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28 octobre 2013 1 28 /10 /octobre /2013 07:55
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27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 08:53
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27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 08:41

Je signale la parution d'un article que j'ai rédigé à la demande de la revue:

 

"Regard sur les banques centrales: essence, naissance, métamorphoses et avenir".

 

 

Cet article est publié dans le tome LXVI, 2013, N°3. P. 151-177     

 

Il est avec quelques compléments une synthèse des textes concernant le thème des banques centrales, textes disponibles sur le Blog.                                        

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9 octobre 2013 3 09 /10 /octobre /2013 14:49

             

La grande presse internationale se félicite des succès croissants des pays de l’Europe du sud qui rétablissent parfois de façon spectaculaire leur balance extérieure et contribuent ainsi à la levée des doutes sur la possible pérennité de l’euro. Toute la zone euro serait ainsi sur le chemin d’une nouvelle compétitivité, et ce d’autant que l’Allemagne s’apprête à frôler pour l’année 2013 un excédent de 200 milliards d’euros.

Il faut pourtant noter que cette compétitivité nouvelle n’est pas celle de la productivité physique du travail. Ce ne sont pas les investissements de modernisation, qui en Espagne,  en Italie, ou ailleurs encore, effacent les déséquilibres extérieurs ou relancent les excédents. C’est à l’inverse la compression de la demande intérieure qui en est responsable : hausse de la TVA et des prélèvements publics en général, baisse des salaires et flexibilité salariale, stagnation ou diminution des prestations sociales (retraites, soins médicaux, etc.). Cette compression développe 2 effets : une baisse des importations même sans diminution de la propension à importer, et une hausse des exportations reflétant la diminution  du coût du travail.

A l’époque de l’Etat-Nation, donc avant la mondialisation telle qu’elle s’est manifestée, une telle stratégie était peu concevable tant le marché intérieur constituait l’essentiel des débouchés pour la plupart des producteurs. Il existait même un Etat providence, qui veillait au bon développement du marché intérieur et venait quasiment garantir les débouchés. En sorte que la recherche de compétitivité par chacun, passait par un développement de la productivité physique du travail, laquelle découlait d’investissements massifs de modernisation et d’innovation. Et, les gains de productivité régulièrement générés, étaient partagés entre les principaux acteurs, afin de lisser la demande intérieure le long d’un trend croissant : entreprises sous la forme de profits supplémentaires, salariés bénéficiant de hausse de salaire, et Etat dont le Trésor directement branché sur la croissance bénéficiait à taux inchangés d’une manne fiscale croissante.

La partie la plus importante de la demande intérieure, correspondait à la masse salariale comme coût complet du travail (charges sociales incluses). Ainsi à l’époque de l’Etat-Nation, la masse salariale, vrai coût de production, était symétriquement une aubaine : un marché, et donc un débouché. De quoi développer la Grande Distribution dans sa configuration nationale.

A l’époque de la mondialisation, le marché intérieur est remplacé par le marché mondial. La masse salariale comme débouché n’est plus une variable décisive. Par contre elle reste un coût qu’il faut comparer aux autres coûts salariaux des pays partenaires à la mondialisation.

En mondialisation, la double qualité coût/débouché disparait progressivement. Dans le même temps, le coût d’opportunité des  investissements d’innovation et de modernisation, monte en raison des taux de salaire très faible rencontrés dans ce qui va devenir les pays émergents : il vaut mieux fabriquer en Chine plutôt que de se lancer dans la robotisation.  La concurrence devenue mondiale, ramène ainsi progressivement la productivité à la seule dimension compétitivité par les coûts.

A l’échelle planétaire, la production peut augmenter, mais les demandes internes de chaque nation doivent être comprimées pour se maintenir à flot dans l’océan de la concurrence. La demande mondiale, ne peut augmenter au rythme de l’offre mondiale, et donc nous sommes entrés, dès le début de la mondialisation, dans une crise potentielle de surproduction.      

Cette dernière n’est pas immédiatement visible : Les vieux Etats moins gavés de ressources fiscales, s’endetteront auprès de plus jeunes jouissant de la loi d’airain des salaires ; les salariés de ces mêmes vieux Etats verront leur pouvoir d’achat maintenu, d’abord par la baisse de prix des importations maitrisée par la Grande Distribution mondialisée, mais aussi par le recours à l’endettement.

Simplement cet endettement public et privé sera pris pour ce qu’il n’est pas : une fête à laquelle il faudrait mettre fin, car selon un solide adage de vieux bon sens, nul ne saurait durablement vivre au-dessus de ses moyens.

 La finance qui a fait de  la dette son miel , en devient victime, et la crise financière annoncerait ainsi qu’il faut siffler la fin de la récréation.

Cette « erreur de lecture » est précisément ce qui accélère la recherche éperdue de  compétitivité et le suicide collectif. Face à l’incendie qui n’existe pas, mais auquel tout le monde croit, il faut tous se précipiter dans un mouvement mimétique vers la même sortie : la « porte compétitivité ». Les plus habiles s’en sortiront peut-être mieux que les autres ( Allemagne ? Chine ? ).  Mais le désastre de la mondialisation sera une dure réalité collective.

Il est aujourd’hui fait pression sur la France, toujours trop lente, dit-on, dans des réformes dont on ne dit pas facilement qu’elles sont pour l’essentiel une réduction du coût du travail. La France serait ainsi encore plus suicidaire que les autres, qui eux tentent leur chance dans la lutte pour atteindre la sortie, et ne pas mourir dans l’incendie.

La France – insuffisamment véloce - risque donc de mourir dans l’emballement et la précipitation mimétique vers la « porte compétitivité ». Elle est pourtant aussi le siège de quelques mauvais esprits capables de poser de grosses questions naïves.

 Ainsi :

 Que se passerait-il par exemple si la « fête » dépensière s’arrêtait dans le monde ?

 Que se passerait-il si le budget fédéral américain était rééquilibré en dépensant moins comme le souhaitent les républicains du Congrés?

Comment vivraient les fournisseurs de denrées alimentaires (wall-Mart aux USA) qui se rémunèrent  des « food- stamps » distribués à 47 millions de personnes ?

