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20 mai 2013 1 20 /05 /mai /2013 08:46

                                 

 

Le présent texte propose une explication du mouvement historique des banques centrales. Pourquoi il fallait les créer ? Pourquoi plus tard il fallait assurer leur indépendance ?  Pourquoi cette indépendance sera fondamentalement mise en cause dans le futur ? Cette explication reposera au préalable sur une analyse du couple Monnaie/Etat, couple dont la dynamique est véritablement porteuse de celle des banques centrales.

 

La monnaie… avant la monnaie et avant l’Etat.

 

Il est probable que l’histoire de la monnaie se ramène à celle d’une longue entropie. Née dans la chaleur des communautés holistiques, elle se dégrade lentement depuis l’apparition des Etats pour ne plus exprimer que les seuls liens entre des individus, des liens dont la force serait suffisante pour ne plus exiger la présence d’un souverain. L’Euro, monnaie sans maitre, serait ainsi la forme la plus avancée de cette lente dégradation.

La monnaie primitive n’est pas la monnaie locale d’aujourd’hui et les liens qui s’y expriment ne sont pas librement choisis comme ils le sont dans cette dernière , liberté de choix qui en fait une sorte de « bien de club ». Ainsi Daniel de Coppet[1] nous explique longuement qu’à l’instar de ce qu’avait découvert Malinovski  chez les Trobriandais, la monnaie primitive est chargée d’essence spirituelle. Sa circulation permet « au tout » de fonctionner en reliant les hommes entre eux, qu’ils soient vivants ou morts mais aussi en les reliant à tous les ordres du monde, celui de la terre, de l’eau mais aussi du ciel.

Une première forme de dégradation pourrait  correspondre au « paiement du sacrifice » qui ne correspond plus à l’échange traditionnel de dons. Dans le monde primitif, le maintien du crédit des dieux exige la violence sacrificielle, laquelle sera suivie du paiement du sacrificateur, et paiement qui n’est plus suivi de réciprocité à l’instar de l’échange marchand moderne[2]. Une autre forme très comparable est le « paiement du neuf » qui met fin à la violence meurtrière entre groupes pris dans la logique infernale de la vengeance réciproque[3].

Paiement du sacrificateur ou du « neuf », vont dans le même sens, et mettent fin à un système de relations, exactement comme dans les monnaies modernes. Le paiement est –comme aujourd’hui – ce qui met fin à l’engagement et à toute obligation de réciprocité.

Il existe aussi un lien entre sacrificateur travaillant pour le crédit des dieux ou le rétablissement de la paix et mercenaires qui plus tard seront payés par l’Etat. Dans les sociétés primitives, le paiement du sacrificateur (mercenaire) est le fait de la communauté et ne concerne que quelques personnes. Plus tard l’Etat constitué, prenant la forme du souverain, assurera le paiement du service de la guerre à un nombre considérable de mercenaires, paiement avec ce qui sera bien davantage – nous le verrons –  de la monnaie moderne.

 

Un couple potentiel mais encore bien séparé : le stade de la monnaie anonyme.

 

Un certain « désenchantement du monde »[4]interviendra avec les premières civilisations qui introduiront souvent les tyrans et la problématique de l’Etat.

Si les sociétés primitives permettent de parler de paléo monnaies, les premières civilisations permettent, bizarrement, de parler de « monnaies anonymes »[5]. Dans ce type de monde l’endettement envers les dieux s’est scindé  et  s’est partiellement muté en endettement envers les princes, ce qui fait naitre le politique et l’Etat, et ce qui transforme, au moins partiellement le sacrifice en impôt envers lui.[6] Tout au moins, s’agissant de l’Orient ancien (entre 2500 et 539 AJC), il existe déjà un échange marchand avec des monnaies qui sont  davantage que des monnaies locales, car leur espace de circulation est probablement plus vaste, et sont assez probablement réserves de valeur. Mais ces monnaies sont aussi moins  que des monnaies locales, en raison de leur caractère beaucoup plus anonyme. Ces monnaies sont en effet composites et faites de métaux divers : or, argent, électrum[7], cuivre, bronze, étain, etc. Mais surtout ce qui est échangé, est souvent des morceaux découpés de métal, et ce sans trace d’une autorité quelconque, et par ailleurs sans trace visible d’une émission organisée. Cela signifie probablement que l’émission était plurielle, au moins au tout début de la période considérée.[8] Donc à priori peu ou pas de traces d’un ordre transcendant divin ou politique imprimant à ces monnaies la matérialisation d’une totalité sociale.

Ce fait, confirmé par toute l’école historique française est assez intrigant lorsque l’on connait la suite de la glorieuse aventure du couple monnaie Etat. Comme si l’Etat en formation, avec ces premiers représentants, n’avait pas immédiatement pris conscience de tout l’intérêt qu’il y avait à lier son destin à celui de la monnaie. Si l’on tente toutefois de se situer dans les conditions de l’époque, il n’était probablement pas évident de prendre conscience que le contrôle d’un outil qui n’est pas encore construit pouvait être un apport décisif dans la consolidation de l’Etat.

Pour autant ces monnaies anonymes vont progressivement se transformer et concourir grandement à l’affermissement du phénomène étatique. Parce que les monnaies anonymes sont  réserve de valeur, elles deviennent particulièrement attrayantes pour les pouvoirs dont la reproduction et la survie sont consommatrices d’un objet réserve de valeur. Les guerres entre Etats en formation sont assez naturellement productrices et consommatrices de monnaies anonymes : il faut financer des armées avec d’autres moyens que des monnaies locales ou paléo monnaies, accaparer des richesses dont la liquidité est la plus grande possible, se préparer – en cas de défaite – à payer sous la forme acceptée par le vainqueur. Tout concours par conséquent à l’élection progressive de la monnaie anonyme comme objet de pouvoir, objet politique qui est aussi pourtant un objet économique.

 

Fondation du couple monnaie/ Etat et émergence des paléo banques centrales.

 

Fonction réserve de valeur  et parfaite liquidité progressent encore  si l’Etat en formation impose le règlement de tout ou partie des créances qu’il s’octroie- par la violence de son système fiscal- dans la monnaie de son choix. Nous ne sommes plus très loin du cours légal qui va permettre « le circuit du Trésor »[9], c’est-à-dire un système qui va assurer la solvabilité des Etats en formation.

La monnaie anonyme devient ainsi potentiellement monnaie souveraine, qualité qu’elle va acquérir lorsque les princes inscriront sur des rondelles appelées pièces de monnaie des symboles confirmant leur pouvoir politique. Ce sera le cas de Cyrus et de Darius, rois de Lydie au 6ième siècle AJC.[10]

La monnaie souveraine moderne exprime ainsi une forme de dégradation de la monnaie. Beaucoup moins holistique que celle de  l’univers ‘Aré’aré, communauté étudiée par Daniel de Coppet, elle est néanmoins fondamentalement hiérarchique et devient manipulable pour celui qui la contrôle.

La monnaie moderne continuera à exprimer le tout de la société, mais le réseau qu’elle va constituer et que l’économiste peut ne lire que sous l’angle du monopole naturel, relève surtout de l’affirmation du pouvoir du prince, pouvoir qui s’exprime dans un espace géographique délimité par des frontières. Le réseau, espace sensé minimiser les coûts de transaction, est politiquement défini et s’arrête aux frontières politiques. Et ce n’est pas pour la fluidité des transactions que l’on crée le réseau, mais au contraire pour assurer une meilleure emprise politique sur un espace que l’on aura délimité, espace lui-même modifié par le résultat des guerres avec des souverains voisins. Frontières monétaires et frontières politiques vont ainsi largement se recouper.

Les Etats en formation se consolident en devenant aussi les premiers banquiers centraux. Si le métal frappé est richesse, alors il faudra le fabriquer, ce qui suppose le contrôle de mines de métal et le travail du minerai jusqu’à l’atelier de production des pièces. Mines et Hôtels des monnaies deviennent ainsi les premières banques centrales, des institutions qui ne sont pas séparés du politique et du Trésor correspondant. C’est que le contrôle de la production et de la circulation monétaire apporte un surplus de capacité prédatrice gigantesque pour le politique qui jusqu’ici se contentait de ses créances au regard d’une population souvent esclave, ou de prélèvements en nature sur les activités domestiques. L’édification de la monnaie moderne est donc aussi consolidation d’un Etat dans les premiers âges de son histoire. Et ces premières banques centrales que sont les organes du contrôle monétaires ne connaissent pas de division du travail, la monnaie (« nomisma ») est affaire de droit et de loi (« nomos ») laquelle va donner ou retirer la dénomination  de l’étalon et le « dokimon » c’est-à-dire le cours légal. Il sera alors plus ou moins aisé de changer la loi[11] et de gagner au change entre ancienne et nouvelle monnaie, ce que verra rapidement le tyran Hipias, fils de Pisistrate. Il sera aussi facile de jouer sur « l’Aloi » c’est-à-dire les contenus métalliques, de jouer sur le poids, sur le titre, mais aussi sur la composition du cocktail de métal de l’électrum, monnaie justement choisie en raison de la difficulté technique à déterminer le contenu métallique.[12] Bien évidemment la frappe elle- même est sujette à prélèvement, taxes de brassage et plus tard de seigneuriage sont les outils classiques de prélèvement, outils auxquels viendront s’ajouter des taxes de change sur les marchands qui s’adonnent à des activités « internationales ».

Le holisme institutionnel, qui fait que l’espace monétaire et l’espace juridique sont juxtaposés, sait toutefois être libéral, et les Etats conquérants peuvent laisser chez les peuples conquis les anciennes monnaies, ce qui entrainait l’émergence d’espaces pluri monétaires souvent hiérarchisés. Les avantages étaient évidemment politiques, les conquis conservant une certaine dose d’autonomie et le sentiment de n’avoir pas trop perdu. Assez rares furent les tentatives d’union monétaire et nous ne savons que fort peu de choses sur leur concrétisation.[13]

L’ordre monétaire est un ordre politique, fondamentalement hiérarchique, et donc constitutif d’une réalité sociale communautaire. Simplement, il faut rappeler que cette monnaie moderne qui fait son irruption au moyen orient et en Chine à peu près à la même époque est déjà une monnaie dégradée. Dégradée parce que les princes vont la manipuler, mais aussi parce que ces mêmes princes sont déjà dans une situation de perte de monopole lorsqu’ils ne frappent plus « leur métal », mais celui dont ils ne sont plus les propriétaires : des marchands propriétaires de lingots peuvent les transformer en pièces dans les hôtels des monnaie, voire leurs propres banques . Parce qu’il existe dans les interstices de la société un ordre marchand plus égalitaire, les princes qui continuent à poser leur marque sur le métal réaffirment l’unité d’une communauté, mais une communauté qui cherche aussi à affaisser l’ordre hiérarchique.

 Les Etats voient dans la hiérarchie en particulier monétaire la perennisation  de leurs « créances » sur l’ensemble humain qui leur est soumis. Les sujets les plus utilisateurs de monnaie, c’est-à-dire les marchands ou les banquiers, ne voient dans cette hiérarchie qu’une contrainte pratique permettant la circulation des marchandises. Pour les deux partenaires la hiérarchie monétaire est un moyen mais la fin est autre, les uns- les Etats- visent un monde vertical ; les autres, les marchands sont en quête d’horizontalité[14].

C’est cette conjonction des contraires[15] qui va marquer le dé enchâssement des banques centrales primitives et leur progressive autonomie, voire indépendance.

 

Querelles de couple et émergence des pré banques centrales.

 

Une nouvelle dégradation de la monnaie résultera beaucoup plus tard de l’irruption de nouvelles formes monétaires en particulier la monnaie fiduciaire émise librement par les banques.

La monnaie moderne métallique doit se multiplier pour assurer  la puissance des princes, mais aussi celle des marchands soucieux de faire progresser les volumes échangés de marchandises. L’abondance monétaire est donc nécessaire…..mais souvent contrariée en raison de sa fonction réserve de valeur. C’est que la monnaie qui doit circuler doit aussi être thésaurisée[16] à des fins d’épargne. Sans banques centrales primitives chargées de nouvelles mines de métal, ou ne pouvant dépasser les limites socialement tolérées de la dilution – l’ancêtre de la planche à billets- Etats et marchands sont bloqués dans leur ascension. Ascension du pouvoir politique d’un côté, ascension du pouvoir économique de l’autre.

En la matière les banquiers éloignés du pouvoir ont mieux réussi que les Etats qui vont souvent se heurter au mur de la dette publique  et à ses tentatives catastrophiques de contournement par ces nouveaux moyens de dilution que fut le papier.

L’un de ces contournements est la création de substituts de mines de métal ou de pré banques centrales dont le modèle fut peut – être le système de Law dans la France de la régence. Quand la Banque générale, fondée en 1715, devient nationalisée pour devenir Banque Royale titulaire de privilèges considérables, et qu’elle se met à émettre massivement des billets d’Etat pour payer les créanciers de la monarchie, elle devient de fait un institut d’émission, un prêteur en dernier ressort. Curieusement cet institut d’émission qui permet de régler les dettes et que le Trésor accepte en paiement des créances pour maintenir son « circuit » se trouve fortement contesté par les banquiers privés qui voient dans cette institution une concurrence inacceptable pour leur débutante et encore timide  émission monétaire.[17]

C’est que pour de nombreux banquiers, la marche vers l’horizontalité et l’indépendance vis-à-vis des Etats passe  par l’émission monétaire privée. Commencée avec l’invention au moyen –âge de la lettre de change, elle se poursuit dans les banques de « villes –Etats » comme Venise et plus tard dans celles de l’Europe du Nord dans le cadre de ce qui est déjà un système à réserves fractionnaires.

Une question difficile est celle du passage à ce dernier système alors même que dans la tradition, et ce depuis la fondation des Etats, le principe du 100% de réserves était scrupuleusement respecté, et surtout imposé dans le « corpus juris civilis ». Les ultra-libéraux traitent rapidement cette question en postulant que les réserves fractionnaires se sont imposées sur la base d’un accord mutuellement avantageux entre Etats et banquiers. les seconds devenant l’équivalent des vieux Etats capables eux aussi d’émettre de la monnaie et de bénéficier d’un seigneuriage qui sera tout simplement le taux de l’intérêt, toujours interdit, mais de fait de plus en plus toléré. Et les Etats seraient  eux aussi gagnants, car en concédant ou partageant leur privilège de battre monnaie, ils seraient payés de retour par  l’achat par les  banquiers de dette publique à partir des dépôts bancaires. [18]

Il est difficile de trouver dans l’histoire les traces d’un tel accord, mais il est toutefois exact qu’une collaboration va se créer entre les tenants de la verticalité (le politique) et ceux qui recherchent l’horizontalité (la finance).

 

Cohabitation raisonnable et naissance de la Banque centrale moderne

 

La loi d’airain de la monnaie continuant de sévir en raison du développement du capitalisme, il viendra immanquablement un temps où les Etats et les banquiers chercheront à renouveler sur une base élargie l’accord antérieur.

