La compétitivité comme suicidaire panique collective http://t.co/50ACCbSiQN
September 28, 2013
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September 27, 2013
Alain Touraine vient de publier au SEUIL un très long ouvrage (656 pages) intitulé « La fin des sociétés ». Ce livre présenté comme le couronnement théorique de son œuvre peut aussi se percevoir comme ouvrage d’économie dans la mesure où l’apparition de nouveaux acteurs du jeu social permettrait le redressement économique, comme ce fut – selon l’auteur - le cas à la fin de la seconde guerre mondiale avec l’émergence d’un cycle nouveau appelé les « trente glorieuses ».
Ces nouveaux individus sont ce qu’Alain Touraine appelle depuis de très nombreuses années le « retour de l’acteur », acteurs collectifs , capables d’engendrer une fin de crise par la promulgation de nouveaux droits issus de principes éthiques. Et l’auteur voit dans l’émergence de pôles de résistance à la mécanique infernale de la crise – ce qu’on a appelé par exemple les mouvements d’indignés de la Puerta Del Sol ou les militants des printemps arabes – les prémisses d’une réorganisation générale des règles de fonctionnement de l’économie.
Nous voudrions, dans le présent texte, évoquer l’intérêt et les limites de la construction d’Alain Touraine.
Exprimer pour un sociologue l’idée de « fin des sociétés », de « l’après social », et même d’individus acteurs autonomisés par rapport au social est évidemment énigmatique et tendrait à le rapprocher du paradigme libéral d’entrée dans la connaissance des phénomènes sociaux. En ce sens l’acteur d’Alain Touraine est-il comparable à celui des libertariens tel celui analysé par un Friedrich A. Hayek ? Pour en juger il faut en revenir sur la vision libérale en particulier celle Hayekienne des mécanismes de l’inter-action sociale .
L’individu et le social chez Hayek
La première grande idée est que le jeu social n'est pas une construction humaine mais se trouve être le produit d'une évolution non rationnelle. D’où sa célèbre critique de Descartes.
Le rationalisme cartésien n'est pas scientifiquement acceptable pour Hayek et les institutions critiquées par l’auteur du Discours de la Méthode ne sont pas le fait d'une construction humaine maladroite, construction qu’il faudrait revoir, alors qu'en réalité la société n'a jamais été fabriquée par un quelconque architecte, et qu'il est toujours tout aussi impossible de la fabriquer aujourd’hui.
Les hommes ne peuvent pas bâtir consciemment un ordre social complet à la manière d'une machine tout simplement parce que la société dépasse l'entendement. Alors qu’il est possible de maîtriser toute la technique permettant la construction d’une machine, il est impossible de maîtriser la technique humaine et maîtriser tout le savoir humain. Ainsi je ne puis, pense Hayek- remplacer le marché par une super planification car je ne puis maîtriser toutes les connaissances particulières qui fabriquent le marché.
La seconde grande idée est que l’évolution non rationnelle de l'humanité n'est que le résultat d'essais et d'erreurs, idée dont on voit déjà qu’elle éloignera complètement Hayek des théories normatives si souvent rencontrées dans les sciences humaines, et théories qui décrédibilisent leurs auteurs : La science n’a pas à dire ce qu’il faut faire mais à dévoiler ce qui est.
Selon Hayek, pour comprendre le lien social et la coopération, il faut comprendre la logique de l'action des hommes. Et cette action doit être sous-tendue par une logique de perception : j'agis en fonction de ce que je crois être la situation.
Précisément la connaissance de la situation est souvent un savoir pratique non sous- tendu par un savoir théorique et rationnel. Ainsi le bon joueur de billard réussit des coups sans passer par une connaissance très complexe de la mécanique et qui plus est, son intelligence est peu mobilisée .
Il existerait donc un savoir pratique conditionné par la présence dans le cerveau de ce que Hayek appelle "schèmes", c'est à dire une réalité mentale capable d'associer directement à la perception d'un certain type de situation, un certain type de réponse adaptée. Un schème est donc tout simplement une « carte » permettant de se repérer et de se situer par rapport à l'extérieur.
Ces schèmes qui permettent de percevoir les situations, sont complètement associés à d'autres schèmes qui impliquent l'action et souvent il y a intégration des deux catégories, car la perception suppose aussi l'action: regarder suppose de s'orienter, toucher suppose un geste de la main etc..
La « perception-action » serait adaptative dans le sens de la conservation de la vie. Ainsi, Il y aurait progressivement sélection naturelle de la bonne perception et de la bonne action , bonne en ce sens qu'elle permet de réussir et d'être efficace au regard de la protection de la vie .
Cela se comprend aisément. Si le schème ( la « carte » ) qui permet de se situer est erroné en ce qu'il ne renseigne pas correctement le sujet , l’intégrité physique peut-être menacée. Par exemple le risque d'être renversé par une voiture si l’acteur ne se rend pas compte qu’il marche au beau milieu d'une route.
Mais cette adaptation ne serait pas aussi frustre, en particulier chez l'homme, et ne se ramènerait pas toujours à un réflexe. Les schèmes pourraient être d'une grande perfection, et ainsi percevoir qu'aucune situation n'est exactement semblable à une autre, ce qui entraînerait une action spécifique et donc une grande variété de comportements adaptés. Et cette adaptation se réaliserait au travers d'essais et d'erreurs qui vont représenter selon Hayek le processus d'évolution.
Par exemple, pour en revenir au jeu de billard, la situation n'est jamais exactement la même (les boules ne sont jamais les unes par rapport aux autres dans la même situation) et au schème de perception ( ce qui procure la « carte » ) va correspondre un schème d'action complètement spécifique ( les coups ne sont jamais les mêmes ) et pourtant effectués sans calcul fastidieux .
Pour Hayek, les schèmes encadrent la conscience et celle-ci n'émerge que lorsque l'environnement ne correspond pas exactement aux anticipations des schèmes, donc lorsqu'il y a un imprévu.
Ainsi, dans le cas de la conduite automobile, il y a bien en permanence perception et action dans le sens de la conservation de la vie, toutefois la conduite est très largement automatique et donc relativement inconsciente. Ce n'est que lorsqu'un événement imprévu se manifeste ( un obstacle par exemple) que l'on sort d'une certaine torpeur et qu'il y a prise de conscience.
Il y aurait donc des règles inconscientes qui guident notre action, des automatismes qui peuvent être chez l'homme la morale ou le droit. Ces éléments, Morale et droit, seraient très largement des guides à notre action, et des guides relativement inconscients. Et il s'agirait bien de schèmes d'action: à la lecture du réel (schème de perception, ) correspondrait un schème d'action "programmé" par la morale ou le droit. La morale ou le droit font en effet, que face à telle ou telle situation ,l'action appropriée est orientée de telle ou telle façon. Constatons que cette conclusion hayékienne nous éloigne de l’individualisme méthodologique classique.
Mais morale et droit nous font déjà passer à la logique de l’interaction sociale.
Selon Hayek Il existerait une classe particulière de schèmes de perception et d’action, ceux permettant la communication, et donc le lien social, et qui seraient probablement des schèmes communs capables de nous comprendre, c'est à dire de comprendre l'autre. Et cette compréhension est encore une fois du savoir pratique que nul ne pourrait expliquer. Ainsi, par exemple, nous repérons l'humeur de l'autre à tel ou tel mouvement de son visage, mais s'il s'agit d'une connaissance le plus souvent vraie, on est bien incapable de démontrer sa justesse par le raisonnement. La rationalité est ici impuissante.
Comment puis-je me guider par rapport à autrui? Précisément parce qu'il y a des schèmes communs, je puis dans une certaine mesure, prévoir le comportement de mes semblables, en particulier le fait que ces derniers s'abstiendront de certains types d'actions. Il y aurait alors des règles d'action qu'on appellera des "règles de juste conduite" et qui représenteraient un éventail de possibles.
L'éventail des possibles est donc ce qui permet la survie du groupe ou plus exactement la coopération entre les hommes : je puis élaborer des plans d'action car je sais que mon partenaire doit plutôt se comporter de telle ou telle façon.
Cet éventail des possibles serait dessiné par des schèmes, dont le contenu est fait de morale, de valeurs, de préceptes ou de règles qui se sont révélés bénéfiques pour le maintien du groupe humain considéré. Cet ensemble qui correspond aussi aux "règles du jeu" dans une société donnée, serait constitué de prescriptions génériques , censées s'appliquer à un nombre indéterminé de cas et d'individus: "respecter ses parents ","ne pas voler ou tuer ","aimer sa patrie", "gagner son pain à la sueur de son front" etc.. Et la conscience – selon Hayek- apparaît sur cet humus, c'est à dire que ce que nous appelons " Raison " reposerait sur ces schèmes qui se seraient révélés bénéfiques au cours du temps.
Dit autrement, ce qu'on appelle Raison est encadré par ces prescriptions qui sont un peu le logiciel de la société considérée. Au fond, pour bien traduire Hayek, la raison travaille à l'intérieur et avec un « logiciel », de la même façon que l’on peut écrire un livre de philosophie à l'intérieur et avec un logiciel de traitement de textes.
De tout ceci, il résulte que contrairement à ce que pensait Descartes, la culture au sens le plus général, et les institutions humaines ne sont pas une construction qu'il faudrait remanier. De la même façon que pour écrire un livre nous restons prisonniers d’un "traitement de textes", nous restons prisonniers de notre culture et des institutions qui lui correspondent. Bien sûr cette culture et ces institutions ont été in fine des structures construites par les hommes, mais elles constituent un cadre d'action sur lequel on ne saurait agir.
Pour Hayek la particularité de ces structures, est qu’elles sont à la fois ni naturelles ni artificielles.
Non naturelles car elles ne dépendent pas de l'environnement de façon mécanique et ne sont pas intériorisées dans des gènes. Concrètement les règles morales ne sont pas inscrites dans les chromosomes, la preuve en est qu'il faut les enseigner. Cela s'appelle l'éducation.
Non artificielles, car il s'agit de structures qui "débordent" le cerveau humain et qui s'imposent à lui. Nul acteur de la société n’est ainsi capable de rompre avec sa culture. Sans doute ces structures, culture ou règles de juste conduite, dépendent de l'action des hommes, pour autant elles ne résultent pas de leurs intentions.
Morale, droit ,langage ,et d'une manière générale culture ,sont entre la nature et l'artificiel ,entre l'inné ou l'instinct et la raison. C'est cet "entre -deux" qui permet à Hayek de construire une théorie de l'évolution culturelle.
C’est que les règles de juste conduite rendant possible l'interaction humaine évoluent dans le temps. Et une évolution qui n'est ni Darwinienne, ni planifiée par un organisateur. Ce ne peut en toute hypothèse être un "organisateur" qui a inventé le jeu social, puisque la société humaine naissante, était déjà société -donc avec des règles- alors même que "l'organisateur" n'était point né .Esprit et société sont le résultat d'une coévolution, et donc le premier ne peut précéder la seconde.
S'il existe un ordre social, s’il existe une société, c'est que les schèmes de perception et d'action ne débouchent pas sur le chaos. Ainsi la règle "tuer l'autre " ou "fuir l'autre" empêcherait toute forme de coopération humaine. Et donc ces "règles là" n'avaient à priori aucun avenir.
Et la règle n'est pas inventée à priori, mais bien plutôt sélectionnée à postériori, à la faveur d'un processus d'essais et d'erreurs. Les règles permettant la coopération, ont donc été progressivement "filtrées" en raison de leur efficience sans bien sûr qu'il y ait enracinement biologique.
A la place d'un enracinement biologique, il y a retransmission des règles sous la forme de valeurs ou de normes, et cette retransmission ne s'effectue que si un comportement nouveau s'est généralisé et s'est révélé bénéfique au groupe. Dès que le comportement nouveau est devenu norme, la société "compte sur lui" et le reproduit jusqu'au moment où il sera supplanté par une nouvelle norme plus efficiente pour le groupe.
Il existerait donc selon Hayek une logique auto-organisatrice de l'ordre social de laquelle il est possible d'extraire quelques idées:
- c’est l'efficience du groupe - efficience par rapport à son environnement qui est le critère de sélection des règles. Si une règle nouvelle profitable pour un individu, mais nuisible pour le groupe émerge, elle ne deviendra jamais norme sociale.
-Une règle ne s'apprécie jamais de façon intrinsèque, elle ne s'apprécie que dans un contexte de règles déjà existantes et d'un environnement. C'est la raison pour laquelle les normes sociales sont différentes d'un groupe à l'autre, d'une civilisation à l'autre.
- L’individu n'a pas besoin de comprendre comment fonctionne le groupe pour contribuer à le faire fonctionner. Il croit agir comme il l'entend mais sa conduite- qu'il peut croire éventuellement libre- est de fait inscrit dans les règles faisant émerger l'ordre social. Il ne sait donc pas qu'il contribue à reproduire la société, et ignore la genèse et le pourquoi des règles qu'il respecte et reproduit. Il sait seulement qu'il faut se comporter de telle ou telle façon.
-Les règles efficientes sont fixées par causalité circulaire. Le passage de la conduite innovante à la norme, est aidé par des mécanismes (louange ou blâme) qui assurent l'imitation des comportements bénéfiques pour les nouveaux arrivants dans le groupe. Ces mécanismes, permettent une vitesse d'évolution plus grande que dans la biologie et des groupes moins efficients, peuvent intégrer les règles de groupes plus efficients, ce qui est un processus courant dans l'histoire des civilisations.
Voici sans doute trop brièvement résumé le point de vue Hayekien concernant l’interaction sociale. Ce qu’il convient de retenir, est que l’individualisme méthodologique généralement présenté comme socle de la théorie économique dominante, est un objet à nuancer. On pourrait même imaginer un certain rapprochement e,ntre règles de juste conduite, et le concept "d’Habitus", chez un Bourdieu pourtant fort éloigné d’Hayek.
Il existe dans toute organisation un éventail des possibles, dont l’envers est un ensemble d’interdits ou de comportements sans avenir, car non validés et généralisés à l’ensemble du groupe. Il existe donc pour reprendre la terminologie de Touraine un acteur chez Hayek, mais c’est acteur est socialement inséré et tenu de respecter les règles de juste conduite.
Qu’en est-il de l’acteur chez Touraine ?
L’individu et le social chez Alain Touraine
Il n’existe pas chez Touraine une théorie de l’acteur aussi élaborée que chez Hayek. Le « retour de l’acteur » est chez lui une volonté de réaction à la sociologie dominante des années 80, notamment celle du structuralisme, laquelle faisait du sujet un individu qui n’était rien d’autre que le produit des structures sociales. Ce dernier, désigné par l’expression « d’acteur » par Alain Touraine, n’est pas nécessairement individu isolé. Il est à l’inverse souvent un collectif, non pas détaché du système social pris dans son ensemble- ce qui correspondrait à une variété d’individualisme méthodologique- mais un collectif qui n’est pas non plus la simple production de ce même système.
De ce point de vue, il y a une certaine parenté entre Hayek et Touraine : il existe un espace de liberté pour les individus, espace constituant un éventail des possibles.
Il existe toutefois une grande différence car le système social de Touraine, système qu’Hayek appelle ordre social, voire « ordre » tout court, est fait de conflits et de hiérarchies toujours discutées et contestées. Réalité qui pour autant ne fera pas de lui un marxiste car, pour Touraine, l’économie ne fait plus le grand principe d’organisation de la société. Il s’agit d’une différence importante avec Hayek pour qui les règles de juste conduite débouchent logiquement – et « idéalistement » pourrait-on dire – sur un « ordre spontané » qui est un ordre de marché, dans lequel chacun retire son épingle du jeu, sans aboutir à une société de classes antagonistes.
Ce qui est une réalité d’évidence chez Touraine – les acteurs sont naturellement en lutte dans un monde conflictuel – est à l’inverse un accident regrettable chez Hayek : Les règles de juste conduite peuvent connaitre un effet de cancérisation faisant émerger l’Etat, et ce qu’il appelle « une route de la servitude ». Ce qu’il appelle aussi le passage de « l’ordre spontané » - monde idéal et aussi idéel fait de règles simplement prohibitives, non finalisées, abstraites, universelles et permanentes – à « l’ordre organisé » qui est l’évolution monstrueuse du premier avec des règles finalisées – celles de l’Etat organisateur et prédateur- et règles non universelles et donc particulières assorties d’un niveau de contrôle élevé.
Ce qui est une dérive pour Hayek est la norme pour Touraine. Et cette norme serait devenue aujourd’hui objet en crise en raison de la globalisation: un phénomène entrainant la destruction des sociétés. Le phénomène n’est pas analysé et ne fait pas l’objet d’une démarche cognitive, par contre il se trouve abondamment décrit. C’est ainsi que l’on apprend que la globalisation économique, aurait engendrée une dissociation de la société et des moyens de l’Etat, en raison de l’autonomisation de la sphère de l’économie financière. Et une dissociation qui développerait une destruction des institutions sociales, dont l’école, la famille, la ville, la démocratie, la politique, etc. Il s’agirait donc de penser l’après social, sans même comprendre en profondeur les mécanismes de la crise.
Admettant sans l’expliquer, que la sphère marchande et financière n’est plus orientée vers la sphère sociale et politique, il voit dans cette séparation la progression d’un individualisme de consommation, facteur de désocialisation, et -plus encore - l’affirmation de cultures communautaristes orientées vers un repli identitaire. De façon plus générale, la crise développe chez les acteurs des conséquences différentes selon leur degré de résistance à la mondialisation productiviste : un individualisme radical chez les plus forts, les plus habiles, ou les plus chanceux, notamment ceux que l’on désigne maintenant par l’expression de « hors sol », et un repli communautaire pour les plus faibles, assignés sur leur lieu d’existence, tout en étant durablement éloignés du monde salarial .
Cette double réponse à la crise (hédonisme de l’individualisme de consommation et affirmation d’une appartenance à une catégorie) ne serait que la conséquence d’un problème et non sa solution.
D’où l’idée que la réponse se fera en termes de valeurs éthiques qui, progressivement ,viendront contester le modèle de pouvoir et de profit qui se dégage de la mondialisation. La solution à la crise de 1929 s’est imaginée sur la base de l’édification d’un Etat social, la solution à la présente crise se construisant sur la base d’une résistance éthique au pouvoir et au profit.
Les acteurs du 21ième siècle sont ainsi, delon Touraine, demandeurs de nouveaux droits –qui ne sont plus ceux obtenus au cours des 30 glorieuses- et droits dont on va affirmer qu’ils doivent être "au- dessus des lois". La conception rationaliste et utilitariste de la société qui était la trame des règles du jeu social et donc du droit ( Droit de propriété, liberté contractuelle, garantie du respect des contrats, etc.) doit être surplombée par une éthique garantissant de nouveaux droits. Et, ce serait cette éthique, qui se manifesterait dans de nouvelles revendications d’acteurs : manifestants de la place Tahrir au Caire, d’occupy Wall Street, ceux de Moscou contestant la réélection de Poutine, etc.
Resterait à comprendre comment les indignés engendrent une masse croissante de dissidents, qui deviendront susceptibles d’imposer de nouveaux « droits au-dessus des lois ». Touraine pense que la vague de la dissidence- laquelle n’est pas une révolution au sens habituel du terme- découle assez naturellement de l’effacement progressif des vieilles instances de socialisation – famille , école, religion, lesquelles n’assurent plus la socialisation classique, ne sont plus capables d’orienter l’ensemble des conduites individuelles et collectives. Incapacité que l’on pourrait, pour mieux comprendre, comparer à celle d’une photocopieuse, dont la cartouche d’encre presque vide, ne produit plus que des documents de plus en plus pâles et illisibles.
Cela signifierait que, désormais les conduites sociales s’expliqueraient de moins en moins par le social – par la position des acteurs dans un champ de luttes objectives, telle une lutte de classes – et de plus en plus en des termes subjectifs personnels et éthiques. Les liens sociaux seraient ainsi de moins en moins lisibles au regard de statuts et d’appartenance à des institutions, et de plus en plus au regard de proximités affinitaires dans lesquelles l’égalité joue un rôle central. On ne veut plus être le salarié X ou Y, mais une personne singulière, d’où l’idée de subjectivation généralisée. Il n’y aurait donc plus de grandes luttes entre employeurs et salariés, mais des conflits aux fins d’être reconnus dans la singularité individuelle de chacun : « moi, je veux être ».
Bien évidemment nous imaginons dépasser ici l’individualisme méthodologique Hayékien : l’éventail des possibles est-il plus large chez Touraine ? On pourrait le penser, puisque nous assisterions à la naissance, et peut-être la généralisation, de conduites et comportements qui ne sont plus guidés par des références sociales. Classe sociale, fonctions, rôles, statuts sont de moins en moins les point d’ancrages des choix, lesquels désormais, se fixent sur la base d’une subjectivation du vécu.
Bien évidemment la question est de savoir si les dissidents vont devenir une nouvelle force sociale capable de renverser, ou plus modestement de contenir, le pouvoir économique et financier. Et c’est ici que les choses peuvent paraitre beaucoup plus complexes que ne le pense Alain Touraine. Certes l’auteur sent la difficulté, d’autant que la croyance collective au progrès, et en une possible révolution y conduisant, a disparue.
Comment donc créer une force sociale nouvelle à partir d’une rupture avec le social ? Comment passer d’une culture du désengagement, voire du doute, à celle d’un engagement ? Touraine pense que l’exacerbation de l’individualisme consumériste, peut aussi être une force revendicative : les individus consommateurs, veulent aussi être reconnus dans leur personnalité entière, et la généralisation de l’amour de soi, peut devenir problème ou nouveau problème de société.
