Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 janvier 2014 4 02 /01 /janvier /2014 14:56

Mes lecteurs trouveront ci- dessous la première partie d'un texte correspondant à une intervention prévue pour la fin de ce mois. Une seconde partie sera mise en ligne ultérieurement, et de plus amples détails seront donnés le 22 janvier. Le propos tenu , au bénéfice de non spécialistes, est d'une approche simple et concerne bien sûr l'état de la crise en ce début d'année.

 

 

 

La France constitue l’un des pays qui a été le plus loin dans la construction d'un Etat-social avec aujourd’hui des dépenses publiques représentant plus de 56% de la richesse produite dont la moitié (33%) relève des dépenses sociales.

Votre secteur se situe à l’intérieur de cette moitié et en occupe une part très importante. Ce poids très lourd de l’Etat- social devait logiquement aboutir à une compétition entre groupes en quête de protection – professions de santé, retraités, associations, etc.- groupes recherchant aussi parfois rentes et privilèges que l’on « achète » par le biais des marchés politiques.  L’Etat-social est donc aussi fait de clientélismes politiques qui l’amène à un « grossissement » autoentretenu. Parce que le fil conducteur d’un Etat-social est d’assurer la protection par la solidarité et non par la charité, ou tout dispositif ayant recours au marché (marché de l’assurance par exemple), alors nécessairement les agents sont invités à rechercher cette protection par des règles et donc les marchés politiques, plutôt que de recourir aux marchés économiques. Votre secteur en particulier- parmi bien d’autres qui se sont  édifiés en corporations (Taxis, Opticiens, etc.) - préfère la loi au marché. La contre- partie du clientélisme politique, des rentes et privilèges associés, est nécessairement une affectation discutable des ressources et donc un Etat-social à productivité améliorable. Réalité qui sert de bouc- émissaire aux bénéficiaires potentiels de la mondialisation.

Le passage à la mondialisation s’est fait dans le cadre d’une contestation forte des Etats-nations et pour ce qui concerne l’Europe, la fin des souverainetés monétaires.

La contestation des Etats-nations correspond au fait que l’on va éloigner progressivement le dispositif d’assurance anti-crise de la période antérieure. Il devient possible- fin des barrières tarifaires et effondrement des coûts de transport et communication aidant  - de produire à l’étranger dans des conditions économiques beaucoup plus avantageuses. Le salaire, amélioré de ses charges devenues très lourdes avec la construction de l’Etat-social, devient un vrai problème pour les entreprises nationales désormais concurrencées sans limite par des entreprises à bas coût. D’où le lancinant problème de compétitivité.

En théorie il eut été possible de construire une autre forme de mondialisation passant par l’édification d’un Etat-social mondial. En théorie, car en pratique la multiplication des Etats et des marchés politiques planétaires interdisait pareille construction. Dans ce contexte, les vieux Etats-nations  vont tenter de maintenir l’Etat-social national à crédit. D’où le tout aussi lancinant problème de baisses de charges (impôts , cotisations sociales) que l’on tente de diminuer avec de la dette …et qui pour autant ne peuvent  diminuer en raison de l’approfondissement d’une mondialisation qui va toucher de plus en plus de secteurs sur lesquels il faudra réagir : il faut limiter l’Etat-social, mais l’exacerbation de la concurrence mondiale fait de nouveaux dégâts qu’il faut colmater avec davantage de ressources….donc de prélèvements que l’on doit néanmoins diminuer….

Alors que dans l’économie mondiale du stade de l’Etat-nation, les échanges restaient équilibrés- et avec eux restaient en équilibre les offres et demandes nationales de marchandises- avec le choix de la contestation de l’Etat-nation, on se dirige vers une crise planétaire de surproduction. L’explication est simple : si, antérieurement, les salaires et charges de l’édification de l’Etat- social correspondaient simultanément à un coût et à un débouché, au stade de la mondialisation, ces charges ne sont plus que des coûts à museler pour mieux assurer la compétitivité à l’échelle planétaire. La mondialisation choisie est dislocation de l’Etat-social, alors qu’il était théoriquement possible d’édifier une mondialisation avec Etat-social mondial. Petit à petit, les vieux Etats développés sont passés d’une "constitutionnalisation" de l’Etat-social, à la "constitutionnalisation" d’un libre échange et  libre circulation du capital, soit une concurrence « libre et non faussée » comme il sera dit en Europe.

C’est ce changement de paradigme – des échanges croissants de marchandises, capitaux services contestant les Etats-nations – qui créent une crise planétaire de surproduction (tous doivent exporter, disposer d’un excédent commercial,  ce qui est évidemment impossible). Et cette crise fut retardée par l’endettement, à commencer par l’immense endettement américain. Ainsi très longtemps les déficits américains ont produit  l’illusion de l’enrichissement US ….et la croissance chinoise…

La mondialisation, telle qu’elle fut construite, supposait donc la mise en place d’une « machine à faire de la dette » dans la plupart des pays. Et c’est l’explosion de la dette qui va révéler à partir de l’année 2008 l’étendue de la crise.

Une machine à faire de la dette, est supportable si la création monétaire qui lui correspond, est le fait des Etats qui- contrôlant leur banque centrale- n’ont pas à payer d’intérêt pour un quelconque service de la dette. Ce ne sera plus le cas avec, notamment dans l’Euroland, la fin de la souveraineté monétaire. Désormais à la dette va correspondre une immense rente pour les titulaires d’épargne. 

Le schéma de la grande crise est donc le suivant :

 

 àMondialisation et contestation des Etats-nations et de leur Etat-social. "Constitutionnalisation" progressive de la  libre-circulation  généralisée  (années 80).

 

 àFin des salaires et charges simultanément coûts et débouchés. (années 90).

 

 àRecherche obligatoire de compétitivité par tous les Etats. Concurrence de plus en plus exacerbée entre entreprises.  (années 90).

 

 àExcédent mondial de production par rapport à une demande à museler (années 1990).

 

 àCrise de surproduction masquée par maintien d’une demande artificielle (« machine à faire de la dette »- fin des années 1990).

 

àCrise aggravée dans le cas de la perte de souveraineté monétaire et l’irruption d’un marché de la dette publique (fin des années 1990).

