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7 mai 2014 3 07 /05 /mai /2014 08:31

     La question du taux de change continue de se poser aves les déclarations du premier ministre français et celles du ministre du redressement productif. Il est bien sûr à noter que l'Allemagne ne peut accepter un tel débat mettant en cause le consensus monétaire qui fonde le contrat social allemand. Et c'est bien de cette façon que vient de réagir Steffen Seibert porte parole de la chancelière allemande. Il est à regretter dans cette affaire l'attitude de Benoit Coeuré qui ne se borne à voir dans le taux de change qu'une "passion française", attitude qui soutient le consensus allemand.

Nous proposons à cet égard de reprendre notre article publié sur ce blog le 17 mars dernier:

 

Les débats concernant le taux de change de l’euro rebondissent à la faveur du seuil atteint au cours de ces derniers jours : près de 1,4 dollars.

Certains n’hésitent pas à considérer qu’il s’agit de la conséquence d’un commerce extérieur devenu fortement excédentaire : 158,8 milliards d’euros en 2013, contre seulement 79,2 milliards d’euros en 2012, soit 2,8 points de PIB. D’autres diront qu’il s’agit de la conséquence d’un statut de monnaie de réserve se substituant progressivement au dollar et suscitant une forte mobilisation de l’épargne asiatique.

Beaucoup s’en plaignent et considèrent à l’inverse que cela devrait entrainer une aggravation des comptes extérieurs négatifs de nombre de pays de la zone sud.

Plus grave est le fait que certains considèrent que le taux de change élevé est sans impact sur le commerce intra zone euro. Encore un raisonnement erroné tenu par des responsables de haut niveau.

S’il est exact que les prix des exportations de la France vers les pays de la zone euro ne sont pas impactés par une variation de taux de change - avec toutefois une composante coût des consommations intermédiaires qui peut varier en raison du fait  qu’elles peuvent être importées depuis l’extérieur de la zone- ces mêmes exportations subissent, à destination, un environnement travaillé par une hausse du taux de change.

Prenons un exemple.

Soit une exportation française de produits manufacturés vers l’Italie.

2 cas peuvent se présenter : les produits exportés connaissent un contenu en importations en provenance de l’extérieur de la zone (scénario 1) ou, à l’inverse, il n’existe aucun contenu importé en provenance de ce même extérieur (scénario 2).

Scénario 1.

Dans cette situation, il existe pour les produits exportés une marge théorique plus grande pouvant affronter une éventuelle modification de l’environnement italien. Pour autant, cet environnement est négativement affecté par la hausse du taux de change : des exportateurs originaires de l’extérieur de la zone euro viennent concurrencer en Italie les exportations françaises. L’impact de la hausse de change étant, pour ces exportateurs, logiquement plus important que celui sur les consommations intermédiaires des exportateurs français, il en résulte une dégradation des marges théoriques au détriment de ces mêmes exportateurs français affrontant le marché italien.

Scénario 2.

En l’absence de contenu importé des exportations, les entreprises françaises concernées ne connaissent pas de modification de marge théorique sur le marché italien. Pour autant elles peuvent affronter de nouveaux compétiteurs sur le marché italien, compétiteurs qui sont des exportateurs en provenance de l’extérieur de la zone euro. Il en résulte une baisse des marges réelles pour les exportateurs français, voire une réelle éviction du marché italien.

Le scénario 2 aggrave le résultat négatif du scénario1.

Les choses sont sans doute encore plus complexes : la hausse du taux de change peut entrainer un effet revenu en Italie, une affectation autre à la marge théorique des exportateurs français, etc. Toutefois ces effets en cascade sont de faible portée et s’amortissent rapidement, laissant le problème du taux de change dans son entièreté.

Conclusion : Il est erroné de dire, avec Pascal Lamy en particulier, pour ne citer que ce dernier, que la hausse de l’euro ne constitue pas un problème pour les entreprises françaises qui exportent à l’intérieur de la zone euro.

A contrario, il est possible d’affirmer- toutes choses égales par ailleurs, en particulier sans faire intervenir les politiques de dévaluations internes -  que toute hausse de l’euro affecte négativement l’ensemble du commerce intra-zone. Chaque Pays voyant ses exportations affectées dans la zone par la présence de marchandises substituables importées depuis l’extérieur de la zone.

Bien évidemment, une hausse du taux de change aggravée par des politiques restrictives menées en commun, et politiques visant la seule recherche de compétitivité, renforce un effet de décomposition : le commerce intra zone voit son poids diminuer. Ainsi entre 2003 et 2013 les exportations françaises vers la zone passent de 69 à 60% du total exporté, tandis qu’aux mêmes dates les importations en provenance de la zone passent de 64 à 60% du total importé. L’Allemagne voit également le poids de ces échanges avec la zone diminuer. Ainsi le poids de ses exportations dans la zone est passé de 63% avant la crise à 37% en 2013. Les comportements de passager clandestin de chaque pays (faire de la compétitivité au détriment des autres) entrainant la déconstruction progressive de l’Europe.

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20 avril 2014 7 20 /04 /avril /2014 04:30
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20 avril 2014 7 20 /04 /avril /2014 04:20

Plutôt qu’étudier en profondeur la validité de la loi de Say, une bonne partie des théoriciens de l’offre continue à s’épancher sur les méfaits d’un keynésianisme qui, adapté à une reconstruction ou un rattrapage, deviendrait  inopérant dans  une économie de l’innovation.[1] En clair le texte de Franklin D. Roosevelt « Comment j’ai vaincu la crise » [2] serait aujourd’hui complètement inadapté.

 

 Prétendus méfaits d’un keynésianisme primaire.

La liste des méfaits d’une relance par la demande serait longue :

-Elle ne pourrait jouer positivement que si elle évite une montée des importations et donc se trouverait confortée par des entreprises domestiques plus compétitives, réalité qui supposerait une macroéconomie de l’offre. L’argument est fort et se trouve régulièrement repris par des auteurs qui constatent que c’est, curieusement, le keynésianisme français qui permet de rendre plus supportable les politiques d’austérité des pays du sud de la zone euro[3].

- La non réduction des dépenses publiques ne permettrait pas de relâcher la pression fiscale et ses effets d’encouragement sur l’offre et la compétitivité.

- Les politiques de subventionnement des entreprises ne permettent pas  une allocation optimale du capital (effets de rente ou de capture) et ses impacts sur une offre compétitive.

- Un smic trop élevé correspond à l’exclusion des jeunes et des travailleurs peu qualifiés, lesquels vont constituer une poche de pauvreté.

- Une demande trop sécurisée par une dépense publique abondante freine la concurrence, l’innovation, la productivité et la croissance. A titre d’exemple le poids garanti et croissant des dépenses d’éducation, n’empêcherait pas la diminution des performances des Tests PISA.

On pourrait multiplier les arguments visant à décrédibiliser le keynésianisme.

 

Prétendus bienfaits de l’offre compétitive.

A contrario, parce que la croissance nouvelle ne peut se nourrir d’une reconstruction ou d’un rattrapage, voire d’une simple généralisation d’une norme technologique[4], il serait nécessaire d’une part d’accroître la productivité de la machinerie gouvernementale  et, d’autre part,  d’adopter des mesures visant à accroitre la mobilité sociale.

L’amélioration de la productivité de la machinerie gouvernementale se matérialiserait par plusieurs canaux :

- La diminution de la pression fiscale, notamment sur le capital, permettrait l’encouragement de l’investissement et la croissance.

- la réorganisation de cette même pression en faveur d’outils dynamisant la croissance : orientation vers la TVA, vers les taxes sur les propriétés et transactions immobilières aux fins de décourager l’allocation de capital vers l’immobilier et favoriser l’entreprise, etc. Dans une perspective semblable on pourrait évoquer les mesures de simplifications administratives.