L’auteur appuie ce qu’il croit être sa démonstration à partir de très nombreux exemples, dont celui sans doute pertinent de la sexualité. Ainsi parce que la fonction sociale de la sexualité aurait disparue- instance essentielle dans un monde encore ancré dans l’organisation politique de la reproduction – elle devient du même coup, une dimension essentielle de la personnalité, et doit être reconnue sur la base d’un principe d’égalité des pratiques. Si la sexualité n’est plus un fait social sous contrôle, alors dans un monde devenu individualiste, elle doit faire l’objet d’une reconnaissance égale qu’elles qu’en soient les pratiques. Et une reconnaissance égale qui deviendrait une pièce d’un nouvel universel à établir en tant qu’élément constitutif de droits de l’homme, que l’on complète et qu’on universalise davantage.
Le titre du livre d’Alain Touraine – « La fin des sociétés » - est bien sûr une provocation, puisque l’ouvrage se termine sur la base d’une refonte du contrat social. Pour autant, le réengagement à partir de considérations éthiques est-il susceptible d’éradiquer la crise économique ?
L’ Eradication de la crise chez Touraine : un processus peu déchiffrable.
Peu déchiffrable tout d’abord parce que l’interaction sociale, telle que présentée par l’auteur, fait trop peu de place à l’analyse de la crise. Et, de ce point de vue, l’analyse Hayékienne permet d’appréhender de manière beaucoup satisfaisante la crise en tant que crise de la mondialisation.
Sans doute Hayek refuse t-il d’analyser les conflits d’intérêts. Pour autant, c’est bien son analyse de l’interaction sociale qui permet de comprendre l’engendrement d’un ordre, qu’il rejette sans doute en raison de sa foi libérale, mais qui historiquement est devenu majoritaire : l’ordre organisé de société.
Dans cet ordre - sans doute mieux analysé dans son mouvement historique par Robert Nozick - est apparu ce que nous appelons la « grande aventure de l’Etat », avec appropriation, par divers groupes sociaux, des outils de la contrainte publique. Touraine aurait pu ainsi introduire ces « acteurs » dans un jeu social complexe, faisant apparaitre ce que nous avons appelé les « producteurs de l’universel » ou les « entrepreneurs politique », les « producteurs de biens économiques », et l’immense catégorie des « citoyens/salariés/consommateurs/épargnants», laquelle se subdivise en groupes sociaux - pour reprendre le langage de Touraine- dont les intérêts peuvent historiquement, parfois converger, et parfois diverger .
Ce que Touraine appelle ainsi la fin de la société, ou la crise, n’est rien d’autre qu’un nouveau jeu social, avec irruption de nouvelles règles de juste conduite, entrainant une nouvelle forme d’Etat que nous avons qualifié "d’oligarchique". Il n’existe pas véritablement de destruction du social, simplement la mondialisation en a changé les règles, avec ce qui peut apparaitre des incohérences et des conflits d’intérêts à l’intérieur d’une même classe sociale, par exemple conflits entre la fonction épargne, la fonction consommation, la fonction salariale et la fonction citoyenne. Toutes choses que nous avons analysé dans notre article : « Le Monde tel qu’il est ». Et c’est aux acteurs de réinterprêter cet ensemble, en faisant émerger par innovation de nouvelles règles de juste conduite, lesquelles peuvent être celles tant mises en avant par Touraine à savoir l’éthique.
Sans doute la crise est-elle bien un processus de dislocation probablement planétaire, mais ce processus n’est guère analysé par Touraine, et ne permet pas de voir qu’il s’agit de nouvelles formes de captation des Etats par des groupes en lutte, certains cherchant à se reconduire au pouvoir ( entrepreneurs politiques), d’autres achetant les outils juridiques de la mondialisation (groupe mondialiste de la finance et des entrepreneurs économiques qui vont tenter d’utiliser les outils de la contrainte publique à leur profit), d’autres encore essayant d’en négocier le prix à leur avantage (consommateurs/ épargnants), tandis que d’autres résistent en tentant de capturer une partie de l’Etat social ( salariés, chômeurs, etc.). L’ensemble, se soldant par une production mondiale excédentaire par rapport aux revenus distribués, que compense une dette publique régulièrement ascendante.
D’une certaine façon, la lecture de la crise est simple, et le travail d’Alain Touraine serait davantage compris, si un effort de présentation des mécanismes figurait dans le livre. Et ce travail était nécessaire, car il aurait débouché sur des nuances concernant le désengagement des acteurs. C’est que les marchés politiques ne sont pas, contrairement à l’ analyse d’Alain Touraine, universellement désertés. Il y a simplement changement des acteurs, avec l’émergence de groupes extrêmement engagés dans des activités de capture de la réglementation.
Mais l’éradication de la crise, est aussi peu déchiffrable chez Alain Touraine car le mouvement imaginé : désengagement puis réengagement des acteurs, n’a rien d’évident. S’il y a bien dislocation et désordre, le processus de réengagement imaginé par Touraine, relève au moins pour partie d’un soubassement normatif dans la plupart des analyses : Les désengagés, en raison aussi d’un consumérisme croissant reposant sur le strict individualisme, en seront amenés à faire prévaloir de nouvelles valeurs universelles. Un raisonnement différent, pourrait entrainer de toutes autres conclusions.
Ainsi dans le langage de René Girard, le désordre de la crise peut tout aussi bien entrainer par mimétisme, l’émergence de boucs émissaires. Les valeurs véhiculées par l’idéal productiviste et consumériste, peuvent nourrir la stigmatisation de groupes sociaux qui ne les respectent pas. C’est d’ailleurs le point de vue d’un sociologue, certes moins célèbre qu’Alain Touraine ( François Miquet Marty qui vient de publier : « Les nouvelles passions françaises- Refonder la société et sortir de la crise » aux éditions Michalon).Dans ce cas, les nouvelles éthiques proposées deviennent des projets de société plus difficiles : les « hors sol », peuvent ainsi mépriser la cohorte toujours plus nombreuses des assistés et autres inutiles au monde qui négligent l’effort et le travail. Les insérés dans le rapport salarial, peuvent mépriser les chômeurs et autres étrangers oisifs et irrespectueux. Etc.
L’issue de la grande crise des années 2010 n’a donc rien d’évident, et il reste très difficile d’écrire l’histoire avant que celle-ci ne se soit déployée.
Jean Peyrelevade, économiste et ancien président du Crédit Lyonnais publie dans deux articles -« France : le vrai diagnostic » (Les Echos du 9/09/2013) et « Les conditions de notre redressement » (Les Echos du 10/09/2013)- ce qu’il croit être la bonne solution à la crise pour l’économie française.
Augmenter la durée du temps de travail
Le diagnostic est classique, et les divers maux apparents – dette publique, attrition de l’outil industriel, déficit externe, chômage, etc. se ramènent à cette cause commune, cause qui reçoit aussi l’assentiment de nombre de commentateurs : le pays vit au- dessus de ses moyens. Les habitués du blog connaissent les limites d’un raisonnement cantonné au seul espace national, raisonnement qui se retourne quand on passe à l’échelle monde puisque les maux apparents dénoncés deviennent la contrepartie d’une production excédentaire par rapport à la distribution. En sorte que le monde vit en dessous et non au-dessus ses moyens.
Poursuivons toutefois l’analyse de Jean Peyrelevade, qui va traduire l’expression obscure et facile de « vivre au-dessus de ses moyens », par l'idée de décalage entre une productivité par tête qui augmente moins vite que la charge salariale. Et un décalage constaté dans toute une série de chiffres qu’il est difficile de contester, et qui reviennent en boucle dans le raisonnement : le décalage développe à la fois la hausse des prix dans le secteur abrité, d’où les déficits dans le secteur le plus abrité d’entre-eux (l’Etat), et la baisse des marges dans le secteur exposé (les entreprise), d’où l’attrition industrielle.
La solution serait donc simple : il faudrait une hausse des salaires réels moins rapide que celle réalisée au niveau de la productivité par tête.
Jean Peyrelevade en tire la conclusion, qu’au-delà d’une production plus capitalistique de l’économie, le moyen le plus simple d’obtenir ce nouvel écart est d’augmenter la durée du travail – hebdomadaire, annuelle, mais aussi sur l’ensemble de la vie - sans hausse directement proportionnelle des salaires. Conscient de la difficulté de revenir sur la durée légale du travail, l’auteur propose des accords d’entreprise, pour ce qui est de l’économie exposée, et une réduction du périmètre des activités des administrations publiques.
Jean Peyrelevade reprend au fond un discours très classique du libéralisme.
Diminuer la durée du temps de travail
Surprenant est le fait que d’autres auteurs, au moins aussi réputés et assez peu éloignés d’une certaine forme de libéralisme, tiennent des propos strictement inverses et croient pouvoir démontrer, que c’est la baisse et non la hausse du temps de travail, qui doit être envisagée pour s’extirper de la crise. C’est en particulier le cas de Michel Rocard et Pierre Larrouturou ( cf « La Gauche n’a plus le droit à l’erreur » , Flammarion, 2012).
Ces derniers ne croient pas comme le premier en des mesures autoritaires et s’appuient sur des mesures incitatives fortes, pour modifier en profondeur le marché du travail et, en particulier, obtenir une forte diminution de la durée du travail ( semaine des 4 jours par exemple).
Parmi ces mesures, on pourra noter la forte variabilité des charges sociales en fonction de la durée du travail. Ainsi les temps longs verraient des charges sociales alourdies, tandis que les temps courts se verraient octroyés de charges plus légères que la moyenne. Il est vrai que sur un marché déréglementé du travail- voyant l’emploi s’offrir aux plus productifs- jouer sur la variabilité des charges sociales, permettrait l’accès à l’emploi d’individus moins productifs. Une telle position, revient par conséquent à une logique de partage du temps de travail, reposant sur l’idée fort discutable selon laquelle l’élévation de la productivité détruit des emplois.
Essayer de raisonner correctement
Cette opposition de discours quant aux moyens de retrouver le plein emploi, est révélatrice d’une grande insuffisance des raisonnements.
Dans le cas des tenants de la hausse de la durée du travail, il n’y a évidemment pas conscience de la grande contradiction planétaire, entre l’offre mondiale et la demande mondiale de marchandises, contradiction due précisèment à une mondialisation, qui au nom de la liberté, ne prévoit pas de mécanisme d’équilibre obligatoire des échanges. Les Etats, restés Etats, malgré le cadre devenue mondial, ne peuvent plus imposer le salaire comme variable, simultanément coûts et débouchés. Il n’est plus qu’un coût, dont la surveillance a créé l’insuffisance mondiale des débouchés de la production. La solution classique, celle entre autre de Jean Peyrelevade, ne peut qu’aggraver la crise planétaire.
Concrètement elle se manifesterait dans ses effets de la façon suivante:
Le rééquilibrage des comptes extérieurs de la France, ferait cesser son propre étouffement …pour le reporter sur d’autres… jusqu’ici bien heureux de s’être forgé un excédent extérieur, assurant une oxygénétion de leur demande interne (Allemagne). Que l’on pense aussi aux pays d’Europe du sud, en plein effort de productivité selon la logique de Jean Peyrelevade, et reconstruisant leur équilibre extérieur en aggravant la situation française ( Espagne, Portugal, Grèce).
Maintenant, la hausse de la productivité, suppose aussi de s’attaquer au secteur protégé public, qu’il convient de faire maigrir sous la forme d’une diminution du nombre de fonctionnaires…et des débouchés correspondants à leur rémunération.
La logique de l’augmentation de la durée du travail, masque ainsi complétement le fait que la mondialisation a pris la forme d’une dislocation des équilibres antérieurs, et dislocation qui ne peut laisser la place à une reconstruction à l’échelle de la planète. D’une certaine façon, les politiques dites d’austérité accélèrent l’histoire en aggravant le mal qu’elles entendent combattre.
Le raisonnement inverse est bien sûr tout aussi insuffisant.
A enveloppe globale inchangé des cotisations sociales, cotisations simplement redéployées, il y a pourtant un changement dans l’efficacité productive : du travail très productif - et donnant lieu à des commandes supplémentaires en raison de sa forte productivité - est abandonné au profit de travaux moins productifs. Quel est l’impact global ? Est-il possible de freiner les commandes ,et donc la croissance, dans les secteurs exposés et très productifs, pour développer les secteurs à plus faible productivité ? Quel impact sur la demande globale ? A l’échelle mondiale, peut-on imaginer une stratégie aussi fondamentalement contraire de celle qui se pratique au quotidien, et qui correspond à la position de Jean Peyrelevade ? Ainsi, quel effet sur la balance extérieure ?
Là encore, le refus de prendre à bras le corps la forme prise par la mondialisation aboutit à des insuffisances inacceptables.
Raisonner correctement consisterait à resituer, temps de travail et rémunération correspondante, dans le cadre d’une mondialisation où les taux de change sont devenus l’outil éliminant le caractère dual du salaire (débouché et coût), pour le ramener à sa seule dimension coût à l’échelle mondiale. Dans nombre d’anciens pays, il est ainsi préféré la dévaluation interne (solution de Jean Peyrelevade) à la dévaluation externe. Ce fait est particulièrement constaté dans la zone –euro. Symétriquement dans les pays émergents – Chine en particulier - le refus de la réévaluation est une arme pour maintenir un gigantesque excédent, lequel ne peut se pérenniser qu’au prix d’un taux de salaire bas. A l’échelle de la planète existe ainsi une masse salariale- au-delà d’une répartition qui peut être questionnée- incapable d’absorber la gigantesque production mondiale.
La question du temps de travail ne peut être sérieusement évoquée en évacuant une donnée aussi fondamentale.
Christian de Boissieu et Augustin de Romanet signent un article dans les Echos du 2 septembre –« Pour une régulation financière adaptée au besoin de croissance »- dans lequel ils se font défenseurs d’une recherche fondamentale au service de la régulation financière et ce dans le souci d’une démarche au « service de l’intérêt général ».
Eux-mêmes proches d’un laboratoire d’excellence sur la régulation financière constitué des meilleures écoles dont l’ENA et l’Université ( LabExRefi), ils considèrent que la recherche fondamentale est importante pour produire les connaissances nécessaires aux régulateurs. Importante aussi, pour la légitimer et l’ancrer entre deux risques : celui des lobbies d’une part, et celui des idéologies d’autre part, et risques aboutissants dans un cas aux dérives de la sous règlementation (par exemple celles du « shadow Banking ») et dans l’autre à celles de la sur-règlementation dont il est dit qu’elle constituerait un handicap de compétitivité allant bien au-delà de la seule industrie financière.
Le présent texte se propose de souligner les faiblesses de raisonnement de la démarche de nos deux auteurs, par ailleurs acteurs majeurs des instances de décision et d’orientation du laboratoire.
Il faut tout d’abord préciser ce que signifie le terme de régulation en revenant à son emprunt d’origine, celui de la technique industrielle, en particulier le régulateur à boules de Watt des machines à vapeur. Il s’agissait alors de maintenir un système en l’état, donc assurer sa reconduction, en maintenant de façon automatique une certaine pression de la vapeur, ni trop importante ni trop faible. Bien évidemment, à chaque système technique auquel il est assigné de conserver certaines caractéristiques jugées essentielles, correspondra une technique spécifique de régulation. Ainsi le chauffage d’un logement sera plutôt régulé par un thermostat et n’utilisera pas le régulateur à boules de Watt. Au niveau de systèmes sociaux globaux, la régulation se fera par les prix, ou plus encore, par des outils mis en évidence par les économistes dits de la régulation, qui voyaient dans des configurations institutionnelles, des outils de maintien en bon fonctionnement du capitalisme.
L’outil de régulation est ainsi, et il s’agit d’une remarque de grande évidence, spécifique du système. D’une certaine façon il s’agit d’un conservatisme : il s’agit de maintenir en place l’édifice qui fait lui-même système technique ou système social.
De cette remarque, il découle que la recherche dans le domaine de la finance relève des sciences de l’ingénieur, c’est dire qu’elle n’est pas centralement fondamentale comme le suggèrent les auteurs de l’article des Echos. Les bâtisseurs de temples et de cathédrales grands amateurs d’outils de régulation pour maintenir le caractère gigantesque de leur construction – pressions exercées sur les murs des cathédrales gothiques par exemple - produisaient de la technique à partir des connaissances du moment. Point de révolution scientifique, mais, en revanche, montée de la technicité.
Le gigantesque et pourtant très fragile système financier est le successeur des gigantesques et fragiles cathédrales. Il faut lui associer de la régulation- des arcs boutants - pour éviter son écroulement. Mais nous sommes dans la technique et non dans la science, même si cette dernière nourrit la première. Nos auteurs devraient donc parler de recherche appliquée et non de recherche fondamentale.
Il faut toutefois aller plus loin dans les raisonnements.
La science utilise abondamment la technique, mais son objectif n’est pas technique : il est de connaitre le réel et son mouvement. Connaitre pour un astrophysicien, c’est produire un modèle permettant d’expliquer l’univers dans son essence et ses transformations historiques successives. Par comparaison, les sciences sociales restent très en retard, et ne questionnent que fort rarement les institutions afin d’en produire leur compréhension.
Les laboratoires de recherches en finances ne questionnent que fort peu les institutions financières qu’il s’agit de réguler. Comme si ces objets n’étaient pas des constructions humaines dont les caractéristiques ont été historiquement construites. Et le plus souvent au terme de luttes, de ruptures et de difficiles équilibres. Parler, comme le font les auteurs, de « l’intérêt général » montre bien toute la méconnaissance des réalités humaines. Les auteurs de ce blog savent que les hommes ont besoin de croire en un intérêt général lequel permet de faire société, mais la croyance ne correspond à aucune réalité : les hommes constatent dans l’interaction sociale qui constitue leur milieu naturel – interaction qui est l’objet même des sciences sociales- leurs différences d’intérêt, qui ne peut être sublimée, que par des idéologies constitutives de ce nous appelions « l’extériorité », et qui se matérialisent par des compromis entre groupes sociaux.
Le système financier d’aujourd’hui est une construction humaine, qui relève d’une victoire de la finance sur les Etats, et qui est vécu idéologiquement comme un progrès : il fallait retirer le pouvoir monétaire aux Etats pour le donner à des banquiers. Ce nouveau système fragile et à fort contenu idéologique – comme les cathédrales- doit être conservé par un outil chargé de sa protection, contre ses propres tendances à l’effondrement par un régulateur. Et les ingénieurs, qu’on appelle « savants » pour ajouter de l’objectivité scientifique au travail de conservation de l’état social correspondant, sont invités à conseiller les constructeurs des arcs boutants permettant au pouvoir financier de se reproduire.
Quant à la sempiternelle croissance qui serait- d’après les auteurs- le résultat d’une régulation irriguée par les lumières de la science, il suffit de les renvoyer à une histoire proche où une finance, modeste et squelettique, mais surtout réprimée par le pouvoir politique, (ce qu’on appelait la répression financière) assurait de gigantesques investissements publics et privés.
Espérons, sans trop y croire, que les chercheurs en régulation financière sauront dépasser le cadre étroit qui leur est proposé ou peut-être imposé : on peut construire autre chose que des arc- boutants. Au lieu de protéger les cathédrales financières, le travail des chercheurs consisterait à se désintéresser de la protection du système financier et- à l’inverse- le subvertir.
Le texte proposé ci-dessous date de plusieurs années (été 2006). Rédigé à l'occasion d'un séminaire portant sur la naissance de l'Etat, il permet de mieux situer le cadre méthodologique des articles publiés sur ce Blog. A ce type sa bonne compréhension est fondamentale pour comprendre tous les textes du blog où il est question de l'Etat.
A l'époque - lorsque ce texte fut rédigé- il n'était guère question de crise, et il s'agissait simplement de donner un point de vue différent de celui qui est généralement celui des économistes. La thèse qui y est développée - et qui n'a pas été remaniée- est celle d'un accord partiel avec le point de vue des ultra-libéraux. cette dernière est bien exposée chez Nozick et mieux encore chez Bertrand Lemennicier.
Rappelons simplement que la construction de l'Etat passe chez les libertariens par les étapes suivantes:
Logique de l'intérêt --> Echanges marchands --> agences de protection --> agence monopoliste --> Etat --> Etat de droit --> Démantèlement de l'Etat de Droit (?).
Le désaccord qui s'exprime ci-dessous correspond au caractère indépassable de la notion d'extériorité - notion expliquée dans le texte - y compris en mondialisation. Caractère qui permet également de douter de l'individualisme méthodologique qui préside à la démarche.
l'Aventure Etatique
Au sein de tout groupe humain existe des règles contraignantes. La nature de ces règles distingue une société d’une autre. Et ces règles expriment l’idée même de société, donc un sentiment d’identité ou d’appartenance pour les individus qui la vivent.
Vivre ensemble, et donc faire société, c’est reconnaître qu’il existe au delà de chacun un tiers ou un extérieur qui est la loi c’est à dire un pouvoir. De la même façon qu’une œuvre d’art, par exemple une toile, ne prend sens qu’avec un support extérieur (un clou dans un mur), on n e fait société que par rapport à un extérieur qui est la référence commune.
Dans la modernité cette référence commune est par exemple la Constitution. Et même dans notre modernité qui avance l’idée que la loi est fabriquée par les hommes et donc, loi manipulable, on ne touche qu’exceptionnellement à la Constitution. Il en a toujours été ainsi et ce quelle que soit l’organisation des sociétés. Le lien social n’existe que parce que les agents qui se croient reliés font référence à cet extérieur.
La naissance de ce qu’on appelle l’Etat est donc l’apparition historique
d’un type particulier du moyen de vivre ensemble qu’est l’Etat.
Et en affirmant ceci, on cesse déjà d’envisager ce dernier comme autre chose que l’effet involontaire et inattendu de contrats volontaires
(théorie économiciste de la naissance de l’Etat chez les ultralibéraux).