 

 àApparition de gigantesques rentes financières et inégalités sociales rapidement croissantes. (années 2000).

 àExplosion de la dette privée (USA, Irlande, Espagne, etc.) et publique (tous les anciens pays développés).  Apparition concrète de la grande crise (2008).


 àContestation croissante des Etats en particulier ceux qui avaient construits un grand Etat- social et qui doivent désormais en museler le périmètre.

 

 àDéveloppement de l’individualisme et rejet de l’autre pour accéder à l’échelle sociale.


 àRefus de nouveaux entrants sur les marchés : crispation sur la rigidité du marché du travail, tendances protectionnistes.


 àRenforcement de la contestation croissante des Etats et généralisation des populismes (risque de décomposition sociale).

 

La réalité au seuil de l’année 2014.

 

Jusqu’ici, la gestion de la grande crise s’est bornée à faire « rouler la dette » sans pouvoir la réduire. La réduire serait une catastrophe planétaire en raison de son impact sur la demande globale.

Les dettes publiques se sont considérablement accrues depuis 2008 en raison de l’effondrement financier et des choix effectués : les actifs bancaires se sont effondrés (immobilier US, Irlandais, Espagnol, etc.) et donc les Etats se sont portés au secours du système, ce qui a aggravé leur dette publique. Ainsi les dettes publiques irlandaise et espagnole pourtant faibles en 2007 (respectivement 25 et 36% de PIB) vont bondir (respectivement 124 et 95% de PIB en 2012). Il est vrai que le choix fut de faire payer le contribuable pour sauver les banques, un coût de sauvetage qui au total pour l’ensemble de l’Union européenne s’est monté selon la commission à 1611,9 milliards d’euros. Mais ce n’est pas tout et  selon Eurostat, le ratio de la dette publique rapportée au PIB de la zone euro aura encore augmenté de 4 points en 2013, ce qui représente 400 milliards de dette publique supplémentaire, soit 20% du PIB de la France…. Nous sommes très loin d’une simple stabilisation de la dette. Et encore plus loin d’une possible réduction.

Selon le FMI, cette croissance de la dette continuera en 2014 et atteindra en pourcentage du PIB : 174% pour la Grèce, 133% pour l’Italie, 125% pour le Portugal, 121% pour l’Irlande, 105% pour la Belgique, 99% pour l’Espagne, probablement 95% pour la France , 96% pour le Royaume- Uni, 90% pour l’Allemagne, mais aussi 107% pour les USA et 242% pour le Japon. Avec un nouveau venu dans le club: la Chine en serait arrivée à 56%.

L’accès direct aux banques d'émission  pour monétiser classiquement la dette étant interdit dans le cadre du système européen de banques centrales, les marchés financiers ont refusé d’aider les Etats les plus en difficulté, d’où une montée considérable des taux d’intérêt sur la dette publique de nombreux Etats : Irlande, Grèce, Italie, Portugal, Espagne , etc. Avec des services de la dette (paiement des intérêts) proprement ahurissants (83 Milliards d’Euros pour la seule Italie en 2013, soit approximativement 6% de son PIB…pour les seuls intérêts donc la seule rente financière…)

A partir de 2011, il fut  décidé de plans de rigueur qui, par hausse des impôts et diminution des dépenses publiques, permettraient de réduire les déficits publics, le tout sous la haute surveillance des autorités européennes. Logiquement, ces plans de rigueur affaissent les débouchés des entreprises : je ne puis dépenser ce qui m’est prélevé sous la forme d’un impôt supplémentaire, et moins de dépenses c’est moins de commandes pour ceux qui directement ou indirectement vivent de la dépense publique ( magasins dont le chiffre d’affaires est aussi fait de la dépense de ceux qui vivent d’allocations diverses, entreprises du secteur social et médico-social, entreprises du secteur de la santé, des travaux publics, entreprises d’armements, etc.).

Et cet affaissement des débouchés dans un contexte de crise de surproduction (essence de la crise) ne peut qu’aggraver les tendances à la dépression économique. Tendance aujourd’hui largement constatée notamment en zone Euro, avec il est vrai une certaine résistance de la France qui connait un plan de rigueur beaucoup plus modéré (les salaires directs progressent encore de 1,6% en 2013 dans un  contexte- en termes de prix- de quasi déflation  : +0,7%....d’où aussi un taux de marge de 27,7% au troisième trimestre 2013 contre 40,1% en Allemagne).

Cette résistance de la France fait que son secteur médicosocial est en pratique encore sanctuarisé et ne connait pas véritablement la grande crise.

Un grand débat est ouvert en France sur la question des effets relatifs des deux outils (impôts supplémentaires ou diminution des dépenses publiques) en termes de baisse de l’activité économique . l’Impôt supplémentaire frappe en principe les revenus élevés et donc plutôt des apporteurs d’épargne, tandis que les diminutions de dépenses publiques frappent plutôt des revenus faibles (secteur social), donc des agents qui épargnent moins et consomment l’intégralité de leur faible revenu. La question peut ainsi être formulée : quelle est la stratégie qui aura le moins d’impact négatif sur la demande globale et donc sur la capacité des entreprises à écouler leurs marchandises ? La question qui agite beaucoup les entrepreneurs politiques n’est pas tranchée en théorie.

Ce qui en revanche est certain, est que les politiques de rigueur sont et resteront un échec collectif pour la zone Euro....et pour le reste du Monde... Ainsi,  pour la seule France dont la politique de rigueur est relativement modérée, la non croissance qui s’en suit, s’est traduit en 2013 par des recettes fiscales inférieures de 10 milliards d’euros par rapport aux prévisions, d’où un déficit public qui reste élevé (4,2% du PIB).

 

Parce que la rigueur fut extrême dans un certain nombre de pays : Irlande, Portugal, Grèce, Espagne, etc. et qu’elle s’est manifestée sous la forme de forte hausse des prélèvements publics obligatoires et de coupes drastiques : diminution des retraites, des salaires, des dépenses sociales et médico-sociales, certains d’entre–eux redeviennent officiellement compétitifs : Espagne, Irlande. L’explication est simple : l’Etat-social s’est fortement réduit, ce qui signifie un allègement de charges pour des entreprises qui redeviennent compétitives. Avec la possibilité d’obtenir des échanges extérieurs excédentaires (les importations baissent faute de consommateurs, et les exportations augmentent car le coût du travail s’est fortement réduit).