Les émissions monétaires privées doivent  revenir sur un principe de centralité et les Etats ont intérêt à définir eux même la dénomination et le cours légal d’une monnaie dont ils acceptent l’utilisation au titre du règlement de leurs créances, notamment fiscales. Ils ont aussi intérêt, sans doute après de nombreuses expériences malheureuses,[19] à émettre de la monnaie au même titre que les banquiers. Ils ont même intérêt à donner un monopole d’émission à une structure qu’ils peuvent créer, et bénéficier directement d’une part de marché croissante dans la création monétaire. C’est ce que fera Bonaparte avec la création de la Banque de France dont il sera lui-même actionnaire, et à laquelle il donnera un monopole régional d’émission de billets. Un tel monopole permettrait aux Etats de retrouver l’abondance financière, et cette fois de façon quasi illimitée.

 

Mais, simultanément, les banquiers engagés dans le système des réserves fractionnaires, ont intérêt à fixer un point d’ancrage solide à leurs activités de création non planifiée et donc possiblement désordonnées. En particulier, avec le développement du capitalisme, doit se développer un nécessaire marché du crédit inter bancaire, non dépourvu de risques au cas où une banque en viendrait en raison d’émissions excessives à faire faillite. Bref, il  faudrait mettre en place un système assurantiel. Système assurantiel en monnaie légale, que les Etats peuvent fournir par le biais de l’institut d’émission qu’eux-mêmes  souhaitent mettre en place.

La banque centrale moderne couplée à la monnaie non métallique moderne doit logiquement voir le jour. Ce sera chose faite entre la fin du XVII siècle et le vingtième[20].

 

Il s’agit d’un compromis entre verticalité (les Etats) et horizontalité (les banquiers).

En étendant le monopole de l’émission étatique – la monnaie légale- sur l’ensemble du territoire du souverain, et en acceptant la transformation de la monnaie de banque en monnaie légale, les Etats se donnent les moyens d’un circuit du Trésor bien alimenté par ce qui va aussi devenir la possible planche à billets. En retour, la Banque jouissant du monopole de l’émission de monnaie légale, garantit la bonne circulation et la bonne transformation de toutes les monnaies de banques entre elles, et de toutes les monnaies de banques en monnaie légale. La banque ainsi appelée Banque centrale sert  de point d’appui à une possible double émission monétaire : le système des réserves fractionnaires et son fameux multiplicateur du crédit d’une part, et l’émission de monnaie légale au profit du Trésor d’autre part. Il s’agit bien d’un accord mutuellement avantageux. Les banquiers peuvent potentiellement  augmenter considérablement leurs profits en bénéficiant d’effets de levier que l’on ne trouvera dans aucune autre branche d’activité. En retour les Etats sont beaucoup moins contraints par la question de la dette et ne limitent la planche à billets, que sous la pression de  la possible baisse de la valeur externe de la monnaie souveraine.

 

Le compromis entre horizontalité et verticalité pourra se lire jusque dans le fonctionnement concret des Banques centrales, lequel va souvent apparaitre comme mi privé mi public alors même que le statut juridique est soit, au choix pourrions-nous dire, complètement privé  – cas américain par exemple- ou complètement public – cas français. De fait il s’agira toujours d’une collaboration. Alors que la Banque centrale dispose de prérogatives de puissance publique et qu’à ce titre elle se trouve soumise à l’Etat, elle peut en effet être complètement privée et parfois émerge sur la base des exigences des banquiers. Ainsi la FED  est fondée en 1913 sur la base de la volonté des Morgan et des Rockefeller et se trouve être une association de banquiers privés.

Le compromis est bien sûr instable et se trouve aussi fortement orienté par les valeurs et cultures des peuples dans lesquelles baignent ces banques centrales modernes. La verticalité peut se faire implacable à certains moments, notamment au cours des deux guerres mondiales. Sans revenir juridiquement sur l’autorisation des réserves fractionnaires, il est possible pour l’Etat en guerre,[21]d’envisager une législation d’exception : achats obligatoires de bons du Trésor, planchers de titres publics etc. De fait, la mise en place de banques centrales peut, selon les circonstances et les histoires nationales,  se faire beaucoup plus qu’un simple dispositif assurantiel pour les banques et devenir un outil de « répression  financière », selon l’expression souvent consacrée au cours de la longue période qui précède le mouvement vers l’indépendance des banques centrales.

 

L’écrasement de la verticalité et la naissance de la banque centrale indépendante.

 

Si la verticalité peut se faire implacable en raison des circonstances précédemment exposées, elle peut à d’autres moments et en d’autres circonstances se trouver phagocytée par l’horizontalité. L’accord politico financier faisant émerger les banques centrales pose en effet le problème du partage des gains à l’échange[22].

 Dans le cas des périodes de guerres mondiales, les Etats ont pu imposer avec leurs banques centrales une totale répression financière, ces dernières ne fonctionnant qu’à leur seul profit.

En revanche dans la phase présente dite de mondialisation, il est des forces qui feront que les gains à l’échange seront totalement absorbés par les banquiers, voire même en viendront à pénaliser les Etats. Ces forces sont celles qui vont porter au plus haut niveau possible l’indépendance des banques centrales.

Il est inutile de rappeler le contexte général de contestation du corpus théorique dominant , clairement la théorie keynésienne, qui va débuter à la fin des années 60 et au début des années 70. Le nouveau cadre, sans doute hétérogène et qui va, des nouveaux classiques aux ultra-libéraux, est d’abord celui de la contestation de l’Etat dans les prérogatives économiques qu’il s’était octroyé dans la période antérieure.

Cette contestation ne concerne pas que la souveraineté sur la monnaie et débute par l’émergence massive d’autorités administratives dites « indépendantes » chargées d’assurer la régulation d’un secteur. Le terme de régulation étant employé  pour Co contrôler une activité dans le cadre d’un partenariat que l’on peut qualifier de « politico économique », avec de fait une répartition des pouvoirs allant parfois jusqu’à l’abandon des outils de la contrainte publique. Ces autorités encore peu nombreuses en France – environ une quarantaine – le seront bien davantage dans un pays comme l’Allemagne où une tradition ordo- libérale est installée.

Dans ce contexte, les banques centrales qui s’étaient dans nombre de pays affranchies

de la loi d’airain de la monnaie vont être critiquées dans leur fonctionnement par les nouveaux paradigmes économiques : monétarisme, anticipations rationnelles, etc. Le tout débouchant sur la contestation organisationnelle de banques centrales dont l’indépendance souvent proclamée laissait toutefois assez peu de place à l’autorité des gouverneurs[23]. La stagflation des années 70 fera des banques centrales des boucs émissaires et une profusion de travaux théoriques et économétriques viendront recommander l’indépendance complète, et, au-delà, la surveillance de gouverneurs dont il faudrait vérifier leur forte aversion pour l’inflation. Il serait impossible dans le cadre d’un article aux ambitions plus vastes d’évoquer l’intégralité de ces travaux et bornons nous à citer les auteurs les plus connus : Sargent, Wallace, Alesima,  Summers, Grill, Masciandaro, Tabellini, Kydland, Prescott, Barro, Gordon, Rogoff, Blinder, Walsh, Taylor.

Le résultat essentiel de la marche vers l’indépendance fut le passage du « mode hiérarchique » au « mode marché » de gestion de la dette publique. En utilisant le langage de Coase, les Etats sont passés du « make » au « buy ». Ils ne peuvent plus fabriquer la monnaie dont ils ont besoin et se mettent à emprunter sur les marchés. Les banques centrales peuvent alimenter voire doper le multiplicateur du crédit autorisé par le système des réserves fractionnaires, mais ne peuvent plus prêter aux Etats.

Les conséquences de la séparation radicale entre banques centrales devenues indépendantes et Trésors, ont déjà été développées[24].  Rappelons-les brièvement.

Il y a tout d’abord privatisation de la planche à billets, et   l’effet d’éviction - contrairement à des propos infondés - peut être mis aux oubliettes puisque les financements des déficits ne sont pas accaparement d’une épargne. Ainsi les déficits publics viennent alimenter des comptes bancaires que l’on trouve au passif des banques en contre partie des titres publics que l’on trouve à l’actif.

Il y a ensuite mécaniquement un passage de l’inflation à la dette avec la conséquence très mécanique que les actifs financiers cessent de se dévaloriser, peuvent par conséquent se multiplier et venir alourdir considérablement le bilan des banques qui en contrepartie pourront jouer sur des effets de levier en continuelle croissance. Nous avons là la tendance à la financiarisation de l’économie, alors que l’inflation précédente favorisait les placements dans l’économie réelle. La répression financière possible dans l’ancien modèle de banque centrale faisait que le commerce des promesses était muselé, il pourra désormais exploser.

Il y a surtout le fait que désormais une rente sur effets publics viendra possiblement attaquer les compartiments « Etats-providence » des Etats avec début d’un accroissement des inégalités aussi favorisés par la mondialisation.

Nous pourrions longuement évoquer les conséquences de l’indépendance, conséquences  que nous avons  présentées, dans l’ouvrage déjà cité comme nouveau logiciel exprimant un nouvel état du monde.

 

Au terme de ce premier examen tentant d’expliquer la naissance, le développement et les métamorphoses des banques centrales, il est possible de proposer  une définition permettant de saisir l’essence de cette réalité changeante au cours d’une très longue histoire :

 

    « Les banques centrales sont des institutions logées dans l’interface entre pouvoir financier et pouvoir politique, et chargées d’exprimer le rapport de forces entre les deux par des actions concernant la circulation monétaire, la monnaie elle-même et la dette. La position relative des deux pouvoirs : absorption plus ou moins complète de l’un par l’autre, séparation / opposition radicale, coopération mutuellement avantageuse, servitude volontaire, etc., est la source ultime de la compréhension des faits monétaro financiers, et un outil indispensable pour identifier l' état des rapports économiques politiques et sociaux dans  le monde . Connaitre les règles de fonctionnement d'une banque centrale, c'est ainsi s'ouvrir sur la connaissance du logiciel qui dit des choses essentielles sur une société concrête." 

 

A suivre....

 

 

 



[1]«  1,4,8,9,7.   La monnaie : présence des morts et mesure du temps » . L’homme Volume 10 ; 1970 ; N°1. PP17-39

[2]Cf : « La violence de la monnaie » M. Aglietta et A. Orléan ; PUF ; 1984.

[3] Là aussi on pourra se référer aux travaux de Daniel de Coppet. De fait la logique de la vengeance meurtrière s’arrête avec le sacrifice par un mercenaire de l’un des membres du groupe meurtrier, membre dont la dépouille est remise au groupe victime contre des perles qui vont arrêter le déchainement de la violence.

[4]Expression attribuée à Max Weber mais très utilisée et reprise dans les travaux du philosophe Marcel gauchet.

[5]Expression de Georges le Rider dans « La naissance de la monnaie. Pratiques monétaires de l’Orient ancien » PUF ; 2001.

[6] Concernant la nature de l’Etat et son irruption dans la scène humaine on pourra voir : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-euro-certains-furent-davantage-que-passagers-clandestins-45077391.html

[7]L’électrum est un mélange fabriqué ou parfois naturel d’or et d’argent.

[8] Il existe parfois des traces d’ordre légal ou politique. Ainsi le paragraphe 108 des lois d’Hammourabi (1792-1750 révèle la présence de bureaux des poids, et l’existence de vérificateurs. Nous avons aussi des traces de contrats marchands stipulant que le paiement devait se faire avec du métal marqué d’un sceau.

[9]Expression que l’on doit à François Block Lainé directeur du Trésor après la seconde guerre mondiale.

[10] Sur les premières pièces les symboles pourront encore concerner la religion, voire une nature symbolisée. Plus tard les princes viendront se substituer aux Dieux de manière beaucoup plus directe.

[11] Ce qui était « dokimon » devient alors  «  adokimon ».

[12] Le travail de « cémentation » correspondait au travail de séparation de l’or de l’argent.

[13] Ce fut le cas de la première confédération de Délos qui dans les années 440 va voir la promulgation d’un décret imposant la monnaie athéniennes à toutes les cités confédérées avec fermeture des monnayages locaux. Comme si l’Euro était la monnaie d’un Etat que ce dernier impose à tous les autres de l’union européenne.

[14]Problématique qui exprimée différemment, en ayant notamment recours au  « Traité de la première invention des monnaies » de Nicolas Oresme, est très bien analysée par André Orléan. Cf son article : http://www.parisschoolofeconomics.com/orlean-andre/depot/publi/Coppet.pdf

[15] Louis Dumont parlait « d’englobement des contraires » dans ses « Essais sur l’individualisme » ; Seuil, 1991.

[16] Ce que nous appelons « la loi d’airain des monnaies ». Cf l’article de Jean Claude Werrebrouck dans le N°34 de Médium ; Janvier-février-mars 2013. PP 101à 119.

[17] Cf « Le mercantilisme eu XVII ième siècle. Les banques et les billets de monnaie sous la régence ». Jean Marie Thiveaud ; Revue d’économie financière ; Vol 50 ; 1998 ; PP. 29-53.

[18] Accord insuffisamment démontré avec toute la rigueur attendue. C’est notamment le cas de Hueta de Soto dans « Dinero, Credito, Bancario y Cyclos Economicos » ; Union Editorial ; Madrid ;1998.

[19] Dont par exemple celle de Law précédemment évoquée.

[20] Bien évidemment de très nombreux débats et réflexions interviendront avant de stabiliser le système politico financier moderne, par exemple la célèbre bataille entre la « currency school » et la « banking school » qui devait se cristalliser dans l’acte de Peel en Grande Bretagne en 1844.

[21] Pour davantage de précisions on pourra consulter Jean Claude Werrebrouck :« Banques centrales, indépendance ou soumission, Un formidable enjeu de société » ; Yves Michel ; 2012 ; PP. 57-94.

[22]Problème évoqués dans de nombreux articles de « lacrisedesannees2010.com, et en particulier : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-banques-centrales-independantes-condition-necessaire-de-la-mondialisation-115739303.html.

[23] Cela était notamment le cas en France. On pourra lire à ce titre l’article d’André Orléan « les croyances monétaires et le pouvoir des banques centrales » dans l’ouvrage : « Les banques centrales sont-elle légitimes » ; Albin Michel 2008 ; PP. 17-35.

[24] Cf le chapitre 9 de: «  les banques centrales comme logiciels des états du monde » de « Banques centrales- indépendance ou soumission- Un formidable enjeu de société ; Yves Michel ; 2012.            

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9 mai 2013 4 09 /05 /mai /2013 13:02
        ,
Il s'agit d'une vidéo déjà ancienne  ( Décembre 2012) qui présente l'intérêt de mentionner les principaux thèmes de mon livre
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6 mai 2013 1 06 /05 /mai /2013 13:25

 

 

Le choix du modèle allemand de banque centrale qui s’est partout imposé à la fin du siècle dernier, fut facilité par la commune croyance en un nécessaire devoir de lutte contre l’inflation. Cette dernière très importante dans les années 70 était attribuée aux largesses de la politique monétaire que – selon la théologie monétariste de l’époque -  les Etats pratiquaient sans modération. De ce point de vue, le dessaisissement radical de la gestion monétaire au profit d’une banque centrale indépendante, organisme simplement soumis au maintien de la valeur de la monnaie, est apparu comme modèle à suivre.

Aujourd’hui, les difficultés d’une mondialisation intimement liée aux causes profondes de la crise en termes réels[1], questionnent le bel unanimisme. Mais surtout, la guerre des monnaies qui semble s’amplifier, passe par l’examen  des racines  culturelles nationales, paramètre  oublié au moment du grand basculement vers l’indépendance.