Le point de vue des non –économistes
Pour nombres d’anthropologues et de sociologues, en particulier, ceux qui approximativement ne sont pas éloignés de la pensée d’un homme comme Marcel Gauchet, l’Etat est issu de la transformation des religions, elles-mêmes instances d’un extérieur aux diverses humanités.
Les religions sont l’universel de l’humanité, et toutes les sociétés
prémodernes sont imprégnées par le religieux. Or ce religieux n’est
vraisemblablement pas que le fait de nos structures mentales, mais la
condition d’existence du fait social lui-même. Les sociétés primitives
comme les nôtres ont besoin d’un extérieur, et ce dernier est pour elles non l’Etat mais la religion.
Le schéma de production du phénomène étatique serait alors le suivant :
- Religion comme extériorité radicale, c’est-à-dire religion vis-à-vis
de laquelle les hommes lui sont tous extérieurs : aucun homme ne peut
s’emparer de la religion, en prendre son commandement ou en représenter son pouvoir. Le pouvoir religieux existe en ce qu’il permet de faire société, mais ce pouvoir n’est pas pour les hommes, et il ne saurait être question d’une séparation politique dans la société : il n’existe pas d’homme qui puisse se faire extérieur aux autres hommes. Les hommes sont unis et égaux dans leur commune dépossession.
- Religion où la coupure avec l’au-delà va correspondre avec une coupure dans la société : d’un côté, certains seront proches des puissances extérieures, tandis que les autres en seront éloignés. L'homme depouvoir est né et, avec lui, le pouvoir politique et l’Etat.
- Séparation de la religion de l’Etat lui- même, ce qui caractérise
l’époque actuelle dans nombre de sociétés dites modernes.
D’où il ressort que la religion a été historiquement la condition de
possibilité de l’Etat, et que le fondement de l’Etat est le même que celui
De la religion.
Par rapport à l’explication libérale de l'Etat, celle des économistes,
on ne dit rien du fonctionnement de l’Etat moderne. On ne se prononcepas sur son fonctionnement et le fait quil est peut-être devenu un système où selon le langage libertarien: "tout le monde vole tout le monde". Par contre, les conditions de sa genèse sont fondamentalement différentes : elles ne relèvent pas de la logique de l'intérêt individuel, mais d'une logique sociale, à savoir l'impossibilité radicale de faire société sans uneréférence extérieure.
En même temps, ce dernier point de vue, met en doute l'idée selon
laquelle il serait possible de privatiser l'Etat : la fin de l'Etat n’est probablement pas pour demain.
Resterait pourtant à se poser une grande question : comment est-on passé des premières formes de religion qui excluent l'apparition du phénomène étatique, aux formes transformées qui vont faire naître l'Etat?
En d’autres termes comment est-on passé de l'égale dépossession de tous les hommes par rapport au sacré, à une dépossession inégale qui fera naître le pouvoir politique et l'Etat ? Poser cette question, c'est poser celle des conditions du maintien de la dépossession complète.
Dans les sociétés dites primitives, certes il existe toujours un chef. Il existe par conséquent une fonction politique de représentation de la
communauté. Sans cette fonction assurée, il n'y aurait, pensent les non
-économistes, que des individus incapables de faire société car
incapables d'édicter une règle commune, c'est-à-dire la Loi , vis-à-vis de laquelle chacun obéit et se reconnaît.
Pour autant, le chef de la société primitive voit son pouvoir extrêmement limité. Son travail consiste à répéter inlassablement qu'il
faut respecter l'héritage des ancêtres et les règles de toujours, qui
viennent d'un au-delà sur lequel les hommes n’ont aucune prise. Il parle de la loi, mais il n'a aucune prise sur elle et ne peut la modifier. C'est dire qu'il n’a aucune prise spécifique sur la définition de l'ordre social. Cet ordre dispose certes d'un commencement : l'origine des temps. Mais cette origine est un extérieur, un temps différent de celui où se succèdent les diverses générations d'hommes. Et depuis, puisque la Loi est un point fixe, il ne s’est rien passé, et surtout il ne doit rien se
passer, car tout changement signifierait que les hommes, ou certains
d’entre- eux, ont prises sur la société.
Les récits cosmogoniques qui disent la naissance du monde, sont
infiniment variés, mais tournent inlassablement autour de l'idée que
l'origine des temps relève d’une temporalité autre, de quelque chose
d'inaccessible. Cela signifie que l'on bannit l’intervention créatrice
des hommes dans la Loi qui les régit. Cette vision est, bien sûr, irréelle, et les hommes savent qu'ils ont concrètement changé le monde
au travers de leurs pratiques. Par exemple, il ne fait pas de doute que
l'agriculture est une invention humaine, mais dans les récits, il n'y a
pas de mémoire et l'on dira que « ce sont les ancêtres qui nous ont apprisà cultiver » : l'innovation est radicalement effacée et se trouve reportée sur la ligne de l'origine des temps. Ce que les religions primitives interdisent, c’est le droit de se reconnaître comme agent transformateur de la réalité sociale donc agent de la Loi.
Et cette institution permet qu'aucun des hommes n'ait prise sur le
destin des autres. Puisque tous sont en quelque sorte séparés de ce qui
gouverne les hommes (les puissances mystérieuses de l'au-delà), alors
personne ne peut prendre le pouvoir parmi les hommes, hommes qui
deviendront dirigés par d'autres hommes. Comme le dira Clastres dans une formule célèbre: "la société se construit contre l'Etat".
Seule la dépossession complète des hommes sur l'au-delà permet le
maintien de la vieille égalité primitive, et s'il existe par exemple des
chamanes censés entretenir un rapport privilégié avec les puissances de l'invisible, ils ne sauraient devenir des agents censés fonder la société en ce qu'ils pourraient devenir des délégués, chargés par
l'invisible, de régler les affaires humaines.
Ainsi tout le problème de la naissance de l'Etat, revient à analyser comment les puissances du sacré vont se concrétiser, dans des religions installées, avec des agents spécialisés qui vont fonder une scission entre gouvernants et gouvernés.
En la matière, l'apparition des prophètes, est sans doute un fait
probablement décisif permettant de passer des premières religions, dans lesquelles l'extériorité est radicale vis-à-vis de tous, à des religions
nouvelles (qu'on peut proposer d'appeler « religions 2 », par rapport aux précédentes que l'on peut appeler « religions 1 ») pour lesquelles un individu (le prophète) en vient à affirmer qu'il est dans le secret des
dieux, ce qui va le séparer radicalement de l'ensemble des autres hommes.
Sans doute existe-t-il plusieurs catégories de prophètes :certains pouvaient être en lutte contre des chefs dont l'emprise croissante sur la société risquait de faire naître l'Etat, tandis que d'autres avaient pour ambition de détruire l'univers des règles des religions primitives. Ce dont on est sûr, c’est que certains, en particulier les pères des grands monothéismes, affirmeront que les dieux, ou Dieu, ne veulent plus que la société des hommes soit comme elle est, mais quelle devienne autre chose, dont précisément les prophètes seront les garants.
La parole prophétique ouvre ainsi la voie à l'établissement d’un pouvoir révolutionnaire dont le prophète devient progressivement l'unique occupant possible, et donc le possible fondateur des premières formes d'Etat.
Pour reprendre la terminologie proposée on passerait des premiers liens sociaux, "religions 1", à des formes nouvelles où Etat et religions sont complètement associés, sur la base de la religion, en ce sens que c'est l'Etat qui est dans la religion, et non la religion dans l’État.
En quelque sorte, nous avons ici association entre la religion 2 et « l'Etat 1 », association caractérisée par l'existence évidente d'une extériorité, mais extériorité pour laquelle un homme, voire plusieurs, disposant de la clé d'accès, disposent aussi d'un pouvoir faisant émerger une instance autre à la société : un Etat en voie de construction.
Cette instance autre étant constituée, des événements historiques
nouveaux pourront déboucher sur une autonomisation croissante de l'Etat par rapport à la religion. Ainsi pourra-t-on connaître un grand
renversement, c’est-à-dire le passage d’un Etat enkysté dans la religion
à une religion enkystée dans l'Etat, passage faisant naître une entité
porteuse d’un avenir grandiose : l'Etat-Nation.
Ce passage correspond au rameau occidental de l'humanité.
L'autonomisation de l'Etat n'est évidemment pas un processus linéaire et complètement déterminé selon une logique rationalisable et chargée de finalité. Il n'existe aucun déterminisme historique évident.
Dans le cas de l'Europe qui est la région du monde qui historiquement va accoucher de l'Etat-Nation, il existera très longtemps un double mouvement contradictoire, entre une monarchie d'abstraction S'ouvrant à l'impersonnalisation de l'Etat (le prince peut mourir, mais l'Etat subsiste) et une monarchie d'incarnation qui fait du prince le
représentant de Dieu.
A l'extrême, la religion pourra être séparée de l'Etat et le principe extérieur chargé de faire tenir ensemble les hommes pourra n'être que
l'Etat, la religion devenant affaire privée intériorisée. Nous avons là la laïcité à la française. On passe ainsi de l'âge du divin, à l'âge complètement politique. Désormais, des communautés humaines affirmeront leurs particularités au-dedans de frontières qu'il faudra jalousement garder. Il ne faut toutefois pas considérer que cette aventure du phénomène étatique, dont le berceau fut historiquement la religion comme fertilisant, permet, en fin de processus, de supprimer l'extériorité.
Pour reprendre la comparaison précédente, une œuvre d'art, dans notre exemple une toile, peut changer de support ( on peut remplacer un clou par un piton ou une cimaise).Mais le support lui-même, donc ce qui est extérieur à la peinture, reste indispensable. Et il n'est pas possible de dire qu'une œuvre existe indépendamment de son support, car la toile elle-même est support de la peinture, et sans toile, ou autre support, il y a tout simplement impossibilité d'exprimer une œuvre. Il en va de même des sociétés humaines : on peut changer les outils du lien social et passer des diverses religions aux diverses formes d'Etat
(monarchique, totalitaire, démocratique...).
Même la démocratie ne correspond pas à la fin de l'extériorité et le passage à la centralité. Concrètement, le pouvoir, même démocratique,
représente une généralité au-dessus des intérêts particuliers. La loi, même démocratique, est une contrainte extérieure au regard des actions et projets particuliers de chacun des citoyens. En ce sens, le pouvoir est toujours un rapport d'opposition commandé par la scission
indispensable entre un dedans et un dehors (de la même façon que le support de la toile n’est pas contenu dans la toile elle-même : il reste toujours une extériorité). Et cette scission est bien indispensable, sous peine de voir le lien social lui-même disparaître. Pour reprendre notre comparaison, si la toile ne connaît plus de support, elle cesse d'exister en tant qu'œuvre à la disposition du regard de ses admirateurs potentiels.
Cette remarque est fondamentale pour comprendre les difficultés de la
construction européenne : elle suppose la destruction relative des Etats-Nations, et donc la suppression plus ou moins rapide des extériorités de chaque communauté nationale au profit d’une nouvelle,
dont les contours ne sont pas encore définis. Il s'agit d’un exercice très difficile qui pour revenir à notre comparaison correspond à l'arrachement du support qui soutient la toile avant même d'avoir envisagé la réalisation matérielle d’un nouveau support. C’est la raison pour laquelle certains considéreront que la construction européenne est d'abord une inacceptable destruction.
Le Point de vue non économiciste de la naissance de l'Etat est-il si différent de celui exprimé par les économistes ultra-libéraux ?
Les liens de parenté entre les points de vue des économistes et ceux des non-économistes
Ne sera examiné ici que la comparaison entre ces deux points de vue, qui par certains aspects, peuvent paraître extrêmes. On sait que dans les conceptions les plus courantes des spécialistes des sciences sociales,
l'Etat est le plus souvent perçu comme une invention volontaire des hommes. Cest probablement le cas de nombre de juristes. Cest peut-être aussi le cas de très nombreux économistes qui, sans réellement expliquer l'Etat, veulent le réduire aux strictes dimensions imposées par la seule défaillance des marchés : la rencontre des intérêts privés fabriquant l'intérêt général, exclue, épistémologiquement, le recours à l'Etat.
Notons du reste que la main invisible chère au fondateur de la science
économique, Adam Smith, est bien le substitut de Dieu, lequel devient
une hypothèse superflue.
Si finalement l'Etat doit exister ou existe, il est le plus souvent considéré comme une invention résultant de la volonté de choix économicistes rationnels, et non réellement nécessaires : la société peut fonctionner sans lui. C’est aussi, curieusement, le point de vue de Marx, qui considère l'Etat comme une invention dune classe dominante cherchant à maintenir ou justifier ses privilèges.
Précisément la thèse qui vient d’être exposée, comme celle des économistes qui se désignent eux-mêmes comme ultra-libéraux, est l'inverse d’un volontarisme.
Chez les non-économistes présentés, encore une fois thèses essentiellement rassemblées à partir des travaux de Marcel Gauchet, la
genèse de l'Etat n'est pas un processus décidé et conscient. De la même
façon, chez les économistes ultra-libéraux, le phénomène étatique n'est
que le résultat involontaire et inconscient des actions volontaires d'individus entièrement autodéterminés. Mais, précisément, apparaît une différence: dans la thèse non-économiciste : si le résultat du jeu social conduit à l'Etat, le jeu lui-même apparaît comme collectif. Il existe une religion 1 qui structure le comportement des individus, lesquels apparaissent comme étant le jouet de la religion. Ils sont plus "activés" qu'acteurs véritables. Concrètement,il semble que la thèse rejette fondamentalement l'hypothèse de l'individualisme méthodologique chère aux économistes ultra-libéraux.
Cette différence est peut-être moins radicale qu'il n’y paraît. En réalité, tout dépend de la nature de la religion 1. Il n'est évidemment pas question ici d'aborder les diverses théories censées expliquer les phénomènes religieux. La question étant plutôt de savoir s'il peut exister une interprétation du fait religieux à partir de l'hypothèse de l'individualisme méthodologique. Ainsi la religion apparaîtrait comme le résultat involontaire de comportements volontaires lesquels mèneraient progressivement à l'Etat. Si une telle interprétation peut exister, alors les points de vue des non-économistes et des économistes ultra-libéraux pourraient être rapprochés en vue d'une synthèse.
Beaucoup d'explications des faits religieux, s'enracinent dans l’idée de
contrainte : toutes les sociétés ont connu la religion 1 et celle-ci résulterait des contraintes intérieures de l'esprit : c’est le fonctionnement du cerveau qui serait à l'origine des interprétations religieuses du monde. A moins que, et il s'agit d’une explication de même type, la démesure des forces naturelles amène ce même esprit à voir dans ces forces des créatures extraordinaires.
De telles explications laissent éloignée la logique de l'intérêt individuel chère aux économistes. Même si l'on considère qu'investir individuellement dans la religion peut rapporter dans l'au-delà, il reste que les phénomènes religieux semblent davantage reposer sur du collectif.
Les explications du religieux à partir de ce qui a été vu antérieurement
: religion 1 comme dispositif instituant un ordre politique égalitaire, avec le thème de la société contre l'Etat, cher à Pierre Clastres, sont extrêmement intéressantes, mais là aussi, il est difficile de parler de choix individuels, et du reste, l'extériorité radicale comme choix de société semble problématique : sans doute la religion 1 interdit la naissance dune séparation entre les hommes, mais qui a décidé ? Comment et pourquoi ?
Reste la thèse de l'explication des religions à partir du "meurtre fondateur" cher à René Girard. Le concept de meurtre fondateur, correspond à l'idée que tous les membres d'un groupe humain quelconque, sont travaillés par le mimétisme, lequel consiste pour chacun à désirer ce que l'autre désire.
Lorsque les hommes sont ensemble, ils ont tendance à désirer les mêmes choses, et cela parce qu'ils s'observent et s'imitent. En ce sens il n'existerait pas de désir dans l'absolu, le désir de chacun, n'étant que ce que l'on croit être le désir de l'autre.
Cette imitation entraînerait des jalousies réciproques génératrices de
violence, laquelle en vient à menacer la cohésion du groupe voire son
existence. Jusqu'ici, Girard n’est pas très loin de Hobbes, qui pensait
qu'aux premiers temps de l'humanité, la guerre de tous contre tous devait logiquement l'emporter.
Mais Girard va en conclure que les crises mimétiques débouchent sur la désignation d’un bouc émissaire, c'est -à-dire la désignation collective d’un responsable unique aux désordres vécus, responsable qu’il faudra condamner et tuer : la violence collective s'apaise en raison du meurtre puisque le responsable a disparu. Bien entendu il y a mensonge puisque le bouc émissaire n'est pas responsable du désordre social, mais ce mensonge est complètement inconscient chez les individus. Curieusement la société apaisée par le meurtre se tourne à nouveau vers son bouc émissaire, qui, ennemi absolu, vient pourtant, par son sacrifice, rétablir l'harmonie au sein du groupe.
Il en résulte que si le bouc émissaire est vécu comme le destructeur de l'ordre social, il en est aussi le sauveur. Et ce serait aussi la raison pour laquelle le bouc émissaire primitif deviendrait aussi un personnage sacré, voire les premières formes de la divinité.
Mais l'histoire ne s’arrêtant pas (le désir mimétique est une constante
de l'humanité), on choisira ultérieurement d'autres victimes qui viendront ainsi se substituer au bouc émissaire primitif ; lequel devient progressivement déifié puisqu’à chaque nouveau sacrifice le groupe constate la nouvelle réconciliation entre les hommes.
Le sacrifice humain devient ainsi un rite sacré. Plus tard, on pourra remplacer les meurtres réels par le sacrifice d'animaux. Et derrière tout cela va se nouer le mythe qui est la représentation de ce que vivent les hommes ainsi englués dans la religion 1, elle-même issue du meurtre primitif.
Il ne s’agit pas ici de détailler la thèse de René Girard, mais à l'inverse de voir en quoi cette religion 1 -version Girard- relève ou non de l'individualisme méthodologique.
A priori oui, puisqu'il s’agit bien d'individus qui se font la guerre. Pourtant l'individu primitif girardien n’est pas autodéterminé : son désir n'est que le désir de l'autre, constatation qui est largement en contradiction avec le point de vue économiciste de l'humanité.
Bien sûr, comme dans la thèse économiciste de la genèse de l'Etat (dans la thèse girardienne d'abord, la religion qui dérivera ensuite vers
l'Etat, alors que dans la thèse économiciste l'Etat arrive tout de suite), l'apparition de la religion est une conséquence non attendue du comportement des hommes. La religion 1 est le résultat involontaire de
la violence mimétique. Mais à l'inverse de la pensée économique ultra-libérale, la violence mimétique n'a rien à voir avec les paisibles échanges marchands volontaires entre les individus. Il n'y a donc pas de réel "moi" autonome, ou plus exactement, s'il en existe un, il est complètement recouvert par le désir mimétique.
Et même si les économistes ultra-libéraux sont relativement prêts à enrichir leur postulat d'individualisme par une dose de holisme, pour mieux rendre compte du réel, il resterait quand même une opposition radicale des points de vue : alors que les ultra-libéraux ne raisonnent pas à partir de la notion d'extériorité (la peinture pourrait être admirée sans son support, pour prolonger notre exemple) les non-économistes placent au centre de leur raisonnement cette extériorité :il ne saurait exister de peinture sans support.
Concrètement, les ultra-libéraux croient absolument dans un Etat polluant qu'il faut réduire et qu'il faut combattre, pour le cas échéant, le faire disparaître, tandis que les non-économistes considèrent que l'aventure étatique est un fait indépassable et ses entreprises de réduction sont nocives. D’où les difficultés considérables de la présente construction européenne.
Au total, il semble difficile de produire une synthèse entre deux points
de vue, qui malgré les efforts et les apparences, restent fondamentalement en large opposition.
Jean-Claude Werrebrouck le 22/08/2006
Le Centre d’Etudes prospectives et d’Informations Internationales (CEPII) a récemment publié une étude concernant l’impact sur le pouvoir d’achat d’une politique de substitution des importations par des productions nationales (CF lettre du CEPII, N° 333- juin 2013).
S’agissant d’une simple lettre, le détail des calculs et leur complexité n’est pas présenté, mais il est clair que ces derniers reposent sur une rigueur et une méthodologie qu’il est difficile de mettre en doute. Par contre le présent article se propose de contester la rigueur des raisonnements et conclusions.
Selon les auteurs, parce que 25% de la consommation des ménages français de biens industriels provient de pays de délocalisation, la dé mondialisation - et donc le choix de produire français - entrainerait un surcoût potentiel de 1270 à 3770 euros par an et par ménage. Soit de 100 à 300 euros par mois. Chacun était conscient que la mondialisation favorisait le consommateur – et au passage son vecteur indispensable : la branche Distribution- toutefois les auteurs ajoutent une évaluation quantitative qu’il est - apparemment - difficile de contester.
L’analyse va pourtant plus loin et s’intéresse aux impacts de ce pouvoir d’achat, d’abord gagné par les vertus de la mondialisation et fictivement perdu par le choix d’un « made in France ». Sans aborder les questions d’élasticité-prix, d’élasticité- revenu et d’élasticité croisée, pourtant fondamentales dans une telle analyse, les auteurs affirment que la mondialisation a permis le développement de la consommation de services. Le pouvoir d’achat supplémentaire se serait ainsi reporté sur de telles activités. A contrario, le retour au « made in France » supprimerait l’effet d’aubaine au bénéfice des services avec ses conséquences fâcheuses sur l’emploi dans la branche. Destruction d’emplois, qu’il faut bien sûr comparer avec le volume d’emplois crées par la ré industrialisation du pays. Or, affirment justement les auteurs de l’étude, la différence de productivité ( faible dans les services et forte dans l’industrie) ferait que la politique de relocalisation industrielle serait tueuse nette d’emplois.