 Cette compétitivité nouvelle est artificielle et affaiblit les autres pays. Artificielle car elle ne correspond pas à une amélioration de l’efficience productive (une chaine d’assemblage en Espagne n’est pas plus moderne qu’un chaine française) et surtout les pays en question ont connu et connaissent toujours un effondrement de l’investissement (plus de 30% de baisse de l’investissement global au Portugal, en Espagne en Grèce par rapport à l’année 2005). La compétitivité n’est donc acquise que sur la baisse du coût du travail et de l’Etat- social et surtout, elle n’est pas durable dans un contexte de non- investissement qui va jusqu’à atteindre l’Allemagne. Elle affaiblit maintenant les autres pays qui ne peuvent réagir qu’en diminuant davantage encore les rémunérations directes et indirectes. La France doit ainsi se méfier de la nouvelle compétitivité espagnole sur toute une série de produits.

Au surplus, la rigueur pour la compétitivité, n’a pas permis de contenir la dette qui continue sa vertigineuse croissance. Une croissance qui sera entretenue en 2014 par une  déflation qui rôde déjà dans nombre de pays. La déflation est ce qu’il faut éviter car elle est en principe une machine destructrice. Lorsque les prix baissent durablement, les agents économiques ont intérêt à retarder leurs achats pour bénéficier d’un pouvoir d’achat supplémentaire, ce qui ruine les débouchés et la production, donc provoque la dépression. C’est la raison pour laquelle les banques centrales se fixent des objectifs d’inflation autour de 2%. Maintenant la déflation, si elle se manifeste, rend plus couteuse la dette  puisque le taux d’intérêt réel se voit augmenté du taux de la baisse des prix. A titre d’exemple, si les taux de l’intérêt sur la dette publique italienne à 10 ans étaient de 5% en 2010, lorsque le taux d’inflation était de 3%, cela signifiait un taux réel de la dette de 5-3=2%. Si aujourd’hui, en 2014, le taux d’inflation n’est plus que  de 0,8%, le taux de l’intérêt sur la dette publique se monte à 5-0,8= 4,2%. La déflation risque ainsi, si elle devait se confirmer, d’alourdir considérablement la charge de la dette. Or les dernières informations ne sont pas positives et si l’évolution de l’inflation dans la zone Euro était encore de 2,5% en 2012, elle tendait à se fixer à 0,7% en fin d’année 2013. Avec un risque majeur pour l’Irlande (-0,1%) et l’Europe du sud très endettée : 0% pour le Portugal, 0% pour l’Espagne, 0,8% pour l’Italie et – 1,9% pour la Grèce. L’explosion de la Grèce, incapable d’affronter sa dette publique dans un contexte de défiance et de baisse des prix, reste une hypothèse raisonnable.

 

Le contexte fort étrange de la zone Euro ou la cocotte-minute européenne.

 

En raison de la compétitivité de l’Allemagne et de ses excédents commerciaux correspondants à près de 7%de son PIB (record mondial), mais aussi en raison d’une compétitivité nouvelle de certains pays du sud, l’euro zone connait un important excédent commercial (122,8 milliards sur les 10 premiers mois de l’année 2013 soit un doublement par rapport à la même période de l’année 2012). C’est dire qu’elle pourrait développer sa demande interne jusqu’ici combattue par des politiques d’austérité. Un début de développement de la demande interne semble être la voie prise par la nouvelle grande coalition allemande.

Dans le même temps, toujours au niveau européen, les déficits publics restés nationaux sont considérables et nécessairement fragmentés. Avec un grand clivage des taux selon qu’il s’agit de pays du nord ou de pays du sud. L’importance de la dette publique des pays du nord, y compris la France – environ 5500 milliards d’euros – font des titres publics correspondants (bons du Trésor) une source de placement sûre et parfaitement liquide. Clairement, cela signifie que les épargnants japonais, chinois, etc. voient dans la dette publique des pays du nord une source de placement sûr et toujours liquide en raison de la grande profondeur du marché. C’est dire que l’Euro devient une monnaie de réserve choisie par les épargnants du monde entier, y compris ceux du sud de la zone euro, acheteurs de dette européenne de bonne qualité.

Excédents extérieurs globaux et drainage de l’épargne mondiale, tendent à fabriquer un euro fort défavorisant un Sud et une France en position plus difficile : sa capacité exportatrice est insuffisante et ne peut supporter des prix trop élevés à l’exportation.

La fragmentation financière de la zone ne peut que se poursuivre, avec des taux réels élevés dans le sud ( d’après XERFY, pour les emprunts à 10 ans nous avions, fin 2013, 9,5% en Grèce, 4% en Espagne) et des taux faibles dans le nord ( 0,6% en Allemagne)  , même pour la France qui continue de jouir d’une position très privilégiée sur les taux ( 0,04% sur les emprunts à 3 mois soit quasiment 0 selon l’AFT). Cette fragmentation contribuera à détruire le tissu industriel du sud (depuis 2007 réduction de la production correspondante de 30% pour l’Espagne et la Grèce) où à le satelliser (sous- traitance) autour des donneurs d’ordre allemands (la compétitivité espagnole peut partiellement transformer le pays en petite Chine au profit de la grande économie allemande).

La BCE se trouve de plus en plus incapable de maintenir des taux identiques dans toute la zone, homogénéité souhaitable pour l’émergence d’une construction authentique d’un espace économique commun.

Il faudrait pour cela un « quantitative easing » différencié aux proportions gigantesques au profit du sud. Solution que l’orthodoxie monétaire allemande ne peut accepter.

 

Les risques de l’avenir proche

 

Le problème est que la situation est globalement métastable, c’est-à-dire que nous sommes dans une configuration institutionnelle à priori solide, mais qui pourrait très vite se transformer en un autre monde à partir d’un évènement d’importance jugée secondaire.