-  La suppression d’emplois publics dont les effets sur la demande globale sont immédiats permettrait toutefois une augmentation de l’offre de travail dans le secteur privé.

-  La réorganisation du système de soin passant par une réelle maitrise des dépenses et donc celles de la prescription médicale.

-  La réorganisation du système des retraites dont la simplification permettrait la fin de son illisibilité et des surcoûts de gestion qui lui sont associés. Cette réorganisation passerait probablement par une augmentation du nombre d’annuités  de cotisations.

 

L’accroissement de la mobilité sociale passerait elle aussi par de multiples canaux :

 - La réforme du marché du travail visant à augmenter le taux d’emploi des jeunes, à réduire la dualité du marché, à rendre efficace les dépenses de formation professionnelle, etc.

- La réorganisation du marché des biens et services avec la fin des professions fermées et branches d’activités sous régulation publique: énergie, distribution, industrie médicale, etc.

- La suppression des niches fiscales.

Nous retrouvons là nombre de propositions que l’on pouvait recenser dans le rapport Attali[5].

 

La bienfaitrice compétitivité… ou l’évidence suicidaire…

Bien évidemment les hausses de productivité sont intrinsèquement peu discutables : la machine économique globale est plus créatrice de richesse, si dans l’ensemble de ses composantes, il existe des diminutions de couts unitaires, soit par diminution de rentes organisationnelles soit par « destruction créatrice », ou diminution du coût direct du travail ou du capital. C’est au demeurant un tel processus qui a historiquement permis les 30 glorieuses du fordisme triomphant. Avec toutefois une condition fondamentale : l’offre toujours croissante et toujours plus compétitive, bénéficiait aussi d’une demande dont la croissance était elle-même planifiée et politiquement organisée à l’intérieur d’un espace défini comme « Etat-Nation ».

A l’époque c’est en rigidifiant les rémunérations que les débouchés d’une offre compétitive furent assurés : politiques de rémunération, développement d’annexes du salaire toujours plus importantes quantitativement et souvent assorties de clauses règlementaires fort contraignantes. Et ces éléments de rigidité furent introduits pour assurer – au sens de garantie assurantielle  indépendante de toute conjoncture économique-  ce qui ne l’était pas à l’aube du régime fordiste.

 Précisément, à cette époque – celle de l’aube du régime fordiste - existait ce que les marxistes appelaient une « contradiction entre la création et la réalisation de la valeur ». Le passage progressif au fordisme entrainait une augmentation considérable de la productivité dans les branches qui vivaient son éclosion, alors même que les rémunérations restaient celles de la période antérieure. A l’époque, sans augmentation rapide de la demande internationale, existait  un problème de débouchés, c’est-à-dire une demande insuffisante pour absorber une  production rapidement croissante. Cette contradiction devait engendrer la crise de 1929, laquelle sera finalement dépassée par la rigidification d’une demande dont la croissance devait suivre les gains de productivité. Cette dimension du problème bien perçue depuis fort longtemps est aujourd’hui complètement négligée par les théoriciens de l’offre[6].

Dans le contexte européen d’aujourd’hui, il faut pourtant signaler que cette compétitivité recherchée est davantage affaire de diminution de la rigidité des rémunérations que de réels gains de productivité[7]. Et donc la question se pose de savoir comment l’offre compétitive nouvelle, largement reflet d’une baisse globale des rémunérations, peut-elle se déployer et rencontrer les débouchés correspondants. Alors que jadis l’offre croissante se nourrissait de sécurisation de la demande, aujourd’hui elle semblerait se nourrir d’incertitudes elles-mêmes  effets de la flexibilité et de la baisse des rémunérations.[8] Le paradoxe de la situation ne peut être résolu que par le biais du recours aux exportations.

L’explication est simple : le débouché n’est plus local, mais mondial, il n’est garanti que par la  compétitivité. La libre circulation du capital permettant la dissémination des innovations de process et de production, il ne reste plus comme élément fondamental de différenciation que le niveau des rémunérations localement administrées. Cela signifie un marché intérieur déclinant au profit d’un marché extérieur croissant, avec toutes ses conséquences en termes de fin de l’auto centrage des activités au profit d’une extraversion vécue comme optimisation des chaines de la valeur. En clair il faut pour être compétitif, comprimer le marché intérieur (situation inverse de celle des trente glorieuses) qui seul pourra garantir la croissance des exportations. Jadis il fallait rigidifier et gonfler les rémunérations, aujourd’hui il faut les déréglementer et les diminuer. Jadis la compétitivité déployait ses effets revenus à l’intérieur du territoire de l’Etat- Nation. Aujourd’hui ses mêmes effets revenus ne sont plus maitrisables.

En mondialisation la compétitivité est incontournablecomme elle l’était au temps du vieux fordisme auto centré. Avec des conséquences très différentes : jadis la « destruction créatrice » engendrait mécaniquement une offre plus performante absorbée par une demande régulée, le tout se soldant par une croissance vigoureuse. Aujourd’hui, cette incontournable compétitivité, au-delà d’une tendance à la baisse planétaire des salaires,  se solde par une nouvelle contradiction entre la « création et la réalisation » donc une crise mondiale de surproduction[9], que la montée vertigineuse de la finance et de la dette tente vainement de gommer.

 

Miracles et destructions contagieuses.

Le théâtre planétaire de la crise de surproduction  est évidemment fortement contrasté. Ceux que l’on appelle les gagnants de la mondialisation, parce que plus compétitifs connaissent des taux de croissance très élevés et forts destructeurs pour les vieux pays qui n’arrivent pas assez vite dans la course à la baisse des rémunérations[10]. On notera toutefois que les zones de forte compétitivité se déplacent : La chine doit abandonner une partie de sa production textile au Bengladesh, au Cambodge, à l’Ethiopie, etc. Autant de déplacements engendrés par l’aggravation de la crise (les pays européens, notamment ceux du sud qui s’alignent sur la dominante de compétitivité offrent de moins en moins de débouchés aux émergents) et déplacements qui ne pourront que l’aggraver davantage encore : la Chine est elle- même invitée à fonctionner sur la base d’une dette continuellement croissante[11].

Il est donc logique que même les émergents les plus dynamiques finissent par rencontrer le piège de la crise : si la très forte croissance se fait quelque peur redistributive, cela signifie la perte de compétitivité et l’éloignement du miracle.

On comprend ici toute la difficulté du développement du marché intérieur chinois : celui-ci n’a de l’avenir qu’au prix d’un effondrement de compétitivité qui ne pourrait être combattu efficacement que par la construction d’un Etat-nation authentiquement fordien s’éloignant de la mondialisation…..

On comprend mieux aussi ce qu’on appelle la théorie du « piège du revenu intermédiaire [12]» qui s’étonne que les pays à forte croissance se trouvent soudainement bloqués lorsque le périmètre des classes moyenne,  suffisamment élargi,  concerne une part significative de la population. Ces pays, initialement bénéficiaires, c’est-à-dire ayant tiré leur épingle du jeu de la surproduction mondiale par rapport aux débouchés, en deviennent progressivement les nouvelles victimes. Après avoir longtemps exporté de la stagnation et importé de l’activité, la Chine est aujourd’hui de plus en plus obligée de créer localement de l’activité par des investissements publics lourds financés par de la dette. A contrario ses difficultés à exporter de la stagnation chez ses clients provoquent en retour de la stagnation chez ses fournisseurs, d’où un effet de dissémination de la crise[13].

La mondialisation a jusqu’ici imposé une compétitivité qui repose massivement sur la course à la baisse des rémunérations. Sa recherche éperdue qui a pris l’expression mondialement connue de « réformes structurelles » renforce la puissance de la grande crise des années 2010. La crise enlise les sociétés. Sortir de l’enlisement par les réformes structurelle consiste à passer du statut d’enlisé à celui d’englouti. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut rien réformer mais qu’il faut au préalable revoir complètement le cadre de l’actuelle mondialisation.



