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20 février 2013 3 20 /02 /février /2013 17:11

La littérature concernant l'analyse de la crise n'évoque que fort rarement l'idée de surproduction tant il est admis, qu'au fond la question relève plutôt d'une dépense trop importante par rapport à la richesse produite. La réalité de la crise serait ainsi une dépense excessive plutôt qu'une production surdimensionnée par rapport aux débouchés. Et dépense excessive par rapport aux revenus - dont on sait qu'ils ne sont, comptablement, que simple contrepartie de la production- qui serait ou aurait été financée par un crédit trop facilement croissant.

Dans le monde des apparences et celui des discours dominants, un tel raisonnement parait crédible, la crise financière n'intervenant que pour signifier qu'il n'est plus possible de fonctionner sur la base d'endettements privés et publics en continuelle croissance. Endettements mesurant l'écart croissant entre dépense excessive et production plus réduite. D’où les débats quotidiens selon lesquels nous n’avons plus les moyens de maintenir nos folles dépenses.

Ajoutons que les raisonnements dominants considèrent la mondialisation comme simple effet du fonctionnement des marchés, et que l'idée de dépense excessive ne concerne que l'Occident. Les pays émergents, non endettés, apparaissant ainsi- dans notre modèle dominant de représentation du monde- comme davantage vertueux. Ces mêmes raisonnements n'invitant jamais à se poser la question de la dépense ou de la production excessive à l'échelle mondiale.

De fait ces raisonnements, très éloignés d'une culture historique précise, et surtout très éloignés d'une solide connaissance de l'histoire de la pensée économique, admettent la loi de Say sans même la discuter.

 

 

La loi de Say comme point d’appui d’une construction intellectuelle.

 

L'origine de cette acceptation paradigmatique est connue et provient tout simplement d'un rejet, puis d'un oubli du Keynésianisme dans l'ensemble des formations universitaires, et ce à l'échelle planétaire. Rejet, puis oubli au profit de ce qui allait devenir un aspect essentiel de la théorie dominante, c'est à dire celle de l'économie de l'offre, système de pensée entièrement issu du travail de JB Say dans son célèbre "Traité d'Economie Politique" de 1803, et travail fort bien analysé par Thomas Sowell dans son livre[1].

En résumé la loi de Say consiste à reconnaitre que la production est toujours première et qu'un produit n'est échangeable (ne peut -être vendu) qu'à partir de la création d'un autre produit. D'où ce qui est devenu le célèbre slogan: "les produits s'échangent contre des produits". Concrètement, il ne peut exister de débouché pour des producteurs de chaussures, que s'il existe parallèlement des producteurs d'autres valeurs d'usages qui s'échangeront contre les chaussures. Il n'y a donc pas à s'intéresser à la demande, mais à la production qui permettra l'achat de chaussures. Ce n'est donc pas la dépense qui compte, mais la production, et produire est un acte de création de revenu. Bien évidemment Say se situe dans une économie de troc dont il connait les contradictions: les producteurs qui se portent acquéreurs de chaussures, peuvent rencontrer un refus de vente en raison de l'inacceptation des valeurs d'usages proposées en échange. C'est la raison pour laquelle il introduit la monnaie en tant que valeur d'usage universellement demandée, et offerte par des producteurs de monnaie.

Cette introduction de la monnaie, ne lève que partiellement l'hypothèse de mévente, car Say a bien conscience qu'il peut exister des offres partielles excédentaires par rapport à la demande. Mais précisément parce qu'il se situe, sans le dire, dans un cadre microéconomique avec un système de prix souple, offres er demandes partielles sont en permanence dans un mouvement de "rééquilibration". Un système qui évacue complètement toute idée de déséquilibre.

 

L’organisation financière découlant de la loi de Say

 

Les successeurs de JB Say iront plus loin et Charles Coquelin, dans un article de la "Revue des Deux Mondes" de 1847 expliquera que les producteurs de monnaie doivent impérativement rester dans une logique de "Free Banking"- selon l'expression employée beaucoup plus tard par Hayek- afin d'éviter qu'un Etat monopolisant l'offre de monnaie perturbe l'équilibre et détruise le fonctionnement harmonieux de la loi des débouchés...avec une crise dans la "rééquilibration" permanente des marchés ...donc une crise économique.

Nous avons déjà dans la loi de Say et ses adeptes l'idée selon laquelle le système financier doit-être dérégulé et que le prêteur en dernier ressort qu'est la Banque centrale dominée par l'Etat est une aberration. Avec l'idée très moderne des néo libéraux selon laquelle ce n'est pas la dérégulation financière qui a provoqué la crise actuelle mais au contraire l'excessive réglementation. Les entrepreneurs politiques américains seraient ainsi beaucoup plus responsables de la crise des subprimes que la finance américaine spontanément plus sérieuse.

Réflexions et débats infinis, aujourd'hui sur le thème du "comment sortir de la crise"... qui nous éloignent complètement de la véritable question: La loi de Say qu'on ne discute plus, correspond-elle à une représentation correcte de la réalité? Et cette question n'est plus posée alors même que nous avons complétement oublié que la question des débouchés, bien au-delà de JB Say, a complètement obsédé et le 19ième siècle et le 20ième jusqu'à l'abandon du keynésianisme.

 

Equilibre ou déséquilibre ?

 

Les débats ont commencé très tôt et ont opposé de très nombreux auteurs, avec d'une part les partisans de Say (D Ricardo, J Stuart Mill, Mac Culloch, F Bastiat, C Coquelin , tous les libéraux jusqu'à Hayek et les "supply siders", et même de nombreux marxistes comme Voronstov et Nikolaïon et peut être Marx lui-même), et d'autre part ses opposants ( Sismondi, Malthus, les Keynésiens et de très nombreux marxistes comme Rosa Luxembourg, Boulgakov, Tougan-Baranowsky, et peut être Marx lui-même).

Il n’est pas question ici de détailler ces débats qui vont se dérouler sur plus d’un siècle. Signalons simplement qu’ils vont poser de multiples  questions, dont celle de l’épargne thésaurisée en tant que perturbatrice de l’équilibre (Malthus), de l’investissement dont on discute longuement des débouchés préalables (Sismondi),  de la « demande préalable » et de la « réalisation de la plus- value »  chez les auteurs marxistes (Marx et Rosa Luxembourg parmi les principaux),et déjà avec plus d‘un siècle d’avance sur la réalité d’aujourd’hui, de la question du capital financier perturbateur des équilibres réels (Marx).

De ces débats, dont nous avons les traces précises dans de très nombreux ouvrages et articles, y compris la très célèbre rencontre de 1823 à Genève entre Ricardo et Sismondi[2], il ne reste rien dans l'enseignement universitaire d'aujourd'hui. Rien qui puisse apporter un début de contestation de notre modèle de représentation de la crise. De la même façon il ne reste à peu près rien des nombreux travaux historiques- tels ceux de Romesh Dutt[3] de Maurice Dobb[4] ou plus  tard d’André Philip[5] - qui dès la révolution industrielle ont cherché à comprendre le mécanisme des relations entre les premières nations émergentes -pour reprendre un terme à la mode- et le reste du monde. Rien de cette commune interrogation qui fait que des plus libéraux (André Philip) aux plus idéologues du marxisme (Rosa Luxemboug), l'on se penche sur le pourquoi d'une recherche impérieuse et parfois impériale de débouchés extérieurs. 

Pour autant, sans même porter un jugement définitif, sur la validité de la loi de Say, on se rend compte immédiatement- à la lecture de ces débats qui encore une fois ont littéralement obsédés la réflexion économique pendant près d’un siècle et demi- qu’il existe possiblement un autre paradigme dans l’approche de la grande crise. Ainsi le gigantesque endettement dont on commence à percevoir qu’il n’est plus maitrisable[6] peut être lu, non comme écart résultant d’un revenu et d’une production insuffisante, mais au contraire comme  écart entre une production devenue excédentaire par rapport aux revenus distribués à l’échelle mondiale.

 

Alors, cigale ? ou fourmi ?

 

Le fait empirique est bien perceptible et mesurable : les montagnes de dettes à l’échelle planétaire ne sont plus gérables. Par contre, il y a bien débat possible sur l’origine de cette montagne et donc sur sa nature profonde. La croyance en la loi de Say, aboutit bien à l’idée selon laquelle la crise est affaire de « cigales ». Mais sa contestation aboutit à l’inverse : elle devient le problème des « fourmis ».

Et encore une fois, sans même prendre position, cette contestation devenue presque impensable en raison de l’hégémonie du modèle de Say, est à la portée de ceux qui veulent bien observer les faits avec le doute qui doit caractériser l’attitude scientifique.

 

Il est possible de douter.

 

Sans entrer dans les détails, comment ne pas s’étonner de l’extrême faiblesse de l’investissement dans les économies réelles alors que la machine à produire de la dette et plus encore la planche à billets fonctionne à plein régime ? Comment ne pas s’étonner ainsi que le rappelle Gaël Giraud[7] que sur les 8000 milliards d’euros (4fois le PIB de la France) qui constituent le bilan bancaire français seuls 10% servent au financement des entreprises, et 12% au financement des ménages ? Avec ce petit complément d’information selon lequel sur les 200 milliards d’obligations émises en 2012 au titre du financement du crédit hypothécaire, seuls 22 milliards se sont transformés en prêts immobiliers. Et, à l’inverse, comment ne pas s’étonner des chiffres de la BRI[8] qui énoncent que seuls 7% des activités de dérivés financiers mettent en jeu une institution de l’économie réelle, ce qui signifie comme le rappelle Gaël Giraud que sur les 47000 milliards de dérivés que traite la BNP ( ce qui représente quand même 22 fois le PIB de la France) 44000 milliards n’ont pas pour contrepartie une entreprise de l’économie réelle. Autre façon d'exprimer une même réalité, Ernest§Young signale que s'agissant des banques françaises seules 25,7% de leurs activités sont représentatives de crédits à l'économie, ce qui fait de ces mêmes banques les leaders européens en matière de spéculation. Il est vrai qu'elles disposent aussi de très nombreuses filiales dans les paradis fiscaux (334 pour la BNP, 91 pour la Société Générale,  150 pour le Crédit Agricole) dont plus de la moitié dans l'eurozone.