La métastabilité est un phénomène étudié par les scientifiques, par exemple une combinaison gazeuse qui se transforme brutalement en liquide, ce qui nous fait penser à l’oxygène et à l’hydrogène qui se combinent pour faire apparaitre un autre état qui est l’eau. Mais c’est aussi un phénomène qui peut s’étudier dans les sciences sociales, par exemple la transformation brutale de la configuration institutionnelle soviétique en société de marché. Le monde soviétique que l’on croyait éternel, se transforme brutalement et en fait apparaitre un autre. Et le changement brutal apparait sur la base d’une entropie peu visible qu’un évènement fortuit fera basculer en ce que certains pourraient appeler une catastrophe, et que d’autres appelleront une heureuse révolution. L’évènement fortuit, ou déclencheur, est ce qu’on appelle un catalyseur pour ce qui est de la chimie.

Dans les sciences sociales on parlera volontiers d’un « effet aile de papillon » initiant un schéma de causes et de conséquences inattendues d’ampleur continuellement croissante.

Le monde se trouve dans une situation de blocage institutionnel comme l’était l’URSS : il faut continuer la mondialisation car on ne voit pas qu’il serait possible de l’arrêter, mais la continuer c’est prolonger la crise générale de surproduction à l’échelle de la planète ; il faut arrêter la croissance, mais nous restons majoritairement convaincus que cet arrêt mènerait au désastre économique ; il faut pérenniser la monnaie unique par la construction d’une Europe fédérale garantissant des transferts vers le Sud, mais de tels transferts sont impensables du point de vue du Nord, etc.

S’agissant, pour nous européens, de ce dernier point, le risque est qu’un évènement secondaire, un catalyseur inattendu, vienne assurer une transformation institutionnelle radicale au moins en Europe, mais vraisemblablement à l’échelle de la planète.

Il est possible d’en dresser une liste bien sûr non exhaustive :

--> Les « tests de résistance » des banques que la BCE va organiser tout au long du printemps 2014 confirment  et mettent en lumière les analyses de KPMG selon lesquelles les créances douteuses sous le tapis des banques se montent à 1500 milliards d’euros dont 600 pour l’Espagne, l’Italie et le Portugal. Il s’agit d’un premier catalyseur potentiel déclenchant une panique et l’effondrement du château de cartes.

--> Le passage obtenu à Bruxelles d’une stratégie de « Bail-out » (on fait payer les contribuables) à une stratégie de « Bail-in » partiel (les actionnaires et créanciers supportent partiellement les faillites bancaires) n’est pas accepté par les marchés qui prennent peur et entrainent un effondrement. Il s’agit d’un second catalyseur potentiel possible.

 

--> La Grèce et/ ou le Portugal, incapables de faire face à l’accroissement de leur dette publique, bloquent les négociations du printemps prochain avec la « Troïka » et quittent la zone Euro. Il s’agit d’un troisième catalyseur potentiel possible.

 

--> Le référendum prévu au titre de l’indépendance de la Catalogne ( 9 novembre 2014) se déroule malgré la grande bataille juridique qui s’est mise en place sous la houlette du premier ministre espagnol et donne un oui à l’indépendance. Ni Bruxelles, ni Madrid  ne reconnaissent  l’indépendance. Il s’agit d’un quatrième catalyseur potentiel possible.

 

--> Les élections européennes de juin 2014 font apparaitre une montée des populismes venant bloquer les négociations concernant des contrats de redressements des pays du sud voulus par l’Allemagne, et contrats déjà repoussés en Décembre 2013 sous la houlette de nombre de pays. Les capitaux quittent le sud pour rejoindre le nord et entraînent une fragmentation financière extrême. La reprise est définitivement bloquée dans le Sud. Voilà un cinquième catalyseur potentiel possible.


--> les discussions concernant la recapitalisation de Peugeot -10 milliards d’Euro à rassembler -tournent mal et l’entreprise dépose le bilan. Avec toutes les conséquences imaginables sur les entreprises sous-traitantes.  Devant la catastrophe, l’Etat français nationalise l’entreprise mais n’en pas les moyens et Bruxelles s’y oppose. De proche en proche, les marchés s’irritent et le taux sur les bons du Trésor flambent, ce qui  ruine les actifs bancaires lourdement chargés de dette publiques. Voilà un sixième catalyseur potentiel possible.


--> Les marchés prennent conscience que l’union bancaire décidée le 18 décembre dernier n’est qu’un leurre : l’Allemagne empêche la mutualisation des risques, la caisse de mutualisation ne sera opérationnelle qu’en 2026, cette dernière est beaucoup trop réduite face au risque potentiel ( 56 milliards alors que le coût du sauvetage 2008 des banques s’est monté à 1611,9 milliards, que les risques aujourd’hui sur les seuls produits dérivés à l’échelle mondiale s’évaluent selon Alpha Value à 693000 milliards de dollars, que la dite caisse de mutualisation ne pourra pas emprunter, etc.). Là encore un nouveau catalyseur est possible : le septième.


--> Devant le premier succès du « Tapering » (réduction de 10 milliards de création monétaire mensuel par la FED)  de Monsieur Bernanke, son successeur à la direction de la banque centrale américaine, Janet Yellen, constatant la forte reprise de l’économie US (4,1% au dernier trimestre 2013) décide de mettre fin au Quantitative Easing et à ses effets pervers sur l’inflation des actifs. Il en résulte un dégonflement de tous les actifs bancaires et une possible panique financière. Là encore, un nouveau catalyseur potentiel : le huitième.

 

--> l’Annonce du programme d’émission de dette publique pour l’Espagne et l’Italie , respectivement 210 et 470 ( !) milliards d’euros pour l’année 2014, dans un contexte de « Tapering » américain, rend tout simplement impossible un tel projet. Remarquons au passage le caractère ahurissant de la situation italienne: 470 milliards d'euros à emprunter en 2014 représente 30% de son PIB! (14% pour l'Esapgne et moins de 9% pour la France). Là encore affolement des marchés et nouveau catalyseur potentiel : le neuvième.

 

On pourrait bien sûr découvrir d’autres évènements à effet aile de papillon. Ajoutons que cet effet bénéficie lui-même d’un "catalyseur sociétal accélérateur" : recul général de la raison au profit des émotions, décrédibilisation des entreprises politiques, montée de l’individualisme et des effets de foule, eux-mêmes facilités par les interconnexions à la vitesse de la lumière issues des nouvelles technologies.