 

Mondialisation et racines culturelles oubliées

 

Les racines culturelles mises à l’écart des raisonnements économiques concernent au moins trois grandes conceptions de la liberté : l’anglo-saxonne, la française et, peut- être plus intermédiaire, la conception allemande.

Les deux premières sont assez radicales et très radicalement opposées.

 

L’anglo-saxonne fait de la liberté une dépendance de la propriété qui, selon la loi naturelle de Locke, est elle-même un bouclier au regard des agissements d’autrui. Je ne suis libre que si je dispose de droits de propriété eux-mêmes négociables sans restriction sur un marché. On comprend, par conséquent, que l’idée de société n’est pas centrale, cette dernière   s’analysant  d’abord  sous la forme d’une somme d’individus dont il faut simplement protéger les droits de propriété. Cela signifie la centralité d’un marché où l’interaction sociale génère des situations concrètes -des résultats économiques- censées justes  si les règles de la justice procédurale au sens de Nozick sont respectées[2]. Clairement, cela signifie qu’un Etat  ne saurait intervenir dans l’interaction sociale au nom d’un intérêt général, intérêt qui ne peut exister que sous la forme d’une  croyance ou « production idéologique » d’importance secondaire. De fait pour un anglo-saxon l’intérêt général se ramène à la liberté qui elle-même autorise le « rêve américain ».

 

La conception française est fort différente et la liberté ne passe pas par le bouclier de la propriété,  laquelle ne jouit pas d’une importance première malgré l'importance qui a attaché la Révolution et les libéraux du XIX siècle. Perte de prééminence qui a, pour corollaire, une place assez secondaire réservée à un marché devenu souvent objet de méfiance. Ce qui compte est bien davantage la position jugée honorable de chacun dans la société, laquelle est sans doute faite d’individus, mais des individus qui se regardent et observent, avec  attention toute particulière, leur position relative sur l’ensemble de l’échiquier social[3]. Cette caractéristique va jusqu’à s’inscrire dans l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen laquelle précise que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Dans la conception française, la « justice résultat »[4] au sens de Nozick compte beaucoup et correspond à l’idée d’un intérêt général. En revanche, la justice procédurale est assez secondaire et correspond aux conséquences d’une position non centrale accordée à la propriété.

 

La conception allemande est, de fait, une position intermédiaire, assez complexe,  qui tente un dépassement  des deux premières. C’est, précisément, ce dépassement théorisé à partir de Kant et plus tard par les théoriciens de l’ordo libéralisme ( W. Eucken, W. Röpke , F. Böhm, etc.)[5] qui fera de la liberté une réalité qui ne peut s’épanouir que dans une certaine soumission à la société, soumission valorisée sur la base d’une égale participation aux décisions communes. Il y a du holisme dans la tradition allemande, un holisme qui lui-même provient d’un romantisme construit sur le rejet de la Révolution française. Mais le holisme est contrebalancé par une méfiance au regard d’un Etat que l’histoire condamne non pas en tant qu’Etat fort, mais en tant qu’Etat incapable d’assurer la commune liberté. Bizarrement, l’Etat doit être fort pour assurer sa mission de neutralité et de construction d’un intérêt général.

  La liberté allemande passe par la propriété, davantage que dans la loi française et moins que dans la loi américaine. Elle passe aussi par le respect des droits individuels moins que dans la société américaine et davantage que dans la société française. Tout cela conduit à un ordre du marché, peut-être moins échevelé que l’américain mais sans doute plus libéral que l’ordre du marché français.

 

 Liberté allemande  et paradigme monétaire  hégémonique

 

Il se trouve que cette représentation du monde fut aussi théorisée pour justifier l’ordre économique et monétaire en Allemagne, et justification non exempte d’ambiguïtés, qui aboutira à la conception allemande de la banque centrale.[6]

 

L’ordo libéralisme allemand, sous-produit d’une histoire pluri séculaire, n’est  pas facilement compréhensible. Son point de départ est à priori proche de celui des libéraux qui considèrent que l’interaction sociale se doit d’être le fait d’individus responsables de leurs choix. Pour autant, proches de « l’ordre spontané » Hayékien[7], les auteurs de l’école de Fribourg considèrent que le marché génère aussi des situations de monopole et des rentes incompatibles avec un intérêt général.

Il existe donc un intérêt général qui, toutefois, n’est pas « l’optimum » que l’on rencontre dans la théorie néoclassique, laquelle ouvre la voie à la présence d’un Etat parfois chargé d’y conduire. A l’inverse, l’Etat pouvant lui-même introduire des inégalités, les théoriciens préfèrent parler d’une Constitution de l’économie, c’est-à-dire un ensemble de règles analogues à celle des Constitutions  politiques, règles qui s’imposeront à l’Etat comme s’impose à lui la norme juridique la plus élevée.

Les habitués de ce blog comprendront mal l’émergence de règles encadrant aussi bien les choix individuels que les choix politiques et règles censées générer un intérêt général qui ne fait pas l’objet d’une définition précise[8]. Par contre, il importe de voir que la Constitution de l’économie intègre une composante monétaire, dont la réalité est de créer un ordre qui là aussi, dépasse et encadre les choix individuels et politiques.

Bien évidemment, la vision de la monnaie ne peut qu’être normative et les théoriciens de l’ordo libéralisme,  ne cherchent pas à produire une définition de la monnaie issue de son mouvement historique propre (monnaie comme objet politique central selon le blog[9]). Par contre, la monnaie issue d’un projet complètement normatif, devra être sanctuarisée et ne pourra faire l’objet d’aucune manipulation privée ou publique. Sans doute est- elle juridiquement définie, donc définie par l’Etat, mais elle est indépendante des pouvoirs politiques, comme l’ensemble du corpus juridique qui, constitutionnellement, s’impose à l’Etat lui-même. De la même façon que l’Etat est le serviteur des règles juridiques qu’il impose et à ce titre se doit de respecter l’indépendance de la justice, il doit aussi respecter la monnaie dont il assure la définition et le cadre de fonctionnement, en s’interdisant de l’utiliser à son profit sous la forme d’un crédit. Nous retrouvons ici la subtilité allemande  d’Etat suffisamment fort pour ne pas tomber dans les facilités.

Si donc, la sanctuarisation passe par une banque centrale chargée de contrôler la création monétaire classique par des banques insérées dans le marché du crédit, l’Etat ne saurait lui-même être « consommateur » de sa propre monnaie sous la forme d’un emprunt auprès de la banque centrale. Etat et banque centrale ne peuvent que vivre séparément, ce qui va conférer à la dite banque une indépendance, avec toutefois comme objectif constitutionnel de bien respecter la sanctuarisation : la monnaie doit être l’instrument de la stabilité des valeurs et donc la banque centrale aura pour objectif constitutionnel de lutter contre toute dérive inflationniste.

Cet aboutissement de la pensée ordo libérale n’est pas exempt d’ambiguïtés et d’imprécisions et rien ne vient démontrer que « l’économie sociale de marché » qui va concrètement en résulter, est l’outil interdisant l’apparition de rentes que la théorie, encore une fois très normative, voulait combattre. Ainsi la stabilité monétaire est sans doute favorable à l’émergence d’une classe de rentiers dont les intérêts entrent en contradiction avec les groupes exportateurs, voire les salariés. Et c’est bien la rente financière qui va devoir être intégrée dans la gestion planétaire de la grande crise. La répression financière imposée à l’Etat - interdiction d’une rente monétaire pour ce dernier - peut devenir liberté d’épanouissement pour les rentiers privés.

 

Gestion de la grande crise et retour des approches contraires de la liberté

 

La fin du siècle dernier, qui voit le grand mouvement d’indépendance des banques centrales, correspond de fait à la victoire du paradigme culturel allemand, paradigme qui ne correspond pas exactement, ni au paradigme anglo-saxon ni au paradigme français. Et la gestion de la présente grande crise a pour effet très visible de faire réapparaitre, au-delà de la fiction d’une norme devenue mondiale, les différences culturelles concernant la façon de concevoir la liberté.

C’est le monétarisme américain[10] et plus encore les nouveaux classiques qui ont aidé l’ordo libéralisme allemand à dessiner les contours des banques centrales du monde à la fin du siècle dernier. Et, à l’époque, la grande peur de l’inflation a engendré le même bouc émissaire, à savoir les Etats. Dans ce grand mouvement, les différences culturelles fondamentales furent oubliées. La grande crise les fait réapparaitre et cette fois probablement au détriment de l’Allemagne qui devra choisir entre la fin de son ordo libéralisme et sa sortie de la zone euro.

Les banques centrales anglo-saxonnes, au beau milieu de la grande crise, ne sont pas soumises à la normativité ordo libérale. Liberté, propriété et marché ne connaissent pas de limite venant les surplomber. Que le marché dans son fonctionnement débouche sur des situations de monopole et de rente ne gêne que si des droits fondamentaux ne sont pas respectés. Sans doute la hausse des prix est-elle une variable importante, mais la monnaie n’est en aucune façon sanctuarisable. Et comme le tout marché l’emporte dans la genèse du ciment social, la vraie contrainte est davantage un niveau d’emploi compatible avec la cohérence sociale. Les gestionnaires de la banque centrale américaine ne peuvent ainsi se couvrir des habits de l’ordo- libéralisme et doivent ajouter une dimension croissance et emploi à leur feuille de route. L’intérêt général se ramenant pour l’essentiel au « rêve américain », la création monétaire massive n’est pas rejetée si elle a pour vertu de maintenir le rêve. Ajoutons que s’agissant des USA, aucune contrainte monétaire extérieure ne s’impose, ce qui signifie une grande liberté dans la création de monnaie. Liberté aujourd’hui complètement assumée pour tenter d’éteindre l’incendie de la crise.

 

La banque centrale française est bien évidemment plongée dans le système européen de banques centrales et, de ce point de vue, l’Etat qui lui correspond, sera de plus en plus tenté de cesser l’aventure ordo libérale. Les rentiers ont massivement profité de ce qu’on a appelé la fin de la « répression financière », mais, parce que dans la tradition française la liberté ne se réduit pas à la propriété et au marché, c’est dans ce dernier pays que la rente financière prend les risques les plus importants, d’où l’attachement considérable des milieux qui en profitent à ce qu’on appelle le « couple franco-allemand ». La banque de France, devenue objet étranger dans son propre pays, sera de plus en plus soumise à de très fortes contraintes impulsées par la crise et la tradition culturelle française.

 

Mais l’Allemagne elle-même, sera contrariée par sa tradition culturelle. Déjà le comportement de la BCE n’est plus en accord avec la grande tradition ordo-libérale[11]. Alors que, naguère, la banque centrale, qu’elle soit européenne ou simplement allemande, se devait d’être l’équivalent d’une cour suprême ou un conseil constitutionnel veillant à la sanctuarisation de la monnaie - exactement comme le principe d’indépendance de la justice et de respect du droit -  la BCE est devenue dépendante d’intérêts privés et publics : le système bancaire européen devenu massivement insolvable, qu’il faut aider, et les Etats européens eux-aussi insolvables et qu’il faut, au moins de manière détournée, aussi aider.

C’est dire que l’impérium allemand s’est réduit au strict territoire national, territoire lui-même contesté puisqu’il a bien fallu au travers de péripéties fort multiples en arriver à ce que le contribuable allemand soit sollicité pour financer, banques et Etats européens impécunieux[12]. La seule résistance de l’ordo libéralisme traditionnel n’étant que celle offerte par la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe. Empiriquement, les racines culturelles allemandes, très gravement menacées, se lisent dans la volonté de maintenir un système de retraites adossé à un vieux pays, système qui font les préoccupations des fonds de pension.

Le respect de l’ordo libéralisme  n’est donc plus véritablement tenable, sauf à décider de quitter la zone euro. Hypothèse de plus en plus crédible avec l’aggravation continue de la crise. Et hypothèse qui ne ferait que gagner du temps car si les rentiers seraient grandement favorisés par une sortie avec hausse mécanique du taux de change qui s’en suivrait, le groupe des grands exportateurs serait lui très lourdement pénalisé.

La France,  dans ses traditions, et excepté sa classe rentière fondamentalement non entrepreneuriale[13],  ne peut accepter l’ordo libéralisme. Elle y mettra fin d’une façon ou d’une autre.

L’Allemagne tente de son côté de maintenir sa tradition, alors même que son groupe exportateur très puissant n’y a pas intérêt. La guerre planétaire des monnaies, qui se développe, pour chacun tenter de se sauver des griffes de la grande crise, débouchera sur des conséquences implacables pour une Allemagne dont le solde extérieur est excédentaire de près de 6 points de PIB. [14]

 

Clairement, le « couple franco-allemand » est aussi devenu une alliance entre la rente française et le groupe exportateur allemand. Les rentiers allemands auront de plus en plus de mal à supporter les aides vers les pays du Sud via le FESF et le MES.[15]Ils ne pourraient en aucune façon accepter les énormes transferts imposés par un fédéralisme complet.[16]

Cette alliance doit logiquement se rompre car les transferts vers le sud seront aussi payés par l’ensemble des contribuables allemands et donc aussi le lobby exportateur, qui aura à arbitrer entre la, hausse de la pression fiscale et la chute de ses débouchés.

Cette alliance était clairement favorable à l’Allemagne et tout aussi clairement défavorable à la France. Ce dernier pays en a payé le prix d’une très forte désindustrialisation, assortie d’une fin de la répression financière qui n’a même pas enrayé la chute historique de l’investissement. La fin de cette alliance, fin qui serait aussi très favorable aux rentiers allemands avec gains en actifs du fait du Mark fort, serait favorable à la France. On peut donc imaginer de profonds changements à venir sur les marchés politiques allemands et français.

 



[1]Concernant l’idée d’un décalage entre offre globale mondiale et demande globale mondiale on pourra lire : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-de-say-comme-obstacle-à-la-lecture-de-la-grande-crise-115527906.html

[2] Robert Nozick, dans « Anarchie, Etat et Utopie » PUF, 1988, parle de justice procédurale pour évoquer le résultat d’un jeu social, que ce dernier soit de l’ordre du simple jeu (échecs, football etc.) ou du jeu économique. A ce titre un résultat est réputé juste si les procédures qui y ont conduit, ont à chaque étape respecté les droits de propriété fondamentaux. Dans cette conception, que le résultat d’un contrat de travail entre un employeur et des salariés amène le premier à s’enrichir considérablement, n’est pas injuste si le contrat dans toutes ces clauses respecte les droits fondamentaux, notamment ceux de la liberté contractuelle et si, bien évidement, ces clauses ont été respectées durant le jeu.

[3] Ce point de vue est notamment celui bien analysé par Philippe d’Iribarne dans « La logique de l’honneur » Seuil 1993.

[4] La justice résultat, à l’inverse de la justice procédurale, apprécie le résultat du jeu pour le déclarer juste ou injuste en fonction d’une simple opinion de justice. La justice résultat n’intervient en général pas dans les jeux traditionnels (Echecs, football, etc.) où seule compte une justice procédurale ( les règles du jeu ont-elles été respectées ?) mais elle intervient massivement dans le jeu de l’économie et se trouve être à la base des politiques dites de redistribution.

[5] Ces auteurs sont rassemblés dans ce qu’on a appelé l’école de Fribourg qui a connu ses moments de gloire entre les deux guerres mondiales et après la seconde guerre pour engendrer ce qu’on a appelé « l’économie sociale de marché ».