[1] Parmi les auteurs suspectant la non adaptation du keynésianisme nous avons au-delà des libéraux comme Hubert Landier et David Thesmar, des auteurs réformistes tels Philippe Aghion ou Gilbert Cette.

[2]« Comment j’ai vaincu la crise », ensemble de texte repris et publiés par Christian Chavagneux aux éditions  Les Petits Matins- Alternatives Economiques, 2014.

[3] Les tenants de ce point de vue sont par exemple en France Olivier Passet (XERFY) et Jean- Marc Vittori (Les Echos).

[4] Ce qui fut le cas du fordisme à l’issue de la seconde guerre mondiale. Notons au passage que les innovations de rupture sont aujourd’hui largement absentes et seraient à mettre en rapport avec le court-termisme de la finance ( cf l’article de Jean- Paul Pollin : « Mais où est passée la troisième révolution industrielle ?, Les Echos du 3/4/2014).

[5] Rapport sur la libération de la croissance française, La Documentation Française, 2008.

[6] Curieusement, dans les années 80 des économistes keynésiens- qui tout aussi curieusement   sont largement devenus des théoriciens de l’offre- ont lourdement insisté sur cet aspect des choses. Qu’on en juge : en parlant de cette période intermédiaire menant aux trente glorieuses, voici ce qu’écrivaient Jean-Hervé Lorenzi, Olivier Pastré et Joëlle Toledano : « Le taylorisme, mode de rationalisation du seul travail, définit les conditions d’une production de masse sans apporter une quelconque solution à l’écoulement de cette production. En cela, le taylorisme fait inconditionnellement sienne la célèbre loi des débouchés. La crise de 1929 va se charger de lui apporter le démenti des faits ». Cf  page 81 de : « La crise du XXIème siècle » Economica, 1980.

[7] Cf l’article de Jean Paul- Pollin déjà cité.

[8] Comment en effet comprendre que par exemple l’agence pour l’emploi grecque qui occupe dans des activités précaires 300000 chômeurs pour 486 euros versés pendant 5 mois peut faciliter les débouchés d’une offre compétitive nouvelle ?

[9]Christophe Ramaux note que la moitié de la consommation française (843 milliards d’euros sur 1673) est supportée par de la dépense publique) toute réduction de  cette dernière provoque des effets dépressifs. Cf  Le Monde du 19/4/2014 : « La dépense publique est un précieux levier de croissance ».

[10] Dans sa phase ultra-gagnante, la Chine a pu créer jusqu’à plus de 40 millions d’emplois par an…essentiellement dans des activités industrielles tournées vers l’exportation. De quoi considérer que la Chine exportait du chômage pour importer de l’emploi. Dans le même temps la sous consommation se développait : entre l’année 2000 et aujourd’hui la consommation passe de 50 à 35% du PIB.

[11] Cette dernière a commencé avec le pharaonique plan de relance de 2008 : 485 milliards d’euros …pour des infrastructures dont le taux d’engagement dans la réalité économique s’avère aujourd’hui problématique. Avec bien sûr une autre conséquence très lourde : l’accumulation de créances  douteuses, il est vrai garanties par une institution publique. Sans une fantastique accumulation de dettes, la croissance chinoise serait estimée à 3 ou 4% l’an.

[12] Le « Middle- income trap » fut identifié par Barry Eichegeen et repris par les travaux récents de Donghyun Park et Kwanho Shin.

[13] Selon le N° d’avril des « Perspectives économiques mondiales » du FMI, le recul de la croissance des émergents depuis 2012 est imputable pour 25% au ralentissement chinois. Phénomène qui va jusqu’à la désindustrialisation de ceux qui s’y étaient engagés : le Brésil par exemple. On pourrait multiplier les exemples. Ainsi le solde commercial entre l’Espagne et la France est passé d’un excédent (pour la France) de 6,3 milliards d’euros en 2007 à un déficit de 1,9 milliards entre mars 2013 et Mars 2014 : les réformes structurelles consistent ainsi à se passer les "patates chaudes" de la crise.

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11 avril 2014 5 11 /04 /avril /2014 08:34

 

 

Après un travail préparatoire de près d’une année, le Trésor Grec vient d’emprunter sur les marchés 3milliards d’euros à 5 ans pour un taux de 4,95%. La demande comportant un livre d’ordres de 600 signatures a dépassé les 20 milliards contre une première offre de seulement 2,5 milliards. 6 SVT[1] avaient été retenues dont Goldman Sachs, JP Morgan, Morgan Stanley, Bank of America et Merril Linch. Ces SVT auraient par ailleurs acheté de la dette grecque en compte propre.

Les titres remportés le sont essentiellement en provenance de Grande Bretagne (47%), du reste de l’Europe (31%), et hors d’Europe ( 15%). S’agissant de l’origine institutionnelle, la moitié des titres remportés le sont par des sociétés de gestion et le tiers par des « hedge funds ».

Le succès provient de l’importance des moyens mobilisés pour sa préparation, la mise en avant de la sécurité d’une dette certes colossale mais de maturité moyenne largement supérieure à celle de la zone euro, et surtout portée par les mains des partenaires officiels de la Grèce dont bien sûr la BCE.

A y regarder de plus près la prime de risque est importante dans la mesure où aux yeux du marché il apparait que la crise de l’euro serait désormais contenue. C’est dire que l’achat est particulièrement rentable et va permettre de rehausser l’attrait d’un certain nombre de titres financiers qui pourront être dopés avec de la dette grecque. Pour un  certain nombre de banques, la rentabilité est même exceptionnelle puisque les ressources mobilisées pour l’achat le sont à taux presque nul. Pour le trading  classique il s’agit aussi d’une aubaine car la forte demande non satisfaite pourra l’être partiellement par un grand mouvement d’allers-retours permettant de disséminer la manne de la rentabilité sans aucune prise de risque, et cela dans les quelques jours qui suivent le placement. Pour les plus soucieux de confort, il s’agit d’une voie bien paisible qui laisse à d’autres, les fonds « distressed », le soin d’aller plus loin dans le risque fortement rémunéré.

Au total ce que certains appellent le « triomphal retour de la Grèce » sur les marchés est d’abord un cadeau fait à la finance qui ne pourrait envisager aussi facilement une telle efficacité dans la cadre d’un système très classique de prêts aux entreprises. Les prétendus investisseurs n’ont évidemment rien à voir avec le goût du risque sur les marchés économiques.

Les entrepreneurs politiques sont aussi les gagnants de ce qui peut être considéré  comme une réelle opération de communication au bénéfice de l’organisation de Bruxelles et du pouvoir grec. La Commission se voit confirmée dans ses activités à un moment où les risques électoraux du mois de mai ne sont pas négligeables. De la même façon les entrepreneurs politiques au pouvoir à Athènes peuvent mettre en avant ce qui peut apparaitre comme un réel succès. Organisation de Bruxelles et pouvoir grec coopèrent pour mieux affronter l’avenir. Gagner du temps reste le mot d’ordre de la gestion de la grande crise.

A l’inverse l’opération est fort couteuse pour les salariés , consommateurs ou retraités grecs, des groupes pour lesquels la pression sociale/fiscale ne pourra que se renforcer.

Tout d’abord conforter l’euro en Grèce, c’est-à-dire laisser entre  les mains de pauvres une monnaie de réserve à cours élevé, c’est continuer à désindustrialiser la Grèce sauf à en faire une petite chine avec des salaires chinois, ce qui semble ici et là émerger.

Mais surtout le retour du financement public par les marchés doit être supporté par de nouvelles charges : comment servir un taux de 4,95% sur de la dette nouvelle avec un taux de croissance qui restera proche de 0,6% ? Ajoutons que ce taux de l’intérêt doit être « complété » par une déflation qui atteint maintenant le rythme annuel de 1,3% l’an. C’est dire qu’en valeur, la croissance grecque restera négative en 2014.

