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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 07:21

 

              

 

Le programme du parti socialiste publié le 5 Avril dernier, prévoit la création d’une banque publique d’investissement. Son architecture juridique n’est pas précisée. Toutefois, on lit dans le programme qu’elle sera « financée efficacement, mobilisable rapidement, délimitée territorialement sous forme de fonds régionaux, adossée à la Caisse des Dépôts, à la Banque de France, au Fonds Stratégique d’investissements, ou encore à OSEO ». Ses moyens ne sont pas non plus précisés. Toutefois, au vu de l’ambition, on peut les supposer considérables. C’est qu’elle semble devoir être le socle d’une « Politique industrielle pour la nation » permettant à l’Etat, assisté d’un « Comité  Prospectif » - nouveau Conseil National de la Résistance ?- de redevenir « stratège » ou « pilote industriel ». Et missions qui se déclinent en de nombreux axes : « favoriser la constitution d’entreprises de taille intermédiaires » (de 250 à 5000 salariés avec apport possible de capital) ; « investir dans les secteurs d’avenir », lesquels figurent dans le projet sous la forme d’une liste impressionnante ; « prévenir et réparer les dégâts humains et territoriaux de la désindustrialisation » ; s’engager vers « agriculture biologique intensive » ; « investir dans la recherche et la sciences » ; assurer la « relance du programme national de lignes à grandes vitesses » (TGV).

 

Le lecteur averti peut se poser la question de l’origine des moyens financiers –non chiffrés mais sans doute considérables- et pensera sans doute qu’au vu de la présente situation, la volonté affichée par ailleurs, de réduire l’endettement, même avec quasi disparition des dépenses fiscales, devient mission très difficile. Toutefois, la question est de savoir si les rédacteurs du projet n’ont pas pour ambition de passer à la monétisation, précisément en s’offrant les services d’une banque publique, masquant l’émission monétaire de la banque centrale effectuée à son  avantage, et au profit du programme de « l’Etat stratège ». Dans le langage de ce blog, il s’agirait de gérer une partie des dettes nouvelles « en mode hiérarchique » et donc d’abandonner partiellement le « mode marché de gestion de la dette ». C’est ce que laisse penser une autre phrase que l’on trouve dans le programme : « Nous proposons que les dépenses d’avenir utiles à la croissance et à l’emploi bénéficient d’un traitement distinct des autres dépenses ».

 

Phrase peu claire, mais probablement en congruence avec les idées des  partisans de la monétisation, lesquels considèrent que les dépenses publiques courantes, doivent être financées par l’impôt, tandis que les dépenses d’investissement doivent être financées par création monétaire, ce qui est largement le cas des investissements privés sur crédits bancaires. Et ici, dans le cas des investissements de l’Etat « pilote industriel », monétisation directe par la Banque centrale.

 

 Sans nous attarder sur la fort délicate question, du classement des dépenses publiques en dépenses courantes et dépenses d’avenir, on remarquera que la Banque publique d’investissement du projet socialiste peut ressembler à « l’Agence publique d’investissement », telle que prévue dans le texte « financer l’avenir sans creuser la dette », publié et discuté lors d’un séminaire organisé le 30 mars dernier par la Fondation Nicolas Hulot ( www.fnh.org).

 

Ce dernier texte fait largement référence aux travaux d’André- Jacques Holbecq ,qui ont l’immense mérite, de révéler une possible monétisation , sans entrer directement en contradiction avec l’interdit de l’article 123-1 du traité de Lisbonne. Holbecq prend en effet  appui sur l’alinéa 2 du même article, lequel stipule que l’interdit : « ne s’applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient , de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédits ». En clair, la création d’une banque publique d’investissement permet de contourner, au moins l’esprit, du Traité et de bénéficier de la liquidité centrale à coût très faible.

 

Cet alinéa 2 permet en effet de ne plus discriminer les Etats, lesquels auraient accès à la liquidité centrale à des conditions aussi avantageuses  que celles offertes aux  banques privées : le prix de la liquidité (taux de la Banque centrale) n’étant augmenté que du coût de fonctionnement de la banque publique. Ce dispositif étudié par la Fondation Nicolas Hulot , a le mérite de répondre, du point de vue de cette institution,  à la très grande difficulté de rassembler de gigantesques moyens, pour assurer la transition économique (600 Milliards d’euros entre 2012 et 2020 selon la FNH), dans un contexte d’insolvabilité généralisé.

 

La présentation détaillée de l’économie générale du dispositif importe peu. Ce qui compte, est qu’effectivement, il est possible de rétablir un Etat « pilote industriel », un Etat « stratège », sans l’automaticité d’une brutale  sanction des marchés, et sans heurter frontalement le dogme de l’indépendance de la Banque centrale. C’est qu’en effet, l’introduction d’une banque publique permet l’accès à la liquidité centrale,  sans augmenter la dette du Trésor, et donc en principe sans heurter les agences de notation et le marché : l’Etat récupère les marges de manœuvres abandonnées jusqu’ici par des politiques budgétaires restrictives. Au surplus, la nouvelle dette devient complètement nationale et n’est plus soumise aux caprices de la spéculation.

 

Il existe sans doute des effets pervers, avec en premier lieu, la possible émergence d’anticipations inflationnistes justifiées par l’augmentation de la base monétaire. Si aucune donnée économétrique sérieuse ne fait le lien entre la croissance du PIB et la croissance de la base monétaire, il est vrai que la nouvelle liquidité viendrait s’ajouter à celle engendrée par les déficits publics, et que cette nouvelle liquidité abonderait les dépôts bancaires, avec de possibles  effets de second tour sur la création monétaire privée.

 

Dans un tel scénario, il s’ensuivrait assez logiquement une hausse des taux sur la dette publique nouvelle, une augmentation des charges de remboursement de la dette, une baisse des cours sur les marchés secondaires et une dégradation des bilans bancaires. Ce scénario verrait ses conséquences amplifiées si la stratégie de contournement, ainsi amenée par un parti socialiste au pouvoir, décidé à changer réellement le cours des choses, était contestée avec force par les partenaires de la zone, avec de possibles effets sur le cours de l’euro. Maintenant- sous la pression mimétique des rentiers les plus conscients de l’enjeu- la peur de voir se développer une contestation beaucoup plus radicale du traité de Lisbonne, pourrait aggraver les effets pervers déjà signalés. Avec la mise sur le devant de la scène de l'identité du payeur final : le contribuable utilisateur des services publics, ou le rentier qui se gave de dettes publiques?

 

Autant d’hypothèses risquées, voire audacieuses ou mal fondées , tant il est difficile  d’anticiper les réactions entrainées, par un dispositif banque public d’investissement, qui serait monté avec la volonté de s’affranchir de la rigueur du Traité.

 

En revanche, il est opportun d’interroger les rédacteurs du projet sur le non- dit de la Banque publique d’investissement. Le parti socialiste français, est –il prêt à s’engager dans les premières formes de contestation de l’ordre monétaire européen, un ordre dont il avait négocié et fixé les règles avec le partenaire allemand voici près de 25 ans ?   Réforme d’un traité constitutionnel pour risquer un avenir, ou réforme de la Constitution pour vitrifier le caractère restrictif des politiques budgétaires ? Aux marchés politiques d’en décider.

 

 

 

 

 

 

 

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5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 13:34

                                              

Vivre en société, c’est reconnaitre qu’il existe indépendamment de chacun des participants, un objet intermédiaire qui leur est commun, et exprime l’universel du groupe. Les croyances, les valeurs, la morale, la langue, etc. constituent ces objets communs assurant la communication, et le rapprochement de chacun vis-à-vis des autres. Beaucoup de ces objets de communication sont d’une essence naturelle, et assurent la survie des participants. Dans cette vision des choses, les sociobiologistes,  considèrent que la vie en société, est seule susceptible d’assurer les trois grandes fonctions du vivant, à savoir , l’autoconservation, l’autoreproduction et l’autorégulation. Simplement ces trois fonctions,  à l’inverse du monde animal, sont diversement  interprétées chez les humains, ce qui donne l’infinie variété des universels, donc des cultures, voire des civilisations.

Hayek considère que cet universel s’est spontanément construit. Produit de l’interaction sociale, indépendant de la volonté de chacun, et donc extériorité surplombant les acteurs. Il reste que cet universel peut faire l’objet de convoitises et de conquêtes …. par  les hommes eux-mêmes, assurant ainsi ce que ce même Hayek appelle :le passage des ordres spontanés vers les ordres organisés.

Alors que l’universel est patrimoine commun, ce qu’on appelle « politique » est un processus de privatisation : des individus, vont se rendre maitre de tout ou parti de l’universel, et fonder ce qu’on appelle l’Etat. Les libertariens  - notamment Robert Nozick et son école jusqu’à Bertrand Lemennicier en France-  ont ainsi expliqué et décrit le "Big Bang de l’Etat", sans doute beaucoup mieux que Marx, mais à partir d’une vision proche : l’Etat est une aliénation dont les moyens – tout ou parties de l’universel-  permettent d’engendrer et de reproduire des inégalités durables entre les hommes. Vision proche, et non semblable, puisque l’Etat est outil de la reproduction d’antagonismes de classes, sans  lui-même être directement prédateur, chez Marx; alors qu’il est d’essence prédatrice chez les libertariens tout en autorisant des antagonismes entre les victimes de la prédation. Les inégalités ainsi produites, ne relèvent pas de la nature, elles sont socialement construites, et ont pour effet  de produire et reproduire des rentes : tributs, impôts, privilèges, lois démocratiques, etc.

La très grande supériorité du modèle libertarien , au-delà de la très stupéfiante confirmation de celui de Marx, consiste à pouvoir évoquer l’action de l’Etat, par exemple dans les rapports économiques, en sachant de quoi l’on parle. Ce qui n’est assurément pas le cas des autres paradigmes , notamment ceux de la théorie économique – Classique , néo classique, keynésienne-  qui évoquent l’objet Etat à partir d’une vision angélique de celui-ci . Une instance conçue pour produire de l’intérêt général, sous la forme d’un intérêt public, dépassant la logique de marchés en déséquilibres (Keynes), ou sous la forme d’une béquille aidant des marchés avantageux pour tous (néo classiques). Pas de théorie du « Big bang »,  donc pas de vision causale de cette réalité en devenir qu’est l’Etat, et donc paradigmes contestables en ce qu’ils ne respectent pas les contraintes d’une tentative de démarche scientifique. Avec bien sûr le danger d’aboutir à des théories normatives…. Ce que nous avons appris à désigner dans ce blog la « théologie économique ».

Pour autant, la vision libertarienne n’échappe pas davantage à la démarche théologique, et il est surprenant de constater la normativité de contenus qui aboutissent à conseiller ces ennemis radicaux que sont les "entrepreneurs politiques". Nous avions déjà abordé cette question dans un article publié le 3/3/2009 : « Crise : grand retour de l’Etat ou utopie post-politique ? ».

D’où une accumulation de critiques, souvent fondées, et tout aussi souvent, une accumulation de propositions irréalistes.

Pour ne prendre qu’un exemple, tel est le cas de la critique du présent système monétaire et financier, à partir de l’idéal d’un système monétaire vivant en ordre spontané. La vision libertarienne est assez simple. La monnaie s’y définit comme n’étant qu’un instrument, dont la forme s’adapte à son objectif permanent, à savoir diminuer en sécurité –donc en respectant les droits de propriété – les coûts de transaction résultants de l’échange. Vision qui explique que des marchés libres, et donc des banques libres, sont seuls à pouvoir assurer les transactions dans un ordre concurrentiel : chaque banque émet sa monnaie, et se sait surveillée par les agents qui exigent la parfaite convertibilité de chacune des monnaies émises. D’où une auto surveillance d’une émission monétaire que le marché se charge de contrôler, voire de sanctionner. Les libertariens expliquent aussi avec une grande précision que dans un ordre organisé, les choses se présentent différemment, avec un prédateur public – monopolisant la violence monétaire (dilution, seigneuriage, cours légal , etc.) directement, ou indirectement, par le biais d’une banque centrale chargée d’une politique monétaire. Et il s’agit d’une privatisation d’une partie de l’universel humain,  à savoir l’appropriation, par des entrepreneurs politiques, du marché de la monnaie, que chacun des acteurs générait en ordre spontané, et marché qui surplombait chacun d’eux, au point d’en faire un objet extérieur commun aux acteurs. A plusieurs reprises - cf notamment les articles consacrés aux rapports historiques entre banques centrales et Trésor - nous avons souligné la complexité du jeu des acteurs en ordre organisé, notamment en démocratie : acteurs financiers, citoyens, entrepreneurs politiques, etc.

Disposant d’un outil  très puissant pour l’analyse, on pourrait attendre des libertariens, tout autre chose que l’ensembles des propositions qu’ils font traditionnellement pour résoudre la  crise : retour à l’étalon –or, concurrence entre monnaies librement émises par les banques, responsabilisation maximale des acteurs financiers mis en face de la rigueur des droits de propriété, fermeture des banques centrales, mise en extinction de toutes les monnaies politiques dont bien entendu l’euro, etc. Autant d’exhortations adressées à des entrepreneurs politiques dont ils savent, plus et mieux que d’autres, qu’ils feront tout pour ne pas les transformer en actes concrets . Tout simplement parce que le fonctionnement logique des ordres organisés s'y oppose.

Sachant que le modèle du « Big bang de l’Etat », même imparfait - ce que nous avons souligné dans un texte lui-même très imparfait ( « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat »)- est le seul actuellement disponible pour saisir les phénomènes humains dans leur globalité, il est regrettable que ses défenseurs, ne l’utilisent pas davantage pour comprendre la genèse de la crise, son développement, et les scénarios qui en découlent, aux fins d’une prospective, qui puisse aussi devenir un avenir plus ou moins souhaitable pour l’humanité. Il est effectivement paradoxal que les  libéraux puissent être normatifs, alors même qu’ils n’ignorent pas le caractère irréaliste des propositions énoncées. En revanche, armés d’un outillage théorique plus satisfaisant pour décrypter la réalité, ils sont les seuls à nous faire comprendre la nature profonde des rapports de forces se manifestant dans un ordre organisé. Et à pouvoir effectuer des propositions sur les marchés politiques - ce que nous appelons, dans le jargon de ce blog, des "produits politiques" - et propositions les plus adaptées à l’évitement d’un désastre. L’humanité vit au sein d’ordres organisés, ce qui- sans doute-  terrorise les libertariens, mais peu d’humains contestent qu’il est des ordres organisés préférables à d’autres. Et ces mêmes humains, ont au moins la connaissance intuitive que l’ordre spontané n’est pas de ce monde. La disparition des banques centrales n’est pas à l’ordre du jour, la concurrence monétaire non plus. Par contre des évolutions importantes sont prévisibles, et peut-être souhaitables, et ce même s’il ne saurait exister d’intérêt général. De ce point de vue l’école française de la régulation, tout à la fois proche et ennemie des libertariens, reste étrangement silencieuse.