Si donc l’investissement réel est si faible et si la spéculation est si importante, c’est probablement en raison de la profitabilité comparée, dont chacun sait qu’elle est très faible dans l’économie réelle, et très importante dans les activités de spéculation ou les activités qui lui sont connexes comme le LBO ("Leveraged buyout"). Fait empirique qui nous renvoie aux vieux débats concernant l’importance des débouchés préalables à l’investissement (Sismondi) ou l’utilisation improductive de la plus-value (Marx) ou plus simplement bien sûr à Keynes. L’investissement pourrait manifestement être autrement important et les spécialistes de la transition  écologique sont là pour nous le rappeler[9]. Pour autant, il ne se réalise pas…sans doute pour des raisons de profitabilité…ce qui nous renvoie à de forts anciennes théories discutées au 19 siècle…

Et, de ce point de vue, on se rend compte du caractère secondaire des outils aujourd’hui mis en place pour résoudre les problèmes de la finance. Dire par exemple que la séparation des activités bancaires en activités de crédit et en activités de marché permettrait  d’empêcher un « Crédit Crunch » en raison des surprofits sur activités spéculatives invitant les banques dites  « universelles » à se détourner de l’économie réelle, ne changerait que fort peu la réalité de la crise. La crise financière n’est en effet que le reflet de la crise en termes réels. Et la crise en termes réels doit plutôt être analysée en exploitant le filon de la contestation de la loi de Say.

 

Mais la rupture épistémologique est fort difficile.

 

Dans le domaine des sciences exactes, une rupture épistémologique n’est jamais facile, le passage du système de Ptolémée au monde Copernicien est là pour nous le rappeler. Pour autant, la rupture effectuée, le réel ne conteste guère, et l’Univers réel ne se pose pas la question des enjeux de sa représentation intellectuelle par les humains.

Dans le domaine des sciences sociales, les ruptures épistémologiques sont d’une toute autre nature, et jamais définitivement inscrites dans les schémas mentaux. On pouvait penser que le keynésianisme, même revisité, achevait la rupture avec la vision de Say. Ce ne fût pas le cas. Comme si la vision copernicienne du monde était abandonnée au profit du système de Ptolémée. C’est que dans le domaine des sciences sociales, le réel étudié est constitué d’humains en interrelations continues sur la base d’intérêts. Si donc la vision de la crise ne passe pas par la rupture avec la loi de Say, c’est tout simplement que de puissants intérêts s’opposent à un renversement de vision de nos pratiques sociales. Toutes choses que ce blog tente d’analyser depuis maintenant plus de quatre années.

 



[1] Cf « La loi de Say », ouvrage publié en 1991 chez Litec.

[2] Cf le tome XXII de la Revue encyclopédique : « Sur la balance des consommations avec les productions », Mai 1824.

[3] Cf « The Economic History of India » London, Routledge,1902.

[4] Cf son ouvrage : « Etudes sur le développment du capitalisme », F Maspero, 1971.

[5] Cf son « Histoire des faits économiques et sociaux », Aubier Montaigne ,1963.

[6] Le comportement nouveau des banques centrales est là pour en témoigner. De la même façon le pessimisme croissant sur la possibilité de remettre le système bancaire sur les rails va dans le même sens. Enfin des débats entièrement nouveaux tels ceux concernant  le problème des « holdouts » (fonds vautours dont l’éviction est parfois exigée dans les processus de restructuration de la dette), ou plus étonnant encore les propos du président  du FSA (le régulateur britannique) reprenant l’idée de court-circuiter les banques en distribuant directement le crédit à l’économie, révèlent un début de prise de conscience du caractère inextricable de la situation .

[7] « Le Monde » du 14 février 2013.

[8] Banque des Règlements Internationaux.

[9] Cf par exemple le Think Tank de la Fondation Nicolas Hulot.

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5 février 2013 2 05 /02 /février /2013 23:00

                  

 

Les libertariens ont souvent évoqué les notions de banque libre et de monnaie privée[1]. Il s’agit selon eux d’un système monétaire dans lequel n’existe pas de banque centrale, ni de régulateur au sens moderne du terme c’est-à-dire autorité administrative dépendant de L’Etat. Cela implique par conséquent que l’émission monétaire est le fait de banques, une monnaie ne pouvant se prévaloir d’un quelconque Etat garantissant cours légal et pouvoir libératoire illimité. La monnaie porte aussi le nom de la banque émettrice qui entre ainsi en concurrence avec les autres établissements bancaires. Les fonctions classiques de moyen de paiement, de réserve de valeur et d’unité de compte sont ainsi cédées au marché, lequel est censé détecter la ou les banques qui assurent le mieux les dites fonctions.

 

Le mythe de la monnaie comme bien privé parmi d’autres.

 

Le point de vue libertarien est curieusement normatif alors même que ses représentants sont les seuls économistes à s’être efforcés de construire une théorie de la genèse de l’Etat et de sa nature, théorie qui ne soit pas la traditionnelle « pièce rapportée », au beau milieu des raisonnements économiques, afin de les parfaire ou de les compléter. Pièce rapportée, pour les néoclassiques de façon assez magique : l’Etat vient compléter et parfaire le travail des marchés, devenant ainsi la « main  visible » complétant le travail de la « main invisible » ; et pièce rapportée tout aussi magique pour les keynésiens : l’Etat vient corriger les faiblesses du marché, devenant ainsi la béquille du capitalisme.

Curieusement, parce que les libertariens pensent savoir quelle est la vraie nature de l’Etat : un objet social immortel et surtout inattendu (donc involontaire) issu de l’interaction sociale volontaire, ils proposent des solutions peu probables en matière d’organisation monétaire et financière. Peu probables en ce sens que logiquement le fonctionnement des marchés politiques qu’ils décrivent assez correctement ne peut pas déboucher aisément sur des banques libres et une monnaie privée. Nous verrons au contraire que la monnaie, en raison même de la nature profonde du pouvoir est un objet politique complètement central…même si cet objet est parfois confié – au moins partiellement- à des banques privées, mais toujours régulées par une autorité.

C’est ce qui explique qu’empiriquement, banques libres et monnaie privée furent des objets assez rares, et dont l’existence était éphémère. A cet égard, les ouvrages et articles qui soutiennent le caractère courant de la liberté d’émission[2] dans des espaces devenus réellement marchands, doivent être réévaluées et dans bien des cas, les banques libres disposaient de monopoles légaux, ce qui était notamment le cas de la Banque de France de Napoléon qui n’était pas vraiment libre…ni bien sûr banque centrale. Dans d’autres cas, les banques dites libres étaient probablement davantage des concessions politiques au regard de régions encore insuffisamment soumises à un pouvoir central, ce qui peut correspondre à la situation des banques libres d’Ecosse. Précisons enfin que l’absence de banque centrale ne signifie pas banques libres. Il peut en effet exister d’autres formes de tutelles y compris aux USA d’avant la création de la FED.

 

La monnaie comme «  belles histoire » à raconter aux étudiants

 

Les manuels d’économie délivrés aux étudiants sont souvent plus sobres en ce qui concerne la monnaie. Dépourvus généralement de références ethnologiques et sociologiques, et sobrement pourvus de références historiques, la genèse de la monnaie y apparait comme belle histoire de l’aventure de l’échange marchand, échange lui-même peu expliqué, et qui se borne à la problématique du dépassement du troc, dépassement faisant émerger un équivalent général appelé monnaie. Marx grand dénonciateur, avec sa « Critique de l’Economie Politique » n’ira pourtant pas plus loin avec une monnaie qui ne cristallise que de la valeur travail et assure les « métamorphoses de la valeur ».

 

La monnaie n’est pas un bien public.

 

    Le souci classificatoire reposant sur la distinction bien privé/ bien public ne nous aide pas non plus beaucoup pour repérer la nature profonde de la monnaie. Si elle  permet l’échange privé et se trouve faire l’objet d’une appropriation privative, on sent bien aussi son caractère social et donc public, puisque sa valeur et sa capacité à circuler dépend fondamentalement d’un consensus social. Son utilité en quelque sorte dépend du regard d’autrui, ce qui n’est pas le cas d’un bien réellement privé. Mais la monnaie ne relève pas non plus véritablement de la théorie des biens publics. Le principe de non exclusion ne s’y constate pas : si on ne peut exclure l’usage d’un panneau de circulation routier, l’accès à la monnaie est plus problématique pour celui qui n’a pas les moyens de s’en procurer par le travail, le capital, la famille, etc. De la même façon, le principe de non- rivalité n’est pas respecté et les économistes évoquent par exemple, à offre de monnaie constante, l’effet d’éviction pouvant être engendré par un Etat trop accapareur d’épargne au détriment d’investisseurs privés.

 

La monnaie comme simple bien mis sous tutelle.

 

Les juristes seront d’un bien meilleur secours pour, au moins empiriquement, qualifier la monnaie. A cet égard la notion de service public selon la définition donnée par Léon Duguit est riche d’intérêt. Selon ce publiciste : « toute activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé, et contrôlé par les gouvernants parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’elle est d’une telle nature qu’elle ne peut être réalisée complètement que par les gouvernants est un service public ».

Il est à priori possible, relativement à la monnaie, de contester une telle définition qui, rédigée au 19ième,  apparait inactuelle, voire à bien des égards erronée. Ainsi les monnaies locales assurent l’interdépendance sociale et fonctionnent fort correctement sans les Etats. Conçues pour assurer l’interdépendance sociale (elles ne libèrent jamais) les Etats y apparaissent complètement inutiles. Toutefois les monnaies dites modernes sont d’une autre nature, car elles sont réserves de valeur et sont de la liberté (« liberté frappée » disait-on autrefois). Parce que l’interdépendance sociale n’est plus faite de réciprocité volontaire et directement visible pour les acteurs, il faut bien une extériorité, venant garantir la réserve de valeur ou le réel pouvoir libératoire de l’instrument monétaire. Dans le cas de la monnaie locale ,il y a auto production du lien qui fait société. Dans le cas de la monnaie moderne, c’est un extérieur qui doit produire la confiance dans l’interdépendance sociale. La monnaie doit donc être effectivement un bien mis sous tutelle. De ce point de vue, Léon Duguit et son idée de service public, exprime bien une réalité indépassable de la monnaie moderne, idée qui sera repris bien plus tard par Richard Musgrave (1957) sous l’expression de « bien tutélaire ».