Le gâteau diminuant et les prélèvements financiers augmentant, c’est bien le citoyen grec qui sera amené à régler la note de ce miracle des marchés.

 



[1]Spécialistes en valeurs du Trésor selon le langage de notre Agence France Trésor.

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2 avril 2014 3 02 /04 /avril /2014 09:08

 

S’agissant du plan de sortie de crise de l’Italie, on peut s’étonner des réactions  superficielles qu’il a engendrées, le plus souvent sous la forme d’éloges visant à souligner le dynamisme du nouveau dirigeant politique. Il faut néanmoins remarquer qu’aucune analyse sérieuse n’a jusqu’ici été publiée.

Le cadre général sur lequel le plan Renzi s’appuie est constitué d’hypothèses  singulières dont au moins deux d’entre elles doivent être soulignées : la « marge » sur le déficit public d’une part, et celle sur le coût de la dette d’autre part. Le plan prévoit en effet que de nouvelles dépenses peuvent finalement être financées par l’accroissement du déficit, lequel n’étant que de 2,6% en 2013, peut se hisser à 3% sans risquer les foudres bruxelloises, ce qui laisserait une enveloppe potentielle de 6 milliards d’euros. Ce même plan prévoit que ces dépenses nouvelles peuvent reposer sur le moindre débours à prévoir en raison d’un coût décroissant du service de la dette, coût décroissant reposant lui-même sur la baisse des taux. Ici la « marge » ainsi imaginée laisserait une enveloppe de 2,4  milliards d’euros.

En dehors du plan de résorption des dettes du Trésor envers les entreprises (60 milliards d’euros) que nous examinerons plus loin, la demande globale devrait augmenter au cours des prochains mois d’un peu plus  de 10 milliards d’euros[1]. Compte tenu de l’effet multiplicateur, cette hausse pourrait entrainer un gain de croissance pour l’année 2013  d’environ 12 à 15 milliards d’euros[2].

En contrepartie, une baisse de la demande globale devrait intervenir du fait d’une réduction de volume de la dépense publique. Dans l’hypothèse retenue d’une baisse du train de vie de l’Etat à hauteur de 7 milliards d’euros pour 2014, nous pourrions avoir une tendance à la contraction du PIB d’un peu moins de 10 milliards d’euros.

Expansion d’un côté, contraction de l’autre, la force expansionniste l’emporte, certes, mais de très peu et surtout elle ne l’emporte qu’au prix d’un accroissement de la dette…autorisée sur la base d’une finasserie comptable : les « marges » sur la dette que nous venons d’évoquer.

Ajoutons que le risque est grand en raison de la non introduction dans le raisonnement des tendances déflationnistes qui augmentent le coût réel de la dette publique alors que le taux nominal pourrait baisser[3].

Reste le grand mystère de la prise en charge par la « Cassa Depositi e Pretiti » (CDP) -c’est-à-dire approximativement l’équivalent de la Caisse Des Dépôts française- des dettes du Trésor sur les entreprises. Un tel transfert développe un gros effet de liquidité sur des entreprises qui pourraient théoriquement investir, voire redistribuer du pouvoir d’achat. Cependant cet effet est contre balancé pour un même montant au détriment de l’aide à l’investissement aux entreprises qui ne pourraient plus bénéficier de fonds de la CDP, désormais mobilisés au titre de la demande du Trésor. Sans recours à une création monétaire, l’idée de transférer 60 milliards d’euros aux entreprises en utilisant les services de La CDP ne correspond à aucun avantage macroéconomique, sauf peut-être en ce qui concerne la notation de l’Etat par les agences.

Le plan Renzi fait ainsi partie des outils de la simple communication gouvernementale.

Il ne produira aucun miracle et laissera le pays dans les difficultés qui sont les siennes.

 Pour autant, on mesure les bénéfices que, théoriquement, il pourrait introduire si la demande globale pouvait bondir de 60 milliards d’euros, au titre du paiement des créances  des entreprises sur le Trésor, à partir d’une pure création monétaire. La prison européenne maintiendra la dure « loi d’airain de la monnaie »[4] et l’Italie comme – à l’exception de l’Allemagne -tous les autres pays de la zone euro ne pourra envisager son avenir sans le rétablissement d’une forme de souveraineté monétaire.

 

 



[1] Fin mai 10 milliards seront remis au ménages sur la base d’un chèque ou d’une diminution du prélèvement à la source. Les autres mesures (baisse de la taxe professionnelle, plan de rénovation des écoles, plan jeunesse, etc.)  monterons progressivement en puissance.

[2] Il est très difficile d’évaluer le multiplicateur et de nombreuses controverses alimentent le débat. On trouvera une bonne synthèse de la question chez Éric Heyer : « Une revue récente de la littérature sur le multiplicateur : la taille compte ! » , OFCE, Le Blog, 2012.

[3] Selon Eurostat, l’inflation qui est tombée à 0,5% en mars pour l’ensemble de la zone, n’est que de 0,4 pour l’Italie.

[4] CF Jean Claude Werrebrouck : « La loi d’airain de la monnaie », Médium, N°34, janvier Février mars 2013.

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24 mars 2014 1 24 /03 /mars /2014 09:07

 

Les Etats sont des cadres d’intégration et de construction des communautés humaines. En très longue période, si d’autres cadres ont pu exister, notamment celui des religions dans leur infinie variété, Il semble qu’aujourd’hui le marché autorégulé s’annonce comme le nouveau principe d’intégration des individus dans un ordre collectif.

Ces cadres sont l’expression du politique comme dispositif général du vivre ensemble avec son liant indispensable : l’idée d’un intérêt général. Ces mêmes cadres ne correspondent pas à ce qui pourrait être une dynamique de l’histoire, avec un temps des religions suivi d’un temps des Etats, puis d’un temps du marché, avec sa vision universaliste que serait la mondialisation.

Une société historique concrète peut mixer les différents cadres avec bien sûr une dominante. Sans vouloir  ni pouvoir être exhaustif, on pourra distinguer des sociétés à religion enkystée dans des Etats ou des sociétés à Etats enkystés dans des religions ; des sociétés avec économie et donc marchés comprimés et/ou surveillés et/ou orientés par des Etats, ou des sociétés dont les Etats ne sont plus que le jouet utilitariste des marchés ; enfin des mondes où l’on retrouve les trois cadres intimement mêlés ou hiérarchisés et en interaction permanente.

Si l’on photographie la grande région Europe, celle qui irait de l’Atlantique à L’Oural, il semble bien que les sociétés qui peuplent cet espace s’organisent autour de 2 grands pôles : à l’ouest, des mondes qui semblent, par un processus de métamorphose, abandonner ce qui était l’Etat-nation au profit d’une mondialisation sans barrière. L’armature des vieux Etats semble devoir être abandonnée au profit d’une nouvelle qui est le marché autorégulateur. A l’est le maintien, voire le retour d’un cadre étatique solide, et entre les deux des communautés humaines travaillées par les forces attractives ou répulsives des 2 pôles.

A l’Ouest, la construction européenne n’est que la fausse barbe de la mondialisation radicale. Il ne s’agit pas de construire un grand Etat comme articulation ou synthèse d’une série de petits Etats-nation, il s’agit d’une dissolution des vieux Etats qui composent la partie ouest européenne. Cette dissolution passe par celle des frontières : fin des identités ou recompositions  culturelles ou sociétales avec développement d’un individualisme hors sol, libre circulation des personnes, disparition d’une souveraineté monétaire, disparition des péages monétaires ( taux de change « dépolitisés »[1] et absence de contrôle dans la circulation des capitaux etc.) , apparition d’agences privées de régulation (Autorités Administratives Indépendantes), recours judiciaire au détriment des cadres législatifs issus de la souveraineté populaire démocratique ( recours aux tribunaux contre une législation sur un smic[2]), Banque centrale séparée des Trésors, etc.

