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8 février 2015 7 08 /02 /février /2015 10:43

                      

Le scénario de la « double inflexibilité» (scénario 1)  imaginé dans notre précédent article semble se mettre en place[1] :

- La BCE n’accepte plus à l’actif de son bilan le rachat de titres publics grecs et le dispositif  ELA, plus couteux,  est étroitement contrôlé et limité dans le temps. Décision très vite actée par Standard § Poor's sous la forme d'une nouvelle dégradation de note.

- Les Etats, par le biais des entrepreneurs politiques au pouvoir, semblent accepter la volonté  allemande qui se cache dans la décision de la BCE[2].

- Les entreprises politiques d'oppositions, y compris certaines dites populistes préfèrent protéger leur clientèle potentielle en affirmant que les peuples européens ne peuvent payer pour les Grecs[3].

- Seules les entreprises politiques, qui séparent encore les concepts de  souveraineté nationale et de souveraineté populaire pour se positionner dans un cadre de lutte des classes, se risquent à soutenir la démarche du gouvernement grec[4].

 Ce mouvement semble devoir cristalliser la position de SYRISA et de ses alliés nationalistes :

- Le soutien populaire au gouvernement empêche ce dernier de recourir à la trahison[5].

- Les conséquences en seraient dramatiques avec l’irruption de forces politiques beaucoup plus brutales.

Le jeu de l'affrontement semble donc devoir l’emporter.

Dans cette affaire, il apparait que SYRISA, à l’inverse d’expériences antérieures, comme celle du « cartel des gauches » en France en 1926, devra et pourra briser le « mur de l’argent » qui lui est opposé.

La raison en est simple : le mur de l’argent est idéologiquement aussi solide qu’en 1926[6], mais il est, en raison de la structure du pouvoir monétaire européen et du comportement récent de la BCE, beaucoup plus fragile.

Nous avons en effet souligné la maladresse[7] qu’il y avait à lancer un QE en janvier dernier reposant sur l’achat de dettes non mutualisées, achat remettant sur le devant de la scène les banques centrales nationales. Nous avons traduit cette maladresse par l’idée d’une BCE qui sciait la branche sur laquelle elle se trouvait assise. La décision très  contradictoire de refuser toute forme de rachat pour la seule Grèce doit aider SYRISA à franchir le Rubicon et à aller beaucoup plus loin dans la renaissance de la Banque Centrale Grecque : s’en saisir.

En clair, ce qu’Edouard Herriot n’a pu faire en 1926 pourra être fait par Tsipras : donner l’ordre à la Banque Centrale de Grèce de financer en euros, et le Trésor, et les banques grecques proches d’une situation de bank-run[8].

 Inonder les banques grecques de liquidités à partir d’Athènes n’est au fond qu’une optimisation logistique dans un très complexe QE européen de plus de 1000 milliards d’euros.

 A partir du robinet monétaire restauré, le gouvernement grec peut alors rembourser l’ensemble de ses créanciers et ainsi respecter - formellement - les contrats. Le refus par les créanciers[9]  de telles légèretés au regard des règles, se solderait - au final - par une extinction souveraine de la dette et de la rente correspondante (environ 4 points de PIB) , laquelle pourra servir au financement du programme  de SYRISA.

Dans ce scénario,  le Rubicon étant franchi, tout peut arriver, avec bien évidemment comme imaginé dans notre article précédent, le démantèlement rapide de la zone euro.

Le gouvernement grec peut-il encore ne pas franchir le Rubicon ? 

 


 

[1] Cf. : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/02/la-petite-grece-viendra-t-elle-a-bout-de-l-allemagne.html

[2] C’est le cas de tous les gouvernements de la zone.

[3] C’est le cas du Front National.

[4] C’est le cas de l’extrême gauche.

[5] Les sondages semblent montrer que le soutien au pouvoir dépasse largement la base électorale de SYRISA.

[6] A l’époque la Banque centrale était indépendante  et la monnaie prisonnière de sa « loi d’airain ». Cf. Jean Claude Werrebrouck ;« la loi d’airain de la monnaie » MEDIUM ; N° 34 ; Janvier, février ,mars 2013 ; pages 101 à 119.

[7] Cf. : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/01/modeste-conseil-au-gouvernement-grec-ou-comment-en-finir-avec-la-tyrannie-allemande.html

[8] A l’époque la lettre d’Emile Moreau (gouverneur de la Banque de France) avait déclenché un bank-run. Le gouverneur disposait d’une réelle autorité symbolique à l’intérieur d’un Etat-Nation. Le statut de Mario Draghi en Grèce en 2015 n’est pas celui d’Emile Moreau en France en 1926. Et la monnaie correspondante l’euro – même sertie dans une « loi d’airain » artificielle, celle de l’ordo libéralisme allemand - ne  dispose pas de la  force symbolique d’une monnaie nationale en quête d’un rattachement à l’or et donc d’une « loi d’airain » jugée indépassable, et donc politiquement indépassable. S'agissant de l'euro, sa force symbolique est au surplus démonétisée par le seul spectacle du QE : pourquoi une « loi d’airain » aussi sélective, avec tant de largesse pour les banques et rien pour les Etats ?

[9] A noter que ce refus est loin d’être évident : les créanciers publics (FESF, Etats, BCE, FMI) ayant à choisir entre le respect- certes très formel- des contrats et le défaut radical.

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1 février 2015 7 01 /02 /février /2015 08:48

                                                               

Plusieurs scénarii sont envisageables à partir des changements intervenus à Athènes.

 Scénario 1 : La double inflexibilité du gouvernement Grec et de Bruxelles

Plusieurs étapes sont à envisager et ce à l'échelle de quelques semaines :

- Les retraits sur dépôts bancaires (11 Milliards en janvier sur un total de 160) se poursuivent

- La BCE gèle le dispositif « ELA » d’assistance à la liquidité[1].

- Le Bank run met en faillite les banques.

- Le gouvernement procède à la saisie du système bancaire et exige de la Banque centrale un financement illimité.

- Un strict contrôle des changes se met en place..

- La BCE ferme le compte TARGET 2[2]

- Le gouvernement rétablit la souveraineté monétaire et procède à une dévaluation massive (80%).

-Constatation d’un effet de richesse pour les acteurs du Bank run.

- Le gouvernement annule la dette.

- La crise économique s’aggrave considérablement en Grèce.

- La cohésion bruxelloise est mise à mal au regard des questions géopolitiques (Ukraine/Russie) pour lesquelles la Grèce peut être un acteur majeur.

Ce scénario de l'inflexibilité laisse supposer que l'on se bat autour de l'exemple irlandais du refinancement illégal par la BCE. Il faut en effet se rappeler  qu'en février 2013, suite à un certain nombre de péripéties, concernant le système bancaire irlandais fortement adossé sur des banques françaises et allemandes, le Trésor Irlandais a pu émettre des obligations directement monétisées par La BCE. A l'époque, l'Allemagne avait accepté en raison de la très forte exposition de son système bancaire. Elle n'est plus aujourd'hui dans la même situation et sera donc inflexible. En revanche, le gouvernement grec sait qu'il y a déjà eu viol des traités, il peut donc revendiquer un cadeau équivalent à celui de l'Irlande : son inflexibilité potentielle se nourrira de l'exemple Irlandais.

Cette confrontation dure est de fait une confrontation entre l'Allemagne et la Grèce. Au niveau européeen elle débouche sur des conséquences différentes selon ses effets sur les marchés. Deux cas peuvent se présenter :

  1) Les marchés restent insensibles au départ de la Grèce.

- Les taux sur dettes souveraines des Etats créanciers ( alourdies de 42,4 milliards pour la France, mais aussi de 37, 3 milliards pour l’Italie et 24,8 milliards pour l’Espagne ) restent inchangés

- Le montant des défauts est constaté et donne lieu à un accroissement de la dette des Etats (environ 2% pour la France, l’Espagne et l’Italie). Cette faiblesse est l’argument principal en faveur de cette alternative.

- Les Etats acceptent le principe de la recapitalisation de la BCE (25 milliards d’euros).

- Le maintien des règles budgétaires bruxelloises aggrave la crise de la demande globale.

- Le maintien au pouvoir des oligarchies européistes est probable au vu de l’effondrement grec (Il sera difficile pour PODEMOS de gagner si la Grèce - en situation de crise aggravée- quitte la zone).

Ce cas de figure n’est pas improbable. Il est néanmoins contestable en raison de l’hétérogénéité de la zone euro. Il l’est aussi au regard d’une exigence de recapitalisation de la BCE par l’Allemagne, ce que contesterait la France et d’autres pays[3]. Il l’est enfin au regard de l’aggravation de la crise qui, mécaniquement, fera monter les dettes publiques au-delà du strict défaut grec. D'où le second cas de figure.

2) Les marchés réagissent sur les maillons faibles.

- Les dettes publiques espagnole et italienne sont attaquées et le spread de taux avec le bund[4] Allemand explose.

- La chute des cours sur titres publics affecte la solvabilité des systèmes bancaires correspondants.

- Un Bank run se met en place. Le dispositif ELA s’avérant rapidement impuissant.

- La BCE utilise massivement l’arme de l’OMT[5].

-Lla coalition gouvernementale  allemande cède à la pression de ses électeurs et quitte la zone euro.

Scénario 2 : Bruxelles accepte les exigences grecques

- Les marchés ne réagissent pas et savent désormais qu’il y aura toujours un prêteur en dernier ressort.

- Les autres maillons faibles (Italie, Espagne, Portugal, Irlande) exigent un traitement équivalent.

- L’Allemagne refuse.

- Les oligarchies européistes ( Espagne notamment) sont menacées avec l’arrivée au pouvoir d’entrepreneurs politiques type SYRIZA (Décembre 2015 ?).

- La fin de l’année 2015 correspond,dans ce scénario, à une amplification considérable de ce qui s'est passé en janvier 2015  (le poids de l’Espagne est 6 fois supérieur à celui de la Grèce).

- L’Allemagne quitte la zone euro.

Ce scénario rejoint le premier dans la seconde alternative.

Scénario 3 : SYRISA trahit ses électeurs.

Ce scénario est celui fort classique d'un parti qui ne respecte pas ses engagements électoraux. Il correspondrait aux étapes suivantes :

- Les marchés sont confortés dans l’idée de stabilité et les taux restent inchangés.

- La politique bruxelloise  et les oligarchies européistes sont confortées.

- La vision Allemande de la monnaie s’impose et l’Allemagne peut rester dans la zone.

- La Grèce se marginalise ( monnaie de plus en plus destructrice par son taux de change) avec les risques politiques associés.

- Les cures austéritaires se maintiennent dans le sud de l’Europe.

Ce scénario est à priori assez peu probable au regard des premiers choix de SYRISA au moment où ces lignes sont écrites.

Il n’est donc pas inimaginable de penser que la "petite Grèce" – dont les difficultés resteront cependant énormes - viendra à bout d’une Allemagne qui, classiquement - à l'instar de beaucoup d'autres pays- ne peut  se réformer et reste figée dans ses croyances.

Les formes prises par l'interaction sociale en Allemagne ont valu à ce pays une responsabilité historique déterminante au cours du siècle passé. Ce poids reste fondamental en ce début du 21ème siècle. Hormis quelques auteurs dont le regretté Ulrich Beck, peu d'intellectuels Allemands s'en rendent compte.

 

 

[1] Il s’agit d’un dispositif (Emergency Liquidity Assistance) mis en place par la BCE qui permet aux banques centrales de venir assouplir les questions de Trésorerie des banques de second degré dont elles ont la charge.

[2] Il s’agit d’un dispositif qui permet l’enregistrement des opérations extérieures de chacun des pays de la zone euro dans ses échanges avec d’autres pays de cette même zone. Les comptes TARGET2 figurent aux bilans des banques centrales nationales.

[3] L’Allemagne considère toujours qu’une Banque centrale peut faire faillite (Cf.mon article : "Non Madame Merkel, la BCE ne peut pas faire faillite !)  et doit par conséquent être solidement capitalisée. Ce point de vue, complètement erroné en raison du fait qu’une banque centrale est prêteuse en dernier ressort et qu’à ce titre son pouvoir de création monétaire est illimité, correspond bien aux croyances et intérêts Allemands. Le peuple Allemand dans son entièreté est très habité par cette croyance qui ferait qu’une Banque centrale ne pourrait fonctionner sans capital.

[4] Bon du Trésor Allemand.

[5] Il s’agit des opérations monétaires sur titres (Out Monetary Transactions) qui permettent à la BCE d’apporter des liquidités aux banques contre un collatéral de titres privés et publics. Mario Draghi avait déclaré le 6 septembre 2012 qu’il mettrait tout en œuvre avec ce dispositif pour maintenir la cohérence de la zone euro.