 

 Aller  plus  loin pour comprendre la nature de la monnaie.

 

Nous voudrions allez beaucoup loin et montrer que cette dernière idée- la monnaie comme bien tutélaire- désigne une réalité beaucoup plus fondamentale  toujours masquée, à savoir que la monnaie est un objet politique central dont le devenir historique est sa progressive dégradation en objet aux apparences simplement économiques. Et donc une apparence redevable de l’analyse économique. Mais une dégradation ne signifie  pas pour autant, un  changement de nature.

 

Historiquement, à l’aube de la naissance du politique et de l’Etat, le pouvoir s’annonce comme instance  récupèrant les propriétés de l’universalisme de toute religion, à savoir l’idée de dette des hommes vis-à-vis des puissances de l’au- delà.  Ce qui était de l’ordre de la dette de vie envers les dieux, devient endettement généralisé envers un pouvoir violent : un « coup d’Etat fondant l’Etat » selon une expression devenue célèbre[3]. Les formes de la dette nouvelle sont autant de sacrifices, variés en qualité, et  variés en quantité de violence: dette de sang,  esclavage généralisé, tribut divers, corvées, impôt. L’impôt moderne, monétaire, trouve ainsi ses racines dans le remplacement du religieux par le politique. Mais la partie de la dette appelée impôt monétaire, n’est vraiment dette que si le pouvoir a la capacité de se faire payer en une  monnaie qu’il a choisi, c’est-à-dire celle qu’il contrôle. Si tel n’était pas le cas, le pouvoir prendrait le risque de se faire payer – la dette des sujets - en une monnaie non admise par ses créanciers, ce qui reviendrait à une libération des sujets vis-à-vis de l’impôt. Par exemple, on voit mal un Etat acceptant de se faire payer en monnaie locale, que l’on pourrait imprimer et qui ne correspondrait qu’à fort peu d’utilité pour lui, tant la monnaie locale échappe à l’universel recherché par l’Etat. Parce que ce dernier exige l’universel seul susceptible de maintenir l’intégralité de la dette des sujets, il ne peut accepter qu’une monnaie parfaitement convertible. Plus concrètement encore, on voit mal un commerçant algérien implanté en France payant ses impôts au Trésor français en Dinars…inconvertibles…

 

La monnaie est le cœur du réacteur du pouvoir en formation

 

On peut ainsi dire, et ce à l’appui des thèses néochartalistes que la monnaie moderne, avec toutes ses caractéristiques, est historiquement la forme choisie par le pouvoir pour le règlement de la partie de la dette des sujets appelée impôt .

Toujours sur le plan historique, la forme choisie par le pouvoir est celle qui rend sa créance la plus universelle c’est à dire la plus liquide possible. Concrètement, parce que le pouvoir exerce des fonctions guerrières coûteuses et qu’il est souvent amené à effectuer des paiements au profit d’autres pouvoirs extérieurs à lui, la forme choisie ou élue -par tous les pouvoirs politiques - sera le métal.

Il est faux de dire que le métal est une valeur en soi, comme pourra l’énoncer Marx et bien des économistes. Le métal est simplement la liquidité universelle qui, spontanément, a généré de l’inter action sociale. Et de la liquidité universelle qu’il affiche, découlera sa fonction réserve de valeur. Liquidité universelle et réserve de valeur sont indissolublement liés.

Ce créancier universel qu’est l’Etat en formation peut aussi contracter des dettes envers d’autres pouvoirs, mais aussi envers des personnes qu’il ne contrôle pas, et qui pourtant sont d’une grande utilité. Il s’agit des mercenaires que l’on rétribuera  en métal. Les mercenaires utiliseront ainsi le métal pour leurs dépenses - de simples dépenses courantes de consommation - auprès des sujets endettés, sujets endettés qui paieront l’impôt à partir des ressources acquises sur les  dépenses des mercenaires.

Le cercle est ainsi bouclé, et le  "Circuit du Trésor" cher à François Bloch Lainé n’est pas une invention de l’Administration française de l’après  seconde guerre mondiale, mais le cœur même de toute chaudière étatique en formation.

Il apparait ainsi que la nature profonde de la monnaie, ce qui constitue en quelques sorte son identité au sens génétique du terme, est fondamentalement politique. Ce n’est pas un bien mis sous tutelle par le pouvoir une fois que celui-ci est né. Il est le moyen de son engendrement et de la violence qu’il génère. C’est la raison pour laquelle la monnaie doit plutôt être désignée comme objet politique  central : elle est ce qui a fait l’Etat. Et elle est aussi l’objet qui en assure son maintien. Telle est sa marque biologique qui permet de bien comprendre les évènements historiques qui la concerne. Elle permet aussi de comprendre ce qui souvent n’est plus discuté, et surtout plus mis en avant, avec l’évolution du pouvoir vers sa forme Etat de droit : « Battre monnaie est un attribut de la souveraineté ».



[1] On pourra citer bien sûr Friedrich Hayek, mais aussi David Friedman ou Pascal Salin. On trouvera en fin d’article une courte bibliographie.

[2] Parmi eux citons Lawrence H White (1995), Kevin Dowd, ou Kurt Schuler.

[3] Cf l’analyse de Pierre Clastres dans « La société contre l’Etat » ,Minuit,Paris,1974.

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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 17:36

 

Je vous propose une nouvelle vidéo sur la monnaie et le 100% Monnaie qui m'a été proposée.

www.centpourcentmonnaie.fr

Elle utilise la représentation visuelle de la feuille comptable afin de mieux appréhender les mécanismes monétaires en jeu. Je l’ai beaucoup appréciée et y ai trouvé un plus par rapport aux autres présentations que l’on trouve sur le marché notamment sur ce qui touche Bâle.

 

 

 

 

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30 janvier 2013 3 30 /01 /janvier /2013 10:41

                                        

La crise de la zone euro a clairement révélé les insuffisances de la construction de la monnaie unique. Insuffisances qui font encore débat puisque le courant dominant et la stratégie correspondante privilégie encore la voie de la solution individuelle (chaque pays est responsable de ses comptes), tandis qu'un autre courant, propose de passer par davantage de solidarité (budget commun , eurobonds,etc.).

Le présent texte se propose de tester la faisabilité d’une construction solidaire en questionnant la théorie rawlsienne de la redistribution.

L’ordre Rawlsien

On sait que Rawls est un auteur américain qui dans sa "Théorie de la Justice" s'est longuement interrogé sur de possibles alternatives à la montée de l'ultralibéralisme américain. Dans sa vision, une bonne société est celle qui n'accepte comme niveau d'inégalités, que celui qui procure le grand avantage aux plus démunis. Il s'agit bien sûr d'une théorie normative: Rawls n'explique pas le monde "tel qu'il est " mais bien "tel qu'il devrait être". En ce sens nous ne sommes pas dans une démarche scientifique. Au surplus Rawls se place dans un monde idéal peuplé d'individus (nous sommes dans l'individualisme méthodologique) qui fait de chaque acteur un personnage auto déterminé. A partir de cette axiomatique Rawls démontre que le contrat social qui doit logiquement naitre d'une société  peuplée d'individus auto déterminés, passe par une négociation sous "voile d'ignorance" où les acteurs négocient une constitution débouchant sur le niveau optimal d'inégalites : celui qui assure le maximum de bien -être aux plus démunis. l'idée de voile d'ignorance définit selon Rawls une situation où les participants à la négociation ne connaissent  pas leur position originelle dans la société: riche, malade, pauvre, handicapé, etc. Cette méconnaissance, et donc le risque correspondant, amenant les sociétaires à faire le choix de la bonne société, celle qui peut protéger au cas où les individus seraient mal placés sur l'échiquier de la distribution sociale.

Ce maximum de bien être, assuré aux plus démunis, est évidemment fourni par les autres individus dont les capacités productives plus grandes, verront les fruits correspondants partiellement redistribués aux plus démunis. Sans le dire ouvertement, Rawls envisage donc un ordre de type social-démocrate.

Son raisonnement vaut évidement dans l'ordre national où les individus sont acteurs d'un espace type Etat-Nation. Ce raisonnement avec construction d'un ordre social "sous voile d'ignorance" est-il adaptable au cas où les sociétaires, devenus citoyens, sont remplacés par des Etats-Nations? Et il s’agit bien d’Etats qui deviennent les sociétaires d’un ordre à contruire, par exemple une europe fédérale ou confédérale. De ce point de vue, les tentatives d’adapter Rawls à l’ordre international en partant des individus ( Charles Beitz ou Thomas Pogge) paraissent irréalistes : la construction d’une Europe fédérale ne peut qu’être le fait des Etats.

Sociétaires " individus" et sociétaires "Etats-Nations" "

La première idée qui vient lorsque l'on passe de l'individu à l'Etat, est que fort banalement le champs de la négociation est fort différent. Les Etats, surtout lorsqu'ils ont atteint la forme Etat de droit, ne sont pas des acteurs auto déterminés, mais des acteurs dont la réalité comportementale est le résultat d'un instable compromis antérieur, celui des groupes sociaux qu'ils sont censés rassembler. Les Etats et donc leurs représentants, c’est-à-dire les entrepreneurs politiques, qui sont ainsi invités à négocier sous voile d'ignorance pour construire le projet européen, ne sont pas des sujets ou des citoyens, mais au moins partiellement des exécutants d'ordres venus de la base. Ils ne sont toutefois pas que cela, car ces exécutants sont des entrepreneurs politiques qui proposent des programmes  achetés par la base, achat qui se matérialise par un résultat électoral  correspondant à la conquête ou la reconduction au pouvoir des dits entrepreneurs. Ils ont donc des intérêts en liaison avec la base, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne font que représenter la base : ils ont des intérêts propres.

Si donc la constitution européenne ou le contrat européen a pour but de rendre viable durablement, par exemple la monnaie unique, nous ne sommes déjà plus dans une négociation sous voile d'ignorance. De fait le raisonnement sous voile d’ignorance, difficile à imaginer, mais sans doute possible pour des individus à la recherche d’une bonne Constitution, est une radicale impossibilité logique dans le cas de la construction d’une constitution fédérale européenne. En effet, si l’on imagine un budget fédéral à des fins redistributrices  en vue d’assurer l’édification d’une zone monétaire optimale, cela signifie nécessairement que les sociétaires (les Etats) connaissent la réalité et qu’il ne saurait être question d’en faire abstraction. Et cette réalité est très largement conflictuelle… dès le début de la négociation. Ainsi est-il possible d’estimer la réalité de façon fort contradictoire…Nous ne sommes plus dans l’hypothèse rawlsienne où l’individu incapable de savoir quelle est sa situation se montre beaucoup plus ouvert et coopératif.