 Comment vivrait le complexe militaro industriel américain,  ses milliers d’entreprises et ses millions de salariés ? Qu’en serait-il pour Lockeed Martin ,Boeing, Northrop Grumman, General Dynamics, Raytheon, United Technologies, etc. ?

Que fera t-on des médicaments qu’on ne pourra plus produire en France ou ailleurs, faute de déficit de la Sécurité Sociale ou de la suppression américaine du "médicaid et du médicare" ? Qu’en sera-t-il pour Pfizer, Roche, Novartis, Sanofi, Bayer, etc. ?

Que deviennent les grands groupes tels Générale de Santé, Vitalia, Médi-partenaires,etc. dont le chiffre d'affaires est, en France, constitué à 90% des versements de l'Assurance maladie lourdement déficitaire?

Que deviennent ces acteurs essentiels du soin aux personnes agées tels Orpéa, Korian ou Medica dont le chiffre d'affaires est constitué des versements des caisses de retraites largement insolvables?

Comment vivront les médecins français dont chaque consultation développe une dette nouvelle de 2,5 euros ?  

Comment la Grande Distribution Française vivrait cette chute des revenus de substitution payés sur de la dette publique et qui fait parfois l’essentiel du chiffres d’affaires de certaines unités ?

Toujours en France, que deviennent les industries de défense tels MBDA, Thalès , Dassault, SAFRAN, Nexter System, DCNS, etc. sans oublier les 4000 PME partenaires, si une nouvelle loi de programmation militaire ajoute sa pierre dans l'interdit des déficits budgétaires?  

Comment dans un univers devenu aussi déprimé, l’industrie allemande pourrait-elle continuer à   engendrer plus de 6 points de PIB de surplus extérieur ? Qu’en serait-il pour BMW, Daimler, Wolkswagen, Bosch, Siemens, Basf, etc. ?

La liste pourrait s’allonger à l’infinie.

Est- il est possible d’aller plus loin dans la naïveté ? Comment ne pas s’étonner que dans les vieux pays, les infrastructures de base (ponts, routes, voies ferrées, etc.) bénéficient d’un investissement net négatif, les dépenses d’entretien ne couvrant pas l’amortissement nécessaire,  (Allemagne, Etats-Unis, France, Grande Bretagne, etc.) alors même que les moyens matériels de les entretenir sont abondants, non utilisés (carnets de commandes dégarnis, sous-emploi, etc.), voire même font l’objet de plans sociaux (sidérurgie) ?

Il est donc vrai, que la dette publique et privée sert à maintenir la production (croissance proche de zéro) mais qu’il faudrait qu’elle soit encore bien plus importante, pour assurer l’investissement porteur de croissance. Oui, la dette devenue insupportable, et pour les créanciers et pour les débiteurs, est toutefois très insuffisante pour assurer la croissance. Et cette dette n’est bien que le produit de la mondialisation qui transforme toute la demande intérieure en simple coût à réduire.

Et si le raisonnement est vrai, toujours très naïvement, il faut se poser la question, de l’avenir des émergents eux aussi en concurrence, et qui devront eux même rapidement freiner leur demande intérieure avant même son épanouissement. La Chine devient un pays beaucoup trop cher du point de vue de nos importations. Mais aussi la Chine s'est aussi appuyée sur sa propre machine à fabriquer de la dette pour maintenir une activité qui se heurte à l'univers déprimé de l'occident. De quoi être moins enthousiaste sur l’avenir des croissances miraculeuses des émergents.

Et, au terme de la simple évocation de ces quelques grosses questions naïves, on pourrait peut-être se dire que la fête reste belle grâce à la dette et à sa belle croissance, et qu’elle pourrait encore être plus belle si sa croissance était encore plus rapide, si la machine à fabriquer de la dette était encore plus puissante. Hélas, cette dernière manque  de carburant faute de créanciers suffisamment hardis.

 Alors il faudra en finir avec la forme prise par notre mondialisation.

Malheureusement, pour paraphraser Einstein, nous pensons probablement collectivement comme un marteau, et tous les problèmes, dans ce contexte, y prennent la forme d’un clou. Ici, étrange logiciel qui fait apparaitre une production excédentaire, comme des dépenses trop importantes. Pourquoi continuer de penser à l’envers ?

La France a peut-être – au moins en théorie -autre chose à faire que de se précipiter vers les « Portes de la compétitivité » devant lesquelles s’amoncellent les cadavres. Et là encore, on pourrait poser de grosses questions naïves à ceux qui veulent- à l'instar des porteurs du projet de budget 2014 en France- davantage encore comprimer la demande intérieure de la France : que deviendraient les nouvelles – et si éblouissantes - exportations espagnoles, Irlandaises, italiennes, grecques, etc ?

 Oui, il est possible de construire un autre monde, mais comment s’extirper d’une mondialisation source de tant de dislocations planétaires ? Comment ne pas mourir dans l’incendie, même si on ne se précipite pas avec les autres vers les « portes de la compétitivité" ?

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8 octobre 2013 2 08 /10 /octobre /2013 06:37
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7 octobre 2013 1 07 /10 /octobre /2013 15:05
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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 22:00

 

Notre dernier texte « La compétitivité comme suicidaire panique collective » nous fait bien comprendre pourquoi les dettes publiques et privées sont devenues aussi importantes : elles sont  une compensation fondamentale  aux déséquilibres des échanges impulsés par la mondialisation. C’est la prise de conscience, d’abord brutale (en 2008), et aujourd’hui bien établie du caractère devenu himalayen de la dette,  qui a transformé les banques centrales et a fait de leurs « politiques non conventionnelles », la colonne vertébrale de leurs activités. Point de salut sans « Quantitative Easing ». Et il s’agit bien d’une planche de salut car, les évènements du printemps et de l’été dernier- notamment les atermoiements de la FED- ont  montré qu’il était impossible de revenir à la situation antérieure, c’est à dire de ne plus acheter sans limite de la dette publique et de ne plus acheter des titres privés démonétisés.