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26 janvier 2015 1 26 /01 /janvier /2015 20:36

 

La victoire de SYRISA confirme bien que c’est plutôt le mode panique qui sera emprunté pour mettre fin à la monnaie unique. Nous avons souvent insisté sur l’impossibilité d’une négociation concertée en vue du démontage de la zone[1], laquelle déboucherait sur un embrasement généralisé des marchés financiers. D’où l’idée d’un démantèlement selon un « mode panique ». En proclamant que la Grèce resterait dans la zone malgré son exigence de renégociation, le nouveau gouvernement grec semble vouloir respecter l’impératif de ne pas appuyer sur le bouton atomique.

 Il en résulte que c’est bien le mode panique qui finalement devrait émerger.

Pour autant, avec les décisions de la BCE en date du 23 janvier dernier et la victoire de SYRISA le 25, le chemin de la dislocation en mode panique semble clairement se dessiner.

La BCE coupe la branche sur laquelle elle se trouve assise

Les décisions de la BCE ouvrent une brèche importante avec la réanimation des banques centrales nationales et le fait que les achats de dettes ne seront pas  mutualisés à hauteur de 80% du total.

De fait tout se passera comme si l’euro système était mis entre parenthèses, ce qui pose au demeurant de singuliers problèmes juridiques[2]. On sait en effet, depuis le 23 janvier, que les banques centrales nationales achèteront de la dette de différentes catégories, et vont ainsi émettre des euros qui viendront abonder les comptes des banques du second degré qui se trouvent au passif des bilans des dites banques centrales nationales. Un métier qu’elles exerçaient à l’époque des monnaies nationales.

Bien évidemment la communication de la BCE prend soin de souligner que l’achat des dettes nationales sera contrôlé par Francfort et que l’émission correspondante de monnaie, respectera la proportionnalité, qui se trouve dans la répartition entre Etats, du capital de la BCE. Concrètement puisque la Grèce ne possède que 2,9% du capital social de la BCE, elle ne bénéficiera que de 2,9% du QE lancé[3]. Il n’empêche que l’on met tout en place pour un authentique fractionnement, prélude à la disparition de la monnaie unique.

Car il suffira qu’une banque centrale nationale change de « maître »  pour que tout commence réellement à changer.

Que peut-il se passer si SYRISA reprend en douceur le contrôle de sa Banque Centrale ?

On peut en effet imaginer qu’un gouvernement, par exemple le gouvernement grec, décide que désormais le gouverneur de la banque centrale grecque, obéisse au ministre des finances et non plus au gouverneur de la BCE, pour que la zone euro s’enfonce dans des difficultés non maitrisables.

Que pourrait exiger le ministre en question ?

 Par exemple , de détourner complètement le QE de la BCE en exigeant que la Banque Centrale de Grèce garantisse des émissions primaires de dette publique, sous la forme d’un rachat immédiat sur le marché secondaire[4].

La règle européenne d’interdiction de se porter acquéreur sur le marché primaire est formellement maintenue, mais réellement contournée.

 De quoi résoudre le problème de la dette grecque sans passer par la sortie de l’euro.

 On peut même imaginer un rachat complet de la dette grecque, permettant le remboursement intégral au Fonds européen de la solidarité financière (EFSF), soit 141,9 milliards d’euros, l’ensemble de prêts bilatéraux, soit 52,9 milliards d’euros, ou les prêts du FMI, soit 32,9 milliards d’euros, voire les prêts de la BCE elle-même soit 25 milliards d’euro. De quoi aussi soulager les banques grecques qui pourraient bénéficier d’un QE national.

Bien évidemment la troïka pourrait protester, les comptes Target 2 pourraient être gelés, les déplacements de capitaux entre la Grèce et le reste du monde interdits, etc. Il n’empêche que la Grèce par cette audace respecterait intégralement ses engagements, les pays créanciers ayant le choix entre un tsunami financier, résultant d’une aggravation substantielle de leur propre dette, et la sécurité de ne rien avoir perdu sur le premier sauvetage de la Grèce en 2012.

Vers l’explosion

A partir de cette situation, il parait clairement que l’Allemagne, en raison des intérêts et croyances collectives, serait la première à quitter la zone, même si elle aussi serait formellement remboursée du total de ses créances sur la Grèce soit 41,3 milliards  au titre du EFSF et 15,2 milliards au titre des prêts bilatéraux. On pourrait imaginer qu’elle quitterait juste après avoir été remboursée dans les conditions que l’on vient d’énoncer.

Par effet d’imitation, on imagine  mal d’autres pays de la zone respecter les règles imposées par une BCE décrédibilisée et incapable de reprendre les rênes.

 C’est dire que l’orgie monétaire qui résulterait d’une telle situation entrainerait un effondrement du taux de change de l’euro. Un effondrement bien alimenté par toutes les banques centrales du monde, la banque centrale de Suisse n’ayant que pris un peu d’avance sur les autres.  Mais aussi un  euro qui, formellement, disparait en ayant remboursé tous les créanciers.

Oui, monsieur Monsieur le premier Ministre, restaurez la souveraineté de la Grèce tout en proclamant votre attachement à la zone euro : vous rendrez un immense service à une Europe qui sera débarrassée du poison qui la mine.  Une Europe qu’il faudra entièrement reconstruire, par exemple avec de véritables QE qui, au lieu d'alimenter les casinos des banques restées universelles, alimenteront des investissements publics massifs réalimentant et donnant confiance aux vrais entrepreneurs de l'économie réelle.

 

[2] Il est inexact  de dire que les banques centrales nationales vont supporter la dette. Juridiquement c’est l’euro système qui la porte.

[3] L’Allemagne en possède 25,6% et se trouve potentiellement grande bénéficiaire d’un QE dont elle n’a pas vraiment besoin.

[4] On pourrait évidemment se poser la question du marché primaire d’une telle émission de dette. Qui serait acheteur ? la réponse est simple : la réquisition des banques qui se verraient obligées d’acheter de la dette publique immédiatement remboursée par la banque centrale. Les banques devenant simples agents de la métamorphose du marché primaire en marché secondaire.

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22 janvier 2015 4 22 /01 /janvier /2015 13:36

On trouvera sur le lien ci-joint mon intervention du 20 janvier dans l'émission "Dans la boîte à outils des Etats" (1/3)

Pour une écoute efficace, on peut commencer à 4 minutes 37 secondes.

La partie la plus fondamentale se situe entre 14 minutes 18 secondes et la 27ème minute.

 Dans cette partie se trouve expliquée en quoi le discours allemand sur la recapitalisation de la BCE ne sert qu'à effrayer l'électorat de la coalition allemande.

http://www.franceculture.fr/emission-culturesmonde-davos-2015-les-defis-de-l-economie-mondiale-13-dans-la-boite-a-outils-des-eta

 

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20 janvier 2015 2 20 /01 /janvier /2015 04:34

Résumé: Contrairement à ce qui est trop rapidement affirmé, le nouveau pétrole américain n'est pas menacé par la chute des prix du brut. A l'inverse, les USA vont redevenir le "faiseur de prix" à l'instar de ce qui existait au beau milieu du 20ème siècle. Parallèlement L'Arabie Saoudite risque de perdre définitivement sa place de "swing producer".

La littérature concernant l'évolution du marché pétrolier à moyen terme ne permet pas de s'appuyer sur des conclusions convergentes quant aux prix futurs. Certains voient un effondrement rapide de la production américaine et donc une hausse des prix dès l'été prochain, hausse qui résulterait d'une chute de l'offre. D'autres pensent que la production américaine pourrait se maintenir et ainsi contribuer au maintien de prix faibles.

Il est temps de reconsidérer les raisonnements à partir d'une analyse des coûts de production.

Depuis la naissance de l'industrie pétrolière en Pennsylvanie dans les années 1870/1880 jusqu'au début des années 2000, nous étions dans une configuration où au niveau de chaque puits, les charges fixes étaient importantes et le coût marginal proche de zéro. Il en était ainsi car l'ouverture plus grande de la tête de puits est une opération de coût nul générant un flux plus important d'huile. S'Il est vrai que lorsque furent entrepris -au cours de la seconde partie du vingtième siècle- les opérations de récupération assistée le coût marginal cessa d'être nul, il était pour autant très faible.

Cette caractéristique fût celle qui devait expliquer la stucture fortement oligopolistique de l'industrie correspondante. C'est que, dans un tel modèle, les rendements étant sans cesse croissants, la concurrence devient rapidement catastrophique. Par exemple les petits producteurs américains des années 1880, endettés au titre de l'achat des appareils de forage optimisaient leur gestion par l'ouverture maximale des têtes de puits, d'où une offre rapidement croissante, une baisse brutale de prix, et la ruine, elle-même souvent accompagnée d'une pollution de la nature puisqu'il devenait avantageuc de jeter l'huile dans les rivières.

La suite est historiquement connue avec la fin de la concurrence au profit de la naissance de la Standard Oil qui devait réguler l'offre et stabiliser le marché. Une histoire qui se pousuivra par une régulation par les "sept soeurs", un "posted price" unique et mondial, des "frets fantômes", des accords secrets entre compagnies, etc ; mais aussi la naisssance de l'OPEP et des compagnies nationales de pays producteurs. De quoi construire à partir de coûts marginaux nuls ou proches de zéro une immense rente pétrolière.

Dans cet état du monde, les schistes bitumineux et autres sables asphaltiques étaient tout simplement hors-jeu, tant les coûts d'accès étaient incomparablement plus élevés qu'au Moyen Orient.

Depuis le milieu des années 2000, nous nous dirigeons vers une structure de coûts complètement différente.

S'agissant des nouvelles huiles extraites, notamment aux Etats-Unis, nous rencontrons une structure de coûts beaucoup plus classique. Les coûts de forage sont très faibles comparés aux nouveaux coûts de forage pour les pétroles classiques. Il est difficile de pénétrer dans le secret des coûts, mais l'on croit savoir qu'ils sont incomparablement plus faibles que les coûts d'accès aux grandes profondeurs au large du Brésil voire en Sibérie ou en Alaska. Par contre, les forages ont un rendement qui diminue rapidement (division par 2 au bout de 6 mois d'exploitation) alors que le forage sur gisement classique peut produire pendant 30 ans. Cela signifie une multiplication régulière du nombre de forages sur un gisement (jusqu'à 50 fois plus que sur un gisement classique).

Par ailleurs, les coûts d'exploitation -même instantanés- ne sont plus proches de zéro, car il s'agit toujours d'une récupération très assistée par l'injection de  grandes quantités  de produits et de liquides divers pour obtenir l'extraction.

La période 2005-2015 est ainsi très différente de celle des années 1880. Il n'y a pas de concurrence catastrophique et nombre de producteurs américains sont nouveaux et de petite taille, ce qui n'a pas débouché sur de catastrophiques rendements croissants impliquant leur élimination, comme ce fut le cas en Pennsylvanie.

Au delà, la technologie qui correspond à cette nouvelle structure de coûts est aussi celle qui permet d'introduire dans l'industrie des réserves naturelles jusqu'alors inexploitables. Shistes bitumineux et sables asphaltiques ne sont plus en dehors du théatre pétrolier et vont prendre une place décisive.

Et c'est ici qu'il convient de proposer ce que nous croyons être le scénario d'une très nouvelle géopolitique du pétrole.

Beaucoup de choses ont été dites -sans apporter de preuves- sur des accords entre Russie et Arabie Saoudite, ou entre ce dernier pays et les USA, dans un cas pour géner les USA et dans l'autre pour géner la Russie. Avec des conséquences secondaires lourdes pour d'autres pays: Vénézuela, Algérie, Nigéria, Iran,etc.

De fait, nous pensons que les Etats-Unis vont conquérir seuls, une place déterminante leur conférant un poids géopolitique nouveau.

Tout d'abord, l'offre américaine ( près  de 10 millions de barils/jour) est devenue majeure et anéantit l'efficience de l'OPEP, lequel voit sa part de marché passer de 55% en 1973 à 35% aujourd'hui. Cela signifie que l'OPEP n'a plus les moyens de fixer le prix. A l'intérieur de l'OPEP, l'Arabie Saoudite perd aussi son statut de "swing producer" qui lui allait si bien en diminuant ou en augmentant voire en doublant sa production en quelques jours - ce qu'elle fit lors de la première guerre du Golfe - grâce à la vertue des rendements croisssants sur chaque puits.

Face à l'offre américaine nouvelle, l'Arabie Saoudite a fait le choix du maintien relatif de sa part de marché au détriment des prix : sa production s'est maintenue. Elle espère que ce choix, très coûteux en terme de rente pétrolière,  va éliminer les producteurs marginaux américains.