Les pays du sud peuvent légitimement mettre en avant qu’ils sont victimes d’une monnaie unique qui ne leur permet pas d’accéder à la compétitivité externe. Mais les pays du Nord peuvent rétorquer que le sud a eu le grand tort historique de s’être  « drogué à l’euro ». En retour ces derniers peuvent répondre que la « drogue euro » fût très favorable au nord qui a pu voir ses exportations garanties par disparition des risques de taux de change. Arguments et contre- arguments peuvent s’enchainer sans fin.

Le raisonnement mené à partir de la matière première euro aurait pu être mené à partir de toute autre considération. Dans le raisonnement initial de Rawls, l’individu est en quelque sorte une pièce détachée ( il ne voit pas que la réalité vécue est le résultat possible d’un jeu social antérieur), pièce simplement soucieuse de sa position vécue comme « naturelle » (malade /bien portant ; jeune/vieux ; riche/pauvre, etc.). Dans le cas d’un raisonnement appliqué à des nations souhaitant construire une Constitution fédérale ou confédérale, il n’y a plus de détachement possible : la réalité est historique et résulte aussi de jeux antérieurs, jeux  dont les acteurs ont une représentation nécessairement non objective donc plus ou moins discutable ou contestable.

Alors que dans un monde d’individus, la négociation sous voile d’ignorance- même très difficile- est pensable et peut aboutir fort logiquement à la bonne société, sociale-démocrate et redistributive de Rawls, il semble illusoire d’aboutir à l’idée de fédération européenne sociale-démocrate et redistributive. Dans le premier cas, le voile d’ignorance peut être imaginé et c’est un peu ce que l’on vérifie, parfois, historiquement lors des changements de Constitution. Bien sûr la société est-elle toujours déjà construite et la situation originelle n’est qu’une construction intellectuelle, et à ce titre raisonner sur des individus et sur des Etats est formellement la même chose. Pour autant la grande différence est dans la matière première : l’hypothèse d’un voile d’ignorance fondateur d’un bon compromis entre Etats est un exercice particulièrement difficile.

 

Impossible « non société » et évidente pérennisation d’Etats

 les Etats  et leurs entrepreneurs politiques en négociation ne sont intéressés à une constitution européenne que si la solidarité est  assurément plus avantageuse que l'isolement. Et quand il est dit solidarité plus avantageuse, c’est évidemment sous l’angle de la conquête ou la reconduction au pouvoir national. Cette question ne se pose pas dans le raisonnement rawlsien où l'individu ne peut être seul, et ce même pour les "ultra" de l'individualisme méthodologique : il faut bien d’une façon ou une autre faire société. Parce que L'Etat est déjà un ensemble protecteur constitué, le passage à la fédération est extraordinairement difficile . Alors que l’association avec mon semblable correspond à une obligation de simple survie dans le cas d’individus, l’association entre Etats ne peut que fort rarement correspondre à de la survie et, historiquement, c’est plutôt la frontière (le dedans opposable au dehors) qui sécurise réellement ou idéologiquement.

Mais il existe beaucoup d’autres causes qui empêchent le contrat rawlsien  fédéral ou confédéral.

 

Choix dominants (Etats-Nations ou mondialisation) et choix dominés ( fédéralisme)

Les groupes qui ont intérêt à la fin des frontières sont moins nombreux à envisager une frontière confédérale intermédiaire. En clair, les partisans de l’ouverture ne se contentent pas du niveau fédéral et préfèrent passer à la mondialisation. C’est que l’échelon intermédiaire apparait pour ces groupes comme la nouvelle forme de la fermeture avec la fin des jeux possibles sur la concurrence fiscale ou sociale ou la fin des prix de transferts fiscalement avantageux. Pour ne prendre qu’un seul exemple , l’Irlande, avec le compromis social qui règle les objectifs de son Etat et de ses entrepreneurs politiques, préfère la mondialisation, à la confédération européenne qui ne pourrait plus accepter son actuel taux d’imposition dérogatoire sur les sociétés  Quand l’intérêt de l’ouverture existe, il se déploie donc plus volontiers au niveau mondial, tout en souhaitant ménager des zones mi ouvertes et mi fermées (les vieilles nations) qui permettent les meilleurs arbitrages possibles.  L’intérêt des groupes partisans de  frontières protectrices n’est pas celui correspondant à la naissance de frontières élargies à l’espace fédéral. Parce que beaucoup plus repliés sur le vieil Etat Nation, ils mesurent mal l’avantage d’un déplacement de protection à un niveau fédéral. Les entrepreneurs politiques eux-mêmes, au-delà de leur obligation de représenter le compromis acceptable sur les marchés politique, compromis assez peu favorable au stade  fédéral ou confédéral, sont eux-mêmes peu intéressés par la perte d’une partie des leviers de commande qu’exige le passage au niveau fédéral.

 

Les idéologies dominent la raison

Maintenant quand il est dit que logiquement le passage au fédéralisme s’opère lorsque l’arbitrage coût/ avantages, l’y incite, il s’agit là d’une affirmation très théorique, très idéologique et fort éloignée des réalités. En particulier il est erroné d’affirmer que la mondialisation exige des regroupements, que nous sommes trop petits, que seuls nous quittons l’histoire, etc. Il est des  petits pays qui ont peut-être intérêt au fédéralisme (Portugal, Grèce), mais il en est d’autres où le compromis social, beaucoup plus tourné vers le libéralisme (Irlande, Lettonie) voit dans le fédéralisme une nouvelle camisole.  Il est donc, à l’inverse des individus rawlsiens qui ne font jamais sécession à la table de négociation, des Etats qui refuseront le passage au fédéralisme et préféreront, soit de voter avec les pieds, soit de bloquer la négociation. Situation qui n’est pas très éloignée de ce qui se passe aujourd’hui, entre la Grande Bretagne qui se contente du grand marché, et d’autres pays soucieux d’aller plus loin pour éviter la ruine de la monnaie unique.

 Mais il est des situations encore plus complexes où le compromis social mis en mouvement par les entrepreneurs politiques est schizophrène. L’exemple  de l’Allemagne est, parmi d’autres, intéressant en ce que  des entrepreneurs politiques seraient à priori favorables au fédéralisme, mais où d’autres sont heureux de voir une cour constitutionnelle (la cour de Karlsruhe) qui interdit de fait tout transfert budgétaire. Et donc toute réelle tentative de fédération ou de confédération.

De cet ensemble de réflexions il apparait clairement que l’apparition d’une fédération d’Etats européens disposant d’un budget réel est extrêmement peu probable. A fortiori un fédéralisme rawlsien avec effets redistributifs, type social-démocratie. Dans ce contexte tout ce qui peut ou doit  être entrepris est logiquement stratégie de contournement : la monnaie unique  exige bel et bien une redistribution fédérale irréaliste, et face à cette constatation, son  maintien ne pourra s’appuyer que sur les artifices de la BCE ou du FESF. Des objets que l’on maintient loin des Etats qui resteront le plus logtemps possible ce qu'ils sont .

 

 

 

 

 

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26 janvier 2013 6 26 /01 /janvier /2013 15:57

Avec le temps acheté par les banquiers centraux qui maintiennent en vie la machine à fabriquer de la dette pour empêcher l'effondrement financier et économique planétaire, beaucoup d'experts persistent dans l'erreur et concluent des raisonnements que le simple bon sens peut aisément récuser.

 Ainsi il est aujourd'hui affirmé haut et fort que si l'austérité est difficilement supportable, les premiers dividendes commencent à se manifester. Le cas de La Grèce, du Portugal de l'Irlande, de l'Espagne, mais aussi de la Lettonie sont ainsi évoqués pour vanter les mérites d'une compétitivité en voie de restauration.

Le moteur de cette compétitivité n'est évidemment pas la hausse de la productivité physique des facteurs de la production, il est plus simplement la baisse  sur la période 2009/2012 du coût salarial unitaire : plus de 20% pour la Lettonie, 12% pour la Grèce, 9,9% pour l'Irlande, 7,9% pour le Portugal, 7,4% pour l'Espagne.

Bien évidemment, il en résulte une baisse de la demande intérieure, elle même favorisée par la baisse de la dépense publique (santé, éducation, etc.). Cette baisse en volume depuis 2009, et calculée à partir d'une base 100 en 1999, correspond à 30 points pour la Grèce et la Lettonie, et approximativement 12 points pour l'Espagne et le Portugal.

Il n'est guère besoin d'être expert, pour comprendre que cette baisse de la demande intérieure, procure des effets bénéfiques en termes de recul des importations: la baisse est le produit de la propension à importer par la variation de la demande intérieure. A l'inverse, la baisse du coût du travail rend les exportations plus aisées, ce qui se manifeste de façon assez spectaculaire. Ainsi entre Janvier 2009 et octobre 2012, l'Espagne voit le volume de ses exportations mensuelles doubler, Grèce et Portugal augmentent de 80% leurs exportations, tandis que l'Irlande, pays déjà très exportateur avant 2008 ne fait que retrouver la situation d'avant la crise.  

Cette embellie due à la compétitivité, est évidemment un choc pour les autres pays fournisseurs et clients , essentiellement le reste de la zone euro, qui doivent encaisser en termes de recul d'activité, aussi bien la chute de la demande intérieure, que le regain des exportations de l'Espagne, du Portugal, de l'Irlande, du Portugal, etc. L'Italie est du reste sur le même chemin. Bien évidemment, les experts en raisonnement erronés risquent de répondre en disant que tous doivent prendre ce chemin difficile mais vertueux. Mais alors, si tous doivent davantage exporter et si tous doivent dégonfler la demande intérieure, aussi en réduisant les dépenses publiques, qui va acheter?