L’insuffisante demande globale planétaire issue de la mondialisation reste ainsi masquée par un « Quantitative Easing » dont on ne peut plus se défaire sans ruine mondiale. D’abord celle des banques, dont les actifs sont gonflés très artificiellement par la pompe des banques centrales. Ensuite celle des Etats, qui peuvent continuer à se financer par la garantie d’achat de la dette nouvelle à des taux très faibles. Enfin celle de l’économie réelle, qui certes ne bénéficie plus de crédits en quantité suffisante pour assurer l’accumulation, mais qui en premier lieu ne peut à priori plus être la victime secondaire d’un « bank- run » auquel est généralement associé une thésaurisation, et qui en second lieu continue de bénéficier d’énormes dépenses publiques. Au-delà, il faut aussi préciser que le « Quantitative Easing » permet aussi aux émergents excédentaires (Chine) de continuer leur croissance tandis que les déficitaires reçoivent une épargne en quête de rémunération attractive (Inde, Turquie, etc.)

Ainsi donc, quelques banques centrales sauvent le monde en acceptant ce pourquoi elles n’avaient pas été conçues. Jusqu’à quand ?

Logiquement, cette mondialisation engendrant de tels déséquilibres macro-économiques aurait dû connaitre un autre destin, et par exemple la Chine – poids lourd dans le phénomène – aurait dû connaitre une rapide ascension de son taux de change plutôt qu’un accroissement gigantesque de ses réserves en devises. Toute une littérature académique existe – autour de ce qu’on appelle «  l’effet Balassa- Samuelson »- pour expliquer que les pays émergents quels que soient les régimes de change adoptés, connaissent spontanément une pression à la hausse du taux de change. Or la Chine, en adoptant un système à rattachement plus ou moins fixe avec le dollar, a bloqué toute élévation du cours du Yuan et s’est constituée d’énormes balances dollars, converties pour l’essentiel en dette publique américaine.

Acte délibéré- politique par conséquent- pour maintenir un déséquilibre des échanges au regard des USA, avec une production nationale excessive par rapport à la demande interne, différence se soldant en achat de titres publics américains, qui permettent une production américaine alors même que la demande interne se fait insuffisante.

Très simplement, pour prendre l’exemple classique des énormes dépenses militaires américaines, c’est bien avec de la dette publique achetée par la Chine que le système militaro-industriel a pu fonctionner et trouver des débouchés, débouchés potentiellement beaucoup plus faibles si l’Etat fédéral avait maintenu un strict équilibre budgétaire.

 La « Chinamérique », ne fonctionnait sans crise de surproduction globale apparente que par la dette, et ce, pour le plus grand profit de la majorité des groupes  dominants dans les  2 pays. Ainsi La politique de développement et le maintien du groupe au pouvoir en Chine passait par une croissance reposant sur les exportations et la maitrise politique de son surplus, symétriquement les entreprises américaines s’implantant en Chine devaient bénéficier des bas salaires chinois.

Il faut donc comprendre, que cette dislocation planétaire propre à la mondialisation, suppose des taux de change adaptés, taux de change qui vont aussi développer des effets pervers sur une masse monétaire qui, théoriquement en très forte croissance (contrepartie de l’excédent extérieur), devra être contenue par toute une série de politiques de « stérilisation des liquidités ».

La logique de la mondialisation s’étant ainsi maintenue, les déséquilibres se sont rapprochés de l’insupportable pour les créanciers publics et privés, d’où la crise et la transformation en profondeur de la mission des banques centrales.

Cela étant un « Quantitative Easing » qui se pérennise faute de solutions à la crise développe des effets  pervers non négligeables.

 

Des effets pervers redoutables

 

Tout d’abord, la dette publique, bénéficiant de taux artificiellement bas aussi en raison des achats massifs des banques centrales, devient une matière première de mauvaise qualité pour tous les acteurs qui en font un minerai financier de base. Comment produire un actif financier performant, si une partie de la matière première est peu performante, et ce même si sa liquidité est quasiment garantie ? Le problème concerne la finance classique. Il concerne donc aussi les épargnants.

Il concerne aussi, ces autres grossistes en achat de dette publique que sont les compagnies d’assurance dont les bilans deviennent déséquilibrés, les engagements réels ou potentiels, n’étant plus suffisamment garantis par des titres à faibles rendements. Déjà, les assureurs parlent de répression financière et se disent victimes des politiques non conventionnelles des banques centrales. Ils sont d’ores et déjà tentés par des hausses de tarification. C’est donc aussi l’épargne, par exemple les contrats d’assurance vie, qui est concernée par les flux débordants de l’aisance quantitative.

Les banques sont à priori les grandes bénéficiaires, les actifs étant gonflés artificiellement. Toutefois la croissance étant faible, l’investissement même assorti d’un taux bas est peu justifié et surtout, son coût d’opportunité est beaucoup trop élevé par rapport aux activités directement ou indirectement spéculatives. Ainsi le montant des opérations de couverture ( 477 milliards de dollars/ jour à l’échelle du monde) s’accroit alors même que les flux d’investissements décroissent. D’où le maintien de bulles spéculatives gonflées avec la matière première fournie par les banques centrales.   Une matière première qui n'est pas exempte de coût en raison - tout au moins pour le LTRO européen- de sa contrepartie en consommation de collatéral devenu trop rare dans les échanges interbancaires.

 S’il est à priori impossible de ne pas accroître le flux de liquidités empêchant un approfondissement de la crise, existe-t-il un moyen de disposer d’un « Quantitative Easing » plus efficace et moins polluant ?

Les banques centrales savent qu’elles ne font que contenir la crise et cherchent à rendre plus efficace le « Quantitative Easing ». Ainsi la BCE réfléchit à une intervention directe sur les entreprises en leur accordant le crédit qu’elles peinent à trouver dans le réseau bancaire. Moins brutalement, elle pourrait essayer  de relancer la titrisation en se portant directement acquéreuse des crédits aux entreprises. Affaire à suivre.

Une autre possibilité est d’imaginer ce que certains appellent le « Quantitative Easing for the People » (QEP), idée reprise de façon surprenante par le président du régulateur financier britannique Lord Adair Turner. Il s’agirait d’un financement direct des ménages dont les comptes bancaires seraient crédités par les banques centrales.

Certains voient dans un tel financement le début d’un revenu de citoyenneté, revenu régulièrement évoqué depuis  plusieurs dizaines d’années. Un tel dispositif ne garantit pas une immunité globale et se trouve porteur de lourds effets pervers.