Davantage de réalisme dans les propositions, ne pourrait que confirmer la supériorité du modèle libertarien de compréhension du monde tel qu’il est. Les « Think Tanks » libertariens y ont tout à gagner.

 

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23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 07:46

Dans « Rapatriement de la dette et dé mondialisation », nous avions critiqué le plan de compensation inter Etats et inter créanciers, censé aboutir à la renationalisation de la dette. Ce plan, présenté par Rodolphe Müller et Pierre- Alain Schied, réapparait aujourd’hui avec d’autres propositions, sous d’autres formes éminemment intéressantes.

Qu’il s’agisse de la récente proposition d’Edouard Balladur, ou de celle tout aussi récente  de Jean Michel Quatrepoint, il existe un point de convergence qui est souligné : la nécessité d’échapper, au moins partiellement, aux foudres des  agences de notation. Objectif qui passe par la renationalisation de la dette, plus curieusement par l’élargissement de la clientèle du Trésor, et finalement par ce que l’on n’ose dire : une dose de dé mondialisation financière.

Edouard Balladur propose la création d’une classique caisse d’amortissement chargée de rembourser la dette publique. Au fond il s’agit de l’équivalent de la CADES, ou mieux, de la caisse créée par Poincaré en 1926. Cette dernière devait participer au retour de la confiance, au regard d’un déficit abyssal, en s’appuyant à l’époque sur les bénéfices de la SEITA (Société d’Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes). La SEITA ayant disparue, il s’agirait d’alimenter la nouvelle caisse à partir de l’abondante épargne des français, et d’introduite à côté du classique livret A, un plan d’épargne relativement équivalent en terme de rémunération.

La proposition de jean Michel Quatrepoint écarte, elle, tout recours à une quelconque caisse, et privilégie  la vente directe de bons du Trésor aux ménages. Là non plus, rien de bien nouveau, la vente directe, étant plus ou moins la règle, avant la bancarisation de la société à la fin des 30 glorieuses. Désormais, existeraient 2 circuits de distribution et de transformation de la dette : l’actuel, qui procure en quelque sorte une exclusivité à l’industrie financière, avec grossistes (les SVT de l’Agence France Trésor), et les transformateurs revendeurs détaillants (banques, assurances, intermédiaires financiers) ; et le circuit court, ou direct, qui permet aux ménages de ne pas utiliser  les usines financières. L’exclusivité de fait, sinon de droit, de l’industrie financière dans la commercialisation de la dette, serait ainsi supprimée. On peut anticiper une forte résistance du secteur financier si un tel projet devait se concrétiser, avec notamment, on peut l’imaginer, le refus de la mise à disposition des  guichets des banques pour la vente au détail de bons du Trésor.

Sans entrer dans le détail de la chaîne  logistique de distribution du circuit court, on peut penser qu’un réseau considérable de revendeurs au détail existe déjà : guichets de beaucoup de comptables du Trésor, bureaux de postes, voire débitants divers qui déjà vendaient l’antique vignette automobile, et vendent encore des timbres fiscaux. Mais on peut aussi imaginer  davantage de modernité, avec notamment,  la possibilité pour les ménages, d’acheter de la dette publique en ligne. De la même façon que le commerce électronique a pu redessiner l’architecture de l’industrie du commerce, il pourrait en être de même pour  celle de la dette publique.

L’importance relative des deux circuits, qui restent à priori encore des modes marchés de gestion de la dette, dépend des choix des entrepreneurs politiques en termes de taux , de fiscalité, voire de quotas. Et choix qui doivent tenir compte des grands agrégats financiers. Les besoins 2011 du Trésor sont de 180 milliards d’euros, besoins qu’il couvre par les opérations de l’AFT, elles même surveillées par les marchés et les agences. L’épargne brute des ménages se montait en 2009 à 209 milliards d’euros. Il est donc clair que le second circuit, circuit court à imaginer, ne peut devenir hégémonique, sauf à négliger les autres utilisations possibles de l’épargne. Toutefois, l’objectif de renationalisation de la dette publique, est envisageable en dérivant plusieurs dizaines de milliards d’euros, du premier circuit vers le second.

Une telle opération, revient effectivement à casser le rocher de Sisyphe, et à rendre le poids de la dette plus supportable. Il y a bien élargissement de la clientèle du Trésor, qui voit sa zone de chalandise se renationaliser partiellement. Il y a donc bien début de dé mondialisation financière.

Il est toutefois clair que des effets pervers peuvent se manifester. S’il n’existe pas à priori de difficultés juridiques, la réussite du lancement du circuit court, est un impératif de crédibilité à ne pas manquer, à peine de turbulences sur le premier circuit. Tout échec de lancement, pouvant être interprété comme déficit de confiance, à effets contagieux sur le premier circuit. Mais l’effet pervers le plus évident est l’éviction. Si le déficit public n’entraine pas l’éviction en raison d’une émission de titres, qui n’absorbe que l’excès de liquidité, et laisse intact le volume de l’épargne préalable, il n’en va pas de même dans la perspective d’une renationalisation de la dette. Car la renationalisation, correspond à l’abandon d’une épargne étrangère, au profit d’une épargne nationale, dont le volume est resté inchangé. A titre d’exemple, si le circuit court porte sur 50 milliards d’euros que l’on dérive du circuit long, soit 180 milliards pour 2011, lui-même en provenance de non résidents à proportion  de 70%, cela signifie une ponction nette sur l’épargne nationale de 35 milliards d’euros. Sachant que cette épargne nationale fait l’objet de convoitises extrêmes -  partage conflictuel de la collecte du livret A et du livret de développement durable, entre la Caisse des Dépôts et les banques ; chasse à l’épargne incluse dans les bilans, aux fins de respecter les nouveaux ratios de solvabilité, imposés par Bâle III ; etc.   – le risque est d’aviver la tension sur les taux de l’intérêt.

A ce stade, il est  difficile de tirer un bilan coûts/avantages de la brisure du rocher de Sisyphe : d’un côté il peut y avoir desserrement de l’étau des agences de notation, mais celui de l’éviction peut se resserrer. Il est donc  impossible de prévoir quelle force l’emportera sur l’autre. Et de ce point de vue, les deux variantes du projet de renationalisation – variante Edouard Balladur, ou variante Jean Michel Quatrepoint – sont clairement équivalentes. Et assez clairement équivalentes en termes sociaux : que la rente se déplace depuis des non résidents vers des résidents, n’en change pas son poids, lequel est  toujours financé par les contribuables, et/ou utilisateurs de biens et services publics. Avec il est vrai, un réel changement au détriment de la finance, qui ne dispose plus de quasi droits d’exclusivité sur la matière première, et se voit concurrencée par un circuit court.

Il est au total difficile de casser le rocher de Sisyphe, en restant dans le carcan de la pensée dominante. Nous verrons dans une publication ultérieure, que c’est toutefois cette fin de l’exclusivité qui est porteuse d’un  avenir plus crédible.

Une autre façon de  diminuer la charge du rocher de Sisyphe serait de le « rogner » plutôt que de le «  casser ».

Il s’agit manifestement, de toutes les tentatives, qui tout en restant dans le cadre de la pensée dominante, flirtent à la frontière des deux modes possibles de  gestion de la dette : il s’agit de l’espace  de la restructuration. Espace large, allant de la renégociation sur des points de détails, jusqu’au défaut souverain, non pas subi, mais choisi. Limite extrême, marquant la volonté de siffler la fin du jeu du mode marché de la dette. Nous sommes présentement, entrés dans les zones basses du champ de la restructuration, avec en particulier, les récentes négociations et décisions concernant la Grèce. Ainsi le taux moyen sur capital prêté passe t’il de 5,2% à 4,2%, et les remboursements s’étendront sur 7 ans au lieu de 4. Ces zones basses se révélant rapidement insuffisantes, il faudra probablement aller plus loin, et atteindre les premières zones de répression financière. Ainsi Kenneth Rogroff imagine déjà des mesures plus brutales, telles des taux imposés à des fonds de pension ou des compagnies d’assurances. De telles mesures sont pourtant irréalistes, dans un espace entièrement homogénéisé par la mondialisation : la répression financière sur des taux , même modérée,  ne peut s’envisager que dans un univers fermé et hiérarchisé. Le rocher de Sisyphe ne se laisse pas rogner facilement. Il faut donc bien le briser….mais avec d’autres idées qui vont dans le sens de celles  d’Edouard Balladur et Jean Michel Quatrepoint…. tout en les dépassant radicalement. Ces idées seront prochainement développées sur le Blog.

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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 09:29

 

Objet à enveloppe juridique hors du commun, les banques centrales n’apparaissent que fort tardivement dans le monde de la banque ( La banque d’Angleterre en fût la première en 1694) pour s’imposer de façon hégémonique de par le monde. Il existe ainsi aujourd’hui 172 banques centrales soit quasiment autant que les Etats dans lesquelles elles déploient leur activité.

L’école autrichienne y voit un monopole illégitime et préfère le système de liberté bancaire associé à des monnaies elles mêmes libres. Elle n’explique toutefois pas pourquoi une telle liberté n’a historiquement que fort peu existé, pour disparaitre totalement en 1930 ( Canada). Paradoxe, car l’axiomatique autrichienne  donne tous les moyens intellectuels pour comprendre que le système actuel, pyramidal avec monopole d’une banque centrale, devait logiquement s’imposer avec le progressif passage à la forme « Etat de droit » à partir d’une forme primitive d’Etat, plus ouvertement prédatrice.

Il est en effet évident, que l’Etat primitif monopolisateur de la prédation, ne pouvait qu’utiliser à son profit, les banques libres aux premiers âges de la circulation monétaire. D’où l’adage tant galvaudé : « battre monnaie est un attribut de la souveraineté ». Et une souveraineté utilisée pour contrôler les banquiers, exceller dans le « seigneuriage », la « dilution », la répression financière ,  etc. Le passage de l’Etat violent, et monopoleur de la prédation, à un système où « tout le monde peut voler tout le monde », c'est-à-dire ce qu’on appelle l’Etat de droit, doit logiquement engendrer  une architecture nouvelle du système bancaire : un dispositif hiérarchique, garantissant la libre création monétaire des banques dites de second rang, et garantissant aussi la convertibilité de leurs  diverses monnaies, en une seule , dite légale,  émise  par une banque de premier degré jouissant d’un monopole public….. Souvent dans la mâchoire du prédateur public. C’est qu’il est des « Etats de droits » qui le sont moins que d’autres, et si la banque centrale anglaise était hors de la mâchoire des entrepreneurs politiques, il n’en était pas de même en France ( cf « Banque centrale et Trésor : une très intéressante histoire » – partie 1).

Cette nouvelle architecture qui finit par s’imposer presque partout au 19ième siècle, est bien le reflet de l’Etat moderne : il monopolise et continue sa prédation (seigneuriage, inflation, répression financière,  etc.  )….qu’il  partage avec des groupes (les banquiers et financiers) pour lesquels  il assure débouchés (commerce de la dette publique), et protection (garantie de la libre création monétaire, assurance sur les dépôts, etc.).

 Les économistes néo classiques, notamment l’école dite des « choix publics », sans reprendre la thèse autrichienne de l’illégitimité de l’idée de banque centrale, devaient largement faciliter l’étape ultérieure, c'est-à-dire le passage à l’indépendance. On ne peut, disaient –ils, faire confiance aux entrepreneurs politiques qui cherchent la maximisation de leur fonction utilité, plutôt que la recherche de l’optimalité parétienne. D’où l’idée d’indépendance des banques centrales, par rapport aux entrepreneurs politiques. Et idée régulièrement mise en avant par les bénéficiaires  de la dite indépendance, et souvent rappelée, par exemple dans les rapports annuels de la BCE. On lira ainsi, dans le rapport BCE 2008, que « l’indépendance est une composante fondamentale, étayée par la théorie économique ». Phrase savoureuse, d’un auteur qui fait le choix de prendre appui, sur la  branche qui lui est le plus favorable de la théologie économique. La théorie des choix publics, est ainsi devenue le livre saint du banquier central, à l’exclusion de tout autre paradigme. Et un livre à succès : gagnants et perdants objectifs au jeu de l’indépendance, sont invités au rassemblement pour célébrer les mérites de cette dernière.

De fait, l’indépendance consacre une modification importante dans le fonctionnement des marchés politiques. La règle, ici la politique monétaire, qui gère le rapport de forces entre groupes aux intérêts divergents, n’est plus le fait direct des entrepreneurs politiques au pouvoir. Jusqu’ici, dans la forme classique de l’Etat de droit, la règle émise redistribuait  avantages et coûts associés, à l’intérieur d’un sentier, censé assurer la reconduction au pouvoir. Le tout dans la grande fiction de l’intérêt général. Désormais, il y a délégation du pouvoir créateur de droits, à des individus ou groupes qui vont acquérir le droit – en toute souveraineté -  de fixer, ici, en ce qui concerne le système financier, le taux de l’intérêt.

Il n’y a évidemment pas disparition du politique : l’extériorité, son organisation, sa gestion et son administration, est une donnée indépassable de la condition humaine. Et bien évidemment l’indépendance des banques centrales n’est qu’une étape historique, qui n’a rien de définitif, et sera un jour probablement remise en cause. Pour autant, la délégation du pouvoir créateur de droits, est une grande victoire pour ceux et leurs représentants qui vont pouvoir l’actionner, sans passer par le quotidien du fonctionnement des marchés politiques. En termes clairs, l’indépendance, juridiquement acquise, est une garantie sérieuse de respect du mode marché de gestion de la dette publique. Surtout si la nouvelle règle, est inscrite au niveau le plus élevé de l’ordre juridique, par exemple la constitution. Les marchés politiques et leurs entrepreneurs ne peuvent ainsi, plonger les mains dans la grande machine financière, pour éventuellement  la réprimer, aux fins d’une paisible reconduction au pouvoir. En fixant un ordre politique, imposant le monopole du marché comme règle du jeu, il n'y a plus de risque de répression financière, avec quasi impossibilité de gains politiques  au jeu de la dette (planchers de bons du trésor, avances ou prêts obligatoires au Trésor, etc.).