Nous le voyons il est impossible de na pas évoquer la question essentielle, souvent abordée dans ce blog: la configuration actuelle de la mondialisation, avec des chaines de la valeur très découpées pour répondre à la vieille crise du fordisme, n'a fait que développer un écart croissant, entre offre globale mondiale et demande globale mondiale.    Ecart comblé jusqu'ici, par la machine à faire de la dette, dont l'épuisement se matérilise en crise financière gérée faute de solution de façon de plus en plus accrobatique . Les châteaux de cartes sont comme les courbes: ils ne peuvent monter jusqu'au ciel.

A l'inverse, constatons qu le contrôle qualité des raisonnements économiques, n'arrive pas, lui, à décoller.

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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 23:00

    En relevant son objectif d'inflation à 2% et en s'engageant à racheter 13000 milliards de Yens d'actifs par mois, soit plus de 100 milliards d'euros mensuels, La BoJ répond assez docilement aux injonctions du nouveau gouvernement japonais. On sait aussi qu'en grande partie les actifs correspondats seront de la dette publique.

Logiquement, ce changement doit impulser une baisse du taux de change, une hausse des prix des marchandises à fort contenu en importations et une relance des exportations. Les effets pervers bien connus, si l'on ne change pas les règles du jeu, sont naturellement le risque de l'élévation du coût de l'endettement public, surtout la dette à long terme, dont les taux pourraient incorporer une prime de risque inflationniste. 

Logiquement, la finance devrait s'inquièter d'une telle stratégie en raison de bilans chargés lourdement d'obligations qui pourraient ainsi se déprécier, mettre en péril le système bancaire et le voir réagir en termes de limitation des prêts, donc de récession confortée malgré une volonté publique de relance.

Bien évidemment tout cela est vrai dans le cadre du paradigme dominant qui accepte de concrétiser une modification du rapport de forces entre entrepreneurs politiques et entrepreneurs de la finance protégés par la Banque Centrale, mais qui ne va pas jusqu'au bout du changement minimal exigé pour limiter les effets de la crise.

Pour améliorer substanciellement la situation, il faut casser la machine à faire de la dette, et ne pas se contenter de quantitative easing, même lourd, qui s'appuie toujours sur une logique de marché du financement de la dette publique. La BoJ peut très bien - en supposant un tout autre rapport de forces -ne pas racheter , même de très gros volumes de la dette publique, et simplement être soumise à un Trésor qui exige un financement illimité à coût nul.

Cette stratégie est la seule qui puisse restaurer un minimum de croissance avec forte baisse du taux de change. Le tout bien évidemment dans le cadre d'une stratégie non coopérative, reportant le poids de la crise sur les autres pays victimes de la dévaluation.

 

 Cette stratégie ne serait pas  au surplus nécéssairement défavorable à la finance. La restauration du pouvoir politique sur la monnaie est favorable au maintien de taux bas, ce qui protège les bilans bancaires, tandis que la dépense publique nouvellement augmentée par le biais du financement illimité du Trésor, nourrit les comptes bancaires et donc la liquidité bancaire. cette remarque - si on la généralise aux autres pays- signifie que vraisemblablement, le temps des Banques Centrales indépendantes est probablement dépassé: le coût net global  pour la finance du rétablissement de l'autorité monétaire n'étant peut être pas trop élevé.

Et avec ce dépassement, le monde entrera dans une nouvelle phase  de la grande crise: celle de la guerre des monnaies, chaque pays cherchant à reporter le poids de la crise sur l'ensemble des autres. Ce que semble confirmer le président de la Bundesbank, qui voit dans la perte de l'autonomie des Banques Centrales le risque de la course à la dévaluation et - citation délicieuse - "une politisation plus forte des taux de change"... 

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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 08:34

On trouvera çi-dessous le plan de ma conférence prononcée au Cercle Aristote le 21 janvier 2013 à Paris:

                  Qu'est-ce qu'une Banque Centrale?

 

-        Vers un changement de paradigme concernant les Banques Centrales ?

-        La monnaie moderne est, historiquement, la forme choisie par le pouvoir pour le règlement de la partie de la dette des sujets appelée « impôt ».

Explication :

    -     Historiquement le pouvoir fait des sujets, des endettés ;

    -    Il récupère pour cela le fondement universel des religions qui  fait  des  hommes, des endettés vis-à-vis des forces de l’au-delà ;

    -     la dette est multiforme : vie, travail forcé, ressources diverses, impôt  monétaire ;

                -     le pouvoir choisit la forme de la monnaie de l’impôt monétaire :  historiquement le métal, car   liquidité universelle et réserve de  valeur.

                  -     La monnaie métallique apparait-historiquement - comme règlement de la dette du pouvoir vis-a-vis des mercenaires qu'il emploie.

 

-        La circulation monétaire à partir des dépenses des mercenaires constitue la richesse qui sera prélevée sur les sujets, richesse appelée « impôt ».

 

-        La première forme de  Banque Centrale est une mine  de métal soudée au Trésor Public.

-        La monnaie est ainsi historiquement un objet politique central bien plus important qu’un simple « bien public ». D’où la bonne compréhension de l’expression :

                               « Battre monnaie est un attribut de la souveraineté ».

 

-        Parce que métallique et réserve de valeur, la monnaie devient  «  loi d’airain » pour le pouvoir.

 

-        La marche progressive du pouvoir  vers l’Etat de droit, devient baisse de niveau d’intensité et partage de la violence d’Etat : des sujets peuvent devenir des créanciers du pouvoir.

 

-La dette publique est un signe tangible de la baisse de la violence d’Etat, et son transfert progressif au secteur privé de la finance.

 

-        Parce que les Banques Centrales, nées d’une baisse de la violence d’Etat, sont amenées à gérer l’objet politique central qu’est la monnaie, elles sont des

                                               institutions politiques centrales

 

-        Le détachement progressif des Banques Centrales vis-à-vis des Trésors correspond au transfert de l’objet politique central au secteur privé de la finance.

 

-        Les évolutions historiques des statuts des Banques Centrales traduisent l’évolution des rapports de forces entre finance et entreprenariat politique.

 

-        L’actuelle indépendance des Banques Centrales est la forme suprême de l’apparent démantèlement du politique.

 

 

 

                                           

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18 janvier 2013 5 18 /01 /janvier /2013 23:00

On trouvera çi-dessous le texte intégral de l'article publié dans le dernier numéro de Médium

 

            La loi d’airain de la monnaie

 

Par Jean-Claude Werrebrouck

 

 

 

On sait aujourd’hui qu’il est possible de créer autant d’argent qu’on en a besoin, et aussi bien l’histoire du vingtième siècle que la gestion actuelle de la crise – qui voit s’accroitre la masse monétaire beaucoup plus rapidement que la richesse – nous enseignent que la rareté monétaire est une invention humaine. De fait les actuelles banques centrales créent de l’argent à partir de rien.

 

Pour autant, parce que pendant des millénaires les hommes furent aliénés par un choix de monnaie métallique, ils ont connu la pénurie monétaire engendrée par des raretés de mines de métal auxquelles il fallait ajouter la thésaurisation. C’est cette pénurie, par ailleurs grande source de gains apparaissant sous la forme d’un taux de l’intérêt, qu’on appelle loi d’airain de la monnaie. Cette grande aliénation que l’on croyait disparue au vingtième siècle se dresse aujourd’hui sous la forme d’une gigantesque barrière notamment à l’encontre des Etats : ayant abandonné le pouvoir monétaire ils se font apparemment tort à eux-mêmes.[1]

 

 

 

Montée de l’économie et promotion du métal précieux

 

Dans le face à face permanent, caractéristique des sociétés primitives, l’échange prend une nature singulière .  Celui-ci peut être simple échange de dons ou échanges de valeurs économiques, dont le but n’est pas le profit mais simplement celui d’assurer la simple lutte contre l’entropie : il faut bien manger, s’habiller, etc. et produire les valeurs d’usages correspondantes dans une quantité suffisante, toutefois sans surplus, pour assurer la reproduction de la société. Dans ce type de monde, si des signes monétaires commencent à circuler, on ne peut les considérer comme équivalents aux nôtres car ils ne sont pas réserve de valeur, et ne sont pas thésaurisés. Les monnaies en question ne sont que des signes comptables matérialisant le crédit que se font des échangistes qui se connaissent et vivent par ailleurs dans un tissu social très dense. Par un curieux retour de l’histoire, nos « monnaies locales » - compléments des monnaies « réserve de valeur »- renouent avec ces monnaies antiques.

 

Ces dernières  perdurent le plus souvent alors même que des monnaies faites de métal précieux commencent à circuler. Ces deux espaces de circulation monétaires ne se recoupent pas : tandis que les vieilles monnaies servent aux usages communautaires traditionnels (le dedans), les autres feront circuler des marchandises beaucoup plus impersonnelles car appartenant à des inconnus et véhiculées par d’autres inconnus (le dehors). Dans l’Europe du moyen-âge, on parlait ainsi de « monnaies noires », faites de cuivre de bronze ou de plomb, opposées aux pièces de métal précieux. Ce fait historique marque le passage à l’économie, et si la simple lutte contre l’entropie persiste dans les cellules domestiques de base, d’autres agents s’adonnent à son dépassement avec le jeu d’un échange qui devient authentiquement économique et marchand. Avec son potentiel d’illimitation.

 

C’est ce bouleversement qui doit déboucher sur l’aliénation monétaire : le métal précieux est automatiquement « élu » et devient aussi réserve de valeur. Élu car l’élargissement de l’espace de communication (le dehors) fait diminuer le capital social : la confiance, sous-produit du holisme, laisse place à la méfiance envers ceux que l’on connait moins. La monnaie ne peut plus être un symbole que l’on pourrait même ne pas utiliser si la division du travail était extrêmement réduite. Il faut qu’elle devienne réalité, valeur réelle, pour libérer de tout engagement ; en même temps, elle devient pouvoir d’achat général, réserve en attente d’une opportunité. La monnaie de métal précieux devient ainsi à la fois la quintessence de la « liquidité » et une réserve de valeur.

 

Vertu libératrice avec sa contrepartie aliénante : c’est la perte de capital social qui élit le métal précieux en tant que paravent, face aux risques de ce qui devient l’économie. Elle devient ainsi un substitut, un ersatz, envers lequel la confiance doit en conséquence se maintenir, contre les faussaires et autres manipulateurs. C’est le début d’une longue marche vers la loi d’airain de la monnaie.