La conclusion est ainsi claire : le consommateur devenu contraint dans ses choix serait porteur du virus d’un chômage accru.
Le raisonnement est toutefois contestable dans beaucoup de dimensions non évaluées ou occultées.
Les dimensions non évaluées concernent évidemment les élasticités. Si les élasticité-prix sont très élevées au niveau de la consommation de biens industriels, la ré-industrialisation est sans impact sur les dépenses en direction des services et l’impact en termes d’emplois est très différent : peu d’emplois détruits dans les services et beaucoup d’emplois crées dans l’industrie. Dans ce cas, le choix du « made in France » est défavorable au consommateur mais favorable au salarié désormais moins contraint par le risque de chômage. Le raisonnement des auteurs est ainsi entaché d’une grave insuffisance et aurait gagné à présenter les différents scénarios du point de vue de la valeur des élasticités.
Plus grave est la question des dimensions occultées. Bien sûr le raisonnement privilégie le point de vue du consommateur, mais comme il aborde aussi la question de l’emploi et donc des considérations davantage macroéconomiques, il convenait aussi de procéder à l’analyse coût/avantage de la mondialisation/dé mondialisation sur les comptes publics et sociaux , également aborder les questions environnementales des deux modalités possibles de la production industrielle.
Sans apporter d’évaluations chiffrées, il est pourtant clair que la mondialisation supposait la parfaite circulation du capital et donc la course au mieux disant fiscal et social, éléments à faire intervenir dans le théorique gain de pouvoir d’achat calculé par les auteurs. Bien évidemment, le coût environnemental de la libre circulation de la marchandise –elle-même essentiellement composée d’éléments de produits qu’il faudra assembler au terme de trajets longs et complexes- n’est guère évalué.
Il est donc inacceptable de publier de telles études faussement sérieuses et aboutissant à des conclusions confortant bien évidemment la théologie économique dominante.
Marx que l’on taxe volontiers dans la presse de simple philosophe, a pourtant développé il y a près de deux siècles les outils permettant de comprendre de manière plus globale, le processus de mondialisation et ses effets sur le pouvoir d’achat. Il s’agit de ce qu’il appelait la « plus- value relative ». Bien sûr cet outil est aussi un « parti pris théorique » puisé dans sa théorie de la valeur travail, mais il faut accepter que la prétendue « science » économique est faite, plus que la physique ou les mathématiques, de parti pris théoriques.
Et de ce point de vue, celui de Marx produit un paradigme de compréhension du monde plus explicatif et convaincant que celui présenté par le CEPII.
La plus-value relative est chez cet auteur l’ensemble des effets résultants d’une baisse de la valeur de la force de travail, baisse elle-même induite par la diminution de la valeur des « biens salaires » (les biens de consommation qui servent justement à reproduire la "force de travail"), et diminution provenant d’une hausse de la productivité dans les branches les produisant.
Appliquée à la mondialisation, il y a bien baisse de la valeur des biens salaires (vêtements, chaussures, appareils ménagers etc.) et baisse constatée par une diminution des prix de ces marchandises, désormais importées et non produites dans le cadre d’un Etat-nation. Il y a bien plus-value relative et le coût de reconstitution de la force de travail diminue : on peut théoriquement diminuer les salaires en France sans que le pouvoir d’achat des salariés diminue puisqu’ils acquièrent désormais de quoi se vêtir, se nourrir pour moins cher dans les usines de la grande distribution branchée sur les produits de délocalisation.
De fait, Marx considérait que la plus-value relative ( baisse de la valeur de la force de travail) était un gain global du système qui pouvait être partagé entre hausse du pouvoir d’achat, hausse du profit, hausse de la rente publique (impôt). Dans le cas de la mondialisation - processus qui crée massivement de la plus-value relative - il y a possiblement partage entre profits et salaires mais très probablement évincement de la rente publique.
Le pouvoir d’achat peut augmenter, ce qu’admettent les auteurs de la lettre du CEPII. Mais les entreprises des vieux pays anciennement industrialisés peuvent aussi bénéficier de la baisse de la valeur de la force de travail, soit en délocalisant, soit en faisant pression sur les salaires internes aux fins de résister à la concurrence mondialiste. De fait elles peuvent récupérer en profits une partie des gains de pouvoir d’achat: le pouvoir d'achat des salariés augmente beaucoup en raison de l'effondrement des prix des "biens salaires", désormais importés , mais les entreprises récupèrent une partie de ce pouvoir d'achat en tentant de comprimer les salaires. La question étant de savoir si la plus- valur relative est partiellement ou totalement récupérée par les entreprises.
Par contre, le prédateur public est très probablement le plus mal placé pour bénéficier de la plus- value relative et se trouve exposé aux récriminations des entreprises qui menacent de nouvelles délocalisations. Curieusement son évincement est peu visible car la masse taxable se réduit en mondialisation: l’Etat amaigri apparait trop gros dans un PIB qui ne s’accroit plus au même rythme que naguère dans l'ancien Etat-Nation. D'où de nouvelles récriminations des entreprises trop taxées...
Plus globalement le modèle de Marx concernant la plus-value relative et sa répartition doit être revisité dans la cadre d'une réalité mondialisée où ce qu'il appellait les "sections de production" - celle des biens capitaux ( investissements) et celle des biens salaires (consommation) - se trouvent désarticulées par la disparition relative des Etats- Nations. Plus simplement exprimé , en mondialisation, tous les salaires apparaissent comme des coûts et non des débouchés puisque le marché n'est plus national mais mondial. D'où la tendance généralisée à la surproduction de biens capitaux inutilisables ( par exemple la Chine avec ses infrastructures vides d'utilisateurs) , ce que Marx désignait par la contradiction entre la création de valeur et sa "réalisation" (concrètement la difficulté de vendre ce qui est crée, donc des marges en baisse et des questions d'insuffisantes rentabilité).
Bien évidemment il est de fait impossible de procéder à une évaluation chiffrée de cet ensemble de phénomènes que l'on ne peut apprécier que qualitativement par des indices qui confirment la robustesse du modèle ( le parti pris théorique). Et dans la présente configuration du monde , ce qui confirme le paradigme de Marx est un ensemble de faits: capacités de production excédentaires partout dans le monde, carnets de commandes en baisse, faiblesse des marges industrielles justifiant un manque d'investissements faute de bébouchés, et justifiant l'investissment spéculatif dans d'irréelles innovations financières, dislocation des équilibres bilantaires et des paiements extérieurs justifiant de nouvelles spéculations, etc.
Au delà - et néanmoins - la qualité d’un raisonnement qui ne peut dépasser en toute honnêteté le simple domaine du qualitatif, est parfois supérieure à celle qui prétend mesurer avec précision, sans dévoiler de discutables prémisses.
Il est vrai que les économistes ont oublié Marx depuis longtemps: comment intégrer ce vieux philosophe de réputation sulfureuse dans la connaissance du monde moderne?
Je remercie bien vivement Clarisse Laurent d'avoir bien voulu traduire le texte de mon intervention lors la rencontre franco-allemande des 8 et 9 avril dernier.
« THE BIG BANG » VOM ENDE DER EUROZONE UND DIE FINANZWELT IN DER WELT NACHHER.
Finanzielle Folgen der Neueinführung der Nationalwährungen.
Es wird darum gehen, sich die Frage vom Stressniveau der Weltfinanzgemeinschaft zu stellen. Und dieses Niveau hängt wahrscheinlich davon ab, wie sich der Übergangsprozess vom alten zum neuen System abspielen wird . Wird es das Ergebnis einer Beratung oder eines Vollendungsplans sein? Werden alle Länder somit befragt? Oder wird der Ubergang wilderweise ablaufen, wird er von einem oder zwei Ländern herkommen, nach einem nicht kooperativem Prozess oder sogar einem Panikprozess ablaufen? Leider soll sich die zweite Lösung logischerweise durchsetzen.
1) Die sehr schwierige kooperative Strategie
Es ist ganz klar, dass die Vollendungsgeschwindigkeit der Entschlüsse die Schlüsselvariable eines Erfolgs bildet. Es ist auch klar, dass eine Kooperation für die Anderung erst am Ende einer gemeinsamen Analyse einer Situation eingreifen kann, deren Umrisse schon vorraus zu sehen sind, so auffallend sie sind.
Auf der Seite der Sozialkräfte, die versuchen, den Euro zu behalten, werden wir folgende Gruppen haben, nämlich die Rentner, die die Rückkehr der Inflation beängstigt, die groBen “Verbraucher” von Weltprodukten, die eventuell billigere Konsumentenkredite haben, die Touristen, die gegen Grenzen mit Umtauschgebühren sind, aber auch die Unternehmen der Realwirtschaft, die mit dem Euro die Kosten der Wechselratsdeckungen und die Staatsrisiken verschwinden sahen , aber zuletzt auch einen grossen Teil der Politiker, die sich geschichtlich gesehen für den Aufbau der Eurozone engagiert haben. Das sind insgesamt viele Leute und dies erklärt, dass sich die Umfragen trotz der heftigen Krise, selbst in den am meisten betroffenen Ländern für das Bewahren der Einheitswährung aussprechen.( Trotz dem Ergebnis der letzten Wahlen bleiben 74% der Italiener – so das französische Umfrageninstitut IPSOS für das Aufbehalten ihres Landes in der Eurozone.)
Auf der Seite der Kräfte, die sich für eine Auflösung aussprechen, nehmen objektive Elemente gegen die Subjektivität der Mitwirkenden oberhand und darüber hinaus der durch ungenügende Konkurrenzfähigkeit weggefegten Unternehmen.Es wird finanzieller Verlust in den Ländern festgestellt,die an eine sehr schwere Degradierung ihres Aussenhandels leiden und trotz allen Strengenpläne nicht wieder auftauchen können. Merkwürdigerweise verschlechtert die objektive Situation mit ihren konkreten AuBerungen( unter anderem massive Arbeitslosigkeit, ungesteuerte Staatsverschuldung und Verschwinden des Providenzstaats) die begeisterten Schwärmungen für den Euro nicht. Es kommt vielleicht daher, dass eine Gruppe von Ländern-die im Nordeuropa- durch das System besonders begünstigt werden: schwächere Geldwechselräte als der der D-Mark auBerhalb der Eurozone, eine für die weniger konkurrenzfähigen Partner verbotene Abwertung, usw… aber diese Vorteile erscheinen nur unter der Form einer Belohnung für ein Verhalten, das als sittsam vorkommt.
In der Tat besteht die groBe Schwierigkeit darin, dass die verführerischen Aspekte des Euro wie eine Droge ganz sichtbar , während seine entsetzlichen Folgen für den Bürger, der keine wirtschaftlichen Kultur hat, unsichtbar sind .Es wird deshalb in den Umfragen klar.
Die Krisenführung hat das Auftauchen einer Realität erlaubt, die wir im Artikel “Eurozone: die Illegalen bleiben es bis zum Ende” vorausgegriffen hatten, nämlich das Ubertragen der Verschuldun= gen auf die Zentralbank.
Diese schafft nun massiv Geld und ihre Rolle besteht nicht so sehr darin, die Liquidität im Rahmen einer Preisstabilität zu sichern als den Preis der Staatsobligationen weiter zu halten und somit jeden Obligationskrach zu vermeiden. Ohne es zu sagen, geht es hier um ein neues Paradigma für die Europäische Zentralbank, die sich damit zu den anderen groBen Zentralbanken gesellt.Ein neues Paradigma, das über die Aussagen hinaus Deutschland nicht miBfallen kann, denn Deutschland will selbst seine Exportfähigkeiten weiter halten einem Konkurrenten gegenüber ,nämlich Japan,das seiner Zentralbank einen radikalen Wechsel von Paradigma vorgeschrieben hat und infolgedessen seine ganze seit 2009 verlorene Konkurrenzfähigkeit wieder finden wird.
Es handelt sich aber um eine nicht dauerhafte Krisenführung, um eineFührung, die es zwar nicht erreicht hat, weder die Kreditgeschäfte zu fördern noch die Krediträte zu vereinheitlichen: die Bedürfnisse einer Anpassung der Südländer fordern ganz andere Methoden, die vom deutschen Standpunkt aus wahrscheinlich unakzeptabel sind. Es ist der Gegensatz zwischen dem Unakzeptablen und der alptraumartigen Vorstellung einer Sozialkrise im Süden, der sozusagen zu einem deutsch-französischen Abkommen über den Abbau des Euro führen sollte.Und dieses Abkommen wäre um so wahrscheinlicher als Deutschland immer weniger Vorteile von der Eurozone hat und immer mehr zahlen wird, um weiterzubleiben.Die Vorteile vermindern sich wegen dem Zusammenbruch des Wachstums im Süden. Das politische Verfahren mit Inlandsabwertungen ist für diese Länder nutzlos wegen des Einschrumpfens der inneren Nachfrage, wegen einer zu schwachen Exportbranche und auch wegen einer potentiellen Beschwerung der Staatsverschuldung. Sie sind für die deutschen Exporte besonders schmerzhaft.
Dagegen vermehren sich die Nachteile mit den an den Südländern angebotenen Darlehen durch das FESF und das MES. JP Vesperini schätzt somit ein, dass am Ende der Garantien, die Deutschland am Kapital von MES angeboten hat, die Verschuldung jenes Landes um 319,7 Milliarden Euro d.h. 12,5% des Bruttoinlandsproduktes steigen würde.
Gleichzeitig vermindern sich manche Kosten eines Abtretens vom Euro für Deutschland, weil die Absatzmärkte in den Zonen mit starkem Wachstum schneller zunehmen als in Europa.Dieses Argument muss jedoch durch die groBe Rückkehr Japans gemäBigt werden, denn Japan hat dank des neuen Kontrollorgans seiner Zentralbank an Konkurrenzfähigkeit gewonnen.
Diese schlichte Feststellung eines Endspiels für den Euro bedeutet aber keinen einfachen Abbau der entsprechenden Spielregeln.
Auch wenn die beiden groBen Länder ,nämlich Frankreich und Deutschland feststellen, dass es teurer ist, den Euro zu behalten als ihn abzubauen, ist es unvorstellbar , dass sie zu einem geplanten und kooperativen Abbau kommen. Tatsächlich bedarf ein solcher Plan einer wenig realistischen Vertraulichkeit wegen der zahlreichen Mitglieder- wahrscheinlich mehrerer Hunderten-, die an die Vorarbeiten teilnehmen würden.Das Risiko einer Indiskretion, die mit kolossalen Spekulationsgewinn verbunden ist, ist wirklich groB .Man kann sogar vermuten, dass sich viele Kandidaten für Insiderdelikte schon auf die Lauer legen.
Denn der Abbau stellt mehrere Fragen. Die erste Frage umfasst seinen Umraum. Wir haben mehrere Möglichkeiten zur Wahl : den totalen Abbau, die Schaffung mehrerer Zonen (zum Beispiel Nord- und Südzone), einen Euro nur als Umschlag behalten, den Wechselkurs der neueingeführten Nationalwährungen, den Umfang ihrer Konvertierbarkeit ( nur in Euro oder in allen Währungen), die Verluste und die Gewinne der Aktiva in den Finanzinstitutionen, die Behandlung der Staatsverschuldungen, die Liquidation oder die Nichtliquidation der damit verbundenen Institutionen wie das MES, abgesehen von der Europäischen Zentralbank usw… Jede einzelne Frage ist selbst eine Baustelle von unglaublicher technischen Komplexität und es ist schwer zu begreifen, wie sich eine solche Arbeit in den Ministern, in Brüssel oder anderswo ohne Indiskretion einsetzen könnte, während die Interessenkonflikte existieren und die damit verbundenen Gewinne kolossal sind.
Der SchluB ist also einfach : der Abbau der Eurozone wird sich ohne Koordination, wird von einem einzigen Land kommen, das eine Bewegung und vor allem eine ansteckende Panik auslösen wird. Indem Interessenkonflikte und Insider- Delikte der Sprengstoff sind, in welchem das System natürlich eingetaucht ist, wird der Abbau von einem Staat kommen, dessen Fähigkeiten zum politischem EntschluB abrupt und unbestreitbar sind, z.B. von einem Mann allein. Von diesem Standpunkt aus bildet die Diktatur das ideale Regime... , das aber die Europäischen Verträge verbieten . Es ist also klar,dass sich der Abbau sehr wahrscheinlich nach einem Panikprozess verwirklichen wird, denn die Länder, die eine starke Exekutive haben, werden relativ begünstigt und als“privilegierte Kandidaten” für einen Ausgang betrachtet.
2) Die politisch-finanziellen Folgen, die von einem Abbau unter Panikprozess zu erwarten sind.
Welches auch immer die Lösung im Wiederaufbau der Nationalwährungen sein mag, ist es klar, dass die politischen Entscheidungsträger das Unbekannte betreten und alle, die davon abhängen,mit sich ins Unbekannte reissen.Wie ein Schachspiel ein Abenteuer ist, wo nichts im Voraus geschrieben ist- weder die Zahl der Spielpositionen noch das Spielergebnis - bedeutet der EntschluB, einen Währungsabbruch zu vollenden( der weit über die schlichte Paritätsveränderung zur Zeit Bretton-Woods hinausgeht) ein grosses Abenteuer zu umfassen, wo die einzige Sicherheit darin besteht, mächtigen anpassenden Strömen zu trotzen, deren allgemeinen Sinn wohl bekannt ist, nämlich “flight to quality”.
Das läuft durch ungeheure “Bilanzstörungen” in den riesigen Institutionen , die die Banken bilden: breite Neuentwicklung von” souveränen Aktiva” zugunsten der deutschen Schatzanweisungen, Zusammenbruch des Wertes der anderen souveränen Aktiva und Aktiva, die mit ihnen verbunden sind (besonders CDS), mechanisches Verschwinden der eigenen Anlagen und sofortige Zahlungs= unfähigkeit. Es betrifft eine Finanzmasse, die mehrmals dem gesamten Innenbruttoprodukt der Eurozone entspricht. Alle Finanzinstitutionen werden durch Ansteckung betroffen: Versicherungsanstalten, Rentenfonds, Hedge-funds. Alle Märkte werden mit dem Verschwinden der Liquidität, Verschwinden des Marktes unter den Banken, Zuflucht zum Gold und zu den gesamten Rohstoffen als Geldwert betrachtet. Natürlich verschwinden das Kredit und die Finanzierung der Wirtschaft.Und was können wir über die Staatsverschuldung sagen, die selbst stark entformt ist, für manche ist sie verringert, für andere stark gesteigert?
Ganz natürlich wird der Aktienmarkt auch getroffen. Zuerst durch die Neuorientierung der Anlagewerte zugunsten der Aktien, aber auch Neuorientierung zugunsten der Export= oder Importunternehmen für die jeweiligen abgewerteten oder aufgewerteten Währungen.
Die finanzielle Bilanz ist also äuBerst schwerwiegend.
Es ist natürlich unmöglich zu denken, dass es sich hier um eine einfache Störung handelt und dass die Märkte ihr Gleichgewicht wiederfinden werden: der Euro war der SchluBstein einer Anordnung. Ihr Verschwinden entspricht einem totalen Zusammenbruch und die Institutionen der neuen Märkte sind von Grund auf wieder aufzubauen. Dieser Wiederaufbau führt zwangsläufig zur Rückkehr der autoritären Staatsform,” einem möglichen Weg der Sklaverei ”, so Hayek.
Wie könnte sich das heutige Statut der Banken so weiterhalten (eine”sui generis” Institution)? Die Rückkehr der Nationalwährung, wo Abwertung vorgesehen ist, kann aber rechtsweise nur geplant werden, wenn der Zentralbankier eine sofortige Pfändungs- und RequisitionsmaBnahme ergreift.Es ist eine auBergewöhnliche Situation, selbst in Frankreich vor dem Europäischen Aufbau, wenn der Staat so stark war. Die Flucht nach der Qualität kann vielleicht nur durch ein strenges Verbot des Kapitalsverkehrs eingedämmt werden,und wenn es sich um Frankreich handelt mit der sofortigen Steigerung von TRACFIN. Es heiBt vielleicht die Pfändung der Banken, die rechtliche Verantwortung der Bankiers aber der Bankanstalten nicht.Dies gilt für jedes Geschäft, das nicht in die Richtung eines Stoppens der Panik über die Bankkonten geht. Diese groBe Rückkehr zu einer autoritären Staatsform ist umso notwendiger als die Sozialkräfte, die im Euro nur die am meisten anlockenden Aspekte sahen, qualitativ und quantitativ sehr bedeutend sind.
Die Länder, die aufwerten werden, werden durch eine Rückkehr zu einer autoritären Staatsform nicht erspart und Deutschland selbst muss darauf achten, dass es sich in eine Bewegung von starker Steigerung seiner Währung nicht versinken lässt, im Moment , wo der groBe japanische Konkurrent seine Zentralbank zum Handeln zwingt. Uber diese strenge und sehr harte finanzielle Repression hinaus muss sich die groBe Rückkehr des Staats in die Realwirtschaft klarmachen und man muss alle üblichen Mittel und Wege benutzen,die zur Zeit der Konferenz von Bretton -Woods zur Verfügung standen. Abgesehen davon, dass die Volkswirtschaften heutzutage viel mehr voneinander abhängen als früher, werden die einfache Bekämpfung der Inflation und die Preiskontrolle sehr ungenügend sein. Nicht nur die Bankbilanzen werden durch diese Panikbewegung geschüttelt: viele Bilanzen von Unternehmen, die durch sehr enge Verbindungen mit Nichtinländern engagiert sind, werden (abgesehen von den Grenzgängern) betroffen d.h. mögliche Bilanzzahlungsunfähigkeiten und im Gegensatz dazu günstige Nachwirkungen.
