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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 17:38

                            

Notre texte concernant le scénario pour 2010 publié le 1er janvier de la dite année se penchait longuement sur la question du retour à la souveraineté monétaire. Il était assez optimiste en ce qu’il annonçait la difficulté croissante à faire admettre par le contribuable qu’il devrait payer pour une dette publique dont la responsabilité reposait au moins partiellement  sur  la rente financière. La réalité 2010 de la crise, est qu’un certain nombre de pays ont malgré d’extrêmes difficultés, ouvertement choisi de satisfaire la rente au détriment des Etats providences et des contribuables : Grèce , Irlande, mais aussi à des degrés moindres, la quasi-totalité des Etats européens. Les propos de la chancelière de la république fédérale, consacrés au partage du fardeau de la dette avec les créanciers étant, était-il espéré, vite étouffés par de prétendus rédempteurs  resserrements budgétaires. Prétendus, car on sait depuis peu (Patrick Artus), que le multiplicateur budgétaire sur la Grèce et l’Irlande est élevé, ce qui signifie- en principe- effondrement de la croissance,  suite à une faible variation du déficit budgétaire.

Sur l’exercice des droits attachés aux propriétaires des banques centrales.

La monnaie fût de tout temps un outil privilégié permettant de déplacer- selon le vocabulaire économiciste - du bien être d’un groupe à l’autre. Avant l’Etat de droit, elle était une violence pratiquée essentiellement au profit des entrepreneurs politiques au pouvoir : seigneuriage, dilution etc. la même violence , toutefois adoucie s’exerçait dans les débuts de l’Etat de droit au profit de la rente, la dette d’Etat étant selon Léon Say et sous la 3ième république « un engagement sacré », avant de se retourner durement contre elle avec « l’euthanasie du rentier » chère à Keynes, et les inflations du 20ième  siècle.

Les choix des années 70 qui devaient construire les autoroutes de la mondialisation étaient clairs : la violence de la monnaie ne peut plus s’exercer à l’encontre de la rente : mieux, cette dernière, durement réprimée au 20ième siècle, se doit d’être financée par l’Etat lui-même. C’est le sens qu’il fallait donner en France, à la loi du 3 janvier 1973 déjà étudiée dans nombre d’articles de ce blog. Loi organisant l’extinction des droits du propriétaire de la banque centrale, et plus clairement l’alliance des entrepreneurs politiques au pouvoir et des rentiers, à l’encontre de l’avenir de l’Etat providence construit au cours de la période antérieure. La machine à prédater- l’Etat- s’étant donné un cadre légal , on peut s’étonner du brutal retournement dans le fonctionnement de la machine publique : le seul fait de « lutter contre l’inflation », terme à la mode à l’époque, suffisait à retrouver la forme moderne de «  l’engagement sacré », et donc le respect des droits de propriété des créanciers. Non, le texte du 3 janvier 1973 va plus loin, et  organise un véritable renversement puisque désormais tout déficit public, dès le  premier euro,  devient rente financière.

Ce dernier point mérite quelques explications. Entre 1914 et 1973 et plus particulièrement entre 1945 et 1973, existe un double financement du Trésor : La vente de bons du Trésor, vente parfois forcée, à des banques et des ménages, d’une part, et les « avances au trésor » par la banque centrale, d’autre part. La liquidité du Trésor était ainsi assurée par ce qu’on appelait le « circuit du trésor », circuit dont les fuites étaient contenues par des actes d’autorité : augmentation des « planchers de bons du Trésor », emprunts obligatoires (très fréquents et quelquefois à taux zéro) , financement obligatoire (et légalisé par vote parlementaire)  par la banque centrale, etc.

La répartition du financement du Trésor entre « dette payante » et « dette gratuite » était fixée dans le cadre d’une politique monétaire « conjointement élaborée » -si l’on ose dire- par la banque centrale et l’Etat. Et politique qui faisait bon compte d’une industrie de l’épargne ou de l’assurance, totalement dans les mains de l’Etat et souvent durement réprimée par lui : son volume dépendant très largement du poids des avances de la banque centrale au Trésor dans le total des besoins de financement de ce dernier, d’une part, et du différentiel des taux d’inflation et de l’intérêt, d’autre part. Lorsque le poids des avances directes au trésor diminuait, il y avait augmentation de la « part de marché » de la « dette payante »  et donc aide à l’épargne privée ou à l’assurance, donc à la rente. La loi du 3 janvier 1973 est ainsi un acte majeur, acte beaucoup plus important qu’on le pense généralement : elle fonde une aide publique à l’industrie de l’épargne et de l’assurance, aide dont la hauteur est fixée par celle du déficit budgétaire.

 Plus le déficit public- financé non plus par la banque centrale mais par des agents privés- devient important et plus la rente grossit. En ce sens, cette période qui marque l’irruption de la mondialisation, est aussi celle d’une aide publique de plus en plus importante à la rente.

Car il est clair que les obligations publiques, ne donnent pas lieu à versement de rente, comme des obligations privées, voire l’ensemble des titres privés. Intérêts et dividendes ne sont ici que de la redistribution d’un profit entre agents privés. A l’inverse, la rémunération d’un bon du trésor est issue de prélèvements publics obligatoires dont la nature, la hauteur, l’assiette etc. sont fixés par les entrepreneurs politiques qui ont eux même comme objectif leur reconduction au pouvoir.

L’enjeu de 2010 avec ce que l’on croyait- naïvement- être la fin possible de l’indépendance de la banque centrale et la fermeture de l’agence de financement de la dette publique- l’Agence France Trésor, pour ce qui est de la France- n’était au fond que l’avènement d’une certaine neutralité des Etats. L’Etat démocratique reste une machine prédatrice en ce qu’elle autorise toujours l’usage monopoliste  des outils de la contrainte publique- ici la monnaie-  à des fins privées. Le rentier, ici rentier public, s’opposant aux autres classes de la société. Mais, de fait, ne plus subventionner l’épargne en décidant de rétablir les droits de l’Etat sur sa banque centrale revient à tuer le rentier et  l’épargne correspondante… Et les services correspondants. Il est ainsi difficile d’être neutre et l’Etat moderne reste marqué par ce qui en fait son essence : il ne peut que représenter des intérêts particuliers. Et il n’est pas facile de faire basculer le savant équilibre des marchés politiques : la lutte de classes – pour reprendre un langage que l’on  a démonétisé-  entre le rentier sur titres publics  et le contribuable, ou le consommateur d’Etat- Providence. Lutte de classes  peut-être  assez claire, pour ceux qui analysent au plus prés l’évolution des coefficients de Gini,concernant la répartition des revenus, depuis la remontée de la rente,  mais lutte  évidemment obscurcie, voire niée, par ceux qui y ont intérêt. Ainsi sera mis en avant l’idée selon laquelle, il existe des rentiers, qui  « petits », sont néanmoins « trop gros » pour être aussi de larges consommateurs de l’Etat-providence. En sorte que tuer la rente par le rétablissement de la souveraineté monétaire, est aussi s’attaquer à certains éléments des classes moyennes…. lesquelles contiennent peut-être  aussi l’électeur médian… qu’il faut impérativement satisfaire à peine de perdre les élections.

Dans le cas de l’Europe, la question est autrement redoutable puisque le problème, ne consiste pas à redéfinir un équilibre de marchés politiques internes à un Etat, mais à un ensemble beaucoup plus vaste, et par nature extrêmement hétérogène. C’est que l’électeur médian irlandais ou belge  n’exprime probablement pas les mêmes préférences que l’électeur médian allemand,  italien, ou français. Et le problème se complique aussi en raison d’un processus de dénationalisation de la rente publique, processus largement  encouragé par les procédures d’adjudications de la dette, initiées par les agences chargées de sa commercialisation. C’est ainsi que la dette publique française est aujourd’hui détenue à 70% par des investisseurs étrangers, contre moins de 23% en 1998.

Sans doute le rétablissement de la souveraineté monétaire, ne développerait- elle pas de conséquence rétroactives, au détriment  des rentiers existants, lesquels verraient leurs intérêts garantis, le problème se poserait néanmoins pour l’avenir. Au final devant l’inextricabilité du problème - la rente est devenue insupportable avec un accroissement de dette publique hors de tout contrôle, mais on ne sait comment la réduire sauf à durcir brutalement la lutte de classes-  les entrepreneurs politiques essaieront encore de louvoyer et de gagner du temps…

Sur la légitimité des agences de notation.

L’évaluation de la dette publique par des agence privées, ne peut s’envisager que dans le cadre de périodes historiques, où les intérêts du rentier sur titres publics, l’emporte sur ceux des contribuables ou/et des consommateurs des services publics. Depuis l’apparition de l’actuelle grande crise, certains y ont même vu une collusion d’intérêts entre agences et rentiers. Dans les cas inverses, cas qui correspondent par exemple aux années d’après les deux grandes guerres mondiales, l’existence même de ces agences était à tout le moins impensable.

C’est que l’euthanasie des rentiers, s’envisage mieux dans la discrétion que dans la transparence médiatique des agences, et il faut avoir conscience que de telles organisations, auraient eues à affronter  de sévères lois répressives, probablement aussi répressives que celles concernant le non respect du cours forcé des billets en 1870, ou à partir de  1914. Qui peut imaginer Fitch ou Moody’s entre 1919 et 1926, dans les tumultes financiers, qui précèdent le retour de Poincaré ? Là encore, les dispositifs institutionnels ou réglementaires ne sont que le reflet des évolutions des marchés politiques et des intérêts qu’ils expriment.

Au final, lorsque les marchés politiques, orientent la production de cette "usine à textes" qu’est l’Etat, vers des dispositifs réglementaires instaurant la délégation de la fermeture du « circuit du Trésor » au marché, il est logique que naissent sur le riche terreau de ce dernier, des entreprises susceptibles d’en évaluer le fonctionnement. Les actuels Etats et leurs représentants, auraient donc tort  de critiquer ce qu’ils ont indirectement engendré. A l’inverse, lorsque le fonctionnement des marchés politiques débouche sur une auto production du service de la dette, il n’y a plus de pression des marchés…. Et plus de clients pour des organisations privées se chargeant d’une évaluation de la dette. Nous retrouvons curieusement, dans ce dernier raisonnement, l’un des aspects célèbres de la théorie micro-économique : la logique dite du « make or buy ». Oui, la nécessité objective de la fermeture du « circuit du trésor » fait apparaitre un choix : gérer la dette par le règlement, ou gérer la dette par le recours au marché, avec- entre ces deux extrêmes- des dosages infiniment variés de règlements et de marchés. Tout dépend du rapport des forces politiques, et de ce qu’ils traduisent en termes d’intérêts des différents acteurs sociaux.

La plus ou moins grande indépendance de la banque centrale fait partie du cadre ainsi repéré. Ainsi le rapport complexe entre Trésor US et FED fait plutôt penser que l’Etat libéral américaine est dans une logique mixte de gestion de la dette, tandis que l’absolutisme de l’indépendance de la BCE, fait pencher vers une externalisation radicale de la gestion des dettes des Etats européens.