Il est possible que les coûts unitaires totaux du baril américain soient trop élevés (60/70 dollars?), d'où la très forte diminution -en quelques semaines- des investissements de forage dans certaines zones du territoire américain. Coûts trop élevés jusqu'ici protégés par des couvertures à termes, y compris des CDS, qui seront  (on parle de plusieurs centaines de milliards de dollars) peut-être une lourde perte pour le système financier américain dès la fin du printemps 2015. Lourde perte aussi de débouchés pour l'ensemble des fournisseurs de l'industrie pétrolière, y compris les sidérurgistes.

Pour autant, la continuîté de l'offre de pétrole américain ne peut plus être entamée.

Lors des révolutions pétrolières des années 70 qui vont porter le "posted price" d'environ 2 dollars le baril à quelque  40 dollars, l'écart des coûts avec les huiles potentielles était beaucoup trop important: les USA, sans offre nationale alternative, devaient simplement payer. Tout au plus pouvait -on maintenir les routes de l'approvisionnement grâce à l'outil militaire.

Le paysage est aujourd'hui très différent. Parce que les technologies de production nouvelles le permettent, il existe désormais une solution de continuïté entre les différents pétroles, et le gouvernement fédéral américain pourra décrêter des mesures protectionnistes sur la nouvelle industrie du pétrole. Il s'agira de protéger une " industrie dans l'enfance", alors qu'il s'agissait de protéger des routes maritimes avec la flotte.

De fait, sans retrouver le vieux "posted price" à prétention planétaire des ports américains du golfe du Mexique, les USA vont devenir faiseurs de prix. Si le prix de marché détruit des producteurs marginaux américains, il est probable qu'une taxation sur huiles importées interviendra, taxe flottante puisqu'au nom du libre échange elle pourra disparaitre si les prix permettent aux producteurs marginaux de vivre.

Le coût en développement de la nouvelle industrie pétrolière américaine devient ainsi le pivot du prix mondial du pétrole. Notons enfin que ce  coût est probablement inférieur au prix du pétrole, garantissant la plus ou moins grande stabilité sociale de nombre d'Etats pétroliers. Le prix du pétrole assurant la paix sociale en Algérie, au Nigéria, etc. (80, 100 dollars le baril?) est de loin supérieur au coût en développement de l'huile américaine. De quoi donner aux USA , dans le domaine pétrolier, un poids géopolitique qu'ils n'avaient pas au 20ème siècle. Avec une nuance importante : les gisements de nouvelle huile seront-ils  capables d'envisager des plans de production de long terme ? Concrètement, le poids nouveau des USA sera-il durable?

 

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 09:14

 Resumé: L'équilibre des comptes publics est devenu la grande loi de la zone euro et chaque pays est soumis à l'injonction correspondante. Un immense progrès humain pourrait résulter de son abandon au profit d'un autre : l'obligation négociée d'un équilibre des échanges extérieurs de chaque nation.

 Deux grandes entreprises politiques européennes, le PS français et le SPD allemand, avaient adopté il y a longtemps (juin 2010) une déclaration commune, mettant en avant la recherche d’un équilibre des balances des paiements courants des pays de l’Union européenne. Il est vrai que la crise posait déjà la question de la divergence entre économies de la zone euro, une divergence jusqu'alors non examinée tant il est vrai qu'une question comme celle d'un équilibre des échanges extérieurs d'une nation paraissait obsolète.

Un produit obsolète... .

Le fait est à souligner, tant l'ère  de la mondialisation semblait entrainer l’obsolescence de l’idée d’équilibre, en particulier celui de la balance des biens et services. A échelle plus réduite, l’euro  débarrassait les entrepreneurs politiques de la bonne surveillance du dit équilibre : en s’offrant une « monnaie de réserve à l’américaine », disions-nous dans un précédent article, il n’y a plus à surveiller, ce qui naguère annonçait et engendrait des modifications de parités ou de cours de monnaies aujourd’hui disparues. Les balances, devenues simple curiosité statistique, n’étaient plus, à priori des contraintes publiques. De quoi s'empifrer lorsque l'on est consommateur grec.

Le lobbying  de la minorité mondialiste des entrepreneurs économiques sur les marchés politiques, devait légitimer d’autres produits : monnaie en apesanteur, liberté de circulation du capital, anéantissement des droits et taxes aux frontières, recherche de compétitivité par production d’externalités positives pour bénéficier de  la mondialisation, ce qui passe en particulier par le grignotage des « compromis fordiens » de la période antérieure, etc.

Et il est vrai que la notion de commerce extérieur perdait sens, puisqu’il s’agissait moins de marchandises circulant entre pays qu’entre établissements d’entreprises eux-mêmes dépaysés. Ce que  la littérature appelle l'allongement ou l'émiettement des "chaines de la valeur".

 Pour faire bref, les balances externes ne sont plus des objectifs, à partir desquels des politiques économiques seront mis en œuvre, en utilisant les outils ordinaires de la contrainte publique. Elles ne sont plus que des résultats issus d’autres types de contraintes publiques mises en œuvre pour déplacer du bien-être vers la minorité mondialiste des entrepreneurs économiques. Contraintes exigées par eux et mises en place par les entrepreneurs politiques au pouvoir. Avec la mondialisation, le niveau équilibre/déséquilibre des balances n’est plus un objectif à réaliser mais un résultat constaté. Replacée dans cette perspective, la déclaration commune susvisée, apparaissait comme revirement de très grande portée quant à ses intentions. Portée hélas anéantie par une opérationnalité victime des croyances passées.

 ....Mais potentiellement un progrès humain majeur : une mondialisation heureuse.

Rétablir l’équilibre des balances  peut être interprété comme un progrès humain, affirmation qui bien sûr mérite explication. 

Sous ses aspects les plus radicaux, l'actuelle mondialisation n’a pu être "achetée" par une majorité d’électeurs qu’avec l’apport idéologique issu de constructions intellectuelles, elles- mêmes de plus en plus sophistiquées, et remontant à Ricardo dans son célèbre exemple des avantages comparatifs.

En termes simples, l’échange et la spécialisation internationale sont avantageux pour tous les partenaires. Les restrictions à l’échange sont un mal à combattre, d'où le messianisme d'une OMC. 

Or, ce que nous appelions « fordisme boiteux » dans un précédent article révélait déjà les limites d’un tel raisonnement. Il ne s’agit pas ici de faire le bilan économiciste classique des coûts/avantages du libre échange par rapport au protectionnisme. Il s’agit à l’inverse de voir dans quelle mesure un déséquilibre récurrent des balances en particulier des biens et services est porteur d’un rétrécissement, d’une restriction aux droits de l’homme.

Le déséquilibre en mondialisation est l’indice de différences et/ou d’inégalité des partenaires dans de multiples domaines : productivité qui, elle-même, relève d’une foule de facteurs, variables sociétales, situation démographique, fonctionnement des marchés politiques, etc. Les déséquilibres, en particulier négatifs, des balances de biens et services peuvent durer longtemps et, comme précédemment évoqué, ne pas intéresser les entrepreneurs politiques si l’on vit à l’abri d’une monnaie de réserve, réelle (dollar) ou artificielle (euro). Par ailleurs, on peut aussi bénéficier de mouvements de capitaux rééquilibrants. Cependant un déséquilibre récurrent sur biens et services, sur très longue période, entraine des effets potentiellement dévastateurs, effets qui vont loin au-delà de la stricte économicité.

Les déséquilibres sont en effet une violence : l’excédentaire, ponctionne ou siphonne une partie de la demande globale du déficitaire, lequel ne peut réagir en libre échange que par son alignement sur la productivité réelle ou artificielle de son encombrant partenaire. Cela passe aussi par les fameuses dévaluations internes que masque le terme-valise de "réformes structurelles".

En clair, les grecs sont amenés à perdre leur travail sauf à s’aligner sur la productivité des allemands. Et il n’existe pas d’autre choix dans l'actuelle mondialisation.

Autre violence, celle concernant le risque de non-respect des contrats : l’excédent chinois est une ponction sur la demande intérieure américaine qui peut être combattue par une autre violence, celle concernant le non- respect éventuel de la valeur de l’épargne chinoise investie en bons du Trésor américain.

En mondialisation, telle qu’elle fût achetée et imposée, il y a impérialisme de l’économicité, et seuls les systèmes socio-culturels les plus favorables à l’élévation régulière de la productivité sont autorisés : de quoi appauvrir ce qui fût la richesse humaine. Sans doute peut -on rétorquer qu’il ne saurait y avoir de violence puisque les échanges n’ont lieu que sur la base de l’avantage mutuel, et ce dans le  champ de la microéconomie.

Nul grec, n’est tenu d’acheter des produits allemands ; nul américain n’est tenu d’acheter des marchandises chinoises.

Seulement, à terme, ces échanges volontaires et mutuellement avantageux rétrécissent le champ des possibles : les grecs sont volontairement acheteurs de produits industriels allemands, pour autant ils achètent à leur insu les externalités négatives qui entourent et accompagnent leurs achats. Ils ne peuvent que réduire une ambition industrielle autocentrée, déjà peu marquée et ne pouvant être aidée par l’arme monétaire perdue. Ils se spécialiseront dans les activités non dé- localisables, des activités de services non porteuses des gains de productivité futurs, et qui resteront chères. Même le tourisme peut être laminé par un déséquilibre qui ne peut être effacé par l’arme monétaire disparue. Le soleil des îles grecques  devenu trop coûteux n'est  protégé que par l'effacement de destinations touristiques plus lointaines devenues trop dangereuses.

Le déséquilibre s’entretient, se renforce, et peut saigner le déficitaire. Avec tous les risques géopolitiques qui pourraient en découler. Inutile de rappeler ici la violence des propos qui s’échangeaient, au cœur de l’Union européenne,  lors  de la première crise grecque. Violence aujourd'hui de ceux qui n'acceptent pas l'éventuel accès au pouvoir de SYRIZA. 

L’idée d’établir en tendance un équilibre (obligatoire) des échanges entre pays de l’Union serait  un très réel progrès. La liberté d’échanger ne doit pas entrainer le dénuement des plus faibles, pensait déjà ce grand théoricien du libéralisme qu’était John Locke, d’où la célèbre clause dite « Lochéenne » qui vient rétablir un minimum d’égalité entre les partenaires. Plus récemment, Jean Pierre Dupuy ("Le sacrifice et l'rnvie" Calmann-Levy, 1992; pages 238à 240) a pu critiquer la philosophie Nozickenne en montrant que l’absence de tout frein à la liberté d’échanger conduit à des états où la « quantité de liberté » disponible se trouve réduite.

Les entrepreneurs politiques n’ont évidemment pas le souci de la « quantité de liberté » disponible et ne sont pas , par essence,  libertariens. Il n’empêche que, situés au centre de gravité des marchés politiques, ils ne peuvent pas ne pas tenir compte des effets dévastateurs du libre- échange non régulé sur nombre d’électeurs. Le débat, très concret sur les délocalisations, et la question de savoir s’il est possible pour un pays, d’abandonner toute ambition industrielle, doit aussi être resitué dans l’idée de liberté présente d’échanger (mondialisation), qui détruit, ou détruirait potentiellement, la quantité de liberté future disponible pour un pays.

Sans le théoriser, et probablement sans même en avoir conscience, les dirigeants du PS et du SPD -qui, à l'époque, se trouvaient dans l'opposition-  avaient déclaré que l’équilibre des échanges entre pays serait la forme moderne de la "clause Lochéenne"  ou, dit autrement, le moyen de préserver la quantité de liberté disponible. Répétons-le, il s’agirait d’un immense progrès, une avancée dans le respect des droits de l’homme, et sans doute le seul moyen, qui à l’échelle planétaire, donnerait quelque légitimité à une mondialisation repensée.

Une confusion dans le lien cause/effet..

Resterait toutefois la question de savoir comment, c'est-à-dire opérationnellement, faire vivre cette idée d’équilibre. Et c’est ici que les raisonnements des deux grandes entreprises politiques susvisées -aujourd'hui au pouvoir-  deviennent hautement contestables. De fait, il s’agirait pour les dirigeants de ces entreprises politiques, de parvenir à l’équilibre recherché en agissant sur la demande globale interne à chaque pays.

Les excédentaires (essentiellement l’Allemagne) doivent stimuler leur demande interne, et en conséquence importer davantage des pays du Sud. Ces derniers, en contrepartie se verraient offrir des débouchés nouveaux et seraient incités à des efforts de productivité. Réduction de l’excédent d’un côté, du déficit de l’autre côté.

Evidemment, cela supposerait l’abandon des politiques de rigueur non coopératives et généralisées. Cela passerait aussi par le rétablissement de la bonne entente à l’intérieur du couple franco- allemand.