 

De ces scénarios il convient de retenir qu’à l’instar de l’URSS des années 80, le monde se trouve en situation de métastabilité, état qui n’incite guère à la mise en place de grands projets : la politique est devenue simple gouvernance de l’existant.

Tous ces catalyseurs possibles risquent de transformer brutalement le monde. Une nouvelle « Grande Transformation » comme dirait Karl Polanyi. Sans qu’il soit évidemment possible de préciser sa date de naissance, ni le nouvel arrangement institutionnel qui le constituera, on peut légitimement penser que les scénarios imaginés aboutissent tous à une panique financière.

Toutefois, il parait évident qu’à l’inverse de la dernière panique qui a conforté la puissance de la finance (les entrepreneurs politiques ont fait le choix du « bail-out »), ils seront cette  fois obligés de passer par le « Bail-in » et devront par conséquent reprendre le pouvoir. Si en 2008 la main du pouvoir s’est faite tremblante avec un coût de la crise qui a pu être reporté sur les contribuables, la nouvelle crise ne sera plus politiquement acceptable et sera probablement gérée avec brutalité au détriment de la finance. La métastabilité a pu être pérennisée aux grands avantages des entrepreneurs politiques et de la finance en 2008. Ce sera beaucoup plus difficile dans la période à venir si un nouvel effet aile de papillon devait s’enclencher.

Les étapes semblent évidentes et concerneront le maillon faible de la mondialisation c’est-à-dire l’Europe.

Le marché de la dette publique ne pouvant plus fonctionner en raison des taux, et les titulaires de comptes paniqués exigeant des billets ou transférant massivement leurs avoirs dans le pays centre, c’est –à- dire l’Allemagne, les pouvoirs publics seront obligés de renationaliser la monnaie et procéder à la saisie du système bancaire. (L’exposition des banques aux dettes souveraines reste colossale : 474,1 milliards d’euros pour l’Allemagne, 225,2 pour la France, Plus de 400 pour l’Italie, environ 300 pour l’Espagne, etc.)

Cela peut passer en France par l’activation de l’article 16 de la Constitution, et donc la mise sous tutelle de la Banque de France, chargée d’alimenter à coût nul le Trésor, d’instaurer un contrôle des changes, de rapatrier la monnaie fiduciaire au profit de la nouvelle monnaie, etc. Dans le même temps le Trésor est chargé du remboursement de la dette publique dans la nouvelle monnaie nationale, ce qui est prévue par les contrats de prêts qui sont dans leur immense majorité des contrats de droit français. Bien évidemment un taux de change est institué pour l’ensemble des transactions internationales. Inutile d’aller plus loin, il s’agit bien d’un nouvel état du monde, un nouveau projet européen, un nouvel arrangement institutionnel en devenir.

 A suivre.....dans quelques jours... 

 

 

Partager cet article
Repost0
12 décembre 2013 4 12 /12 /décembre /2013 10:18
Partager cet article
Repost0
12 décembre 2013 4 12 /12 /décembre /2013 09:47

 

L’expression de passif non exigible est d’un point de vue libéral un incompréhensible choc des mots : Le passif est une dette, et sauf non-respect des droits de propriété il est en principe exigible. De fait dans un monde soucieux du respect des engagements, les agents se doivent de disposer d’actifs suffisants en qualité et quantité pour honorer les engagements figurants au passif de leur bilan. Au premier rang de ces agents figurent des entreprises économiques qui peuvent disparaitre après anéantissement de leur capital faute de pouvoir répondre à l’exigibilité.

Pour autant, s’il existe dans les sociétés concrètes des contrats dont le respect des termes est exigé et sanctionné, il existe aussi un « contrat social » -complètement fictif ou relevant du mythe- qui résulte de la présence d’une extériorité appelée Etat, et extériorité dont les outils – ce qu’on appelle la contrainte publique - sont captés par une coalition d’intérêts utilisant la loi (violente ou plus démocratique) à des fins privés[1]. Ce qu’on appelle « contrat social » relève en effet plus de la contrainte que  d’un échange de volontés. Ainsi, aucun acteur du monde social n’a signé de  contrat d’appartenance à une  nationalité, aucun acteur du monde social n’a signé de contrat portant  sur les qualités et quantités de dépenses publiques, ou portant sur les qualités et quantités des prélèvements publics précisément dénommés « obligatoires ». C’est dire que depuis l’émergence des Etats, il existe un agent manipulable et manipulé qui a la possibilité de ne pas respecter les droits de propriété, agent qui est l’Etat lui-même, et qui à ce titre peut ne pas respecter le jeu de l’échange volontaire. Cet agent-là peut connaitre des dettes et décider plus ou moins souverainement de leur non-exigibilité.

Le passif non exigible des princes

Nous ne reviendrons pas ici sur l’histoire des Etats et ses modalités de fonctionnement avec le passage progressif du créancier infini, vers le créancier fini, puis vers le créancier endetté[2]. Soulignons simplement, qu’en sa qualité indépassable de juge et partie,  il a – historiquement- massivement utilisé la violence et plus  rarement accepté la logique de l’échange volontaire.

C’est dire que pour lui la notion de passif non exigible est une réalité de toujours.

Une façon radicale de faire émerger le concept de passif non exigible est de transformer le créancier réel en débiteur : le sujet est porteur d’une dette de sang à régler au profit du prince. Une autre, beaucoup plus respectueuse des prolégomènes d’un Etat de droit, sera l’extinction violente des dettes publiques : un décret viendra les annuler. Une façon plus douce encore fut de mettre fin au mythe de la « loi d’airain de la monnaie »[3] et d’enfermer le créancier dans la monnaie dont le souverain aura décidé le cours légal. Le pouvoir d’achat du souverain devient ainsi infini et le passif, fictivement exigible ne l’est plus réellement, le créancier pouvant le cas échéant le vérifier dans  la sévérité d’un contrôle des changes.

Cette idée de passif non exigible est aujourd’hui curieusement reprise avec les banques centrales  dites « indépendantes ».