Die Finanzskrise bekämpfen bedeutet insgesamt eine riesengroBe Kostensteigerung der Verhalten der wirtschaftlichen handelnde Personen zu verursachen. Jene Personen versuchen ihre Gewinne zu behalten und/oder zu bewerten.Die Welt der Finanzentregelung lässt also den Platz für ein autoritäres und repressives System frei. Das Eurosystem ist eine fabelhafte rückgängige Maschine, die auBer Kontrolle ist, aber wenn man sie fasst, kann es uns zu anderen Regressionsformen führen, die viele befürchten, besonders diejenigen, die nur den sichtbaren Teil des Systems sehen. Es wird dem politischen Dirigenten , der das Risiko des Abbaus eingehen wird oder zum Abbau gezwungen wird, schwerfallen. Die Hauptarbeit desjenigen, der den EntschluB des Abbaus fassen wird, wird darin bestehen, die Mittel und Wege zu entdecken, die die Auslösung der Finanzpanik verhindert, während der SchluBstein des Systems, nämlich der Euro weggenommen wird.
Wie kann der SchluBstein weggenommen werden, ohne dass das Europäische Gebäude zusammen= stürze?
3) Abbau gegen Staatsgarantie für das Respektieren der Verträge:
Uber das technische Protokoll hinaus, das kaum Probleme bereitet (Aufrechterhaltung des Systems der inneren Preise durch die Festlegung einer Währungseinheit, die einen legalen Wert hat und einem Euro entspricht, Uberlastung eines Stempels auf jede Banknote vor dem Druck neuer Banknoten durch die Nationalzentralbank, rascher Austausch von Münzen usw...) wird eine rechtgültige Garantie von dem oder den politischen Dirigenten verkündet, die den EntschluB gefaBt haben. Diese Garantie betrifft die Aufrechterhaltung des Nennwertes aller Aktiva im Moment, wo der EntschluB gefaBt wird. Das EntschluBfassen bedeutet infolgedessen das Einfrieren aller Positionen und vielleicht das vorläufige SchlieBen der Börse.
Es ist übrigens klar, dass sich sowohl die Ausgangs- als auch die Staatsgarantieentscheidung in der gleichen Rechtshandlung befinden und, dass die Länder, die autoritärerweise durch einfachen BeschluB der Exekutive handeln können, einen Vorteil haben. Und dies stellt die Frage der Panik= auslösung in den Ländern, die nicht so schnell handeln oder reagieren können wie es notwendig wäre. Die Garantie des Nennwertes setzt die Festlegung eines fixen Punktes voraus, der nichts anderes ist als die Festlegung der neuen Währungsparität und diese Parität soll unberührbar erklärt werden, weit über der notwendigen Zeitspanne hinaus, die man braucht für eine gesamte Reorgani= sation mit neutralen Wirkungen auf alle Bilanzen und Verträge.
Das Feld der Garantie, die an alle wirtschaftlichen Kräfte des abtretenden Landes angeboten wird, betrifft die Besitzer von ausländischen Aktiven : Haushalte, Unternehmen, Finanzeinrichtungen, der Staat selbst. Dieses Feld erweitert sich auch bis an die Nicht-Inländer und an die Ausländer, die Inlandaktiva besitzen.
Der Begriff “Aktiva” muss auch präzisiert werden. Es handelt sich natürlich um alle finanziellen Wertpapiere : Aktien, Privat- und Staatsobligationen, strukturierte Produkte , Sparprodukte und Bankkonten usw...Für diese Wertpapiere liegt die Garantie auf der einzigen mechanischen Variation (Verlust oder Gewinn) des Wertes, der Aufgrund des neuen Austauschkurses kalkuliert wird. Der Wert, worauf der neue Satz basiert, ist der Wert, der der genauen Stunde entspricht, wo der EntschluB des Abtretetens im Rechtsakt festgelegt ist.
Aber es handelt sich auch um alle Verträge der Realwirtschaft einschlieBlich um die Arbeitsverträge der Grenzgänger.Die Staatsgarantie ist der fixe Punkt, der den Euro ersetzt, wie eine Schleusen = kammer es erlaubt, von einer Zone, in der die Wechselkurse nicht gemeistert sind zu einer Zone zu übergehen , in der dieselben Wechselkurse auf politischer Ebene festgelegt sind.
Die Staatsgarantie mit dem Respektieren der Verträge bedeutet Folgendes : wenn die ökonomischen Kräfte des austretenden Landes nicht verlieren können, können sie nicht eher gewinnen. Als Beispiel: wenn Franzosen Lebensversicherungsverträge mit griechischen Staatseffekten besitzen, können sie nicht an die Wiedereinführung der Drachme leiden. Die selben Franzosen, die ähnliche Vertäge mit deutscher Staatsverschuldung haben, können keinen Vorteil aus der Wiedereinführung der D-Mark ziehen. Die Garantie entspricht also doch dem Willen, sich neutral über die Bilanzen der Kräfte zu zeigen dem Austreten aus dem Euro gegenüber. Und diese Neutralität ist wohl auch, was jede spekulative Bewegung verhindert. Die Auslösung der CDS ist ebenfalls verboten, indem das so geplante Austreten in keinem Fall “eine Kreditstörung” (sagen wir eine Zahlungsunfähigkeit) ist.
Die Garantie des austretenden Staats ist bei Weitem schmerzhafter als die von den Staaten angebotenen Garantien – jene Staaten, die im Oktober 2008 gemeinsam jede Panikbewegung bei den Einlegern blockiert haben, deren Banken vorraussichtlich zusammenbrechen sollten.Während zu dieser Zeit das Risiko nur potentiell war und eine Ankündigung reichen konnte,die Panik zu stoppen, muss man heutzutage im Fall eines Abbaus weiter gehen und die Betroffenen tatsächlich entschädigen.
Und was zu bezahlen ist, kostet um so mehr Geld als es dem austretenden Staat an Geld mangelt. Wie könnte der griechische Staat, der auf Grund einer massiven Abwertung austritt, seiner Garantie gewachsen sein? Wie könnten ebenfalls die abtretenden Staaten, die unter den Gewinnern sind, ihre Gewinne an die Verlierer verteilen? AuBerdem ist nocheinmal das Austreten weder kooperativ noch verhandelt und die Gewinner sind auch Privatpersonen, für die die Aufwertung ein Gewinn ist, der privat bleiben sollte.
Konkret gesehen muss ein deutsches Unternehmen, dessen Schuldner Franzosen sind, aus der Aufwertung der D-Mark logischerweise Vorteil ziehen. Und wie könnte dieser Gewinn benutzt werden, um die Garantien des griechischen Staats zu versichern? Aber wenn die Gewinne im Namen des vollständigen Respektierens aller Verträge leicht blockiert werden können( es kostet nichts), muss man doch die Mitteln finden, die Leute zu entschädigen, die von dem Austreten aus dem Euro betroffen werden.
4) Das Respektieren der Verträge durch Zentralbanken, die die Banknotenpresse anwenden.
Wenn das vollständige und rigorose Respektieren der Verträge eine Entschädigung der Verlierer einschlieBt, ohne dass die Gewinner mithelfen können, muss ein Dritter gefunden werden, der den Ubergang von der alten zur neuen Welt sichern soll, wennmöglich ohne den europäischen Zukunfts= plan zu zerstören. Man muss die ungeheuren Zerstörungsfolgen einer nicht kontrollierbaren Sprengung des Euro vor Augen haben. Infolgedessen setzt sich die Lösung durch, sich zu den Nationalzentralbanken zu wenden, die gleich bei der Ankündigung des Abtretens requiriert werden. In der Tat handelt es sich nur darum, ein schon mit der EZB engagierten Prozess zu beschleunigen. Heute versucht die EZB die Fiktion des Euro zu behalten, indem sie massiv in die Staatsverschul= dungen im Süden eingreift. Die heutige Aktion der EZB ist ja schon ein Versuch, die destabilisierende Panik mit « spreads » einzudämmen, jene “spreads”, die man in Grenzen halten soll, um sowohl einen Obligationskrach als auch ein “Bank-run” zu vermeiden.
Das Prozessverfahren ist also einfach: für die Länder, die die Eurozone mit Abwertung verlassen, stipuliert der RequisitionsbeschluB, dass die Zentralbank des abtretenden Landes das entsprechende Konto der Staatskasse kreditiert – auf der Höhe von den Engagements des Staats als Garantie vom Respektieren aller Vertäge. Die Finanzbeamten bestimmen die Höhe der Entschädigungen und verlangen von der Bank die entsprechende Bezahlung. Eventuell bestätigen Richter und AbschluB= prüfer die regelmäBige Erfüllung der Garantien.
Die Recheneinheit, die als Entschädigungsleistung behalten wird, kann die Nationalwährung sein.
Somit kann der deutsche Exporteur von Waren nach Griechenland, - wenn dieses Land die Eurozone verlässt- von seinem Kunden mit der Währung bezahlt werden,worüber er verfügt. Dazu kommen die Kosten der Abwertung, die in Drachmen ausgedruckt sind und schlieBlich durch die griechische Zentralbank getragen werden. Weiterhin, wenn es sich um ein griechisches Abtreten handelt, sieht die « SociétéGénérale » in der Gewinnrechnung ihrer Bilanz ihre griechischen öffentlichen Schuldverschreibungen gegen Drachmen umgetauscht , jene Werte sind um den Betrag der Abwertung erhöht.
Man könnte die Beispiele multiplizieren.
Natürlich erheben sich riesengroBe Zahlungsbilanzen in Drachmen, die “das Boot der illegalen Passagiere” so gut verhüllte und die “ Target2”Anlage weniger verhüllte. Man muss sich also vorstellen, dass diese Zahlungsbilanzen in ”Drachmen” zu den Zentralbanken der entsprechenden Länder überführt werden( in unserem Beispiel zu der Deutschen Bundesbank für den deutschen Exporteur und zu der” Banque de France”für die ”Société Générale”) und wiederum gegen neue Nationalwährungen umgetauscht werden.
SchlieBlich wird die ausgegebene Währung (deren Menge dem Ertrag der Abwertung durch die gesamten Engagements gleicht) in den Ländern eingelagert, die sich in einer günstigen Situation befinden: wenig Abwertung oder keine Abwertung, wenig AuBenverschuldung, schwache oder nationalisierte Staatsverschuldung. Alles, was eine schnellere Preissteigerung verursachen kann als in den Ländern, die massiv die Banknotenpresse benutzt haben.
Das zurückbehaltene Verfahren, das hier sicher zu kurz entwickelt worden ist und nicht alle Situationen regelt –wie sollen denn die CDS behandelt werden, auch wenn es gerichtlich keine “Kreditstörungen” gibt, beseitigt ganz und gar den Begriff: Fehler, Unterstützung des Banksystems,Uberwachung der Ratsspreads usw...
5) Indirekte Nachwirkungen: eine gewaltige Beschleunigung der finanziellen Ent-globalisierung ganz kurz der Ent-globalisierung.
Die finanzielle Ent-globalisierng ist mit der Krise verbunden : nämlich ein seit 2007 um 10% verminderter Umfang im weltweiten Bruttoinlansprodukt, der Verkehr von grenzüberschreitenden Kapitalien, die um 61% eingestürzt sind und Banken aus der Eurozone, die ihre Forderungen im Ausland um 3700 Milliarden Dollars verringert haben. Offenbar würde ein Ende des Euro wenigstens in seiner heutigen Form eine solche Bewegung beschleunigen.
Dieser Standpunkt bedarf einer präzisen Beweisführung.
Es ist bekannt,dass die Finanzglobalisierung in der Geschichte mit einer ungeheuren Entwicklung der spekulativen Tätigkeiten der Markthaltung und noch spezifischer der Deckungstätigkeiten der Tauschrisiken verbunden ist. Geschichtlich auch wurden diese Deckungsaktivitäten (im Rahmen des Jamaika Abkommens am 8.Januar 1976) durch die Wahl von flexiblen Wechselkursen bedeutend impulsiert. Diese Wahl, die vorwiegend von den Aktivitäten der Lobbyer in the City abhängt, war natülich gut für die Deckungsaktivitäten.
Mit der Globalisierung der Austausche und auch was damit kongruent ist, mit der totalen Verkehrs= freiheit des Kapitals und mit der grenzenlosen Währungskonvertierbarkeit muBten sich die Aktivitäten über den “FOREX” vervielfachen, indem immer raffiniertere finanzielle Deckungs= produkte geschaffen und benutzt werden. Zur Zeit Bretton- Woods erlaubte die Festlegung der Wechselräte die Spekulation nur in eine Richtung und nur mit unrealistischgewordenen Räten. Die Instabilität durch flexiblen Räten erlauben heiBt auch die Bereicherung der Finanz erlauben, jene Finanz, die Garantie verkaufen wird, um somit der geschaffenen Instabilität entgegenzukommen.
Indem die geförderte internationale Instabilität die Industrie und den Waffenverkauf fördert, wird gleichfalls die Spekulationsindustrie gefördert, indem die Instabilität der Devisenpreise gefördert wird.
Solange diese Instabilität” wahrscheinlich” sein kann und sich in Mathematikmodellen, die eine günstige Einschränkung der Unsicherheiten erlaubt, einschreiben kann, ist die Markthaltung durch das Finanzsystem relativ einfach und die Kosten für die Realwirtschaft erträglich. Mit der Krise sind die Modelle mit einer ungeheuren Kostenerhöhung der Markthaltung unsicher geworden .jene Kosten, die auf die Kunden der Realwirtschaft zu übertragen sind.
Von diesem Standpunkt aus zieht das Verschwinden der Eurozone neue Schwierigkeiten mit sich, die zu meistern sind. Kann man sich eine Erweiterung des”FOREX” für die neuen aus dem Abbau kommenden Devisen vorstellen , mit den entsprechenden Kosten, die aus den neuen Deckungs= aktitvitäten kommen? Denn auch wenn der Handel sich verringert, stellt er innerhalb der Eurozone beinahe 50% des gesamten AuBenaustauschs dar. Es ist also für die Europäischen Banken undenkbar, sich in diese neuen Deckungsverfahren mit groBem Kapitalverbrauch (einem notwendigen Kapital für die Investierung in die Realwirtschaft) zu stürzen. Es ist genauso schwierig für die Unternehmen, dieKosten jener neuen und notwendigen Deckungen für Wechselkursrisiken zu ertragen. Hinzu kommt noch, dass die neuen Definitionen der Wechselkurse die verschiedenen Länder zu einer politischeren Vorstellung der Währung führen...mit dem Verschwinden der von den Banken aufgestellten wahrscheinlichen Modellen...
Es ist also anscheinend notwendig, kein System mit flexiblem Wechselrat zu gebrauchen und sich an einer Vorstellung zu halten, die der Vorstellung von Bretton - Woods näher ist. Aber es besteht die Schwierigkeit, dass die globalisierte Umwelt in einem groBen Flexibilitätszustand stehenbleiben wird. Infolgedessen bedeutet es das wirklich dauerhafte Ende einer Unabhängigkeit der Zentralbanken, die wahrscheinliche Kontrolle des Kapitalsverkehrs und eine gewisse Devisenkontrolle usw...
Insgesamt sprechen diese Uberlegungen über die Deckungskosten für ein System, das den Euro als gemeinsame Währung mit festen Wechselkursen zwischen den neuen Nationalwährungen und der gemeinsamen Währung behält. Jede Währung ist nur in die gemeinsame Währung konvertierbar. Diese optimale Situation ist aber nur erreichbar , wenn man sich in einer verhandelten Neugestaltung befindet, was nicht offensichtlich ist, wenn das Abbauen nach dem Panikverfahren abläuft.
Es ist sehr schwer, das Bild der Welt nachher wiederzugeben.
Manche Anhaltspunkte können jedoch angegeben werden. Zuerst wird es Staaten geben, die ihre Währung, ihre Staatsverschuldung und ihre Zentralbank neunationalisiert haben werden.Es wird aber auch Staaten geben, die auf das Gleichgewicht der AuBenaustausche Rücksicht nehmen müssen und zugleich kooperative Strategien innerhalb eines neuen Europaprojekts wiederaufnehmen werden. Dies schlieBt selektive Politikverfahren ein, die den Kapitalumsatz und regelmäBigverhandelte Wechselräte betreffen. Das Ende der Benutzung der Banknotenpresse, die mit dem Instabilitätsende der Wechselkurse begonnen hat, wird sich in der Struktur der Bankbilanzen abzeichnen. Diese Bilanzen werden weniger mit dem Rest der Welt verbunden sein, sie werden an GröBe erleichtert und vor allem ganz neu strukturiert sein, mit einer schwereren Handelsbankabteilung, mit einer leichteren Investmentbankabteilung und vor allem innerhalb jener Abteilung eine deutlich verminderte Unterteilung “Derivate”.
Vergessen wir aber nicht, dass das Ende der Benutzung der Banknotenpresse (dé-financiarisation) im Falle des Behaltens eines Euro als AuBenumschlag normalerweise viel einfacher sein wird. Es ist aber trotzdem beschränkt, wegen Deckungsprodukte, die behalten werden müssen: die festen Wechsel= kurse sind in einer globalisierten Umwelt, wo alles als Geldwert betrachtet wird, schwer zu definieren.
Diese neustrukturierten Banken, die direkt von der Zentralbank und deren Wechselkurspolitik abhängen, werden teilweise von der Finanzentfremdung befreit, die sie verhindert, ihre Arbeit zu tun, nämlich interessante Investitionen in der Realwirtschaft auszuwählen.Von diesem Standpunkt aus wird es wenig wirksam sein, zu jeder Form von “Glass-Steagall Act” zurückzukommen: die Spekulation darf nicht isoliert werden, sie muss verboten sein oder man muss den Umfang ihres Spielraums beschränken.
Der Bezahlpreis der so eingestellten finanziellen Unterdrückung ist das Auftauchen von schlichteren Sparangeboten, die auch gesünder sind, indem sie durch spekulative” finanziellen Wetten” (strukturierte Angebote) weniger beladen sind und durch “Wetten” über die Realwirtschaft(Aktien) mehr beladen sind.
Jean-Claude Werrebrouck
Le 25 mars 2013
Derrière le débat concernant le redressement productif il y a celui de la ré industrialisation, celui de la relocalisation d’activités industrielles et en conséquence celui d’un rééquilibrage de la balance commerciale. De façon plus savante et probablement plus synthétique il y a celui du « re-noircissement » de la matrice des échanges interindustriels[1].
Logiquement dans un espace mondialisé, cette matrice a tendance à se « blanchir », les échanges entre branches d’activités au sein d’un espace national tendant à s’appauvrir avec l’allongement de chaines de la valeur devenues mondiales. Concrètement les différentes branches d’activité, au sens de la comptabilité nationale, ne se créent plus mutuellement des débouchés et connaissent des liaisons aussi bien en amont qu’en aval avec un espace mondialisé. D’où la célèbre expression de Pascal Lamy : « made in the world ».
Au blanchiment de la matrice des échanges interindustriels devait correspondre un allongement de plus en plus important des chaines de la valeur et en conséquence un blanchiment des matrices de la plupart des pays jouant le jeu de la mondialisation. Seule une matrice mondiale, si elle était construite par des comptables mondiaux comme il existe encore des comptables nationaux, pourrait être noire.
L’optimisation des chaines de la valeur, travail devenu celui d’entreprises spécialisées qui vendent leurs conseils, repose bien évidemment sur une question de coûts et de calculs de risques. Dans ce cadre chaque pays se trouve progressivement spécialisé dans son espace de compétence spécifique, et le produit final voit son coût unitaire mondial le plus faible possible.
Ce bref et très partiel exposé de ce qu’est la mondialisation industrielle explique déjà qu’un objectif macroéconomique de rééquilibrage des comptes extérieurs n’est pas simple. Une marchandise mondiale, assemblée dans un pays A, exportable mondialement et produite à partir d’importations de composants eux-mêmes mondialisés, agit simultanément sur les importations et les exportations du pays considéré. Cette marchandise ne peut s’exporter sans difficultés, c’est-à-dire de façon compétitive, que si la chaine de la valeur correspondante, parce que bien optimisée, laisse des importations de composants eux même très compétitifs. D’où le titre d’un article paru récemment : « Cessons de craindre l’envolée des importations »[2]. Cela signifie par conséquent qu’en mondialisation, être plus compétitif et exporter davantage suppose aussi d’importer plus. Exportations et importations ne sont donc pas des variables indépendantes et le flux d’exportations dépend aussi – parmi d’autres variables- de la capacité à importer davantage. La capacité à exporter d’un pays en mondialisation dépend ainsi de la compétitivité de toutes les consommations intermédiaires générées sur les chaines mondialisées de la valeur.
Rééquilibrer une balance déficitaire par relocalisations d’activités- par exemple impulsées par des politiques publiques- n’est donc pas simple puisque, toutes choses égales par ailleurs, à une diminution des importations correspondantes peut logiquement succéder une diminution du flux des exportations. Bien sûr il peut y avoir des exceptions et cas particuliers, qui toutefois ne mettent pas en question l’essentiel du raisonnement[3].
A taux de change inchangé, une relocalisation n’est efficace que si elle s’effectue spontanément par le jeu de la compétitivité : telle maillon de la chaine mondiale est devenu moins compétitif que ce qui pourrait- être nationalement obtenu. Il s’ensuit naturellement un meilleur équilibre de la balance.
Toujours à taux de change inchangé, on peut imaginer que la partie nationale de la chaine devienne elle- même plus compétitive. On assiste là aussi à une amélioration de la balance.