 A cette contestation des Etats « par le haut » va s’ajouter une contestation « par le bas » : celle issue d’une dévaluation interne se manifestant d’abord par une attaque de l’Etat social et le développement de la précarité, cette dernière étant aussi due aux exigences accrues d’employabilité dans un monde beaucoup plus concurrentiel. L’affaiblissement de l’Etat social justifie en retour la perte d’adhésion -  des communautés précarisées et/ou « inadaptées » -  à L’Etat lui-même. Avec bien évidemment une force accélératrice de promotion d’un individualisme aboutissant à la naissance d’une « société hall de gare »[3].

Le moteur de la broyeuse des Etats est bien évidemment l’usine de Bruxelles (il faut établir une « concurrence libre et non faussée ») curieusement animée par des rentiers politiques hors du marché, et  alimentée par les groupes intéressés par la construction de ces nouveaux biens publics que sont les autoroutes de la mondialisation.

La décomposition des Etats-nation européens de l’Ouest fait émerger – au-delà d’un principe général de mutation en « Autorités Administratives Régionales » -  des situations nouvelles, lesquelles dépendent des modalités historiques de construction des dits Etats-Nation.

Lorsque nous avons des Etats incorporant des communautés distinctes (Espagne, Belgique, Grande Bretagne) la dislocation a pour origine la contestation des transferts. Il  s’agit moins de construire un Etat plus petit que de procéder à une analyse coûts /avantages d’une rupture avec l’Etat central.

Une autre possibilité est celle de la contestation radicale du processus en invoquant le retour au vieil Etat-Nation. Cela donne la montée de populismes de droite dans toute l’Europe avec parfois revendication de vieilles frontières aujourd’hui disparues (Hongrie).

Une autre situation nouvelle  consiste en l’émergence  du recours au communautarisme et le repliement identitaire : le marché pourvoyeur d’individualisme se confronte à des « grumeaux » pouvant alimenter des réseaux mafieux ou, à tout le moins, des espaces anomiques.   

 

Et puisque les Etats sont déconsidérés, la lumière nouvelle apportée par les autoroutes de la mondialisation pourra devenir un impérialisme : il faudra édifier au sein de la technocratie bruxelloise un « Commissariat à l’Elargissement »[4] qui devra justifier son travail par la recherche de nouveaux espaces pouvant répondre aux « critères de Copenhague [5]». La nouvelle frontière étant devenue la Biélorussie, la Moldavie, la Transnistrie et l’Ukraine. L’impérialisme, au moins dans sa dimension messianique, devient ainsi le stade suprême de l’intégration européenne. Certes un impérialisme d’un nouveau genre puisqu’il est censé apporter les droits de l’homme et les libertés individuelles.

 

A l’extrême Est de l’Europe, un monde néo westphalien s’est édifié sur les décombres de l’ex -URSS : La Russie. Il s’agit à n’en pas douter d’un Etat-Nation qui entend reprendre toute la logique de l’ordre Westphalien : Inviolabilité d’une souveraineté mise en exergue, frontière inviolable avec contrôle des mouvements de population, principe de non-ingérence avec sanction brutale à son manquement, mesures d’homogénéisation des populations : mythe fondateur, religion enkystée dans l’Etat ou Etat enkysté dans la religion, monnaie nationale et souveraine, langue, armée patriotique, etc. Bien évidemment l’idée d’un intérêt général passe davantage par des contraintes collectives que par l’explosion des libertés individuelles : le peuple n’est pas une somme d’individus dans un hall de gare.

 

Reprenant les origines- mêmes du concept westphalien ( 16 octobre 1648), le ou les politiques sont des prédateurs qui, sans avoir mis en place (et ne le souhaitant pas) les autoroutes de la mondialisation, cherchent à la vampiriser ou à en bénéficier : libre circulation du capital pour les oligarques en quête de paradis fiscaux, stratégie géopolitique de maximisation des rentes gazières et pétrolières, utilisation contrôlée des technologies numériques, etc. Il s’agit de fait de la reconstruction de la phase mercantiliste parcourue par nombre de vieux Etats-Nations.

Comme dans le vieux monde westphalien  les actions souveraines de l’Etat monopoleur et prédateur développent des externalités qui se règlent mal par un droit international trop imprégné de culture mondialiste et de respect des droits de l’homme. Le mythe de l’empire et celui de sa gloire passée, homogénéise et produit des tendances impérialistes nourries par la possibilité de se greffer sur une mondialisation honnie : le territoire souverain peut s’élargir notamment au détriment d’Etats moins résistants et proches d’un statut de « failed State ».

Entre l’Ouest qui est le seul véritable phare planétaire de la mondialisation diabolisant les Etats, et l’Est qui ne se ressource que par un Etat mercantiliste peu soucieux des droits individuels, s’étire les « failed States » déjà énoncés, territoires devenant des enjeux inter-impérialistes. Ces « failed states » sont ainsi désignés car ils sont de fait écartelés entre les deux pôles.

C’est cet écartèlement qui explique le caractère de structure conglomérale pré- moderne d’un pays aujourd’hui sur le devant de la scène : l’Ukraine.

Ce pays n’a jamais pu connaitre de moment westphalien en raison de l’impérialisme de ses voisins. Espace travaillé par la Russie, l’empire austro-Hongrois, La Pologne et la Lituanie, il n’a connu qu’une courte indépendance en 1917 avant une intégration plus complète dans l’URSS et une nouvelle indépendance en 1991.  Le système westphalien y a toujours fonctionné à ses dépens et les caractéristiques de l’ordre correspondant sont très mal établies : homogénéisation très faible (qui permet par exemple l’édification récente d’une statue du dernier des Habsbourg dans une région Ouest et de maintenir la statue de Lénine à Kharkiv[6]) et donc grande difficulté d’y faire naitre un peuple et une idée d’intérêt général. Cela signifie à contrario des coûts d’hétérogénéité très important avec une grande difficulté de transferts entre régions. Une telle désarticulation rend très difficile l’établissement d’un Etat de droit qui reste prémoderne.

En activant son commissariat à l’élargissement, lui–même influencé par l’activisme polonais, la CEE, heurte de manière frontale la partie Est du pays, elle-même économiquement complètement dépendante de la Russie. Ce dernier pays, lui-même doté d’un Etat qui refuse brutalement la mondialisation tout en la vampirisant, ne peut que réagir négativement à ce qui lui apparait comme une ingérence coloniale dans sa propre zone d’influence.

Les technocrates et rentiers politiques de l’organisation bruxelloise ne se rendent même pas compte du caractère violent et donc impérialiste de leur armada de normes ultra-libérales, les fameux « critères de Copenhague », normes qui détruisent un double système de valeurs et d’intérêts locaux.

Plus curieusement encore, les allemands ne se rendent pas compte - qu’initiateurs rigoureux, dogmatiques, et exigeants de l’ordo- libéralisme européen- ils risquent d’être les premiers concernés par les conséquences de l’affrontement inter-impérialiste.

Cet affrontement sera toutefois encore mieux évité qu’à Fachoda[7] : la haine de l’Etat-nation, avec ses contradictions, comme celle de la curieuse intangibilité des frontières, a produit l’affaissement de la puissance militaire. L’impérialisme de l’organisation de Bruxelles ne peut être que messianique et se bornera dans un premier temps aux habituelles exhortations concernant « l’impérieuse nécessité de réformes structurelles ». Un messianisme lui-même désargenté face à l’énormité des besoins qu’il faudrait rassembler  pour extirper l’Ukraine de sa tutelle russe[8].

 



[1] Selon la savoureuse expression de Jens Weidmann, président de la Bundesbank

[2] Rumeur persistante s’agissant de la présente négociation Transatlantique. Cf l’article de Lori M.Wallach dans le Monde Diplomatique de novembre 20123.