[6] Les développements qui suivent s’inspirent partiellement de l’article d’Eric Dehay :  «  La justification ordo libérale de l’indépendance des banques centrales », Revue Française d’Economie, Vol 10, N°1 1995, PP. 27-53.

[7] Cf notamment l’ouvrage majeur de Hayek : « Droit, Législation et Liberté » PUF,1985, et particulièrement le tome I où l’auteur développe sa grande distinction entre les ordres spontanés (plutôt le monde anglo-saxon) et les ordres organisés (plutôt l’ordre français). Soulignons qu’il y a eu de nombreux contacts entre les ordo libéraux allemands et la «  Société du Mont Pèlerin » fondée par Hayek après la seconde guerre mondiale.

[8] On pourra ici s’intéresser à des textes comme http://www.lacrisedesannees2010.com/article-le-monde-tel-qu-il-est-78572081.html, ou « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat » (texte du 16 février 2010).

[9] Cf http://www.lacrisedesannees2010.com/article-monnaie-bien-sous-tutelle-ou-objet-politique-central-115094856.html

[10]Notamment sous l’égide de Milton Friedman qui pourtant n'était pas favorable à l'indépendance.     

[11]Notamment avec les dispositifs LTRO, OMT, ELA et surtout des taux proches de zéro qui finissent par peser sur la rente financière.

[12]Notamment avec le MES et demain avec l’union bancaire.

[13] Il faut toutefois noter que la rente française est largement inscrite dans l’immobilier, ce qui veut dire que la part strictement spéculative et financière est relativement réduite. Une « euthanasie des rentiers » en ce qu’elle serait davantage slogan que réalité,  présenterait ainsi des risques politiques relativement limités.

[14] On peut estimer qu’une sortie de la monnaie unique pourrait porter l’euro allemand à 1 ,6 dollar. Dans le même temps la banque centrale japonaise ayant de fait déjà dévalué le yen de près de 20% depuis le début de l’année, on conçoit l’énorme contrainte qui pourrait survenir au détriment du lobby exportateur allemand.

[15] 319,7 miliards d’euros selon Jean Pierre Vesperini. CF : « l’Euro’ », Dalloz, 1993.

[16] Plus de 10 points de PIB pendant au moins dix selon Jacques Sapir.

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24 avril 2013 3 24 /04 /avril /2013 14:38

La société française est bien une exception: c'est elle qui historiquement a engendré la modernité ou le grand basculement du monde. En supprimant, il y a plus de deux siècles, une monarchie de droit divin, les sujets de l'époque - tout au moins certains d'entre eux -  ont brutalement pris conscience que le monde des humains avec ses règles et institutions n'avait rien de naturel et qu'il était une construction humaine. La modernité était née et nous n'avons pas tout de suite pris conscience de sa radicalité.

 

Si, effectivement, ce qui gère les rapports des hommes entre eux ( règles de droit, de pouvoir, habitudes, normes sociales y compris celles de l'espace domestique, valeurs et croyances, etc.) est une construction humaine, alors tout relève de l'arbitraire humain et tout peut être contesté et soumis à changements. La modernité naissante - celle de l'été 1789-  ne pouvait se borner à l'émergence d'une simple monarchie constitutionnelle et se devait d'être un processus beaucoup plus révolutionnaire dont le mariage pour tous devait en être un sous-produit parmi tant d'autres passés et à venir.

 

Les résistants à l'avalanche de la modernité ont  historiquement  connu une très longue série  d'échecs ou de replis dont le dernier en date est celui de la promulgation d'une loi concernant le mariage des homosexuels. Les débats concernant ladite loi se sont bien inscrits sur le même terrain ouvert en 1789: il existe des rapports domestiques qui relèvent de la nature et celle-ci est un sanctuaire qui ne peut être soumis à l'arbitraire d'une loi qui ne serait pas simplement déclarative de l'ordre naturel. Et puisqu'il fallait bien reculer comme ce fut toujours le cas depuis 1789, il fallait au moins que cette loi soit autre que celle promulguée par une simple majorité parlementaire. D'où l'idée de référendum.

 

Il n'est pas étrange que les groupes opposés au mariage pour tous flirtent aussi avec certains défenseurs de l'écologie qui n'acceptent pas que la nature puisse être aussi réduite et transformée par la grande machine de la modernité. Parce que dans le programme de cette dernière tout peut être transformée alors la nature devient elle-même assemblage technologique que l'on peut domestiquer ou reconfigurer. Ce que ne peuvent accepter les conservateurs pré-modernes.

 

Ces mêmes groupes sont parfois génés dans ce domaine particulier de l'interaction sociale qu'est l'économie. Plutôt conservateurs, ils se méfient de la mondialisation dont les acteurs sont beaucoup moins génés par une modernité dont ils n'ont pas connu l'acte de naissance: ne pas être français c'est ne point être enkylosé par une trop lourde histoire. D'où un mariage pour tous plus facile à obtenir dans nombre de pays occidentaux dont la culture est pourtant souvent conservatrice (Belgique Espagne,etc.)

Pour autant ces groupes de résistants français ne s'attaquent pas  à la dérive délinquante de la mondialisation financière.  Atteints malgré eux par la modernité triomphante, ils pensent sans doute sincèrement que l'économie et ses lois relèvent de la nature, et qu'à ce titre rien ne peut être fait pour en transformer le fonctionnement. Etre simplement keynésien n'est  pas envisageable pour ces résistants.

Ce faisant ils ne sont pas complètement séparés de ceux qui, continuant à croire aux mérites grandioses de la modernité, se sont trouvés bloqués par les mirages de l'économie : tout, absolument tout, peut être transformé, mais les lois de l'économie sont devenues pour eux aussi sacralisées que les princes de naguère. On peut légiférer sur le mariage, mais arrêter le glissement massif du secteur bancaire vers la délinquance est hors de portée pour ces défenseurs de la modernité.

Cette très vieille opposition entre groupes sociaux antagonistes fait le bonheur des vrais prédateurs.

Immanence et transcendance sont de très lours poids pour l'humanité. Plus particulièrement en France.

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5 avril 2013 5 05 /04 /avril /2013 14:48

                                                

L’opération « offshoreleaks » et le dur labeur qui lui correspond confirment  que la mondialisation reste la belle histoire que l’on raconte aux enfants. Le monde des marchés globalisés et généralisés est loin d’être lisse, n’est pas liquide et se trouve aussi peuplé de « grumeaux » irréductibles, ou parfois de trous noirs inaccessibles.

La mondialisation n’est en aucune façon le dépérissement des Etats qui à force de coopérer après s’être fait la guerre en finirait par se liquéfier. Elle n’est à l’inverse qu’une transformation de leur mode d’existence et accessoirement leur multiplication.

Issu d’une longue évolution, ce qu’on appelle le politique en tant que substance commune à un groupe humain, fût progressivement maitrisé par certains de ses membres, lesquels sont devenus les représentants de ce qu’on appellera plus tard l’Etat. Fondamentalement l’essence de l’Etat est l’appropriation à titre privé des outils du politique, ce qui en fonde sa nature profondément prédatrice. Structure spatialement clivante en ce que les prédateurs sont tenus de fonder des frontières garantissant un domaine réservé à chacun d’eux. Dans un tel monde la guerre entre les « peuples » en voie de constitution a pour objectif la redéfinition du partage de la prédation globale entre ceux qu’il convient d’appeler des « entrepreneurs politiques ». L’ordre humain est ainsi composé de "grumeaux" appelés royaumes ou empires.

Comme beaucoup plus tard les entrepreneurs économiques, ils maitrisent privativement des moyens de production (esclaves travaillant pour l’Etat, paysans corvéables et  imposables, etc.) et sont en concurrence avec d’autres entrepreneurs politiques où les prix de marché sont remplacés par la guerre.

Beaucoup plus tard encore, la montée de l’économie devient une source de prédation qu’il convient peut-être de promouvoir si toutefois il est possible de « partager » : les entrepreneurs politiques finissent par protéger des entrepreneurs économiques qui multiplient la richesse disponible…et taxable... Le temps mercantiliste s’introduit dans la scène globale et nous sommes à la fin du moyen-âge. Et déjà une mondialisation qui génère potentiellement de nouveaux « grumeaux » avec des prédateurs locaux, notamment intéressés par le métal précieux, prédateurs ancêtres de paradis fiscaux qui font selon l’expression de Marx « l’accumulation primitive du capital ».Un peu comme aujourd’hui où l’argent sale qui arrive à Chypre s’en retourne blanchi en Russie.

Si avec le temps, et peut être en correspondance avec la montée de l’économie, l’idée de droit de l’homme émerge, la prédation devra se redéfinir, l’impôt devenant « consenti » par le citoyen et la prédation qui lui correspond, devenant démocratiquement distribuée. La forme « Etat de droit » est le nouveau visage de l’Etat. La fiction d’un intérêt général en fait son armure idéologique.

Si l’économie devient un fait socialement dominant  les frontières dessinées par les entrepreneurs politiques, sont contestées par les entrepreneurs économiques les plus dynamiques. Il leur faudra une toute autre mondialisation et ses acteurs se feront plus gourmands : il faut mettre fin à certaines frontières, privatiser au moins partiellement ce grand monument régalien qu’est la monnaie exprimant d’inacceptables frontières,  supprimer ces écluses que sont les droits de douanes, ou les normes nationales, etc.

Comme la monnaie ne peut être un bien libre car devant s’appuyer sur une base légale et donc politique, et qu’aucune instance politique mondiale n’émerge, il faudra se contenter d’une privatisation partielle : les taux de change entre monnaies restées légales, sont simplement définis par le marché et non plus soumis au politique, ce qui facilite la totale liberté de circulation du capital. Mais aussi une fort lucrative spéculation.

Cette ambiguïté sur la monnaie et la finance est le vecteur d’une mondialisation qui n’en est pas une : des frontières vont subsister et vont faciliter une grande osmose entre entrepreneurs politiques et entrepreneurs économiques. Derrière la mondialisation se cache encore les Etats .

Les entrepreneurs économiques qui ont acheté aux entrepreneurs politiques la fin des vieilles frontières sous la forme du libre-échange ont dû pénétrer la grande machine régalienne de la monnaie pour la redessiner, d’où la formation d’un groupe social syncrétique, aujourd’hui appelé oligarchie, et qu’il est difficile de distinguer du monde politique du monde économique. Avec des mouvements dont le sens est imprimé par des traditions culturelles : Aux USA on part de la finance pour aller vers le politique, tandis qu’en France on part du politique pour aller vers la finance.

Ce groupe social avec la population de techniciens qui l’accompagne et qui lui est dévouée (juristes, fiscalistes, traders, informaticiens, mathématiciens, évaluateurs, etc.) est en apesanteur et se constitue en classe mondiale. il lui faut pourtant prendre appui sur  des frontières, et donc des Etats, pour se mondialiser . C’est que le profit qu’elle « produit » rémunère pour partie, non pas le résultat de la production d’un bien ou d’un service, mais la différence entre Etats : spéculation sur le FOREX, donc sur les taux de change, sur les taux d’intérêt, mais aussi différences entre législations diverses et plus particulièrement fiscales. Les Etats sont donc des « grumeaux » fondamentaux : sans eux point de profit « mondial » sur simple différence.

D’où bien des interrogations dans ce type de monde concernant la valeur ajoutée produite : désormais on fabrique de la monnaie sans produire de la richesse. Les algorithmes produisent de l’argent en manipulant d’autres algorithmes, en manipulant les cours, en produisant de la volatilité et non de la liquidité ou de la profondeur de marché. Et comme tout peut devenir sous-jacent ( monnaie, taux, CDS, matières premières, produits agricoles, etc.) les algorithmes produisent de l’argent sans même en connaitre l’origine. Au moins Philippe Le Bel, lui savait d’où provenait l’argent qu’il « créait ». Cette mondialisation bienheureuse fait que l’entreprise casino est préférable à l’industrie et que les facilités informatiques aidant c’est au total une population croissante qui s’émerveille du monde nouveau : il devient possible, comme le proclame la publicité, pour les chômeurs de l’économie réelle, de s’installer Trader.

  Comme dans les entreprises casinos, les experts en optimisation fiscale produisent de l’argent et se rémunèrent sur de simples différences, ici de pression fiscale entre Etats. L’optimisation fiscale et la fraude fiscale ont toujours existé…mais se trouvent grandement facilités quand le coût de l’utilisation de la différence s’effondre. Jadis la fraude supposait des coûts concrets très élevés en raison des contrôles de change et des freins à la libre circulation du capital. Les Etats n’avaient pas encore vendus les opportunités liés à leurs différences, ce qui leur permettait de maintenir leur autonomie. La classe mondialisée a obtenue par la prise de contrôle partiel de la monnaie la fin de la protection de la différence. La fausse valeur qu’elle peut produire est d’autant plus élevée que la différence est élevée. On conçoit par conséquent le nécessaire gonflement des paradis fiscaux, il est vrai aussi, gonflement facilité par des outils informatiques de plus en plus puissants.

Les chiffres sont désormais connus et il devient inutile de les rappeler. Par contre ce qu’il convient de préciser est que ce qu’on appelle mondialisation n’est pour partie, qu’une gigantesque redéfinition du partage de l’antique prédation des Etats.

Au niveau des vieux Etats, la montée continuelle de l’économie et ce qui lui semble associée à savoir l’individualisme radical, effacent progressivement l’idéologie d’un intérêt général et le holisme qui le sous tendait. La reconduction au pouvoir des entrepreneurs politiques est de plus en plus passée par la distribution de «  droits liberté » et le retrait de devoirs de citoyenneté. La reconduction au pouvoir passe donc par « l’ouverture » et notamment la dérégulation tant demandée par les entrepreneurs économiques les plus dynamiques.

Cette ouverture exigée peut –être favorable à des stratégies d’autres Etats qui misent sur la saignée de plus anciens (Luxembourg  ou Suisse par exemple) ou sur une construction de nouveaux Etats animés par des entrepreneurs politiques dynamiques ou simples valets du monde de l’économie mondialisée (« juridictions à palmiers »).

L’ère des « grumeaux » et non pas celle de la mondialisation redéfinit les rapports entre classes sociales. La classe mondialisée a acheté aux vieux Etats l’affaiblissement des « Etats Providences » et les a plongé dans la dette dont elle profite grandement puisque cette dernière devient « minerai de finance » comme il existe aujourd’hui du minerai de viande.

Une fois cet achat effectué, les vieux Etats perdent progressivement leur visage d’Etat de Droit. Les errements des entreprises casinos souvent installées dans les paradis fiscaux et celles de la finance improductive peuvent entrainer de gigantesques crises dont le coût est supporté par des citoyens qui ne peuvent que payer l’impôt et se rendent compte qu’il n’est que très formellement consenti. Ce qui marque une étape nouvelle dans la très vieille aventure des Etats.

L’opération « offshoreleaks » permettra-elle de changer le monde ?

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3 avril 2013 3 03 /04 /avril /2013 13:43

 

 On trouvera dans le présent abrégé, un résumé  des principaux problèmes et les solutions apportées aux grands risques provoqués par le  démantèlement de la zone euro lorsque celui çi sera décidé ou tout simplement sera imposé par les évènements. Les habitués du blog retrouveront beaucoup de points souvent défendus.