On comprend toutefois, qu’en matière de relocalisation les possibilités se trouvent limitées puisqu’il faudrait que le pays dispose d’un avantage comparatif dans tous les domaines où nombre de pays se sont spécialisés : devenir meilleur simultanément dans plusieurs domaines où d’autres pays s’étaient spécialisés. Un peu comme si, pour reprendre le célèbre exemple de Ricardo, l’Angleterre devenait meilleure que le Portugal , et pour la production de drap et pour la production de vin. Sans évidemment compter que les relocalisations devraient logiquement entrainer des réactions de compétitivité de la part de ceux qui vivraient une délocalisation. Signalons aussi que dans un certain nombre d’activités, notamment celles liées aux nouvelles technologies de l’internet, il est très difficile de relocaliser ce qui n’est pas localisable et qui plus est, fonctionne à rendements croissants et donc à coûts unitaires continuellement décroissants.
Maintenant il est sans doute vrai que d’autres nouvelles technologies – par exemple l’imprimante 3D- peuvent rebattre toutes les cartes et redessiner les chaines de la valeur. Dans le même sens et sans doute de façon plus globale, le passage d’une « mass production » à une « mass personalization », hypothèse chère à Peter Marsch[4]redessinerait aussi les chaines de la valeur avec l’apparition de micro-multinationales. Mais tout cela reste de la simple conjecture et surtout concerne le temps long.
En conséquence une stratégie de relocalisation et de rééquilibrage des comptes suppose une modification des taux de change. Si une modification externe du taux de change ne peut être obtenue en raison d’une base monétaire unique, il ne reste que la dévaluation interne laquelle passe par une diminution du coût du travail, assortie d’une flexibilité suffisante des prix. Il s’agit de la stratégie menée dans toute l’Europe et en particulier dans sa partie sud.
Même en supposant que cette stratégie développe la compétitivité, il ne peut s’en suivre une réelle sortie de crise. C’est que le redressement productif est appelé à se dérouler dans le lit d’une concurrence généralisée qui réduit le salaire à sa seule dimension coût alors que dans l’espace plus national des 30 glorieuses, la dimension débouché était essentielle dans la régulation globale. Plus grave, un redressement productif sur base de dévaluation interne ne peut qu’aggraver la crise générale de surproduction mondiale, les pays dits émergents devant souffrir d’une perte de débouchés chez les « pays en voie de redressement productif ». Les chinois peuvent ainsi s’inquiéter d’une potentielle nouvelle compétitivité européenne les empêchant de ravitailler la grande distribution dont la clientèle est la masse des salariés européens munis de rémunérations déjà diminuées.
Accroissement de la contradiction mondiale entre offre globale planétaire de marchandises et demande globale planétaire correspondante, mais aussi redressement productif régressif puisqu’il faut revenir sur ce qu’avaient autorisé les 30 glorieuses à savoir la hausse continue des rémunérations. En mondialisation acceptée, le re-noircissement de la matrice des échanges interindustriels ne peut se réaliser que sur base régressive. Et une régressivité d’autant plus lourde que l’Etat doit lui-même connaitre une dévaluation sur la base d’une fiscalité plus faible nourrissant la chute des prix internes et la compétitivité externe. Comme cette compétitivité externe doit aussi passer par des investissements d’infrastructures et d’avenir que l’Etat ne peut plus réaliser, il s’agit bien d’une adaptation régressive. Concrètement, l’Espagne ou la Grèce sont invités à se réindustrialiser dans un contexte qui ne justifie pas l’investissement privé et réduit drastiquement l’investissement public[5]. Le redressement productif est donc, sans changement fondamental des règles du jeu, un processus d’adaptation régressive à la mondialisation.
[1] A l’époque des 30 glorieuses, les spécialistes de ce qu’on appelait le « Développement » faisaient de l’examen de la matrice des échanges interindustriels un critère décisif, permettant de distinguer pays développés et pays en voie de développement. A l’époque, la notion de pays émergent ne figurait pas dans le vocabulaire des économistes. Un pays développé était ainsi un pays dont la matrice des échanges était « noire ». On voulait par cette expression, signifier la présence de la plupart des branches assortie de forts coefficients de liaisons entre –elles. Toutes les cases de la matrice étaient ainsi chargées de chiffres attestant de l’importance des liaisons interindustrielles. Parce que peu de cases étaient vides, on parlait de « matrice noire », à l’opposé de ce que l’on rencontrait dans les pays dits « sous- développés ». Dans ces conditions ce qu’on appelait « développement » était affaire de noircissement de la matrice. D’où toute une série de théories très utilitaires de politiques de développement, dont celle des « industries industrialisantes» restée célèbre par la planification autoritaire qu’elle supposait et ses échecs retentissants.
[2] Agnés Benassy dans « Les Echos » du 13 mars 2013.
[3] C’est par exemple le cas américain qui en raison de la révolution énergétique en cours connait un processus de relocalisation et aussi des capacités exportatrices nouvelles résultant d’une nouvelle compétitivité apportée par l’effondrement des coûts du gaz.
[4] « The new industrial révolution – Consumers, Globalization, and the end of mass production”; Yale University press; Yalebooks.com; 2013.
[5] Selon le FMI, sur une base 100 en 2008, la FBCF en Grèce ne sera que de 40 en 2013, la consommation des ménages passant dans le même temps à moins de 70. Chiffres confirmés par Eurostats qui divise par 2 la FBCF courante de la Grèce entre les deux dates. Notons aussi que l’Espagne- dont on loue dans la presse le renouveau industriel et sa marche vers l’équilibre des comptes extérieurs- se trouve dans une situation assez comparable avec un recul, toujours d’après Eurostats, de 41% de la FBCF entre 2008 et 2013.
Le présent texte constitue une synthèse et un complément de:
-http://www.lacrisedesannees2010.com/article-regard-sur-les-banques-centrales-naissance-metamorphoses-essence-avenir-partie-1-117917128.html
Résumé:
Pouvoir politique et pouvoir financier sont deux forces partiellement englobées dans des signes appelés monnaie. La création monétaire fut historiquement le fait d’institutions progressivement accaparées par les Etats puis contestées par des financiers. Les banques centrales modernes qui vont naitre avec l’épanouissement de l’économie vont exprimer dans leurs missions, l’évolution des rapports de forces entre politique et finance. L’indépendance des banques centrales est une période historique consacrant la victoire de la finance.
Le présent texte propose une explication du mouvement historique des banques centrales. Pourquoi il fallait les créer ? Pourquoi, plus tard, il fallait assurer leur indépendance ? Pourquoi cette indépendance sera fondamentalement mise en cause dans le futur ? Cette explication reposera au préalable sur une analyse du couple Monnaie/Etat, couple dont la dynamique est véritablement porteuse de celle des banques centrales.
La monnaie… avant la monnaie et avant l’Etat.
Il est probable que l’histoire de la monnaie se ramène à celle d’une longue entropie. Née dans la chaleur des communautés holistiques, elle se dégrade lentement depuis l’apparition des Etats pour ne plus exprimer que les seuls liens entre des individus, des liens dont la force serait suffisante pour ne plus exiger la présence d’un souverain. L’Euro, monnaie sans maître, serait ainsi la forme la plus avancée de cette lente dégradation[1].
La monnaie primitive n’est pas la monnaie locale d’aujourd’hui et les liens qui s’y expriment ne sont pas librement choisis comme ils le sont dans cette dernière , liberté de choix qui en fait une sorte de « bien de club ». Ainsi Daniel de Coppet[2] nous explique longuement qu’à l’instar de ce qu’avait découvert Malinovski chez les Trobriandais, la monnaie primitive est chargée d’essence spirituelle. Sa circulation permet « au tout » de fonctionner en reliant les hommes entre eux, qu’ils soient vivants ou morts mais aussi en les reliant à tous les ordres du monde, celui de la terre, de l’eau mais aussi du ciel.
Une première forme de dégradation pourrait correspondre au « paiement du sacrifice » qui ne correspond plus à l’échange traditionnel de dons. Dans le monde primitif, le maintien du crédit des dieux exige la violence sacrificielle, laquelle sera suivie du paiement du sacrificateur, et paiement qui n’est plus suivi de réciprocité à l’instar de l’échange marchand moderne[3]. Une autre forme très comparable est le « paiement du neuf » qui met fin à la violence meurtrière entre groupes pris dans la logique infernale de la vengeance réciproque[4].
Paiement du sacrificateur ou du « neuf » vont dans le même sens, et mettent fin à un système de relations, exactement comme dans les monnaies modernes. Le paiement est –comme aujourd’hui – ce qui met fin à l’engagement et à toute obligation de réciprocité.
Il existe aussi un lien entre sacrificateur travaillant pour le crédit des dieux ou le rétablissement de la paix et mercenaires qui, plus tard, seront payés par l’Etat. Dans les sociétés primitives, le paiement du sacrificateur (mercenaire) est le fait de la communauté et ne concerne que quelques personnes. Plus tard, l’Etat constitué prenant la forme du souverain, assurera le paiement du service de la guerre à un nombre considérable de mercenaires, paiement avec ce qui sera bien davantage – nous le verrons – de la monnaie moderne.
Un couple potentiel mais encore bien séparé : le stade de la monnaie anonyme.
Un certain « désenchantement du monde »[5]interviendra avec les premières civilisations qui introduiront souvent les tyrans et la problématique de l’Etat.
Si les sociétés primitives permettent de parler de paléo- monnaies, les premières civilisations permettent, bizarrement, de parler de « monnaies anonymes »[6]. Dans ce type de monde l’endettement envers les dieux s’est scindé et s’est partiellement muté en endettement envers les princes, ce qui fait naitre le politique et l’Etat et ce qui transforme, au moins partiellement le sacrifice en impôt envers lui.[7] Tout au moins, s’agissant de l’Orient ancien (entre 2500 et 539 AJC), il existe déjà un échange marchand avec des monnaies qui sont davantage que des monnaies locales, car leur espace de circulation est probablement plus vaste, et sont assez probablement réserves de valeur. Mais ces monnaies sont aussi moins que des monnaies locales, en raison de leur caractère beaucoup plus anonyme. Ces monnaies sont en effet composites et faites de métaux divers : or, argent, électrum[8], cuivre, bronze, étain, etc. Mais surtout ce qui est échangé, est souvent des morceaux découpés de métal, et ce sans trace d’une autorité quelconque, et par ailleurs sans trace visible d’une émission organisée. Cela signifie probablement que l’émission était plurielle, au moins au tout début de la période considérée.[9] Donc à priori peu ou pas de traces d’un ordre transcendant divin ou politique imprimant à ces monnaies la matérialisation d’une totalité sociale.
Ce fait, confirmé par toute l’école historique française est assez intrigant lorsque l’on connait la suite de la glorieuse aventure du couple monnaie - Etat. Comme si, l’Etat en formation avec ces premiers représentants, n’avait pas immédiatement pris conscience de tout l’intérêt qu’il y avait à lier son destin à celui de la monnaie. Si l’on tente toutefois de se situer dans les conditions de l’époque, il n’était probablement pas évident de prendre conscience que le contrôle d’un outil qui n’est pas encore construit, pouvait être un apport décisif dans la consolidation de l’Etat.
Pour autant, ces monnaies anonymes vont progressivement se transformer et concourir grandement à l’affermissement du phénomène étatique. Parce que les monnaies anonymes sont réserve de valeur, elles deviennent particulièrement attrayantes pour les pouvoirs dont la reproduction et la survie sont consommatrices d’un objet réserve de valeur. Les guerres entre Etats en formation sont assez naturellement productrices et consommatrices de monnaies anonymes : il faut financer des armées avec d’autres moyens que des monnaies locales ou paléo- monnaies, accaparer des richesses dont la liquidité est la plus grande possible, se préparer – en cas de défaite – à payer sous la forme acceptée par le vainqueur. Tout concoure par conséquent à l’élection progressive de la monnaie anonyme comme objet de pouvoir, objet politique qui est aussi pourtant un objet économique.
Fondation du couple monnaie/ Etat et émergence des paléo banques centrales.
Fonction réserve de valeur et parfaite liquidité progressent encore si l’Etat en formation impose le règlement de tout ou partie des créances qu’il s’octroie- par la violence de son système fiscal- dans la monnaie de son choix. Nous ne sommes plus très loin du cours légal qui va permettre « le circuit du Trésor »[10], c’est-à-dire un système qui va assurer la solvabilité des Etats en formation.
La monnaie anonyme devient ainsi potentiellement monnaie souveraine, qualité qu’elle va acquérir lorsque les princes inscriront sur des rondelles appelées pièces de monnaie des symboles confirmant leur pouvoir politique. Ce sera le cas de Cyrus et de Darius, rois de Lydie au 6ième siècle av.jc.[11]
La monnaie souveraine moderne exprime ainsi une forme de dégradation de la monnaie. Beaucoup moins holistique que celle de la communauté ‘Aré’aré étudiée par Daniel de Coppet, elle est néanmoins fondamentalement hiérarchique et devient manipulable pour celui qui la contrôle.
La monnaie moderne continuera à exprimer le tout de la société, mais le réseau qu’elle va constituer et que l’économiste peut ne lire que sous l’angle du monopole naturel, relève surtout de l’affirmation du pouvoir du prince, pouvoir qui s’exprime dans un espace géographique délimité par des frontières. Le réseau, espace censé minimiser les coûts de transaction, est politiquement défini et s’arrête aux frontières politiques. Et ce n’est pas pour la fluidité des transactions que l’on crée le réseau, mais au contraire pour assurer une meilleure emprise politique sur un espace que l’on aura délimité, espace lui-même modifié par le résultat des guerres avec des souverains voisins. Frontières monétaires et frontières politiques vont ainsi largement se recouper.
Les Etats en formation se consolident en devenant aussi les premiers banquiers centraux. Si le métal frappé est richesse, alors il faudra le fabriquer, ce qui suppose le contrôle de mines de métal et le travail du minerai jusqu’à l’atelier de production des pièces. Mines et Hôtels des monnaies deviennent ainsi les premières banques centrales, des institutions qui ne sont pas séparées du politique et du Trésor correspondant. C’est que le contrôle de la production et de la circulation monétaire apporte un surplus de capacité prédatrice gigantesque pour le politique qui, jusqu’ici, se contentait de ses créances au regard d’une population souvent esclave, ou de prélèvements en nature sur les activités domestiques. L’édification de la monnaie moderne est donc aussi consolidation d’un Etat dans les premiers âges de son histoire. Et ces premières banques centrales que sont les organes du contrôle monétaire ne connaissent pas de division du travail, la monnaie (« nomisma ») est affaire de droit et de loi (« nomos ») laquelle va donner ou retirer la dénomination de l’étalon et le « dokimon » c’est-à-dire le cours légal. Il sera alors plus ou moins aisé de changer la loi[12] et de gagner au change entre ancienne et nouvelle monnaie, ce que verra rapidement le tyran Hipias, fils de Pisistrate. Il sera aussi facile de jouer sur « l’Aloi » c’est-à-dire les contenus métalliques, de jouer sur le poids, sur le titre, mais aussi sur la composition du cocktail de métal de l’électrum, monnaie justement choisie en raison de la difficulté technique à déterminer le contenu métallique.[13] Bien évidemment la frappe elle- même est sujette à prélèvement, taxes de brassage et plus tard de seigneuriage sont les outils classiques de prélèvement, outils auxquels viendront s’ajouter des taxes de change sur les marchands qui s’adonnent à des activités « internationales ».
Le holisme institutionnel, qui fait que l’espace monétaire et l’espace juridique sont juxtaposés, sait toutefois être libéral, et les Etats conquérants peuvent laisser chez les peuples conquis les anciennes monnaies, ce qui entrainait l’émergence d’espaces pluri monétaires souvent hiérarchisés. Les avantages étaient évidemment politiques, les conquis conservant une certaine dose d’autonomie et le sentiment de n’avoir pas trop perdu. Assez rares furent les tentatives d’union monétaire et nous ne savons que fort peu de choses sur leur concrétisation.[14]
L’ordre monétaire est un ordre politique, fondamentalement hiérarchique, et donc constitutif d’une réalité sociale communautaire. Simplement, il faut rappeler que cette monnaie moderne qui fait son irruption au Moyen- Orient et en Chine à peu près à la même époque est déjà une monnaie dégradée. Dégradée parce que les princes vont la manipuler, mais aussi parce que ces mêmes princes sont déjà dans une situation de perte de monopole lorsqu’ils ne frappent plus « leur métal », mais celui dont ils ne sont plus les propriétaires : des marchands propriétaires de lingots peuvent les transformer en pièces dans les hôtels des monnaie, voire leurs propres banques . Parce qu’il existe dans les interstices de la société un ordre marchand plus égalitaire, les princes qui continuent à poser leur marque sur le métal réaffirment l’unité d’une communauté, mais une communauté qui cherche aussi à affaisser l’ordre hiérarchique.
Les Etats voient dans la hiérarchie, en particulier monétaire, la pérennisation de leurs « créances » sur l’ensemble humain qui leur est soumis. Les sujets les plus utilisateurs de monnaie, c’est-à-dire les marchands ou les banquiers, ne voient dans cette hiérarchie qu’une contrainte pratique permettant la circulation des marchandises. Pour les deux partenaires la hiérarchie monétaire est un moyen mais la fin est autre, les uns- les Etats- visent un monde vertical ; les autres, les marchands sont en quête d’horizontalité[15].
C’est cette conjonction des contraires[16] qui va marquer le dé- enchâssement des banques centrales primitives et leur progressive autonomie, voire indépendance.
Querelles de couple et émergence des prés banques centrales.
Une nouvelle dégradation de la monnaie résultera beaucoup plus tard de l’irruption de nouvelles formes monétaires, en particulier la monnaie fiduciaire émise librement par les banques.
La monnaie moderne métallique doit se multiplier pour assurer la puissance des princes, mais aussi celle des marchands soucieux de faire progresser les volumes échangés de marchandises. L’abondance monétaire est donc nécessaire…..mais souvent contrariée en raison de sa fonction « réserve de valeur ». C’est que la monnaie qui doit circuler doit aussi être thésaurisée[17] à des fins d’épargne. Sans banques centrales primitives chargées de nouvelles mines de métal, ou ne pouvant dépasser les limites socialement tolérées de la dilution – l’ancêtre de la planche à billets- Etats et marchands sont bloqués dans leur ascension. Ascension du pouvoir politique d’un côté, ascension du pouvoir économique de l’autre.
En la matière les banquiers éloignés du pouvoir ont mieux réussi que les Etats qui vont souvent se heurter au mur de la dette publique et à ses tentatives catastrophiques de contournement par ces nouveaux moyens de dilution que fut le papier.
L’un de ces contournements est la création de substituts de mines de métal ou de pré banques centrales dont le modèle fut peut - être le système de Law dans la France de la Régence. Quand la Banque générale, fondée en 1715, devient nationalisée pour devenir Banque Royale titulaire de privilèges considérables et qu’elle se met à émettre massivement des billets d’Etat pour payer les créanciers de la monarchie, elle devient de fait un institut d’émission, un prêteur en dernier ressort. Curieusement cet institut d’émission qui permet de régler les dettes et que le Trésor accepte en paiement des créances pour maintenir son « circuit » se trouve fortement contesté par les banquiers privés qui voient dans cette institution une concurrence inacceptable pour leur débutante et encore timide émission monétaire.[18]
C’est que pour de nombreux banquiers, la marche vers l’horizontalité et l’indépendance vis-à-vis des Etats passe par l’émission monétaire privée. Commencée avec l’invention au moyen –âge de la lettre de change, elle se poursuit dans les banques de « villes –Etats » comme Venise et plus tard dans celles de l’Europe du Nord dans le cadre de ce qui est déjà un système à réserves fractionnaires.
Une question difficile est celle du passage à ce dernier système alors même que dans la tradition, et ce depuis la fondation des Etats, le principe du 100% de réserves était scrupuleusement respecté, et surtout imposé dans le « corpus juris civilis ». Les ultra-libéraux traitent rapidement cette question en postulant que les réserves fractionnaires se sont imposées sur la base d’un accord mutuellement avantageux entre Etats et banquiers. les seconds devenant l’équivalent des vieux Etats capables eux- aussi d’émettre de la monnaie et de bénéficier d’un seigneuriage qui sera tout simplement le taux de l’intérêt, toujours interdit, mais de fait de plus en plus toléré. Et les Etats seraient eux- aussi gagnants, car en concédant ou partageant leur privilège de battre monnaie, ils seraient payés de retour par l’achat par les banquiers de dette publique à partir des dépôts bancaires. [19]
Il est difficile de trouver dans l’histoire les traces d’un tel accord, mais il est toutefois exact qu’une collaboration va se créer entre les tenants de la verticalité (le politique) et ceux qui recherchent l’horizontalité (la finance).
Cohabitation raisonnable et naissance de la Banque centrale moderne
La loi d’airain de la monnaie continuant de sévir en raison du développement du capitalisme, il viendra immanquablement un temps où les Etats et les banquiers chercheront à renouveler sur une base élargie l’accord antérieur.
Les émissions monétaires privées doivent revenir sur un principe de centralité et les Etats ont intérêt à définir eux- mêmes la dénomination et le cours légal d’une monnaie dont ils acceptent l’utilisation au titre du règlement de leurs créances, notamment fiscales. Ils ont aussi intérêt, sans doute après de nombreuses expériences malheureuses,[20] à émettre de la monnaie au même titre que les banquiers. Ils ont même intérêt à donner un monopole d’émission à une structure qu’ils peuvent créer, et bénéficier directement d’une part de marché croissante dans la création monétaire. C’est ce que fera Bonaparte avec la création de la Banque de France dont il sera lui-même actionnaire, et à laquelle il donnera un monopole régional d’émission de billets. Un tel monopole permettrait aux Etats de retrouver l’abondance financière et cette fois de façon quasi illimitée[21].
