précision cet effacement des contraintes. La première est bien sûr la nécessité d’organiser la famille aux fins de la reproduction de la vie. Aujourd’hui il n’y a plus de  « pénurie de vie » qu’il faudrait  combattre par une organisation politique de la famille. Personne ne se pose la question de la survie de la communauté dans lequel il se trouve inséré, et même les Nations connaissant un déficit démographique voient leurs libres citoyens en quête de meilleure fortune, déserter le pays. De façon moins tranchée, la question de la conservation par l’accès à la nourriture est assez largement résolue et l’idée de revenu universel fait son chemin…y compris dans les pays réputés pauvres…. De façon encore moins tranchée la régulation globale de la communauté, c’est-à-dire la loi est également contestée : puisque la vie est aujourd’hui plus ou moins garantie pourquoi se soumettre à des règles contraignantes qui seraient la loi de la communauté ?  Il y a plus à vivre qu’à agir comme le faisaient les anciens en choisissant plus ou moins librement le devenir de la cité. Il n’y a plus vraiment à se fixer des objectifs collectifs impérieux, et il y a sans doute davantage à organiser les menues règles qui permettront à chacun de jouir librement de son individualité. Il s’ensuit que la loi qui permettait à la cité antique d’agir n’a plus à nous commander et nous fixer un cap, mais à nous procurer de nouvelles autorisations dans les domaines qu’il nous plaira. Et parce que la démocratie rapproche davantage chacun des citoyens de cet Etat « machine à contraintes publiques », l’utilisation privative de ladite machine peut se développer sans limite. Oui, d’une certaine façon les libertariens ont raison : la démocratie est la possibilité pour chacun de voler tous les autres. Plus modérément, il faudra pourtant reconnaitre que si la liberté devient le concept central de droits de l’homme dont le contour n’est pas défini, les règles produites par la machine publique seront de plus en plus individualisées, adaptées à chaque individu. Ainsi l’Etat-providence à la Française ne peut qu’être de plus en plus contesté : Il ne peut plus y avoir de règles globales selon le principe de l’Universalité, et le dit Etat-providence doit au contraire s’adapter à chaque situation. il ne peut plus non plus s’arrêter aux frontières de la famille en voie de dislocation et doit répondre aux nouvelles exigences des nouveaux modes de vie, d’où par exemple les débats concernant les familles monoparentales.

Bizarrement, les entrepreneurs politiques soucieux de conquérir un pouvoir désormais contesté, ou de le conserver au terme d’une élection, ne peuvent plus que scier chaque jour un peu plus la branche sur laquelle ils sont assis. Parce que l’homme est en Occident un être qui a des droits, les marchés politiques vont être le lieu où l’on va offrir en permanence de nouveaux droits : les thèmes d’émancipation, de libération, d’autonomisation, etc. sont les produits « vache à lait » des marchés politiques. Il en résultera plusieurs constatations : un empilement colossal de règles de plus en plus étrangères à la rigueur traditionnelle du droit, un étouffement de l’Etat lui-même qui se délitera dans une multitude d’agences appelées « Autorités Administratives Indépendantes », une rétraction de l’agir collectif au profit d’intérêts privés, un rejet quasi complet des organisations et entrepreneurs politiques. L’Occident dans sa phase ascendante connaissait des Etats porteurs de règles produisant de l’homogénéisation. Parvenu dans une maturité incapable de donner du contenu aux droits de l’homme, les Etats éclopés ne produisent plus que de l’hétérogénéité. La petite cité de l’occident naissant s’auto-déterminait. Le gros Etat de l’Occident d’aujourd’hui ne sait plus où il va et se trouve dépourvu de tout désir réel d’agir.

En passant de l’identité initiale (l’homme est un animal politique) à une identité floue et par essence instable, tel un gaz qui a tendance à occuper tout l’espace disponible (l’homme est un être titulaire de droits), l’Occident a autorisé la puissance de l’agir privé et miné celle de l’agir public.

La libération de l’agir privé s’est bien sûr d’abord portée sur l’économique. Parce que dans l’Occident naissant l’agir collectif l’emportait sur le privé, la place réservée aux intérêts économiques privés était faible, et une partie du produit économique échouant à ses entrepreneurs était absorbée par l’intérêt public. C’est bien sûr le cas de l’évergétisme qui est un véritable transfert de la puissance de l’agir privé vers l’agir public, avec cette autre lecture possible : un contre-don contre un autre don qui serait l’accès à la légitimité de l’inégalité sociale engendrée par les activités économiques.