Sans doute sommes nous entrés dans une phase de prise de conscience des effets du recours au marché. Mais quelles entreprises  politiques suffisamment généralistes peuvent prendre le risque d’un nouveau basculement de l’histoire ? Là encore le mot d’ordre sera de gagner du temps. Tout au plus, continue t’on de parler d’organiser le marché des agences, de créer une agence publique dans le cas européen, etc.  Ce qui ne ferait au mieux qu’ajouter de la méfiance chez les acteurs du marché. On ne peut plus être dans le « buy » mais le basculement dans le « make » apparait politiquement impensable, dans le cadre de l’idéologie officielle, et des intérêts qu’elle représente encore. Là aussi la situation est devenue inextricable.

Sur la résistance acharnée des drogués à la monnaie unique.

En la matière, la vraie question, est celle de la possibilité de mettre fin à la clandestinité des passagers, accrochés à une drogue monétaire finalement ruineuse pour beaucoup. Caractéristique étudiée dans notre article du 28 Janvier 2010 : « l’Euro, sursaut ou implosion » et  ceux qui lui ont fait suite tout au long de l’année. Question évidemment liée à celle des droits des propriétaires sur les banques centrales. Toute l’année 2010 fût consacrée à la lutte contre la clandestinité : comptes publics non sincères (Grèce), bilan bancaires maquillés (Irlande, Espagne, etc.) stratégies non coopératives (entre Etats européens notamment), édification fragile de dispositifs de responsabilisation et de sanctions (Commission européenne), etc.

La dernière étape de la tentative d’éradication de la clandestinité sera sans doute la naissance des « euro bonds » et de l’agence bruxelloise qui sera chargée de leur commercialisation. Etape qui sera peut-être franchie en 2011…. sans doute fort difficilement. La raison en est que les marchés politiques allemands, même conscients de l’intérêt d’une dette mutualisée, sont aussi conscients d’une forte opposition, et notamment du risque d’interdit en provenance de la cour constitutionnelle de Karlsruhe.

En admettant le franchissement de l’étape constitutionnelle, il resterait que le passage à  la « dette unique » ferait penser au passage à la « monnaie unique » Avec les mêmes risques de clandestinité et les mêmes inefficacités pour la limiter. Avec la dette unique il faudra inventer de nouveaux critères de Maastricht qu’il faudra d’autant plus contourner qu’ils seront édifiés en temps de crise lourde. Ceux de la monnaie unique n’étaient guère vraiment redoutés en vertu de la prospérité générale renforcée par la drogue Euro. Ceux à venir apparaitront vite insupportables. Dublin, Athènes, Lisbonne, Madrid, ne sont pas seulement victimes d’un spread de taux , ils sont aussi victime d’une insolvabilité radicale, qui fait que leur consommation de « dette unique » deviendra vite ingérable. Et il faudra bien rationner leur appétit, sauf à voir apparaitre un spread entre l’ancien taux allemand et le taux sur la dette unique.

Curieusement, un acteur nouveau se manifeste sur le terrain de l’Euro : la chine. Celle-ci dispose du pouvoir de maintenir la clandestinité de chacun des passagers, et donc de maintenir à flots le bateau. Parce que possiblement acteur public sur un marché primaire de la dette exclusivement réservé aux « SVT », donc des acteurs privés, la banque centrale chinoise, aux ordres de l’Etat Chinois et de ses entrepreneurs politiques, peut maintenir un taux de change élevé de l’euro. De quoi maintenir l’extraversion de l’économie chinoise et les intérêts politiques qui lui sont associés…les chinois aussi aiment se droguer à l’Euro…

Le débat - sauf hypothèse d’un effondrement - risque ainsi de continuer, autant que possible, en raison du fait que pour certains, le problème de l’euro serait d’abord celui de son taux de change. Une telle position méconnait de fait les vertus cachées de la monnaie unique : « s’offrir une monnaie de réserve à l’américaine » disions nous dans le texte du 28-01-10, c'est-à-dire pouvoir importer sans limite et à coût dérisoire, notamment pour les « petits un peu ronds » plus souvent désignés « PIGS ». Ces derniers et leurs entrepreneurs politiques  au pouvoir, n’ont effectivement aucune envie de voir la zone disparaitre, disparition sonnant le glas des avantages de la clandestinité. C’est dire que là aussi, la situation semble inextricable : le bateau des passagers clandestins  prend l’eau de toutes parts…mais personne ne souhaite vraiment changer de navire…. D’où le thème guerrier du « tout sera entrepris pour sauver l’Euro ».

                                         Je souhaite une excellente année 2011 à tous mes lecteurs.

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9 décembre 2010 4 09 /12 /décembre /2010 13:01

                           

                              

                           

                           

                            

                        Dans une longue conversation publiée par le Monde, en date du 8 décembre 2010, Jacques Delors revient longuement sur la question de l’Euro. L’ancien président de la commission, reste un grand défenseur de la monnaie unique, et considère qu’elle nous a protégés, tout en réduisant les écarts de revenus moyens, entre pays de la zone.

                      Il fait également état de nombreux  regrets : Absence de pacte de coordination des économies, banque centrale dépourvue de missions essentielles telle la surveillance du chômage, absence d’un fonds conjoncturel et d’un système d’euro-obligations, impérialité d’un système bancaire  faisant tremblerlesgouvernements ,etc.                                                                                                                               

                        Pour ce qui est de l’avenir , Jacques Delors se dit, selon la formule de Gramsci , « pessimiste actif », et voit malgré « l’affaiblissement de l’esprit européen » des sources d’espoir dans le futur fonds européen de stabilité, et les tout aussi futurs mécanismes de sanctions, à l’encontre des contrevenants d’un pacte de stabilité rénové.

                        Au-delà du caractère convenu des propos publiés dans Le Monde, il nous faut souligner « l’idéalisme » du « pessimiste actif ».

                        C’est que les faits et vœux évoqués, sont autant de mots inappropriés à la correcte désignation de la réalité. Des signifiants décalés par rapport au signifié, diraient les linguistes.

                        La réalité est, en effet, vraiment très différente de la représentation proposée. L’euro, construit aussi par Jacques Delors et son équipe, n’était, et n’est toujours, que le bateau des passagers clandestins.

                        Il est incorrect de dire qu’il protège contre nos laxismes et que sans lui « beaucoup de pays européens auraient souffert ». Nous avons montré dans « l’euro, sursaut ou implosion », à quel point il était une « drogue » pour les « petits un peu ronds », qui pouvaient ainsi s’offrir « une monnaie de réserve à l’Américaine ». Qu’il était également une « drogue » pour les « grands minces », qui s’assuraient ainsi contre les dévaluations continues des voisins. La construction de l’euro, était ainsi l’organisation d’une « grande fête », et à cette matérialité, devait correspondre la montée d’un « esprit européen ».

                       Maintenant que la consommation de drogue est proche de l’overdose, pour l’ensemble des passagers clandestins, passagers dont  beaucoup sont ruinés, les lampions de la fête s’éteignent, et avec cette nouvelle matérialité, correspond l’affaissement de l’esprit européen. Comme quoi, c’est bien la réalité matérielle qui ordonnance , malgré tout, le monde des opinions.

                        Loin d’un esprit européen, la construction de l’euro n’était réellement que la prolongation du stade de « l’Etat-Nation » par d’autres moyens. Comme la guerre, disait-on, était la poursuite de la politique par d'autres moyens. Cette variété de « petit un peu rond » qu’était la France ,  pays qui historiquement à imposé l’euro, n’a pas voulu construire une réalité qui la surplomberait. Elle a simplement cherché, à poursuivre son déficit budgétaire, sans les pleurs correspondants. Les entrepreneurs politiques français n’ont pas cherché à construire un « au delà de la nation » ; ils ont simplement cherché, à continuer à pouvoir se gaver de déficits publics, sans en payer le prix monétaire. Sans doute fallait-il pour cela, dénationaliser la monnaie, pour rejoindre  la volonté commune des entreprises politiques allemandes, d’où l’indépendance de la Banque centrale. Mais une dénationalisation, sans renationalisation à un stade situé au-dessus, de l’Etat-nation. D’où la naissance d’une « monnaie sans souverain » pour reprendre la terminologie de notre article « Monnaie, recherche désespérément souverain sérieux ».

                               Les discours idéalistes, tel celui de Jacques Delors - ou plus encore, celui de son partenaire de la construction européenne, Helmut Schmidt, lequel va jusqu’à regretter le « manque de charisme », voire de compétences des nouveaux dirigeants- ne font qu’épaissir le brouillard dans lequel se trouvent plongés les lecteurs qui veulent réellement comprendre le monde tel qu’il est. La réalité est suffisamment embrumée, pour ne pas lui adjoindre une couche d’opacifiant supplémentaire.

 

 

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2 décembre 2010 4 02 /12 /décembre /2010 09:44

                                            

 Les images du bateau, et des passagers clandestins, évoquées dans « l’euro : sursaut ou implosion » se voulaient révélatrices de la réalité de la monnaie unique. Les passagers clandestins étaient les Etats eux-mêmes, et des Etats – puisque passagers clandestins- peu soucieux d’une stratégie de coopération. Le  bateau était lui-même le symbole de la monnaie, et une monnaie sans autre pilote qu’un fonctionnaire indépendant, voire en état d’apesanteur, et surtout dépourvu de gouvernail : la banque centrale est en effet indépendante et son rôle n’est que de maintenir le navire à flot, et ce, sans même lui assigner une direction.

Jadis, le pilote était l’Etat lui - même, et les passagers avaient le statut d’usagers d’un service monétaire largement soumis au caprice du prince. Bref la monnaie avait un maître, et il est vrai, souvent autoritaire, et peu scrupuleux, appelé souverain. En sorte qu’il était exact que « battre monnaie était un attribut de la souveraineté ». Et souvent avec la violence du souverain : seigneuriage, dilution, assignats, « banqueroute des deux-tiers », inflation, etc. (cf. : « la crise : scénario pour 2010 »)

Le fonctionnement des marchés politique en Europe, et leur histoire, devait pourtant  aboutir à une « grande transformation » à la Polanyi : puisque « l’extériorité » qui tient les hommes ensemble peut devenir le marché, lequel rend faussement et magiquement obsolète l’Etat, alors il est possible d’engendrer une monnaie sans Etat et donc sans souverain : l’Euro était né.

Bien sûr, le bateau des passagers clandestins ne connaissait point de port- bateau aussi habité par des passagers  voulant s’offrir à bon compte une « monnaie de réserve à l’américaine » (cf « l’euro :sursaut ou implosion »)- et  pouvait rencontrer quelques hauts fonds, susceptibles de le faire chavirer : nous y sommes.