En premier lieu si de façon indirecte il apporte de la liquidité aux banques, celles-ci ne sont pas davantage invitées à investir et à réduire leurs inclinations spéculatives. En second lieu, aucune solution n’est trouvée au problème fondamental de la mondialisation qui est celui des déséquilibres. A l’inverse, il risque d’accroitre mécaniquement le flux des importations à proportion de la propension à importer des ménages. Poussé aux limites, le dispositif n’est évidemment pas viable macro-économiquement : Les émergents ne recevraient plus en paiement des excédents que des actifs trop visiblement démonétisés.

Au-delà des aspects juridiques – les banques centrales disposent de statuts interdisant le QEP- un réel problème politique se poserait, les citoyens n’étant pas rattachés à des banques centrales mais à des Etats. Sans compter que les banques centrales ne sont en aucune façon des espaces de délibérations citoyennes.

Le « Quantitative Easing » est donc une solution sans avenir, une solution qu’il faut pourtant porter à bout de bras le plus longtemps possible, faute de l’émergence sur les marchés politiques d’acteurs susceptibles de mettre fin à la mondialisation dans ses caractéristiques présentes.

Toutefois, il semble préparer la solution contre laquelle il est censé se battre, en nous rapprochant d’époques antérieures où la souveraineté monétaire- et souveraineté sans la loi d’airain de la monnaie- allait de soi, c’est-à-dire approximativement la seconde partie du vingtième siècle. C’est que l’indépendance des banques centrales – concept mensonger pour les lecteurs de ce blog –  se retourne dans les faits, puisque désormais les grands Etats se trouvent à nouveau financés à taux presque nul et ce pour des montants devenus illimités. Comme au beau milieu du vingtième siècle où chacun savait, qu’indépendance ou pas, publiques ou privées, les banques centrales validaient un rapport de forces -politiques/ finance- dans lequel le premier terme l’emportait largement sur le second. Et ce rapprochement est aussi celui des conditions faites à l’épargne : Après l’épargne libérée nourrie par la mondialisation et cette matière première qu’est la dette publique, épargne libérée qui faisait la fortune de toute une armada de conseillers en patrimoine, nous nous rapprochons de la répression financière tant dénoncée au cours des 30 glorieuses.

Les aventures lointaines du « Quantitative Easing   avancé » mènent -elles  à la reconquête de la souveraineté monétaire ? Mènent-elles au retour d’un stade- sans doute modernisé- des « Etat-Nations » ?

 

 

 

 

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28 septembre 2013 6 28 /09 /septembre /2013 08:46
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27 septembre 2013 5 27 /09 /septembre /2013 04:37
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20 septembre 2013 5 20 /09 /septembre /2013 22:00

 

Alain Touraine vient de publier au SEUIL un très long ouvrage (656 pages) intitulé « La fin des sociétés ». Ce livre présenté comme le couronnement théorique de son œuvre peut aussi se percevoir comme ouvrage d’économie dans la mesure où l’apparition de nouveaux acteurs du jeu social permettrait le redressement économique, comme ce fut – selon l’auteur - le cas à la fin de la seconde guerre mondiale avec l’émergence d’un cycle nouveau appelé les « trente glorieuses ».

Ces nouveaux individus sont ce qu’Alain Touraine appelle depuis de très nombreuses années le « retour de l’acteur », acteurs collectifs , capables d’engendrer une fin de crise par la promulgation de nouveaux droits issus de principes éthiques. Et l’auteur voit dans l’émergence de pôles de résistance à la mécanique infernale de la crise – ce qu’on a appelé par exemple les mouvements d’indignés de la Puerta Del Sol ou les militants des printemps arabes – les prémisses d’une réorganisation générale des règles de fonctionnement de l’économie.

Nous voudrions, dans le présent texte, évoquer l’intérêt et les limites de la construction d’Alain Touraine.

Exprimer pour un sociologue l’idée de « fin des sociétés », de « l’après social », et même d’individus acteurs autonomisés par rapport au social est évidemment énigmatique et tendrait à le rapprocher du paradigme libéral d’entrée dans la connaissance des phénomènes sociaux. En ce sens l’acteur d’Alain Touraine est-il comparable à celui des libertariens tel celui analysé par un Friedrich A. Hayek ? Pour en juger il faut en revenir sur la vision libérale en particulier celle Hayekienne des mécanismes de l’inter-action sociale .

 

L’individu et le social chez Hayek

 

La première grande idée est que le jeu social n'est pas une construction humaine mais se trouve être le produit d'une évolution non rationnelle. D’où sa célèbre  critique de Descartes.

 Le rationalisme cartésien n'est pas scientifiquement acceptable pour Hayek et  les institutions critiquées par l’auteur du Discours de la Méthode ne sont pas le fait d'une construction humaine maladroite, construction qu’il faudrait revoir, alors qu'en réalité la société n'a jamais été fabriquée par un quelconque architecte, et qu'il est toujours tout aussi impossible de la fabriquer aujourd’hui.

Les hommes ne peuvent pas bâtir consciemment un ordre social complet à la manière d'une machine tout simplement parce que la société dépasse l'entendement. Alors qu’il est possible de maîtriser toute la technique permettant la construction d’une machine, il est impossible de maîtriser la technique humaine et maîtriser tout le savoir humain. Ainsi je ne puis, pense Hayek- remplacer le marché par une super planification car je ne puis maîtriser toutes les connaissances particulières qui fabriquent le marché.

La seconde grande idée est que l’évolution non rationnelle de l'humanité n'est que le résultat d'essais et d'erreurs, idée dont on voit déjà qu’elle éloignera complètement Hayek des théories normatives si souvent  rencontrées dans les sciences humaines, et théories qui décrédibilisent leurs auteurs : La science n’a pas à dire ce qu’il faut faire mais à dévoiler ce qui est.

Selon Hayek, pour comprendre le lien social et la coopération, il faut comprendre la logique de l'action des hommes. Et cette action doit être sous-tendue par une logique de perception : j'agis en fonction de ce que je crois être la situation.

Précisément la connaissance de la situation est souvent un savoir pratique non sous- tendu par un savoir théorique et rationnel. Ainsi le bon joueur de billard réussit des coups sans passer par une connaissance très complexe de la mécanique et qui plus est, son intelligence   est peu mobilisée .