Victoire des bénéficiaires de la version école des « choix publics » de la théologie économique…. qui contredit l’école elle –même. Car les dirigeants des banques centrales, titulaires de droits nouveaux, ne sont évidemment pas plus vertueux que les entrepreneurs politiques. Au regard de l’école autrichienne, ils sont tout aussi irresponsables que les entrepreneurs politiques, et peuvent reporter comme ces derniers, le coût de leurs choix sur d’autres agents : Alan Greenspan paie t’il aujourd’hui, sur ses biens propres, le prix de l’orgie financière qu’il a organisé ? Parce que le monde des banques centrales, n’a rien à voir avec le libéralisme et ses exigences, il est tout aussi dangereux que les Etats à partir desquels il a arraché sa liberté.

La mondialisation, elle aussi nouvel ordre politique, imposant le monopole du marché comme règle du jeu, rend contagieuse l’indépendance des banques centrales. Car maintenir une répression financière, se paie d’une fuite de l’épargne et de l’industrie financière correspondante : entreprises d’assurances, fonds de pensions, investisseurs institutionnels, etc. La concurrence engendre ainsi très rapidement le monopole de cette nouvelle forme institutionnelle de banque centrale. Et tout pays y renonçant, se trouverait possiblement marginalisé, lui et sa monnaie. D’où, en ce printemps 2011, la mise en garde d’un Jean Claude Trichet, vis à vis des entrepreneurs politiques hongrois, soupçonnés de porter atteinte à l’indépendance de la banque nationale magyare.

Mais la force normalisatrice de la mondialisation, est telle qu’au-delà du principe d’indépendance, il faudra surveiller sa crédibilité. Cette dernière sera le mot d’ordre des années 90 : non seulement l’indépendance doit faire l’objet d’une inscription juridique, au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes , mais il faudra prouver qu’aux niveaux opératoires, les procédures retenues garantissent le respect des dites normes. D’où l’idée de classer les banques centrales en fonction de leur degré d’indépendance, avec tous les débats imaginables sur les critères retenus, leurs pondérations, leurs pertinences, etc. Avec aussi les travaux universitaires correspondants : la crédibilité devenant véritable objet scientifique…

Au terme du tsunami de l’indépendance, il est clair que le paysage social sera profondément modifié. Au rang des perdants, figurera contribuales et/ou utilisateurs des biens et services  publics. La dette faisant désormais l’objet d’un prix de marché, devra être payée par des excédants primaires, construits sur des hausses d’impôts, et/ou des baisses de dépenses publiques. Le choix étant orienté par les marchés politiques, des marchés  desquels pourront s’abstraire, les rentiers désormais protégés par le bouclier du monopole du marché. En cela, l’indépendance des banques centrales est une force prédatrice de tout premier plan. Bien sûr la banque centrale n’est pas en soi force prédatrice, mais elle est le rempart qui permet aux banques de second rang – les 20 spécialistes en valeurs du Trésor s’agissant de la France – de capter directement les ressources du Trésor pour , au moins partiellement, les revendre à l’industrie financière. Ainsi en 2011, s'agissant du Trésor français, 180 milliards d'euros sont au programme de la marchandisation.

Au rang des gagnants , figurera les banquiers et leurs actionnaires ; les assureurs , leurs actionnaires, et leurs clients ; les fonds de pension, leurs actionnaires et leurs clients, etc. Et les gagnants verront au-delà du rempart de la banque centrale, la possibilité de voir évoluer leurs gains, en fonction de la politique monétaire menée par ladite banque. Laquelle fixera sa politique des taux , en fonction de la stabilité monétaire à maintenir pour perenniser la rente. Les porteurs d’obligations étant généralement les victimes de l’inflation, il convient de protéger les bons du Trésor, en tant qu’obligations parmi d’autres.

Lorsque la dette se gonfle, se développe parallèlement l’opposition des intérêts entre les groupes perdants et les groupes gagnants. Si maintenant elle se développe à un rythme jugé inquiétant parce que les marchés politiques sont incapables d’engendrer des budgets comportant des excédents primaires, le risque d’une rupture se manifeste. Dit autrement, cela signifie la difficulté croissante des entrepreneurs politiques, à assurer leur reconduction au pouvoir, reconduction qu’ils achètent par de nouveaux crédits, payables par des citoyens... qui éventuellement ne sont pas encore nés.

La solution pourrait alors passer par un équilibre savant, et sans doute extrèmement fragile, assurant tout à la fois, le maintien relatif des avantages de la finance et des rentiers, celui des contribuables et des usagers des biens et services publics, et bien sûr l’intérêt supérieur des entrepreneurs politiques. Un équilibre passant par la division de la gestion de la dette publique en 2 compartiments : celui du mode marché pur et dur d’une part, et celui d’un mode plus hiérarchique d’autre part, le but étant de maintenir la matière première de la finance, tout en en limitant ses aspects toxiques pour les groupes qui en sont les victimes.

Casser le dette publique en plusieurs morceaux, afin de la rendre socialement moins explosive, peut constituer la prochaine Etape de la fuite en avant, face à l’insolvabilité généralisée. Et prochaine étape qui sera analysée dans un nouvel  article  s’intitulant : « Face à l'insolvabilite, ou comment casser le rocher de Sisyphe ».

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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 14:46


                                              

Nos articles antérieurs ont tous mis en évidence le caractère illusoire d’un possible remboursement des dettes publiques. Le texte qui suit décrit le circuit de la dette à partir d’un suivi des flux tels que représentés par la comptabilité nationale. sa lecture suppose une bonne connaissance de l'article "Banque centrale et Trésor: une très instructive histoire" et en particulier les développements consacrés aux modes marché et hièrarchique de gestion de la dette publique.

Soient les identités classiques suivantes :    Y= C + I + (G-T) +(X-M)

                                                                      et           Y= C + S

Dans lesquelles Y représente le PIB, C  la consommation, I  l’investissement, G les dépenses publiques, T  les prélèvements publics, X  les exportations, M  les importations, et S  l’épargne.

On en déduit que S = I + ( G-T) + ( X- M)

G – T représente le solde public, très déficitaire bien avant la crise  s’agissant de la France, il s’est considérablement aggravé depuis 2008. Ce solde a pour contrepartie, une augmentation des actifs financiers détenus par le secteur privé. En clair le solde représente des achats de bons du trésor par le secteur privé, d’abord des banques et compagnies d’assurances, puis des entreprises et des particuliers, résidents et non résidents.

Sans préjuger pour le moment du type de rapport qui peut s’établir entre le Trésor et la banque centrale, rapports étudiés dans les 3 articles consacrés à ce sujet, il est clair que la banque centrale est l’exécutrice  opérationnelle des consignes données, par les ordonnateurs et comptables du Trésor. C’est en effet elle qui va débiter et créditer les comptes des banques, qui elles mêmes enregistrent en débits et en crédits, les paiements de l’impôt et les dépenses publiques. Il est donc logique de considérer Trésor et banque centrale, comme un bloc que l’on pourrait appeler « blog gouvernemental », par opposition au reste, que l’on pourrait désigner « bloc non gouvernemental » et qui est constitué d’agents financiers et non financiers résidents ou non.

Les écritures comptables dans le cas d’un mode marché de gestion de la dette

Un déficit public ( G> T) correspond ainsi à des flux  nouveaux  repérables selon les écritures suivantes:                                                                             

                Banque centrale                                                        Banques

A  _____________I_________________P        A  _____________I_________________P                  

                               I Compte du Trésor +             Bons du Trésor +  I Comptes des agents

                                                              _                                             Non financiers  +

 

                                                         Agents non financiers

                                         A______________I___________P

                                 Comptes bancaires     +              

Dans ce schéma , nous retenons l’hypothèse du mode marché de gestion de la dette, celle-ci apparaissant sous la forme d’achats de bons du Trésor par le secteur privé, ici les banques. Nous pourrions du reste sans difficulté envisager l’achat de bons par les agents non financiers eux- mêmes.

Ce qui modifierait les bilans de la manière suivante :

                Banques                                                             Agents non financiers

A____________I______________P                   A______________I_______________P

                          Comptes des agents                    Bons du Trésor   +                   

                          Non financiers      +              Comptes bancaires     + 

                                                        _                                                 _

                                                                                                                                                                                      

Précisons que ces deux schémas, correspondent bien à la réalité institutionnelle telle que vécue tout particulièrement dans la zone Euro. La création monétaire est le fait du système bancaire par le jeu du multiplicateur de crédit, la banque centrale ayant le monopole d’émission de monnaie légale.

Dans le premier schéma, l’achat de bons du Trésor ne s’opère pas directement à partir des actifs monétaires, dont sont bénéficiaires les agents non financiers jouissant de la dépense publique. Tout se passe comme s’il y avait couverture du déficit, par activation de la planche à billets, activation contrariée par le retrait de liquidités provoqué par l’achat de bons du Trésor. D’une certaine façon il y a éviction, puisque le choix des banques est de faire crédit au Trésor, au détriment d’autres crédits possibles au secteur privé. Mais il ne s’agit que d’une apparence, puisque la liquidité a augmenté d’un même montant en raison du déficit. Ainsi, et contrairement à ce qui est généralement enseigné, la politique budgétaire expansionniste, ne donne pas lieu à effet d’éviction. C’est dire que  le secteur privé n’a rien à craindre de la dette publique, et il faut regretter que l’on continue à lire régulièrement, que les Etats siphonnent les autres actifs, en raison de l’ampleur des montants levés par les agences publiques . (cf le texte de Pierre Sabatier « la dette publique pénalisera le marché des actions » dans la dernière publication du Cercle Turgot : « Rigueur ou relance ?» Eyrolles 2011).

Dans le second schéma, l’achat de bons est le fait des agents non financiers, qui d’une certaine façon, trouvent une opportunité de placement d’actifs monétaires issus du déficit, dont ils sont les bénéficiaires. Au fond, le déficit abondant les comptes des agents non financiers, est lui-même une épargne en quête de placement, ici sous la forme de titres publics.

L’introduction des non résidents ne change guère les choses. Si X –M < 0, il y a bien engendrement d’actifs monétaires en quête de placement,  éventuellement sous la forme de titres publics. C’est d’ailleurs massivement la situation américaine, les non résidents chinois disposants des actifs, contrepartie du déficit de la balance commerciale, qu’ils transforment en titres publics américains.

En mode marché de gestion de la dette, il apparait que les actifs financiers publics sont le résultat de la production d’une usine financière, comme des automobiles  sont le résultat d’une chaine d’assemblage. Et si en principe le marché de l’automobile est un marché mutuellement avantageux – les échangistes gagnent à l’échange comme l’enseigne la micro économie- il en est logiquement de même sur les actifs financiers publics : il existe une demande de dette publique, laquelle satisfait au besoin d’épargner. Les usines productrices d’automobiles satisfont aux besoins du transport, et les Etats producteurs de dettes satisfont au besoin d’épargner. Ce producteur de dettes qu’est l’Etat, est de fait un producteur d’épargne.

Et la présentation comptable est éclairante , notamment le second schéma, où l’on peut reprendre le bilan des agents non financiers construit pour suivre le flux du déficit, et le traduire dans le cas du marché de l’automobile. A l’actif, l’achat de bons du Trésor est remplacé par l’achat d’automobiles. Au passif, les comptes bancaires sont  abondés des revenus contreparties de la production d’automobiles. Ils sont  ensuite  débités de la valeur des automobiles achetées.

                                              Agents non financiers

                          A________________I_________________P

               Automobiles     +                        Comptes bancaires  +

     Comptes bancaires     +                                        

                                           -                    

 

Pour en revenir au mode marché de la dette publique, il n’existe  une offre de dette, que dans la mesure où existe une demande, elle-même en concurrence, avec d’autres actifs financiers produits dans le secteur privé. Et si la demande d’actifs publics est importante, c’est sans doute en raison de ses qualités spécifiques. Quelles sont les spécificités des actifs financiers publics ?

La première est sans nul doute la grande sécurité qu’ils offrent. Il s’agit dans les conditions normales d’un Etat de droit, de la classe  d’actifs la moins risquée, et la plus liquide qui soit, et ce évidemment en raison de la nature fort spécifique de son émetteur. Emetteur qui encore une fois - dans un Etat de droit, une structure qui respecte les droits de propriété - est beaucoup plus solide que tout émetteur privé.

La seconde spécificité découle de la première : parce que sécurisants,  les actifs financiers publics sont à la base d’une pyramide financière de très grande taille. Ils constituent la matière première de base, de toute l’industrie de l’assurance, et d’une bonne partie de l’industrie financière de l’épargne. Ils constituent ainsi le socle d’une accumulation du capital.

Le Trésor est ainsi par son déficit, un producteur irremplaçable de la matière première financière, et certains considèrent même que les innovations financières, telles la titrisation, furent historiquement les erzats de cette matière première sans risques, qui aurait été produite en quantité insuffisante, par des Etats insuffisamment déficitaires ( cf François Meunier : « face à la crise française de la dette publique, il faut changer sa gouvernance » in « Rigueur ou Relance »).

Les écritures comptables dans le cas d’un mode hiérarchique de gestion de la dette.

On peut tout d’abord supposer une contrainte type « plancher de bons du Trésor », contrainte massivement utilisée en France jusqu’au début des années 70. Dans ce cas, il y a évidemment disparition d’un marché de la dette publique avec disparition d’un prix – le taux de l’intérêt -  fixé par le marché. Nous sommes renvoyés au premier schéma, simplement que les bons du Trésor  apparaissant au bilan des banques, ne sont plus de l’ordre de l’achat volontaire, mais le produit de la contrainte publique. Pour le reste rien ne change, et le crédit obligatoire envers l’Etat – les planchers de bons du trésor sont une obligation juridique qui fût historiquement sous haute surveillance – n’affecte pas la capacité des banques à créer de la monnaie.  Le multiplicateur du crédit restant intact, la seule perte des banques se mesure dans la rémunération qu’elles perçoivent au titre de l’achat des bons du Trésor.

L’autre mode hiérarchique classique est la monétisation obligatoire sous la forme d’avances au Trésor. Avec les écritures suivantes :

                          Banque centrale                                                         Banques

     A_______________I________________P              A_____________I______________P

Avances au Trésor  +    Compte du trésor  +         Comptes au Trésor  +    Comptes des     

                                                                    _                                                  agents NF +

                                 Compte des banques +

                                                                                                                                                                                                       Agents non financiers

                                         A_________________I________________P

                                            Comptes bancaires  +

 

Là encore le multiplicateur du crédit n’est en aucune façon affecté . A l’inverse, la base monétaire étant plus grande, les potentialités inflationnistes se manifestent.