Mais, simultanément, les banquiers engagés dans le système des réserves fractionnaires, ont intérêt à fixer un point d’ancrage solide à leurs activités de création non planifiées et donc possiblement désordonnées. En particulier, avec le développement du capitalisme, doit se développer un nécessaire marché du crédit inter bancaire, non dépourvu de risques au cas où une banque en viendrait en raison d’émissions excessives à faire faillite. Bref, il faudrait mettre en place un système assurantiel. Système assurantiel en monnaie légale, que les Etats peuvent fournir par le biais de l’institut d’émission qu’eux-mêmes souhaitent mettre en place.
La banque centrale moderne couplée à la monnaie non métallique moderne doit logiquement voir le jour. Ce sera chose faite entre la fin du XVII siècle et le vingtième[22].
Il s’agit d’un compromis entre verticalité (les Etats) et horizontalité (les banquiers).
En étendant le monopole de l’émission étatique – la monnaie légale- sur l’ensemble du territoire du souverain et en acceptant la transformation de la monnaie de banque en monnaie légale, les Etats se donnent les moyens d’un circuit du Trésor bien alimenté par ce qui va aussi devenir la possible planche à billets. En retour, la Banque jouissant du monopole de l’émission de monnaie légale, garantit la bonne circulation et la bonne transformation de toutes les monnaies de banques entre elles, et de toutes les monnaies de banques en monnaie légale. La banque ainsi appelée Banque centrale sert de point d’appui à une possible double émission monétaire : le système des réserves fractionnaires et son fameux multiplicateur du crédit d’une part, et l’émission de monnaie légale au profit du Trésor, d’autre part. Il s’agit bien d’un accord mutuellement avantageux. Les banquiers peuvent potentiellement augmenter considérablement leurs profits en bénéficiant d’effets de levier que l’on ne trouvera dans aucune autre branche d’activité. En retour, les Etats sont beaucoup moins contraints par la question de la dette et ne limitent la planche à billets, que sous la pression de la possible baisse de la valeur externe de la monnaie souveraine.
Le compromis entre horizontalité et verticalité pourra se lire jusque dans le fonctionnement concret des Banques centrales, lequel va souvent apparaitre comme mi- privé mi- public alors même que le statut juridique est soit, au choix pourrions-nous dire, complètement privé – cas américain par exemple- ou complètement public – cas français. De fait, il s’agira toujours d’une collaboration. Alors que la Banque centrale dispose de prérogatives de puissance publique et qu’à ce titre elle se trouve soumise à l’Etat, elle peut en effet être complètement privée et parfois émerge sur la base des exigences des banquiers. Ainsi la FED est fondée en 1913 sur la base de la volonté des Morgan et des Rockefeller et se trouve être une association de banquiers privés.
Le compromis est bien sûr instable et se trouve aussi fortement orienté par les valeurs et cultures des peuples dans lesquelles baignent ces banques centrales modernes. La verticalité peut se faire implacable à certains moments, notamment au cours des deux guerres mondiales. Sans revenir juridiquement sur l’autorisation des réserves fractionnaires, il est possible pour l’Etat en guerre,[23]d’envisager une législation d’exception : achats obligatoires de bons du Trésor, planchers de titres publics etc. De fait, la mise en place de banques centrales peut, selon les circonstances et les histoires nationales, se faire beaucoup plus qu’un simple dispositif assurantiel pour les banques et devenir un outil de « répression financière », selon l’expression souvent consacrée au cours de la longue période qui précède le mouvement vers l’indépendance des banques centrales.
L’écrasement de la verticalité et la naissance de la banque centrale indépendante.
Si la verticalité peut se faire implacable en raison des circonstances précédemment exposées, elle peut à d’autres moments et en d’autres circonstances se trouver phagocytée par l’horizontalité. L’accord politico- financier faisant émerger les banques centrales pose en effet le problème du partage des gains à l’échange[24].
Dans le cas des périodes de guerres mondiales, les Etats ont pu imposer avec leurs banques centrales une totale répression financière, ces dernières ne fonctionnant qu’à leur seul profit.
En revanche dans la phase présente dite de mondialisation, il est des forces qui feront que les gains à l’échange seront totalement absorbés par les banquiers, voire même en viendront à pénaliser les Etats. Ces forces sont celles qui vont porter au plus haut niveau possible l’indépendance des banques centrales.
Il est inutile de rappeler le contexte général de contestation du corpus théorique dominant , clairement la théorie keynésienne, qui va débuter à la fin des années 60 et au début des années 70. Le nouveau cadre, sans doute hétérogène et qui va des nouveaux classiques aux ultra-libéraux, est d’abord celui de la contestation de l’Etat dans les prérogatives économiques qu’il s’était octroyé dans la période antérieure.
Cette contestation ne concerne pas uniquement la souveraineté sur la monnaie et débute par l’émergence massive d’autorités administratives dites « indépendantes » chargées d’assurer la régulation d’un secteur. Le terme de régulation étant employé pour Co- contrôler une activité dans le cadre d’un partenariat que l’on peut qualifier de « politico- économique » avec, de fait, une répartition des pouvoirs allant parfois jusqu’à l’abandon des outils de la contrainte publique. Ces autorités encore peu nombreuses en France – environ une quarantaine – le seront bien davantage dans un pays comme l’Allemagne où une tradition ordo- libérale est installée.
Dans ce contexte, les banques centrales qui s’étaient dans nombre de pays affranchies
de la loi d’airain de la monnaie vont être critiquées dans leur fonctionnement par les nouveaux paradigmes économiques : monétarisme, anticipations rationnelles, etc. Le tout débouchant sur la contestation organisationnelle de banques centrales dont l’indépendance souvent proclamée laissait toutefois assez peu de place à l’autorité des gouverneurs[25]. La stagflation des années 70 fera des banques centrales des boucs émissaires et une profusion de travaux théoriques et économétriques viendront recommander l’indépendance complète, et, au-delà, la surveillance de gouverneurs dont il faudrait vérifier leur forte aversion pour l’inflation. Il serait impossible dans le cadre d’un article aux ambitions plus vastes d’évoquer l’intégralité de ces travaux et bornons nous à citer les auteurs les plus connus : Sargent, Wallace, Alesima, Summers, Grill, Masciandaro, Tabellini, Kydland, Prescott, Barro, Gordon, Rogoff, Blinder, Walsh, Taylor.
Le résultat essentiel de la marche vers l’indépendance fut le passage du « mode hiérarchique » au « mode marché » de gestion de la dette publique. En utilisant le langage du célèbre article de Coase[26], les Etats sont passés du « make » au « buy ». Ils ne peuvent plus fabriquer la monnaie dont ils ont besoin et se mettent à emprunter sur les marchés. Les banques centrales peuvent alimenter voire doper le multiplicateur du crédit autorisé par le système des réserves fractionnaires, mais ne peuvent plus prêter aux Etats.
Les conséquences de la séparation radicale entre banques centrales devenues indépendantes et Trésors, ont déjà été développées[27]. Rappelons-les brièvement.
Il y a tout d’abord privatisation de la planche à billets et l’effet d’éviction - contrairement à des propos infondés - peut être mis aux oubliettes puisque les financements des déficits ne sont pas accaparement d’une épargne. Ainsi les déficits publics viennent alimenter des comptes bancaires que l’on trouve au passif des banques en contre partie des titres publics que l’on trouve à l’actif.
Il y a ensuite mécaniquement un passage de l’inflation à la dette avec la conséquence très mécanique que les actifs financiers cessent de se dévaloriser, peuvent par conséquent se multiplier et venir alourdir considérablement le bilan des banques qui, en contrepartie, pourront jouer sur des effets de levier en continuelle croissance[28]. Nous avons là la tendance à la financiarisation de l’économie alors que l’inflation précédente favorisait les placements dans l’économie réelle. La répression financière possible dans l’ancien modèle de banque centrale faisait que le commerce des promesses était muselé, il pourra désormais exploser.
Il y a surtout le fait que, désormais, une rente sur effets publics qui- plus tard- viendra possiblement attaquer les compartiments « Etats-providence » des Etats avec début d’un accroissement des inégalités aussi favorisée par la mondialisation.
Nous pourrions longuement évoquer les conséquences de l’indépendance, conséquences que nous avons présentées, dans l’ouvrage déjà cité comme nouveau logiciel exprimant un nouvel état du monde.
Au terme de ce premier examen tentant d’expliquer la naissance, le développement et les métamorphoses des banques centrales, il est possible de proposer une définition permettant de saisir l’essence de cette réalité changeante au cours d’une très longue histoire :
« Les banques centrales sont des institutions logées dans l’interface entre pouvoir financier et pouvoir politique et chargées d’exprimer le rapport de forces entre les deux par des actions concernant la circulation monétaire, la monnaie elle-même et la dette. La position relative des deux pouvoirs : absorption plus ou moins complète de l’un par l’autre, séparation / opposition radicale, coopération mutuellement avantageuse, servitude volontaire, etc., est la source ultime de la compréhension des faits monétaires et un outil indispensable pour connaitre les états des rapports économiques, politiques et sociaux dans le monde. Connaitre les règles de fonctionnement des banques centrales c’est ainsi s’ouvrir sur la connaissance du logiciel qui dit des choses essentielles sur une société concrète ».
L’indépendance des banques centrales aujourd’hui est donc l’expression d’un rapport de force très favorable au pouvoir financier, l’horizontalité étant grandement victorieuse dans sa lutte contre la verticalité. Pour autant, il est possible d’affiner l’analyse et la victoire de la finance n’est pas la même partout. Il est ainsi évident que la Banque Centrale allemande ne fonctionne pas selon les mêmes règles et pourrions-nous dire, croyances, que la Banque centrale américaine. C’est que les nouvelles banques centrales, même d’une certaine façon normalisées dans le grand bain de la mondialisation, restent enracinées dans des cadres culturels, voire idéologiques, qui sont très largement restés nationaux.
A ce titre nous voudrions montrer que ces cadres joueront probablement un très grand rôle dans les métamorphoses futures des banques centrales.
L’Introduction de paradigmes culturels dans le fonctionnement des Banques centrales indépendantes.
Le choix du modèle allemand de banque centrale qui s’est partout imposé à la fin du siècle dernier, fut facilité par la commune croyance en un nécessaire devoir de lutte contre l’inflation. Cette dernière très importante dans les années 70 était attribuée aux largesses de la politique monétaire que – selon la théologie monétariste de l’époque - les Etats pratiquaient sans modération. De ce point de vue, le dessaisissement radical de la gestion monétaire au profit d’une banque centrale indépendante, organisme simplement soumis au maintien de la valeur de la monnaie, est apparu comme modèle et modèle dont nous venons d’expliquer les principes de fonctionnement.
Aujourd’hui, les difficultés d’une mondialisation intimement liée aux causes profondes de la crise en termes réels[29], questionnent le bel unanimisme. Mais surtout, la guerre des monnaies qui semble s’amplifier, passe par l’examen des racines culturelles nationales, paramètre oublié au moment du grand basculement vers l’indépendance.
Dans ce grand mouvement, les racines culturelles - ou « l’atmosphère sociale » au sens de Marc Bloch - furent mises à l’écart des raisonnements économiques. Sans entrer dans la complexité des cultures, il semble que les racines en question, concernent au moins trois grandes conceptions de la liberté : l’anglo-saxonne, la française et, peut- être plus intermédiaire mais néanmoins fondamentale, la conception allemande.
Les deux premières sont assez radicales et très radicalement opposées.
L’anglo-saxonne fait de la liberté une dépendance de la propriété qui, selon la loi naturelle de Locke, est elle-même un bouclier au regard des agissements d’autrui. Je ne suis libre que si je dispose de droits de propriété eux-mêmes négociables sans restriction sur un marché. On comprend, par conséquent, que l’idée de société n’est pas centrale, cette dernière s’analysant d’abord sous la forme d’une somme d’individus dont il faut simplement protéger les droits de propriété. Cela signifie la centralité d’un marché où l’interaction sociale génère des situations concrètes -des résultats économiques- censées justes si les règles de la justice procédurale au sens de Nozick sont respectées[30]. Clairement, cela signifie qu’un Etat ne saurait intervenir dans l’interaction sociale au nom d’un intérêt général, intérêt qui ne peut exister que sous la forme d’une croyance ou « production idéologique » d’importance secondaire. De fait, pour un anglo-saxon, l’intérêt général se ramène à la liberté qui, elle-même,autorise le « rêve américain ».
La conception française est fort différente et la liberté ne passe pas par le bouclier de la propriété, laquelle ne jouit pas d’une importance première malgré les soins que la Révolution et les libéraux du XIXème désiraient lui prodiguer. Perte de prééminence qui a pour corollaire, une place assez secondaire réservée à un marché devenu souvent objet de méfiance. Qualité bien analysée par Jean Pierre Dupuy dans son récent texte: "La France et le marché: les sources philosophiques d'une incomatibilité d'humeur". Ce qui compte en France est bien davantage la position jugée honorable de chacun dans la société, laquelle est sans doute faite d’individus, mais des individus qui se regardent et observent, avec attention toute particulière, leur position relative sur l’ensemble de l’échiquier social[31]. Cette caractéristique va jusqu’à s’inscrire dans l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen laquelle précise que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Dans la conception française, la « justice résultat »[32] au sens de Nozick compte beaucoup et correspond à l’idée d’un intérêt général. En revanche, la justice procédurale est assez secondaire et correspond aux conséquences d’une position non centrale accordée à la propriété.
La conception allemande est, de fait, une position intermédiaire, assez complexe, qui tente un dépassement des deux premières. C’est, précisément, ce dépassement théorisé à partir de Kant et plus tard par les théoriciens de l’ordo libéralisme ( W. Eucken, W. Röpke , F. Böhm, etc.)[33] qui fera de la liberté une réalité qui ne peut s’épanouir que dans une certaine soumission à la société, soumission valorisée sur la base d’une égale participation aux décisions communes. Il y a du holisme dans la tradition allemande, un holisme qui lui-même provient d’un romantisme construit sur le rejet de la Révolution française. Mais le holisme est contrebalancé par une méfiance au regard d’un Etat que l’histoire condamne non pas en tant qu’Etat fort, mais en tant qu’Etat incapable d’assurer la commune liberté. Bizarrement, l’Etat doit être fort pour assurer sa mission de neutralité et de construction d’un intérêt général.
La liberté allemande passe par la propriété, davantage que dans la loi française et moins que dans la loi américaine. Elle passe aussi par le respect des droits individuels moins que dans la société américaine et davantage que dans la société française. Tout cela conduit à un ordre du marché, peut-être moins échevelé que l’américain mais sans doute plus libéral que l’ordre du marché français.
Ordo libéralisme allemand et indépendance radicale de la Banque centrale
Il se trouve que cette représentation du monde fut aussi théorisée pour justifier l’ordre économique et monétaire en Allemagne, et justification non exempte d’ambiguïtés, qui aboutira à la conception allemande de la banque centrale.[34]
L’ordo libéralisme allemand, sous-produit d’une histoire pluri- séculaire, n’est pas facilement compréhensible. Son point de départ est à priori proche de celui des libéraux qui considèrent que l’interaction sociale se doit d’être le fait d’individus responsables de leurs choix. Pour autant, proches de « l’ordre spontané » Hayékien[35], les auteurs de l’école de Fribourg considèrent que le marché génère aussi des situations de monopole et des rentes incompatibles avec un intérêt général.
Il existe donc un intérêt général qui, toutefois, n’est pas « l’optimum » que l’on rencontre dans la théorie néoclassique, laquelle ouvre la voie à la présence d’un Etat parfois chargé d’y conduire. A l’inverse, l’Etat pouvant lui-même introduire des inégalités, les théoriciens préfèrent parler d’une Constitution de l’économie, c’est-à-dire un ensemble de règles analogues à celle des Constitutions politiques, règles qui s’imposeront à l’Etat comme s’impose à lui la norme juridique la plus élevée.
On peut évidemment douter de l’émergence de règles encadrant aussi bien les choix individuels que les choix politiques et règles censées générer un intérêt général qui ne fait pas l’objet d’une définition précise[36]. Et ce doute est bien évidemment renforcé par la présentation de l’essence des Banques centrales que nous venons d’identifier. Par contre, dans la conception, voire dans l’idéologie allemande, il importe de voir que la Constitution de l’économie, intègre une composante monétaire dont la réalité est de créer un ordre qui, là aussi, dépasse et encadre les choix individuels et politiques.
Bien évidemment, la vision de la monnaie ne peut qu’être normative et les théoriciens de l’ordo libéralisme, ne cherchent pas à produire une définition de la monnaie ou des banques centrales au travers d’une démarche cognitive. Et donc, la monnaie issue d’un projet complètement normatif, devra être sanctuarisée et ne pourra faire l’objet d’aucune manipulation privée ou publique. Sans doute est- elle juridiquement définie, donc définie par l’Etat au sens du néo chartalisme, mais elle est indépendante des pouvoirs politiques, comme l’ensemble du corpus juridique qui, constitutionnellement, s’impose à l’Etat lui-même. De la même façon que l’Etat est le serviteur des règles juridiques qu’il impose et à ce titre se doit de respecter l’indépendance de la justice, il doit aussi respecter la monnaie dont il assure la définition et le cadre de fonctionnement, en s’interdisant de l’utiliser à son profit sous la forme d’un crédit. Nous retrouvons ici la subtilité allemande d’Etat suffisamment fort pour ne pas tomber dans les facilités.
Si donc, la sanctuarisation passe par une banque centrale chargée de contrôler la création monétaire classique par des banques insérées dans le marché du crédit, l’Etat ne saurait lui-même être « consommateur » de sa propre monnaie sous la forme d’un emprunt auprès de la banque centrale[37]. Etat et banque centrale ne peuvent que vivre séparément, ce qui va conférer à la dite banque une indépendance, avec toutefois comme objectif constitutionnel de bien respecter la sanctuarisation : la monnaie doit être l’instrument de la stabilité des valeurs et donc la banque centrale aura pour objectif constitutionnel de lutter contre toute dérive inflationniste.
Cet aboutissement de la pensée ordo- libérale n’est pas exempt d’ambiguïtés et d’imprécisions et rien ne vient démontrer que « l’économie sociale de marché » qui va concrètement en résulter, est l’outil interdisant l’apparition de rentes que la théorie, encore une fois très normative, voulait combattre. Ainsi la stabilité monétaire est sans doute favorable à l’émergence d’une classe de rentiers dont les intérêts entrent en contradiction avec les groupes exportateurs, voire les salariés. Et c’est bien la rente financière qui va devoir être intégrée dans la gestion planétaire de la grande crise. Encore une fois la répression financière imposée à l’Etat - interdiction d’une rente monétaire pour ce dernier - peut devenir liberté d’épanouissement pour les rentiers privés.
Gestion de la grande crise et contestation planétaire du paradigme allemand de Banque centrale.
La fin du siècle dernier qui voit le grand mouvement d’indépendance des banques centrales, correspond de fait à la victoire du paradigme culturel allemand[38], paradigme qui ne correspond pas exactement, ni au paradigme anglo-saxon ni au paradigme français. Et la gestion de la présente grande crise a pour effet très visible de faire réapparaitre, au-delà de la fiction d’une norme devenue mondiale, les différences culturelles concernant la façon de concevoir la liberté.
C’est le monétarisme américain[39] qui a aidé l’ordo- libéralisme allemand à dessiner les contours des banques centrales du monde à la fin du siècle dernier. Et, à l’époque, la grande peur de l’inflation a fait des Etats les grands boucs émissaires. Dans ce vaste mouvement, les différences culturelles fondamentales furent oubliées. La grande crise les fait réapparaitre et cette fois possiblement au détriment de l’Allemagne qui devra choisir entre la fin de son ordo libéralisme et sa sortie de la zone euro.
Les banques centrales anglo-saxonnes, au beau milieu de la grande crise, ne sont pas soumises à la normativité ordo libérale. Liberté, propriété et marché ne connaissent pas de limite venant les surplomber. Que le marché dans son fonctionnement débouche sur des situations de monopole et de rente ne gêne que si des droits fondamentaux ne sont pas respectés. Sans doute la hausse des prix est-elle une variable importante, mais la monnaie n’est en aucune façon sanctuarisable. Et comme le tout marché l’emporte dans la genèse du ciment social, la vraie contrainte est davantage un niveau d’emploi compatible avec la cohérence sociale. Les gestionnaires de la banque centrale américaine ne peuvent ainsi se couvrir des habits de l’ordo- libéralisme et doivent ajouter une dimension croissance et emploi à leur feuille de route[40]. L’intérêt général se ramenant pour l’essentiel au « rêve américain », la création monétaire massive n’est pas rejetée si elle a pour vertu de maintenir le rêve. Ajoutons que s’agissant des USA, aucune contrainte monétaire extérieure ne s’impose, ce qui signifie une grande liberté dans la création de monnaie. Liberté aujourd’hui complètement assumée pour tenter d’éteindre l’incendie de la crise[41].
La banque centrale française est bien évidemment plongée dans le système européen de banques centrales et, de ce point de vue, l’Etat qui lui correspond, sera de plus en plus tenté de cesser l’aventure ordo libérale. Les rentiers ont massivement profité de ce qu’on a appelé la fin de la « répression financière », mais, parce que dans la tradition française la liberté ne se réduit pas à la propriété et au marché, c’est dans ce dernier pays que la rente financière prend les risques les plus importants, d’où l’attachement considérable des milieux qui en profitent à ce qu’on appelle le « couple franco-allemand ». La banque de France, devenue objet étranger dans son propre pays, sera de plus en plus soumise à de très fortes contraintes impulsées par la crise et la tradition culturelle française.