Il existerait donc un savoir pratique conditionné par la présence dans le cerveau de ce que Hayek appelle  "schèmes",  c'est à dire une réalité mentale capable d'associer directement à la perception d'un certain type de situation, un certain type de réponse adaptée. Un schème est donc tout simplement une « carte »  permettant de se repérer et de se situer par rapport à l'extérieur.

Ces schèmes qui permettent de percevoir les situations, sont complètement associés à d'autres schèmes qui impliquent l'action et souvent il y a intégration des deux catégories, car la perception suppose aussi l'action: regarder suppose de s'orienter, toucher suppose un geste de la main etc..

La « perception-action » serait adaptative dans le sens de la conservation de la vie. Ainsi, Il y aurait progressivement sélection naturelle de la bonne perception et de la bonne action , bonne en ce sens qu'elle permet de réussir et d'être efficace  au regard de la protection de la vie .

Cela se comprend aisément. Si le schème ( la « carte » ) qui  permet de se situer est erroné en ce qu'il ne  renseigne pas correctement le sujet , l’intégrité physique peut-être menacée. Par exemple le risque d'être renversé par une voiture si l’acteur ne se rend pas compte qu’il marche au beau milieu d'une route.

Mais cette adaptation ne serait pas aussi frustre, en particulier chez l'homme, et ne se ramènerait pas toujours à un réflexe. Les schèmes pourraient être d'une grande perfection, et ainsi percevoir qu'aucune situation n'est exactement semblable à une autre, ce qui  entraînerait une action spécifique et donc une grande variété de comportements adaptés. Et cette adaptation se réaliserait au travers d'essais et d'erreurs qui vont représenter selon Hayek le processus d'évolution.

Par exemple, pour en revenir au jeu de billard, la situation n'est jamais exactement la même (les boules ne sont jamais les unes par rapport aux autres dans la même situation) et au schème de perception ( ce qui procure la « carte » ) va correspondre un schème d'action complètement spécifique ( les coups ne sont jamais les mêmes ) et pourtant effectués sans calcul fastidieux .

Pour Hayek, les schèmes encadrent la conscience et celle-ci n'émerge que lorsque l'environnement ne correspond pas exactement aux anticipations des schèmes, donc lorsqu'il y a un imprévu.

Ainsi, dans le cas de la conduite automobile, il y a bien en permanence perception et action dans le sens de la conservation de la vie, toutefois la conduite est très largement automatique et donc relativement inconsciente. Ce n'est que lorsqu'un événement imprévu se manifeste ( un obstacle par exemple) que l'on sort d'une certaine torpeur et qu'il y a prise de conscience.

 Il y aurait donc des règles inconscientes qui guident notre action, des automatismes qui peuvent être chez l'homme la morale ou le droit. Ces éléments, Morale et droit, seraient très largement des guides à notre action, et des guides relativement inconscients. Et il s'agirait bien de schèmes d'action: à la lecture du réel (schème de perception, ) correspondrait un schème d'action "programmé" par la morale ou le droit. La morale ou le droit  font en effet, que face à telle ou telle situation ,l'action appropriée est orientée de telle ou telle façon. Constatons que cette conclusion hayékienne nous éloigne de l’individualisme méthodologique classique.

 

Mais morale et droit nous font déjà passer à la logique de l’interaction sociale.

 

Selon Hayek Il existerait une classe particulière de schèmes de perception et d’action, ceux permettant la communication, et donc le lien social, et qui seraient probablement des schèmes communs capables de nous comprendre, c'est à dire de comprendre l'autre. Et cette compréhension est encore une fois du savoir pratique que nul ne pourrait expliquer. Ainsi, par exemple, nous repérons l'humeur de l'autre à tel ou tel mouvement de son visage, mais s'il s'agit d'une connaissance le plus souvent vraie, on est bien incapable de  démontrer sa justesse par le raisonnement. La rationalité est ici impuissante.

Comment puis-je me guider par rapport à autrui? Précisément parce qu'il y a des schèmes communs, je puis dans une certaine mesure, prévoir le comportement de mes semblables, en particulier le fait que ces derniers s'abstiendront de certains types d'actions. Il y aurait alors des règles d'action qu'on appellera des "règles de juste conduite" et qui représenteraient un éventail de possibles.

L'éventail des possibles est donc ce qui permet la survie du groupe ou plus exactement la coopération entre les hommes : je puis élaborer des plans d'action car je sais que mon partenaire doit plutôt se comporter de telle ou telle façon.

 

Cet éventail des possibles serait dessiné par des schèmes, dont le contenu est fait de morale, de valeurs, de préceptes ou de règles qui se sont révélés bénéfiques pour le maintien du groupe humain considéré. Cet ensemble qui correspond aussi aux "règles du jeu" dans une société donnée, serait constitué de prescriptions génériques , censées s'appliquer à un nombre indéterminé de cas et d'individus: "respecter ses parents ","ne pas voler ou tuer ","aimer sa patrie", "gagner son pain à la sueur de son front" etc.. Et la conscience – selon Hayek- apparaît sur cet humus, c'est à dire que ce que nous appelons  " Raison " reposerait sur ces schèmes qui se seraient révélés bénéfiques au cours du temps.

Dit autrement, ce qu'on appelle Raison est encadré par ces prescriptions qui sont un peu le logiciel de la société considérée. Au fond, pour bien traduire Hayek, la raison travaille à l'intérieur et avec un « logiciel », de la même façon que l’on peut écrire un livre de philosophie à l'intérieur et avec un logiciel de traitement de textes.

De tout ceci, il résulte que contrairement à ce que pensait Descartes, la culture au sens le plus général, et les institutions humaines ne sont pas une construction qu'il faudrait remanier. De la même façon que pour écrire un livre nous restons prisonniers d’un "traitement de textes", nous restons prisonniers de notre culture et des institutions qui lui correspondent. Bien sûr cette culture et ces institutions ont été in fine  des structures construites par les hommes, mais elles constituent un cadre d'action sur lequel on ne saurait agir.

 

Pour Hayek la particularité de ces  structures, est  qu’elles sont à la fois ni naturelles ni artificielles.

Non naturelles car elles ne dépendent pas de l'environnement de façon  mécanique et ne sont pas intériorisées dans des gènes. Concrètement les règles morales ne sont pas inscrites dans les chromosomes, la preuve en est qu'il faut les enseigner. Cela s'appelle l'éducation.