 

L’introduction des échanges extérieurs dans la gestion de la dette

Lorsque (X – M) > 0 les actifs financiers des agents non financiers  résidents augmentent ,

 ce qui est une autre façon de dire que la base monétaire s’accroit. La gestion en mode marché de la dette publique en est facilitée. Ce qui nous renvoie, à titre d’exemple, à la situation japonaise où sur une longue période, et au-delà de quelques accidents conjoncturels, déficit public et excédents extérieurs vont cohabiter. Avec la particularité que l’épargne interne augmentant, le coût de la dette, plus faible, favorisera son autocentrage sur l’économie nationale. En clair la demande de titres publics est massivement le fait d’agents résidents. Concrètement la gigantesque dette publique japonaise se trouve très peu internationalisée.

 

Lorsque (X – M) < 0 les actifs financiers des agents non financiers  résidents diminuent , et ceux  des non résidents augmentent .  Dans le cas d’un règlement du déficit en monnaie nationale, il y a toutes choses égales par ailleurs baisse du taux de change. A l'inverse ,le taux n’est pas affecté si les actifs financiers correspondants au déficit, sont réintroduits  dans le circuit. C’est le cas américain, où le déficit commercial est transformé en actifs publics. C’est aussi une situation où déficit public et déficit extérieur vont cohabiter , ce qu’on appellera dans la littérature les « déficits jumeaux ». Dans le cas d’un règlement du déficit en monnaie étrangère, la base monétaire décroit – il y a destruction de monnaie nationale en contrepartie d’une sortie devises -  et la gestion de la dette en mode marché en est contrariée.

D’une façon générale, le mode marché de gestion de la dette peut se prolonger, sans  réelles difficultés, si les comptes extérieurs sont durablement excédentaires.

Le mode hiérarchique de gestion de la dette écarte évidemment les non résidents, lesquels ne peuvent se manifester qu’en mode marché. Et il est vrai, que le mode hiérarchique n’à guère besoin d’une épargne étrangère pour fermer le circuit du Trésor. En revanche les craintes qu’il inspire, notamment sa réputation inflationniste,  peuvent affecter le taux de change.

Le mode hiérarchique de gestion de la dette soulève la question de la stabilité monétaire dans le cas où la base monétaire s’accroit à un rythme durablement plus rapide que celui du PIB.

Comme on le sait le Traité de Lisbonne fixe, dans un texte situé très haut dans la hiérarchie des normes, le choix du mode marché de gestion de la dette. Pour autant, il n’est en aucune façon un texte libéral, et nous avons longuement souligné – cf « mais des banquiers centraux libérés » dans « Banque centrale et trésor : une très instructive histoire- partie 1 » - le démantèlement organisé du « bloc gouvernemental », la banque centrale devenant une institution « sui generis ». 

   

 

A la lumière de cette présentation très mécanique de la dette publique,  nous examinerons dans un article ultérieur, les choix possibles des entrepreneurs politiques.

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26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 15:34

                                                                                                                                            

                                                                                             

Au moment où les Etats européens s’acharnent à prendre des décisions douloureuses aux fins d’en finir avec la crise des finances publiques, il est intéressant de construire le scénario d’un monde où par décret, loi, voire dispositif constitutionnel, un plafond de dette serait fixé, plafond à partir duquel les ordonnateurs des dépenses publiques devraient cesser leur activité. Ce scénario est évoqué dans le tableau ci-dessous. Les résultats ne sont que prévisionnels, et sont construits à partir des informations et estimations disponibles forcément discutables, et révisables quotidiennement. Ainsi le taux d’intérêt moyen est une notion variable, et les valeurs indiquées sont probablement sous estimées puisque les taux instantanés à 10 ans étaient au 23 février de 8,77% pour l’Irlande, de 7,23% pour le Portugal, ou encore de 5,33% pour l’Espagne. A comparer avec les valeurs retenues, respectivement : 5,7 – 5,4 – 4,2. De la même façon les taux de croissance retenus sont eux-mêmes probablement optimistes en raison des politiques budgétaires restrictives et surtout simultanées dans la plupart des pays européens. Or on sait que le choc budgétaire à envisager, dépend fortement du mouvement de ces deux variables ( cf « Rachat de dette souveraine : ultime étape avant monétisation ? »). Recettes et dépenses publiques aujourd’hui programmées pour 2011, incluent les dépenses et recettes au titre des « Etats providences ». La dernière colonne est établie sur la base de l’hypothèse suivante : la totalité du choc est imputée sur les seules dépenses. On peut évidemment envisager un autre scénario.

 

Estimation du choc budgétaire à envisager pour stopper l’hémorragie de la dette publique

 

 

 

 

 

PIB 2010

En USD*

Dette publique

Fin 2010

En USD*

Déficit

2011

%PIB

Déficit

2010

%PIB

Taux

D’intérêt

moyen

Taux de

Croissance

2011

Dépenses

Publiques

2011

%PIB

Recettes

Publiques

2011

%PIB

Allemagne

3100

2387

-2,7

-4,2

2,7

2,2

47,2

42,5

Belgique

400

408

-4,6

-4,9

3,4

1,8

53,8

48,8

France

2200

1870

-6,3

-7,6

3,1

1,6

55,9

48,6

Italie

1940

2290

-4,3

-5,1

4

1,1

46

45,5

Espagne

1450

957

-6,4

-9,3

4,2

0,7

44,7

35,9

Portugal

250

215

-4,5

-7,3

5,4

-1

50,9

43

Irlande

175

136

-10,3

-17,7

5,7

0,9

46

33,9

Grèce

310

 

384

-7,4

-7,9

9

-3

48,4

38,5

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Charge

De la

Dette

%PIB

Solde

Budgétaire

2010

En USD*

Solde de

Stabilité

USD*

choc

budgétaire

En USD*

 

choc

Budgétaire

En %PIB

Choc

(hypothèse

Dépenses)

%dépenses

 

Allemagne

2,7

-130

12

142

4

10

 

Belgique

3,8

-19

6

25

6

11

 

France

2,9

-167

28

195

6

16

 

Italie

4,8

-99

66

165

8

18

 

Espagne

2,6

-134

33

167

11

25

 

Portugal

3,5

-18

11

29

13

22

 

Irlande

3,5

-30

65

95

54

118

 

Grèce

5,8

-24

46

70

13

46

 

 

*En milliards de dollars. Tableau construit à partir des statistiques de l’OCDE (oecd.org) et de la commission européenne (ec.europa.eu)

Les résultats sont éloquents. Ils révèlent des difficultés d’adaptation y compris pour l’Allemagne, pays dont la croissance de l’endettement fût considérable en 2010 (+18% selon l’Office Fédéral des Statistiques, chiffre publié le 21 février) ce qui est historique. L’énormité de cet accroissement fait du reste douter de la possibilité de tenir la règle constitutionnelle d’équilibre budgétaire à compter de 2016. Comme on le sait, cette croissance est due aux structures de défaisance mises en place pour sauver le système bancaire et en particulier l’Hypo Real Estate et la banque de Rhénanie-du-Nord – Westphalie WestLB.

Pour le reste, en dehors de la Belgique, deux groupes semblent devoir se constituer : France et Italie d’une part ; Espagne, Portugal, Irlande et Grèce d’autre part. Compte tenu de la double fonction des Etats (fonction régalienne et fonction sociale) on voit tout de suite que les choix sont extrêmement difficiles. Ainsi pour la France, pays équipé d’un Etat global dont les charges sont approximativement à 40% régaliennes et à 60% sociales, faire supporter le choc sur les seules dépenses, suppose un recul - certes massif- plus ou moins équilibré de son emprise. Tout ne peut être supporté par « l’Etat régalien » par exemple par la défense nationale, fonction régalienne par excellence : l’actuel budget des armées serait très loin d’y suffire. Et tout ne peut être supporté par « l’Etat providence », par exemple les dépenses de santé, dont l’annulation presque complète, serait requise pour satisfaire aux contraintes du choc (Il faudrait économiser environ 160 milliards d’euros sur un total d’environ 165 !). Quels que soient les choix retenus, ils sont douloureux. Eu égard au fonctionnement des marchés politiques, les choix seraient logiquement assez massivement orientés vers la minimisation des dépenses au titre de l’avenir : investissement global en berne, dégradation des équipements collectifs, vétusté des bâtiments publics  etc.

Bien évidemment, les cas irlandais et grecs sont autrement douloureux. Aucune issue n’est -pour ces pays-  envisageable : le texte bornant le plafond de la dette (loi, constitution) devenant le dernier, avant retour à « l’Etat de nature » pour les sociétés correspondantes.

Tout aussi évidemment, ce scénario du pire que l’on vient d’envisager ne se produira pas, et d’autres solutions que le mode marché de gestion de la dette seront mises en place. Toutefois, il faudra encore attendre, car les grandes entreprises politiques européennes, restent encore aujourd’hui, engluées dans le mythe selon lequel la crise de la dette pourra être dépassée avec les moyens classiques, c'est-à-dire aussi sans revisiter l’euro-système.

En attendant les compteurs continuent de tourner….

 

 

 

 

 

 

 

 

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22 février 2011 2 22 /02 /février /2011 10:59

 

Jacques Sapir vient de nous fournir quelques indications intéressantes concernant les efforts que doivent envisager les pays de la zone euro, pour ne pas aggraver leur endettement public en 2011. Si on se penche sur les maillons les plus faibles de la zone, à savoir la Grèce et l’Irlande , on voit immédiatement l’extraordinaire gravité de la situation dans le cadre du maintien d’un mode marché de gestion de la dette.

Un énorme choc budgétaire pour bloquer la croissance de la dette

Ainsi la Grèce , avec une dette de 124 points de PIB, un déficit public 2010 de -7,9 points de PIB, devrait connaitre en 2011 un excédent budgétaire de 12 points pour stopper l’hémorragie. En termes simples cela supposerait un choc budgétaire de 7,9 + 12 = 19,9 points de PIB.

L’Irlande, avec une dette de 78 points de PIB, un déficit public de -17,7 points de PIB, devrait connaitre en 2011 un excédent de 2,2 points pour stopper l’hémorragie. Soit un choc budgétaire 2011 de 17,7+ 2,2 = 19,9 points de PIB.

Curieusement, avec des situations structurellement assez différentes, les 2 Pays se devraient de connaitre un choc 2011 identiques, et choc  jamais rencontré au cours de l’histoire. Un choc modifiant  le périmètre des Etats dans des proportions encore jamais vues . Ainsi compte tenu du poids des Etats dans ces deux pays, le choc budgétaire correspondrait, soit à une division par 2 des dépenses publiques, soit à une augmentation des ressources publiques de plus de 6O% pour la Grèce, et de prés de 80% pour l’Irlande, soit à une combinaison de ses deux moyens. Impensable.

Comme les budgets des deux pays -certes en forte régression- ne programment pas un tel retournement, l’hémorragie va donc continuer en 2011. Notons du reste, que l’Espagne et le Portugal sont également dans une situation fort préoccupante, avec un choc budgétaire potentiel d’équilibre  de plus de 10 points de PIB.

Les calculs de Jacques Sapir, s’appuient évidemment sur l’équation d’équilibre de la dette, laquelle fait intervenir le taux de croissance économique d’une part, et le taux de l’intérêt d’autre part. En cas d’évolution négative de ces paramètres, la catastrophe est plus grande encore. Ainsi une élévation de 100 points de base des taux, et une diminution de 1 point du taux de croissance, se paient  d’un choc budgétaire passant de 19,9 à 25% de PIB.

Ce pharaonique  choc budgétaire est évidemment amorti  sur plusieurs années, et ce  en comptant sur un redémarrage de la croissance. Il faut toutefois avoir en tête que le temps ainsi passé, ne permet pas de bloquer l’aggravation de la dette. C’est dire qu’en 2012, malgré les importantes contractions budgétaires, la dette ne pourra que s’accroître . En clair, le choc réellement imposé en 2011 dans ces deux pays, quoique rude, est très loin des 19,9 points de PIB requis .

Au-delà, 3 éléments nous permettent de penser que le mode marché de gestion de la dette devra être rapidement abandonné pour ces deux pays. Le retour de la croissance dépend en effet de 3 éléments indispensables : une baisse des taux, un potentiel de dévaluation, un potentiel de marchés en développement. La baisse des taux est hors de portée, en raison même de l’impossibilité de bloquer l’hémorragie. Celle-ci continuant, les marchés intégreront cette information dans des taux qui ne peuvent que croître, et ainsi accroître le poids de la dette. Ensuite, par définition, Il n’existe pas dans la zone euro de possibilité de dévaluation. Puisqu’il y a monnaie unique, seule la déflation interne est possible. Enfin tous les pays de la zone connaissent des contractions budgétaires tandis que les échanges se font essentiellement à l’intérieur de la zone, un espace par conséquent déprimé. Au total,  Il n’y a  aucune possibilité de croissance limitant le poids de la dette. Et la situation de dépression n’est pas à exclure.

C’est parce que la situation apparait bloquée que Grèce et Irlande, ont déjà plus ou moins abandonné le mode marché de gestion de la dette, en utilisant les services du FESF, qui sans les faire passer au mode hiérarchique, permet de les mettre à l’abri de la pression des marchés.

Qui a intérêt au rachat de dette souveraine ?

Les risques et coûts correspondants étant reportés sur les autres pays, beaucoup réfléchissent sur la problématique du rachat de la dette censée alléger les charges. C’est ainsi que Jacques Delpla dans les Echos du 9/2/11 : « le scoubidou de la dette grecque » explique ce qu’il appelle « l’opération ouzo² ».

En termes simples, il s’agit de retourner les forces d’un marché contraire, afin de mieux protéger le débiteur public. Classiquement, lorsque le Trésor grec utilise les capitaux du FESF pour  rembourser les titres venus à échéance, il ne fait qu’honorer ses engagements et n’améliore en rien  sa situation, puisqu’en théorie, il lui faudra rembourser les fonds mobilisés pour ce premier remboursement. Maintenant, si avec les mêmes capitaux mis à disposition par le FESF, il rachète de la dette sur le marché secondaire, il diminue son endettement total de la différence entre la valeur d’émission des titres et leur valeur de marché, nécessairement plus faible, en raison du risque grec que les marchés intègrent.