 

Au-delà même des raretés naturelles provoquées par l’épuisement des mines, cette nouvelle monnaie tend à être « récessionniste » parce qu’elle est thésaurisée : elle risque donc de réprimer l’économie, alors même qu’elle résulte de la montée de cette dernière.

 

Montée du politique et marche vers la centralité monétaire

 

Les premières civilisations, les empires et les États correspondants, ont dépassé le stade de la simple lutte contre l’entropie, et produisent du surplus, dont la contrepartie sera une accumulation d’objets symboliques, religieux et politiques : temples, objets d’arts, constructions témoignant de la puissance du prince, etc., qui élargissent la fonction réserve de valeur du métal. Ce surplus forme l’investissement « macroéconomique » de ce type de monde, dont le coût est la rémunération monétaire des artistes, artisans, et autres bâtisseurs de temples et de cathédrales.

 

La montée de l’économie et de la monnaie métallique est aussi celle de la grande aventure étatique. Le politique qui, dans ce type de monde, prend la place des dieux, bénéficie du statut de ces derniers et accapare leur position de créancier infini : l’impôt se substitue, au moins partiellement, aux sacrifices envers les divinités. Il y aura même parfois concurrence ou complémentarité, et Périclès racontera qu’il fallait – nécessité de la guerre oblige – prélever sur les offrandes et objets sacrés de Délos de quoi financer les armées. Les « entrepreneurs politiques » sont ainsi, comme les dieux, des créanciers, et les modes de remboursement restent diversifiés : dette de vie, esclavage, dépendances diverses, impôt en nature, mais aussi impôt monétaire. Et plus les prélèvements sont liquides et plus leur « pouvoir d’achat » est grand, notamment vis-à-vis d’étrangers, individus simples mercenaires, voire puissances politiques étrangères, connaissant la même aventure.

 

Le métal précieux doit donc logiquement devenir « équivalent général », se substituant progressivement à nombre d’autres formes de prélèvements. Les princes deviennent ainsi les personnages centraux d’une circulation monétaire plus moderne, celle qui initie l’âge économique de l’humanité. Battre monnaie devient un attribut de la souveraineté. Mais en même temps la vocation du métal est d’être dissimulé et thésaurisé : la guerre peut se manifester à chaque instant et les potentialités récessionnistes du métal sont ainsi récurrentes. La centralité monétaire est donc fondamentale. Les princes doivent y veiller, empêcher si possible l’exportation du métal (qui, par exemple, va saigner Rome et contribuer à son effondrement) et surtout se construire un monopole de la frappe : les hôtels des monnaies.

 

Ruser avec la loi d’airain

 

La sélection du métal est aussi un fardeau pour le prince. D’un côté elle affirme sa puissance et son pouvoir de prédation sur les sujets endettés ; de l’autre, il faut en réguler le flux si l’on ne veut pas faire face à une pénurie, source de récession ou, à l’inverse, risquer la méfiance résultant d’une surabondance. Le prince a intérêt à une multiplication des signes monétaires, surtout s’il peine à pérenniser ses prédations par la contrainte : esclavage, corvées, impôt, etc. La conjonction d’une pénurie de métal par épuisement ou perte de contrôle de mines conjuguée à des résistances croissantes des sujets, peut l’amener à « tricher » au niveau des hôtels des monnaies. Ainsi, en France le mandement royal de 1358 affirme sans pudeur que l’on doit préférer la monétisation à l’impôt et que le roi doit mobiliser les rentes qu’il tire de la frappe. Et si les sujets s’avisent de cette politique de dilution, le prince dispose d’autres expédients, par exemple l’obligation de renouvellement plus rapide de la frappe des monnaies anciennes, ou l’émission d’une nouvelle monnaie, voire la simple vente des hôtels des monnaies lesquels deviennent des charges publiques pour une bourgeoisie financière en voie de constitution.

 

Toute la période qui va de la naissance de l’économie et de l’État à leur plein épanouissement, avec les révolutions industrielles et le passage progressif à l’État de droit, correspond à l’histoire de la ruse avec la loi d’airain.

 

Pendant très longtemps, la monnaie de papier est une impossible solution à la pénurie monétaire, d’où des catastrophes bien connues, par exemple, en France, le système de Law ou les assignats. On a connu aussi l’élection de deux métaux précieux que l’on fait circuler simultanément avec des valeurs légales ne correspondant pas nécessairement à leurs prix de marché. Nous avons là toute la question du bimétallisme et de cette fausse solution qu’était l’Union Latine (1865), voulue par un empereur cherchant peut-être à restaurer un empire et édifier une monnaie européenne unique. Derrière ces tentatives se manifeste la « loi de Gresham »[2]. Et parce qu’elle fait peur, l’or continuera à manifester son irrésistible puissance. La Grande Bretagne s’y pliera très longtemps et paiera ainsi très cher sa tentative de retour à l’étalon-or dans les années 1920. Organisant la pénurie monétaire, son État devait plonger le pays dans un tourbillon récessionniste mettant fin à la grandeur britannique.

 

Loi d’airain et affrontements autour de la rente

 

La fonction de réserve de valeur de la monnaie à l’origine de la loi d’airain, préoccupe des groupes sociaux dont l’existence politique s’affirme en même temps que l’État de droit. Lorsque les princes, prédateurs infinis, saisissent qu’il est de leur intérêt de laisser grossir une masse taxable par le biais d’une prédation plus intelligente, ils laissent l’économie s’épanouir et avec elle le groupe des entrepreneurs économiques. Les créances des princes sur les sujets se trouvent complétées par des prêts consentis par les financiers. La fonction réserve de valeur de la monnaie s’épanouit et avec elle la rente, c’est-à-dire le taux de l’intérêt. Phénomène qui développe des endettements publics croissants et parfois gérés par la violence de l’État endetté : banquiers italiens du moyen-âge, machiavéliques expulsions des juifs avec extinction juridique des dettes de leurs débiteurs par versement du cinquième des sommes dues au Trésor royal, etc. Mais la marche progressive vers l’État de droit aboutit à un partage plus serein de la rente générée par la fonction réserve de valeur de la monnaie métallique. En échange d’un début de partage de la souveraineté monétaire, le prince, affaibli, se trouve plus ou moins assuré de bénéficier des services des banquiers.

 

Ceux-ci acquièrent, le plus souvent sans titres, un véritable droit sur la monnaie légale : ils commencent à émettre du papier au-delà de leurs réserves métalliques, ce qui correspond à un début de transfert de la fonction régalienne d’émission monétaire. L’ « entrepreneur politique », de plus en plus souvent soumis à l’élection dans le cadre d’un marché politique naissant, est satisfait de voir le déficit public couvert par un achat régulier de titres producteurs de rentes. Ainsi la rente perpétuelle du 19èmesiècle engendre une classe de rentiers heureux de voir se creuser le déficit public qui leur procure un style de vie confortable et sécurisant. A la belle époque (vers 1900) le service de la dette publique française est évalué à 25 % du budget de l’État, lequel représente environ 12 % du PIB et le service de la dette pèse donc trois points de PIB, charge comparable à celle que l’on constate aujourd’hui. Les entrepreneurs politiques ne rusent plus que modérément avec la loi d’airain : le franc germinal reste stable tout au long du 19ème siècle. Jadis les princes protégeaient les aristocrates, désormais ils défendent les intérêts des rentiers.

 

La montée de l’État de droit est aussi celle de l’idéologie du contrat social et de l’intérêt général. Moins prédateurs, les entrepreneurs politiques constatent que leur reconduction au pouvoir passe par un marché fort particulier où il est question de services publics dont le coût est financé par l’impôt. Mais comme le soupçonnent les premiers libéraux (Constant, Bastiat, Spencer…), les services publics et les impôts ne relèvent nullement du « contrat ». Aucun agent n’achète sur un marché, des services publics contre un paiement volontaire. Le libéralisme croit en finir avec le prédateur, alors qu’il n’en finit qu’avec son représentant historique et laisse intacts les instruments de la prédation, laquelle pourra fonctionner démocratiquement au gré des majorités parlementaires.

 

Mais si une communauté d’intérêts et de destin lie entrepreneurs de la finance et entrepreneurs politiques, des évènements majeurs peuvent mettre en cause cette complicité.

 

Loi d’airain maîtrisée et étiolement de la rente.

 

Lorsque l’illimitation de l’économie se conjugue avec l’illimitation de la guerre et des besoins financiers correspondants, les limites de la monnaie doivent être définitivement repoussées. Il faut inventer une usine à produire, toujours centralement, de la monnaie. Avec la fusion du Trésor et de la banque centrale, les moyens monétaires peuvent devenir tout aussi illimités que la violence militaire.

 

L’apparente mondialisation du 19ème siècle laisse la place à une forte consolidation des États-Nations. Curieusement, déficits et dettes publique devenus aussi gigantesques qu’aux époques prémodernes ne sont plus un boulet pour les pays qui – peut-être à l’exception de la Grande Bretagne – décident de ne pas s’en soucier, et préfèrent s’adonner aux investissements de reconstruction. Et il est vrai que si Trésor et Banque centrale ne font plus qu’un, la dette publique n’a plus de sens. Cette dernière n’a de réalité que si Trésor et Banque centrale sont séparés et n’ont de contact qu’avec un « curieux marché » où l’État (Trésor) est demandeur de monnaie – la monnaie légale, donc la sienne, celle qu’il a « adoubée » et fait gérer par la banque centrale - et où les banques  se trouvent offreuses de cette même monnaie.

 

Sans séparation, plus de marché de la dette et donc plus de dette publique. Dans un tel système où l’unité réelle – au-delà des apparences juridiques et institutionnelles – du Trésor et de la banque centrale est validée, c’est le Trésor qui fixe la quantité de monnaie en circulation et non pas le système financier. Durant quelque 60 années du vingtième siècle, dans nombre de pays, L’État retrouve la pleine souveraineté monétaire et cette fois sans risque d’épuisement de réserves métalliques, ni même de catastrophe monétaire, grâce à la mobilisation de tous les facteurs de production. Même l’Allemagne, victime d’une gigantesque inflation, saura, avec le docteur Schacht (1932-1936), se ressaisir très rapidement en faisant correspondre circulation monétaire et production. Désormais, dans nombre d’États, la production de monnaie s’ajuste à la croissance de l’économie laquelle a pour limite – à la fois supérieure et inférieure – les réserves en facteurs de production et en gains de productivité.