Curieusement, le but affiché n’est pas l’équilibre des balances mais la stabilité de l’euro.

Le raisonnement étant le suivant : ce sont les politiques macro-économiques non coopératives qui ont entrainé le déséquilibre des balances des pays du sud, politiques qui ont elles-mêmes aggravé l’endettement des pays correspondants, et endettement qui viendrait aujourd’hui déstabiliser la zone monétaire. L’affaire serait entendue : la cause de la crise de l’euro (variable expliquée) est à rechercher dans des politiques macro-économiques inadaptées (variable explicative). Une autre gestion des demandes internes aboutissant à l’équilibre extérieur, la crise de l’euro s’évanouirait.

Outre que les liens de cause à effet qui s’articulent dans le raisonnement ne sont pas clairement établis, il est possible de se demander s’il n’y a pas lieu de changer le sens des variables, l’euro devenant la cause de politiques macro-économiques improprement jugées inadaptées par les entrepreneurs politiques susvisés. Dans l’article «l’euro : implosion ou sursaut"  ?(lacrisedesannees2010.com) il avait été pourtant montré, que les politiques macro-économiques adoptées partout, correspondaient bien aux nécessités ou aux facilités proposées par la monnaie unique.

Productivité faible et taux d’intérêt devenus faibles de par « la grâce de l’euro » ont privilégié les stratégies de consommation dans le sud : spéculation immobilière et importations massives de biens de consommation (Espagne).

 Productivité élevée et assurance que les partenaires européens ne peuvent plus dévaluer par rapport au mark disparu, ont permis la mise en place d’une fantastique machine à exporter (Allemagne). Machine renforcée par un euro dont la valeur est mécaniquement plus faible que celle du mark.

Sans doute pouvait-on lutter contre les facilités procurées par l’euro, davantage perçues aujourd’hui comme drogue dangereuse. Mais au moment de sa mise en place, comme nous le disions dans l’article précité, « tous étaient d’heureux passagers clandestins ». Pour éviter la consommation de drogue, il est bon de ne pas la lancer sur le marché.

Les entrepreneurs politiques des pays correspondants, pouvaient vendre du bien-être à beaucoup d’électeurs, sans à court terme le faire payer par d’autres. Ce qui devait leur assurer des gages de bonne gouvernance, et ce dans tous les pays de la zone. Les marchés politiques fonctionnant en continu, et à fort court terme, ont conseillé aux électeurs européens de vivre dans le présent.

L’euro était une liberté, voire une carte de crédit, dans l’océan du libre échange. Il est devenu une immense aliénation.

Le PS français et le SPD allemand continuent de croire que la crise de l’euro est gérable en retrouvant, par le biais d’une habile gouvernance, l’équilibre extérieur de chaque Etat. Cet équilibre passe évidemment par une compétitivité accrue….qui nous renvoie aux questions précédemment soulevées : Au delà d'une conjoncture aujourd'hui favorable en raison des problèmes africains et du Moyen-Orient, comment la Grèce peut-elle retrouver de la compétitivité dans le tourisme -un service à la personne peu générateur de gains de productivité- sans une dévaluation massive ? Comment l’Espagne, mais aussi, et peut-être surtout la France, peuvent-elles faire renaître un secteur industriel non extraverti après en avoir – au nom de la liberté des échanges – abandonné jusqu’à la culture qui lui correspond et jusqu’à l’outil de formation qui lui est attaché, sans l’électrochoc d’une dévaluation massive ?

Les grandes entreprises politiques européennes ont vu dans l’euro un produit de grand avenir consolidant leurs parts de marché politique. L’euro, produit « vache à lait » était en "tête de gondole". Il entrainait même dans nombre de pays une cartellisation des grandes entreprises politiques, lesquelles ne se distinguaient plus que sur des produits secondaires. Comment en effet distinguer une droite d'une gauche?

Il leur est extrêmement difficile aujourd’hui, de « rentrer le produit en usine », c'est à dire abandonner le poison euro ,comme il est très difficile dans l’industrie, de rappeler un objet déjà largement commercialisé pour défaut majeur. Même SYRIZA, même PODEMOS, veulent conserver l'euro. 

L'idée d'une obligation d'équilibrer les comptes éxtérieurs, un peu selon le modèle imaginé par la conférence de La Havane en 1948, n'est évidemment pas facile à faire émerger sur les marchés politiques. Elle  passe  en effet par  le rétablissement de la souveraineté monétaire, laquelle est aussi l'enfant  de l' approfondissement de la crise. Une crise dont l'issue ne poura être que le remaniement de l'ordre international, lui même autorisant l'accès au pouvoir d'entrepreneurs politiques négociant la règle générale d'équilibre extérieur -à l'échelle si possible planétaire- de toutes les nations. De quoi retrouver un espace d'Etats-nations sans les externalités qui, dès la fin du Dix-neuvième siècle, vont engendrer les potentiels guerriers.

Pour le moment, ce produit politique: "équilibre obligatoire des échanges" est encore évidemment supplanté par l'autre équilibre: celui des comptes publics. Il mène à l'impasse aujourd'hui constatée. Il mène aussi à une aggravation d'un déséquilibre extérieur qui fait de la zone euro un espace qui siphone la demande du reste du monde : L'actuelle baisse de l'euro aggrave l'excédent de la zone -les pays du sud étant moins déficitaires et ceux du nord davantage excédentaires- ce qui provoque les protestations de nombre de pays émergents aujourd'hui en difficultés.

Quand va t'on retrouver un commerce international qui ne se résumera pas à la compétition de tous contre tous, et donc des échanges respectueux des choix de vie de tous les peuples? Et donc, quand allons-nous inventer une mondialisation réellement heureuse ?

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6 janvier 2015 2 06 /01 /janvier /2015 15:17

             

 Chacun se rend compte aujourd'hui que l'on va se remettre à parler du "chemin de croix de l'Euro". Mais il est bon de savoir de quoi on parle et il est difficile de parler de la monnaie unique, de la Grèce, des réactions allemandes,etc... sans savoir ce qu'est l'essence de la monnaie. Les économistes ne parlent hélas que de ses apparences, ce qui nous entrainent  vers d'irréalistes raisonnements et choix désastreux pour le plus grand nombre. Le présent texte propose un regard inhabituel sur la monnaie.

Les libertariens ont souvent évoqué les notions de banque libre et de monnaie privée[1]. Il s’agit selon eux d’un système monétaire dans lequel n’existe pas de banque centrale, ni de régulateur au sens moderne du terme c’est-à-dire autorité administrative dépendant de L’Etat. Cela implique par conséquent que l’émission monétaire est le fait de banques, une monnaie ne pouvant se prévaloir d’un quelconque Etat garantissant cours légal et pouvoir libératoire illimité. La monnaie porte aussi le nom de la banque émettrice qui entre ainsi en concurrence avec les autres établissements bancaires. Les fonctions classiques de moyen de paiement, de réserve de valeur et d’unité de compte sont ainsi cédées au marché, lequel est censé détecter la ou les banques qui assurent le mieux les dites fonctions.

Le mythe de la monnaie comme bien privé parmi d’autres.

Le point de vue libertarien est curieusement normatif alors même que ses représentants sont les seuls économistes à s’être efforcés de construire une théorie de la genèse de l’Etat et de sa nature, théorie qui ne soit pas la traditionnelle « pièce rapportée » au beau milieu des raisonnements économiques afin de les parfaire ou de les compléter. Pièce rapportée pour les néoclassiques de façon assez magique : l’Etat vient compléter et parfaire le travail des marchés, devenant ainsi la « main  visible » complétant le travail de la « main invisible » ; et pièce rapportée tout aussi magique pour les keynésiens : l’Etat vient corrigeant les faiblesses du marché, et devenant ainsi la béquille du capitalisme.

Curieusement, parce que les libertariens pensent savoir quelle est la vraie nature de l’Etat : un objet social immortel et surtout inattendu (donc involontaire) issu de l’interaction sociale volontaire, ils proposent des solutions peu probables en matière d’organisation monétaire et financière. Peu probables en ce sens que logiquement le fonctionnement des marchés politiques qu’ils décrivent assez correctement ne peut pas déboucher aisément sur des banques libres et une monnaie privée. Nous verrons au contraire que la monnaie, en raison même de la nature profonde du pouvoir est un objet politique complètement central…même si cet objet est parfois confié – au moins partiellement- à des banques privées, mais toujours régulées par une autorité.

C’est ce qui explique qu’empiriquement, banques libres et monnaie privée furent des objets assez rares et dont l’existence était éphémère. A cet égard, les ouvrages et articles qui soutiennent le caractère courant de la liberté d’émission[2] dans des espaces devenus réellement marchands, doivent être réévalués et dans bien des cas, les banques libres disposaient de monopoles légaux, ce qui était notamment le cas de la Banque de France de Napoléon qui n’était pas vraiment libre…ni bien sûr banque centrale. Dans d’autres cas, les banques dites libres étaient probablement davantage des concessions politiques au regard de régions encore insuffisamment soumises à un pouvoir central, ce qui peut correspondre à la situation des banques libres d’Ecosse. Précisons enfin que l’absence de banque centrale ne signifie pas banques libres. Il peut en effet exister d’autres formes de tutelles y compris aux USA d’avant la création de la FED.

La monnaie comme «  belles histoire » à raconter aux étudiants

Les manuels d’économie délivrés aux étudiants sont souvent plus sobres en ce qui concerne la monnaie. Dépourvus généralement de références ethnologiques et sociologiques, et sobrement pourvus de références historiques, la genèse de la monnaie y apparait comme belle histoire de l’aventure de l’échange marchand, échange lui-même peu expliqué, et qui se borne à la problématique du dépassement du troc, dépassement faisant émerger un équivalent général appelé monnaie. Marx, grand dénonciateur, avec sa « Critique de l’Economie Politique » n’ira pourtant pas plus loin avec une monnaie qui ne cristallise que de la valeur travail et assure les « métamorphoses de la valeur ».

La monnaie n’est pas un bien public.

Le souci classificatoire reposant sur la distinction bien privé/ bien public ne nous aide pas non plus beaucoup pour repérer la nature profonde de la monnaie. Si la monnaie permet l’échange privé et se trouve faire l’objet d’une appropriation privative, on sent bien aussi son caractère social et donc public, puisque sa valeur et sa capacité à circuler dépendent fondamentalement d’un consensus social. Son utilité en quelque sorte dépend du regard d’autrui, ce qui n’est pas le cas d’un bien réellement privé.

Mais la monnaie ne relève pas non plus véritablement de la théorie des biens publics. Le principe de non exclusion ne s’y constate pas : si on ne peut exclure l’usage d’un panneau de circulation routier, l’accès à la monnaie est plus problématique pour celui qui n’a pas les moyens de s’en procurer par le travail, le capital, la famille, etc. De la même façon, le principe de non- rivalité n’est pas respecté et les économistes évoquent par exemple, à offre de monnaie constante, l’effet d’éviction pouvant être engendré par un Etat trop accapareur d’épargne au détriment d’investisseurs privés.

La monnaie comme simple bien mis sous tutelle.

Les juristes seront d’un bien meilleur secours pour, au moins empiriquement, qualifier la monnaie. A cet égard la notion de service public selon la définition donnée par Léon Duguit est riche d’intérêt. Selon ce publiciste : « toute activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé, et contrôlé par les gouvernants parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’elle est d’une telle nature qu’elle ne peut être réalisée complètement que par les gouvernants est un service public ».

Il est à priori possible, relativement à la monnaie, de contester une telle définition qui, rédigée au 19ième,  apparait inactuelle, voire à bien des égards erronée. Ainsi les monnaies locales assurent l’interdépendance sociale et fonctionnent fort correctement sans les Etats. Conçues pour assurer l’interdépendance sociale (elles ne libèrent jamais) les Etats y apparaissent complètement inutiles. Toutefois les monnaies dites modernes sont d’une autre nature, car elles sont réserves de valeur et sont de la liberté (« liberté frappée » disait-on autrefois).

Parce que l’interdépendance sociale n’est plus faite de réciprocité volontaire et directement visible pour les acteurs, il faut bien une extériorité venant garantir la réserve de valeur ou le réel pouvoir libératoire de l’instrument monétaire. Dans le cas de la monnaie locale il y a auto production du lien qui fait société. Dans le cas de la monnaie moderne c’est un extérieur qui doit produire la confiance dans l’interdépendance sociale. La monnaie doit donc être effectivement un bien mis sous tutelle. De ce point de vue Léon Duguit et son idée de service public exprime bien une réalité indépassable de la monnaie moderne, idée qui sera repris bien plus tard par Richard Musgrave (1957) sous l’expression de « bien tutélaire ».