Prenons un exemple : si le Trésor Grec utilise 50 milliards d’euros (sur les 110 qui à terme seront mis à sa disposition par le FESF) pour acheter  des titres qui, à leur valeur d’émission totalisent 50 milliards, et qui ne valent que 40 en raison de la décote de cours, il y a effectivement un gain de 10 milliards. Et gain qui permettra de faire face à d’autres échéances. Lorsque les capitaux du FESF servent directement à payer les échéances, ou à financer le déficit, il n’y a pas amélioration du bilan du Trésor. A l’inverse, lorsque ces mêmes capitaux, servent à acheter de la dette décotée sur le marché secondaire, il y a amélioration du Bilan du Trésor.

On peut du reste envisager que le « gain » revienne plutôt au FESF qui pourrait lui-même intervenir sur le marché, au moins pour partie, et ainsi alléger le poids de ses interventions sur le Trésor grec.

On voit pourtant très vite les limites d’une telle opération, dont l’objectif est fort différent de celui d’un rachat de capital, par des entreprises soucieuses de faire monter les cours, où d’augmenter la masse distribuable de profit. Plusieurs cas de figure peuvent être envisagés :

La totalité des capitaux mis à disposition sert au rachat de la dette ancienne. Dans ce cas, le financement de l’augmentation de la dette ( le choc budgétaire d’équilibre n’étant  pas atteint) se produit par un retour au marché classique. Mais surtout la dette ancienne voit son cours se raffermir, par hausse de sa demande et intégration par le marché de la volonté absolue de ne point faire défaut. Le bilan du Trésor ne s’améliore pas, et la valeur de rachat rejoignant la valeur d’émission, le gain disparait. Le spread de taux diminue…mais sur la base d’une dette globale qui continue à augmenter. Une façon originale de gagner encore un peu de temps.

Une partie faible des capitaux mis à disposition par le FESF sert discrètement au rachat de dette ancienne, ce qui permet à la partie restante de faire face aux échéances et au déficit courant, et donc de maintenir le pays à l’abri des marchés . Dans ce cas, le bilan du Trésor ne s’améliore guère, en raison d’un simple échange de dette qui n’est pas compensé par un écart de prix, entre nouvelle dette et dettes anciennes, dont les flux  sont  marginaux. L’intervention du Trésor sur la dette ancienne est trop faible pour en modifier le cours… et aussi trop marginale pour changer durablement les choses. Là encore on ne fait que gagner du temps. La dette reste sous surveillance, et le risque de défaut se reporte sur le FESF, donc sur l’ensemble de l’Europe.

Les capitaux mis à disposition sont répartis équitablement. Il s’agit d’une situation intermédiaire qui n’est claire pour aucun des acteurs : les cours peuvent remonter et le gain se réduire ; la dette ne peut se dégonfler- si elle se dégonfle -  que  très lentement ; les risques de défaut ne sont pas complètement évacués.

Au total, quelles que soient les modalités d’un rachat de dettes publiques avec les fonds disponibles du FESF, l’intérêt n’est guère évident. Plus exactement, les acteurs du jeu ainsi créé par le mécanisme du rachat, connaissent des intérêts  divergents. Lorsque l’ensemble des capitaux alloués par le FESF sert au rachat, l’acteur gagnant est le rentier, qui voit la garantie d’un remboursement, alors même qu’il peut empocher le prix du risque, sous la forme d’un taux qui était éventuellement plus élevé au moment de l’achat. L’acteur potentiellement perdant est le FESF, et donc les Etats qui en sont les actionnaires, puisque l’opération n’améliore pas le bilan du Trésor aidé. L’Etat bénéficiaire de l’opération « ouzo² » (Grèce, voire Irlande et éventuellement d’autres pays) est en position d’indifférence. Dans les autres cas (caractère marginal du rachat ou partage des fonds FESF entre rachat et intervention directe sur la liquidité du Trésor), le bilan est plus défavorable au rentier et moins aux actionnaires du FESF. 

On comprend dès lors que le gouvernement allemand, qui envisage peut –être encore de faire payer une partie du prix de la crise par les rentiers à partir de 2013, soit aussi le premier à s’opposer au principe du rachat, à grande échelle, de dette souveraine à partir de fonds européens. On comprend à l’inverse que le système financier y soit favorable.

 

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9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 13:36

      

L’examen de l’histoire nous a permis de repérer les caractéristiques des 2  grandes modalités de gestion de la dette publique, avec en particulier le passage d’un mode à l’autre.

L’évolution de cette structure appelée « Etat », structure animée par des « entrepreneurs politiques », et analysée au niveau du présent Blog dans l’article : « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat », est fondamentale pour comprendre le passage d’un mode à l’autre. Globalement, c’est le passage des formes primitives de l’Etat vers les premières formes de respect du droit des gens, des droits de propriété, voire de la démocratie, qui explique le passage de la prédation pure, aux premières formes du mode marché de la dette publique. La naissance des banques centrales, relativement indépendante dans le cas anglais (1694), ou moins indépendante dans le cas français (1800), est conséquence des premières formes d’affermissement de l’Etat de droit. Et ces naissances vont faciliter en retour, le développement du mode marché de la dette.

Mode marché de la dette publique : un éclairage nouveau

Prêteurs (bourgeoisie rentière) et emprunteurs (entrepreneurs politiques), après des siècles d’apprentissage plus ou moins réussis, vont constituer un premier marché de la dette publique, marché rapidement important, car mutuellement devenu très avantageux.

Pour les rentiers, il est plus avantageux que celui de la dette privée, pour au moins deux raisons. Le débiteur public bénéficie d’une vie perpétuelle, car nous savons que « l’extériorité » devenue avec le temps « Etat », est un point fixe de toute société. En cela, il est à priori plus sécurisant qu’un débiteur privé, toujours mortel. Ensuite, et il s’agit d’une conséquence du statut de point fixe, les rentiers voient dans le marché de la dette publique, une profondeur et une liquidité incomparables. Cela signifie que le marché secondaire de la dette publique, est beaucoup plus important et beaucoup plus sécurisant que les  marchés financiers privés. Notons que cette remarque, évidente à une époque où le capitalisme n’est que naissant, reste globalement vraie aujourd’hui. En particulier le marché de la dette publique américaine, est aujourd’hui le plus important du monde, et sa profondeur et sa liquidité extrêmes, garantissent encore de beaux jours à un dollar par ailleurs vilipendé.

Pour les entrepreneurs politiques, le mode marché est sans doute plus coûteux que la prédation simple et violente de jadis, et les « gains à l’échange » -si l’on ose dire- plus modestes. Ils sont pourtant réels, et ce pour les mêmes raisons que celles recensées chez les rentiers. Statut « d’extériorité » en dehors du droit commun, mais commençant à respecter les droits de propriété, et donc le commerce des promesses – ce qu’on appelait la « foi publique » - il peut bénéficier d’une « bonne notation », pour employer le langage d’aujourd’hui. Il peut même offrir des garanties que nul ne peut offrir : s’engager contractuellement à accroître ses ressources, par exercice de la violence sur d’autres acteurs de la société, en augmentant les impôts. Cette garantie de ressources, est encore mise en avant par certains Etats  aujourd’hui, notamment les Etats américains que l’on dit fort endettés, et qui par cette clause, peuvent obtenir sur le marché, des prix avantageux. Par ailleurs, ce même statut donne profondeur et liquidité, et donc là aussi des prix avantageux. Et ces mêmes caractéristiques : profondeur et liquidité, procurent  une grande souplesse sur les volumes, lorsque les besoins du Trésor s’accroissent.

Cette performance  du mode marché de gestion de la dette publique, fût très vite constatée, et a permis des prouesses dans des situations difficiles. Certains historiens expliquent ainsi, que l’indépendance de la Banque centrale anglaise, et le mode marché de gestion de la dette, a permis au Trésor britannique de massivement s’endetter pour, au final, vaincre Napoléon sur  les champs de bataille de l’Europe.

Si le mode marché est mutuellement avantageux pour les raisons sus évoquées, il se caractérise aussi, par de fortes externalités  liées au statut très  spécifique des entrepreneurs politiques. La théorie économique, dans sa version la plus Autrichienne, nous explique que les marchés ne fonctionnent correctement que si les agents supportent intégralement le coût de leurs actions. D’où sa très grande sensibilité au respect intégral des droits fondamentaux, en particulier la propriété. S’agissant du marché de la dette publique, les rentiers supportent sans doute le coût de leurs actions et vont prêter, jusqu’au moment où les avantages attendus, seront rejoints par le coût d’opportunité correspondant. Tel n’est pas le cas des entrepreneurs politiques, qui peuvent reporter les coûts sur la collectivité : ils ne paient pas les intérêts et ne vont pas rembourser le capital. A terme, ils ne paieront pas non plus le coût de ce report de charges sur le marché politique. C’est que les charges de l’emprunt- concrètement la fiscalité-  sont très largement socialisées et rendues peu visibles, alors que les avantages, peuvent être mis en avant et rendus visibles, pour telle ou telle catégorie d’électeurs: constructions d’infrastructures, écoles, hôpitaux, etc.  Electeurs qui par ailleurs, expriment une demande forte, pour laquelle  ils souhaitent voir la charge reportée sur autrui, y compris sur des agents qui ne sont pas nés.

Cette externalisation des coûts, inhérente au marché politique, devient abyssale en démocratie libérale, lorsque les entrepreneurs politiques peuvent, de par la loi, se reproduire comme entrepreneurs politiques, par non limitation du nombre de mandats dans le temps. Ce que les politologues appellent « l’hyper professionnalisation des hommes politiques ».

Au total, il existe une tendance fondamentale à ce que le mode marché de la gestion de la dette s’impose, et que la dette elle-même connaisse un accroissement continu de son volume. Accroissement du reste bien vu des rentiers, qui peuvent négocier le cas échéant avec les entrepreneurs politiques, un programme de baisse de la pression fiscale ou/et d’augmentation des dépenses publiques…aux fins du gonflement du volume de la rente… dont ils sont les bénéficiaires. Le mode marché de la gestion de la dette publique, peut ainsi surplomber  de forts antagonismes entre classes sociales. De quoi présenter, le très académique théorème de l’équivalence ricardienne, d’une toute autre façon…

Mais l’examen de l’histoire envisagée dans les deux publications précédentes, a aussi permis de constater qu’il n’était pas aisé de passer d’un mode de gestion à un autre. Ainsi ce n’est que  lorsque le mode marché est devenu complètement  impraticable, que l’on est passé au mode hiérarchique. Et pour cela, il a fallu un événement de grande ampleur : la guerre totale. Entre temps, on essaie, le plus longtemps  possible, de préserver le mode antérieur, historiquement en rognant de plus en plus sur l’indépendance d’une banque, qui se fera de plus en plus obéissante, le mode hiérarchique étant en partie fait de monétisation.

Il est intéressant de s’interroger sur la présente situation, en la comparant à la fin du mode marché à partir des années 1920. L’événement de grande ampleur, qui aujourd’hui remplace la guerre, est la crise financière. C’est elle qui vient d’entrainer – par contagion - une insolvabilité radicale de nombreux Etats, insolvabilité au moins aussi radicale  que celle constatée durant les deux guerres mondiales. La crise d’insolvabilité, comme la guerre, n’a rien d’un accident, et se trouve être la conséquence non attendue, de choix  qui se sont noués sur les marchés politiques : fin du fordisme en difficulté, et fuite vers la mondialisation, avec les outils juridiques de régulation financière qui doivent l’accompagner ( cf. « La grande crise : les 8 fondamentaux pour conclure »).

Aisance du déploiement du mode hiérarchique d’hier.

La comparaison s’arrête pourtant très vite, et il très risqué d’affirmer que la solution au problème d’aujourd’hui, passera par le déploiement du mode hiérarchique, comme ce fût le cas en 1945. Il est en effet d’une très grande banalité, de dire que le monde des années 2010, est fort différent de ce qu’il était en 1945, et qu’à ce titre les solutions d’un Conseil National de la Résistance (CNR) paraissent peu adaptées.

Au sens Hayekien des termes, le monde du milieu du 20ième siècle, était encore un « ordre organisé ». Il est aujourd’hui bien davantage un « ordre spontané », et ce même si cet ordre nouveau, s’est construit à partir du fonctionnement des marchés politiques, fonctionnement qui a engendré un processus de déconstruction  de « l’ordre organisé ». Ce que nous appelions dans « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat », le stade historique du « démantèlement de l’Etat de droit ». Période qu’Habermas appelle temps de « la perte du pouvoir d’achat du bulletin de vote ».

Lorsqu’en effet, dans les années 20, puis plus brutalement en 1945, on passe au mode hiérarchique de gestion de la dette, l’acceptation des nouvelles contraintes est grande. Les règles coercitives en matière financière, ne seront que faiblement contestées en raison du holisme ambiant : il existe encore une idéologie de l’intérêt général, et une conception sacrificielle de l’ordre social. Il s’agit en effet de défendre la patrie, puis de reconstruire et moderniser. A titre d’exemple, le poids que devait prendre le Conseil National du Crédit à partir de 1946, mais surtout sa composition faite de tous les acteurs de la reconstruction, révèle clairement la dominante « ordre organisé », de la société française. Sans doute le marché politique existe-t-il, et sans doute fonctionne t’il aussi sur la base d’intérêts économiques antagonistes, il se déploie toutefois dans l’idéologie communautaire d’un intérêt général à construire. Le système financier, lui-même beaucoup plus faible en raison de la faible bancarisation, n’a guère les moyens de s’opposer à la stricte séparation des compartiments bancaires, à la rigueur des planchers de bons du Trésor, et à l’extrême surveillance du respect de leurs niveaux, au laminage de la rente par la vague inflationniste, etc. La construction du  gigantesque « circuit du trésor » décrit précédemment,  est lui-même révélateur de cette ambiance de holisme, qui fait que le marché est évacué, et avec lui le souci de la dette publique. Point n’est besoin d’une agence de la dette, puisque ce qui est perdu par le compartiment budgétaire (des dépenses publiques considérables) est récupéré – avec extrême autorité - par le compartiment monétaire (une banque centrale obéissante qui monétise, et un système bancaire, qui écume l’excès de dépenses publiques par les planchers de bons du trésor). La création monétaire est dans ces conditions parfaitement contrôlée : c’est le Trésor qui ordonne à la banque centrale l’essentiel de la création monétaire, le système bancaire, ne jouissant que d’un « multiplicateur du crédit » très réduit, en raison d’un taux de conversion en billets très élevé à l’époque, et du taux lui-même élevé, des planchers de bons du trésor.