Les libéraux ne peuvent pas davantage  accepter l’idée  de banque centrale qu’ils n’ont accepté l’idée d’Etat. Et ils y sont opposés en ce sens que l’idée de passif non exigible est aujourd’hui transmise aux banques centrales par les Etats eux-mêmes.

Logiquement, selon les libéraux, une banque centrale devrait fonctionner comme simple assureur ou caisse de compensation sur un marché interbancaire. Cette fonction, du point de vue de l’idéologie libérale, suppose l’existence de fonds propres venant en garantie du respect des contrats. Les actionnaires d’une telle banque centrale seraient ainsi soucieux du sérieux et du bon déroulement des transactions au niveau des banques elles-mêmes. Cela passerait par la surveillance des risques et probablement par des règles très strictes en matière de création monétaire.

 

Le passif non exigible des banques centrales

Dans la réalité les banques centrales disposent de fonds propres et dans l’euro zone la BCE elle-même, dispose d’un capital social constitué par les banques centrales des pays adhérents selon des pourcentages respectant le poids de chacun d’eux en termes de PIB. Certains libéraux pensent ainsi que la BCE, en particulier, est une vraie banque et s’inquiètent de la dégradation de son bilan au terme de politiques dites « non conventionnelles » menées depuis plusieurs années. Avec la possibilité de crises en boucles s’autoalimentant : Les Etats endettés se font racheter de la dette publique par des banques nationales qui cèdent elles -mêmes ces titres douteux à la BCE contre de la monnaie créée. Et face à l’apparente dégradation du bilan de la BCE, les Etats seraient obligés de souscrire à une augmentation des fonds propres, ce qui entraine un alourdissement des dettes publiques et leur refinancement impératif. La boucle est bouclée.

Cette version des choses n’a strictement aucun sens et la BCE n’a en aucune façon besoin d’être recapitalisée comme ce serait le cas d’une entreprise. Il n’y a pas non plus dégradation de son bilan, son passif étant constitué  de billets et des réserves des banques, qui sont de fausses dettes puisque la Banque centrale n’a besoin d’aucun actif pour répondre aux exigibilités. Une entreprise non couverte par un système assurantiel, victime pour une raison quelconque de la disparition de tout ou partie de ses actifs (Tsunami ravageant stocks, machines, bâtiments, etc.), ne peut échapper aux contraintes de son passif, les créanciers continuant d’exiger le respect des contrats.

Par contre la BCE, victime d’une dévalorisation massive des titres figurant dans son actif, ne connait pas de contrainte de passif.[4]

Il n’en serait bien sûr pas ainsi si les créanciers pouvaient exiger le paiement dans une monnaie que la BCE ne peut émettre, par exemple des dollars. Dans ce cas la banque devrait échanger des euros qu’elle émet contre des dollars…. situation fort épineuse car il n’y a aucune raison- en cette circonstance – qu’elle découvre des acheteurs d’euros si tous les agents internes refusent les euros et exigent leur transformation en dollars.

Parce que les banques centrales, ici la BCE, peuvent produire et imposer les paiements dans la monnaie qu’elles produisent[5] – de fait la monnaie dont le cours légal est fixé par l’Etat- elles ne connaissent pas de contrainte de passif : ce dernier est non exigible.

Et c’est ici que les choses deviennent intéressantes dans le processus historique de retrait des Etats et de montée de l’indépendance des banques centrales. Jadis, le privilège de passif non exigible était le fait de la violence des Etats qui, même parvenus dans la phase démocratique de leur histoire, imposaient à leurs  créanciers le choix d’une monnaie qu’ils créaient et manipulaient, dans le sens de leur intérêt : réduire le passif exigible. Cela passait par la dilution, les ateliers de rénovation monétaire, le seigneuriage, l’inflation, etc.

Aujourd’hui les banques centrales semblent plus efficaces : le passif devient non exigible – non plus partiellement- mais dans sa totalité.

Cette efficacité l’est à l’avantage du système financier car la contrepartie de la non exigibilité du passif est la production sans limite d’actifs nouveaux pour les banques qui, plongées dans le marché, se voient offrir une forte réduction de contraintes de leur propre  passif. La sécurité en liquidité et en solvabilité est artificiellement assurée par les privilèges quasi souverains de la banque centrale, et ce avec des contraintes de fonds propres qui resteront très faibles malgré les normes de « Bâle 3 ».

Bien évidemment cela n’a rien à voir avec le libéralisme et le respect de la propriété privée, et dans cette affaire,  les « ordo- libéraux » [6]allemands, pour qui la notion de passif non exigible relève de la forfaiture, sont éthiquement plus libéraux que les « brigands des marchés ». Ce qui ne veut pas dire que ces mêmes ordo-libéraux ont compris les mécanismes profonds de la grande crise. Le passif non exigible des banques centrales constitue – encore aujourd’hui – l’outil essentiel sur lequel peut s’appuyer la méga machine à faire de la dette, une machine venant à l’échelle planétaire combler le déficit de pouvoir d’achat par rapport à l’offre mondiale de marchandises[7]. Comme quoi les « brigands des marchés » ont au moins un rôle social : celui d’empêcher ou de retarder l’effondrement économique planétaire.



[1] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-l-aventure-etatique-reprise-d-un-texte-ancien-119831125.html

[2] Nous renvoyons ici à notre livre : « Banques centrales –indépendance ou soumission ? Un formidable enjeu de société » Editions Yves Michel, octobre 2012.

[3] Cf notre article dans le numéro 34 (janvier, février,mars 2013) de la revue Médium, Pages 101/119.

[4] Idée déjà exprimée dans le Flash Natixis du 27 juillet 2011 : « La qualité du bilan de la banque centrale est-elle une question sérieuse ?».

[5] Nous nous plaçons ici dans le cadre du paradigme néo-chartaliste. On pourra ici consulter : http://frappermonnaie.wordpress.com/tag/neochartalisme/

[6] Sur l’ordo libéralisme on pourra consulter notre article dans le tome LXVI- N°3- Septembre 2013 de la revue « Economie Appliquée » : « Regard sur les banques centrales : essence, naissance, métamorphoses et avenir ». En particulier on pourra lire les pages 167 et suivantes.