 Aller  plus  loin pour comprendre la nature de la monnaie.

Nous voudrions aller  beaucoup plus  loin et montrer que cette dernière idée  -la monnaie comme bien tutélaire- désigne une réalité beaucoup plus fondamentale  toujours masquée, à savoir que la monnaie est un objet politique central dont le devenir historique est sa progressive dégradation en objet aux apparences simplement économiques. Et donc une apparence redevable de l’analyse économique. Mais une dégradation ne signifie  pas pour autant, un  changement de nature.

Historiquement, à l’aube de la naissance du politique et de l’Etat, le pouvoir s’annonce comme instance  récupérant les propriétés de l’universalisme de toute religion, à savoir l’idée de dette des hommes vis-à-vis des puissances de l’au- delà.  Ce qui était de l’ordre de la dette de vie envers les dieux, devient endettement généralisé envers un pouvoir violent : un « coup d’Etat fondant l’Etat » selon une expression devenue célèbre[3]. Les formes de la dette nouvelle sont autant de sacrifices variés en qualité et  en quantité de violence: dette de sang,  esclavage généralisé, tribut divers, corvées, impôt.

L’impôt moderne monétaire, trouve ainsi ses racines dans le remplacement du religieux par le politique. Mais la partie de la dette appelée impôt monétaire, n’est vraiment dette que si le pouvoir a la capacité de se faire payer en une  monnaie qu’il a choisi, c’est-à-dire celle qu’il contrôle. Si tel n’était pas le cas, le pouvoir prendrait le risque de se faire payer – la dette des sujets- en une monnaie non admise par ses créanciers, ce qui reviendrait à une libération des sujets vis-à-vis de l’impôt. Par exemple on voit mal un Etat acceptant de se faire payer en monnaie locale que l’on pourrait imprimer et qui ne correspondrait qu’à fort peu d’utilité pour lui, tant la monnaie locale échappe à l’universel recherché par l’Etat. Parce que ce dernier exige l’universel seul susceptible de maintenir l’intégralité de la dette des sujets, il ne peut accepter qu’une monnaie parfaitement convertible. Plus concrètement encore, on voit mal un commerçant algérien implanté en France payant ses impôts au Trésor français en Dinars…inconvertibles…

La monnaie est le cœur du réacteur du pouvoir en formation

On peut ainsi dire, et ce à l’appui des thèses néochartalistes que la monnaie moderne, avec toutes ses caractéristiques, est historiquement la forme choisie par le pouvoir pour le règlement de la partie de la dette des sujets appelée impôt .

Toujours sur le plan historique, la forme choisie par le pouvoir est celle qui rend sa créance la plus universelle c’est à dire la plus liquide possible. Concrètement, parce que le pouvoir exerce des fonctions guerrières coûteuses et qu’il est souvent amené à effectuer des paiements au profit d’autres pouvoirs extérieurs à lui, la forme choisie ou élue -par tous les pouvoirs politiques - sera le métal.

Il est faux de dire que le métal est une valeur en soi comme pourra l’énoncer Marx et bien des économistes. Le métal est simplement la liquidité universelle qui, spontanément, a généré de l’inter action sociale. Et de la liquidité universelle qu’il affiche découlera sa fonction réserve de valeur. Liquidité universelle et réserve de valeur sont indissolublement liées.

Ce créancier universel qu’est l’Etat en formation peut aussi contracter des dettes envers d’autres pouvoirs, mais aussi envers des personnes qu’ils ne contrôlent pas et qui pourtant sont d’une grande utilité. Il s’agit des mercenaires que l’on rétribuera  en métal. Les mercenaires utiliseront ainsi le métal pour leurs dépenses auprès des sujets endettés, sujets endettés qui paieront l’impôt à partir des dépenses des mercenaires.

Le cercle est ainsi bouclé, et le Circuit du Trésor cher à François Bloch Lainé n’est pas une invention de l’Administration française de l’après  seconde guerre mondiale, mais le cœur même de toute "chaudière étatique en formation".

Il apparait ainsi que la nature profonde de la monnaie, ce qui constitue en quelques sorte son identité au sens génétique du terme, est fondamentalement politique. Ce n’est pas un bien mis sous tutelle par le pouvoir une fois que celui-ci est né. Il est le moyen de son engendrement et de la violence qu’il génère. C’est la raison pour laquelle la monnaie doit plutôt être désignée comme objet politique  central : elle est ce qui a fait l’Etat. Et elle est aussi l’objet qui en assure son maintien. Telle est sa marque biologique qui permet de bien comprendre les évènements historiques qui la concerne. Elle permet aussi de comprendre ce qui souvent n’est plus discuté, et surtout plus mis en avant, avec l’évolution du pouvoir vers sa forme Etat de droit : « Battre monnaie est un attribut de la souveraineté ».

 

[1] On pourra citer bien sûr Friedrich Hayek, mais aussi David Friedman ou Pascal Salin. On trouvera en fin d’article une courte bibliographie.

[2] Parmi eux citons Lawrence H White (1995), Kevin Dowd, ou Kurt Schuler.

[3] Cf l’analyse de Pierre Clastres dans « La société contre l’Etat » ,Minuit,Paris,1974.

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1 janvier 2015 4 01 /01 /janvier /2015 09:45

Résumé: La monnaie fonctionne dans une structure de reseau et se trouve être, en sa qualité de créatrice d'un ordre social, un bien public fondamental. Son double caractère d'instrument de circulation et de réserve de valeur, généralement associé à sa privatisation en font un produit très fragile dans le cadre de la présente mondialisation. Il convient de reconstruire le système monétaire et financier autour des idées de Maurice Allais. Le présent texte propose de renationaliser la monnaie, de mettre fin au "capital fictif" et en examine les conséquences macro sociales et termes de gagants et de perdants.

Les lecteurs habituels du Blog peuvent directement passer à la section 2 de l'article: "La refondation du réseau monétaire" et commencer la lecture au paragraphe: "l'Etat comme monopoleur de la création et de la vente de monnaie".

 

On sait qu'historiquement la monnaie est d'abord l'instrument du politique: un pouvoir qui impose les signes dans lesquels les sujets devront solder leur position d'éternels endettés vis à vis du prince.Rapidement pouvoir politique et pouvoir économique coopérent dans le système de la monnaie frappée. Un système qui va bientôt devenir un réseau enraciné dans un territoire.

1 ) La monnaie : une structure de réseau bien problématique

La monnaie est l’équivalent d’une infrastructure, telle un réseau ferroviaire assurant la circulation des personnes et des biens, ou un réseau électrique assurant la circulation des kilowattheures.

Les particularités du réseau monétaire parmi les réseaux en général

L’industrie bancaire assure la circulation des marchandises en assurant la circulation de la monnaie entre ces ports que sont des comptes abrités dans des banques. Les banques, sont comme la SNCF ou EDF d’avant la libéralisation, et il est impossible de séparer le réseau de ses véhicules : le paiement, largement électronique, est à la fois réseau et véhicule. Comme la SNCF où il apparaissait impensable, avant la libéralisation, de séparer le réseau ferré du matériel roulant.

Mais il est des différences : le réseau bancaire n’est pas monolithique et se trouve peuplé de banques en concurrence. Qui plus est, cette concurrence peut entrainer des modifications de parts de marché entre les ports. Ce qui n’était pas le cas du chemin de fer ou des compagnies d’électricité d’avant les nationalisations de 1945 : les acteurs restaient des monopoles sur les parts de réseau qu’ils contrôlaient. Le caractère non monolithique du réseau bancaire est peu gênant pour la circulation de la monnaie. Outre qu’il existe une norme monétaire commune au dessus de chaque monnaie de banque (une unité de compte), il existe un marché monétaire assurant la cohérence continue du réseau : la monnaie Société Générale se transforme en tous points de l’espace couvert par le réseau, en monnaie BNP , en monnaie Crédit Agricole, etc.

Une autre différence est le fait que la monnaie comme infrastructure de type réseau, est propriété d’agents nombreux et divers, qui peuvent agir sur lui, en le rendant plus ou moins actif. Derrière cette idée, il y a la plus ou moins grande vitesse de circulation de la monnaie, voire son blocage éventuel. Et cette dernière circonstance, résulte du fait que la monnaie n’est pas seulement infrastructure de la circulation : elle est aussi instrument de l’accumulation. Les économistes diront qu’elle n’est pas qu’instrument de paiement, mais aussi réserve de valeur. Les conséquences en sont considérables. Cela revient à dire – en poursuivant la comparaison avec la SNCF ou EDF- que par exemple des trains s’accumulent dans des gares. Et la comparaison est intéressante, car dans l’un et l’autre cas les marchandises cessent de circuler. Et c’est précisément parce que la monnaie est elle-même marchandise (instrument de stockage de richesse) plus ou moins convoitée qu’elle peut gêner/ faciliter la circulation de toutes les autres marchandises : l’infrastructure réseau est plus ou moins stable.

Et parce que marchandise, elle peut être fabriquée comme toutes les autres marchandises. En se désaliénant de la « contrainte métallique » les hommes ont, en la matière, généré des gains de productivité infinis : le coût de fabrication de la monnaie est proche de zéro, et pour les banques centrales, et pour les banques privées, qui depuis un grand nombre d’années se partagent le monopole de la création monétaire. De fait, il s’agit d’un coût marginal, puisque bien des coûts fixes demeurent, spécificité qui rappelle là aussi ces « monopoles naturels » que sont les réseaux classiques.

Le réseau monétaire est un bien public créateur d’ordre social

 Les actuels réseaux monétaires – ce qu’on appelle le système monétaire et financier - sont le résultat de la construction historique de ce qui est devenu un bien public majeur, et bien public sans lequel les sociétés modernes connaitraient un retour à l’état de nature… avec la vitesse de l’éclair. Beaucoup de services publics pourraient disparaître sans radicalement disloquer une société. Ainsi la disparition du réseau ferré, voire même la disparition du réseau électrique, entraineraient certes des difficultés majeures avec nombre de régressions. Toutefois, ces dernières développeraient davantage d’espaces de solidarité, que du face à face brutal entre individus, lequel serait engendré par la nécessité de survivre. En revanche, un effondrement monétaire serait autrement redoutable et développerait en quelques instants – probablement moins d’une journée- la guerre de tous contre tous. Tout ceci pour dire que la monnaie dispose d’une structure de réseau , qui en fait le premier des biens publics, et probablement la clé de voûte de la société. Elle est ce qui fonde « l’ordre » et empêche « la panique », c'est à dire la disparition de tout ordre social.

Curieusement, ce bien public majeur, est aussi le bien public le plus fragile en raison du caractère réserve de valeur de la monnaie. Le double caractère de la monnaie se remarque dans le double caractère des banques : « commercial » et « affaires ». Parce que la monnaie est à la fois, moyen de paiement et réserve de valeur, le réseau peut être parcouru de disfonctionnement et de ruptures .

Double caractère de la monnaie et fragilité du réseau

Les risques inhérents à la volonté accumulatrice autorisée par la fonction réserve de valeur, peuvent entrainer des phénomènes spéculatifs, avec alternance de confiance et de méfiance, débouchant sur de possibles ruptures du réseau, par exemple la disparition de la liquidité sur les marchés monétaires. La même volonté accumulatrice peut aussi développer des bulles sur n’importe quel bien évaluable en monnaie. Et cette même volonté, cherchera le plus naturellement du monde, à élargir l’espace du jeu en interconnectant les monnaies (elles deviennent toutes librement convertibles) ; en développant des marchés à terme sur tous les biens de l’économie réelle, et ce si possible à l’échelle de la planète ; en autorisant la liberté de circulation des capitaux ; etc. Autant d’élargissements de l’espace du jeu engendrant un « gigantisme de réseau » exposé à toutes les contagions possibles.

De ce point de vue, la mondialisation correspond à un processus d’interconnexion et d’unification des réseaux monétaires. Jusqu’ici l’interconnexion existait sous le contrôle de « douaniers » situés à la périphérie de chaque réseau national, et « douaniers » corrigeant ou veillant aux externalités engendrées par la dite interconnexion. Tels des fusibles sur des réseaux électriques, chargés de bloquer la contamination de surtensions apparues en tel ou tel point du système. De ce point de vue , l’unification mondialiste, est utopique en ce qu’elle correspond à la volonté de construire un réseau gigantesque dépourvu de fusibles. Tel un immeuble dont le ravitaillement électrique ne serait pas composé de sous- réseaux (des "lignes") séparés par des fusibles de protection.