[3] Expression chère à Alain Finkielkraut.

[4] Son actuel responsable est le Tchèque Sefan Füle.

[5] Ces critères ou conditions, sont annoncées dans l’article 49 du Traité de Lisbonne et relèvent, pour l’essentiel de la conception ordo libérale allemande.

[6] Cf l’intéressant article de Georges Nivat : « Vers une troisième Europe » dans Le Monde du 23 et 24 mars 2014.

[7] Lieu de la dangereuse rencontre ( Sud Soudan actuel) entre les armées britanniques et française en 1898.

[8]Bruxelles propose 15 milliards d’aide, alors même que la dette de l’Ukraine se monte à 140 milliards (80% de son PIB), sa partie court terme étant évaluée  à 65 milliards d’euros. N’oublions pas également les coûts potentiels de désorganisation dont celui de l’Est industriel tourné vers la Russie.

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17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 15:35
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17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 15:35
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1 mars 2014 6 01 /03 /mars /2014 10:10

 

Dans la course à la dévaluation interne, le gouvernement espagnol semble vouloir frapper un grand coup en divisant par 4  les charges sur le salaire moyen[1]. Précisons que cette décision ne concerne que les emplois nouvellement crées sous la forme de CDI   ou de CDD de longue durée. Il s’agit donc d’une dévaluation à la marge concernant des flux et non des stocks comme c’est le cas pour la dévaluation interne française.

Quels sont les effets macro-économiques d’une telle décision ?

Deux scénarios se doivent d’être étudiés : le cout du travail ne baisse pas et la diminution des charges sociales est absorbée par une augmentation du salaire net. A l’inverse un scénario probablement plus réaliste part de l’hypothèse d’une baisse effective du cout du travail.

 

Scénario 1

La non dévaluation interne se traduit en marginal par une hausse du pouvoir d’achat et –toutes choses égales par ailleurs – par une aggravation des déficits publics.

A la marge, le supplément de demande globale résultant du pouvoir d’achat supplémentaire peut nourrir une offre supplémentaire, mais il n’existe aucune hausse de la compétitivité dans un contexte d’aggravation du déficit public[2], et de la dette publique[3].

Le scénario 2 est plus probable et aussi beaucoup plus intéressant.

 

Scénario 2 : la baisse du cout du travail.

Cette dernière développe des conséquences directes sur les entreprises, conséquences développant elles-mêmes des effets secondaires. Mais elle développe aussi des conséquences directes sur les Administrations Publiques, là aussi avec des effets secondaires.

A) Conséquences directes sur les entreprises et effets secondaires.

Les entreprises bénéficiant d’une marge plus importante peuvent la conserver ou, à l’inverse, la rétrocéder aux clients sous la forme d’une baisse de prix.

1) Le choix d’une conservation de la marge accrue.

Les prix restants inchangés, les profits augmentent. L’impact sur la demande globale dépend de l’affectation des profits : investissements nouveaux ? Ou épargne nouvelle à l’instar de ce qui se passe dans les grandes entreprises internationales? Et dans le cas de l’hypothèse d’investissements nouveaux, quel type ? Renouvellement ? Modernisation ? Capacité ? Degré d’attraction au regard des investisseurs étrangers ? Il est très difficile de répondre. L’offre devient plus compétitive mais peut-on faire confiance à la loi de Say ?

Maintenant que faut-il attendre des nouveaux salariés en termes de demande, le seul pouvoir d’achat supplémentaire n’étant que la différence entre le salaire nouveau et les anciennes prestations au titre du chômage ?

A l’international toutefois les choses sont plus claires et des investisseurs étrangers peuvent être attirés par des salaires devenant progressivement chinois à l’intérieur même du continent européen. La dévaluation interne espagnole peut donc redéfinir la fracturation des chaines mondiales de la valeur, avec des exportations supplémentaires et probablement les importations associées au surplus d’exportations. Dans ce cas il y a une compétitivité nouvelle, acquise au détriment des autres Etats devant encaisser une dégradation de leurs comptes extérieurs. C'est bien ce que confirme déjà les derniers chiffres de la balance courante espagnole avec un excédent de 7,1milliard d'euros constitué notamment par une croissance de 5,1% des exportations. Signalons aussi qu'une accumulation en 2013 de 88,8 de capitaux a probablement permise un début de reconfiguration des chaines de la valeur au bénéfice de l'Espagne.

2) Le choix d’une rétrocession de marge aux consommateurs.

Dans ce cas il y a baisse des prix à la marge (« le flux ») avec éventuelle concurrence déloyale au profit des entreprises redevables de charges inchangées (« le stock »). Un double effet « déflation/ hausse du pouvoir d’achat » s’enclenche sans qu’il soit possible d’énoncer un quelconque résultat sur la demande globale. Par contre au niveau international, si l’élasticité-prix des exportations est suffisante, il peut y avoir hausse de la demande et là aussi redéfinition de la fragmentation des chaines de valeurs.

B) Conséquences sur les Administrations Publiques et effets secondaires.

Les administrations publiques peuvent choisir d’aller jusqu’au bout du choix de la baisse du cout du travail et diminuent les prestations sociales (maladie, chômage, accident, vieillesse, etc.). Elles peuvent aussi choisir la voie d’une croissance de la dette.

1) Le choix d’une diminution des prestations sociales.

Les conséquences sont évidentes et les entités fournisseuses des services sociaux se heurtent à une perte de débouchés : Laboratoires pharmaceutiques et industrie médicale, établissements publics et privés d’accueil et de soins, entreprises dont le chiffre d’affaires repose sur les dépenses de revenus de transferts, etc. L’offre compétitive se heurte ainsi à une réduction de la demande globale.

2) Le choix de la croissance de la dette.

Dans ce scénario il n’y a pas véritablement baisse du coût total du travail, l’Etat-social se maintenant alors même qu’il a perdu une partie de son financement. Il n’existe donc pas de réduction de la demande globale et les effets signalés sur les entreprises ne sont pas pollués par une baisse des dépenses publiques.

 On peut observer que les Administrations Publiques espagnoles ont choisi un mix des deux solutions : durcissement des conditions d’accès aux revenus de substitution, aux soins médicaux, etc., et en même temps aggravation de la dette publique.

Conclusions.

La dévaluation interne espagnole est- elle un bon choix ?

Les développements précédents révèlent que la compétitivité recherchée n’apporte de solution satisfaisante en termes de dettes publiques et de chômage que si l’Espagne se construit des comptes extérieurs très fortement excédentaires. Un excédent lui-même issu d’une redéfinition des chaines de la valeur allant dans le sens de l’intérêt espagnol et donc au détriment des autres pays supports de la chaine. Le jeu est en effet à somme nulle y compris pour les plus compétitifs[4]. Ainsi l’Allemagne, grande animatrice des chaines européennes de la valeur, peut elle-même connaitre de nouvelles vagues de délocalisations vers une Espagne devenue Chine de L’Europe. Plus l’Europe reste la pointe avancée de la mondialisation et plus elle entre- plus que d’autres pays qui ont conservé au moins partiellement le stade de l’Etat-Nation -  dans une « coopération » improductive.

Le chômage, qui frappe 26% des actifs alors même que la population totale diminue[5], et la question de la dette ne peuvent être réglés par la compétitivité que si les autres pays acceptent le mercantilisme espagnol sans réagir. La baisse de la part des salaires dans le PIB - baisse partout constatée[6]- n’est pas le reflet d’un néo machinisme devenu puissance informatique ou « deuxième ère des machines » détruisant et abaissant mécaniquement le taux de salaire[7]. Ces phénomènes résultent bien plutôt de la forme prise par la mondialisation, forme dans laquelle les salaires ont perdu leur statut de débouché.[8]

Les entrepreneurs politiques espagnols en concurrence avec les entrepreneurs politiques des autres pays de la zone euro semblent vouloir devenir les champions de la course à la dévaluation interne. Se faisant - aussi en raison du poids de l’Espagne dans la zone euro[9] - ils aggravent, plus que d’autres, la crise générale et le risque de déflation[10], y compris là où la croissance – certes timide-  existe encore[11].