Difficultés de déploiement du mode hiérarchique aujourd’hui

La situation est aujourd’hui très différente, et la « grande transformation » à la Polanyi, est presque achevée, avec une société qui est presque devenue une société de marché, le point fixe- « l’extériorité » disions-nous - n’étant plus idéologiquement l’Etat, mais « la main invisible » d’Adam Smith. La crise du fordisme aidant, des entrepreneurs économiques- pas nécessairement majoritaires- ont acheté législativement à des entrepreneurs politiques – qui étaient de moins en moins d’anciens résistants, modernisateurs du pays, et de plus en plus des énarques fascinés par l’entreprise, voire des avocats d’affaires – une franchise de péages, dans ce qui faisait les contraintes de « l’ordre organisé », mais qui en assuraient probablement  sa cohérence. Furent ainsi achetés des franchises fiscales, douanières, tarifaires, sociales, etc. le coût des franchises octroyées, étant lui-même en cohérence avec la déconstruction de l’ancien « ordre organisé ». En effet, la demande économique étant devenue mondiale, les conséquences des franchises en termes de diminution de la demande locale ou nationale, deviennent dépourvues d’intérêt. Et ces mêmes conséquences en termes de dette publique, deviennent une aubaine pour l’industrie de l’épargne, qui puise sa matière première dans l’activisme de l’Agence France Trésor. Plus récemment, la pression sur la nécessaire déconstruction de « l’ordre organisé » s’est accentuée, avec l’apparition d’un nouveau système technologique, marqué par l’affaissement des activités à rendements décroissants (industrie mécanique par exemple), au profit d’activités à rendements croissants (informatique). C’est que la passage à des coûts marginaux nuls, suppose tout de suite une tendance au monopole ( Microsoft, Google, etc.) sur  un marché mondial, qui  doit idéalement être le plus lisse possible, donc assez bien dépourvu « d’ordres organisés ».

Curieusement , cette exacerbation de la « grande transformation », rappelle la chute de Rome ou mieux le féodalisme. L’Etat est contesté par de nouveaux barbares,  qui conquérants  dans l’espace des marchés,  jouissent d’une grande autonomie par rapport au suzerain distributeur de privilèges. D’où  l’idée « d’Etat de droit oligarchique » chère à Jacques Rancière. L’achat de privilèges ou de franchises de péages,  ne vaut pas nécessairement diminution de prestations aux profits d’autres clients du marché politique. Ainsi, l’habitude fût prise - mondialisation oblige -  de reporter sur l’Etat une partie du coût de la reproduction de la force de travail : diminution des charges sociales, prestations de solidarité sur le chômage, RMI, aides diverses sur le logement, etc. Rappelons que l’âge démocratique ou oligarchique de l’Etat, ne transforme pas son essence, il est simplement une structure de marché, où la prédation est généralisée : « tout le monde peut voler tout le monde ». Avec la difficulté pour les entrepreneurs politiques, de donner du sens aux décisions prises, puisqu’il n’y a plus d’objectifs, qui naguère, n’étaient que les conséquences attendues d’une idéologie rassembleuse. D’où la mise en avant du pragmatisme et du technicisme , les décisions cessant- dans le monde des apparences - d’être des choix, et résultants plus simplement de l’évidence de «  faits qui s’imposent », l’exemple le plus récent étant le débat sur les retraites en France.   

Les marchés politiques continuant de fonctionner malgré l’irruption des nouveaux barbares, la déconstruction de « l’ordre organisé », correspond davantage  à sa déformation, plutôt qu’à sa liquidation tant redoutée. Les entrepreneurs politiques préférant tirer les ficelles d’un ordre disloqué, plutôt que devoir réduire ce carburant du pouvoir, qu’est l’offre de produits politiques. La déformation est du reste probablement plus forte en France que partout ailleurs, car l’offre de produits politiques, dépend aussi d’une demande qui ici, en raison de la forte prégnance de la valeur « égalité » chez les  français, plébiscite le maintien d’un Etat providence musclé. Cette déformation, se repère notamment, au travers du prisme de la dette publique dans son mode marché. Les déficits publics étaient lourds bien avant le transfert sur les Etats de la crise financière, et résultaient de la déformation de « l’ordre organisé » : les achats de franchises de péages, détruisent la cohérence, et à la rupture de la croissance de la demande économique, va correspondre la forte croissance de l’offre de titres de dettes publiques, bien évidemment sur le mode marché. Et ce qu’on appelle « dette sociale »,  gérée discrètement par la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES) est le signe  le plus évident - après la dynamique Agence France Trésor, fière de fêter ses 10 ans d’existence (8 février 2001)… et du doublement de son « chiffre d’affaires » - de cette déformation, devenue considérable, de « l’ordre organisé ».        

Mais à la déformation de « l’ordre organisé » global, succède- crise de la dette publique oblige- une considérable déformation du marché de la dette, avec effet de boucle sur l’ordre global.

Cette déformation résulte du fait, que le coût du passage au mode hiérarchique, apparait démesurément élevé. Il était peu coûteux  dans les années 20, et surtout en 1945, de passer du mode marché au mode hiérarchique. Le chemin inverse apparait aujourd’hui hors de portée. Pour ne prendre qu’un exemple, on pourrait imaginer- et certaines entreprises politiques dites populistes en rêvent- de rétablir un puissant circuit du trésor, rendant inutile les agences offreuses de dettes, qu’elles ne peuvent plus commercialiser, dans des conditions raisonnables pour le contribuable. La solution est donc le rétablissement des planchers de bons du Trésor. Plus de peur, voire de panique, derrière les écrans où se lisent les résultats des adjudications ; plus de risque d’inflation du cours des CDS ; plus de peur de la notation ; et possible relâchement de pression budgétaire. Sauf que les banques, désormais dans un « ordre spontané », quittent un territoire, sur lequel elles étaient solidement fixées dans « l’ordre organisé » de 1945. Sauf que les épargnants – probables victimes de la répression financière - achèteront sous d’autres cieux leurs contrats d’assurance-vie,  ce qui était impensable en 1945. Sauf que, plus globalement le pays se livrant à pareil acte, serait mis à l’index par la communauté des oligarques, ce qui n’était évidemment pas pensable en 1945.   La seule idée de fin de la banque universelle, au profit du rétablissement de la séparation des activités, est assortie de menaces des nouveaux barbares conquérants. C’est le cas de Barclays et de HSBC, qui menacent le gouvernement anglais de délocalisation en Asie…avec un argument du type intérêt général : le report des pertes éventuelles du compartiment « affaires » sur les résultats de la banque de dépôts…Mieux, le récent Davos a pu mettre en évidence les menaces directes et indirectes, des oligarques au regard de régulateurs trop pressants : plus de régulation se paiera de plus de « coulisse » et donc de risques systémiques  dira un grand banquier ; publier la liste des établissements systémiquement importants, revient à diminuer les activités de crédit, déclarera le représentant de l’Institut International de la Finance ; etc.

En attendant….le mode marché jusqu’aux limites extrêmes du possible….la monétisation.

Le risque d’explosion du mode marché de gestion de la dette restant croissant, et ne pouvant pas passer au mode hiérarchique , il convient alors d’élargir sans cesse la tuyauterie du mode marché , parfois de la mettre au repos, tel un pontage coronarien, ou d’y adjoindre une prothèse type stimulateur cardiaque, ou de reprofiler le « design » de la dette…. et surtout de restreindre les fuites du circuit du Trésor, donc de déformer encore un peu plus « l’ordre organisé ».

Elargir la tuyauterie, c’est par exemple la création du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), fonds déjà insuffisant, et dont le périmètre devrait selon le souhait de certains, atteindre les 15OO milliards d’euros pour devenir réellement efficace. La mettre au repos, c’est par exemple l’interruption momentanée d’un marché national de la dette publique ( Irlande, Grèce…) devenu impraticable en raison des prix constatés, avec branchement direct sur un oxygénateur : le FESF . Et oxygénateur qui ne fait que reporter le problème, car il faut bien lui-même le brancher sur d’autres marchés. Reprofiler le « design », c’est par exemple cacher la dette dans un produit structuré, type « Euro Medium Term Notes », ou c’est – sans doute vainement –  prêter pour racheter sa propre dette (problématique du « ouzo² » en Grèce), ou mieux encore négocier son rééchelonnement ou son prix. Adjoindre une prothèse, c’est par exemple actionner  l’oxygénateur ultime, qu’est ce prêteur en dernier ressort  appelé FED ou  BCE. Ainsi chaque fois que les prix deviennent insupportables sur le marché de la dette, on a vu la BCE intervenir massivement…en marge de ses propres règles…pour aussi, il est vrai, soulager les actifs bancaires lourdement chargés de dettes publiques, proches de la démonétisation. Et soulagement nécessaire, car les banques doivent continuer à acheter de la dette nouvelle, à peine d’explosion du mode marché. Il faut aussi soulager l’environnement de la tuyauterie, car le monde des marchés n’est pas simple, et il faut savoir penser aux détails : ainsi réfléchit-on sérieusement aux USA, à ce que les versions modernes des « Clearing House » puissent  –risques de contreparties obligent -  accéder aux guichets de la FED. C’est que la fermeture d’un circuit du Trésor, facile à imaginer dans « un ordre organisé », devient casse tête dans un ordre marchand en crise grave. Toutes ces solutions, et d’autres encore qui seront issues de l’imagination de ceux, qui dans les ministères des finances, et surtout à Bruxelles, ou à Washington, continuent encore de croire en la possibilité de maintenir le mode marché, sont  insuffisantes. Il faut donc agir en parallèle avec le rétrécissement des fuites : nous avons là la question de la rigueur budgétaire, d’abord au niveau national, et aujourd’hui en Europe à un niveau plus élevé. Ce qu’étrangement on appelle : « semestre européen ».

Mais là aussi, il est inutile d’insister, la situation est connue, et son caractère gravissime rend l’insolvabilité, radicale pour une grande majorité d’Etats européens : malgré la rigueur aujourd’hui, ou les « pactes de compétitivité » demain, l’endettement ne fait que croître, non pas pour une majorité, mais pour tous les pays européens. Nous avons déjà mentionné dans ce Blog, qu’aucun pays- y compris l’Allemagne- ne répondait à l’équation de stabilisation de la dette publique (cf : Crise financière et renouvellement de l’offre politique ».)

Dans ce même Blog, au-delà de l’article précité, nous avons, sous d’autres termes, souvent abordé la question du passage au mode hiérarchique : « Monnaie, recherche désespérément souverain sérieux », « l’Epuisement des entrepreneurs politiques », « l’Equilibre extérieur comme produit politique émergent »,etc. Et nous en avons souligné son coût, essentiellement parce que « l’ordre organisé » du 20ième siècle s’est largement évanoui. Avec les valeurs qu’il fécondait dans le cerveau des acteurs : la croyance en un avenir collectif. Avenir disparu, puisque le marché est un monde sans agenda, pour des individus englués dans le présent.

Cela signifie que le mode marché sera probablement conservé jusqu’à l’extrême  limite de ses possibilités : l’oxygénateur des banques centrales, donc le quantitative easing et la monétisation massive, à prix réduits, constituent l’horizon indépassable, de ceux qui connaissent le prix du passage au mode hiérarchique, dans un monde devenu société de marché. Comprenons que même le retour d’un seul et unique petit pays au mode hiérarchique, aurait un effet de boomerang gigantesque. Ainsi selon la BRI, l’exposition des banques françaises sur la seule dette grecques représente 3,1% du PIB de la France, ce qui signifierait l’effondrement complet du système financier Français.

 La monétisation quasi gratuite, par la banque centrale elle-même, est donc –sauf accident lourd obligeant en urgence le passage au mode hiérarchique avec des moyens brutaux, déjà imaginés dans « crise financière et renouvellement de l’offre politique » - un « second best » du point de vue de la plupart des acteurs importants. Et donc un « second  best » susceptible de séduire l’électeur médian.

Les nouveaux barbares des marchés, la jugeront préférable à la saisie, à la nationalisation, à la restructuration, voire même une régulation tatillonne. Les entrepreneurs politiques pourront mettre en avant l’idée d’un maintien relatif du champ des services publics. Les salariés y verront le maintien sous perfusion d’un Etat providence, à périmètre  plus ou moins réduit, car de plus en plus marchandisé. Et les rentiers intelligents comprendront qu’il vaut mieux perdre un peu, voire beaucoup – c'est-à-dire renouer avec la répression financière du 20ième siècle -  que de risquer, comme leurs ancêtres, la ruine complète.

Evidemment il ne s’agit que d’un « second best », qui plus est, précaire, puisqu’au delà de la menace inflationniste, il développe une base monétaire surdimensionnée, matière première de bulles périodiques. Au-delà, et malheureusement, il nous est difficile d’aller plus loin dans une démarche prospective appuyée sur l’Histoire, et « nul ne peut sauter par-dessus son temps ». Ou mieux encore, selon le proverbe turc repris par Edgar Morin : « les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra ».

 

                        

 

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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 06:47

 

 

Nous publions ci-dessous la seconde partie de notre voyage dans l’histoire, et ce aux fins de bénéficier du décentrement nécessaire, à la bonne compréhension des événements monétaires et financiers qui accablent le monde.

                Partie 2    La dette : entre le mode hiérarchique  et le mode marché.

L’article du 6 janvier 2011 introduisait déjà les apports de Ronald Coase  pour étudier les  modalités possibles de la gestion de la dette. Lorsque la Banque centrale est  sous l’autorité hiérarchique du Trésor, il peut en être de même de la dette pour laquelle  volume et  prix sont possiblement politiquement décidés. A l’inverse lorsque la Banque centrale est indépendante, la dette éventuelle ne peut –être  qu’externalisée et passe par la mobilisation du marché.