[7] On saluera la prise de conscience d’une réelle crise planétaire de surproduction- pour la première fois chez des responsables ou observateurs- dans l’article publié par « Le Monde » du 10/12/2013 « Pour un nouveau système productif français », article signé par les dirigeants de Xerfy, Laurent Faibis et Olivier Passet. C’est à notre connaissance la première fois que l’on trouve dans le monde des affaires la compréhension profonde de la nature de la grande crise.

Partager cet article
Repost0
8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 08:35
Partager cet article
Repost0
7 décembre 2013 6 07 /12 /décembre /2013 17:49
Partager cet article
Repost0
7 décembre 2013 6 07 /12 /décembre /2013 17:44

 

De plus en plus souvent les Etats parce que devenus insolvables utilisent des expédients pour maintenir les apparences. Tel est le cas, très récemment, du Portugal et de l’Italie.

Le Twist portugais

Le Portugal doit logiquement quitter son régime d’assistance et retrouver son exposition aux marchés financiers en juin 2014.

Pourtant la soutenabilité de sa dette publique  est loin d’être assurée.

On sait qu’en théorie la soutenabilité est acquise si le taux de l’intérêt est inférieur ou égal au taux de croissance économique en valeur. Le pays est sorti de récession au cours de la présente année, tandis qu’une croissance d’environ 1% est prévue pour 2014. Même en admettant que la hausse des prix atteigne 0,5%, ce qui est loin d’être acquis en raison des pressions déflationnistes affectant la zone euro, cela signifie que seul un taux moyen de 1,5% sur la dette publique peut libérer le Portugal d’un excédent budgétaire rendu obligatoire.

De fait on peut aujourd’hui estimer le taux moyen sur les différentes échéances à un peu plus de 5%. Compte tenu de la présente dette publique (130% du PIB à la fin de l’année 2013) cela signifie par conséquent  un excédent budgétaire obligatoire  de : 130 X ( 5 – 1,5) = 4,55 points de PIB.

Le déficit public de l’année 2013 étant de 5,9%, cela signifie pour la prochaine année budgétaire, un tsunami de plus de 10 points de PIB. Hypothèse totalement irréaliste et du reste non imaginée dans le projet de budget 2014, lequel prévoit encore 4 points de PIB en déficit.

C’est dire que l’année 2014 verra une nouvelle aggravation de l’endettement du Portugal.

C’est dans ce contexte risqué qu’il faut comprendre le rééchelonnement de la dette que le Trésor vient d’opérer pour la seconde fois depuis la fin de l’année 2012. Il s’agit en fait de soulager l’année qui vient en emprunts nouveaux -qui se feront en principe dans le cadre des appels d’offres classiques- en échangeant ( en « twistant » comme l’on dit à la FED) de la dette venant à maturité l’an prochain contre de la nouvelle dette à échéance plus lointaine. C’est ainsi que vient d’être échangé, 2,48 milliards d’euros à échéance 2014, et 4,16 milliards à échéance 2015 contre des titres à échéance plus lointaine : 2017 et 2018. Il est ainsi espéré, contre un programme de vente de titres plus réduit,  des taux supportables.

On aura donc compris, qu’une fois de plus, il s’agit d’acheter du temps en attendant des jours…qui ne peuvent qu’empirer et ce malgré les efforts demandés à l’immense majorité de la population.

Tour de magie sur la Banque centrale italienne

Un autre exemple d’expédient est celui du maquillage des bilans bancaires italiens, maquillage autorisé par les particularités de l’histoire financière italienne.

On sait que la Banque centrale d’Italie, un peu comme la FED américaine, est historiquement un établissement privé dont le capital est la propriété d’un certain nombre de banques, ce qui signifie qu’il figure à l’actif du bilan de ces banques. On sait aussi que ces banques doivent se préparer à la grande revue des actifs prévue en 2014 sous l’égide de la BCE. Les actifs des banques italiennes sont très alourdis notamment par l’achat de titres de la dette publique nationale, et tout doit être mis en place afin de passer avec succès le test de résistance programmé. C’est dans cette perspective que l’idée est venue de réévaluer le capital de la banque centrale d’Italie, de fait sa multiplication par un coefficient d’environ 50.

Une telle réévaluation est bien évidemment un grand cadeau fait aux banques (entre 5 et 7,5 milliards d’euros), d’où l’arrivée au moment du partage du gâteau d’un convive supplémentaire, l’Etat, sans lequel il était juridiquement difficile d’envisager la réévaluation. C’est ainsi que l’Etat italien va bénéficier d’un impôt spécifique sur les banques afin d’extraire un peu plus d’un milliard d’euros sur la « plus-value »( ?) enregistrée par les banques propriétaires de la banque centrale.  

Bien évidemment une telle réévaluation ne poserait aucun problème si effectivement la différence entre actif et passif de la banque centrale devenait lourdement positive. Chacun sait que ce n’est pas le cas, qu’en particulier la dette publique figurant à l’actif est susceptible de connaitre un effondrement de sa valeur à la moindre tension sur les marchés de la dette publique, et qu’au surplus le capital que la banque centrale italienne possède au passif de la BCE  (12,45%) est lui-même susceptible d’être anéanti en raison de la très grande dégradation du bilan de cette dernière.

Si donc une vision comptable des choses s’était imposée, il est à parier qu’il était difficile de réévaluer un capital à priori disparu depuis le début de la crise financière.

On sait toutefois, qu’en matière de banque centrale, la vision comptable n’a aucun sens pour la simple raison que les dites banques ont le privilège de disposer d’un passif qui n’est pas exigible. Une banque centrale est en effet le seul agent ayant la possibilité de régler ses dettes en créant de la monnaie disposant du cours légal. Nous reviendrons sur cette importante question dans un prochain billet. Parce que le passif n’est pas exigible, les règles comptables classiques sont à réinterpréter, avec en particulier un capital social inutile au-delà des frais d’installation de la banque.

Dans ces conditions multiplier le capital de la banque centrale d’Italie par 50 n’a d’autre objet que de profiter de règles comptables largement inappropriées pour maquiller les bilans bancaires et au-delà – cerise sur le gâteau- créer une recette pour le trésor italien qui ne repose sur aucune valeur-ajoutée créée.  