La grande crise était constitutive de ces hauts fonds, et de ce point de vue, elle ne fait qu’enclencher ou aggraver une crise monétaire, inscrite dans les gènes de la monnaie unique. Curieusement, c’est cette rencontre avec les hauts fonds, qui semble engendrer une course impossible de la « grande transformation à l’envers ». C’est qu’en effet, les entrepreneurs politiques européens, aussi passagers clandestins, semblent vouloir ancrer le navire vers une extériorité, qui ne peut être qu’un souverain …dont on ne veut surtout pas...

C’est tout le sens qu’il faut donner, aux diverses rustines qui s’accumulent sur les flancs du navire, ayant eu à affronter les diverses convulsions des passagers : le Grec, l’Irlandais, etc.

Un premier pas dans la grande transformation à l’envers

Ainsi, une première extériorité que l’on peut appeler machine à fabriquer des rustines, fût mise en place dans le cadre d’un partenariat : Le Fonds Européen de Stabilité Financière. Evidemment, cette institution basée au Luxembourg, est bien une extériorité, mais elle ne saurait être un souverain. Elle n’est même pas une union de transferts budgétaire, constitutive d’une caisse d’aide aux passagers, qui veulent rester clandestins.

Elle n’est qu’une abstraction, seulement susceptible de lever des fonds, au profit des passagers clandestins, invités à davantage de coopération. Et levées de fonds garantis, par la garantie des autres passagers, lesquels refusent de devenir responsables solidairement   de façon illimitée. Ainsi la loi du 7 juin 2010, votée au parlement français, expose l’Etat correspondant,  dans la limite supérieure de 111 milliards d’euros. Les fonds levés, ne sont pas ceux des souverains, ne sont pas de la dette souveraine, et la responsabilité des souverains cautionneurs de dette est limitée, très exactement comme dans le cas de sociétés commerciales privées. Et cette machine, initiée par la crise grecque du printemps 2010, se devait d’être légère, à peine d’entrer en délicatesse avec la clause de « no bail out » de l’article 125 du traité, lequel veille au principe de non solidarité financière entre les souverains. Principe instituant, ou autorisant de fait, le caractère de passager clandestin pour chaque signataire du traité.

Parce que la machine à fabriquer des rustines, ne peut  remettre le bateau à flot que fort temporairement, en raison du fait qu’elle participe à l’engendrement de nouvelles dettes, qu’il faut pourtant faire disparaitre, son usage est promis à bel avenir. Clairement, le stock de dettes à l’échelle planétaire ne fait qu’augmenter, et le risque de nouveaux subprimes – de nouveaux hauts fonds - ne fait que se multiplier partout dans le monde. C’est que le Fonds Européen de Stabilité Financière est aussi une machine, parmi d’autres dans le monde, à fabriquer de la nouvelle dette s’appuyant sur la garantie d’Etats insolvables : quelle espérance de mobilisation de la participation française (111 milliards d’euros) en cas de défaut grec par exemple, sachant que cette garantie représente environ 40% des recettes 2011 de l’Etat Français ? Espérance d’autant plus réduite, que si un tel défaut devait se manifester, le dit Etat serait anéanti dans sa course à sauver les banques françaises, elles mêmes vitrifiées par le défaut grec, pour lequel elles sont si exposées : près de 0,3% du total des actifs bancaires , d’après l’étude de la Deutsche Bank en date du 26/11/2010…soit beaucoup plus que les capitaux propres…

Une autre étape de la grande transformation à l’envers

Le bel avenir de la machine à fabriquer des rustines est déjà écrit, avec fort gonflement de ses activités liées au secours, d’abord  du passager irlandais, qui maintient malgré toutes les pressions et protestations, son jeu non coopératif en matière fiscale, ensuite des passagers portugais, espagnol, et sans doute d’autres encore. La taille de la machine pouvant augmenter en raison des convulsions à venir, cela signifiera de nouvelles garanties de la part des grands Etats insolvables.

L’accroissement de la taille, ne la transformera pourtant pas en nouvelle extériorité jouissant de la puissance d’un réel souverain monétaire. Sans doute l’aide du Fonds Européen de Stabilité Monétaire est-elle assortie de pressions sur les passagers afin de réduire leur clandestinité, toutefois   les dites pressions ne les conduisent pas vers des stratégies coopératives. C’est que le remède est uniformément déflationniste : réduction des déficits budgétaires gonflés par la crise financière, par diminution des dépenses publiques et, parfois augmentation de la pression fiscale. La purge déflationniste de chacun des passagers malades, entrainant une contagion, ankylosant  le niveau d’activité du groupe, pris dans son ensemble.

Mieux le danger guette, et les clandestins peuvent se dire intéressés par leur assujettissement au bourreau déflationniste : il fait mal certes, mais peut être moins que si l’on restait victime du spread sur dettes souveraines. Si en effet les taux offerts par le fonds de stabilité, sont moins élevés que ceux offerts dans un marché en ébullition, il devient ainsi intéressant de se placer sous la houlette de l’Europe, le bourreau y étant peut-être moins cruel. C’est très exactement la question qui s’est déjà posée- le dimanche 28 novembre 2010 à Bruxelles- pour le passager irlandais à qui il fallait proposer un taux élevé (5,8%), taux sans doute irréaliste pour le malheureux passager clandestin, mais en même temps, peut- être trop faible, pour dissuader les passagers portugais et espagnol qui connaissent, ou vont connaitre, des taux marginaux d’endettement sur les marchés supérieurs à 5,8%. Cela signifierait qu’il y aurait, avec la machine à fabriquer des rustines, une possibilité supplémentaire pour gagner un peu de temps. En contrepartie, cela signifierait aussi que le Fonds Européen de Stabilité Financière serait pollué - avec des taux simultanément trop élevés et trop faibles - dans son action, par des effets pervers non initialement prévus. Le fonds « victime des marchés », alors qu’il devait constituer une extériorité, sur laquelle il eut été possible de s’appuyer.

Grande transformation à l’envers : une nouvelle étape.

Et les choses ne s’amélioreront guère en 2013 avec le futur mécanisme européen de stabilisation, lequel ne sera toujours pas une extériorité, comme le souverain de jadis l’était.

A priori, il traduira dans la rigueur du droit, un début de modification du rapport de forces sur les marchés politiques européens. Chez nombre de clandestins, il devient de plus en plus difficile pour les entrepreneurs politiques, de justifier le point de vue d’une finance et d’une rente, qui a pour contrepartie la relative disparition, des Etats providence construits autour du pacte politique des «  30 glorieuses ». Le cas de l’Irlande - qui pourtant n’avait pas connu la période en question - est à cet égard particulièrement éclairant : dans « l’accord » qui vient d’être proposé aux entrepreneurs politiques au pouvoir, il est expressément prévu, que le fonds irlandais de réserve des retraites, sera à hauteur de 15 milliards d’euros, mobilisé pour sauver les banques. La finance se nourrit ainsi fort directement dans le garde-manger, de ce qui est réellement des salaires indirects. L’approfondissement d’un tel modèle devenant politiquement ingérable, les entrepreneurs au pouvoir, sont désormais invités par les marchés politiques, à restaurer un minimum de souveraineté monétaire.

C’est tout le sens qu’il faut donner aux « clauses d’actions collectives », qui devraient commencer à s’introduire à partir du 1er juillet 2013, dans les contrats d’émissions de dettes souveraines. Et clauses souhaitées par l’entrepreneur au pouvoir à Berlin. Sur le fonds, un tel mécanisme, s’il devait être mis en place, est un début du partage du désastre engendré par la crise : finance et rentes, correspondantes seront mises à contribution, par le biais d’un défaut désormais négocié. Sur les marchés politiques, cela correspondra assez probablement, à l’achat de voix chez des contribuables invités à financer moins de rente, contre une perte probable de voix chez les épargnants.

Pour autant, il ne s’agit encore que d’un projet, projet pouvant à chaque instant être balayé par la violence de la crise. Un tel mécanisme est en effet lourd, complexe, et probablement non exempt de dangers. Il pose de vraies questions : les taux ne vont-ils pas incorporer le risque de défaut résultant de la disparition de l’aléa moral ?  Vont-ils faire disparaitre les spreads ? Ne vont-ils pas précipiter la panique, chez ceux qui voyaient dans la dette des clandestins, un placement particulièrement sûr ? Quel statut donner à la dette souscrite par des résidents ? Etc. Mais surtout, la renégociation elle-même se trouve extrêmement complexe, en raison de l’extrême imbrication des dettes, et des risques associés avec le principal d’entre-eux : la possible pérennisation d’un effet domino. C’est qu’il serait imprudent, de considérer que les externalités développées par un défaut irlandais, serait du même type que ceux d’un pays émergent.

Autant de questions qui justifient la grande instabilité des marchés en cette fin d’automne 2010. D’où d’autres voies à explorer.

Grande transformation à l’envers : d’autres difficiles étapes.

On pourrait maintenant imaginer, que la conjonction de la pression des marchés, associée à la résistance croissante des salariés, inviterait les entrepreneurs politiques européens à bousculer le champ institutionnel, au profit de la création d’une extériorité plus solide : un véritable Trésor européen en charge de l’émission de bons du trésor européen. L’affaire serait  redoutable, puisque les marchés politiques de chacun des passagers de l’euro, seraient amenés à réduire le périmètre de leurs activités, et donc le « carburant du pouvoir ». Il y aurait effectivement bouleversement du champ institutionnel, avec renégociation d’un nouveau traité, permettant notamment à l’union européenne, de percevoir des impôts de masse, type TVA, et de s’endetter, ce qui est aujourd’hui juridiquement impossible.

Reposant sur un PIB de 9000 milliards d’euros pour la seule zone euro, l’ensemble bénéficierait en première approximation, d’une puissance d’endettement considérable. De quoi imaginer la présence d’un vrai souverain, pour une monnaie jusqu’ici sans maitre.

Pour autant, cette transformation à l’envers, faisant naitre un nouveau souverain, est aujourd’hui encore difficile à envisager. Les fonctionnements des marchés politiques interne à chaque pays, d’une part, et entre les pays de l’euro zone , d’autre part, ne peuvent que s’y opposer.

Au niveau interne, donc au niveau de chacun des passagers, la naissance d’un embryon d’Etat européen, vaut  réduction des marchés politiques  internes. Ainsi qu’il vient d’être énoncé, le basculement d’une partie de la fiscalité interne, est réducteur du périmètre des activités des entrepreneurs politiques locaux. Et face à cette perte collective du « carburant du pouvoir », le risque est d’assister à la cartellisation des grandes entreprises politiques, aux fins de résister au projet. Pour éviter le processus de cartellisation négative, il faudrait que les avantages politiques d’une dette devenue européenne, surcompense les désavantages de la montée en puissance de cette nouvelle extériorité, que serait l’Etat européen embryonnaire.