Mais parce que l’interconnexion jusqu’à l’unification, sans défenses immunitaires (sans fusibles), porte au plus haut niveau d’intérêt la deuxième fonction de la monnaie (réserve de valeur), les bulles spéculatives et leurs outils ( leviers démesurés, produits synthétiques, outils électroniques de trading, etc.) développent sans limites le fonctionnement entropique du système en voie d’unification. Très simplement, le réseau conçu pour faire circuler des marchandises réelles, fait surtout circuler des paris financiers. Incapable de lutter contre sa propre entropie – à l’inverse des êtres vivants – le réseau monétaire et financier mondial risque son auto destruction.

Parce que premier des biens publics de toute communauté moderne, et en même tant bien public devenu historiquement dépourvu de défenses immunitaires en raison de la dualité monétaire (moyen de paiement/ réserve de valeur), il convient de procéder à un toilettage complet de l’architecture du système monétaire et financier.

De fait, il s'agit de procéder à une refondation, dont la nature de la monnaie, nous fait déjà imaginer qu'elle porterait aussi une dimension politique majeure.

2 ) La refondation du réseau monétaire

Le premier acte d’une refonte réelle doit être la fin du marché de la dette publique en rétablissant l’autorité monétaire. Cela suppose le rétablissement des droits de propriété de l’Etat sur la banque centrale, une institution à laquelle il va confier un strict monopole de l’émission monétaire au seul profit du Trésor. Le volume de l’émission est politiquement décidé et ce dans le cadre d’un objectif de stabilité monétaire lui-même évalué et contrôlé par des institutions elles mêmes démocratiquement construites.

Condition nécessaire : la fin de la privatisation du politique.

Un tel acte refondateur ne peut évidemment fonctionner sans une refondation complète du fonctionnement des marchés politiques. Il ne faudrait pas, que le bien public monétaire, ne fasse l’objet que d’un simple transfert de son appropriation privée, et on ne voit pas en quoi, les fins privées des entrepreneurs politiques (reconduction au pouvoir ou conquête du pouvoir) seraient d’une nature supérieure, aux fins privées des banquiers et de leurs actionnaires (profit) qui jusqu’ici ont accaparé le bien public en en contrôlant l’émission. Le changement de propriétaire n’est pas une garantie de meilleur exercice de la propriété, une propriété fort particulière puisqu’elle reste un droit sur un bien public.

La refonte réelle de la finance suppose – au préalable - une véritable mutation de l’ordre politique. Puisque l’essence du politique est l’appropriation de ce qui surplombe toute communauté humaine –ce que l’on désignait aussi par le terme « d’extériorité» dans d’autres publications - il convient de mettre en place des institutions freinant la tendance universelle, à ce que le politique ne soit que l’utilisation à des fins privées, de ce qui est commun à tous. Sans doute la puissance publique ne peut elle être détenue que par des hommes dont la tendance indépassable est la recherche de la satisfaction privée (le pouvoir comme moyen et comme fin), mais il est probablement possible de diminuer les effets négatifs de cette permanente et universelle spécificité humaine. Dans l’Etat parvenu à son stade démocratique, la solution consiste à interdire, constitutionnellement, la professionnalisation de l’entrepreneuriat politique par interdiction du renouvellement des mandats, mandats eux-mêmes pouvant au moins partiellement être engendrés par des procédures non électives, par exemple le tirage au sort. Cette réforme constitutionnelle, est la première pierre de la réforme monétaire, si l’on veut minorer les errements d’un Etat laxiste, avec des entrepreneurs politiques gérant davantage une carrière privée, bénéficiant par ailleurs des largesses de la planche à billets.

Pour être complet, ce changement de titulaire de la fonction « production de monnaie » doit être strict : il suppose l’interdit radical de la création monétaire par les banques, lesquelles ne pourront prêter , que sur la base de fonds qu’elles auront empruntés, ou mis à leur disposition par des agents privés et l’Etat lui-même. Tout décalage constaté, entre capitaux reçus et capitaux distribués après transformation, devenant activité de faux monnayeur, et à ce titre pénalement sanctionnée. Il en est de même pour la banque centrale, qui dans le cadre de ses interventions auprès des banques, ne peut se livrer à des opérations de « quantitative easing », ce qui signifie que les liquidités mises à disposition sont intégralement remboursables.

L’Etat comme monopoleur de création et de vente de monnaie

La production monétaire se fait ainsi au seul bénéfice du compte du Trésor à la banque centrale. Son cout est nul puisque le prix de revient de la dite production est nul. Cet abondement de ressources- sur ordre donné au gouverneur par l’exécutif- est fléché, et ne peut entrer dans la masse des recettes publiques. Les ressources ainsi mise à la disposition du Trésor par la banque centrale, permettent d’une part, d’assurer un investissement public démocratiquement contrôlé ; elles permettent d’autre part, d’abonder- selon une procédure que l’on examinera plus loin- le compte des banques qui y verront la matière première des investissements privés qu’elles souhaitent financer. Une part de production de monnaie, est affectée à la nécessaire croissance monétaire, résultant de la croissance du volume des échanges impulsés par la croissance économique elle-même. Ce volume de monnaie supplémentaire est démocratiquement décidé et contrôlé.

L’investissement public n’est pas nécessairement financé en totalité par la production monétaire : il peut aussi l’être par une épargne construite sur un excédent primaire. Si le financement de l’investissement public se fait à taux nul, il n’en va pas de même pour l’investissement privé financé par les banques, à partir de la production de monnaie mise à leur disposition par l’Etat. Outre que l’Etat met à leur disposition une ressource payante - l’Etat est payé, sous la forme d’un taux d’intérêt, pour la monnaie mise à disposition - les banques doivent aussi couvrir leurs charges de gestion et disposer d’une prime de risques.

Dans le cas où le budget primaire est déficitaire, il est constitutionnellement interdit à l’Etat d’utiliser les ressources qu’il s’est octroyées sur la banque centrale. La nomenclature et le classement des dépenses est revue et corrigée, certaines d’entres elle, dites de fonctionnement, étant de fait des dépenses d’investissement. Travail peu aisé, il est pourtant économiquement essentiel, et doit être démocratiquement contrôlé. L’interdit d’une couverture d’un déséquilibre du budget de fonctionnement, tel que précédemment redéfini, par la production de monnaie, suppose par conséquent le recours à un endettement. Ce dernier doit disposer d’un statut d’exceptionnalité et se doit n’être consenti que sur la seule base d’une majorité parlementaire qualifiée. Disposition marquant la volonté de mettre fin aux facilités de l’endettement.

Une telle mutation financière réintroduit déjà une disparition progressive de la notion de « service de la dette », et se trouve à terme profitable pour l’Etat, qui n’a plus à payer la rareté monétaire mais au contraire à la vendre. Avec toutes les conséquences en termes de baisse possible de la pression fiscale qu’on peut en déduire, mais aussi la fin relative de la situation rentière des banques, dont l’appropriation de la production monétaire était illégitime : elles n’avaient pas le droit de privatiser un bien public qui, par ailleurs , n’a jamais été mis en vente.

Le Montant de production de monnaie, est un acte politique gravant dans la réalité, une part du potentiel de croissance du pays. L’investissement macroéconomique, est ainsi partagé entre investissements publics et investissements privés. L’investissement privé, est la somme de la production de monnaie distribuée aux banques, et des possibilités offertes par l’épargne privée. Le total de l’investissement global est régulé – notamment par le poids de la production de monnaie et l’investissement public- de telle sorte que la croissance réelle puisse être peu éloignée de la croissance potentielle.

Les parts de production de monnaie affectées à l’investissement public et à l’investissement privé, relèvent de choix politiques démocratiques. S’agissant de la production de monnaie affectée aux banques, la répartition entre les divers établissements demandeurs s’opère selon un processus classique d’enchères. Il s’établit par conséquent, un prix de marché des ressources monétaires nouvelles captées par les banques. Ce prix de marché entre en concurrence avec les prix qui se forment sur l’épargne privée des agents. L’Etat étant un fournisseur important de ressources monétaires, il est clair que son rôle dans la fixation générale de l’ensemble des taux de l’intérêt est fondamental.

La grande transformation des réseaux bancaires

Selon la vision de Maurice Allais, le réseau bancaire est redécoupé en « banques des échanges monétaires » (BEM), « banques de crédits » et « banques d’affaires ». Un même établissement peut assurer les trois fonctions correspondantes. Il doit cependant apporter la preuve périodique d’une stricte séparation des fonctions.

1 Les BEM constituent le réseau monétaire que nous qualifions de bien public majeur dans l’introduction au présent texte. A l’intérieur de ce réseau, les banques sont en concurrence pour assurer un service public de base : celui de la bonne exécution des échanges de biens et de services initiés par tous les agents économiques. Le marché monétaire classique assure les échanges interbancaires, et la banque centrale y intervient en qualité de régulatrice générale du réseau. Véritables délégataires d’une mission de service public dépourvue de tout risque financier, le cout de fonctionnement du réseau des BEM est assuré sur la base d’un contrat, démocratiquement contrôlé, entre l’Etat ou la banque centrale et les BEM.

Le nomadisme des dirigeants entre sphère publique et sphère des BEM est juridiquement interdit. Les BEM ne rémunèrent pas les dépôts et ne se livrent à aucune opération de crédit.

Les BEM ne participent pas aux procédures d’enchères portant sur l’acquisition de monnaie vendue par le couple Banque centrale/ Trésor. Elles reçoivent par contre gratuitement, la quantité de monnaie supplémentaire prévue par les nécessités de la croissance économique ( motif de circulation du PIB).

2 Les banques de crédits reçoivent l’épargne des agents privés, et assurent la transformation de cette dernière en prêts classiques : simple découvert, crédit à la consommation, à l’équipement, crédit hypothécaire, etc.

La titrisation des créances est juridiquement interdite.

Le roulement de l’épargne de court terme en prêts à plus long terme, s’effectue selon des règles de prudence et de transparence, établies par les régulateurs situés sous l’autorité de l’Etat ou de la banque centrale.

Il est mis fin à « l’indépendance » des régulateurs par rapport à l’Etat ou la banque centrale. Le nomadisme des dirigeants entre banques de crédit et régulateurs est juridiquement interdit.

Les banques de crédit ont accès à la production de monnaie , et la banque centrale abonde le compte de chacune d’entre elle en fonction du résultat de la procédure d’enchères menée par le Trésor. L’agence de commercialisation de la dette – « Agence France Trésor » pour ce qui concerne la France - est démantelée, puis reconvertie en « agence publique de vente de monnaie au système bancaire ».

Les banques de crédit doivent apporter à tout moment la preuve qu’aucune création monétaire ne s’établit dans le cadre de leurs activités.

La rémunération des banques s’effectue au travers de la différence entre intérêts payés et intérêts reçus.

Le total du bilan d’une banque de crédit ne peut dépasser le dixième du PIB du pays d’accueil.

3 Les banques d’affaires sont spécialisées dans tous les services non assurés par les deux premières catégories de banques : opérations de haut de bilan, corporate finance, émission de titres, introduction en bourse, augmentation de capital, financement syndiqué. Mais aussi tous les services de spéculation et de couvertures sur taux de change et taux d’intérêt, marché des commodities, produits dérivés etc. Mais également produits d’épargne et assurantiels au profit des ménages : fonds d’épargne, épargne retraite, assurance vie, etc.

Les banques d’affaires entrent en compétition avec les banques de crédits dans l’accès à la ressource monétaire vendue par le couple banque centrale / Trésor. Les ressources ainsi achetées sont investies dans l’économie réelle, et toute utilisation dans le cadre d’une activité spéculative est pénalement sanctionnée.

Dispositions annexes et non limitatives concernant la finance

 Les régulateurs, sous l’autorité des pouvoirs publics, veillent à la limitation drastique de la financiarisation des grandes activités. En particulier les activités de trading sont réservées aux acteurs de l’économie réelle.

L’introduction sur un marché, de spéculateurs extérieurs à l’économie réelle, est une exception autorisée par le régulateur, après constatation d’un disfonctionnement de sous- liquidité.

Le nomadisme des dirigeants entre banques d’affaires et régulateurs est juridiquement interdit.

L’un des principes fondamentaux est que les « échanges papiers » ne deviennent plus importants que les échanges réels. A ce titre les directives sur marchés d’instruments financiers sont considérablement durcies : limitation considérable des opérations de gré à gré par autorisation au cas par cas du régulateur, quasi interdiction de la vente à découvert , ratios contraignants sur les ordres non exécutés en trading informatisé, etc.

De façon plus générale, l’introduction d’une taxe sur les activités de Trading renforce le rétrécissement de la « boursouflure », avec probable mise en liquidation de nombre d’entreprises devenues Casinos au cours des 20 ou 30 dernières années.

L’activité sur CDS est strictement encadrée, et les positions dites « nues » strictement interdites, cela signifie que les clauses type « opt out » imaginées par les autorités européennes sur les dettes souveraines ne sont plus tolérées.