Twist portugais et tour de magie italien ne sont que deux exemples récents parmi tant d’autres dont la finalité est d’empêcher l’effondrement du château de cartes. Pour le plus grand profit des bénéficiaires de la crise.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
30 novembre 2013 6 30 /11 /novembre /2013 08:36
Partager cet article
Repost0
30 novembre 2013 6 30 /11 /novembre /2013 07:33

 

JOL Press : Le regain de compétitivité des pays d’Europe du sud provient-il exclusivement des politiques d’austérité menées par les gouvernements ou faut-il y voir également des gains de productivité ?
 

J.-C. Werrebrouck : Cela provient effectivement, essentiellement, de la baisse des salaires. Je pense que l’on confond beaucoup productivité et compétitivité. Il faut savoir que la compétitivité peut être obtenue par des gains de productivité, ou simplement par une baisse du coût du travail.

Avec une hausse de la productivité, le « gâteau économique » devient plus grand, pour des investissements en capital et en travail identiques. Cette part supplémentaire peut être utilisée pour baisser les prix de la marchandise produite, pour accroître les profits ou pour augmenter les salaires.

Quand il n’y a pas de productivité, la seule solution pour s’en sortir, c’est effectivement de baisser le coût du travail, directement ou indirectement. C’est ce qui se passe actuellement en Espagne, au Portugal, ou encore en Grèce.

Mais il n’y absolument aucun gain de productivité dans ces pays, sauf dans certains cas rares, sans doute, dans des branches particulières.

JOL Press : Les balances commerciales se rééquilibrent donc aussi,  parce que les citoyens grecs, espagnols ou portugais n’ont plus les moyens de consommer autant, et donc parce que les importations diminuent ?
 

J.-C. Werrebrouck : Dans ce équilibre nouveau des échanges extérieurs, il faut effectivement surveiller les importations, qui se sont véritablement effondrées. On importe moins tout simplement parce que les revenus sont plus faibles.

A côté, il y a bien sûr les exportations supplémentaires induites par la baisse du coût du travail et donc par une compétitivité accrue. On peut vendre moins cher parce que les salaires sont moins élevés.

JOL Press : A long terme, ces pays ne vont-ils pas être pénalisés par la baisse importante de l’investissement qu’ils connaissent ?
 

J.-C. Werrebrouck : Effectivement, ils vont être pénalisés. Parce que si l’on regarde en longue période, depuis un peu moins d’une décennie, il y a un effondrement de ce que l’on appelle la formation brute de captal fixe, c’est-à-dire de l’investissement public et privé pour l’ensemble du pays. La chute est de l’ordre de 40% dans des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne.

Mais c’est vrai aussi pour l’Allemagne, où les investissements en infrastructures ont plutôt diminué, même si, bien sûr, de l’autre côté, les investissements privés de modernisation, de productivité, se sont maintenus.

JOL Press : Où se situe la France au niveau européen ?  
 

J.-C. Werrebrouck : Elle est en bien meilleure position que les pays d’Europe du sud. On s’aperçoit que la formation brute de capital fixe ne s’est pas effondrée avec la crise. Donc effectivement, le pays n’est pas du tout aux abois comme cela peut être le cas de certains pays périphériques.

Cela étant, à partir du moment où les pays du sud font de la compétitivité par la baisse du coût du travail, il est clair que cela commence à gêner la France, sur les produits de moyenne gamme, qui peuvent être produits en Espagne par exemple.

JOL Press : La croissance potentielle européenne n’est-elle pas la première à subir la généralisation de cette logique ?
 

J.-C. Werrebrouck : Je dirais même que l’impact se fait sentir au niveau mondial. C’est la raison pour laquelle la Chine et les Etats-Unis suivent de si près ce qui se passe en Europe. La politique de compétitivité de l’Europe, qui reste une grande économie sur notre planète, gène considérablement l’économie mondiale. Les politiques d’austérité entravent les débouchés, à l’échelle mondiale.

Cette question de compétitivité est une problématique globale. La crise financière, puis économique, c’est d’abord une crise mondiale de surproduction, qui est dûe à une forme de mondialisation. Il y a globalement une insuffisance des débouchés par rapport à la quantité de marchandises produites.

JOL Press : Pourtant, de nombreux économistes considèrent qu’en France notamment, le problème se situe au niveau de l’offre et non de la demande ?
 

J.-C. Werrebrouck : C’est fortement à nuancer. Dans un monde internationalisé, mais avec encore des Etats-nations, autrement dit, ce qui s’est passé jusqu'à la fin des années 80, pour chaque pays, on pouvait dire qu’il y avait un équilibre entre l’offre et la demande. Cet équilibre était dû au fait qu’il y avait, d’un côté, des politiques d’investissement, donc d’offre, et de l’autre côté, des politiques de demande. Le salaire représentait un coût pour les entreprises, mais également un débouché. Et donc, les Etats-nations ont veillé à l’époque à assurer, avec plus ou moins de réussite, l’équilibre entre l’offre et la demande.

Quand vous passez à un stade de mondialisation non réglementé, ce que nous connaissons aujourd’hui, la variable salaire n’a plus cette ambiguïté, à savoir à la fois un coût et un débouché. Elle ne représente plus qu’un coût, puisqu’au fond, chaque pays essaie de produire plus pour exporter ce qui n’est pas absorbé nationalement par la demande interne. Chaque pays veut dégager un excédent important, ce qui n’est pas possible.

Il y a aujourd’hui des cas de déséquilibres colossaux, en Allemagne notamment, qui produit beaucoup plus qu’elle n’absorbe. Si tous les pays, au nom de la compétitivité, produisent plus qu’ils n’absorbent, vous avez une crise mondiale de surproduction. Pour s’en sortir, il faudra réguler la mondialisation, trouver un équilibre planétaire, ce qui pour l’heure, est difficile à imaginer.

Propos recueillis par Rémy Brisson pour JOL Press

 

Partager cet article
Repost0
28 novembre 2013 4 28 /11 /novembre /2013 07:33
Partager cet article
Repost0
27 novembre 2013 3 27 /11 /novembre /2013 17:27
Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
  • Contact

Recherche