 

 

               1) Autour du chantier une coopération très difficile entre les Etats. 

 

               - Par ce que le diagnostic de la crise n’est pas le même pour tous. Beaucoup imaginent que la crise est simple crise de l’euro zone et peu d'observateurs découvrent un lien entre les 3 crises : euro-      Finances - déséquilibres économiques globaux issus de la mondialisation. Or si la crise est aussi celle de la  mondialisation on ne pourra faire l’économie d’un chamboulement beaucoup plus global.

               -   Parce que tous les Etats ne sont pas au même niveau de difficultés.

               - Parce que le statut de « passager clandestin » veut être maintenu le plus longtemps  possible : on va jusqu’à la rupture et le principe de précaution n’est pas de rigueur.

               - Parce qu’il existe fondamentalement, y compris chez les dirigeants,  une grande   méconnaissance de la théorie économique et au-delà, des sciences sociales en général.

                - Parce que le démontage suppose un énorme travail de préparation sur de très nombreux  dossiers  (périmètre du démontage, taux et régime  de change , conséquences sur les   institutions financières et l’euro système) qui ne peut être mené à l’abri d’une forte pression   des acteurs financiers en recherche de protection ou de gains spéculatifs gigantesques. Enormes risques de délits d’initiés et de conflits d’intérêts (cf famille du président   Anastasiades à Chypre).

 

               2) Les effets immédiats du démontage et la liste des problèmes à régler

 

               -   Les perturbations bilantaires à maitriser : fuite gigantesque vers la qualité au niveau de  

                   toutes les institutions financières (Banques, Assurances, fonds de pension, Hedge-funds).

               -  Veiller au gigantesque effet "aile de papillon" partant d'un bilan bancaire

                 petit, pour infecter un plus important et de proche en proche d'énormes bilans                                      (l'exposition des banques allemandes est respectivement de 9% des bilans    

                 sur les banques  du sud et de 19% sur celles des paradis fiscaux de la zone).

               -   Règlement du problème  de la disparition de la liquidité et des marchés interbancaires.

               - Règlement des dettes publiques considérablement déformées : certes diminuées pour  certains (nord) mais considérablement  accrues pour les pays  le plus   en difficultés (sud)).

               -   Quelle autorité sur les banques centrales et le système bancaire ?(si l'euro se              

                   perennise sous la forme d'une monnaie commune, il faudra bien que le BCE soit armée 

                  pour participer à la guerre des banques centrales participant elles mêmes à la  

                  guerre  des taux de change entre dollar, Yuan, Yen, et Livre Sterling.

               - Question du contrôle des réserves de change : euro monnaie commune, ou autres  monnaies ?

 

               3) La solution aux problèmes liés au démontage : moderniser - dans le sens d’un Etat

                   de  droit -  la vieille loi Mésopotamienne d’effacement généralisé des dettes.

 

               - La solution chypriote d’effacement des dettes n’est pas celle d’un Etat de droit :

                                            *  Les  conséquences juridiques de non respect des droits de propriété ne sont pas gérables (risque parrallèle à celui des Etats harcelés par des fonds "vautours"). 

                                             * L’anomie engendrée risque d’être  contagieuse à l’échelle de la zone euro   (principe général d’une fiscalité aux fins des seules dépenses publiques   + principe général d’équité de la répartition des charges publiques avec  contrôle de constitutionalité).

                                            * Il existe un risque géopolitique

 

                - Respect de l’Etat de droit et  principe général du respect des contrats :

 

                                            * Garantir tous les actifs en déclarant l’intangibilité de leur valeur nominale     pour tous  les acteurs touchés par les modifications de taux de change (principe d'un effet neutre sur tous les bilans malgré le démontage, et donc principe bloquant tout mouvement spéculatif, tout effet aile de papillon). 

                                             * L’outil du maintien de l’Etat de droit : les banques centrales qui monétisent  et « obéissent » aux Etats au moins durant toute la durée du démontage.   (Principe inspiré par l’Emergency Banking Act  du 9 mars 1933 décidé par le  président Roosevelt). Les Etats assurent le principe d'effet neutre sur tous les bilans de tous les agents en utilisant la création monétaire propre aux banques centrales. 

 

 

               4)  Les conséquences indirectes du démontage

 

               -     L’apparition de nouveaux coûts de couverture du change et de nouveaux taux de change milite pour la réduction de l’émiettement des entreprises de l’économie réelle : démondialisation, réindustrialisation et rééquilibrage des comptes extérieurs .

               -     L’apparition de taux de change politiques milite pour la réduction du poids des systèmes  financiers :

                                             * les activités de tenue de marché deviennent plus couteuses (cf la taxe Tobin européenne dont le coût serait estimé à 17milliards d'euros pour le seul Crédit Agricole) et plus  risquées : avenir devenu incertain (parce que politique) et non plus probabilisable (cf la célèbre distinction de Keynes) 

                                             * la disparition de la monnaie unique fait disparaitre le dogme de l’impérative  libre  circulation  des capitaux.  

                                            *   le choix possible de taux de change fixes assèche les jeux financiers qui se  nourrissent de l’instabilité. (retour à une version type Bretton -Woods et abandon des accords de la Jamaïque du 8 janvier 1976). 

 

   

                 Conclusions :

 

                                      -  Système financier balkanisé , démondialisé et de taille plus réduite.

                                      -  Début de dé financiarisation du monde

                                       Rétablissement de la souveraineté monétaire

                                       - Dette publique renationalisée.

 

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28 mars 2013 4 28 /03 /mars /2013 18:06

 

 

 

 

Le système financier de Chypre bénéficiait d’un soutien exceptionnel à la liquidité bancaire depuis le Haircut grec. Ce soutien appelé  « Emergency Liquidity Assistance » est prévu par les statuts de la BCE et se trouve explicité dans un numéro de son Bulletin mensuel[1].

 

Un dispositif détourné de ces objectifs règlementaires

 

Dans le cadre de cette action les Banques centrales nationales sont entièrement autonomes mais sont tenues de respecter quelques principes : assistance aux problèmes de liquidité ne pouvant se régler sur le marché interbancaire, ce qui signifie bien évidemment un interdit absolu d’aide en situation d’insolvabilité, caractère exceptionnel et très temporaire de l’aide, taux pénalisant, et remise d’un collatéral de qualité.

 

Ce dispositif fût utilisé -sans en respecter les contraintes et donc d’une certaine façon illégalement – par la Banque centrale d’Irlande au début de l’année 2011 pour un montant de 70 milliards d’euros.

 

Ce même dispositif fût  utilisé par la Banque centrale de Chypre pour un montant de 9,2 milliards d’euros, soit relativement beaucoup plus que dans le cas Irlandais (54% du PIB contre « seulement » 33% pour l’Irlande)[2]. On ignore comment se déroule cette gigantesque création monétaire puisque l’opacité de la Banque centrale fait qu’aucune information n’est fournie sur la qualité du collatéral fourni par les bénéficiaires. On peut toutefois penser que les actifs remis notamment par Laïki Bank et Bank of Cyprus sont de qualité bien plus douteuse encore que ce qui avait été imaginé pour l’Irlande. Surtout le potentiel de l’Irlande est très supérieur en ce que ce dernier pays dispose d’une réelle compétitivité qui se matérialise par une légère  croissance de son PIB[3].

 

C’est probablement en raison de la gravité de la situation chypriote, elle-même pimentée par la réputation de lessiveuse de capitaux douteux, qui a déclenché l’ultimatum de la BCE et la « solution » que l’on connait.

 

Il convient toutefois de réfléchir sur la nature profonde de  cette massive création monétaire, et aux armes géopolitiques qu’elle peut donner aux entrepreneurs politiques russes.

 

Une véritable dilution de la monnaie unique

 

Nous ne sommes pas ici dans la situation classique d’émission monétaire accompagnant la croissance du PIB par le financement d’investissements dans l’économie réelle. Dans le classique système des réserves fractionnaires, les crédits à l’économie font les dépôts, et la Banque centrale accompagne le mouvement, par émission de monnaie légale issue de la production croissante de richesse. Si maintenant le revenu correspondant est entièrement dépensé, l’émission monétaire se trouve pleinement justifiée. Le statut de prêteur en dernier ressort, qui accompagne la croissance monétaire et la richesse distribuée qu’elle autorise, n’est donc  pas équivalent à celui de faussaire , ou d’acteur chargé de la  dilution des monnaies.

 

Historiquement, la dilution était pratique courante chez ces ancêtres des Banques centrales qu’étaient les hôtels des monnaies, ou plus tard, lorsque les modernes instituts d’émission étaient soumis aux entrepreneurs politiques, eux-mêmes aux prises avec des circonstances exceptionnelles.

 

Les statuts de la BCE n’évoquent évidemment pas le terme de dilution et s’en tiennent à priori au retour de la dure « loi d’airain de la monnaie »[4]. Pour autant les récents dispositifs mis en place, dont les LTRO , l’OMT et surtout le mécanisme appliqué à Chypre relèvent complètement du mécanisme de la dilution. Accepter  sans haircut de la part de Laïki Bank ou de Bank of Cyprus du collatéral exprimé en dette publique grecque, ou en dette privée non recouvrable, correspond très exactement à l’équivalent de l’amoindrissement de la teneur des pièces, refondues dans les ateliers de rénovation monétaire du moyen âge. Les quantités astronomiques de nouveaux euros généreusement distribués- notamment à Laïki Bank - sont invisiblement allégées comme l’étaient les nouvelles pièces sortant des ateliers de rénovation monétaire.[5]

 

La fin de la double lessiveuse

 

Le système bancaire chypriote est ainsi devenu le mécanisme de la double lessiveuse : du côté du passif du bilan on blanchit des dépôts, tandis que du côté de l’actif, autre forme de blanchiement, on requalifie la composition en échangeant des titres démonétisés contre de la monnaie légale. Et parce que le dispositif de dilution fonctionne, alors fonctionne celui du lessivage d’argent sale. Et un fonctionnement qui s’est accéléré dès juin 2012 : si des doutes se manifestent chez les déposants d’argent sale en raison d’interrogations sur le bien-fondé du dispositif ELA, il faut davantage soutenir le système  en renforçant la tuyauterie qui le relie à la Banque centrale. D’une certaine façon la situation ne pouvait pas durer et la BCE ne pouvait, en ne respectant pas ses propres règles de fonctionnement,  devenir complice actif de la lessiveuse. Nous disons bien actif, car auparavant, et ce jusqu’à la crise grecque elle n’embrassait  que le statut de complicité passive et se contentait simplement de fermer les yeux.

 

L’accord conclu le 22 mars dernier est exceptionnellement douloureux pour Chypre et pourrait sans doute être gommé, si un tel processus d’effacement devait correspondre aux intérêts des entrepreneurs politiques russes.

 

Hypothèse d'un ELA nouveau et possible avenir russe

 

Comme pour tous les Etats, quel qu’en soit son stade de développement, La fiction d’un intérêt général existe en Russie[6], fiction utilisée à des fins privées, comme partout ailleurs, par des entrepreneurs politiques. Dans le cas particulier de la Russie, la question est de savoir jusqu’à quel point le président russe peut  protéger  ses oligarques sans remettre en cause l’idéologie d’un intérêt général.

 

 De ce point de vue, mettre en avant le fait que la fuite des capitaux vers Chypre n’est que temporaire en ce que l’île est le premier investisseur étranger en Russie, et surtout avoir la possibilité de la détacher de l’Union européenne et l’arrimer à l’orbite russe, constituent un produit politique de premier choix[7]. Produit qui peut présenter un coût dans la question des rapports avec la Turquie, et coût difficile à estimer.

 

L’intérêt géopolitique des entrepreneurs politiques russes pourrait alors correspondre a un schéma financier que l’on peut brièvement décrire.

 

Dans un premier temps, la Banque centrale de Russie dont le gouverneur nouveau est peu indépendant[8], reçoit l’ordre de se substituer à la BCE dans le programme ELA. Concrètement des dépôts sont ouverts au passif de la BCR[9], dépôts alimentés par pure création monétaire au profit des banques chypriotes fonctionnant traditionnellement comme lessiveuse.

 

Aucun collatéral n’étant exigé, les banques chypriotes redeviennent solvables et sont heureuses de répondre positivement à l’offre de la BCR. Comme elles l’étaient quand la Banque centrale de Chypre alimentait généreusement leurs comptes .Le grand mensonge sur les respect de la loi d'airain de la monnaie ne saurait être le monopole de la BCE, et la BCR peut devenir un redoutable concurrent. 

 

Les dépôts des oligarques sont ainsi sécurisés et peuvent continuer à alimenter les investissements sur le territoire russe. Ils peuvent aussi être convertis en devises dans le cadre de la bande de fluctuation du rouble.

 

Chypre peut rester dans la zone euro et il est difficile pour la BCE de ne pas accepter la situation nouvelle engendrée par la BCR.

 

Bien évidemment le gouvernement chypriote et l’ensemble de la population de l’île peuvent se féliciter du sauvetage de Chypre par le gouvernement russe. Avec les conséquences que l’on peut imaginer…y compris sur le terrain des facilités militaires…

 

Ce schéma n’est évidemment que de la simple et trop facile prospective sur le fonctionnement à venir des marchés politiques.

 

Il montre néanmoins toute la fragilité de la construction européenne et en particulier de sa zone euro, dans sa présente configuration. Une monnaie, faut-il le rappeler est un objet politique central[10] : l’euro protégé et surtout englué dans une gigantesque technocratie est une monnaie orpheline et de redoutables prédateurs peuvent en abuser.

 

Il démasque aussi l’idéologie de la mondialisation : les Etats ne disparaissent pas et ne font que se reconfigurer avec la montée de l’économicité planétaire. Et dans une telle configuration, l’abandon du pouvoir monétaire est une catastrophe dont les conséquences relèvent aussi de considérations géopolitiques.

 

Les dirigeants européens ne comprennent pas la nécessaire congruence entre la monnaie européenne et la  souveraineté qui doit lui correspondre. La monnaie unique ne peut être qu’une fin de parcours politique : elle ne peut fonctionner que dans le cadre d’un grand Etat européen, un grand Etat dont la construction est aujourd’hui encore complètement irréaliste[11].

 

 

 

 

 



[1] Bulletin de Février 2007, pages 80 et 81.

[2] Le PIB Irlandais se montait à 217 milliards en 2011.

[3] Un peu plus de 1% pour 2013

[4] Cf jean Claude Werrebrouck dans le numéro 34 de la revue Médium pages 101-119, Janvier-février-mars 2013

[5]  Avec au moyen- âge, probablement plus de discernement : la dilution n’a jamais représenté en quelques mois 54% du PIB de l’époque.

[6]Cf :  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-euro-certains-furent-davantage-que-passagers-clandestins-45077391.html

[7]Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-le-monde-tel-qu-il-est-78572081.html

[8] Madame Elvira Nabioullina a été nommée gouverneur le 12 mars dernier par le président Poutine et a pour mission de baisser les taux pour relancer la croissance.

[9] Banque Centrale de Russie

[10] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-monnaie-bien-sous-tutelle-ou-objet-politique-central-115094856.html

[11] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-peut-on-fonder-un-ordre-europeen-rawlsien-114879217.html

 

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23 mars 2013 6 23 /03 /mars /2013 23:00

La crise chypriote est un bon motif pour reprendre des textes publiés depuis plusieurs années sur ce Blog. Le très court article suivant fait mention de réflexions antérieures qui permettent de bien comprendre le monde tel qu'il est.

