Le texte ci-dessous présente en 14 points très courts la logique monétaire aboutissant progressivement à une domination allemande dans un espace de vassalité.
Partons d’une relation d’échange simple que l’on va progressivement enrichir.
1) La circulation de la monnaie entre banques
Quand A paie un bien ou un service fourni par B, la monnaie circule de la banque de A vers la banque de B. Bien sûr, des opérations inverses se déroulent quotidiennement et l’équilibre peut être plus ou moins assuré.
2) Le marché monétaire.
Pourtant si un déséquilibre permanent se manifeste, la monnaie circule massivement, par exemple de la banque de A vers celle de B, et la question est alors de savoir si la banque de A possède suffisamment de liquidités ou de titres de créances qui pourraient servir de garanties à la banque de B. En pratique les banques peuvent s’accorder mutuellement des crédits. C’est ce qui se passe sur ce qu’on appelle le marché de la monnaie ou marché monétaire.
Les banques disposent aussi de monnaie figurant à leur compte tenu au passif de la Banque centrale. En pratique,lorsque la monnaie circule massivement de la banque de A vers la banque de B, le compte de la première à la banque centrale s’épuise et celui de la seconde se gonfle. Si l’argent vient à manquer alors la banque centrale pourra accorder du crédit à la banque victime de fuite de monnaie.
3) Circulation de la monnaie entre pays.
Ce petit exemple peut être repris lorsque A et B sont des pays. Si donc A connait une balance des échanges déficitaires, de la monnaie va circuler vers B, qui devient le pays à surplus. On a déjà compris que A peut être la Grèce et B, l’Allemagne.
4) Circulation de la monnaie et variabilité des taux de change.
Lorsque les monnaies sont différentes une opération de change doit intervenir. Théoriquement, si chacun paie dans la monnaie de l’autre, la monnaie de B est très sollicitée dans le cas présenté : il en faut beaucoup pour A, importateur net. A l’inverse, la monnaie de A n’est pas recherchée puisque B achète peu à A. Parce que la monnaie de B est recherchée, la demande sur le marché des changes augmente…et donc son prix. A l’inverse la monnaie de A est boudée….et son prix baisse. Il en résulte que le taux de change est affecté par le déséquilibre des échanges. Clairement, la Grèce devrait connaitre une dévaluation et l’Allemagne une réévaluation.
5) Marchés monétaires à l’international.
Si l’on est en situation où les taux de change sont administrés par la puissance publique (Etat, voire banque centrale soumise à l’Etat) la situation se trouve rapidement bloquée, car les banques grecques devenant progressivement illiquides devront payer des primes de risques de plus en plus élevées pour des crédits accordés par les banques allemandes. En clair, cela se manifeste par des taux de plus en plus élevés sur le marché de la monnaie et finalement un risque de blocage : les taux d’intérêt en Grèce vont devenir de plus en plus élevés et les importateurs auront de plus en plus de difficultés pour financer leurs importations.
6) La circulation de la monnaie dans un contexte de« déficit sans pleurs ».
Pourtant ce mécanisme peut ne pas intervenir si l’Allemagne accepte la monnaie grecque en paiement du déficit. La situation serait intéressante pour la Grèce car il suffirait que les banques grecques accordent beaucoup de crédits (émettent beaucoup de monnaie) pour payer les importations en provenance de l’Allemagne. C’est précisément ce que font les USA avec des dollars que l’on imprime à destination de la Chine qui connait un surplus vis-à-vis des USA.
7) Mais la Grèce connait un « déficit avec pleurs ».
Une telle situation, c’est-à-dire une relation Grèce/Allemagne formellement identique à celle de la relation USA/Chine est toutefois impensable : la monnaie américaine est parfaitement liquide (échangeable sans délai et en quantités considérables en n’importe quel point de la planète), tandis que la monnaie grecque est particulièrement illiquide en clair on ne peut pas faire grand-chose avec des Dracmes).
Et donc le commerce allemand en Grèce est très gêné par cette situation : les banques allemandes ne vont pas accumuler des Dracmes qui ne sont pas des actifs demandés. Et si les banques allemandes exigent autre chose que des Dracmes par exemple des dollars, cette injonction ne peut être honorée que si la Grèce connait une balance extérieure positive, ce qui n’est pas le cas.
C’est là que la monnaie unique devient au moins partiellement intéressante.
8) La solution boiteuse de la monnaie unique.
Désormais, il n’y a plus de dévaluation/réévaluation qui pénalise les exportateurs allemands… lesquels bénéficient d’une garantie de débouchés. Cette garantie en est aussi une autre : celle de voir leur avantage de productivité compensée par une guerre des monnaies.
Par contre, le problème reste celui de l’illiquidité des banques grecques saignées par un flux constant d’euros qui se dirigent vers les banques allemandes, en contrepartie d’importations toujours croissantes en provenance de ce même pays. Les problèmes perçus aux points 4 et 5 (cf. ci-dessus) restent donc posés.