Non artificielles, car il s'agit de structures qui "débordent" le cerveau humain et qui s'imposent à lui. Nul acteur de la société n’est ainsi capable de rompre avec sa culture. Sans doute ces structures, culture ou règles de juste conduite, dépendent de l'action des hommes, pour autant elles ne résultent pas de leurs intentions.       

 Morale, droit ,langage ,et d'une manière générale culture ,sont entre la nature et l'artificiel ,entre l'inné ou l'instinct et la raison. C'est cet  "entre -deux" qui permet à Hayek de construire une théorie de l'évolution culturelle.

C’est que les règles de juste conduite rendant possible l'interaction humaine évoluent dans le temps. Et une  évolution qui n'est ni    Darwinienne, ni planifiée par un organisateur.  Ce ne peut en toute hypothèse être un "organisateur" qui a inventé le jeu social, puisque la société humaine naissante, était déjà société -donc avec des règles- alors même que "l'organisateur" n'était point né .Esprit et société sont le résultat d'une coévolution, et donc le premier ne peut précéder la seconde.

S'il existe un ordre social, s’il existe une société, c'est que les schèmes de perception et d'action ne débouchent pas sur le chaos. Ainsi la règle "tuer l'autre " ou "fuir l'autre" empêcherait toute forme de coopération humaine. Et donc ces "règles là" n'avaient à priori aucun avenir.

Et la règle n'est pas inventée à priori, mais bien plutôt sélectionnée à postériori, à la faveur d'un processus d'essais et d'erreurs. Les règles permettant la coopération, ont donc été progressivement "filtrées" en raison de leur efficience sans bien sûr qu'il  y ait enracinement biologique.

A la place d'un enracinement biologique, il y a retransmission des règles sous la forme de valeurs ou de normes, et cette retransmission ne s'effectue que si un comportement nouveau s'est généralisé et s'est révélé bénéfique au groupe. Dès que le comportement nouveau est devenu norme, la société "compte sur lui" et le reproduit jusqu'au moment où il sera supplanté par une nouvelle norme plus efficiente pour le groupe.

Il existerait donc selon Hayek  une logique auto-organisatrice de l'ordre social de laquelle il est possible d'extraire quelques idées:

- c’est l'efficience du groupe - efficience par rapport à son environnement qui est le critère de sélection des règles. Si une règle nouvelle profitable pour un individu, mais nuisible pour le groupe émerge, elle ne deviendra jamais norme sociale.

-Une règle ne s'apprécie jamais de façon intrinsèque, elle ne s'apprécie que dans un contexte de règles déjà existantes et d'un environnement. C'est la raison pour laquelle les normes sociales sont différentes d'un groupe à l'autre, d'une civilisation à l'autre.

- L’individu n'a pas besoin de comprendre comment fonctionne le groupe pour contribuer à le faire fonctionner. Il croit agir comme il l'entend mais sa conduite- qu'il peut croire éventuellement libre- est de fait inscrit dans les règles faisant émerger l'ordre social. Il ne sait donc pas qu'il contribue à reproduire la société, et ignore la genèse et le pourquoi des règles qu'il respecte et reproduit. Il sait seulement qu'il faut se comporter de telle ou telle façon.

-Les règles efficientes sont fixées par causalité circulaire. Le passage de la conduite innovante à la norme, est aidé par des mécanismes (louange ou blâme)   qui assurent l'imitation des comportements bénéfiques pour les nouveaux arrivants dans le groupe. Ces mécanismes, permettent  une vitesse d'évolution plus grande que dans la biologie et des groupes moins efficients, peuvent intégrer les règles de groupes plus efficients, ce qui est un processus courant dans l'histoire des civilisations.

 

Voici sans doute trop brièvement résumé le point de vue Hayekien concernant l’interaction sociale. Ce qu’il convient de retenir, est que l’individualisme méthodologique généralement présenté comme socle de la théorie économique dominante, est un objet à nuancer. On pourrait même imaginer un certain rapprochement e,ntre règles de juste conduite, et le concept "d’Habitus", chez un Bourdieu pourtant fort éloigné d’Hayek.

Il existe dans toute organisation un éventail des possibles, dont l’envers est un ensemble d’interdits ou de comportements sans avenir, car non validés et généralisés à l’ensemble du groupe. Il existe donc pour reprendre la terminologie de Touraine un acteur chez Hayek, mais c’est acteur est socialement inséré et tenu de respecter les règles de juste conduite.

Qu’en est-il de l’acteur chez Touraine ?

 

 

L’individu et le social chez Alain Touraine

 

 

Il n’existe pas chez Touraine une théorie de l’acteur aussi élaborée que chez Hayek. Le « retour de l’acteur » est chez lui une volonté de réaction à la sociologie dominante des années 80, notamment celle du structuralisme, laquelle faisait du sujet un individu qui n’était rien d’autre que le produit des structures sociales. Ce dernier, désigné par l’expression « d’acteur » par Alain Touraine, n’est pas nécessairement individu isolé. Il est à l’inverse souvent  un collectif, non pas détaché du système social pris dans son ensemble- ce qui correspondrait à une variété d’individualisme méthodologique- mais un collectif qui n’est pas non plus la simple production de ce même système.

De ce point de vue, il y a une certaine parenté entre Hayek et Touraine : il existe un espace de liberté pour les individus, espace constituant un éventail des possibles.

Il existe toutefois une grande différence car le système social de Touraine, système qu’Hayek appelle ordre social, voire « ordre » tout court, est fait de conflits et de hiérarchies toujours discutées et contestées. Réalité qui pour autant ne fera pas de lui un marxiste car, pour Touraine, l’économie ne fait plus le grand principe d’organisation de la société. Il s’agit d’une différence importante avec Hayek pour qui les règles de juste conduite débouchent logiquement – et « idéalistement » pourrait-on dire – sur un « ordre spontané » qui est un ordre de marché, dans lequel chacun retire son épingle du jeu, sans aboutir à une société de classes antagonistes.