Avec l’Occident triomphant c’est l’agir privé qui est libéré et les réglementations qui limitent l’économie doivent disparaitre au nom de la liberté, ce qu’on appelle le laisser faire, laisser passer. Il peut exister de l’évergétisme, mais il est complètement marginalisé et n’émerge que lors d’occurrences spécifiques (incendie de Notre-Dame). Telle l’ouverture d’une retenue d’eau, la liberté économique va entrainer un gonflement puissant d’un flux de marchandises en continuel renouvellement qualitatif. Et l’aisance matérielle qui pourra s’en suivre permettra - en prenant le chemin de l’impôt plutôt que celui de l’évergétisme - d’ouvrir d’autres retenues, et notamment celle du financement de toutes les nouvelles libertés individuelles exigées. Liberté économique et liberté en tant que matérialisation d’un désir se rejoignent et les perdants du jeu économique pourront être compensés, outre des indemnités telles celles concernant le chômage,   par des réformes sociétales allant dans le sens de leurs désirs : reconnaissance de droits spécifiques pour des minorités, mariage pour tous, accès illimité et sans contraintes à toutes les institutions, etc.

Et parce que la liberté économique engendre une concurrence qui ne laisse vivant que les seuls innovateurs, la logique du marché doit occuper l’ensemble de l’espace marchand. Nous avons  là l’idée d’une  mondialisation elle-même impulsée par des rendements d’échelle, et un effondrement des coûts de transports lui-même aidé par un effondrement semblable des coûts  de communication.

Ce double mouvement de l’agir au sein de l’Occident doit évidement être tempéré, voire contesté selon les lieux. C’est manifestement dans l’Union Européenne que l’effondrement de l’agir collectif est le plus manifeste et c’est cet effondrement qui nourrit ce qu’on appelle la crise européenne. Parce qu’entièrement conçue sur la libération de l’agir privé, elle se trouve incapables de répondre aux grands défis de l’avenir : la question écologique bien sûr, mais aussi la sécurité au sein d’un environnement où les droits de l’homme ne s’étant pas exprimés (Asie, Russie, etc.), un agir collectif ennemi est possible. De fait l’UE est l’avant-garde sacrifiée d’un Occident malade de son identité culturelle. On notera que son agir collectif est lui - même miné par des règles collectives qui ne font que renforcer la puissance de l’agir privé. Tel est bien sûr le cas d’une fiscalité hétérogène facilitant grandement les intérêts privés. Ce même agir collectif est aussi détourné par des combats douteux concernant les démocraties « illibérales » ne respectant pas ce concentré des droits de l’homme que sont les « critères de Copenhague ».

Un autre gros morceau de l’Occident menacé est sans doute les Etats-Unis. Le pays y est plus qu’en Europe confronté à l’inflation des droits de l’homme avec des débats sans fin sur les minorités, la race, le sexe, les termes du politiquement correct, etc. Toutefois la puissance de l’agir privé est partiellement un outil de l’agir collectif, d’où les dépenses disproportionnées au titre de la sécurité nationale. Les Etats-Unis savent que la mondialisation n’est qu’une internationalisation et que des  empires d’un type nouveau (Chine, Inde, etc.) équilibrent beaucoup mieux que l’Occident l’agir privé et l’agir public. Affaire à suivre.

 

 

 

 


 [J1]

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1 avril 2019 1 01 /04 /avril /2019 09:27

La vidéo proposée ci-dessous nous semble une bonne piste d’entrée pour aborder la question de l’engourdissement de l’Occident dans ce premier tiers du 21ième siècle.

Nous invitons le lecteur à visionner une ou deux fois la bande et à revenir au présent texte pour aborder les corrections qui nous semblent nécessaires et les questions complémentaires qui s’y rattachent.