Mais l’Allemagne elle-même, sera contrariée dans sa tradition culturelle. Déjà le comportement de la BCE n’est plus en accord avec la grande tradition ordo-libérale[42]. Alors que, naguère, la banque centrale, qu’elle soit européenne ou simplement allemande, se devait d’être l’équivalent d’une cour suprême ou d’un conseil constitutionnel veillant à la sanctuarisation de la monnaie - exactement comme le principe d’indépendance de la justice et de respect du droit - la BCE est devenue dépendante d’intérêts privés et publics : le système bancaire européen devenu massivement insolvable, qu’il faut aider, et les Etats européens eux-aussi insolvables et qu’il faut, au moins de manière détournée, aussi aider.
C’est dire que l’impérium allemand s’est réduit au strict territoire national, territoire lui-même contesté puisqu’il a bien fallu au travers de péripéties fort multiples en arriver à ce que le contribuable allemand soit sollicité pour financer, banques et Etats européens impécunieux[43]. La seule résistance de l’ordo- libéralisme traditionnel n’étant que celle offerte par la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe.
Les racines culturelles allemandes, très gravement perturbées par la crise de l’euro et en même temps solidement confirmées par l’histoire récente du pays peuvent inviter ce dernier à quitter la zone euro. Départ qui, dans un contexte de crise mondiale, peut favoriser la fin de l’idéologie de l’indépendance des banques centrales.
L’avenir ou la possible fin de l’indépendance des banques centrales
Une partie de cet avenir est probablement dictée par la naissance en Allemagne d’un fort intérêt commun entre l’immense et croissante cohorte des retraités, d’une part, et le lobby des industriels eux- mêmes fortement exportateurs, d’autre part. Cet intérêt commun en formation passera par la possible décision allemande de quitter la zone euro devenue potentiellement ruineuse des intérêts nationaux. Proposition qu’il convient d’expliciter.
S’agissant de la cohorte des retraités, celle-ci est gravement contrainte par une falaise démographique de très grande ampleur et à nulle autre pareille dans la zone euro. Les retraites par répartition qui constituent 65% des revenus du groupe considéré sont calculées à partir d’un système de points incluant le paramètre démographique, c’est-à-dire la proportion des actifs dans la population totale. La valeur du point diminue régulièrement avec le gonflement de la pyramide des âges aux tranches les plus élevées, et son amincissement pour les tranches les plus basses. Ce dispositif règlementaire introduit un auto- équilibrage entre prestations et cotisations, mais développe une tendance très lourde à la diminution des pensions qui, elles- mêmes, ne sont en aucune façon indexées sur les prix. Comme le précise un rapport de L’IFRI, si démographiquement la France vieillit, l’Allemagne se fossilise.[44]
Cette situation démographique, historiquement exceptionnelle, est peu compatible avec une crise de l’euro générant elle- même le souhait d’une intégration européenne plus complète. Les retraités allemands ne peuvent accepter d’alourdir leur Etat d’une fiscalité européenne nourrissant les transferts dont les pays du sud ont besoin[45]. Ces mêmes retraités, déjà assurés d’une perte de revenu en raison de la falaise démographique et ne bénéficiant d’aucune indexation de revenu sur les prix courants, ne peuvent non plus accepter les risques réels ou supposés d’une inflation européenne alimentée par le laxisme de la BCE. Cela signifie que dans ce contexte démographique historique, les retraités allemands doivent plutôt logiquement préférer le départ de l’Allemagne et le rétablissement de la monnaie nationale. La montée du taux de change qui en résulterait, dans l’hypothèse d’une neutralité de ses effets sur la « Riester rente »[46], garantirait au moins la stabilité des prix voire même une baisse limitant la baisse du pouvoir d’achat de leurs revenus.
S’agissant maintenant du lobby des exportateurs, les avantages procurés par l’euro sont aujourd’hui grandement absorbés et les coûts pourraient maintenant se développer. Certes, l’euro a procuré et procure encore un taux de change favorable aux exportateurs, et ce en raison des problèmes du sud de l’Europe. Toutefois, après avoir considérablement bénéficié de l’impossible dévaluation des partenaires de la zone, le lobby exportateur désormais gêné par la crise européenne, s’est considérablement redéployé vers les pays émergents. La quasi stabilité de l’excédent commercial depuis 5 ans (environ 190 milliards d’euros) masque une réorientation spectaculaire des ventes vers les marchés extra-européens. Cet excédent qui était aux deux tiers alimenté par l’union européenne en 2007, est aujourd’hui généré aux trois quarts en dehors. Depuis le début de la crise, l’excédent allemand sur l’union européenne a diminué de près de 80 milliards d’euros, et a progressé de plus de 70 milliards hors zone euro. Le lobby exportateur a construit ou développé sa force compétitive au cours des premières années de vie de l’euro. Désormais massivement consolidée, y compris dans sa dimension hors coût, il l’utilise dans sa conquête des marchés émergents.
L’intérêt du groupe des exportateurs aujourd’hui très puissant[47], est beaucoup moins lié à l’euro qu’il ne l’était au début des années 2000. Pour ce groupe, comme pour l’immense cohorte des retraités, le danger du passage au fédéralisme européen est fait de nouveaux prélèvements publics obligatoires. Par contre, la fin de l’euro, a priori défavorable, serait néanmoins compensée par le recours accru au made « by Germany », lui-même résultant d’un nouveau taux de change favorable. Parce que l’Allemagne devient une base d’exportation, elle pourrait en quittant la zone, mieux se servir de sa plateforme européenne en consommations intermédiaires plus compétitives, résultant de taux de change très favorables. Il existe une seconde raison à la consolidation d’une plateforme européenne permettant aux industriels de mieux asseoir leur compétitivité vis-à-vis des marchés émergents : il s’agit là encore de la falaise démographique qui diminue déjà, depuis plusieurs années, l’importance de la population active sur le territoire allemand[48]. Le groupe des exportateurs voit ainsi son intérêt rejoindre celui des retraités. Moment historique assez exceptionnel où les intérêts de la rente et ceux de l’industrie se rejoignent[49].
Ce scénario d’une possible sortie de l’Allemagne est simultanément, confirmation et contestation, du modèle de banque centrale indépendante.
Confirmation de l’ordo-libéralisme pour l’Allemagne qui restaurerait son paradigme culturel menacé. Mais aussi contestation au moins pour l’ensemble des banques centrales européennes, qui soit de façon harmonisée, soit en mode panique, n’auraient plus à respecter des textes, voire des institutions devenues obsolètes. Le coût du changement de la règle, va devenir politiquement léger car l’indépendance des banques centrales va devenir un handicap majeur dans la gestion de la crise. Ainsi l’ensemble des banques centrales européennes libérées du joug de la règle allemande, iraient immédiatement rejoindre le groupe mondialisé des banques centrales qui ont décidé de donner de l’avenir à ce qu’on ne pourra plus appeler « mesures non conventionnelles ».Il en résulterait bien sûr une aggravation de la guerre des monnaies avec rétablissement de la verticalité, puisque les Etats eux-mêmes auraient à gérer des taux de change agressifs.
Il est bien difficile de préciser les contours de banques centrales qui continueraient à se déclarer, et être déclarées indépendantes, tout en n’y étant plus.
Ce qui est toutefois assuré, c’est que la guerre des monnaies étant la repolitisation des taux de change, La politique monétaire cesserait, d’une façon ou d’une autre, d’être privatisée au service des banques. En la matière, la solution la plus hardie, et qui serait probablement la meilleure pour éviter que l’abondance de liquidités débouche sur de nouvelles bulles, serait un accord international visant l’interdiction des réserves fractionnaires, et le rétablissement complet de la souveraineté monétaire. Cela signifierait la création monétaire par les banques centrales sur ordre des Etats correspondants.
Le dispositif pourrait en être le suivant :
Le parlement vote chaque année le volume de monnaie supplémentaire, monnaie légale venant abonder le compte du Trésor.
Le mode marché de gestion de la dette publique disparaissant, la monnaie légale créée est partagée en deux blocs : une partie vient financer à taux zéro les investissements publics[50], tandis que l’autre partie est vendue aux enchères au système bancaire. Les Etats n’ont ainsi plus à payer la rareté monétaire, mais au contraire à en bénéficier sous la forme d’un intérêt payé par le système bancaire.
Le crédit à l’économie réelle privée, est ainsi assuré par les banques acheteuse de monnaie centrale distribuée par l’Etat, et l’épargne privée. Bien évidemment, la nouvelle banque centrale reste responsable du bon fonctionnement du système bancaire. Elle intervient à ce titre sur le marché des changes, pour maintenir des taux redevenus fixes et taux renégociés périodiquement entre les Etats, aux seules fin de maintenir des comptes courants équilibrés. On pourrait bien sûr présenter la nouvelle architecture d’un système politico-financier entièrement nouveau, celle-ci dépassant toutefois le cadre d’un article uniquement consacré aux banques centrales[51].
Pour terminer ce « regard sur les banques centrales » il faut préciser que cet avenir possible de changement des règles du jeu, est aussi le début d’une solution à la grande crise planétaire qui reste fondamentalement une demande globale mondiale insuffisante au regard de l’offre globale mondiale correspondante. Le développement gigantesque du système financier depuis le début du siècle, avec l’économie de la dette qui lui correspond est intervenu pour gommer artificiellement un écart. Dettes privées et dettes publiques furent les bienvenues pour gonfler une demande inadaptée, et la hisser à un niveau suffisant pour assurer l’écoulement d’une offre plus importante[52]. La fin de l’indépendance des banques centrales sera aussi le rétablissement du pouvoir d’Etats invités à reconstruire une toute autre mondialisation.
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[1] Les monnaies virtuelles naissantes (« Bitcoin », « Solidcoin », « Litecoin », « BBQcoin », etc.) plus anonymes encore, et échappant à toute forme de régulation, participent sans doute à ce grand mouvement de dégradation.
[2]« 1,4,8,9,7. La monnaie : présence des morts et mesure du temps » , L’homme Volume 10 , 1970 , N°1. P17-39.
[3] Cf. l’ouvrage : « La violence de la monnaie » de M. Aglietta et A. Orléan , PUF, 1984.
[4] Là aussi on pourra se référer aux travaux de Daniel de Coppet. De fait, la logique de la vengeance meurtrière s’arrête avec le sacrifice par un mercenaire de l’un des membres du groupe meurtrier, membre dont la dépouille est remise au groupe victime contre des perles qui vont arrêter le déchainement de la violence.
[5]Expression attribuée à Max Weber mais très utilisée et reprise dans les travaux du philosophe Marcel Gauchet.
[6]Expression de Georges le Rider dans son ouvrage : « La naissance de la monnaie. Pratiques monétaires de l’Orient ancien », PUF, 2001.
[7]Concernant la nature de l’Etat et son irruption dans la scène humaine on pourra voir : http://www.lacrisedesannees2010.com. En particulier on pourra consulter l’article : « Pour mieux comprendre la crise, déchiffrer l’essence de l’Etat ».
[8]L’électrum est un mélange fabriqué ou parfois naturel d’or et d’argent.
[9] Il existe parfois des traces d’ordre légal ou politique. Ainsi le paragraphe 108 des lois d’Hammourabi (1792-1750 révèle la présence de bureaux des poids, et l’existence de vérificateurs. Nous avons aussi des traces de contrats marchands stipulant que le paiement devait se faire avec du métal marqué d’un sceau.
[10]Expression que l’on doit à François Block Lainé directeur du Trésor après la seconde guerre mondiale.
[11] Sur les premières pièces les symboles pourront encore concerner la religion, voire une nature symbolisée. Plus tard les princes viendront se substituer aux Dieux de manière beaucoup plus directe.
[12] Ce qui était « dokimon » devient alors « adokimon ».
[13] Le travail de « cémentation » correspondait au travail de séparation de l’or de l’argent.
[14] Ce fut le cas de la première confédération de Délos qui dans les années 440 va voir la promulgation d’un décret imposant la monnaie athénienne à toutes les cités confédérées avec fermeture des monnayages locaux. Comme si l’Euro était la monnaie d’un Etat que ce dernier impose à tous les autres de l’Union Européenne.
[15]Problématique qui exprimée différemment, en ayant notamment recours au « Traité de la première invention des monnaies » de Nicolas Oresme, est très bien analysée par André Orléan. Cf. son article : http://www.parisschoolofeconomics.com/orlean-andre/depot/publi/Coppet.pdf
[16] Louis Dumont parlait « d’englobement des contraires » dans ses « Essais sur l’individualisme », Seuil, 1991.
[17] Ce que nous appelons « la loi d’airain des monnaies ». Cf. l’article de Jean Claude Werrebrouck dans le N°34 de Médium, Janvier-février-mars 2013, P 101- 119.
[18] Cf. « Le mercantilisme au XVII ième siècle. Les banques et les billets de monnaie sous la Régence ». Jean Marie Thiveaud , Revue d’économie financière , Vol 50 , 1998 , P 29-53.
[19] Accord insuffisamment démontré avec toute la rigueur attendue. C’est notamment le cas de Hueta de Soto dans son ouvrage : « Dinero, Credito, Bancario y Cyclos Economicos » , Union Editorial , Madrid ,1998.
[20] Dont par exemple celle de Law précédemment évoquée.
[21] Le point de vue ici exprimé est aussi celui du « néo-chartalisme » développé par Knapp en 1924, et plus tard par Lerner dans son article : « La monnaie comme créature de l’Etat ». Pour plus de détails sur le courant néo-chartaliste nous renvoyons à l’ouvrage publié sous la direction de Pierre Piégay et Louis-Philippe Rochon : « Théories monétaires post keynésiennes », 2003, Economica.
[22] Bien évidemment de très nombreux débats et réflexions interviendront avant de stabiliser le système politico financier moderne, par exemple la célèbre bataille entre la « currency school » et la « banking school » qui devait se cristalliser dans l’acte de Peel en Grande Bretagne en 1844.
[23] Pour davantage de précisions on pourra consulter Jean Claude Werrebrouck :« Banques centrales, indépendance ou soumission, Un formidable enjeu de société » , Yves Michel , 2012, P. 57-94.
[24]Problème évoqués dans de nombreux articles de « lacrisedesannees2010.com, et en particulier : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-banques-centrales-independantes-condition-necessaire-de-la-mondialisation-115739303.html.
[25] Cela était notamment le cas en France. On pourra lire à ce titre l’article d’André Orléan « les croyances monétaires et le pouvoir des banques centrales » dans l’ouvrage : « Les banques centrales sont-elle légitimes », Albin Michel, 2008, P 17-35.
[26] « The nature of the firm », Economica, 1937.
[27] Cf. le chapitre 9 : « les banques centrales comme logiciels des états du monde » de « Banques centrales- indépendance ou soumission- Un formidable enjeu de société ; Yves Michel ; 2012.
[28] Nous avons ici le principe d’explication de l’apparition des méga banques à importance systémique, avec en correspondance le développement d’une oligarchie financière à la source de lobbys puissants. On pourra lire à ce propos l’article de Simon Johnson : « les banques ingouvernables » dans le Monde du 1/06/2013.
[29]Concernant l’idée d’un décalage entre offre globale mondiale et demande globale mondiale on pourra lire : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-de-say-comme-obstacle-à-la-lecture-de-la-grande-crise-115527906.html
[30] Robert Nozick, dans « Anarchie, Etat et Utopie » PUF, 1988, parle de justice procédurale pour évoquer le résultat d’un jeu social, que ce dernier soit de l’ordre du simple jeu (échecs, football etc.) ou du jeu économique. A ce titre un résultat est réputé juste si les procédures qui y ont conduit, ont à chaque étape respecté les droits de propriété fondamentaux. Dans cette conception, que le résultat d’un contrat de travail entre un employeur et des salariés amène le premier à s’enrichir considérablement, n’est pas injuste si le contrat dans toutes ces clauses respecte les droits fondamentaux, notamment ceux de la liberté contractuelle et si, bien évidemment, ces clauses ont été respectées durant le jeu.
[31] Ce point de vue est, notamment, celui bien analysé par Philippe d’Iribarne dans « la logique de l’honneur » Seuil 1993.
[32] La justice résultat, à l’inverse de la justice procédurale, apprécie le résultat du jeu pour le déclarer juste ou injuste en fonction d’une simple opinion de justice. La justice résultat n’intervient en général pas dans les jeux traditionnels (Echecs, football, etc.) où seule compte une justice procédurale (les règles du jeu ont-elles été respectées ?) mais elle intervient massivement dans le jeu de l’économie et se trouve être à la base des politiques dites de redistribution.
[33] Ces auteurs sont rassemblés dans ce qu’on a appelé l’école de Fribourg qui a connu ses moments de gloire entre les deux guerres mondiales et plus encore après la seconde pour engendrer ce qu’on a appelé « l’économie sociale de marché ».Mais on peut aussi penser que les prémices de cette pensée se trouvent déjà dans l’œuvre de Friedrich List, en particulier son « système national d’économie politique » qu’il publie en 1841, (Gallimard 1998 pour la dernière édition française).
[34][34] Les développements qui suivent s’inspirent partiellement de l’article d’Eric Dehay : « La justification ordo libérale de l’indépendance des banques centrales », Revue Française d’Economie, Vol 10, N°1 1995, P 27-53.
[35] Cf. notamment l’ouvrage majeur de Hayek : « Droit, Législation et Liberté » PUF, 1985, et particulièrement le tome I où l’auteur développe sa grande distinction entre les ordres spontanés (plutôt le monde anglo-saxon) et les ordres organisés (plutôt l’ordre français). Soulignons qu’il y a eu de nombreux contacts entre les ordo- libéraux allemands et la « Société du Mont Pèlerin » fondée par Hayek après la seconde guerre mondiale.
[36] On pourra ici s’intéresser à des textes dans http://www.lacrisedesannees2010.com, tels que : « Le monde tel qu’il est » (texte du 4 juillet 2011), ou « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat » (texte du 16 février 2010).
[37] Bien évidemment toujours traumatisés par l’hyperinflation de 1922-1923 les allemands font encore le lien entre indépendance et fin de la planche à billets, ce qui pourtant est largement contesté par l’histoire y compris l’histoire allemande.
[38]Paradigme que dénonce le sociologue allemand Ulrich Beck dans son essai : « Non à l’Europe allemande » , Autrement, 2013. Dans ce bref ouvrage, (144 pages), il invite ses compatriotes à ne pas se prendre pour des français et de cesser de croire à l’universalité des valeurs germaniques.
[39]Notamment sous l’égide d’un Milton Friedman qui pourtant était opposé à l’indépendance des banques centrales.
[40] Il en est de même pour le japon dont nous n’avons pas ici présenté le paradigme culturel, mais qui ne sanctuarise pas sa monnaie, ainsi qu’on le constate depuis le début de l’année 2013 avec un programme de doublement de la masse monétaire.
[41] Le programme de rachat de dette publique par la Réserve fédérale se monte à 1000 Milliards de dollars pour la seule année 2013.
[42]Notamment avec les dispositifs LTRO, OMT, ELA et surtout des taux proches de zéro qui finissent par peser sur la rente financière.
[43]Notamment avec le MES et demain avec l’union bancaire.
[44]« Visions franco-allemandes » N° 16, IFRI, 2010. La plupart des simulations font état de résultats saisissants. Ainsi il est aujourd’hui admis que les hommes appartenant aux cohortes nées au début des années 60 bénéficieront – malgré la progression des salaires (cotisés) à long terme - au moment de leur passage à la retraite au cours de la décennie 2020-2030, d’une revenu net ( pension « Riester » comprise, pour ceux qui en disposent) inférieur de plus de 10% de celui perçu par les retraités partis en retraite au début des années 2000. C’est dire qu’en Allemagne la baisse des revenus en euros courants est aujourd’hui programmée.
[45]Transferts évalués par Jacques Sapir à environ dix points de PIB/an pendant 10 ans.
[46] Il s’agit de la retraite complémentaire par capitalisation instaurée par le Ministre Rieste en 2004. Ce complément représente aujourd’hui moins de 30% du volume des retraites. On peut évidemment débattre des conséquences d’une sortie de l’Allemagne sur sa dette publique et les taux qui lui sont associés, matières premières de nombre de produits financiers que l’on trouve dans les fonds de pension. Il est toutefois difficile d’y apporter un éclairage clair et incontestable.
[47] Puissance très appuyée par le syndicat de la Fédération des industriels allemands ( BDI) ou celui de la Fédération du commerce extérieur allemand, et puissance très écoutée du ministère allemand de l’économie.
[48] La population des 20-60 ans va passer de 45,48 à 43, 3 millions entre 2010 et 2020 et ce compte- tenu d’un solde migratoire net estimé à 200000 individus/an. De ce point de vue l’exceptionnel solde migratoire de 369000 personnes en 2012 est une bonne nouvelle…compensée par des informations catastrophiques résultant du recensement de 2011.Ajoutons que le Japon , et son industrie, se trouvent dans la même situation avec une réponse toutefois différente, les salariés des lignes d’assemblage sont maintenant de plus en plus remplacés par des humanoïdes alors que l’industrie allemande continue de délocaliser.
[49] A cet intérêt commun entre le groupe des retraités et le lobby exportateur il faut ajouter le risque majeur provoqué par les balances « TARGET2 », lesquelles correspondent à des stocks croissants de créances douteuses sur les pays du sud et créances détenues par la Bundesbank. TARGET2 dépasse le champ de la présente étude et on pourra se reporter sur l’article de Pierre Jean Raugel sur le sujet : http://www.latribune.fr/getFile.php?ID=6914910
[50] Il ne saurait évidemment être question de financer le budget courant par de la création monétaire…comme cela se fait aujourd’hui lorsque les banques créent de la monnaie pour acheter de la dette publique.
[51] On trouvera davantage de détails dans : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-pour-une-revolution-du-systeme-monetaire-101497488.html.
[52] Cf. l’article : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-de-say-comme-obstacle-a-la-lecture-de-la-grande-crise-115527906.html.