 

Mais avec l’étau monétaire disparaît – au moins partiellement – la rente. Surtout si, comme ce sera le cas de la France, le « curieux marché » n’existe plus, tant il est contourné, et que les taux d’intérêt réels (inflation comprise), sont politiquement décidés à un niveau proche de zéro. La rente est ici victime de la répression financière, ce que Keynes avait appelé « l’euthanasie des rentiers ». Ce n’est plus l’épargne (fonction réserve) mais la mobilisation de tous les facteurs de la production (plein emploi) qui nourrit l’investissement (fonction accumulation) financé par création monétaire.

 

La loi d’airain est ainsi provisoirement maitrisée . Elle survit toutefois en raison du comportement des autres souverains monétaires chez qui elle peut, en fonction des circonstances, se pérenniser. C’est que la fonction réserve de la valeur cherche à se maintenir malgré la répression financière, d’où la fuite devant la monnaie et la spéculation, qui entraînent à leur tour le renforcement de l’appareil répressif (contrôle des changes et de la circulation du capital, etc.). En renforçant l’Etat-Nation, le souverain moderne renforce un « dedans » face à un « dehors » lui-même renforcé et qui vient limiter sa souveraineté monétaire. De la même façon que les monnaies noires (du dedans) cohabitaient avec les monnaies d’argent et d’or (du dehors), les nouvelles monnaies souveraines se construisent sur la base d’un dehors qui échappe au souverain : l’euthanasie des rentiers ne parvient jamais à l’hégémonie.

 

Le retour de la loi d’airain de la monnaie.

 

Contrairement aux apparences, la fin de Bretton-Woods, avec la décision du président des USA, le 15 Août 1971, de supprimer la conversion en métal du dollar, ne correspond nullement à une nouvelle victoire sur la loi d’airain. C’est plutôt une victoire des entrepreneurs de la finance qui, bénéficiant de l’illimitation économique ouverte par la mondialisation, se sentent capables de repousser les limites du « déficit sans pleurs »[3]par la création monétaire. De même, une bonne gestion marchande des titres publics permet de soutenir, voire d’élargir le déficit public, « jumeau » du déficit extérieur. À l’époque, le président des USA ne se doutait peut-être pas du cadeau ainsi fait à la finance qui va accroitre sa « part de marché » dans le PIB planétaire. Quelques années plus tard, toute la législation rooseveltienne sera progressivement démantelée pour abolir la loi d’airain… dans la finance. Ce vaste mouvement sera justifié par une recherche universitaire étrillant le corpus keynésien au profit d’une « théorie des marchés efficients » nobélisée. La grande machine à fabriquer de la dette et donc de la rente, machine à financiariser l’économie réelle, se met en ordre de marche.

 

Partout dans le monde, les entrepreneurs de la finance se libèrent de la répression financière imposée par les entrepreneurs politiques et reportent sur les États les contraintes de la loi d’airain. La meilleure illustration en est donnée par la séparation complète des Trésors et des banques centrales, séparation extrême en Europe où les banques centrales de la zone euro ne peuvent même pas participer aux enchères de la dette publique. Du même coup, la rente est rétablie et se trouve désormais garantie par une politique rigoureuse de stabilité des prix, principal objectif des banques centrales indépendantes contre la dissolution des stocks de dettes par cet acide qu’était l’inflation. Les banques centrales deviennent gardiennes de la valeur des actifs financiers de toute nature, ce qui libère la finance et contraint les États.

 

De la loi d’airain de la monnaie à la loi d’airain des salaires

 

Au rétablissement d’une frontière infranchissable entre le Trésor et la banque centrale correspond la suppression de la frontière monétaire entre les États-Nations. Destruction d’un côté et construction de l’autre sont les conditions nécessaires à une édification grandiose : la mondialisation. Son prix se mesure en fin radicale de la souveraineté et en retour de la vieille loi d’airain de la monnaie au seul détriment des Etats.

 

La justification de la mondialisation est connue : l’épuisement du fordisme dès la fin des années 60  doit être combattue en recherchant de nouvelles productivités dans les espaces périphériques.  Il faut donc agréger aux vieux espaces d’accumulation de nouveaux territoires où la faiblesse des rémunérations se substitue aux gains de productivité déclinants dans les espaces centraux. Mais cela ne suffit pas pour rétablir un équilibre entre l’offre et la demande globales, car avec la disparition du fordisme national, disparaissent aussi les institutions qui garantissaient les débouchés d’une offre rapidement croissante. Sans mécanismes de redistribution, la pression sur les salaires rétablit la « loi d’airain des salaires » pré-fordiste à l’échelle mondiale : de quoi réfléchir à ces « sursauts de compétitivité » via une baisse du coût du travail dont le monde s’abreuve aujourd’hui en constatant l’affaissement de la croissance…

 

La présente crise de l’entrepreneuriat politique est vécue comme la « fin du politique » au profit de la dictature de l’économique. Il n’en est rien, puisque la mondialisation est elle-même une construction institutionnelle. Simplement, les entrepreneurs politiques qui depuis 30 ans construisent la mondialisation pour faire reculer les limites du fordisme sont obligés de la négocier contre la mise à l’index de l’État-providence… pièce essentielle  qui justifiait le succès et la légitimité  de l’entreprenariat politique.

 

Mais «  la loi d’airain des salaires » provoque une crise mondiale de débouchés où chaque État, tente de reporter par une concurrence agressive sur tous les autres, les problèmes qui en résultent. Face au dessaisissement monétaire des États, les entrepreneurs de la finance dérégulée proposent aux victimes de la nouvelle loi d’airain le remède de l’endettement pour pallier l’insuffisance mondiale de débouchés. Difficile dans ces conditions de maintenir la crédibilité d’un entreprenariat politique construite dans la phase ascendante du fordisme.

 

Les États dépossédés de la souveraineté monétaire ne sont pas tous dans la même situation au regard de la finance libérée.

 

Nouveaux rapports de forces

 

En dehors de cas très particuliers (Chine, Corée du nord…), le nouvel équilibre entre entrepreneurs politiques et entrepreneurs de la finance est un rapport de forces variable.

 

Pour les pays à monnaie de réserve, il existe une communauté d’intérêts. Ainsi, aux USA, c’est bien l’industrie financière, qui en augmentant sa part de marché dans le PIB, permet aussi le développement de la part de marché américain dans le total des dépenses militaires mondiales. Le financement de la guerre qui était naguère soumis à la loi d’airain (il fallait de l’or pour payer les mercenaires) s’en libère grâce à l’illimitation de la finance. La fin de Bretton-Woods permet ainsi le gonflement du budget militaire américain avec le financement des guerres associées : Vietnam, Irak, Afghanistan .

 

Pour les pays dont la monnaie ne repose que sur une base légale étroitement nationale, le rapport de force entre entrepreneurs de la finance et entrepreneurs politiques est tout autre, et la loi d’airain s’impose durement aux seconds, sous la forme du « curieux marché » : la rente est payée par les contribuables et vient limiter l’éventail des possibles.

 

Avec la séparation complète du Trésor et de la banque centrale, le premier est contraint d’acheter sa propre monnaie aux correspondants (les banques) de la seconde, qui lui est devenue étrangère. Pour conquérir ou conserver le pouvoir, les entrepreneurs politiques doivent construire de nouveaux compromis devenus plus difficiles car la nouvelle mondialisation impose, outre une gestion monétaire très stricte, une extrême prudence fiscale et sociale. Investir pour parvenir au plein emploi n’est plus une décision de politique économique et il ne faut désormais compter que sur la confiance des marchés.

 

Les pays de la zone euro sont sans doute les plus affectés. A défaut d’une fusion des marchés politiques au profit d’un État européen, la monnaie unique ne peut fonctionner que sur la base d’une loi d’airain particulièrement stricte, avec un séparation radicale des Trésors et de la banque centrale et le financement des États par le « curieux marché » au détriment des entrepreneurs politiques et au profit de l’industrie financière.

 

Avec les récentes décisions de la BCE de rachat sans limite de titres et ses fonctions futures dans l’union bancaire européenne en cours d’élaboration, ce sont les créanciers qui voient leur rente garantie. Et si demain l’ensemble du système bancaire européen passe sous le contrôle de la BCE, le rapport de forces au profit de la finance sera encore accentué.

 

Toutefois, la finance n’a pas intérêt à ponctionner les États jusqu’au défaut, au risque de l’effondrement planétaire. D’où ce paradoxe : après avoir acheté aux entrepreneurs politiques l’indépendance des banques centrales, les entrepreneurs de la finance exigent désormais qu’elles interviennent sur le marché de la dette publique pour soulager les États ! Le loup se préoccupe de la santé du mouton.

 

Désordres monétaires et paniques sur la fonction réserve de la valeur

 

D’une certaine façon la finance fût le mur de protection qui a permis de maintenir pendant près de trente années l’illusion d’un fordisme par d’autres moyens. C’est elle qui a rétabli l’équilibre entre offre et demande globales à l’échelle mondiale : la dépense américaine a pu s’accroitre malgré des revenus constants (dont la cause était la nouvelle concurrence mondiale) et la production chinoise a pu bondir sous l’effet d’une mondialisation compensant l’étroitesse des débouchés internes. Et ce modèle réduit de mondialisation qu’est la zone euro a pu reproduire par la finance, le modèle global : le Nord étant l’équivalent de la Chine et le Sud celui des USA. La crise de la machine à faire de la dette n’étant autre que l’effondrement progressif du mur de protection, mettant à nu la grande dislocation des sociétés. Il faudrait pérenniser la croissance de l’endettement pour empêcher le déploiement mondial de la crise de l’économie réelle, mais en même temps cette pérennisation est aujourd’hui impossible : trop de dette affecte la confiance.

 

Les volumineux et confortables coussins de dette retirés du jeu, il ne reste plus pour la survie de tous, que le bouc émissaire de la monnaie : la guerre des monnaies. Guerre elle-même perdue - car jeu à somme nulle - comme le fût la guerre des dévaluations des années 30. Un scénario probable est donc l’élargissement important des fluctuations (taux de change flottants) déstabilisant l’ensemble des systèmes de prix avec exacerbation de l’activité spéculative. Et une activité spéculative dont l’horizon serait la recherche acharnée, mais devenue difficile, de la fonction réserve de la valeur.