En admettant même que l’analyse coût avantage soit indécise, quant à ses résultats au niveau interne (au niveau de chacun des passagers), la même analyse- menée au niveau externe- conduit plus probablement au refus de la naissance d’un souverain européen. Car la collectivisation de la dette, en faisant disparaitre les spreads, aboutit nécessairement à la fixation d’un taux d’intérêt unique, défavorable au passager le plus important : l’Allemagne. La qualité de la dette européenne devenant inférieure à la qualité de la dette allemande seule. Il y aurait donc un spread de taux, sur la dette européenne, par rapport à la dette allemande d’aujourd’hui. D’où, ici, la cartellisation des entreprises politiques allemandes, en vue d’opposer un front du refus.

Décidément, le chemin de la grande transformation à l’envers dans le but d’accrocher l’euro à un souverain, est parsemé d’embûches…

Resterait à envisager un autre chemin pour envisager la grande transformation à l’envers. Puisqu’il est très difficile de faire naître un souverain pour l’euro, peut être serait-il possible de faire au moins disparaître ce pouvoir indépendant qu’est celui de la BCE.

Dans la présente situation, le dispositif institutionnel du système européen de banques centrales, a pour effet, de contenir le périmètre de la clandestinité des passagers. La BCE ne peut en effet favoriser tel ou tel passager en achetant directement sa dette, geste qui lui est juridiquement interdit. Elle ne peut pas non plus, émettre sans retenue de la liquidité auprès des banques, de tel ou tel passager, en raison  de son statut de gardien de la stabilité monétaire.

Autant de dispositions qui limitent le périmètre de la clandestinité, ainsi que l’a clairement montré les péripéties de la crise irlandaise. Les entrepreneurs politiques locaux continuaient à chercher à gagner du temps - y compris en consommant cavalièrement, le fonds de réserve des retraites, pour retarder des adjudications, potentiellement calamiteuses en termes de taux - et laissaient sur active une BCE venant en aide aux banques insolvables. La BCE, jugeant qu’elle quittait le champ traditionnel de ses interventions, fut le promoteur de l’organisation d’une aide coordonnée, que les entrepreneurs politiques irlandais, furent amenés dans un premier temps, à refuser. Ces derniers, préférant sauver les banques, par les liquidités distribuées par la BCE, plutôt que d’accabler davantage un citoyen pourvoyeur de voix. « L’accord » du 28 novembre qui fût imposé aux entrepreneurs politiques irlandais, définit  bien les limites de la clandestinité dans le paradigme dominant : en cette fin d’année 2010, il appartient encore aux contribuables, de régler les factures de l’orgie financière.

Sans doute y aura-t-il, ici ou là, chez nombre de clandestins, cartellisation des marchés politiques pour faire évoluer le système européen de banques centrales. Et une cartellisation résultant possiblement d’une résistance croissante des citoyens. Pour autant, les choses ne sont pas simples, et il y aura probablement un nouveau front du refus, issu de la cartellisation des entreprises politiques allemandes. En admettant même qu’il puisse être mis fin à l’indépendance de la BCE, le risque le plus important, serait l’élargissement du périmètre de la clandestinité : l’euro était déjà pour nombre de clandestins une drogue - une « monnaie de réserve à l’américaine » - mais qui pourra, demain, si fin de l’indépendance il devait y avoir, contrôler l’ouverture du robinet à liquidités aux fins d’éviter l’over- dose ?

L’euro, risque ainsi de rester encore quelque temps, la monnaie en quête d’un souverain très difficile à faire émerger. De quoi la menacer dans sa survie.

 

 

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23 novembre 2010 2 23 /11 /novembre /2010 18:21

 

L’Irlande qui représente 2% du PIB de la zone euro consommait cet automne 25% des nouvelles liquidités émises par la BCE. Interventions pourtant insuffisantes pour contenir  « bank run » larvé ou/et nécrose du marché monétaire qui se manifestent depuis le début de l’année. Et collaboration insuffisante des entrepreneurs politiques au pouvoir, qui allant jusqu’à 32 points de PIB de déficit budgétaire pour maintenir un système financier pesant 15 fois le PIB du pays, se devaient de réduire encore un peu plus la dépense publique : prés de 10% de PIB sur 3 années.

Le risque de défaut menaçant l’ensemble du système financier mondial, il fallait une consolidation rapidement élevée et construite à l’initiative  de ce qu’on appelait le triumvirat (FMI, Union européenne et BCE) L’aide consentie à la Grèce au printemps dernier, était généreuse et représentait 45% de son PIB. Avec l’Irlande la générosité sera plus grande encore, et l’aide prévue s’établira à 65% du PIB irlandais.

Le BIS Quaterly review de septembre 2010(http://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt1009.pdf#page=19)

révèle clairement, que parmi les  « PIGS », l’Irlande est de loin le pays qui dispose en son sein, de la bombe la plus dangereuse pour la finance planétaire. Le total de la dette extérieure publique et privée, représentait en septembre dernier, la somme de 843 milliards de dollars, pour un PIB de seulement 180 milliards de dollars. La Grèce se contentant de seulement 297 milliards de dollars, pour un PIB de 320 milliards de dollars… auquel il faut ajouter une économie souterraine autrement plus importante que celle de l’Irlande…

L’Espagne, dont on dit qu’en raison de son poids, elle entrainerait dans l’abîme l’ensemble de la finance, est pourtant dans une situation moins dangereuse que l’Irlande. Elle dispose certes d’une dette extérieure totale de 1100 milliards de dollars… qu’il faut toutefois comparer à un PIB de 1400 milliards de dollars.

Dans l’insolvabilité généralisée, l’Irlande est donc bien en tête, et c’est la raison pour laquelle « tous veulent l’aider » y compris la Suède et la grande Bretagne, ce qui était loin d’être le cas pour la Grèce au printemps dernier.

Pour autant, l’insolvabilité de l’Etat Irlandais ne peut que s’aggraver, puisqu’il faudra désormais rembourser une nouvelle dette, venant s’ajouter à l’ancienne déjà rapidement croissante. Il sera ainsi difficile de rassurer les marchés. A titre de comparaison, pour bien saisir le pharaonisme des chiffres, imaginons que la France se voit octroyer une nouvelles dette- à moyen terme, c'est-à-dire moins de 4 années- d’environ 1500 milliards de dollars… pour l’aider à s’extirper de son insolvabilité… C’est pourtant ce qui se décide en cet automne 2010 pour l’Irlande.

A cet étranglement vient s’ajouter une autre difficulté : le « tigre celtique », n’était tel, qu’en raison de son caractère de paradis fiscal. Et un impôt sur les sociétés le plus faible d’Europe, était aussi épaulé par une  grande créativité, dans les processus d’optimisation fiscale. C’est dire que la matière première « impôt sur les entreprises», matière propre à maintenir debout les dominos, n’est guère très épaisse, et que le choix est fait de laminer les petites rentes d’un Etat providence, initialement déjà plus réduit que sur le continent. Pour maintenir, contre vents et marée, la rente financière dans son intégralité, il s’agit de s’attaquer aux salaires et à leurs annexes, et ce et y compris par la voie de la pression fiscale sur les revenus du travail.

Ce choix est celui des  entrepreneurs politiques irlandais, bousculés par les entrepreneurs politiques européens, qui conscients du tsunami qui gronde, désirent toujours gagner du temps en imposant de « nouvelles aides » dépourvues de tout bon sens. Le choix initial des entrepreneurs politiques irlandais : gagner du temps en laissant couler le robinet de la BCE, est ainsi contrarié par d’autres entrepreneurs politiques, qui veulent gagner du temps par d’autres moyens, ici en tentant de réduire le spread des taux, aux mimétismes ravageurs dans nombre de pays de la zone. Ces façons différentes de gagner du temps, étant eux-mêmes dictées par l’agenda de chacun au regard du refinancement de « sa » dette sur les marchés. L’Irlande pouvait attendre jusqu’au printemps 2012. Portugal, Espagne, et d’autres encore, sont obligés de commercialiser de la dette beaucoup tôt.

L’épuisement des entrepreneurs politiques est toutefois bien présent, et les «  blocs au pouvoir » s’effritent progressivement. Tous baignent dans le même paradigme, et tous restent fascinés par la mondialisation. Pour autant, certains prennent conscience de l’existence d’un mur de l’insolvabilité. Aucun ne fait encore le lien entre la construction des autoroutes  de la finance, la mondialisation, la construction de, l’euro etc. Mais certains savent, qu’il existe désormais une forêt de dominos dont l’instabilité est rapidement croissante. Et encore une fois, il suffit de consulter les statistiques de la BRI pour voir à quel point tous habitent un « château branlant ». En affirmant avec naïveté, devant le conseil européen, que la finance doit comprendre que les politiques sont élus par des électeurs, qui sont aussi des contribuables, jusqu’ici trop mobilisés à sauver le système bancaire, la chancelière allemande s’est exprimée dans le langage  de ce blog. Expression dangereuse, pouvant initier l’effondrement généralisé des dominos. Mais en même temps, expression signifiant que les marchés politiques peuvent brutalement faire émerger de nouveaux produits politiques : rééchelonnement de la dette, nationalisation, saisie brutale du système financier, fin de l’Euro etc.

Epuisés par maintenant plus de 3 années de course au gain de temps, les entrepreneurs politiques touchent de la main, et apprécient la dureté du mur de l’insolvabilité. Cette prise de conscience est le début de grands bouleversements sur les marchés politiques : certains entrepreneurs au pouvoir, tenteront de maintenir leur rente de pouvoir par un rapide changement d’offre. D’autres accéderont au pouvoir et seront amenés à négocier le monde de la probable dé mondialisation et de l’euthanasie des rentiers. Les choses ne seront pas simples, et on aurait tort de se réjouir brutalement de la fin de l’étranglement par la finance. C’est que cette dernière présente parfois un angle plus sympathique : son gigantisme, a aussi pour contrepartie, des produits d’épargne appréciés par des contribuables, irrités par ailleurs, de payer pour le maintien, sous perfusion, du système financier.

 

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2 novembre 2010 2 02 /11 /novembre /2010 14:16

 

 

A plusieurs reprises nous avons précisé,  que l’utopie mondialiste déstabiliserait les marchés politiques locaux, et faciliterait la naissance, ou le renouvellement d’entreprises politiques, faisant elle-même émerger d’autres produits,  au sein d’un nouveau marché de la loi. De façon plus précise encore, nous indiquions que le produit «  équilibre des échanges extérieurs » devait devenir un produit phare sur les marchés politiques ( °).

Le présent texte tente de préciser, le possible mécanisme juridique assurant l’inéluctable dé mondialisation, dans un cadre autorisant encore le libre échange. Et mécanisme qui pourra se substituer,  au caractère dangereux, et surtout sans avenir, de la guerre des monnaies, qui  aujourd’hui semble monter en puissance.