Cette stratégie suicidaire de la zone euro est, en raison de la disparition de toute politique monétaire, plus radicale que dans le reste du monde et correspond aussi, à la fin des classes moyennes que le Fordisme des trente glorieuses avait générées[12].

 



[1] Dans sa déclaration du 24 février dernier, Mariano Rajoy annonce que toute création d’emploi sera assortie d’un prélèvement unique de 100 euros par mois. Ainsi pour un salaire annuel brut de 20000 euros, les charges passeraient de 5700 à 1200 euros, soit une diminution de 75%. Cette mesure assez radicale de dévaluation prolonge et développe la course à la baisse du taux de salaire en Espagne. Aujourd’hui 50% des offres d’emplois sont proposées à moins de 1000 euros/mois, elles ne représentaient que 30% début 2013.

[2] - 5,8 points de PIB pour 2014 et en prévision – 6,5 pour 2015.

[3] 99 points de PIB pour 2014 et en prévision 103 pour 2015

[5] Solde migratoire négatif de 118238 personnes pour le seul premier semestre 2013.

[6] Cf L’Organisation Mondiale du Travail (OIT) et son Rapport Mondial sur les Salaires 2012/2013 qui évoque la diminution de la part salariale dans la valeur Ajoutée, réalité statistique parfois contestée.

[7] Question débattue depuis Ricardo en passant par le regretté Alfred Sauvy (« La machine et le chômage », Bordas/Dunod 1980) et aujourd’hui des membres du MIT comme Erik Brynjolfsson ou Andrew Mcafee.

[8] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-de-say-comme-obstacle-a-la-lecture-de-la-grande-crise-115527906.html

[9] 12 points de PIB de la zone.

[10] Selon l’office fédéral des Statistiques, la hausse des prix  en Allemagne se rapproche dangereusement de la zone déflationniste : 1,4% en Décembre, 1,3 en Janvier, et 1,2 en février. Dans le même temps les salaires réels ont diminué  (-0,2%) en 2013.

[11] 0,4 points en Allemagne pour l’année 2013.

[12] Sur la fin des classes moyennes on pourra se reporter sur 2 ouvrages récents : « Average is Over. Powering America Beyond the Age of the Great Stagnation », Tyler Cowen, Dutton 2013 ; et « Broke. Who Killed the Middle Classes”, David Boyle, Fourth Estate,2013.

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24 février 2014 1 24 /02 /février /2014 09:57

 

  Ces dernières semaines voient fleurir nombre de groupes de reflexion dont la finalité est le passage à une forme de fédéralisme européen: Groupe "Eiffel", "Glienicker Gruppe", "Union politique de l'euro", etc. Leurs signataires sont souvent de grands spécialistes des questions monétaires et financières:Agnés Banassy-Quéré, Laurence Boone, Daniel Cohen, Thomas Piketty, voire des spécialistes d'autres disciplines comme Pierre Rosanvallon, Laurence Tubiana, Guntram Wolff, ou Enrik Enderlein, ou enfin des politiques comme Sylvie Goulard ou Jean-Louis Bianco. Parce que toujours englués dans des analyses normatives et sans prise de recul suffisamment appuyé sur une démarche cognitive, ces groupes ont peu d'avenir et risquent d'être balayés dans le grand vent de la crise.

Nous reprenons ci dessous un texte sans doute moins enthousiasmant publié sur ce blog le 30 janvier 2013:

            "Peut-on fonder un ordre européen Rawlsien?".

Bonne lecture. 

La crise de la zone euro a clairement révélé les insuffisances de la construction de la monnaie unique. Insuffisances qui font encore débat puisque le courant dominant et la stratégie correspondante privilégie encore la voie de la solution individuelle (chaque pays est responsable de ses comptes), tandis qu'un autre courant, propose de passer par davantage de solidarité (budget commun , eurobonds,etc.).

Le présent texte se propose de tester la faisabilité d’une construction solidaire en questionnant la théorie rawlsienne de la redistribution.

L’ordre Rawlsien

On sait que Rawls est un auteur américain qui dans sa "Théorie de la Justice" s'est longuement interrogé sur de possibles alternatives à la montée de l'ultralibéralisme américain. Dans sa vision, une bonne société est celle qui n'accepte comme niveau d'inégalités, que celui qui procure le grand avantage aux plus démunis. Il s'agit bien sûr d'une théorie normative: Rawls n'explique pas le monde "tel qu'il est " mais bien "tel qu'il devrait être". En ce sens nous ne sommes pas dans une démarche scientifique. Au surplus Rawls se place dans un monde idéal peuplé d'individus (nous sommes dans l'individualisme méthodologique) qui fait de chaque acteur un personnage auto déterminé. A partir de cette axiomatique Rawls démontre que le contrat social qui doit logiquement naitre d'une société  peuplée d'individus auto déterminés, passe par une négociation sous "voile d'ignorance" où les acteurs négocient une constitution débouchant sur le niveau optimal d'inégalites : celui qui assure le maximum de bien -être aux plus démunis. l'idée de voile d'ignorance définit selon Rawls une situation où les participants à la négociation ne connaissent  pas leur position originelle dans la société: riche, malade, pauvre, handicapé, etc. Cette méconnaissance, et donc le risque correspondant, amenant les sociétaires à faire le choix de la bonne société, celle qui peut protéger au cas où les individus seraient mal placés sur l'échiquier de la distribution sociale.

Ce maximum de bien être, assuré aux plus démunis, est évidemment fourni par les autres individus dont les capacités productives plus grandes, verront les fruits correspondants partiellement redistribués aux plus démunis. Sans le dire ouvertement, Rawls envisage donc un ordre de type social-démocrate.

Son raisonnement vaut évidement dans l'ordre national où les individus sont acteurs d'un espace type Etat-Nation. Ce raisonnement avec construction d'un ordre social "sous voile d'ignorance" est-il adaptable au cas où les sociétaires, devenus citoyens, sont remplacés par des Etats-Nations? Et il s’agit bien d’Etats qui deviennent les sociétaires d’un ordre à contruire, par exemple une europe fédérale ou confédérale. De ce point de vue, les tentatives d’adapter Rawls à l’ordre international en partant des individus ( Charles Beitz ou Thomas Pogge) paraissent irréalistes : la construction d’une Europe fédérale ne peut qu’être le fait des Etats.

Sociétaires " individus" et sociétaires "Etats-Nations" "

La première idée qui vient lorsque l'on passe de l'individu à l'Etat, est que fort banalement le champs de la négociation est fort différent. Les Etats, surtout lorsqu'ils ont atteint la forme Etat de droit, ne sont pas des acteurs auto déterminés, mais des acteurs dont la réalité comportementale est le résultat d'un instable compromis antérieur, celui des groupes sociaux qu'ils sont censés rassembler. Les Etats et donc leurs représentants, c’est-à-dire les entrepreneurs politiques, qui sont ainsi invités à négocier sous voile d'ignorance pour construire le projet européen, ne sont pas des sujets ou des citoyens, mais au moins partiellement des exécutants d'ordres venus de la base. Ils ne sont toutefois pas que cela, car ces exécutants sont des entrepreneurs politiques qui proposent des programmes  achetés par la base, achat qui se matérialise par un résultat électoral  correspondant à la conquête ou la reconduction au pouvoir des dits entrepreneurs. Ils ont donc des intérêts en liaison avec la base, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne font que représenter la base : ils ont des intérêts propres.