Les CDS sur dettes souveraines, deviennent eux-mêmes sans objet avec la fin du marché de la dette publique : ils disparaissent.

Les activités hors marché , à l’instar des « dark pool » voient leur encadrement renforcé. A l’inverse, la présence de chambres de compensations devient la règle universelle.

Les banques d’affaires ne peuvent se livrer à des activités spéculatives sur comptes propres. Elles cessent tout lien et liquident leurs établissements situés dans les espaces d’optimisation fiscale.

Le total du bilan d’une banque d’affaires ne peut dépasser le vingtième du PIB du pays d’accueil .

Conséquences macro sociales

Cette réforme n’a rien de technique, et se trouve fondamentalement politique : des groupes sociaux vont perdre, et d’autres vont gagner. Et cette nouvelle donne sociale repose toute entière sur la captation/production de monnaie.

Les producteurs et les décideurs ne sont plus les mêmes : ce n’est plus le système bancaire qui vend la monnaie, mais l’Etat. Renversement qui correspond à un bouleversement global de l’ensemble de la société. Sans toutefois la remettre dans son état antérieur à la loi du 3 janvier 1973 en France, et aux lois correspondantes dans nombre d’autres pays (34 banques centrales vont adopter une législation semblable entre 1990 et 2001). C’est que la situation antérieure, correspondait aussi à des marchés politiques, où partout la professionnalisation du politique était la règle avec les biais correspondants. Cela pouvait signifier parfois « la planche à billets » que le dispositif proposé récuse. Il n’y a donc pas de retour en arrière, mais un monde autorisant les investissements publics massifs de naguère, tout en améliorant aujourd’hui une gestion budgétaire plus responsable et plus équilibrée.

Parmi les groupes sociaux gagnants, il faut compter :

1 Les salariés qui ne peuvent que bénéficier d’un retour du développement, lui -même autorisé par le caractère massif de l’investissement public et de la mobilisation des facteurs de la production qui va lui correspondre. Le renversement du contrôle de la monnaie rétablit le long terme, les projets, et la fin de la dictature d’un futur qui s’écrase sur le présent, en raison de la disparition des investissements publics, voire de l’investissement privé lui-même.

2 les entrepreneurs de l’économie réelle qui vont bénéficier des externalités nouvelles produites par le nouvel Etat investisseur et « réducteur d’incertitudes ».

3 les citoyens censés ne plus payer la rente au système financier, et au contraire à récupérer la rente inverse que le système financier devra à l’Etat. Ce qui signifie de nouvelles marges de négociations entre citoyens et les nouveaux gestionnaires - les nouveaux politiques - des outils de la contrainte publique.

Parmi les groupes sociaux perdants, il faut compter :

1 les entrepreneurs politiques amenés à ne plus pouvoir investir dans une carrière de long terme et à ne plus pouvoir orienter la nature des produits politiques qu’ils vendent vers cette éternelle finalité : reconduction au pouvoir ou conquête du pouvoir. Finalité grande cause de nombre de déficits publics.

2 Les entrepreneurs de l’économie financière et de l’économie casino, la dette publique n’étant plus la mère nourricière et le point d’appui de la créativité financière . Cela signifie une cure drastique développant l’amaigrissement des bilans, et la fin des miracles financiers et des rémunérations sans causes. La fin du capital fictif diraient Marx ou Hayek.

3 Les épargnants et usagers de l’économie casino. Les premiers, sans redevenir victimes de la répression financière du 20ième siècle, devront se contenter de produits d’épargne beaucoup plus rustiques, et d’une rentabilité plafonnée par la croissance de l’économie réelle. Les seconds, en raison de l’étroitesse nouvelle des terrains de jeux financiers, et de leur extrême surveillance, par des autorités et régulateurs nouveaux et démocratiquement contrôlés , constateront qu’il n’est plus possible de vivre en état d’apesanteur, et feront le douloureux apprentissage de la pratique de l’économie réelle, où valeur ajoutée n’est plus confondue avec « accroissement de la valeur » .

La grande refondation proposée, n’a rien de mécanique, et les sociétés humaines ne sont pas des machines. Ce qui signifie que des réactions suivront la brutale redistribution des positions sur l’échiquier social. En particulier il faut imaginer la fuite, vers d’autres terrains de jeu, des nouveaux perdants, à la recherche d’espaces moins contraignants. D’où la question de l’international qu’il faut impérativement étudier.

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28 décembre 2014 7 28 /12 /décembre /2014 10:38

 

Bien des choses peuvent se produire en 2015. Nous pensons toutefois que beaucoup peut se comprendre à partir de l’ADN des banques centrales. Aucune entreprise politique aujourd’hui, que ce soit en France ou à l’étranger, ne se pose la question de cet ADN. Il est pourtant ce qui presque mécaniquement explique l’essentiel de l’état du monde et des sociétés correspondantes. Pour faire simple et sans entrer dans les détails, ou bien la Banque centrale est indépendante (situation universelle ou presque aujourd’hui) ou bien elle se trouve soumise au Trésor et à son Etat correspondant ( ce qui était souvent le cas au milieu du vingtième siècle).

On peut sans doute imaginer des situations institutionnellement intermédiaires :une relative autonomie dans une relative dépendance. Toutefois par souci de clarté nous prendront ci-dessous des alternatives radicales

Tout peut se résumer dans le tableau suivant qu’il nous faut expliquer.

Banque centrale détachée du Trésor     /     Banque centrale soumise au Trésor

Implications:

1-Mode "marché" de gestion de la dette   contre  Mode "hiérarchique" de gestion de la dette

2-Etat enkysté dans la finance    contre  Finance enkystée dans l’Etat

3-Choix de la dette  contre   Choix de l’inflation

4-Répression des Etats  contre  Répression de la finance

5-Création monétaire plutôt par les banques de second degré  contre  Création monétaire

 plutôt par la banque centrale

6-Bilans bancaires hypertrophiés  contre  Bilans bancaires plus classiques

7-Inégalités croissantes des patrimoines et revenus,   contre Moyennisation possible de la société

8-Financiarisation généralisée  conre Financiarisation muselée

9-Congruence avec la mondialisation   contre  Congruence avec l’Etat- Nation classique

10-Contradiction entre statuts :salarié,consommateur,épargnant,citoyen, contre  Cohérence entre statuts : salarié,  consommateur, épargnant, citoyen.

11-Risques systémiques importants contre  Risques systémiques sous contrôle

12-Régulation démocratique contestée et difficile contre  Régulation démocratique plébiscitée.

13-Soldes extérieurs comme résultat  contre  Soldes extérieurs comme construction

Explications:

1- La gestion de la dette peut se faire comme aujourd’hui par émission de dette par un organisme qui vend des titres de créances à des acheteurs, et qui par conséquent s’adresse à des marchés où se négocient offre et demande de dette. On peut toutefois en cas de Banque centrale juridiquement dépendante, par exemple banque propriété de l’Etat, exiger d’elle qu’elle porte à son actif des titres publics remboursables ou pas contre de la liquidité. Dans le premier cas l’Etat a recours au marché, dans l’autre il produit lui-même les fonds dont il a besoin. Exactement comme l’entreprise qui a le choix entre produire elle-même ses consommations intermédiaires, ou au contraire les acheter sur un marché, soit la célèbre alternative entre le « make » ou le « buy »,le « mode marché » ou le « mode hiérarchique ». On observera que dans le cas de la dette, les consommations intermédiaires produites par la banque centrale sur ordre de l’Etat jouissent d’un coût économique nul, et par conséquent la logique du « make » devrait l’emporter.

Si tel n’est pas le cas c’est que d’autres intérêts interviennent sur les marchés politiques. Les entreprises sont libres de choisir et adoptent la stratégie conforme à leurs intérêts. On en déduit à l’inverse que les Etats ont aujourd’hui fait le choix de la dépendance. L’indépendance des banques centrales a pour corollaire la soumission des Etats.

2- Cette alternative résulte directement de la première. Avec l’indépendance des banques centrales, et plus encore lorsqu’il est interdit à la BCE d’acheter de la dette publique au moins sur les marchés primaires, les Etats sont enkystés dans la finance et deviennent des entités faisant l’objet d’une notation. Réalité impensable dans le cas de la logique du « make », dont on sait aussi qu’il correspond au concept central de souveraineté.

3- Le passage par le marché est aussi le plus couteux et la dette sera grossie par le montant des intérêts versés aux acheteurs. Dans le cas inverse, l’endettement se fait à coût nul et ce même si l’on imagine des avances au Trésor remboursables moyennant un taux d’intérêt : ce que paie le Trésor lui revient en tant que propriétaire des profits de sa banque centrale. Si l’Etat se fait très exigeant vis-à-vis de sa banque centrale et l’oblige à créditer des sommes considérables devenant ultérieurement dépenses publiques, un risque réel d’inflation se manifeste avec le cas échéant perte de la valeur externe de la monnaie.

4- Le choix du « make » comprime le déploiement de l’industrie financière puisque le périmètre de l’Etat est sanctuarisé. Simultanément l’arme de l’inflation rogne l’ensemble des actifs financiers existants ou en construction. On peut ainsi parler d’une répression de la finance. Le choix du « buy » aboutit à la situation inverse : les Etats sont réprimés par la finance, et si d’aventure l’émission de dette est jugée excessive et donc dangereuse une prime de risque sera exigée sur les marchés.

5- Dans le cas du « buy » il est clair que l’Etat pourtant garant du bien public monétaire, n’est jamais créateur de monnaie. Il transfère ainsi son pouvoir au secteur bancaire, lequel crée de la monnaie en octroyant du crédit…y compris à l’Etat lui-même. La masse monétaire devient ainsi contrepartie d’une dette. Ce que certains appellent « l’argent dette ». La situation inverse est celle où la monnaie est créée sur injonction publique par la banque centrale, situation non grevée par de la dette. Derrière cette alternative se retrouvent les points 2, 3 et 4.

6- Le point 5 permet de comprendre le poids des bilans bancaire selon que l’on est dans l’un ou l’autre régime. Lorsque la Banque centrale est indépendante et que les banques créent de l’argent dette, la limite à la création d’actifs financier est d’autant plus éloignée que ce régime assure la stabilité des prix. Les actifs financiers s’accroissent à un rythme beaucoup plus élevé que ce qui est exigé par la quantité de monnaie nécessaire au développement de l’économie réelle. Ce phénomène fonctionne en boucle: parce que ces actifs doivent répondre aux exigences de liquidité, la tenue de marché exige de la profonduer et donc une très grande quantité disponible d'actifs les plus divers. Cette même exigence de liquidité développera l'innovation financière avec la création d'une multitude d'actifs synthétiques, et au total des bilans bancaires souvent plus élevés que le PIB du pays d'accueuil .

7- La dette publique et privée croissante dans un régime de « buy » devient un actif de plus en plus important pour une classe de rentiers, qui par ailleurs pourront bénéficier d’un recul de la pression fiscale ayant pour résultat un accroissement de dette publique, elle même source d’achats de titres publics avec les capitaux non accaparés par les Etats. L’absence de réelle dette publique dans le régime du « make » allège les Etats qui peuvent en retour mobiliser davantage de moyens au profit des classes moyennes et ainsi construire un projet de relatif moyennisation de la société.

8- ce dernier point est la conséquence des autres . En régime de « buy » et d’abandon de la monnaie en des mains privées, l’abondance de la liquidité permettra de financiariser toutes les activités, avec notamment irruption de cette dernière sur l’ensemble des grands marchés : « commodities », produits agricoles, matières premières, etc. Ce que le blog a apellé la "titrisation généralisée du réel". Le régime du "make" permet de limiter autoritairement la transformation des marchés en casinos.

9- Dépourvus de l’autorité monétaire les Etats du « buy » ont aussi abandonné la liberté de choisir un taux de change : la valeur de la monnaie nationale devient un prix comme les autres, prix dont les fluctuations pourront être encadrés ou protégés par des marchés financiers. La liberté de circulation du capital est complète et vient matérialiser le dessaisissement de la souveraineté. D’où l’idée de mondialisation. L’adoption en sens inverse de la logique du « make » est à l’inverse en congruence avec des taux de change décidés et des logiques de contrôle de la circulation du capital.