Parce qu’en Occident, la schizophrénie des acteurs exige à la fois, plus de rentes de protection qui enferment,  et davantage de « droits liberté » qui autorisent une autonomie toujours croissante, il est clair que l’exigence d’équilibre des balances extérieures ( protection contre le siphonage de la demande globale) ne peut passer par des mesures autoritaires concernant les importations. Et encore une fois, renoncer à l’utopie mondialiste, ne saurait correspondre au repliement sur le seul espace national.

La mise en place d’un marché de droits à importer, émis privativement par les exportateurs, est un possible équilibre entre les exigences contradictoires du couple (protection/liberté).

Concrètement, le fait d’exporter donne lieu, à émission d’un droit à importer pour un même montant, droit librement négociable sur un marché. Symétriquement, tout porteur de droit à importer jouit de la liberté d’importer les marchandises de son choix, en provenance de son choix.

Formellement, un tel marché serait assez comparable à celui du « Blue Next » où se négocie des droits à polluer. Sur ce dernier marché, les entreprises sont soumises à des normes en matière de volumes de carbone émis, normes qui peuvent être dépassées par achat de droits à polluer, émis par d’autres entreprises, qui polluent moins que la norme autorisée.

Mais la comparaison s’arrête vite dans la mesure où les inconvénients bien connus du « Blue Next », pourraient ne pas exister dans le cadre d’un marché de droits à importer. Les effets pervers du « Blue Next » sont clairement identifiés : existence d’un double marché (spot et à terme) se matérialisant par une forte volatilité, bouchant la visibilité des investisseurs en matériels de dépollution. Mais surtout, prime à la délocalisation des pollueurs qui peuvent fuir ( ce qu’on appelle la « fuite carbone ») ou baisse de compétitivité, de ceux qui ne peuvent quitter le territoire, (centrales thermiques par exemple) , tout en étant victimes d’importations moins coûteuses .

Le marché des droits à importer, pourrait en effet bénéficier d’un puissant régulateur, l’Etat, qui lui aussi, aurait la possibilité d’émettre des droits à importer, et qui pourrait par sa présence sur le marché, assurer une  stabilisation des prix. Les spéculateurs seraient interdits, aussi en raison du fait que la très grande multiplicité des acteurs, procure la liquidité nécessaire du marché, sans passer par la présence des seuls parieurs non importateurs et non  exportateurs. Bien évidemment, si la propension à importer est plus élevée que la propension à exporter, il en résulte une tension sur les prix, mais tension stabilisatrice. Le coût des importations  étant croissant, le mécanisme de l’élasticité- prix devrait permettre le rétablissement progressif de l’équilibre.

Tout aussi évidemment, l’ancrage  d’un tel système, serait d’autant mieux fondé, qu’il résulterait d’une négociation internationale, avec  accords d’étapes, sur l’objectif d’équilibre multilatéral des échanges. Les droits à importer relatifs à chaque pays, pourraient ainsi être internationalement négociés. Sans doute les exportateurs étrangers pourraient- ils délivrer à leurs clients importateurs, des droits afin de garantir ou fidéliser la clientèle, toutefois les droits étant nationaux et inconvertibles, de telles opérations seraient sans effets pervers sur l’objectif d’équilibre. Egalement, il va de soi que les Etats ne pourraient émettre que leurs propres droits à importer, faute de quoi, les Etats mercantiles ne se priveraient pas d’émettre de grandes quantités de droits étrangers,  au bénéfice de leurs exportateurs nationaux.

Le marché des droits à importer ne serait  pas d’essence malthusienne, et n’aurait pas le caractère de « licence d’importation » titre regardé avec méfiance par l’OMC. A l’inverse de cette dernière, le droit à importer, est d’abord une monnaie privée, émise au premier chef par des acteurs privés : les entreprises exportatrices. C’est dire que si l’Etat peut émettre des droits, c’est à tire accessoire, et qu’en revanche,  il lui est juridiquement interdit d’en  retirer  de la circulation, pour éventuellement s’engager dans une politique de limitation des importations. En clair, les Etats pourraient émettre des titres, sans possibilité d’en acheter.

 C’est dire aussi, que ne se cache derrière le dispositif, aucun contingentement : le droit à importer est un titre non spécialisé. C’est  aussi remarquer, qu’il n’est pas l’équivalent d’un droit de douane, dont le prix est fixé par l’autorité administrative, alors que le prix du droit à importer serait fixé par le marché, et sa hauteur très largement déterminée par le  dynamisme des exportations. Sans doute, ces dernières sont elles dépendantes, du prix des  droits à importer qui se fixent à l’étranger, mais ces mêmes droits, se fixent aussi sur les exportations de ces mêmes pays étrangers. On est donc très loin de la fermeture tant redoutée par les adeptes du mondialisme : la dé mondialisation n’est pas la fin du libre échange.

Nul ne connait la hauteur des bouleversements politiques qui interviendront sous la pression des déséquilibres croissants des balances des paiements, et de leurs conséquences sur les acteurs directs, toutefois, le recours au marché des droits à importer, tel qu’évoqué ci-dessus, est la solution élégante, qui permet de quitter- très progressivement- le mythe de la mondialisation, sans dangers extrêmes.  

 

 

(°)  les textes qui  s’intéressaient à ces question sont : « Paradigmes d’entrée et de sortie de crise »5-07-10 ; « Crise et renouvellement de l’offre politique » 16-09-10 ; « L’équilibre extérieur comme produit politique émergent » 28-09-10 ; et « Mondialisation ou libre échange » 19-10-10.

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27 octobre 2010 3 27 /10 /octobre /2010 12:24

                      

L’idée selon laquelle le système financier se serait transformé en gigantesque casino est devenue courante. Avec  l’apriori suivant : tout comme au  casino, il n’y aurait pas de production de valeur et, ce qui serait gagné par les uns, serait strictement compensé par les pertes des autres.

Le texte suivant tente d’apporter, quelques éclaircissements.

Des producteurs de valeur ajoutée ou  de gains à l’échange semblables

Tout d’abord il y a lieu de s’interroger sur l’apport du Casino. Par exemple, quel est le résultat du jeu de l’échange sur les tables de roulettes ? Manifestement les salles de roulettes sont l’équivalent d’un atelier de production de valeur ajoutée classique, et valeur ajoutée faite d’une production ( les sommes nettes perdues par les joueurs diminuées des consommations intermédiaires). Il y a activité spéculative, paris effectués sur des numéros ou des couleurs,  et ce qui est gagné ou perdu par les joueurs est strictement équivalent à ce qui est gagné ou perdu par la banque. Simplement les règles sont ainsi faites que les probabilités de gain de la Banque sont supérieures à celles des joueurs. De quoi payer  les charges de fonctionnement et le profit réclamé par les propriétaires.

Non seulement il y a production de valeur au sens de la comptabilité nationale,  laquelle ne pourra distinguer une salle de roulettes d’une usine d’assemblage de voitures, mais il y a aussi au sens de la théorie économique un véritable  gain à l’échange : Le propriétaire  du casino gagne à répondre positivement à la passion du jeu, et les joueurs gagnent à pouvoir s’adonner à leur passion.

Il y a également production de valeur au niveau des salles de marché, lesquelles ressemblent – au-delà des technologies utilisées – aux salles de roulettes. Donc production de valeur au sens de la comptabilité nationale et production de valeur au sens de la théorie économique.

La comparaison, à connotation négative, du monde financier avec les jeux de casino est ainsi peut-être non fondée.

Mais nous ne sommes qu’au début de la comparaison.

Le statut du futur : probabilisable ou incertitude radicale ?

Les règles du jeu de roulette sont simples et connues de tous les participants. Il s’agit donc d’un marché d’information parfaite, sans asymétrie d’informations, avec,  pour les joueurs, liberté de ne pas entrer dans le marché. L’environnement des salles de roulette est particulièrement stable, en particulier les mouvements de la société n’affectent  guère le résultat du jeu. Point n’est besoin de relier la salle à Reuters ou Bloomberg : le mouvement du monde n’affecte pas le hasard de la rencontre entre la boule et un numéro. Et les « états du monde » sont parfaitement connus : probabilité de 1/36 pour les numéros, de 1/2 pour une couleur ou le genre d’un numéro , etc. L’avenir (le résultat du jeu) est inconnu mais il ne saurait réserver de surprise : la boule ne peut se stabiliser sur un numéro ou une couleur qui n’existe pas dans l’univers du jeu de roulette.

Le jeu du marché dans les salles de marché est d’une toute autre nature. Contrairement à ce que laissaient penser  Black et Scholes, le monde des salles de marché est plus  fractal que  gaussien. Cela signifie que des risques extrêmes peuvent se produire, évidemment de façon totalement inattendue. Il s’agit du « Cygne noir » cher à Taleb et « cygne noir » que Mandelbraut avait théorisé dans les années 1960. Il est donc des états du monde totalement  imprévisibles, d’où a priori des surprises, comme celle de la présente crise financière.

 Le prix de marché remplace le numéro sortant du jeu de roulette, et ce prix est bien une extériorité qui dépend du rapport entre des hommes, rapport entre offre et demande ,  rapport qu’aucun ne maitrise et sur lequel tous exercent une influence en continue. Au jeu de roulette, la boule se stabilise. Personne ne peut connaitre son numéro d’ancrage, parce que le calcul théorique qui relève de la simple mécanique est tellement complexe, qu’il n’est pas maitrisable par le physicien, d’où l’utilisation du terme de hasard.

Le prix d’un contrat sur le marché à terme est d’une autre nature. Les causes du prix sont aussi infiniment complexes, d’où le trop facile et sans doute rassurant passage  vers un monde gaussien  alors même qu’il en est très éloigné. Prix et hommes agissent en boucle continue avec parfois des sauts déterminés par la contagion des croyances et rumeurs. C’est précisément parce qu’il y a du « social » dans la finance que le futur n’est pas probabilisable. Et c’est, à l’inverse, parce qu’il n’y en a pas dans les salles de jeu que le futur y est probabilisable.

Le caractère non probabilisable du futur dans la finance n’est certes pas confortable, mais il y a hélas  beaucoup plus grave : l’inégalité fondamentale entre les joueurs.

Les règles du jeu : claires ou porteuses d’asymétries radicales ?

A l’inverse des salles de jeu où d’une certaine façon la population est homogène au regard du jeu -malgré sa grande hétérogénéité de fait (niveau d’instruction, de richesse etc.)- le monde de la finance est extrêmement hétérogène. Et cette hétérogénéité se reconnait d’abord dans l’asymétrie d’informations, peut-être ensuite dans l’asymétrie de pouvoir de manipulation. Et le tout rend élastique le patrimoine financier d’une collectivité. Ce qui signifie que le monde de la finance est celui où tous peuvent gagner , et où tous peuvent  perdre, alors que dans les salles de jeu les patrimoines restent constants : ce qui est gagné par certains est perdu par d’autres. Reprenons ces différents points.