Selon le langage Coasien le choix de la hiérarchie ou du marché est lui-même affaire de prix : coût d’utilisation du mécanisme de l’autorité, à comparer au coût d’utilisation du mécanisme du marché. Sauf qu’ici, à l’inverse de l’entreprise, seule à décider, de ce qui doit être internalisé et de ce qui doit être externalisé, le Trésor, et le pouvoir politique qui l’active, se trouvent dans une situation globale fort complexe. Les entrepreneurs politiques se devant de repérer les choix  dominants – voire les croyances - de groupes de sujets ou citoyens nombreux, groupes numériquement inégaux, groupes disposant d’un inégal accès à l’information ou d’un pouvoir inégal de sa manipulation, et groupes aux intérêts fondamentalement divergents … et parfois contradictoires à l’intérieur d’un même groupe. C’est que chaque sujet ou citoyen, se trouve en effet à l’intersection de nombreux  groupes d’appartenance : épargnant, salarié ou dirigeant  dans  telle ou telle branche professionnelle, contribuable, etc. A cette complexité il faut aussi ajouter que l’alternative « autorité/marché » dans la gestion de la dette, n’est qu’un choix politique parmi tant d’autres produits politiques à commercialiser auprès des sujets ou citoyens. Et parmi ces innombrables produits, existent des produits, eux-mêmes additions de produits politiques, qui fixent le périmètre  de la dette : le niveau de  pression fiscale d’une part, et le volume des dépenses publiques d’autre part. En sorte qu’il est très difficile d’établir une théorie fine  -  à la Coase par conséquent -  des choix politiques concernant la gestion de la dette. D’où la conclusion qu’au fond ce sont de grandes   ruptures historiques, ruptures relevant probablement de la théorie de la complexité ou du chaos,  qui permettent  d’expliquer les grands choix en matière de la gestion de la dette : choix anglais, après la révolution de 1688, avec création d’une banque centrale indépendante (1694), une  dette publique cotée en bourse (1720) et les célèbres « consols » à 3% ; choix français, avec plusieurs ruptures ( 1789 et la « foi publique », 1945 et l’Etat tout puissant, 1973 et le libéralisme) ; choix allemand,  après la grande inflation qui fait suite à la première guerre mondiale. D’autres exemples pourraient être envisagés. Celui de la France, intéressant en ce qu’il présente plusieurs ruptures , sera ici plus particulièrement envisagé.

Une  préférence bien affirmée pour le mode marché.

Le  pouvoir qui se met en place en 1789 trouve  sa légitimité, par rupture avec ce qu’il croit être les turpitudes de l’ancien régime : la dette publique, souvent victime d’un « haircut » sous la monarchie, sera verbalement sacralisée. Tels sont les termes du décret du 13 juillet 1789 : « l’assemblée, interprète  de la nation…déclare que la dette publique ayant été mise sous la garde de l’honneur et de la loyauté française….nul pouvoir n’a le droit de prononcer l’infâme mot de banqueroute, nul pouvoir n’a le droit de manquer à la foi publique sous quelque forme et dénomination que ce puisse être ». Et il s’agit bien d’une simple déclaration verbale, puisque quelques années plus tard, le déluge des assignats devra consacrer la « mobilisation de la dette » (le paiement des arrérages n’est plus assuré) et plus encore la « banqueroute des deux/tiers » (30 septembre 1797). Pour autant, la naissance de la banque centrale étudiée en partie 1 du présent texte, révèle la volonté politique de s’approcher du système anglais, pour lequel le recours au marché semblait bien fonctionner, et devait même magnifiquement fonctionner, notamment pendant la période napoléonienne, où l’effort militaire se paiera par émission de « consols », jusqu’à 228% du PIB britannique. Les entrepreneurs politiques français  ( 2 empereurs, 3 rois et les dirigeants de la troisième république naissante) seront soucieux d’en revenir à la « foi publique », en utilisant aussi largement que possible les mécanismes du marché. Sans doute la banque centrale fonctionne t’elle en hiérarchie, mais -comme indiqué dans notre première partie, même si l’Etat a la main lourde - les apparences de l’indépendance sont mises en avant, avec notamment la fiction de conventions libres entre gouverneurs et ministres des finances.

 Pour le reste, il y a bien utilisation des mécanismes du marché et ce jusqu’en 1914. Et ce mécanisme est d’abord celui de la rente publique en tant qu’obligation perpétuelle, constamment  liquide, grâce notamment, à la Bourse de Paris. Sur l’ensemble du 19ième siècle, son volume s’accroit, pour représenter environ la moitié de l’épargne nationale, et concerner près de 3 millions de ménages en 1914. Au-delà de fluctuations impulsées par les grands évènements du siècle (doublement de la dette publique après les cent jours, révolution de 1848, guerre de 1870) et de quelques crises financières, dont le krach de 1882, le taux est régulièrement décroissant, et rejoint progressivement celui des « consols » britanniques. Le bon fonctionnement du marché de la dette, est assuré par-quelques règles simples, qui existaient déjà dans nombre de pays européens: contrôle du parlement sur les budgets et déficit maitrisé, défiscalisation des rentes sur l’Etat (au moins jusqu’en 1850), faible régulation financière, et banque centrale apparemment indépendante.

Il y a bien maitrise du déficit public, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas, puisque sur la période 1816 – 1899 on ne comptera que 7 années excédentaires. Et ce déficit est « demandé par le marché » puisque sa contrepartie, la rente défiscalisée depuis une loi du 22 frimaire de l’an 7, constitue une  partie non négligeable de la fortune de la bourgeoisie française, voire de l’ancienne noblesse, qui reçoit avec la restauration, un milliard de francs de rente au titre des réparations. Et cette demande est d’autant plus forte, que l’option de remboursement par anticipation, au pair, ferait disparaitre la rente en cas d’excédent, entrainant lui-même une baisse des taux. Il faut en effet comprendre que si le taux du marché devient inférieur au  taux d’émission, les fonctionnaires de la Direction du Mouvement Général des Fonds (DMGF) - l’équivalent du ministère des finances aujourd’hui - utilisaient cette option désavantageuse pour le rentier. La classe des rentiers dans son ensemble avait donc intérêt à un déficit ni trop important (pour risque de banqueroute) ni trop faible (pour limitation excessive de la rente). La grande bourgeoisie notamment parisienne – groupe social politiquement déterminant - déléguait ainsi aux entrepreneurs politiques de l’époque, la bonne gestion de ses affaires.

Il y a aussi, au-delà de l’incitation fiscale, bonne souplesse de la régulation financière. L’ordre des agents de change créé en 1723, pour notamment empêcher les ventes fictives d’effets publics visant à en faire baisser le prix, ne dispose pas d’un monopole réel, et un « shadow banking » devient avec ce qu’on appelle la « coulisse », une instance de transactions plus importante que la bourse officielle, avec déjà une cotation en continu.  Le marché à terme qui s’y développe est, lorsqu’il s’agit de vente à découvert, considéré par Bonaparte comme malveillance envers l’Etat. Pour autant, ce dernier est trop préoccupé par l’idée de « foi publique » pour l’interdire. Ultérieurement, les articles 421 et 422 du code pénal interdisant la spéculation sur effets publics seront de moins en moins en usage, tandis que la loi du 28 mars 1885 viendra interdire « l’exception de jeu », afin de donner aux contrats financiers une  garantie de bonne exécution des engagements. En clair, l’Etat est présent pour assurer la bonne liquidité de la dette publique. Exactement comme aujourd’hui, avec l’agence France Trésor et les autorités de régulation, qui n’ont d’autre objectif que d’assurer le bon fonctionnement des marchés.

Sans doute existe-t-il quelques freins au « tout marché » de la gestion de la dette. Ainsi, la création de la Caisse des Dépôts et Consignation , relève plutôt d’une gestion sur le mode hiérarchique, puisqu’il lui est imposé d’employer les fonds qu’elle reçoit en titres de la dette publique. Injonction plus grave encore à partir de 1837, avec les fonds de caisses d’épargne, et surtout 1881 avec la création de la Caisse Nationale d’Epargne. Il est vrai qu’à cette époque, la dette s’est considérablement accrue, avec l’obligation de verser le ¼ du PIB à l’Allemagne, au titre de la libération du territoire. Sans doute sommes nous déjà dans la stratégie du « circuit du Trésor », et le passage partiel au hors marché de la dette. Toutefois la période, sauf en ce qui concerne la banque de France, est globalement « libérale » et ressemble assez bien au vécu d’aujourd’hui.

La grande marche vers un mode hiérarchique de la gestion de la dette.

Inutile de reprendre dans le détail les transformations des rapports entre banque de France et Trésor, rapports déjà examinés dans le présent texte, sous le titre « des banquiers centraux écrasés », et transformations qui vont concerner la période 1914- 1973.

Il faut toutefois bien comprendre que le passage au mode hiérarchique, signifie de fait la fin de la « foi publique » et la promotion des idéologies collectives sur le thème de la « planche à billets ». Cela signifie des turbulences dans le fonctionnement des marchés politiques, et la mise en cause de la rente comme construction politique se cachant derrière le marché. D’où la possible résistance du banquier central, que l’on doit écraser. Ainsi lorsque les conventions - fictives disions nous - sont mal respectées par l’Etat, ce qui sera le cas avec le cartel des gauches et le « mur de l’argent », le banquier central, juste assimilé au rang de simple préfet, pourra prendre appui sur « l’opinion publique » pour réagir. Ainsi dans les années 20, le gouverneur Robineau et les régents se disent choqués par l’attitude du Trésor, le même gouverneur pouvant prendre appui sur l’opinion publique, et déclarer imprudemment, qu’il « préfère se couper le poignet que de signer un nouveau billet ». Curieusement les entrepreneurs politiques au pouvoir (cabinet Herriot par exemple entre 1924 et 1925) comprennent les remontrances des régents, et se déclarent farouchement opposés à la monétisation de la dette publique…monétisation dont ils sont les promoteurs obligés…

Face aux courants d’opinion, le passage au mode hiérarchique de la gestion de la dette, devra  se faire par contournements, et par emprunts de chemins nouveaux qu’il faut mettre en place. L’abandon du mode marché de gestion de la dette étant politiquement impossible, il sera, parallèlement à une monétisation massive, mené une politique de réactivation du marché. D’abord par une politique de diversification des produits, comme les bons de la défense nationale. Ensuite par une politique de lancement d’émetteurs extérieurs, correspondants du Trésor, comme le Crédit National en 1919. Il s’agit là d’une pièce importante du futur « circuit du trésor ». De fait ces émetteurs nouveaux, servent à élargir le marché de la dette publique, et correspondent à une tentative de privatisation, les bons émis par ses émetteurs, n’étant que des succédanés de bons du Trésor. Egalement, les entrepreneurs politiques au pouvoir, chercheront à rassurer le marché par création d’une caisse d’amortissement de la dette (1926). Mais le point central, sera la recherche de l’appui du système bancaire, que les fonctionnaires  du Mouvement Général des Fonds vont organiser, voire acheter  (avantages fiscaux, commissions sur placements) pour inonder le pays de bons du Trésor. Et face au risque de lobby financier, qui se monte souvent sous la bannière du Crédit Lyonnais, les entrepreneurs politiques disposent d’une arme redoutable : le réescompte des bons auprès de la Banque de France que son gouverneur (M Moret) est tenu d’accepter, malgré la monétisation déguisée, que ce dernier croit percevoir dans une telle démarche. Comme si aujourd’hui, monsieur Trichet - sous les ordres des entrepreneurs politiques européens- achetait sans limitation,  la dette publique  sommeillant dans les bilans bancaires, afin de réduire à zéro les spreads de taux chez les PIGS. Ce réescompte, deviendra loi organique du 24 juillet 1936, laquelle stipule que « tous les effets de la dette flottante émis par le Trésor Public et venant à échéance dans un délai de 3 mois maximum sont admis sans limitation au réescompte de l’Institut d’émission, sauf au profit du Trésor public ». Un nouveau chemin de monétisation est ainsi découvert, un chemin entre le mode marché et le mode hiérarchique.

Après la seconde guerre mondiale : un mode hiérarchique jusqu’à l’étouffement.

Tout d’abord la liquidité du trésor sera assurée par la promotion du « circuit » avec la multiplication des correspondants du Trésor. Déjà, depuis le Consulat, existait des acteurs financiers qui disposaient obligatoirement d’un compte auprès du Trésor Public, compte interdit de découvert, et donc compte contribuant à la liquidité du trésor. Ce dispositif, sans équivalent dans le monde, sera renforcé avec notamment l’article 15 de la loi organique du 2 janvier 1959.

Mais ce dispositif n’est efficace que pour le roulement de la dette flottante. Il faudra par conséquent, au-delà du mode hiérarchique, sur une banque centrale désormais nationalisée, étendre le même mode sur l’ensemble du système bancaire, afin de ponctionner une épargne, que le marché ne dirige plus spontanément vers la rente comme au 19ième siècle. C’est ainsi que sous l’autorité du Conseil National du Crédit -crée dans le cadre de la  loi du 2 décembre 1945, portant sur la nationalisation de la banque centrale et des 4 banques les plus importantes du pays – un système de planchers de bons du Trésor est institué. Concrètement, un pourcentage des exigibilités  bancaires (25% en 1948)  est converti en bons du Trésor. Il s’agit bien cette fois d’un mode de gestion hiérarchique de la dette publique, et ce d’autant que le taux est administré. Prix et quantités sont ainsi hors marché. A cela il faut ajouter que la surveillance est extrême, et qu’il ne saurait être question de frauder : le contrôle de la contrainte d’achat de bons est mensuel  en 1948, et deviendra quotidien en 1951. Il n’est donc pas question d’échapper à la fermeture du circuit et, la dette publique apportant des liquidités sur les comptes des bénéficiaires de la dépense, est réintroduite dans les ressources. Seule la bancarisation, qui devait suivre dans les années 60, permettra d’alléger la contrainte en raison de son rendement croissant, mais, il est vrai aussi, en raison de la relative extinction de la dette. C’est ainsi que le taux d’affectation des exigibilités en bons du Trésor, va progressivement diminuer, pout disparaitre en janvier 1967… et laisser la place au système des réserves obligatoires, qui seront d’une toute autre nature : la dette publique n’existe plus et une nouvelle histoire va commencer. Mais auparavant, puisque des fuites sont toujours possibles, la spéculation est étroitement contenue, et une fixation autoritaire du calendrier et du volume des émissions sur le marché financier, est confirmée par la loi du 23 décembre 1946. Le Trésor devient ainsi tout puissant. Et toute puissance qui va apparaitre dans les chiffres : en 1955 le Trésor est ainsi le premier collecteur de fonds, avec 695 milliards de francs contre seulement 617 milliards pour le secteur bancaire. Le « circuit du trésor », de par son très large périmètre, en vient ainsi à étouffer les marchés financiers.

Ultérieurement, le libéralisme montant critiquera le considérable effet d’éviction, dont le Trésor s’avère responsable et, une autre histoire – plus connue - va émerger pour progressivement constituer la réalité d’aujourd’hui, c'est-à-dire le retour au mode marché de la gestion de la dette, mode marché désormais en pleine crise….comme dans les années 20.

Les  conclusions  de cet examen des faits sur longue période seront examinées dans une prochaine publication.