10-Il devient difficile dans le cas d’un dessaisissement du pouvoir monétaire d’éviter les logiques de délocalisation industrielle avec, en conséquence, une forte pression sur les salaires directs et indirects, lesquels cessent d’être à la fois couts et débouchés, à l’intérieur d’Etats-Nations, pour ne devenir que des couts à comprimer à l’échelle mondiale. L’irruption d’une monnaie unique, garantit tout taux de change politiquement défini, et vient aggraver l’impératif de dévaluation interne au titre du maintien d’une compétitivité que chaque Etat – désormais en situation de servitude volontaire- tente d’acquérir pour surnager parmi les autres. D’où l’idée d’incohérence : une course à la productivité qui ne mène qu’à la crise permanente de surproduction. Une incohérence qui à l’inverse dans le cas de la logique du « make » laisse la place à des politiques possibles de redistribution, et donc une échelle des revenus plus ressérée .

11- En mode « buy » le poids de la finance aggravée par le choix de la dette, elle-même liée à l’écart entre offre globale mondiale et demande globale mondiale (crise planétaire de surproduction) engendre une croissance hors de contrôle des dettes privées et publique. Cette croissance est imposée par la croissance des déséquilibres de l’économie réelle dans un contexte de mondialisation et se heurte aux limites des capacités d’endettement. D’où des crises financières qui ne peuvent que se reproduire à échelle continument élargie. On  notera qu’à l’inverse, le choix du « make », parce que correspondant à une création monétaire qui n’est pas de « l’argent dette », exclut très largement tout risque de crise financière.

12- La démocratie étant le choix d’une communauté, il est difficile de la faire fonctionner si des tiers interviennent en permanence dans les dits choix. La fin de la souveraineté imposée par celui de l’abandon de la monnaie signifie l’intervention permanente de tiers : les marchés, toujours accompagnés de « d’évaluateurs d’Etats ». Cela signifie aussi des fonctionnements démocratiques dégradés.

13- L’abandon de la monnaie signifiant aussi l’affaiblissement du repérage des frontières ( taux de change comme simple prix, circulation sans entraves du capital, etc.) le solde des échanges extérieurs n’est plus qu’un résultat constaté et peut même devenir une variable futile en cas de monnaie unique…avant bien sûr l’affolement des marchés et la crise correspondante….A l’inverse la souveraineté fait des échanges extérieurs un paramètre fondamental : son équilibre se doit d’être construit à peine de perdre le contrôle d’une monnaie dont les fondamentaux sont politiquement décidés.

Rien de sérieux ne peut être entrepris en 2015 sans un changement de logiciel des banques centrales. Bien évidemment les marchés politiques s'y opposeront avec énergie.

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15 décembre 2014 1 15 /12 /décembre /2014 17:01

 

Résumé :

Une littérature abondante se focalise aujourd’hui sur le prix du pétrole : Certains voyant les avantages d’une baisse et d’autres, les inconvénients. Il est bon de resituer les invariants d’une économie pétrolière devenue mondiale pour aborder de façon plus informée le contenu du marché pétrolier. On en déduit qu’il n’existera pas  de concurrence catastrophique avec élimination des productions coûteuses américaines et fin de l’essor énergétique des USA.

 

Le prix du pétrole fait à nouveau l’objet de toutes les attentions et commentaires. Au-delà de la chute des cours du baril, généralement attribuée au ralentissement de la croissance et à  l’émergence d’une nouvelle offre rapidement croissante (USA), les analyses se sont portées sur des considérations géopolitiques entre ce qui est considéré comme les trois acteurs fondamentaux : Arabie saoudite, Russie et Etats-Unis. Certains voient, dans le refus de l’Arabie de jouer son rôle traditionnel de « swing » producteur, l’indice d’un accord avec les USA contre la Russie, tandis que d’autres voient à l’inverse un pacte avec la Russie contre les Etats-Unis.

Nous pensons, qu’avant d’émettre tout jugement, il convient de souligner les fondamentaux historiques de l’économie pétrolière,  plus précisément ses invariants.

En 1859, la grande surprise du premier foreur de l’histoire- le colonel Drake qui voit le pétrole jaillir du forage qu’il vient de réaliser en Pennsylvanie - s’accompagne aussi d’une donnée majeure : la technique retenue offre une production dont le coût marginal est strictement nul. Tout accroissement de la production par ouverture plus importante de la tête de forage se réalise à coût strictement nul[1].

Cette donnée  signifie qu’au niveau de chaque puits, il n’est rencontré que des charges fixes : celles du coût complet des recherches et forages. Une donnée qui s’accompagne d’une autre : chaque propriétaire du sol est aussi en droit américain propriétaire du sous- sol et ce jusqu’au centre de la terre. Il va en résulter une exploitation et donc une économie pétrolière, où la concurrence entre petits producteurs de l’époque revêt mécaniquement une dimension catastrophique.

C’est que les charges fixes qui se ramènent beaucoup à l’époque au coût de l’endettement auprès des banquiers qui ont financé le matériel de forage, sont d’autant plus supportables qu’elles sont réparties sur de grandes quantités produites : l’optimum de gestion d’un puits est son débit maximum. On connait la suite : offre excédentaire, chute des prix qui renforce la tendance à produire davantage, laquelle en retour accélère la chute des prix avec ruine des producteurs. La disparition de nombre de producteurs rétablit les prix qui attirent de nouveaux producteurs pour une nouvelle concurrence catastrophique…

C’est Rockefeller qui, observant cela,  a sans doute été l’un des premiers à comprendre que le pétrole devait devenir une industrie à offre monopolistique. D’où la suite d’une histoire bien connue avec l’émergence de ce qui allait devenir le trop célèbre oligopole pétrolier du vingtième siècle[2].

Les crises pétrolières qui vont marquer le dernier quart de ce même siècle ne mettent pas fin à un marché qui a quitté le champ de la concurrence catastrophique.

En effet, l’oligopole privé cohabite d’une certaine façon avec un oligopole public constitué par les Etats de l’OPEP, Etats qui mettent en place des compagnies nationales. De fait, la fin du vingtième siècle se caractérise par une volonté de la part de tous les acteurs du théâtre pétrolier de récupérer l’essentiel de la rente pétrolière. Il s’agit, par la forte montée des prix[3], d’accroître la rente et d’en redessiner un partage de plus en plus favorable aux propriétaires fonciers étatiques[4]. On sait que du point de vue de la théorie, la rente pétrolière est une rente différentielle[5], évaluée sur la base de la différence entre coûts des énergies de substitution et coût du pétrole[6]. A l’époque des « posted price » (prix affichés), la rente était faible en raison de la volonté de l’oligopole de faire du pétrole une matière première quasi hégémonique. Dans un premier temps (années 70-80) les prix restent des prix décidés par une organisation oligopolistique. Ultérieurement, ils deviendront des prix de marché avec la multiplication des gros Etats producteurs dont bien sûr la Russie, mais aussi celle de compagnies pétrolières de taille plus réduite ( Cove Energy, PTT Exploration § Production, Anardako, Tullow, etc. Ajoutons que l’irruption du trading pétrolier fera de cette matière première un produit financier avec apparition d’un nombre considérable d’acteurs complètement étrangers au pétrole ( Traders de Genève, de Londres, de Singapour, etc.[7]).

Si toutefois la concurrence n’était pas catastrophique comme elle l’était au Dix-neuvième siècle, c’est, au-delà d’une demande en très forte expansion[8] , en raison du poids encore élevé des majors et surtout du poids de l’OPEP qui décidait  de la production et de sa répartition (les quotas des pays producteurs) entre Etats Pétroliers maitrisant de grandes compagnies publiques.

Les choses vont se transformer avec l’irruption d’un nouveau géant : les USA dont la production journalière rejoint présentement celle de l’Arabie et celle de la Russie[9]….dans un contexte – crise oblige- de demande quasi constante.

L’irruption massive des USA peut-elle réenclencher, à l’échelle planétaire, la concurrence catastrophique qui assombrissait la Pennsylvanie du dernier tiers du dix-neuvième siècle ?

Si le contexte est différent -les compagnies sont enkystées dans des Etats qui sont aussi acteurs- la baisse de prix constatée en cette fin 2014 entraîne des conséquences très négatives pour la plupart des acteurs : chute gigantesque des revenus des grands Etats pétroliers dont les entrepreneurs politiques se reproduisent au pouvoir par la redistribution de la rente : OPEP, Russie, Venezuela, etc[10]. Mais aussi, mise en difficulté de l’ensemble des gisements marginaux américains dont les coûts unitaires sont beaucoup plus élevés qu’au Moyen-Orient,[11]avec la particularité déjà constatée en Pennsylvanie au dix-neuvième siècle : beaucoup de gisements nouveaux nord-américains relèvent d’une mise en exploitation financée par de la dette que les banques titrisent… d’où des risques financiers[12] dans le cadre d’un marché type high yield que l’on dit généralement peu liquide.

La présente littérature qui prend souvent position dans ce qu’elle croit être un jeu entre Trois grands acteurs Russie, Arabie, USA, avec alliance de 2 contre 1 ne se rend pas compte du fait que si une concurrence catastrophique devait se déclencher, avec  ou sans l’aide de l’éclatement d’une bulle associée, les trois acteurs y seraient perdants.

De fait, il n’existe probablement pas de pacte, mais bien plutôt une nouvelle modalité du dilemme du prisonnier.

Face à la montée considérable de la production américaine, Russie et Arabie ne peuvent pas accepter une diminution de leur propre production pour maintenir les cours : cela réduirait tout d’abord leur part de marché et donc leurs revenus, mais cela permettrait aussi une augmentation de la part de marché américaine avec des producteurs américains qui exigent du gouvernement fédéral la possibilité d’exporter les nouvelles huiles de schiste. Il en résulte que le meilleur choix est de maintenir la production en espérant que la chute de prix soit douloureuse pour les producteurs américains qui, pris dans un piège type Pennsylvanie des années 1870, seraient acculés à la faillite. Faire chuter les prix à environ 60 dollars le baril, permettrait ainsi d’éliminer nombre de  producteurs américains et rétablirait un marché jugé plus sain.

Outre que le coût de ce rétablissement est politiquement très risqué pour nombre d’Etats trop habitués aux conforts de la rente pétrolière, il n’élimine pas la possibilité pour l’Etat américain de protéger, le cas échéant, ses nouveaux producteurs par une taxation des importations de pétrole. Il n’élimine pas non plus la possibilité pour ces mêmes producteurs américains de tenir au moins quelques mois en raison d’un coût marginal qui n’est certes plus nul pour l’huile de schiste mais qui est inférieur au prix de vente, même si ce dernier est ramené à moins de 60 dollars le baril. Exactement comme le faisaient les petits producteurs de Pennsylvanie avant l’arrivée de Rockefeller.

Parce que le marché du pétrole mixe aujourd’hui  des acteurs étatiques et des producteurs privés, ce qui n’était pas le cas au dix-neuvième siècle, la concurrence pétrolière ne peut pas se transformer en concurrence catastrophique et il faudra bien que les acteurs laissent toute sa place à la production américaine. Le seul espoir pour ces acteurs est que la production non conventionnelle soit un feu de paille en raison d’un épuisement très rapide des gisements.

 


[1] Cette « découverte » n’en est plus une aujourd’hui et, d’une certaine façon, l’économie des réseaux et plus encore l’économie numérique repose sur cette notion d’absence de charges variables dans le total des coûts de production.

[2] Ce que l’on appelait à l’époque les « 7 sœurs » : 3 américaine, 2 anglaise, une anglo-hollandaise et une française

[3] Passage par exemple de moins de 2 dollars le baril en 1972 à 11,652 dollar au 1er janvier 1973, puis à 40 dollars en 1979.

[4] Cf : Jean Claude Werrebrouck, « Evolution du marché pétrolier et nouveau partage de la rente pétrolière », Revue d’Economie Industrielle, N°34, 1985.

[5] Cf : Jean Claude Werrebrouck,« Contribution à la théorie de la rente pétrolière », Revue d’Economie Industrielle,N° 9, 1979.

[6] Cf : Jean Claude Werrebrouck, « Histoire de la concurrence entre énergies fossiles et construction de la rente pétrolière », in « Rente et structures des industries de l’énergie », PUG, collection Energie et Société, Octobre 1983.

[7] Les offreurs et demandeurs de pétrole sont aujourd’hui pour 99% d’entre-eux étrangers à l'usage de la  matière première.

[8] Industrialisation rapide de ceux que l’on va appeler les « émergents ».

[9] Environ 9,2 millions de barils journaliers en décembre 2014.

[10] Avec toutefois de grandes différences selon que l’on est un Etat très peuplé et jouissant d’une rente faible ou moyenne (Venezuela, Algérie, Nigéria, etc.) ou un Etat faiblement peuplé et jouissant d’une rente considérable ( principautés du golfe, Arabie,etc.)

[11] Environ 6O dollars le baril. Notons aussi que ce coût unitaire n’a qu’un sens limité en raison de la structure des coûts complets du pétrole telle que déjà évoquée.

[12] Le chiffre de 300 milliards de dollars est souvent évoqué.

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