 

 

La monnaie est bel et bien un objet politique central et le spectacle de la rue à Chypre est bien là pour nous le confirmer. Sa pénurie fait disparaitre l'ordre politique et un gouvernement régulièrement élu et surtout très fraichement élu - moins de 3 semaines - perd immédiatement toute légitimité.

Comme l'euro de Chypre, est comme tous les Euros, à savoir non pas une monnaie locale mais une monnaie moderne qui est donc aussi réserve de valeur, la violence à venir ne provient pas seulement de la disparition de la monnaie, mais de l'évaporation des patrimoines.

Si la monnaie chypriote était simplement monnaie locale, les billets en circulation pourraient assurer normalement le lien social. Et c'est du reste, ce qui se manifeste encore plus ou moins, dans les rues de Nicosie : on accepte les paiements en liquide qui, eux-mêmes, assureront d'autres paiements.

 Malheureusement, les billets sont aussi réserve de valeur et donc non seulement ils ne représentent qu'une faible part de la masse monétaire totale, mais au-delà, ils ont tendance à être thésaurisés. Il ne peut donc en résulter qu'une diminution drastique des échanges et, pour les moins pourvus, le recours à la seule violence : des magasins devraient logiquement être dévalisés si une solution rapide n'est pas imaginée. Toujours dette diablesse de "loi d'airain de la monnaie"!

Sans la présence d'une aide russe -question difficile car il n'est pas simple de savoir si le pouvoir correspondant représente d'autres forces que les seuls oligarques utilisateurs de la "lessiveuse" chypriote- le scénario le plus probable est, à court terme, le suivant : Les entrepreneurs politiques chypriotes vont porter sur la table bruxelloise un ensemble de coquilles vides - fonds national de solidarité, taxations de comptes au delà d'un certain montant, création d'une Bad Bank, etc. - mais coquilles qui permettront probablement au terme d'une négociation et d'une décision prise comme d'habitude à l'unanimité , de gagner une fois de plus un peu de temps. Et, devant un accord aussi unanime, la BCE s'empressera de maintenir le dispositif ELA ("Emergency  Liquidity Assistance").

Malheureusement le mal est fait et il sera difficile de rétablir l'ordre politique et l'ordre tout court car la fuite des capitaux, certes très probablemnt puissamment réprimée, correspondra aussi à la fin de la lessiveuse: s'il n'est plus possible de lessiver, alors il faut abandonner le pays.  

 Contexte très difficile pour mettre en place un prétendu fonds de solidarité, même en l'appuyant sur des recettes gazières futures généreuses. Qui peut répondre aux questions suivantes : Quelles sont les réserves? A qui appartiennent t-elles? Chypre ou Turquie, voire Israël? Quels investissements, sachant que l'on travaille en pleine mer? etc.

Le gain de temps sera donc beaucoup plus bref que dans les autres accidents de parcours de l'Euro (Irlande, Grèce, Espagne, Portugal, Italie). Le maillon  actuellement mis sur le devant de la table est bel et bien le plus faible de la chaîne , mais cela  ne veut pas dire que c'est à partir de sa rupture que se déclenchera le Big Bang de la fin de l'Euro. D'autres maillons de la chaîne connaissent une fragilisation croissante malgré tous les plans de productivité. 

Parce qu'encore une fois, tous les passagers sont clandestins et qu'ils veulent le rester le plus longtemps possible, le Big Bang sera déclenché là où les secousses seront le plus durement ressenties.   

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21 mars 2013 4 21 /03 /mars /2013 16:15

      

 

La grande question sera celle du niveau de stress de la communauté financière mondiale. Et ce niveau dépend probablement du mode de passage de l’ancien au nouveau système. Sera-t-il le résultat d’une concertation et d’un plan opératoire ?  Et dans ce cas tous les pays seront-ils consultés ? Ou bien le passage s’opère- t-il  de façon sauvage, est le fait d’un ou plusieurs pays, selon un processus non coopératif, voire selon un mode panique ? Hélas la deuxième solution est celle qui devrait logiquement l’emporter.

 

1) la très difficile stratégie coopérative

 

Il est bien évident que la vitesse d’exécution des décisions constitue la variable clé d’un succès.

Il est aussi évident qu’une coopération pour le changement ne peut intervenir qu’au terme d’une analyse commune d’une situation dont on peut déjà anticiper les contours tant ils sont  apparents.

 

Du côté des forces sociales qui tenteront  de maintenir l’euro, nous aurons : les rentiers qui craignent le retour de l’inflation, les « hyper-consommateurs » de marchandises mondialisées éventuellement équipés de crédits à la consommation moins usuraires, les touristes ennemis de frontières prédatrices, mais aussi les entreprises de l’économie réelle qui ont vu disparaitre avec l’euro les charges de couverture de change et les risques pays, mais enfin une grande partie des classes politiques qui, historiquement, ont milité pour la construction de la zone euro. Cela fait beaucoup de monde et cela explique que, malgré la violence de la crise, les sondages, y compris dans les pays les plus meurtris, restent très favorables au maintien de la monnaie unique. (74% des italiens malgré les dernières élections restent favorables- selon l’institut IPSOS -  au maintien de leur pays dans la zone euro)[1].

Du côté des forces qui se manifestent en faveur de la liquidation, les éléments objectifs l’emportent sur la subjectivité des acteurs et, au-delà des entreprises laminées par la sous-compétitivité induite, c’est le constat de la saignée des pays victimes d’une dégradation très lourde des échanges extérieurs qui, malgré tous les plans de rigueur, ne peuvent refaire surface. Curieusement, la situation objective avec ses manifestations concrètes (entre autres chômage de masse, dette publique ingérable et évaporation de l’Etat- providence) n’altère  pas  les engouements enthousiastes en faveur de l’euro. Cela est peut-être dû au fait qu’un groupe de pays, ceux du nord , sont très favorisés par le système : taux de change plus faibles que celui d’un Mark hors Euro-zone, dévaluation interdite pour les partenaires moins compétitifs etc. mais faveurs qui n’apparaissent que sous la forme de récompense d’un comportement jugé vertueux.

De fait la grande difficulté est que – telle une drogue - les aspects séduisants de l’Euro sont très visibles alors que ses conséquences catastrophiques sont invisibles pour le citoyen non initié à la culture économique. Particularité que l’on retrouve par conséquent dans les sondages.

 

La gestion de la crise a  permis de faire naître une réalité que nous avions anticipée dans « Zone Euro : les clandestins le resteront jusqu’au bout »[2], à savoir le report des charges sur la Banque centrale. Celle-ci monétise désormais massivement et son rôle n’est plus tant d’assurer la liquidité dans le cadre d’une stabilité des prix mais de maintenir le prix des obligations publiques et ainsi d’empêcher tout krach obligataire[3]. Sans le dire, il s’agit là d’un nouveau paradigme pour la BCE qui rejoint en cela les autres grandes Banques centrales. Et nouveau paradigme qui ne peut, au-delà des déclarations, déplaire à l’Allemagne, elle-même soucieuse de maintenir ses capacités exportatrices vis-à-vis d’un concurrent japonais qui, lui, en imposant un changement radical de paradigme à sa Banque centrale va retrouver toute la compétitivité perdue depuis 2009[4].

Il s’agit toutefois d’une gestion non pérenne, gestion qui au demeurant n’a pas abouti à relancer le crédit[5] ni à homogénéiser les taux : les exigences d’une mise à niveau des pays du sud supposent de tous autres moyens[6]probablement inacceptables du point de vue allemand.

C’est la confrontation entre cet inacceptable et le cauchemar d’une crise sociale dans le sud qui peut amener à ce qui serait un accord franco-allemand  de démontage de l’euro. Et cet accord serait d’autant plus probable que l’Allemagne va de moins en moins bénéficier des avantages de la zone et de plus en plus payer les charges de son maintien.

Les avantages diminuent  en raison de l’effondrement de la croissance dans le sud. Les politiques de dévaluations internes[7], inefficaces pour ces pays en raison de l’effondrement de la demande interne,  d’un secteur exportateur trop faible, et d’un alourdissement potentiel de la dette publique, sont douloureuses pour les exportations allemandes.[8]

En contrepartie, les inconvénients augmentent avec les prêts accordés au pays du sud par le biais du FESF et du MES. JP Vesperini estime ainsi, qu’au terme des garanties offertes, de la part de l’Allemagne au capital du MES, l’augmentation de la dette de ce dernier pays serait de 319,7 milliards d’euros, soit 12,5% du PIB[9].

Dans le même temps, certains coûts d’une sortie de l’euro pour l’Allemagne diminuent puisque les débouchés augmentent plus rapidement dans les zones à forte croissante qu’en Europe, argument qui doit toutefois être tempéré par le grand retour d’un Japon plus compétitif en raison de la nouvelle gouvernance de sa Banque centrale.

Ce simple constat édictant une fin de partie pour l’Euro ne signifie pas pour autant un démontage aisé des règles du jeu correspondantes.

Même en supposant que les deux grands pays (France et Allemagne) fassent le constat que les coûts du maintien de l’Euro deviennent supérieurs à ceux de son démantèlement[10], il est fort peu probable d’aboutir à un démontage planifié et coopératif. Un tel plan suppose, en effet, une confidentialité peu réaliste en raison du nombre de participants – probablement plusieurs centaines - aux travaux préparatoires. Le risque d’une fuite associée à des gains spéculatifs colossaux,  est en effet important. On peut même penser que nombre de candidats au délit d’initié sont d’ores et déjà à l’affût.

C’est que le démontage pose de multiples questions. La première est celui de son périmètre avec le choix entre démontage complet, celui de la naissance de plusieurs zones (Nord et Sud par exemple),celui d’un euro maintenu en tant qu’enveloppe, celui des taux de change des monnaies reconstituées, celui de leur espace de convertibilité (uniquement en euro ou en toutes monnaies), celui des pertes et gains sur actifs des institutions financières, celui du traitement des dettes publiques, celui de la liquidation ou non des institutions associées comme le MES sans même parler de la BCE, etc. Chacune de ses questions est à elle seule un chantier d’une très grande complexité technique, et on voit mal comment un tel travail pourrait s’engager, dans les ministères,  à Bruxelles ou ailleurs, sans fuites d’autant plus probables, que les conflits d’intérêts sont présents et que les gains associés sont colossaux.

La conclusion est donc simple : le démontage de la zone se fera sans coordination et sera le fait d’un seul pays déclenchant un mouvement et surtout une panique contagieuse.

Et là encore, sachant que conflits d’intérêts et délits d’initiés sont le mélange détonant dans lequel baigne nécessairement le système, non seulement le démontage sera probablement le fait d’un pays, mais il doit aussi être le fait d’un pays dont les capacités de décision politique sont brutales et incontestables, par exemple le fait d’un seul homme. De ce point de vue la dictature constitue le régime idéal….interdit par les traités européens. Il est donc clair que le démantèlement se fera très probablement sous le mode panique, les pays disposant d’un pouvoir exécutif fort étant de ce point de vue relativement avantagés et devenant ainsi des « candidats privilégiés » pour une opération de sortie.

 

2) les conséquences politico-financières à attendre d’un démantèlement sous le mode panique

 

Quelle que soit la solution retenue dans les modalités de reconstruction des monnaies nationales il est donc clair que les décideurs politiques entrent dans l’inconnu et font entrer dans l’inconnu tous les agents qui en dépendent. De la même façon que débuter une partie d’échecs est une aventure où rien n’est écrit à l’avance, ni la série des prises de position ni le résultat du jeu, décider d’une rupture monétaire (qui va bien au-delà de la simple modification de parité au temps de Bretton- Woods ) c’est embrasser une très vaste aventure où la seule certitude est celle de devoir affronter d’énormes courants mimétiques dont pourtant on connait le sens général : « flight to quality ».

Cela passe par d’énormes perturbations « bilantaires » dans ces gigantesques institutions que sont les banques : vaste redéploiement des actifs souverains au profit des bons du Trésor allemands,  effondrement de la valeur des autres actifs souverains et ceux qui leurs sont corrélés (CDS en particulier), évaporation mécanique des fonds propres et insolvabilité immédiate[11]. Cela concerne une masse financière correspondant à plusieurs fois le total du PIB de l’Euro-zone. Toutes les institutions financières sont par contagion affectées : compagnies d’assurances, fonds de pension, Hedge- funds. Tous les marchés sont affectés avec disparition de la liquidité, disparition du marché inter-bancaire, refuges vers l’or et l’ensemble des matières premières financiarisées. Bien évidemment le crédit et le financement de l’économie disparait. Et que dire de la dette publique elle-même grandement déformée, diminuée pour certains, très augmentée pour d’autres ?

Bien évidemment, le marché des actions est lui aussi affecté. D’abord par la réorientation des porte- feuilles en faveur des actions, mais aussi réorientation en faveur des entreprises exportatrices ou importatrices respectivement pour les monnaies dévaluées et réévaluées[12].

Le bilan financier est ainsi extrêmement lourd.

Il n’est évidemment plus possible de se dire qu’il s’agit là d’une simple perturbation et que les marchés vont retrouver leur équilibre : l’euro était la clé de voûte d’un ordre. Sa disparition correspond à un effondrement complet et les institutions des nouveaux marchés sont à rebâtir[13]. Une reconstruction qui passe nécessairement par un retour à l’autoritarisme, une possible route de la servitude dirait Hayek.

On voit mal en effet le présent statut des banques centrales se maintenir (une institution sui generis)[14]. Le retour de la monnaie nationale-là où il y aura dévaluation- ne peut en effet être juridiquement envisagé que par une procédure immédiate de saisie et de réquisition du banquier central…une situation fort exceptionnelle, même dans cet Etat fort qu’était la France avant la construction européenne. La fuite vers la qualité ne peut être endiguée que par l’interdit strict de la circulation du capital avec, s’agissant de la France, de la montée immédiate en puissance de TRACFIN. Cela peut signifier la saisie des banques, la responsabilité pénale des banquiers et non des banques pour toute opération n’allant pas dans le sens du blocage de la panique sur les comptes[15]. Ce grand retour de l’autoritarisme est d’autant plus nécessaire que les forces sociales qui ne voyaient dans l’Euro que les aspects les plus séduisants sont qualitativement et quantitativement très importantes.

Les pays qui réévalueront ne seront pas exempts du retour à l’autoritarisme et même l’Allemagne devra veiller à ne pas s’enliser dans un mouvement de forte ascension de sa monnaie au moment où le grand concurrent japonais se fait très autoritaire sur sa Banque centrale.  

Au-delà de la stricte et très dure répression financière, le grand retour de l’Etat doit aussi se manifester dans l’économie réelle, avec notamment tous les outils habituels que l’on employait à l’époque de Bretton-Woods.  Sauf que les économies étant beaucoup plus interconnectées, la simple lutte contre l’inflation et le contrôle des prix s’avéreront très insuffisants. Il n’y a pas que les bilans bancaires qui seront agités par le mouvement de panique : beaucoup de bilans d’entreprises très engagées dans des liens très denses avec des non-résidents seront concernés (sans compter les travailleurs frontaliers) avec de possibles dépôts de bilan et à l’inverse des effets d’aubaine.