Si donc la constitution européenne ou le contrat européen a pour but de rendre viable durablement, par exemple la monnaie unique, nous ne sommes déjà plus dans une négociation sous voile d'ignorance. De fait le raisonnement sous voile d’ignorance, difficile à imaginer, mais sans doute possible pour des individus à la recherche d’une bonne Constitution, est une radicale impossibilité logique dans le cas de la construction d’une constitution fédérale européenne. En effet, si l’on imagine un budget fédéral à des fins redistributrices  en vue d’assurer l’édification d’une zone monétaire optimale, cela signifie nécessairement que les sociétaires (les Etats) connaissent la réalité et qu’il ne saurait être question d’en faire abstraction. Et cette réalité est très largement conflictuelle… dès le début de la négociation. Ainsi est-il possible d’estimer la réalité de façon fort contradictoire…Nous ne sommes plus dans l’hypothèse rawlsienne où l’individu incapable de savoir quelle est sa situation se montre beaucoup plus ouvert et coopératif.

Les pays du sud peuvent légitimement mettre en avant qu’ils sont victimes d’une monnaie unique qui ne leur permet pas d’accéder à la compétitivité externe. Mais les pays du Nord peuvent rétorquer que le sud a eu le grand tort historique de s’être  « drogué à l’euro ». En retour ces derniers peuvent répondre que la « drogue euro » fût très favorable au nord qui a pu voir ses exportations garanties par disparition des risques de taux de change. Arguments et contre- arguments peuvent s’enchainer sans fin.

Le raisonnement mené à partir de la matière première euro aurait pu être mené à partir de toute autre considération. Dans le raisonnement initial de Rawls, l’individu est en quelque sorte une pièce détachée ( il ne voit pas que la réalité vécue est le résultat possible d’un jeu social antérieur), pièce simplement soucieuse de sa position vécue comme « naturelle » (malade /bien portant ; jeune/vieux ; riche/pauvre, etc.). Dans le cas d’un raisonnement appliqué à des nations souhaitant construire une Constitution fédérale ou confédérale, il n’y a plus de détachement possible : la réalité est historique et résulte aussi de jeux antérieurs, jeux  dont les acteurs ont une représentation nécessairement non objective donc plus ou moins discutable ou contestable.

Alors que dans un monde d’individus, la négociation sous voile d’ignorance- même très difficile- est pensable et peut aboutir fort logiquement à la bonne société, sociale-démocrate et redistributive de Rawls, il semble illusoire d’aboutir à l’idée de fédération européenne sociale-démocrate et redistributive. Dans le premier cas, le voile d’ignorance peut être imaginé et c’est un peu ce que l’on vérifie, parfois, historiquement lors des changements de Constitution. Bien sûr la société est-elle toujours déjà construite et la situation originelle n’est qu’une construction intellectuelle, et à ce titre raisonner sur des individus et sur des Etats est formellement la même chose. Pour autant la grande différence est dans la matière première : l’hypothèse d’un voile d’ignorance fondateur d’un bon compromis entre Etats est un exercice particulièrement difficile.      

Impossible « non société » et évidente pérennisation d’Etats

 les Etats  et leurs entrepreneurs politiques en négociation ne sont intéressés à une constitution européenne que si la solidarité est  assurément plus avantageuse que l'isolement. Et quand il est dit solidarité plus avantageuse, c’est évidemment sous l’angle de la conquête ou la reconduction au pouvoir national. Cette question ne se pose pas dans le raisonnement rawlsien où l'individu ne peut être seul, et ce même pour les "ultra" de l'individualisme méthodologique : il faut bien d’une façon ou une autre faire société. Parce que L'Etat est déjà un ensemble protecteur constitué, le passage à la fédération est extraordinairement difficile . Alors que l’association avec mon semblable correspond à une obligation de simple survie dans le cas d’individus, l’association entre Etats ne peut que fort rarement correspondre à de la survie et, historiquement, c’est plutôt la frontière (le dedans opposable au dehors) qui sécurise réellement ou idéologiquement.

Mais il existe beaucoup d’autres causes qui empêchent le contrat rawlsien  fédéral ou confédéral.

 

Choix dominants (Etats-Nations ou mondialisation) et choix dominés ( fédéralisme)

Les groupes qui ont intérêt à la fin des frontières sont moins nombreux à envisager une frontière confédérale intermédiaire. En clair, les partisans de l’ouverture ne se contentent pas du niveau fédéral et préfèrent passer à la mondialisation. C’est que l’échelon intermédiaire apparait pour ces groupes comme la nouvelle forme de la fermeture avec la fin des jeux possibles sur la concurrence fiscale ou sociale ou la fin des prix de transferts fiscalement avantageux. Pour ne prendre qu’un seul exemple , l’Irlande, avec le compromis social qui règle les objectifs de son Etat et de ses entrepreneurs politiques, préfère la mondialisation, à la confédération européenne qui ne pourrait plus accepter son actuel taux d’imposition dérogatoire sur les sociétés  Quand l’intérêt de l’ouverture existe, il se déploie donc plus volontiers au niveau mondial, tout en souhaitant ménager des zones mi ouvertes et mi fermées (les vieilles nations) qui permettent les meilleurs arbitrages possibles.  L’intérêt des groupes partisans de  frontières protectrices n’est pas celui correspondant à la naissance de frontières élargies à l’espace fédéral. Parce que beaucoup plus repliés sur le vieil Etat Nation, ils mesurent mal l’avantage d’un déplacement de protection à un niveau fédéral. Les entrepreneurs politiques eux-mêmes, au-delà de leur obligation de représenter le compromis acceptable sur les marchés politique, compromis assez peu favorable au stade  fédéral ou confédéral, sont eux-mêmes peu intéressés par la perte d’une partie des leviers de commande qu’exige le passage au niveau fédéral.

 

Les idéologies dominent la raison

Maintenant quand il est dit que logiquement le passage au fédéralisme s’opère lorsque l’arbitrage coût/ avantages, l’y incite, il s’agit là d’une affirmation très théorique, très idéologique et fort éloignée des réalités. En particulier il est erroné d’affirmer que la mondialisation exige des regroupements, que nous sommes trop petits, que seuls nous quittons l’histoire, etc. Il est des  petits pays qui ont peut-être intérêt au fédéralisme (Portugal, Grèce), mais il en est d’autres où le compromis social, beaucoup plus tourné vers le libéralisme (Irlande, Lettonie) voit dans le fédéralisme une nouvelle camisole.  Il est donc, à l’inverse des individus rawlsiens qui ne font jamais sécession à la table de négociation, des Etats qui refuseront le passage au fédéralisme et préféreront, soit de voter avec les pieds, soit de bloquer la négociation. Situation qui n’est pas très éloignée de ce qui se passe aujourd’hui, entre la Grande Bretagne qui se contente du grand marché, et d’autres pays soucieux d’aller plus loin pour éviter la ruine de la monnaie unique.

 Mais il est des situations encore plus complexes où le compromis social mis en mouvement par les entrepreneurs politiques est schizophrène. L’exemple  de l’Allemagne est, parmi d’autres, intéressant en ce que  des entrepreneurs politiques seraient à priori favorables au fédéralisme, mais où d’autres sont heureux de voir une cour constitutionnelle (la cour de Karlsruhe) qui interdit de fait tout transfert budgétaire. Et donc toute réelle tentative de fédération ou de confédération.

De cet ensemble de réflexions il apparait clairement que l’apparition d’une fédération d’Etats européens disposant d’un budget réel est extrêmement peu probable. A fortiori un fédéralisme rawlsien avec effets redistributifs, type social-démocratie. Dans ce contexte tout ce qui peut ou doit  être entrepris est logiquement stratégie de contournement : la monnaie unique  exige bel et bien une redistribution fédérale irréaliste, et face à cette constatation, son  maintien ne pourra s’appuyer que sur les artifices de la BCE ou du FESF. Des objets que l’on maintient loin des Etats qui resteront le plus logtemps possible ce qu'ils sont .

 

 

 

 

 

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