9) TARGET : une prothèse provisoire.
Mais il est possible d’imaginer un dispositif mobilisant les banques centrales nationales permettant aux banques grecques de continuer à financer le déficit des échanges extérieurs, et aux banques allemandes de recevoir les euros grecs de leurs clients. Bref un dispositif masquant le déficit et permettant une fluidité sans contraintes des échanges entre pays de la zone, particulièrement entre les pays à déficit et les pays à excédent.
Ce dispositif est celui retenu par le système TARGET. Parce que les banques grecques sont en permanence victimes d’illiquidités, elles vont emprunter de la monnaie centrale (celle de la BCE) contre la remise d’actifs (dette publique par exemple) qui permettra de solder les échanges avec les banques allemandes. En pratique, il a été décidé que le travail était réalisé par les banques centrales nationales. Le dispositif signifie donc que l’euro système se charge d’actifs grecs dont la valeur devient de plus en plus douteuse : ce sont des signes de richesse en quantité croissante ne reposant que sur une économie fragilisée par son incapacité à équilibrer ses échanges extérieurs.
Normalement le dispositif est autobloquant, sauf si l’on décide, ce qui fut fait, que le collatéral de la monnaie émise, les actifs grecs, est de bonne qualité. Tant que la confiance existe, les choses peuvent se pérenniser. Il faut donc bien comprendre que le surplus allemand vis-à-vis de la Grèce repose sur une accumulation de créances douteuses au sein de l’euro-système. Ce qui nous renvoie aux points 6 et 7 ci-dessus.
10) Les Allemands ne sont pas des Chinois.
La grande différence entre le couple Chine/USA et le couple Grèce/Allemagne est que dans le premier cas la Chine accumule sans trop de difficultés les bons du Trésor américain, alors que la vision allemande de la Banque centrale fait craindre à tout un peuple (le peuple allemand) qu’un jour il faudra recapitaliser la BCE en raison de ses créances douteuses. Comme la recapitalisation est le fait des Etats, donc des contribuables, on comprend que les allemands craignent une augmentation de la fiscalité.
11) Les réformes structurelles ou la matraque allemande.
Même si cette peur est erronée (une banque centrale est prêteuse en dernier ressort) il faut comprendre que le gouvernement allemand veille à ce que les pays déficitaires qui alourdissent l’euro-système en actifs douteux, se dirigent vers un équilibre des comptes extérieurs. Cet équilibre correspond à l’ensemble du champ des réformes dites structurelles lesquelles passent nécessairement par une dévaluation interne, une dévaluation externe étant une impossibilité logique en monnaie unique.
12) Le beurre et l’argent du beurre.
Les allemands veulent ainsi le beurre : pouvoir exporter massivement et sans contraintes et l’argent du beurre : ne pas être victimes des effets pervers en termes d’actifs douteux qui s’accumulent à l’actif d’une BCE dont ils sont les actionnaires principaux. Ils veulent maintenir leurs exportations et exigent des « réformes structurelles » en Grèce pour ne pas devoir recapitaliser la BCE. Ils exigent que les pays du sud deviennent compétitifs pour ne pas fragiliser le bilan de l’euro système, donc tout le monde doit exporter….mais qui va importer si tous doivent exporter ? Le reste du monde peut-il accepter une zone euro très excédentaire, espace repoussant à l’échelle de la planète ses contradictions internes ?
13) Pour éviter la matraque : il faut partir.
Les grecs aimeraient bien être traités par les Allemands comme les USA le sont par les Chinois : les américains peuvent émettre librement de la monnaie et des actifs douteux, les grecs non.
L’avenir de la Grèce repose sur le choix entre la pérennisation de la dévaluation interne : la matraque et la misère correspondante, et la sortie de l’espace de la monnaie unique.
14) « Pas de transferts !» : la condition du rétablissement d’un empire germanique.
La pression actuelle sur la Grèce est fondamentale dans une logique allemande qui ne veut et ne peut en aucune façon accepter un système de transferts entre Etats européens. Si l’Allemagne réussit à imposer son régime au-delà de la Grèce à toute l’Europe, elle sera à la tête et au centre d’un empire dont la périphérie connaitra un immense retour en arrière. Au-delà d’un régime de vassalité à l’intérieur de l’empire se poserait la question de l’émergence d’ennemis à l’extérieur de l’empire. Les USA, la Chine, etc…. peuvent-ils accepter un siphonage de leurs demandes internes par le colossal surplus externe européen ainsi constitué pour asseoir la domination allemande en Europe ? Fort heureusement répondra- t-on le risque sera limité par une forte appréciation de l’euro. Une appréciation qui, hélas, exigera encore plus de compétitivité dans le sud et donc une vassalisation encore plus complète….