Au total vaincre la panique financière suppose de provoquer une gigantesque montée des coûts des comportements des agents économiques cherchant à préserver et/ou valoriser leurs intérêts. Le monde de la dérégulation financière laisse ainsi la place à celui de l’autoritarisme et de la répression. L’euro-système est une fabuleuse machine régressive hors de contrôle, mais s’en séparer peut nous diriger vers d’autres formes de régression que beaucoup, en particulier ceux qui ne connaissent que la partie visible du système, redoutent. Il ne sera pas facile d’être le dirigeant politique qui prendra le risque ou sera acculé au démantèlement.

Découvrir l’outil bloquant le déclenchement de la panique financière - alors même que la clef de voûte du système est retirée (l’Euro)-  est la tâche principale de celui qui prendra la décision du démantèlement. Comment extraire la clé de voûte sans voir l’édifice européen s’effondrer ?

 

3) Démantèlement contre garantie publique du respect des contrats

 

Au-delà du protocole technique qui ne soulève guère de problèmes (maintien du système des prix internes par définition d’une unité de compte ayant valeur légale et correspondant à un euro, surcharge d’un tampon sur chaque billet avant impression de nouveaux billets par la Banque centrale nationale, échange rapide des pièces, etc..), une garantie juridique est promulguée par le ou les dirigeants politiques ayant pris la décision : garantie  portant sur le maintien nominal de la valeur de tous les actifs au moment où est prise la décision. La prise de décision vaut par conséquent gel de toutes les positions et peut-être fermeture momentanée de la Bourse[16].

Il est d’ailleurs évident que décision de sortie et décision de garantie publique se trouvent dans le même acte juridique, et qu’encore une fois les pays pouvant procéder de manière autoritaire, par simple ordonnance de l’exécutif, disposent d’un avantage. Ce qui pose la question du déclenchement de la panique dans les pays qui ne peuvent agir ou réagir avec la célérité qui s’impose.

La garantie de la valeur nominale, suppose la définition d’un point fixe qui n’est autre que la définition de la nouvelle parité, laquelle doit être déclarée intangible bien au-delà de la période de temps nécessaire à une réorganisation générale aux effets neutres sur tous les bilans et contrats.

Le champ de la garantie offerte à tous les agents économiques du pays sortant concerne les détenteurs d’actifs étrangers : ménages, entreprises, institutions financières, Etat lui-même.

Il s’étend aussi aux non-résidents et étrangers détenteurs d’actifs nationaux.

La notion d’actif doit aussi être précisée.

Il s’agit bien sûr de tous les titres financiers : actions, obligations privées et publiques, produits structurés, produits d’épargne et comptes bancaires, etc. Pour ces titres la garantie repose sur la seule variation (perte ou gain) mécanique de valeur, calculée sur la base du nouveau taux de change. La valeur sur laquelle s’applique le nouveau taux étant celle correspondant à l’heure fixée dans l’acte juridique de décision de sortie.

Mais il s’agit aussi de tous les contrats de l’économie réelle et ce, y compris, les contrats de travail des travailleurs frontaliers.

La garantie publique est le point fixe qui se substitue à l’Euro, une sorte de SAS permettant le passage d’une zone où les taux de change ne sont pas maitrisés vers une zone où ces même taux sont politiquement définis.

La garantie publique du respect des contrats signifie que si les agents économiques du pays sortant ne peuvent perdre, ils ne peuvent davantage  gagner. A titre d’exemple, si des français titulaires de contrats d’assurance-vie incorporant des titres publics grecs ne peuvent être victimes du rétablissement de la Drachme, ces mêmes français titulaires de  contrats semblables incorporant de la dette publique allemande  ne peuvent bénéficier  du rétablissement du Mark. La garantie correspond donc bien à la volonté de neutralité sur les bilans des agents vis-à-vis d’une  sortie de l’Euro. Et cette neutralité est bien ce qui interdit tout mouvement spéculatif. Le déclenchement des CDS est lui-même interdit en ce que la sortie ainsi envisagée n’est en aucune façon un « incident de crédit »[17].

La garantie de l’Etat sortant est  autrement plus douloureuse que les garanties offertes par les Etats, qui, en Octobre 2008, ont dans un même geste bloqué tout effet de panique chez les déposants des banques dont on pouvait anticiper l’effondrement. Alors qu’à l’époque, le risque n’était que potentiel et qu’un effet d’annonce pouvait suffire à bloquer la panique, dans le cas présent d’un démantèlement, il faut aller plus loin et effectivement payer les victimes.

Et le prix à payer est d’autant plus important que le pays sortant est lui-même impécunieux. On voit ainsi mal l’Etat Grec sortant sur la base d’une dévaluation massive être à la hauteur de sa garantie. Et on voit aussi mal les Etats gagnants d’une sortie, redistribuer les gains aux perdants. Outre qu’encore une fois la sortie n’est pas coopérative et négociée, les gagnants sont aussi des agents privés pour lesquels la réévaluation est un profit qui devrait rester privé. Concrètement une entreprise allemande dont les débiteurs sont français doit logiquement bénéficier de la réévaluation du mark, et on ne voit pas comment ce bénéfice pourrait être utilisé pour assurer les garanties de l’Etat Grec. Pour autant s’il est aisé de bloquer les bénéfices au nom du respect intégral de tous les contrats (cela ne coûte rien), il faut bien trouver les moyens de dédommager les victimes d’une sortie de l’Euro.

 

4) Le respect des contrats par des Banques centrales qui monétisent.

 

Si le respect intégral et rigoureux des contrats implique un dédommagement des perdants sans que les gagnants ne puissent aider, il faut trouver un tiers chargé d’assurer la passage de l’ancien au nouveau monde, si possible sans destruction du projet européen. Il faut en effet avoir en tête l’énorme effet destructif d’une explosion non contrôlée de l’Euro.

Dès lors, la solution qui s’impose est le recours aux banques centrales nationales qui sont réquisitionnées dès l’annonce de la sortie.  De fait, il ne s’agit que d’accélérer un processus déjà engagé avec la BCE, qui aujourd’hui tente de maintenir la fiction de l’Euro avec des interventions massives sur les dettes publiques du sud. La présente action de la BCE est déjà bien une tentative d’endiguement de la panique déstabilisatrice avec des « spreads » qu’il faut contenir pour éviter, et un krack obligataire, et un « Bank-run ».

La procédure est donc simple : Pour les pays qui quittent la zone en dévaluant, l’ordonnance de réquisition, stipule que la Banque centrale de l’Etat sortant, crédite le compte du Trésor correspondant, à hauteur des engagements de ce dernier au titre de la garantie du respect de tous les contrats. Les fonctionnaires du Trésor fixent le montant des dédommagements et ordonnent à la Banque les paiements correspondants. Le cas échéant des magistrats et commissaires au compte attestent de la bonne exécution des garanties.

L’unité de compte retenue pour le dédommagement peut être la nouvelle monnaie nationale. Ainsi l’exportateur allemand de marchandises vers la Grèce – si ce dernier pays quitte la zone- se voit payé par son client dans la monnaie dont il dispose, auquel il faut ajouter le prix de la dévaluation, prix exprimé en Drachmes, et au final supporté par la Banque centrale de Grèce. Toujours s’il s’agit d’une sortie grecque, La Société Générale voit, à l’actif de son bilan, ses obligations publiques grecques transformées en drachmes, valeurs augmentées du montant de la dévaluation. On pourrait multiplier les exemples. Bien évidemment s’élèvent d’immenses balances en Drachmes que le « bateau des passagers clandestins »[18] cachait si bien et que le dispositif « Target 2 »[19] cachait plus difficilement.

Il faut donc imaginer que ces balances en Drachmes sont acheminées vers les Banques centrales des Etats correspondants (dans notre exemple celle d’Allemagne pour l’exportateur Allemand, et de France pour la Société Générale) et transformées en nouvelles monnaies nationales.

Au final la monnaie émise (dont la quantité est égale au produit de la dévaluation par le total des engagements) se trouve stockée dans les pays qui sont dans une situation favorable : peu ou pas de dévaluation, peu de dette extérieure, dette publique faible ou nationalisée. De quoi provoquer une hausse des prix plus rapide que dans les pays ayant massivement monétisé.

Le dispositif, retenu, sans doute trop brièvement exposé, et ne réglant pas toutes les situations –comment traiter les CDS même s’il n’y a pas juridiquement « accident de crédit » ? – évacue complètement l’idée de défaut, de soutien au système bancaire, de surveillance des spreads de taux etc.

 

5) Effets indirects : une puissante accélération de la dé- mondialisation financière, voire de la dé mondialisation tout court. 

 

La dé- mondialisation financière est liée à la crise, avec depuis 2007, une diminution de 10% de son volume dans le PIB mondial, des flux de capitaux transfrontaliers qui se sont effondrés de 61% et des banques de la zone euro qui ont réduit leurs créances à l’étranger de 3700 milliards de dollars[20]. Il est bien évident qu’une fin de l’Euro, au moins dans sa présente version, ne ferait qu’accélérer un tel mouvement. Point de vue qui mérite une argumentation précise.

On sait qu’historiquement la mondialisation financière s’est accompagnée d’un fantastique développement des activités spéculatives de tenue de marché, et plus spécifiquement dans les activités de couverture sur risques de change. Tout aussi historiquement, ces activités de couverture ont été largement impulsées par le choix de taux de change flexibles retenus dans le cadre des accords de la Jamaïque du 8 janvier 1976. Ce choix, résultant très largement des activités des lobbyistes de la City[21],  était évidemment profitable pour les activités de couverture.

Avec l’internationalisation et la mondialisation des échanges, avec aussi ce qui est largement congruent, à savoir la totale liberté de circulation des capitaux, et la convertibilité sans limite des monnaies, les activités sur le « FOREX » devaient se multiplier[22] en inventant et en utilisant des produits financiers de couverture de plus en plus raffinés. A l’époque de Bretton-Woods, la fixité des taux de change ne permettait la spéculation que dans un seul sens et uniquement en présence de taux devenus irréalistes. Autoriser l’instabilité par des taux flexibles, c’est aussi autoriser la fortune de la finance, qui se mettra à vendre de la garantie… pour faire face  à l’instabilité que l’on aura créé. De la même façon qu’en favorisant l’instabilité internationale, on favorise l’industrie et la vente d’armes, en favorisant l’instabilité des prix des devises, on favorise l’industrie spéculative[23].

Tant que cette instabilité est probabilisable et peut s’inscrire dans des modèles mathématiques autorisant une profitable réduction d’incertitudes, la tenue de marché par le système financier est relativement aisée et les coûts pour l’économie réelle supportables. Avec la crise, les modèles sont devenus incertains[24] avec d’une part une vertigineuse montée des coûts de tenue de marché, coûts qu’il faut reporter sur les clients de l’économie réelle[25].

La disparition de la zone euro entraine, de ce point de vue, de nouvelles difficultés qu’il faudra maitriser : Peut-on imaginer un élargissement du FOREX pour les nouvelles devises issues du démantèlement de l’euro, avec les coûts correspondants aux nouvelles activités de couvertures ? Sachant que, même en diminution, le commerce intra-zone euro représente encore près de 50% du total des échanges extérieurs, il parait impensable pour les banques européennes de se lancer dans ces nouvelles opérations de couverture à forte consommation de capital…un capital nécessaire pour l’investissement dans l’économie réelle. Et il parait tout aussi difficile pour les entreprises de supporter les coûts de ces nouvelles et nécessaires couvertures pour risques de change. Ajoutons que les nouvelles définitions des taux de change font acheminer les divers pays dans une conception plus politique de la monnaie…. avec évanouissement des modèles probabilistes montés par les banques…[26]

Il apparait donc nécessaire de ne pas adopter un système de taux de change flexible, et de s’en tenir à une conception beaucoup plus proche de celle prévalant à Bretton-Woods, avec toutefois la difficulté que l’environnement mondialisé restera lui probablement dans une situation de grande flexibilité. Cela signifie par conséquent la fin très durable d’une indépendance des banques centrales, le probable contrôle des flux de capitaux, un certain contrôle des changes, etc.

Au total ces réflexions concernant les couts de couverture militent pour un système conservant l’euro en tant que monnaie commune avec des taux de change fixes entre nouvelles monnaies nationales et monnaie commune. Chaque monnaie n’étant convertible que dans la monnaie commune. Cette situation optimale, n’est toutefois accesible que si l’on se place dans une reconfiguration négociée, ce qui n’est pas évident si la déconstruction se déroule selon le mode panique.

Il est très difficile de produire l’image du monde d’après.

 

 Quelques indications peuvent toutefois être tracées. Tout d’abord des Etats qui auront renationalisé leur monnaie, leur dette, et leur Banque centrale. Mais aussi des Etats qui devront veiller à l’équilibre des échanges extérieurs tout en renouant avec des stratégies coopératives à l’intérieur d’un nouveau projet européen, ce qui impliquera des politiques sélectives en matière de mouvement de capitaux et de taux de change négociés régulièrement. La dé financiarisation initiée par la fin de l’instabilité des taux de change se marquera dans la structure des bilans bancaires, bilans moins interconnectés avec le reste du monde, bilans allégés en taille et surtout complètement restructurés, avec un compartiment banque commerciale plus lourd, un compartiment banque d’investissement plus léger et surtout à l’intérieur de celui –ci une diminution importante du sous compartiment « dérivés »[27]. Notons toutefois que la dé financiarisation sera en principe beaucoup plus aisée dans le cas du maintien d’un euro en tant qu’enveloppe extérieure. Mais elle sera néanmpoins  limitée en raison du fait que des produits de couverture doivent être maintenus : les taux de change fixes sont difficiles à définir dans un environnement mondialisé et complètement financiarisé.

Ces banques restructurées et sous la dépendance directe de la Banque centrale et de sa politique de taux seront partiellement libérées de l’aliénation financière qui les empêche d’effectuer leur métier à savoir la sélection des bons investissements dans l’économie réelle. De ce point de vue, il sera assez peu efficient de revenir à toute forme de " Glass- Steagall  Act"  : il n’y a pas à isoler la spéculation, il y a surtout à l’interdire ou à limiter le périmètre de son terrain de jeu.

Le prix à payer de la répression financière ainsi mis en place est bien évidemment l’émergence de produits d’épargne plus rustiques, mais aussi peut-être plus sains en ce qu’ils seront moins chargés de « paris financiers » spéculatifs ( produits structurés) et davantage chargés de " pari " sur l’économie  réelle ( actions).

 

 

 

 

                                                                                                                          

                                                                               



[1] Sondage publié le 10 mars 2013 par le quotidien Corriere della Sera.

[2]Cf : « lacrisedesannees2010.com ».

[3] Au moins dans un premier temps car cette fonction de prêteur en dernier ressort de type « low cost » n’est pas sans danger puisqu’elle est très favorable aux classes d’actifs risquée, les fameux « high yields » qui à leur tour facilitent des emprunteurs dangereux y compris de nouveaux Etats très déficitaires , notamment en Amérique latine.

[4] Avec une base monétaire restée stable entre 2009 et 2012 La Banque centrale japonaise a provoqué une réévaluation de 35% de sa monnaie et ce pour le grand profit des exportateurs industriels allemands.

[5] Les pistes ouvertes à la BCE à ce sujet ne sont pas simples : abaisser le seuil qualitatif du collatéral, relancer la titrisation, diminuer les haircuts sur les actifs présentés à son guichet, etc.