L’idée de comparer les taux de marché à ce que Wicksell appelait le taux naturel de l’intérêt est intéressante. Il est exact de considérer que ce dernier taux correspond approximativement à la rentabilité au sein de l’économie réelle. Ce taux souvent repris dans certaines publications de la Banque de France était fixé par son auteur dans l’hypothèse d’un équilibre du marché des biens et des services et donc de celui de l’égalité de l’épargne et de l’Investissement. Compte tenu de l’élasticité considérable du système financier aujourd’hui, il est maintenant habituellement défini comme étant le taux impliquant ni hausse ni baisse d’inflation. Plus simplement et plus habituellement, il est souvent admis que  le taux naturel est le taux de rendement marginal du capital

On comprend aisément que la décision d’investir relève de la simple comparaison entre taux constaté sur le marché bancaire et rendement du capital dans l’économie réelle. Si dans un espace concret, le taux de l’intérêt est inférieur au rendement du capital, on comprend qu’il est intéressant d’investir avec pour effet une économie en croissance…sous réserve, bien sûr, de disponibilités de facteurs de la production. Si maintenant le rendement est égal au taux de l’intérêt, il y a compte tenu du risque de l’investissement, disparition de l’incitation à investir et donc tendance à la stagnation. D’où - à priori- l’intérêt de débattre dans la vidéo de « l’inversion de la courbe des taux », avec la régularité historiquement constatée, qu’à chaque inversion une récession économique se manifeste. Et effectivement le rendement des obligations américaines est récemment devenu égal ou inférieur aux taux à 3 mois tandis, que l’Allemagne émet des titres à 10 ans pour un taux négatif, et qu’enfin le stock mondial de titres souverains à taux négatifs approche les 10000 milliards de dollars…soit près de la moitié du PIB américain.

Mais nous ne pouvons être d’accord avec le raisonnement car manifestement il y a confusion : le taux long évoqué (marché financier) n’a rien à voir avec le rendement du capital (économie réelle) et le renversement de la courbe des taux n’intéresse que le monde financier. Or l’auteur de la vidéo se livre à cette confusion. Logiquement à l’échelle de l’Occident, une entité ramenée pour l’essentiel à l’OCDE, l’écart entre taux bancaire et rendement du capital étant élevé, l’investissement devrait être considérable et la croissance élevée, ce qui n’est pas le cas. Particulièrement en ce qui concerne la zone euro.

Cette anomalie pourrait à priori être expliquée par la faible profitabilité du système bancaire lequel, créateur de monnaie gratuite, est aussi victime de taux de marché réduit avec comme résultat une maladie de l’industrie de l’épargne. Cette faible profitabilité est par ailleurs renforcée par la réglementation de Bâle 3, qui oblige le système bancaire à détenir davantage de réserves de liquidité et des obligations sans risques (dettes publiques à faible rendement). Cette même régulation impose une forte hausse des fonds propres (7,5% du bilan en 2005 contre 9,5% en 2018). Toutefois une  explication par la faible profitabilité n’est guère convaincante et l’indicateur de faible profitabilité, qu’est la fort basse capitalisation boursière du système bancaire, a surtout pour origine le maintien d’actifs pourris, notamment en Italie, en Espagne et bien sûr en Allemagne avec le cas de Deutsche Bank. On sait aussi que ce très faible cours boursier empêche les banques européennes de se recapitaliser : le cout du capital est trop élevé. Mais cette faiblesse n’est nullement convaincante car le fantastique développement du shadow banking fut un moyen d’échapper à l’espace règlementé tout en bénéficiant de la création monétaire des banques auxquelles le dit shadow banking  reste adossé. En clair la banque dit « de l’ombre » est venue corriger les difficultés du système bancaire et la faiblesse des taux est très largement compensée, voire utilisée pour des activités spéculatives fort éloignées de l’investissement. Au total L’anomalie de la faiblesse de l’investissement dans l’économie réelle, en particulier dans la zone euro, n’est donc pas levée par de possibles difficultés financières.