L’asymétrie d’informations est banale, et correspond au fait que tous ne disposent pas du même niveau de connaissance, concernant la réalité des produits, et la réalité des marchés. Plutôt que de parler d’asymétrie d’information, il vaudrait peut-être mieux parler d’asymétrie de connaissances. Au fond personne ne sait, puisque le prix est fonction d’une foule d’actions et de réactions, correspondants à une multitude d’informations. Et le plus souvent actions et réactions sur la base d’une chaine de causalités qui n’est pas scientifiquement établie. De ce point de vue, le prix surplombe les acteurs du marché, autant que le surnaturel  pouvait surplomber les hommes de la pré modernité : il reste encore assez  largement inaccessible et mystérieux. Pour autant, tous ne sont pas au même niveau de méconnaissance, et certains monopolisent des informations inaccessibles à beaucoup d’autres. C’est le cas des mathématiciens constructeurs de produits, qui précisément  apparaitront comme exotiques pour beaucoup d’acteurs. C’est aussi le cas de ceux qui maitrisent le mieux la vitesse de transmission de l’information, en se trouvant par exemple plus proche de sa source. Exemple qui nous fait penser au trading informatisé, et à la sophistication des algorithmes. Mais c’est aussi bien sûr,  le cas de ceux qui disposent d’informations confidentielles, et flirtent avec la notion de délit d’initié : il ne saurait- quoiqu’on en dise- exister de muraille de Chine, dans les grandes institutions financières.

Cette première asymétrie est fondamentale et permet de comprendre l’énormité des rémunérations des plus talentueux, avec la fantastique résistance à toute modération des bonus. De ce point de vue, le risque de délocalisation est très réel, et il sera impossible de réglementer sérieusement les rémunérations des principaux acteurs. Traders des marchés financiers,  et croupiers des salles de jeux, ne sont pas dans le même monde, et parce qu’aucune connaissance rare et stratégique n’est exigée chez ce dernier, sa rémunération ne sera guère comparable à celle du trader.

L’asymétrie du pouvoir de manipulation, est sans doute ce qui prolonge assez naturellement l’asymétrie des connaissances. Les cours, sur les marchés financiers, sont manipulables par les plus puissants, surtout s’ils disposent des possibilités de la globalisation financière, aujourd’hui il est vrai partiellement remise en cause par la « règle Volker ». Ainsi des offres volumineuses  d’achats immédiatement annulées, permettent de faire grimper un cours pendant un très court instant (quelques secondes et souvent beaucoup moins), et court instant mis à profit pour vendre. Le gain va ici chez le manipulateur de cours, gain éventuellement partageable avec celui qui aura été informé. Ce dernier cas est juridiquement un délit d’initié…qui ne peut évidemment être prouvé. La technologie fait ici barrage à l’application de la loi, et c’est la raison pour laquelle le regretté Maurice Allais voulait conserver la cotation unique quotidienne et manuelle.

Le pouvoir de manipulation peut aussi être plus radical lorsque la loi – c'est-à-dire le tiers qui surplombe le jeu- disparait au profit des acteurs du jeu lui-même, c'est-à-dire des professionnels impliqués, à qui l’on confie la régulation du système. C’est ce qu’on a appelé la dérèglementation ou la dérégulation. Chacun sait aussi que lorsque le régulateur public existe, il est souvent capté, ou à tout le moins sollicité par les lobbystes. A titre d’exemple, la récente directive européenne sur les « hedge funds » et les fonds de « private equity »,  a fait l’objet de 1690 propositions d’amendements en provenance de l’industrie.

« L’élasticité du volume des patrimoines financiers », fait qu’à l’inverse des tables de jeux, des bulles vont régulièrement  se former, et  exploser tout aussi régulièrement. Parce que les objets financiers ne sont jamais une réalité, mais une simple représentation ou un simple reflet, et quelque fois même reflet de reflet pour les produits les plus complexes, il y a toujours incertitude quant à leur valeur objective. Et incertitude concrêtement vérifiée, par le mouvement incessant des hausses et des baisses de prix. A l’inverse de nombre de marchandises réelles classiques, une hausse de prix, peut entrainer une augmentation de la demande, entrainant une nouvelle hausse, et par un processus de contagion mimétique, développer une bulle. Il en résulte des phénomènes d’enrichissement,  ou d’appauvrissement globaux, gravement perturbateurs à l’échelle macroéconomique. Et effets accrus en raison des interventions des banques centrales qui- à titre d’exemple- peuvent développer des hausses par le biais du « Quantitative Easing ».

La machine à produire d’incorrigibles inégalités.

Les différentes asymétries et bulles intrinsèques à la finance, sont génératrices d’une aggravation des inégalités sociales, et inégalités plus ou moins bien supportées selon les codes et normes sociales en vigueur, et donc selon les pays. De ce point de vue, l’emprise toujours plus grande des salles de marché, est beaucoup plus insupportable là où la passion de l’égalité est encore en vigueur (France), que là où la liberté est une valeur beaucoup plus importante que l’égalité ( Grande Bretagne).

Le Fordisme classique, redistribuait d’autant plus volontiers les gains de productivité, que le lieu d’où ils jaillissaient, était outil de production construit et utilisé collectivement. Il était difficile de savoir, quel ingénieur, quel agent de maitrise ou ouvrier, était plus responsable que d’autres dans l’émergence du surplus de production. D’où, à l’époque, le caractère très contenu des échelles de rémunération. La salle de marché, est un rassemblement d’individus autour d’un outil technique, qui permet de lire à l’euro près, ce que tel ou tel agent produit. L’atelier fordien était lieu de production indivise. La salle de marché est peuplée d’artisans, et chacun exige un bonus qui est une fraction d’une production artisanale très personnalisée.

Maintenant, la financiarisation du réel étant en pleine expansion, se met en place les deux lames d’un ciseau, qui d’un côté, tend vers une hausse sans limite des rémunérations liées à la finance, et de l’autre, une pression sur les basses rémunérations dans le secteur de la « réalité »,et ce, en raison des délocalisations  facilitées par ce que nous appelions les « autoroutes de la finance ». Les salles de jeu appauvrissent fréquemment  ceux qui jouent trop souvent (il existe un biais statistique en faveur du propriétaire du casino), mais les salles de marché appauvrissent ceux qui ne participent pas aux jeux financiers, ou plus exactement, tendent à déchirer les mondes où la valeur de l’égalité, était croyance et projet collectif. Ainsi, et d’une certaine façon, les salles de jeu ne développent  pas d’effets externes majeurs ( a priori pas trop de pollution) tandis que les salles de marché développent des externalités négatives de grande ampleur.

Pour autant ne pouvons-nous pas dire que la finance est  plus utile que le casino ?

Il ne reste que des paris sur fluctuations de prix ….à prix fort élevé.

Les salles de roulettes, au surplus  non reliées au sein d’une chaine planétaire, sont le lieu de spéculations aux conséquences simplement microéconomiques. Les salles de marché complètement intégrées sont le lieu de paris aux conséquences- externalités obligent-  macroéconomiques mondiales. Cette  démesure de la finance apparait pourtant très utile : elle assure- presque toujours - la liquidité sur toutes les opérations, celles des agents privés comme celles des agents publics. Et liquidité qui permet de s’abstraire des pesanteurs du réel.

Mais la recherche de la liquidité, bien compréhensible pour les acteurs de la réalité, c'est-à-dire les producteurs de marchandises, les exportateurs et importateurs, investisseurs, etc. qui doivent sécuriser leurs activités par des opérations de couverture, peut aussi être recherchée, par d’autres acteurs, très éloignés de la réalité, et de ses contingences matérielles. Il s’agit bien sûr, selon l’expression de Jorion, des « parieurs sur fluctuations de prix » que les acteurs institutionnels du monde de la finance, appellent improprement « investisseurs ». Il s’agit bien sûr des spéculateurs. Et spéculateurs dont on sait qu’ils sont- en raison de leur poids- les acteurs en position quasi hégémonique sur le marché.

Leur apport est ambigu et ne peut être mesuré facilement par la valeur ajoutée de la comptabilité nationale. Très certainement, les paris sur fluctuations de prix, prennent une place croissante dans la valeur ajoutée bancaire, notamment au niveau des méga- banques américaines. Pour autant, on sait depuis le regretté Alfred Sauvy,  que  l’une des insuffisances de la comptabilité nationale, est de sommer des valeurs ajoutées… qu’il faudrait pourtant soustraire. Et chacun peut  avoir en tête,  la consommation de carburant supplémentaire, provoquée par les bouchons dans les villes.

Replacé dans le contexte des salles de marché, les valeurs créées doivent- elles être ajoutées ou retranchées à la richesse nationale produite ? Il est possible de répondre à la question en la transformant : l’interdiction des  paris sur fluctuations de prix déboucherait-il sur une baisse relative du PIB ? Réponse assurément positive, si les paris interdits en questions (devises, matières premières, titres , etc.) aboutissaient à des grippages de l’économie réelle : moins d’échanges risqués et davantage de stocks à financer pour contrer une trop grande volatilité des prix, demande globale en baisse par « effet richesse » devenu assez probablement négatif, etc.

Il n’existe hélas pas d’études convaincantes en la matière. Nombre d’entre-elles soulignent les avantages de la financiarisation à l’échelle micro-économique. Toutefois, outre que l’échelle microéconomique est insuffisante, il s’agit souvent, de travaux menés à l’ombre des lobbys, qui évidemment ont intérêt à monter, ou entretenir un "casino", dont les asymétries leurs sont entièrement profitables. Lobbys qui invitent, évidemment,  au développement du processus d’abstraction du réel. Ainsi, vient de se monter sur le NYSE Euronext,  un marché de contrats sur poudre de lait, donc nouvel espace de paris, dont on ne sait s’il sera collectivement profitable, mais dont on peut parier qu’il sera profitable aux parieurs informés et compétents, que l’on trouve dans les méga- banques. Ainsi, ces dernières profiteront-elles davantage de cette nouvelle salle de jeu, que les éleveurs de troupeaux et producteurs de lait, encore peu initiés aux techniques des marchés à terme. En attendant l’ouverture de nouvelles salles de jeux, pour le beurre et le lactosérum, dès le printemps 2011…

Le processus d’abstraction du réel, et les nouvelles tables de jeux financiers qui en résultent, ne peut macro économiquement   se justifier, que si la valeur ajoutée (au sens de la comptabilité nationale) générée et captée par la finance, est inférieure à la croissance du PIB du pays considéré. Si elle est supérieure, cela signifie qu’il y a prédation. S’il y a égalité, les paris sur fluctuations de prix sont économiquement neutres. Raisonnement a priori de bon sens…A moins de considérer que l’ensemble macro économique fonctionne à rendements décroissants, et que la finance est replâtrage salvateur. Mais hypothèse à vérifier

 

Toutefois, et globalement, en l’absence d’études macroéconomiques sérieuses, sur les avantages et inconvénients des paris sur fluctuations de prix, force est  de constater, que cette continuelle abstraction du réel par ouverture tout aussi continuelle de nouveaux vrais- faux casinos, est à tout le moins contestable : il s’agit de s’engager dans  le développement de la « société en sablier » (Lipietz),c'est-à-dire un monde de plus en plus inégalitaire contre des avantages  non démontrés. Problématique , on le voit, typiquement  Rawlsienne… mais imaginée sur du sable…

Au total, le discours de la finance, concernant la formidable croissance mondiale dont elle aurait été le catalyseur, est à tout le moins une déclaration sans preuves. Certes la finance n’est pas vraiment un casino. Mais elle  est une formidable machine à créer de l’inégalité, et une inégalité très difficile à corriger, en raison des spécificités technologique de ce type d’industrie. La dévalorisation de la finance, et le jugement négatif qu’on peut lui porter, ne résulte pas des « paris », paris assimilés à ceux qui s’opèrent dans les salles de jeu, mais bien plutôt en raison des conséquences sociales de son simple fonctionnement.