 

 

 

 

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19 janvier 2011 3 19 /01 /janvier /2011 10:20

La gestion future de la grande crise passera aussi - à n’en pas douter-  par des modifications dans le fonctionnement financier des Etats et des banques centrales. A cet égard, il n’est pas inutile de se pencher avec précision sur les modalités historiques du fonctionnement et des rapports que ces 2 entités ont entretenus depuis le début du 19ième siècle, notamment  depuis la division  des activités financières de  l’Etat , en deux compartiments : le Trésor d’une part, et la Banque centrale d’autre part. En France, cette division  va intervenir progressivement, avec un texte – qui n’est pas une loi- en date du 18 janvier 1800,  et  portant création de la Banque de France. C’est cette division que nous retiendrons, pour la présentation de cette très instructive histoire. D’où les deux parties suivantes publiées séparément :

1         «  La Banque de France : des propriétaires le plus souvent expropriés » ; et  2  « La dette : entre l’autorité et le marché »

Partie 1- La Banque de France : des propriétaires le plus souvent expropriés.

Bonaparte ne conçoit pas la banque de France, comme la banque d’Angleterre créée en 1694, laquelle fût d’abord conçue pour  interdire à  l’exécutif la gestion de la dette publique. Ainsi, la Banque de France, sera dès sa naissance, une entité privée, fortement soumise aux injonctions publiques. D’où l’expression ambigüe de Bonaparte : « La Banque de France doit être entre les mains du gouvernement et n’y être pas trop ». Entité privée, au statut peu ordinaire,  puisque simple association de droit privé, rapidement encadrée par une loi (loi du 14 Avril 1803) qui fixe dans le détail, les gestes des actionnaires, et va jusqu’à préciser les rémunérations de ces derniers. Par son caractère invasif, la loi sus - visée, est de fait, déjà la nationalisation d’une banque… qui reste néanmoins  privée… Sans doute s’agit-il déjà d’une délégation de service public, puisque le même texte accorde un privilège d’émission pour une durée de 15 ans.

Des banquiers centraux souvent forts malmenés ….

Tout au long du 19 siècle et jusqu’à la loi de nationalisation de 1945, les droits de propriété des actionnaires seront amputés, et ce de façon croissante. Ainsi, la loi du 22 Avril 1806 réservera à l’empereur , le pouvoir de désignation du gouverneur et de ses deux suppléants. Une autre loi, celle du 16 juillet 1908, ne comporte pas moins de 63 articles, lesquels  encadrent complètement l’activité de la Banque. D’autres lois- très nombreuses (25 mars 1817, 4 juillet 1820, etc. )- feront bénéficier l’Etat d’une partie des profits mis en réserve par la Banque. Ces restrictions de liberté s’aggraveront bien évidemment pendant les crises (1848, 1970). Si la banque émet de la monnaie, le pouvoir monétaire est entièrement aux mains de l’Etat, lequel fixe à intervalles réguliers, le volume d’émission (plusieurs dizaines de lois concernent le sujet). L’émission est elle-même taxée selon des procédures complexes, ce qui revient à dire que l’Etat est fiscalement intéressé à la croissance monétaire. Comme si la création monétaire aujourd’hui, création résultant du crédit bancaire, donnait lieu à une taxation directe. La question étant alors de savoir quel monde fonctionne à l’envers : celui d’aujourd’hui, ou celui d’hier ?

Dès le milieu du 19ième siècle, la prédation de l’Etat- donc des entrepreneurs politiques- sur les profits de la banque se fait lourde. C’est ainsi que le « traité du 3 mars 1852 » décide du rééchelonnement de la dette de l’Etat envers la banque, et d’une baisse autoritaire du taux de l’intérêt. A partir du « Traité du 10 juin 1957 », les taux des avances seront obligatoirement inférieurs au taux d’escompte. Comme si l’Agence France Trésor d’aujourd’hui,  pouvait- le plus simplement du monde- imposer aux banques, les volumes et les prix de la dette publique.

Le même texte, celui du 10 juin 1057, fait officiellement naître le compte du trésor au bilan de la banque de France.

Après la catastrophe militaire de 1870, la Banque sera déjà durement sollicitée, et les lois vont se multiplier, pour selon un savoureux langage : « autoriser des avances faites à l’Etat ». On est déjà dans les premières phases de la monétisation de la dette, avec un rituel juridique qui va se faire de plus en plus précis : le ministre des finances signe une convention avec le gouverneur, convention autorisée par une loi. Déjà, à la fin du siècle, le gouverneur devient un personnage de simple représentation, et on voit mal comment  il pourrait refuser de signer des conventions, avec ce qui est une vraie autorité de tutelle. A l’extrême fin du siècle, les « avances  autorisées » deviennent gratuites (sans intérêts). C’est ce que précise l’article 6 de la loi du 17 novembre 1997, qui stipule que : « les anciennes avances portant intérêt cessent de l’être ». De la même façon, ces avances jouiront d’une maturité croissante, puisque la même loi, prévoit que : « la Banque ne pourra réclamer le remboursement de tout ou partie de ces avances pendant toute la durée de son privilège » lequel porte sur une durée de 23 ans. Et à Chaque  nouvelle loi,  de nouvelles avances seront prévues à titre gratuit.

Toujours en cette fin de siècle, l’Etat se fait encore plus invasif, et décide que la vente de bons du Trésor auprès du public- vente aussi assurée par les services de la Banque- se fera gratuitement. Tandis que le même Etat, est de plus en plus exigeant sur les profits d’escompte qu’il se met à « partager » avec la banque. Comme si à cette époque, l’adage selon lequel les profits seraient privatisés et les pertes socialisées, était renversé. Mieux, les conquêtes coloniales étant coûteuses, le décret du 22 février 1899 donne une nouvelle mission- à cette banque que les actionnaires ne dirigent plus depuis bien longtemps- celle d’effectuer des avances sur effets publics les plus divers,  y compris ceux émis par le gouvernement général de l’indo-chine.

Des banquiers centraux écrasés….

Si l’histoire du 19ième siècle est celle d’une dépossession progressive des actionnaires par le prédateur public, les choses s’aggraveront considérablement au 20ième siècle, jusqu’à la loi de nationalisation en 1945.

Anticipant la guerre mondiale, une première convention, en date du 11 novembre 1911, prévoit une avance de précaution, avec pour garantie, un seul bon du trésor à l’échéance du 31 décembre 1920. Curieusement, l’avance n’est pas gratuite : 1%. Toutefois, comme elle vient gonfler la masse monétaire, le rendement de la taxe de circulation de la monnaie émise augmente également, ce qui nous renvoie à la quasi gratuité de l’endettement. Cette convention de 1911 est la première d’une très longue série (plusieurs dizaines) portant sur des montants élevés (3 milliards de Francs pour chacune d’elles). La convention du 26 octobre 1917 ira plus loin, et -outre la monétisation massive- l’Etat exigera sa part de profit dans les bons du trésor escomptés, et surtout 85% du profit sur bons achetés par les gouvernements étrangers….en sorte que même l’endettement international devient peu coûteux  pour l’Etat. Il est vrai que -de fait insolvable- la banque réalise de substantiels profits. Situation qui n’est pas sans rappeler le système bancaire d’aujourd’hui- largement insolvable- et néanmoins distributeur de généreux revenus.

L’après guerre, voit s’ouvrir la longue période des « amortissements fantôme » de la dette de l’Etat vis-à-vis de la banque : le premier remboursant, sans intérêt, la seconde, à partir d’avances nouvelles nettement supérieures au remboursement. Ainsi pour ne donner qu’un exemple, l’article 3 de  la convention du 29 décembre 1920, en application d’une convention cadre antérieure, prévoit un remboursement annuel de 2 milliards de francs chaque année et , dit le texte : « en conséquence le montant des avances autorisées sera chaque 31 décembre réduit d’une somme de 2 milliards ». Et promesse qui ne pourra être tenue, tant la situation de la trésorerie est grave. D’où de nouvelles conventions, comme celle du 21 décembre 1922 - et de plusieurs autres - qui stipulent qu’ « à titre exceptionnel » le montant des remboursements sera réduit.

Les propriétaires de la Banque, continueront à n’être que simples spectateurs- intéressés certes- d’une histoire qui n’est point la leur, jusqu’au moment de la nationalisation. Entre temps, il faut préparer une nouvelle guerre, et à titre préventif, comme le précise la convention du 29 septembre 1938, la banque met à la disposition du Trésor la somme de 25 milliards contre des bons à 1%. Avec le déclenchement de la guerre, l’Etat exigera la session d’une partie de l’or de la banque (convention du 25 février 1940) . Entre le déclenchement des hostilités, et la libération, ce n’est pas moins de 25 conventions, soit en moyenne une chaque 70 jours, qui vont porter les avances, sans intérêt cette fois, à 411 milliards de francs. La banque, et ses propriétaires, seront remboursés en monnaie fondante, la dépréciation monétaire annuelle moyenne se fixant à environ 45% entre 1945 et 1949.

D’une certaine façon, la loi de nationalisation du 2 décembre 1945 apporte de la clarification : la banque de France était de fait publique depuis sa naissance, elle le devient en  droit le 1-1-1946, juridiquement un établissement public administratif. Les anciens propriétaires étaient de fait expropriés dès la naissance de la banque. Les nouveaux- idéologiquement le peuple souverain- seront de vrais propriétaires…. jusqu’à leur propre éviction, lorsque la banque deviendra d’abord indépendante, pour intégrer ultérieurement l’euro-système. Mais curieusement, nouveaux, et vrais propriétaires, qui vont maintenir la fiction d’une « indépendance » de la Banque. Ainsi le mode opératoire va demeurer, avec à chaque fois un double texte : convention entre ministre des finances et gouverneur, elle-même « autorisée » par un texte relevant de l’exécutif (décret) ou du législatif (loi). Comme si la convention, était d’essence contractuelle, entre institutions libres de leur destin. Comme si le gouverneur était autre chose qu’un simple préfet soumis à l’exécutif.

Au cours de cette période, la banque reste évidemment banque du Trésor, mais plus encore, l’Etat l’utilise largement dans la construction de ce que l’on pourrait appeler « les infrastructures du Fordisme  naissant ». C’est ainsi que le décret du 13 juin 1962 autorise la banque à effectuer des avances sur les obligations, les bons, et les parts de production émis avec la garantie de l’Etat, au profit d’EDF, GDF et Charbonnages de France. D’autres nombreux textes élargiront cette possibilité, au profit d’une foule d’organismes : Départements, communes, chambres de commerce, ports autonomes (3 août 1963) ; Sociétés de Développement Régional (23 juillet 1964) ; Caisse Nationale des Autoroutes (29 octobre 1965) ; Caisse Centrale de Crédit Hôtelier et Commercial (22 décembre 1965) ; Caisse d’Aide à l’Equipement des Collectivités Locales (24 janvier 1968) ; etc. Faits intéressants, puisque désormais, les investissements publics correspondants se font sans prélèvement de rente : si la banque réalise des profits sur les investissements publics, ils sont empochés par le propriétaire public.

……Mais des banquiers centraux libérés.

La situation va progressivement se détériorer avec l’indépendance officielle de la Banque de France. L’évolution des marchés politiques, développera l’inscription législative de  la fin de la monétisation, et le retour de la rente financière qui lui est associée. D’où la loi du 3 janvier 1973, qui va dans son article 25, arrêter la dite  monétisation : « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la banque de France ». Mais loi qui n’interdit pas encore- dans son article 19- le jeu des avances et prêts qui assurent la liquidité du Trésor. Article toutefois de précaution, car de fait, la banque de France cessera d’être la Banque de L’Etat, et ne restera qu’instrument technique de bonne circulation de ses flux, avec un compte du Trésor à son bilan, de fait de plus en plus semblable, aux comptes des banques ordinaires qu’elle porte également. Il faudra attendre la loi du 12 mai 1998, loi modifiant les statuts de la banque, pour voir le propriétaire public, renoncer aux droits qui lui sont traditionnellement associés. C’est ainsi que le texte précise que le gouverneur et les sous gouverneurs : « ne peuvent ni solliciter ni accepter d’instructions du gouvernement ou de tout autre personne ». Comme si une assemblée générale d’entreprise, renonçait à tout contrôle de l’activité des managers. Et le texte ira plus loin, puisque son article 5 stipule : « qu’il est interdit à la Banque de France d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publics ». Et : « l’acquisition directe par la banque de titres de leurs dettes est également interdite » précisera le texte. Comme s’il était interdit, à un actionnaire de banque, d’obtenir un prêt en provenance de l’  établissement, dont il est en partie ou totalement propriétaire. Le propriétaire de la banque de France dans sa nouvelle version - idéologiquement le peuple souverain- devient ainsi davantage exproprié que les « deux cents familles » de l’époque napoléonienne.

C’est que la nouvelle Banque de France devient un objet juridique fort particulier, et ce n’est pas parce que l’article L-142-1 du code monétaire et financier, stipule que : « la banque de France est une institution dont le capital appartient à l’Etat », et que par ailleurs son gouverneur est nommé par décret, qu’elle reste- réellement- sous le droit français. D’où son classement dans la catégorie des « sui generis », ce qui signifie que la dite institution, est redevable de textes entièrement spécifiques. La nomination du dirigeant, devient l’inverse d’une mise sous tutelle, inverse dûment acté dans le texte de nomination ; le dirigeant, lui-même s’obligeant à : « rechercher impartialement l’intérêt général à long terme ». Et ces particularités devaient être confirmées et précisées, dans une décision du Conseil d’Etat en date du 22mars 2000 : « L’Etat ne peut en rien contrôler ni orienter l’action de la Banque de France, dans l’exercice des missions qu’elle accomplit, à raison de sa participation au système européen des banques centrales ».

Effectivement, l’entrepreneur politique au pouvoir, est désormais, avec radicalité, exproprié. Avec cette différence que si les « 200 familles » du 19ième siècle furent expropriées, l’entrepreneur politique au pouvoir, à l’extrême fin du 20ième siècle s’est lui-même exproprié. En quelque sorte l’expropriateur s’est volontairement exproprié. Mais cette auto-expropriation, n’est évidemment pas la fin du politique, et le renoncement, à l’utilisation des outils de la contrainte publique, à des fins privées. La « libération » des banquiers centraux, s’est faite au nom d’une loi, qui comme toute loi, déplace du bien être d’un groupe social vers un autre groupe, ici entre les rentiers et les autres acteurs, en particulier les contribuables.

 Derrière ce vaste mouvement de l’histoire des banquiers centraux français, se cache une réalité, elle aussi politique : la gestion de la dette publique, dont on verra qu’elle oscille entre 2 modes opératoires, celui  du « règlement » ou celui du « marché ». Question qui sera traitée dans une prochaine publication.

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