 

Ce qui est une réalité d’évidence chez Touraine – les acteurs sont naturellement en lutte dans un monde conflictuel – est à l’inverse un accident regrettable chez Hayek : Les règles de juste conduite peuvent connaitre un effet de cancérisation faisant émerger l’Etat, et ce qu’il appelle « une route de la servitude ». Ce qu’il appelle aussi le passage de « l’ordre spontané » - monde idéal et aussi idéel fait de règles simplement prohibitives, non finalisées, abstraites, universelles et permanentes – à « l’ordre organisé » qui est l’évolution monstrueuse du premier avec des règles finalisées – celles de l’Etat organisateur et prédateur- et règles non universelles et donc particulières assorties d’un niveau de contrôle élevé.

Ce qui est une dérive pour Hayek est la norme pour Touraine. Et cette norme serait devenue aujourd’hui objet en crise en raison de la globalisation: un phénomène entrainant la destruction des sociétés. Le phénomène n’est pas analysé et ne fait pas l’objet d’une démarche cognitive, par contre il se trouve abondamment décrit. C’est ainsi que l’on apprend que la globalisation économique, aurait engendrée une dissociation de la société et des moyens de l’Etat, en raison de l’autonomisation de la sphère de l’économie financière. Et une dissociation qui développerait une destruction des institutions sociales, dont l’école, la famille, la ville, la démocratie, la politique, etc. Il s’agirait donc de penser l’après social, sans même comprendre en profondeur les mécanismes de la crise.

Admettant sans l’expliquer, que la sphère marchande et financière n’est plus orientée vers la sphère sociale et politique, il voit dans cette séparation la progression d’un individualisme de consommation, facteur de désocialisation, et -plus encore - l’affirmation de cultures communautaristes orientées vers un repli identitaire. De façon plus générale, la crise développe chez les acteurs des conséquences différentes selon leur degré de résistance à la mondialisation productiviste : un individualisme radical chez les plus forts, les plus habiles, ou les plus chanceux, notamment ceux que l’on désigne maintenant par l’expression de « hors sol », et un repli communautaire pour les plus faibles, assignés sur leur lieu d’existence, tout en étant durablement éloignés du monde salarial .

Cette double réponse à la crise (hédonisme de l’individualisme de consommation et affirmation d’une appartenance à une catégorie) ne serait que la conséquence d’un problème et non sa solution.

D’où l’idée que la réponse se fera en termes de valeurs éthiques qui, progressivement ,viendront contester le modèle de pouvoir et de profit qui se dégage de la mondialisation. La solution à la crise de 1929 s’est imaginée sur la base de l’édification d’un Etat social, la solution à la présente crise se construisant sur la base d’une résistance éthique au pouvoir et au profit.

 Les acteurs du 21ième siècle sont ainsi, delon Touraine, demandeurs de nouveaux droits –qui ne sont plus ceux obtenus au cours des 30 glorieuses- et droits dont on va  affirmer qu’ils doivent être "au- dessus des lois". La conception rationaliste et utilitariste de la société qui était la trame des règles du jeu social et donc du droit ( Droit de propriété, liberté contractuelle, garantie du respect des contrats, etc.) doit être surplombée par une éthique garantissant de nouveaux droits. Et, ce serait cette éthique, qui se manifesterait dans de nouvelles revendications d’acteurs : manifestants de la place Tahrir au Caire, d’occupy Wall Street, ceux de Moscou contestant la réélection de Poutine, etc.

Resterait à comprendre comment les indignés engendrent une masse croissante  de dissidents, qui deviendront susceptibles d’imposer de nouveaux « droits au-dessus des lois ». Touraine pense que la vague de la dissidence- laquelle n’est pas une révolution au sens habituel du terme- découle assez naturellement de l’effacement progressif des vieilles instances de socialisation – famille , école, religion, lesquelles n’assurent plus la socialisation classique, ne sont plus capables d’orienter l’ensemble des conduites individuelles et collectives. Incapacité que l’on pourrait, pour mieux comprendre, comparer à celle d’une photocopieuse, dont la cartouche d’encre presque vide, ne produit plus que des documents de plus en plus pâles et illisibles.

Cela signifierait que, désormais les conduites sociales s’expliqueraient de moins en moins par le social – par la position des acteurs dans un champ de luttes objectives, telle une lutte de classes – et de plus en plus en des termes subjectifs personnels et éthiques. Les liens sociaux seraient ainsi de moins en moins lisibles au regard de statuts et d’appartenance à des institutions, et de plus en plus au regard de proximités affinitaires dans lesquelles l’égalité joue un rôle central. On ne veut plus être le salarié X ou Y, mais une personne singulière, d’où l’idée de subjectivation généralisée. Il n’y aurait donc plus de grandes luttes entre employeurs et salariés, mais des conflits aux fins  d’être reconnus dans la singularité individuelle de chacun : « moi, je veux être ».

 

Bien évidemment nous imaginons dépasser ici l’individualisme méthodologique Hayékien : l’éventail des possibles est-il plus large chez Touraine ? On pourrait le penser, puisque nous assisterions à la naissance, et peut-être la généralisation, de conduites et comportements qui ne sont plus guidés par des références sociales. Classe sociale, fonctions, rôles, statuts  sont de moins en moins les point d’ancrages des choix, lesquels désormais, se fixent sur la base d’une subjectivation du vécu.

Bien évidemment la question est de savoir si les dissidents vont devenir une nouvelle force sociale capable de renverser, ou plus modestement de contenir, le pouvoir économique  et financier. Et c’est ici que les choses peuvent paraitre beaucoup plus complexes que ne le pense Alain Touraine.  Certes l’auteur sent la difficulté, d’autant que la croyance collective au progrès, et en une possible révolution y conduisant, a disparue.

 

Comment donc créer une force sociale nouvelle à partir d’une rupture avec le social ? Comment passer d’une culture du désengagement, voire du doute, à celle d’un engagement ? Touraine pense que l’exacerbation de l’individualisme consumériste, peut aussi être une force revendicative : les individus consommateurs, veulent aussi être reconnus dans leur personnalité entière, et la généralisation de l’amour de soi, peut devenir problème ou nouveau problème de société.