 

 

 

 

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19 octobre 2010 2 19 /10 /octobre /2010 08:46

                                

Il est important de revenir sur le célèbre exemple de Ricardo pour bien comprendre toute la distance qu’il peut y avoir entre libre- échange et mondialisation.

Le libre échange ou  l’acceptation de l’improductivité britannique

L’auteur sus-visé cherche à démontrer que même en situation de désavantage absolu, un pays a toujours intérêt à se livrer à des opérations de commerce international. Dans son exemple, Ricardo évoque deux pays, le Portugal et l’Angleterre et deux marchandises, le vin et le drap.

Avant échange extérieur, les deux pays produisent et évaluent les deux marchandises selon les coûts suivants en travail par unité produite : 80H et 90H respectivement pour le vin et le drap pour le Portugal ;  120 et 100H pour ces deux mêmes marchandises s’agissant de l’Angleterre.

Si l’Angleterre est déclassée aussi bien pour la production de vin que pour la production de drap, elle a - dit Ricardo  - intérêt à se spécialiser dans le domaine où elle se trouve relativement  le moins désavantagé, c'est-à-dire le drap, le Portugal prenant en charge la production de vin.

Une telle spécialisation suppose évidemment une bonne mobilité des facteurs de la production, avec pour résultat la possibilité de produire plus de deux unités de vin (2,125 unités) pour le Portugal, et plus de deux unités de drap (2,2 unités)  pour L’Angleterre. Il existe bien un gain mondial à l’échange international comme il existe des gains à l’échange au niveau national. La question toutefois se pose de savoir comment sera réparti ce gain entre les deux pays.

Pour autant, si on raisonnait en dehors du contexte national/ international pour raisonner en mondialisation le résultat serait encore meilleur. Car les entrepreneurs anglais n’ont aucune raison de supporter l’improductivité des travailleurs britanniques et délocalisent leur production au Portugal. Cela suppose évidemment un grand réservoir de main  d’œuvre dans ce pays, mais désormais il serait possible de disposer de 2,125 unités de vin et de 2,44 unités de drap (220/90), soit une situation mondiale meilleure. De ce point de vue la mondialisation, faisant disparaitre les Etats, peut-être perçue comme avantageuse.

Evidemment l’exemple et les calculs sont frustres, mais ils correspondent assez correctement à ce qui s’est passé depuis la fin du fordisme. L’exemple de Ricardo revisité représente assez correctement ce qui s’est produit : zones dévastées (L’Angleterre ne produit plus grand chose) associées à des croissances miraculeuses (Chine).

Une réalité  empirique entre libre échange et mondialisation…

Si l’on cherche à se rapprocher de la réalité empirique d’aujourd’hui, il faudrait raisonner dans l’exemple de Ricardo sur le cas des USA et de la Chine. Mais plus important, il est des paramètres fondamentaux à introduire dans le modèle : il existe des productions non délocalisables, par exemple les services sociaux portant secours aux chômeurs, les services publics etc. Plus sérieusement encore, derrière les pays existent des acteurs ou groupes d’acteurs : entrepreneurs économiques aux intérêts divers, salariés et  consommateurs plus ou moins citoyens, enfin entrepreneurs politiques travaillant dans un champ institutionnel.

Pour autant, la réalité empirique d’aujourd’hui, semble à mi- chemin entre le libre échange qui devrait assurer une sorte d’optimisation mondiale de la production, et la mondialisation qui élimine l’existence même des improductifs. Clairement, les USA n’ont plus grand-chose à exporter, et la Chine peut, tous les jours davantage,   produire tout ce dont les américains ont besoin.

 Le modèle du libre-échange est celui où la nation n’est pas encore contestée, le marché politique pouvant fonctionner sur la base d’un mercantilisme classique. Les acteurs les plus importants, c'est-à-dire les entrepreneurs économiques travaillent sur des bases nationales et n’exigent pas la disparition ou l’adaptation du corpus législatif interne à une norme supérieure. Ce modèle est assez largement celui de la révolution industrielle, notamment anglaise, et celui du monde dit développé du 20ième siècle.

…Mais marchés politiques tentés par le mondialisme

Le modèle de la mondialisation n’existe pas, et a peu de chances de se manifester, et ce même si la réalité empirique semble - faussement ou maladroitement - s’en rapprocher. En théorie il signifie que les acteurs les plus importants, c'est-à-dire les entrepreneurs économiques exigent la fin des nations et l’apparition d’un ordre institutionnel planétaire susceptible de favoriser sans limite l’ordre économique. En clair, ils exigent que les nations , coupe- circuits, dans l’ordre du marché généralisé, subissent un affaissement drastique. Les entrepreneurs politiques ne peuvent que mollement répondre à cette exigence. Dans un premier temps ils peuvent en accepter les premiers effets en ce qu’ils s’inscrivent dans l’ambiguïté : le salariat se précarise, mais la consommation se porte bien, simplement, parce que dans la première phase, la Grande distribution se charge de faire baisser la valeur de la force de travail, ce que nous appelions le fordisme boiteux ou « l’artificialisation de la plus value relative" (cf:

  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-grande-crise-les-8-fondamentaux-pour-conclure-54153801.html).

 Avec le temps, le marché politique devient  plus difficile, et l’offre de produits de mondialisation (ensemble du système juridique revu et corrigé  pour autoriser une entrée en mondialisation) engendre  de grands changements, notamment  en termes de répartition du bien être (accroissement des inégalités de revenus et de patrimoine). Mais précisément l’offre  se manifeste néanmoins  parce qu’il existe un besoin et un marché potentiel.

Concrètement , la théorie économique- tel le marketing  engendrant en permanence de nouveaux besoins qui n’existent pas vraiment-  va faire naitre, d’abord chez nombre d’entrepreneurs économiques, mais aussi chez les salariés, le besoin  de s’éloigner de l’Etat : La macroéconomie ne bénéficie d’aucun statut scientifique, diront les autrichiens ; l’école des choix publics nous a sensibilisé sur les handicaps de l’intervention publique ; l’école des anticipations rationnelles  a confirmé le handicap ; et beaucoup considèrent que les modèles dont sont friands les ministères  sont un crime épistémologique. La parole académique, comme celle du marketing,  est ainsi venue modeler la pensée et les actions des praticiens du jeu social. Et si la finance s’est imposée dans la configuration qu’on lui connait encore, c’est aussi et surtout en raison de l’efficacité instrumentale de la théorie des marchés efficients ( Merton, Black et Scholes). De quoi faire reculer le règlement (l’Etat) et faire avancer le marché qui ferait beaucoup mieux.

 Avec, au passage, cette académique contradiction : on dénonce l’épistémologie des modèles macroéconomiques intégrant le postulat des bienfaits de l’Etat,  mais on accepte celle de l’efficience des marchés alors qu’il est possible de lui adresser les mêmes critiques : celles en provenance de la théorie du chaos. Dans un cas comme dans l’autre, puisqu’il s’agit de modèles, il existe une fissure – même très faible- entre le réel et sa représentation, fissure  qui se transforme en abîme entre ce qui se produit réellement et ce qui se prédisait. Comme quoi  le concurrentiel épanouissement des théories économiques est autant affaire de marketing que de science fondamentale.

   Et tout aussi concrètement,  l’inondation de la société par les mécanismes du marché fera apparaitre « l’homme délié » au détriment de l’homme citoyen. C’est dire par conséquent que les individus seront de plus en plus nombreux à connaitre une certaine fringale de produits de mondialisation. Cette dernière apparaissant comme la conquête de libertés nouvelles. L’homme citoyen était encore imprégné de cet ersatz  de holisme qu’était la patrie dévoreuse de devoirs autant que de droits. Désormais la société complètement inondée par le marché, ce que Polanyi appelait la « grande transformation », se reconnait mieux comme individus dévoreurs de « droits liberté » que l’on met en avant dans l’échange volontaire universalisé et intéressé.

A cheval sur un monde de plus en plus difficilement maitrisable, les entreprises politiques dont le carburant   fût historiquement la nation, furent ainsi amenées à répondre à l’utopie  de la mondialisation. Il existe donc curieusement une contradiction, entre un marché politique qui s’oriente vers son anéantissement, la disparition de l’Etat nation étant aussi celle des marchés politiques correspondants,  et un principe vital qui l’empêche d’aller jusqu’au suicide.  Avec cette caractéristique singulière : plus ils répondent positivement aux exigences  des acteurs les plus mondialistes et plus ils sont contestés dans leur fonctionnement. 

C’est qu’à la simplicité du holisme résiduel de la modernité naissante (19 et 20ième  siècle) correspondait la simplicité de son marché politique : peu de

produits, et beaucoup de gesticulations idéologiques et manipulatrices sur la base de valeurs simples. A l’explosion de l’individualisme radical correspond la complexité du social et la sur- agitation des marchés politiques : avalanche de produits censés compenser la perte des valeurs et du sens. La régulation de l’ensemble social n’est plus nourrie par la citoyenneté, mais par l’intérêt individuel, d’où la pluie de lois chargées de compenser l’effacement de ce que l’on appelait capital social, valeurs ou simple morale.

….Mais marchés politiques non suicidaires

Toutefois le monde connait déjà les limites de la mondialisation et les forces de rappel vers le simple libre échange se manifestent.

La première est celle qu’avait peut-être envisagé Ricardo, lequel stoppait son raisonnement au beau milieu de la démonstration : les capitalistes anglais supportent l’improductivité des travailleurs britanniques et ne délocalisent pas la production de drap alors même que l’économicité y pousse. Ricardo ne nous dit pas pourquoi le seuil de la délocalisation radicale n’est pas franchi. Peut-être  s’agit-il d’un problème de valeurs : les capitalistes anglais seraient aussi citoyens britanniques soucieux de ne pas ruiner leur pays. Cela signifierait aussi, que l’avantage de l’échange est bien perçu dans les vieux termes du holisme qui se prolonge alors même que la grande transformation est à l’œuvre : ce sont d’abord des nations qui gagnent à l’échange. L’inondation de la société par l’économie n’est pas encore la noyade. Et le libre échange n’est pas la mondialisation.