[6] Moyens imaginés dans : « Prochaine étape : l’arrivée du « LTRO » nouveau » in lacrisedesannees2010.com.

[7]Politique déjà proposée en 2010 par Olivier Blanchard et toujours dénoncée par Joseph Stiglitz en ce qu’elle augmente mécaniquement, par la déflation, la dette des ménages des entreprises et surtout des Etats.

[8] Cf  Patrick Artus dans le Flash Economie de Natixis du 4/03/2013.

[9]« L’Euro » ; Dalloz ; 2013.

[10] C’est aussi ce que pensent les dirigeants d’un nouveau parti : « Alternative pour l’Allemagne » qui jugent irresponsable de financer le sauvetage de la zone euro avec « les impôts, la stagnation et l’inflation » qui- selon ces dirigeants- se développent en Allemagne.

[11] On comprend pourquoi jusqu’à présent les stress-tests auxquels les systèmes bancaires sont régulièrement soumis n’ont jamais incorporé l’hypothèse d’une fin de l’Euro.

[12] Ce phénomène est déjà très visible en ce que les indices financiers des pays émergents lourdement exportateurs vers l’Europe évoluent peu depuis maintenant 2 ans  (cf « les Echos du 14/03/2013).

[13] Il est aussi extrêmement clair que la reconstruction sera aussi celle de l’Europe : sortir de l’Euro est un changement radical, pouvant détruire le projet européen tel que jusqu’ici mené. On ne pourra échapper à ce type de réflexion qui toutefois n’est pas dans le périmètre du présent texte.

[14]Catégorie juridique qui ne se classe dans aucune autre et nécessite des textes spécifiques. De fait il s’agit d’une situation où l’Etat s’exclue lui –même des pouvoirs logiquement attribués à ce dont il est propriétaire.

[15] De ce point de vue une plus grande clarté devra être apportée en France sur l’article 121-2 du code pénal qui allège la responsabilité pénale de la personne physique.

[16] La mondialisation n’empêche évidemment pas la cotation des actifs à l’étranger. Pour autant la décision de garantie peut avoir un effet planétaire. Parce qu’elle est assortie d’une condition temporelle ( valeur de marché constatée à la date de… à telle heure…), il n’est plus possible de gagner ou de perdre sur des fluctuations de prix… même à des milliers  de kilomètres de l’Etat ayant décidé sa sortie de la zone-Euro.

[17]L’incident de crédit est tout simplement la constatation d’un défaut de paiement qui, dans le cas des CDS, est dûment établie par un régulateur : l’ISDA ( « International Swaps and Dérivation Association »). Cet organisme, souvent critiqué en raison de possibles conflits d’intérêts  affectants ses organes de décision, dispose  d’un pouvoir déclencheur qui était souvent évoqué avec angoisse lors de la crise grecque.

[18] Cf « l’Euro : sursaut ou implosion » in lacrisedesannees2010.com.

[19] Il s’agit du dispositif de l’euro-système qui assure les paiements transfrontaliers entre les banques des pays de la zone Euro.

[20]  Cf le rapport du cabinet McKinsey de février 2013.

[21] Le ministre français de l’économie et des finances de l’époque, Jean Pierre Fourcade, a fait part à l’auteur de ces lignes, à titre privé, de l’acharnement- durant la conférence de la Jamaïque- de la partie anglaise à vouloir imposer des taux de change complètement libres.  Succès à l’origine, selon Jean Pierre Fourcade, de la renaissance de la City.

[22] 4000 milliards de dollars y sont échangés quotidiennement.

[23] Notons que cette instabilité comme source de profits financiers et de coûts économiques sera progressivement généralisée, les mêmes modèles servant pour l’instabilité  des cours de bourses  que l'on aura préalablement développée en mettantr fin   au    «  fixing », pour l’instabilité des cours des matières premières,  des produits agricoles, etc.

[24]Incertains au sens de Keynes qui s’attachait à bien repérer ce qui est de l’ordre du probabilisable et ce qui est de la méconnaissance radicale.

[25] On estime ainsi que les activités de tenue de marché pour la BNP mobiliseraient aujourd’hui 38% du total de son bilan, soit un peu plus du tiers du PIB de la France. Chiffre à comparer avec le monde de l’économie réelle où les entreprises mobilisent aussi des stocks pour tenir leur marché : moins de 12% du total des bilans dans la Distribution. Ces coûts de tenue de marché sont évidemment supportés par les entreprises de l’économie réelle. Selon le cabinet Azerrisk Advantage, la couverture du risque de change peut aujourd’hui représenter jusqu’à 7% du chiffres d’affaires.

[26] Ce que semble confirmer- mais de façon assez détournée -  une étude de l’Université de Salzbourg : « Democratization and real exchange rates », Furlan, Gächter, Krebs, Oberhofer, University of Salzburg, 2013.

[27]Aujourd’hui encore, le sous compartiment « dérivés » du Crédit Agricole (1ière banque française, 5ième mondiale et total du bilan égal au PIB de la France)  représente plus des 2/3 de sa banque d’investissement.     

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4 mars 2013 1 04 /03 /mars /2013 07:16

 

Dans « les Echos » du 25/02/2013, Dominique Moïsi   se lamente de la cacophonie d’un monde, qui cesse d’être maitrisé par des acteurs souvent nouveaux et autonomes et qui interagissent, sur la base d’objectifs complexes et peu déchiffrables. Bref, il n’y aurait plus – possiblement- de « concert des nations ».

 

Le « théorème de Coase » appliqué à la mondialisation.

 

Il y a bien longtemps, l’économiste Ronald Coase a tenté de nous montrer quelle  était la logique de la construction organisationnelle du monde. Selon lui, la taille d’un organisation dépendrait d’une alternative : pour produire un bien ou service, vaut-il mieux passer par le marché (faire faire c’est-à-dire acheter ou  « buy ») ou utiliser la hiérarchie en donnant des ordres à des collaborateurs chargés de faire (faire soi –même c’est-à-dire « make »)[1]. Cette alternative réside bien évidemment dans les coûts comparés du recours au mécanisme du marché et celui du mécanisme de la hiérarchie. Lorsque les coûts associés au, « make » dépassent ceux résultant du « buy », l’organisation doit maigrir et davantage recourir au marché.

C’est cette logique, aidée en cela par l’effondrement des coûts de transports et de communications, qui est aujourd’hui dominante en mondialisation, ce qui a pour effet d’allonger et complexifier considérablement les chaines d’une production mondiale, avec optimisation des coûts en fonction des conditions locales d’insertion. Un même bien peut ainsi être le fait d’une seule entreprise, ou à l’inverse d’une infinité d’entités réparties sur l’ensemble de la planète. Marchandise « made in the world » comme dit Pascal Lamy, et marchandise qui tend à se généraliser et devenir dominante : automobile, « minerai de viande », « produits dérivés » (finance), etc.

Avec la conséquence que bien des organisations apparaitront démembrées, avec un corps sur tel continent, un bras sur tel autre, la tête sur un troisième, etc. Mais aussi des espaces désarticulés avec des entreprises qui ne travaillent plus ensemble, ou des solidarités de filières incapables d’émerger, Le tissu économique devenant progressivement mité.

Des Etats qui s’automutilent.

Observons que cette logique a été d’une certaine façon favorisée par les Etats eux-mêmes. Parce que la logique généralisée du marché impose la fluidification la plus grande possible, il fallait bien dés- enkyster la monnaie et la finance de la grande machine étatique. Comment démembrer et segmenter la production à l’infinie sans totale liberté de circulation des capitaux ? Et comment assurer la libre circulation des capitaux sans libre marché de l’achat et de la vente des devises ? Donc sans assurer la libre convertibilité, et donc sans « taux de change politisé » selon la savoureuse expression de Jens Weidmann, gouverneur de la Banque centrale allemande[2]. Bref, comment permettre la mondialisation sans détacher la monnaie – malgré ses propriétés publiques garanties par les Etats (cours « légal », unité de compte, etc.)- des Etats eux-mêmes ?

Quand on s’intéresse quelque peu à l’histoire du prêteur en dernier ressort - prêteur qui n’a pas toujours la forme institutionnelle de la moderne Banque centrale ( cela pouvait être une mine d’or, un Hôtel des monnaies, un atelier de rénovation monétaire , etc.) - on s’aperçoit que très généralement, monnaie , finance et Etat constituent un seul et même bloc, une seule et même « entreprise » qui n’a pas besoin de passer par le marché pour se ravitailler. Ce qui veut dire que la monnaie et la finance qui va lui correspondre est une production effectuée en « make ». Les Etats, le plus souvent, ne passaient pas par le marché pour se ravitailler en matière première monnaie : ils la produisaient eux-mêmes, parfois sous cette forme  très « hiérarchique » qu’est la prise de guerre. Maintenant, dans le cas d’une Banque centrale moderne qui produit de la monnaie légale sous forme papier, ce mécanisme du « make » devient particulièrement avantageux, le coût de production du papier étant proche de zéro. Ce qui ne veut pas dire que « l’entreprise Banque centrale/Etat », ce grand corps pas encore démembré, ne connait aucune contrainte : le taux de change doit être évidemment crédible, ce qui suppose une fabrication de monnaie dans les limites des besoins économiques réels. Avec quelquefois des situations exceptionnelles, comme celles des deux guerres mondiales, exigeant le recours massif à la production monétaire.

Lorsque maintenant la célèbre « contrainte extérieure » (années 70-80) devient mondialisation,l’ exigence de  fluidification passe aussi par le démembrement  de « l’entreprise banque centrale/ Etat » là où elle ne s’est pas encore produite.  La victoire du « buy » sur le « make » se doit être générale et Les Trésors publics doivent, tous, divorcer de leur banque centrale, divorce qui interviendra massivement à la fin des années 90, sous la forme d’un impératif, celui de l’indépendance des Banques centrales. Ce divorce devient  le « buy » qui vient remplacer le « make ». Désormais les Etats et donc les Trésors publics doivent avoir recours au marché pour se ravitailler. Un recours devenu la construction progressive d’une partie des dettes publiques comme prix à payer de l’indépendance des banques centrales.

La comparaison avec le monde économique mondialisé est intéressante à plus d’un titre.

 

Etats et entreprises dans le même grand marché

Le  « minerai dette publique » désormais acheté par les « traders-fonctionnaires » des agences de dettes publiques (Agence France Trésor située à Bercy pour ce qui est de la France), est théoriquement aussi « tracé » que le « minerai de viande » de l’industrie agro- alimentaire et aussi « tracé », en théorie que le « minerai de dérivé » de l’industrie de la finance . Il est « tracé » en ce que les Trésors continuent de définir les unités de compte et attribuent le cours légal, mais des surprises peuvent provenir des taux de change et des cours à venir de la dette publique mondialisée. D’où l’auto-développement ou l’effet boule de neige de l’industrie financière : il faut sécuriser les produits avec de l’innovation sur des minerais qu’il faut toujours rendre parfaitement liquides aux fins de la fluidification exigée par la mondialisation. D’où, présentement, 200 000 traders dans le monde chargés de fluidifier les seuls taux de change. Combien sur le « carry Trade » ? Sur les dettes publiques ? Etc. Et tous ces traders doivent être parfaitement informés des états des marchés, d’où la multiplication à l’infini de ce que l’on ose encore appeler des entreprises et qui sont des agences de notation, d’évaluation, des sociétés de conseils, des sociétés d’intelligence économique, etc…dont la « production », concernant dans un même flux, et un modèle indifférencié les Etats et les entreprises , alimente 24h sur 24, et 7 jours sur 7, la spéculation, pour mieux s’en nourrir, le tout en consommant les meilleures intelligences issues des meilleures écoles. Egalement en consommant énormément de capital pour la tenue des marché dont celui des dettes publiques. Sans qu'il soit possible de distinguer l'affectation de ces capitaux aux différents marchés spéculatifs, signalons qu'Alpha Value4 considère que 38% du bilan des 4 grandes banques francaises (soit plus que le PIB de la France) est ainsi affecté à la tenue des marchés ( contre , si l'on ose dire, moins de 13% de bilan pours les stocks de la grande distribution qui elle aussi doit tenir son marché....et 13% qui représente beaucoup moins de 1% du PIB de la France...). De quoi finalement se réjouir quand on apprend avec Le Cabinet McKinsey que la crise entrainerait, depuis 2007,  une renationalisation des systèmes financiers avec un coup d'arrêt à l'expansion des actifs financiers. 

L’utilisation à front renversé du théorème de Coase

Mais il y a plus étonnant encore : la logique de l’arrangement institutionnel au niveau public, désormais plongé dans le grand bain de la mondialisation, est l’inverse de celle retenue dans le secteur privé mondialisé. C’est bien pour réduire le coût global et développer la productivité que l’on est passé du « make » au « buy » mondialisé dans les entreprises. Par contre le passage au « buy » dans la dette publique correspond à une augmentation du coût global de fonctionnement de la sphère publique, coût qui est la différence entre le prix de marché (taux d’intérêt >0) et le coût de la production monétaire par la banque centrale (taux de l’intérêt proche de 0).

Les exigences de fluidification financière développent ainsi de la sous-productivité dans les sphères publiques. Une sous-productivité que l’on tente grossièrement de minorer en se disant que les « traders-fonctionnaires » ont pour mission de réduire le coût élevé d’un choix public quasi délictueux[3]  en recherchant l’offre la plus avantageuse. C’est ainsi qu’avec le plus grand sérieux, donc sans rire, les directions des agences des  dettes publiques, partout dans le monde, s’enorgueillissent de rechercher le financement le moins cher possible des dettes publiques, en offrant les dites dettes sur le marché mondial. Cela représente quand même en 2013 près de 50 milliards de « surcoût » pour chacun des Trésors, Allemand, Français et Italien, sous la forme d’un service de la dette.

Bien évidemment, ces surcoûts artificiellement imposés à ces propriétaires réels des banques centrales que sont les peuples et ceux qui les représentent que sont les Etats, ont une contrepartie sous la forme d’une épargne solide, et en principe bien liquide, pour des agents économiques - eux-mêmes mondialisés- qui profitent ainsi du démantèlement partiel des puissances publiques. Le service de la dette n’est pas perdu pour tout le monde, et donc la fluidification imposée par la mondialisation fait aussi la matière première sans doute essentielle – toujours une question de « minerai »- d’une industrie de l’épargne et de la finance. Une industrie qui se sert ainsi des épargnants, comme le dit E Todd, de boucliers humains, pour exiger que rien ne change dans le monde mondialisé et financiarisé.

 Dominique Moïsi a raison : Il ne peut plus y avoir de « concert des nations », la cancérisation de la société par la finance a fait le naufrage des Etats-Nations. Même ce noyau dur que constituaient les Etats est aujourd’hui démembré.



[1] Cette idée fût émise par Coase pour la première fois en 1937. Elle fût ensuite reprise et traduite dans « l’entreprise, le marché et le droit » ouvrage paru aux Editions d’Organisation en 2005.

[2] Propos repris dans le « Dow Jones News » en date du 22/01/2013.

[3] De fait il s’agit d’un délit en ce que le service de la dette qui va résulter du passage au « buy » des Etats est une atteinte aux droits de propriétés des peuples sur leur monnaie.

4 ) "Les Echos" du 28/02/2013.     

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