 

On peut donc penser que dans un premier temps, l’effondrement de la finance se marquera par l’élargissement du front de la financiarisation générale des activités humaines : si les monnaies, malgré le fantastique développement de la technologie financière ne peuvent plus assurer la fonction réserve de la valeur, alors c’est l’ensemble des autres biens qui sera testé comme salut possible. D’où, présentement, la bataille planétaire entre régulateurs publics ou privés et industrie financière pour bloquer les tentatives de limitation des activités purement spéculatives.

 

Bien évidemment l’histoire ne s’arrêtera pas, et le développement démesuré de la rente sera un jour corrigé en raison de ses effets dévastateurs, à l’échelle planétaire, sur les sociétés.

 

 

 



[1]Pour en savoir plus , on pourra consulter : « Banques centrale, indépendance ou soumission » Y Michel, 2012

[2]Thomas Gresham était un financier anglais du 16ième siècle qui avait constaté que lorsque deux monnaies circulaient simultanément dans un espace, les agents thésaurisaient la bonne monnaie pour ne financer leurs échanges qu’avec la mauvaise. D’où l’expression « la mauvaise monnaie chasse la bonne ».

[3]Expression de Jacques Rueff – conseiller du Général De Gaulle - pour désigner le déficit extérieur américain.

 

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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 23:00
Mario Draghi a déclaré jeudi 10 janvier que "nous retournions à une situation normale sur le plan financier, mais nous ne sommes pas du tout sur la voie d’une reprise rapide et forte". Après l’austérité, l’année 2013 sera-t-elle l’an 1 de la relance ? A défaut, doit-elle l'être ?

 

Philippe Waechter :

 Ces réflexions peuvent éclairer les choix qui sont faits en zone euro actuellement. Si les économies sont contraintes, vouloir allez vite dans la réduction des déséquilibres des finances publiques est prendre le pari que tous les autres déséquilibres se sont estompés. C'est une hypothèse forte et elle l'est d'autant plus que l'ampleur des ajustements budgétaires programmés est élevée.

La question est alors de s'interroger sur "pourquoi si vite et avec une telle ampleur"? Si l'on suit le raisonnement de Blanchard et Leigh sur la période très récente, l'impact des restrictions budgétaires à venir en zone euro pourrait être plus fort que ce qui est actuellement anticipé. C'est pour cela aussi que certains s'interrogent sur la nécessité de rallonger la période durant laquelle les budgets doivent tendre vers l'équilibre. Si l'impact était fortement négatif comme le laisse suggérer le document du FMI cela aurait une incidence forte sur la croissance et surtout sur l'emploi. Or, ce dernier point est le facteur de fragilité de la zone euro avec un taux de chômage à 11.8% à la fin du mois de novembre.

L'enjeu du papier du FMI est de dire : dans les conditions financières actuelles caractérisées par des taux d'intérêt très bas, adopter des stratégies budgétaires trop restrictives trop rapidement c'est prendre le risque de peser fortement sur l'emploi et la croissance. Il faut certainement aller plus lentement et trouver des moyens pour renforcer la croissance via des politiques structurelles pour redonner la capacité à davantage d'autonomie pour l'économie de la zone euro. Tant que les perspectives de croissance restent faibles, il sera probablement préférable d'être moins restrictif sur la politique budgétaire et d'être plus incisif dans les réformes structurelles afin d'améliorer l'autonomie de croissance de la zone euro. Or c'est aussi un des enjeux actuels forts.

 

Jean-Claude Werrebrouck :

 Non, la situation n’est pas normale sur le plan financier. La crise financière est l’aboutissement de la mise en place d’une économie Monde- pour parler comme Fernand Braudel - où le décalage entre offre mondiale excédentaire et demande mondiale insuffisante ne fût historiquement compensée que par de la dette privée et publique. Parce que la mondialisation crée une dichotomie dans un salaire qui était jusqu’alors coût et débouché et qui ne devient plus qu’un coût à comprimer, la demande mondiale ne suit plus une offre, laquelle n’est vendable dans sa totalité- à l’échelle planétaire- qu’en ayant recours à la dette privée et publique et une création monétaire conquise de haute lutte par le système bancaire.

Parce que la machine à fabriquer de la dette reste en place, le fardeau correspondant ne fait que s’alourdir. Comment se féliciter du dernier placement de dette souveraine en Espagne (jeudi 10 janvier) alors que le taux, certes plus bas ( moins de 5%) ne peut être payé par une richesse produite déclinante (recul de 1,4 points de PIB en 2013)? Il n’y aura évidemment pas de reprise en 2013, voire en 2014. Seul un changement radical des règles du jeu à l’échelle planétaire peut changer les choses.


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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 23:00
Atlantico : Dans une note technique, Olivier Blanchard, l’économiste en chef du FMI estime que l’institution s’est trompée dans ses prévisions sur la Grèce et d’autres économies européennes car elle n’avait pas parfaitement réalisé à quel point les efforts exigés en termes d’austérité allaient amoindrir la croissance de ces pays. Les politiques d’austérité ont-elles eu des effets contraignants supérieurs à ceux prévus sur l’activité ? Où en sommes-nous sur le débat austérité vs. croissance ? Sommes-nous surtout perdus ?

 

Philippe Waechter :

 Le papier d'Olivier Blanchard et Daniel Leigh permet de mieux comprendre l'impact des politiques d'austérité en observant que depuis le début de la crise celles-ci avaient une influence plus marquée sur l'activité que par le passé. L'interrogation ne porte pas sur les mesures de la politique économique. En d'autres termes, les économistes du FMI tentent de comprendre les raisons qui ont systématiquement biaisé à la hausse leurs prévisions, les écartant des trajectoires plus négatives effectivement observées.

Une raison majeure qui permet de comprendre ce changement est le fait que les taux d'intérêt des banques centrales étaient très bas et ne pouvaient pas nécessairement compenser le caractère restrictif de la politique budgétaire. La politique économique se conçoit, en effet, comme une articulation, une coordination éventuelle entre politiques budgétaire et monétaire. Généralement lorsque l'une des deux devient plus restrictive, l'autre devient plus accommodante. Cela permet de réduire un déséquilibre sans pour autant pénaliser l'activité de façon excessive.

Ce mode de fonctionnement n'a pu être forcément possible lors de la période de crise. Pour améliorer le fonctionnement de la sphère financière les banques centrales ont adopté des stratégies très accommodantes. Cependant, lorsque les politiques budgétaires sont devenues plus restrictives, les banques centrales ne disposaient plus de marges de manœuvre permettant de compenser le caractère restrictif des politiques menées par les gouvernements pour réduire les pressions portant sur l'activité.

Jean-Claude Werrebrouck :

 Les modèles macroéconomiques se démonétisent avec la crise, car incapables d’intégrer toute la richesse de la contextualisation de la réalité observée. Les paramètres retenus dans un contexte de prospérité deviennent des variables. Il en va ainsi des évaluations des  multiplicateurs budgétaires qui ne sont plus ce qu’ils étaient et qui dévaluent les prévisions. Ce qu’on appelle austérité et qui est l’autre face de la recherche de la compétitivité, n’est solution rapporteuse de croissance que si les pays voisins ne déploient pas la même stratégie. Et de ce point de vue l’Allemagne du début des années 2000 avait tout à gagner de son plan d’austérité : les voisins qui ne connaissaient pas encore la crise pouvaient utiliser l’euro comme instrument d’une grande fête consumériste faisant tourner les usines allemandes.

Aujourd’hui, si tous deviennent allemands, il n’y a plus d’issue. La recherche mimétique de compétitivité est un drame collectif , comme celle  d’une foule face à un incendie. L’année 2013 est le moment où s’enclenche puissamment la mécanique suicidaire : La zone euro toute entière s’enfonce dans la crise. Même l’Allemagne sera prisonnière du mouvement mimétique et verra sa croissance très faible se détériorer davantage encore ( 0,9 points en 2012, contre 0,6 en 2013). De ce point de vue, il faudrait un signe extrêmement puissant pour bloquer la panique.

Les cures d’austérité imposées par le FMI ont-elles eu des effets très récessifs du fait d’une mauvaise coordination entre les politiques budgétaires menées par les Etats, et les politiques monétaires des banques centrales ?

 

Philippe Waechter :

 Dès lors, on observe que, par rapport à une situation plus habituelle, l'impact de ces politiques contraignantes devient plus fort. C'est ce qu'évoque le papier du FMI. Il n'en tire pas de conclusions particulières quant aux politiques à mener. Il constate simplement que les mécanismes n'ont pas fonctionné de la même façon que ce qui était observé par le passé. Dans le document, il est indiqué qu'en moyenne par le passé, un dollar de réduction de dépense se traduisait par un impact négatif de 0.5 dollar sur le PIB. C'est cette mesure "historique et moyenne" qui était utilisée initialement dans les prévisions du FMI. Les observations portées par Blanchard et Leigh suggèrent que parfois l'impact négatif pourrait être supérieur à 1 notamment dans les pays européens au cours de la période récente.

Cette découverte peut sembler tardive mais elle traduit une dynamique d'apprentissage et de réactivité dans un environnement de crise inhabituel et très contraint. 

Jean-Claude Werrebrouck :

 Le FMI a finalement  la main moins lourde que les décideurs européens. Les pactes de compétitivité sont une décision bruxelloise, largement influencée, il est vrai, par l’Allemagne elle-même sous le joug de ses croyances monétaires. Dans le contexte de notre représentation de l’ordre économique, il eut été préférable de jouer la carte de la complémentarité budgétaire, avec un resserrement  dans les pays du sud assorti d’une politique budgétaire plus extensive au nord et en particulier en Allemagne qui est le poids lourd de l’eurozone. Il y avait là de quoi rééquilibrer le fardeau de la dette avec peut –être un affaissement notable des spreads de taux sur les titres souverains. Et surtout il y avait de quoi empêcher la récession et autoriser un minimum de croissance.

Quant à la politique monétaire, il est difficile de la croire efficace dans un contexte où il n’existe plus aucune marge sur les taux des banques centrales. Par contre dans un contexte de guerre des monnaies qui semble se mettre en place, il apparaît que là encore, la zone euro soit en difficulté et que sa banque centrale se détourne de l’évolution du cours de l’euro, un taux qui remonte alors qu’il devrait se situer aux environs de moins de 1,2 dollars. 

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