Pour tenter de comprendre l’anomalie il faut considérer que l’espace entre taux bancaire et taux de rendement marginal du capital est occupé soit plutôt par de l’investissement réel, soit plutôt par de la spéculation, soit enfin par un mix équilibré des deux. Aujourd’hui l’investissement réel est faible et se trouve remplacé par la spéculation, ce qu’on appelle « l’hypertrophie financière », une hypertrophie qui se repère dans le poids croissant de la finance dans le PIB (quasi doublement aux USA entre 1980 et 2006). Pour autant finance et économie réelle ne s’opposent pas nécessairement, et il est clair que la mondialisation et la fin des taux de change fixes, exigent une sécurisation accrue de l’économie réelle par l’irruption de la finance. Quand une entreprise industrielle quitte un marché national pour se déployer vers un espace mondial, la question des monnaies devient un souci majeur. Plus les chaines de la valeur sont longues et plus les risques, notamment de change doivent être couverts par des produit financiers de plus en plus sophistiqués, lesquels donnent lieu à des marchés dont on recherche la liquidité par la taille et la présence de très nombreux acteurs financiers. En retour, la sécurisation de plus en plus recherchée est couteuse et les produits financiers viennent capter la valeur ajoutée d’une économie réelle adossée aux risques de la mondialisation. Il doit par conséquent exister une combinaison optimale  « d’économie réelle » et de finance, une combinaison qui devrait en théorie être celle qui maximise la croissance économique. Au-delà du problème des banques, disposer d’un taux d’intérêt très faible n’est donc pas à priori une difficulté pour la finance, laquelle voit dans ce taux une matière première bon marché pour son travail de sécurisation de l’économie réelle mondialisée…une sécurisation assurée au moindre cout…pour ladite économie réelle.

Si donc l’investissement  est si faible dans cette économie, c’est aussi probablement parce que le rendement marginal du capital devient inférieur à celui des investissements financiers. D’où les dérives du private equity, l’endettement massif pour des rachats d’actions eux-mêmes massifs (1000 milliards de dollars pour les entreprises américaines en 2018), la transformation du métier de banquier devenu trader très éloigné de l’évaluation du rendement d’un investissement de PME industrielle, etc. Cette hypothèse de baisse du rendement marginal du capital nous renvoie d’ailleurs à celle de l’inefficacité des politiques monétaires complaisantes avancée par nombre d’économistes : la croissance ne provient pas de facilités monétaires, et s’inscrit d’abord dans un potentiel fait de ressources disponibles dont- entre autres- celles de la qualification des travailleurs. Exprimé autrement, le trop plein d’épargne réelle ou fictive ne règle pas la question du trop peu d’investissements.

De fait la mondialisation initiée par l’Occident va entrainer des difficultés de croissance dans tous les pays correspondants et ce au bénéfice des émergents. La concurrence des bas salaires de ces derniers impulse une forte modération salariale dans les pays occidentaux, modération aggravée par la conjonction d’autres facteurs : désyndicalisation, hausse de l’intensité capitalistique, et apparition massive d’entreprises à fortes rentes d’innovation et de monopole bénéficiant du principe du « winer takes all » (nouvelles technologies). Au total le salaire réel ne suit plus la productivité par tête. Sur une base 100 en 1995 pour l’OCDE, la productivité par tête passe à 138 en 2018 tandis que les salaires réels ne passent qu’à 118. Prix à l’importation contenus par effet de mondialisation, et faiblesse de la masse salariale (cette dernière baisse de 2,5% de PIB dans l’OCDE entre 2000 et 2018) entrainent une inflation très faible. En retour cela justifie une politique monétaire expansionniste, donc de taux faibles de la part des banques centrales, taux qui génèrent des opportunités d’endettement plus risqués. Ainsi l’endettement des ménages de l’OCDE passe de 60% du PIB en 1990 à 70% en 2018 en étant passé à 8O% en 2008, alors même que la masse salariale baisse de 2,5 points dans le même temps. La limitation de la demande globale qui va lui correspondre ne justifie pas de forts investissements dans l’économie réelle, d’où un taux d’autofinancement anormalement élevé : le ratio de cash flow à l’investissement devient supérieur à 100% alors qu’il n’était que de 75% en 2000.

Les liquidités disponibles deviennent considérables et fort mal utilisées : la dette se substitue aux salaires, ne se transforme pas facilement en investissements et donc se déploie dans ce qui est  partiellement improductif : la finance et la spéculation. La tendance au rapprochement du taux naturel de wicksell et du taux bancaire est inscrite dans le jeu des acteurs. Les dettes publiques et privées augmentent et correspondent de moins en moins à des investissements publics et privés réels.

Et quand l’Occident s’enlise dans une mer de liquidités pour : sauver ses banques, accélérer les mouvements de fusion/acquisition sans investissements et donc sans croissance autre que la revalorisation des actifs, permettre sans limite des rachats d’actions, etc. ; la Chine, elle, équipée d’un Etat fort transforme son épargne en investissements réels, lesquels viendront demain bousculer les vestiges de ce qui fut la gloire dudit Occident

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