L’auteur appuie ce qu’il croit être sa démonstration à partir de très nombreux exemples, dont celui  sans doute pertinent de la sexualité. Ainsi parce que la fonction sociale de la sexualité aurait disparue- instance essentielle dans un monde encore ancré dans l’organisation politique de la reproduction – elle devient du même coup, une dimension essentielle de la personnalité, et doit être reconnue sur la base d’un principe d’égalité des pratiques. Si la sexualité n’est plus un fait social sous contrôle, alors dans un monde devenu individualiste,  elle doit faire l’objet d’une reconnaissance égale qu’elles qu’en soient les pratiques. Et une reconnaissance égale qui deviendrait une pièce d’un nouvel universel à établir en tant qu’élément constitutif de droits de l’homme, que l’on complète et qu’on universalise davantage.

Le titre du livre d’Alain Touraine – « La fin des sociétés » - est bien sûr une provocation, puisque l’ouvrage se termine sur la base d’une refonte du contrat social. Pour autant, le réengagement à partir de considérations éthiques est-il susceptible d’éradiquer la crise économique ?

 

L’ Eradication de  la crise chez Touraine : un processus peu déchiffrable.

 

 

Peu déchiffrable tout d’abord parce que l’interaction sociale, telle que présentée par l’auteur, fait trop peu de place à l’analyse de la crise. Et, de ce point de vue, l’analyse Hayékienne permet d’appréhender de manière beaucoup satisfaisante la crise en tant que crise de la mondialisation.

Sans doute Hayek refuse  t-il d’analyser les conflits d’intérêts. Pour autant, c’est bien son analyse de l’interaction sociale qui permet de comprendre l’engendrement d’un ordre, qu’il rejette sans doute en raison de sa foi libérale,  mais qui historiquement est devenu majoritaire : l’ordre organisé de société.

Dans cet ordre  - sans doute mieux analysé dans son mouvement historique par Robert Nozick -  est apparu ce que nous appelons la « grande aventure de l’Etat », avec appropriation, par divers groupes sociaux, des outils de la contrainte publique. Touraine aurait pu ainsi introduire ces « acteurs » dans un jeu social complexe, faisant apparaitre ce que nous avons appelé les « producteurs de l’universel » ou les « entrepreneurs politique », les « producteurs de biens économiques », et l’immense catégorie des « citoyens/salariés/consommateurs/épargnants», laquelle se subdivise en groupes sociaux - pour reprendre le langage de Touraine-  dont les intérêts peuvent historiquement, parfois converger, et parfois diverger .

Ce que Touraine  appelle ainsi la fin de la société, ou la crise, n’est rien d’autre qu’un nouveau jeu social, avec irruption de nouvelles règles de juste conduite, entrainant une nouvelle forme d’Etat que nous avons qualifié "d’oligarchique". Il n’existe pas véritablement de destruction du social, simplement la mondialisation en a changé les règles, avec ce qui peut apparaitre des incohérences et des conflits d’intérêts à l’intérieur d’une même classe sociale, par exemple conflits entre la fonction épargne, la fonction consommation, la fonction salariale et la fonction citoyenne. Toutes choses que nous avons analysé dans notre article : « Le Monde tel qu’il est ». Et c’est aux acteurs de réinterprêter cet ensemble, en faisant émerger par innovation de nouvelles règles de juste conduite, lesquelles peuvent être celles tant mises en avant par Touraine à savoir l’éthique.

Sans doute la crise est-elle bien un processus de dislocation probablement planétaire, mais ce processus n’est guère analysé par Touraine, et ne permet pas de voir qu’il s’agit de nouvelles formes de captation des Etats par des groupes en lutte, certains cherchant à se reconduire au pouvoir ( entrepreneurs politiques), d’autres achetant les outils juridiques de la mondialisation (groupe mondialiste de la finance et des entrepreneurs économiques qui vont tenter d’utiliser les outils de la contrainte publique à leur profit), d’autres encore essayant d’en négocier le prix à leur avantage (consommateurs/ épargnants), tandis que d’autres résistent en tentant de capturer une partie de l’Etat social ( salariés, chômeurs, etc.). L’ensemble, se soldant par une production mondiale excédentaire par rapport aux revenus distribués, que compense une dette publique régulièrement ascendante.

 D’une certaine façon, la lecture de la crise est  simple, et le travail d’Alain Touraine  serait davantage compris, si un effort de présentation des mécanismes figurait dans le livre. Et ce travail était nécessaire, car il aurait débouché sur des nuances concernant le désengagement des acteurs. C’est que les marchés politiques ne sont pas, contrairement à l’ analyse d’Alain Touraine, universellement désertés. Il y a simplement changement des acteurs, avec l’émergence de groupes extrêmement engagés dans des activités de capture de la réglementation.

 

Mais l’éradication de la crise, est aussi peu déchiffrable chez Alain Touraine car le mouvement imaginé  : désengagement puis réengagement des acteurs, n’a rien d’évident. S’il y a bien dislocation et désordre, le processus de réengagement imaginé par Touraine, relève au moins pour partie d’un soubassement normatif dans la plupart des analyses : Les désengagés, en raison aussi d’un consumérisme croissant reposant sur le strict individualisme, en seront amenés à faire prévaloir de nouvelles valeurs universelles. Un raisonnement différent, pourrait entrainer de toutes autres conclusions.

 

Ainsi dans le langage de René Girard, le désordre de la crise peut tout aussi bien entrainer par mimétisme, l’émergence de boucs émissaires. Les valeurs véhiculées par l’idéal productiviste et consumériste, peuvent nourrir la stigmatisation de groupes sociaux qui ne les respectent pas. C’est d’ailleurs le point de vue d’un sociologue,  certes moins célèbre qu’Alain Touraine ( François Miquet Marty qui vient de publier : « Les nouvelles passions françaises- Refonder la société et sortir de la crise » aux éditions Michalon).Dans ce cas, les nouvelles éthiques proposées deviennent des projets de société plus difficiles : les « hors sol », peuvent ainsi mépriser la cohorte toujours plus nombreuses des assistés et autres inutiles au monde qui négligent l’effort et le travail. Les insérés dans le rapport salarial, peuvent mépriser les chômeurs et autres étrangers oisifs et irrespectueux. Etc.

 

L’issue de la grande crise des années 2010 n’a donc rien d’évident, et il reste très difficile d’écrire l’histoire avant que celle-ci ne se soit déployée.

 

 

 

           

 

 

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