Aujourd’hui, il est difficile de penser que les entrepreneurs économiques restent animés par le primat de la citoyenneté, et la noyade de la société n’est pas la leur. Ils constituent pour les plus importants d’entre-eux la sur- classe mondialiste et restent entièrement gagnants au jeu de l’échange. Ce gain, correspondant à la noyade de la société,   s’oppose de plus en plus radicalement aux intérêts des entrepreneurs politiques qui seront de plus en plus amenés à refuser leur propre suicide. Ils vont pour cela construire de nouveaux produits répondants aux intérêts des salariés dont  la précarisation se fait menaçante. Si Ricardo pouvait penser que la main invisible était surplombée par la citoyenneté des capitalistes, aujourd’hui il nous faut plutôt penser qu’elle sera surplombée par l’intérêt des entrepreneurs politiques,  lesquels refusent le suicide par noyade volontaire. Les entreprenurs politiques seront ainsi amenés à renégocier les termes d’un libre échange assurant leur propre pérennité.

 Les marchés politiques européens  refuseront la mort

En termes empiriques il est facile de repérer que les Etats qui se sont le plus lancés dans la mondialisation, par abandon lourd de leur souveraineté, sont aujourd’hui très hésitants. Tel est le cas des pays de la communauté européenne, qui révèlent au grand public, leur refus d’aller plus loin dans l’affaissement des Etats et en arrivent à imaginer un lourd système de sanctions au détriment de ceux qui souhaitent se préserver des marges d’autonomie. L’abandon des souverainetés monétaires et budgétaires est de moins en moins bien acceptée, et les projets de systèmes de sanctions à l’encontre des Etats récalcitrants ne font que mesurer la résistance à l’affaissement des marchés politiques nationaux, et de ses entrepreneurs qui refusent la filialisation vis-à-vis d’un possible marché politique supra national (le grand Etat européen), et surtout la perte de parts de marché sur leur propre zone de chalandise.

Et précisément ces sanctions lourdes (on parle d’amendes se comptant en points de PIB pour les déficits excessifs, et amendes quasi automatiques en raison de la mise en action d’une règle  de majorité inversée) vont entrainer l’hostilité croissante des électeurs des pays concernés, lesquels exigeront de la part  de leurs  entrepreneurs politiques nationaux une authentique résistance. Les entrepreneurs politiques nationaux les plus intelligents seront ainsi sauvés par ceux qu’ils martyrisaient dans l’aventure mondialiste. D’où des revirements spectaculaires à attendre en termes d’offres politiques, idée  que nous risquions déjà dans notre texte:

 http://www.lacrisedesannees2010.com/article-crise-financiere-et-renouvellement-de-l-offre-politique-57894468.html.

L’hostilité ne peut en effet que grandir avec l’épuisement du fordisme boiteux qui ne cesse d’éloigner le salarié du consommateur. Il est, avec l’approfondissement de la crise financière, de moins en moins question de négocier- au moins fictivement- du pouvoir d’achat conquis par la plus value relative offerte sur des importations toujours croissantes contre davantage de précarité salariale (cf:

  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-grande-crise-les-8-fondamentaux-pour-conclure-54153801.html).

Au-delà de ce que l’on appelle les nouveaux besoins, Les gains en pouvoir d’achat sur produits importés sont désormais surcompensés par des taux de salaire déclinants. Avec impossibilité de sortir du couple prix des importations/salaires par utilisation d’une monnaie, l’euro, qui reste aujourd’hui encore la seule « monnaie sans souverain », c'est-à-dire  mondialisée.

Et cette hostilité vis-à-vis de la construction européenne est aussi la porte de secours des marchés politiques nationaux qui constatent de plus en plus que l’Europe est curieusement le continent le plus avancé vers la mondialisation. Les autres continents le sont en effet beaucoup moins, et s’avancent au mieux, sur la base d’un relatif libre- échange vers des Etats- nations, qu’il s’agit de préserver ou de construire. Et cette pointe avancée vers la mondialisation qu’est l’Europe est d’abord le fait de sa « monnaie sans souverain ». L’actuelle guerre des monnaies faisant ainsi intervenir sur le champs de bataille une armée sans général.

Le possible démantèlement prochain des institutions européennes s’annoncera aussi comme lutte pour la vie des principales entreprises politiques du continent. Et démantèlement qui ne signifie pas nécessairement disparition : comme les entreprises économiques, les entreprises politiques se doivent de renouveler en permanence le catalogue des produits, produits parmi lesquels il serait possible de trouver de nouveaux projets européens.

Singulièrement, comme l’improductivité des travailleurs britanniques ne signifiait pas leur disparition dans l’exemple de Ricardo, il n’est pas dit que l’improductivité des travailleurs grecs, condamne ces derniers à disparaitre. Après avoir été martyrisés, les improductifs seront peut-être protégés.

 

 

 

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28 septembre 2010 2 28 /09 /septembre /2010 15:27

              

La présente réflexion,  s’inscrit dans l’idée selon laquelle une conjonction entre temps propre de la crise, et temps propre à la sphère  politique, risque d’aboutir avant le printemps 2012 à un changement radical de paradigme dans le fonctionnement de l’Europe, et en particulier de sa zone euro. Et  un changement possiblement impulsé par la France.

Inutile d’insister ici sur l’aggravation de l’actuelle grande crise. Les lecteurs avertis, en connaissent maintenant le mécanisme, et savent que si l’empilement de la dette globale mondiale n’est pas l’essence de la crise, il en est le facteur de déclenchement. Même sans revenir sur la globalisation, le retour à la croissance suppose au moins  l’arrêt de l’accroissement de l’économie de dettes. Circonstance non empiriquement constatée, puisque les Etats continuent d’accroitre leurs stocks de dettes….pour aider  les banques… qui aident les Etats. Il faut sauver les Trésors Irlandais ou grecs, pour sauver les banques françaises ou allemandes- largement exposées sur les dettes publiques correspondantes-  et qui financent les Trésors français ou allemand. Le cercle est bouclé.

Sur un plan purement comptable, aucun pays de la « zone euro à risques »- Allemagne,  Pays Bas et Autriche exclus-   n’obéit  à l’équation de stabilisation de la dette publique. Les soldes primaires sont très au-delà de ce qui permettrait la simple stabilisation : dette cumulée déjà trop élevée, taux de croissance beaucoup trop faible, et taux de l’intérêt sans doute encore faible pour certains pays (France) mais instable, et devenant usuraire pour les plus faibles ( Irlande, Portugal, Grèce). Cela signifie que malgré les plans de contraction des dépenses publiques, et d’augmentation parallèle des prélèvements, l’endettement continue d’augmenter, avec notamment les risques qui s’y rattachent, en termes de classement par les agences de notation.

Pour les plus menacés – Irlande, Portugal, Grèce et sans doute Espagne- et aussi les plus menaçants pour l’ensemble de la zone euro, la situation est désespérée, puisqu’en 2010 les taux de croissance seront négatifs, ou  au mieux inférieurs à 1%, alors que le taux moyen de la dette sera proche de 3%, et le taux marginal pouvant dépasser les 10% (très exactement 10,898% au 27 septembre 2010 pour les bons grecs à 10 ans selon Bloomberg). C’est dire qu’il faudrait un solde primaire très positif – plusieurs points de PIB-  à priori inaccessible. Les plans de réduction des déficits, risquent de faire baisser les recettes, et donc d’accroître ces mêmes déficits,  alors  qu’ils sont déjà insupportables. La France est, elle-même, en position plus que délicate : En admettant pour 2011 une dette de 85% de PIB, une croissance de 1,5%, et un taux d’intérêt de 3%, il faudrait un solde primaire public supérieur à 1,275 point de PIB. Cela représenterait un excédent budgétaire primaire d’environ 25 milliards d’euros… pour seulement bloquer la croissance de l’endettement. Le parlement préparant un budget 2011, affecté d’un déficit supérieur à 90 milliards, sera du même coup voté,  une aggravation importante de l’endettement global,  et donc un risque d’aggravation de la crise financière.

De façon très conjoncturelle, la guerre des monnaies en cours dans le monde ( il vaut mieux dévaluer puisqu’il ne saurait y avoir de relance interne, avec des ménages davantage disposés à thésauriser, et que tous les Etats veulent exporter) retarde et fait passer au second plan, l’inévitable démantèlement  ou recomposition de la zone euro. Curieusement, l’achat d’Euros permet de stabiliser Yen, Franc suisse, Yuan et de conforter la monnaie européenne.

C’est dire aussi que le temps propre de la crise en Europe, ou son cheminement, ne saurait évidemment faire l’objet de prévisions calendaires. Et ce d’autant  que d’autres acteurs lourds interviennent dans le déroulement de la crise : USA, Chine, autres émergents,  etc. Il est toutefois raisonnable de penser, que la très grande probabilité de défaut d’un ou de plusieurs maillons de la chaine euro, sera suivi de rupture politiques majeures.

Dans le texte« l’Euro, sursaut ou implosion », il était expliqué la logique de la connivence des entreprises politiques, notamment françaises : la fuite en avant étant la capacité, grâce à l’euro, de multiplier ou de conserver le niveau et la qualité de  l’offre de produits politiques sur les marchés correspondants.

Mais le fordisme boiteux qui devait en résulter (cf. le texte du 19 juillet : « La grande crise : les 8 fondamentaux pour conclure ») est devenu « fordisme boiteux en sursis »  avec le développement de la crise. Désormais, pour les grandes entreprises politiques des pays les plus importants (France en particulier) l’offre de produits risque de devenir très rapidement inadaptée. Quel que soit l’entrepreneur politique ayant vocation à gouverner, la reconduction au pouvoir, ou la conquête du pouvoir,  ne pourra plus se faire à partir du même paradigme, si  le défaut constaté chez un maillon faible se propage. Et la propagation est inévitable, et atteint directement le Trésor, qui devra soutenir des banques victimes de la contagion, qu’il faudra bien sauver …si l’on veut sauver le Trésor lui-même.

Le paradigme dominant de la science économique, certes ébranlé par les développements passés de la crise, reste toutefois dominant, et partout, il s’agit de refermer la porte d’un Keynésianisme dont on ne veut pas. C’est dire que sans le défaut, pourtant très probable dans le court ou le moyen terme, d’un maillon faible de la chaine euro, les entreprises politiques conserveront – malgré elles- leur offre faite de rigueur budgétaire, dite de droite (diminution de la dépense) ou de gauche (augmentation de la pression fiscale) . Et ce même si une telle stratégie aboutit à créer du mécontentement, puisque rigueur budgétaire signifie aussi diminution du volume de l’offre politique, et perte de parts de marchés, au profit d’entrepreneurs politiques moins généralistes, souvent appelés  « populistes ». Ou tout simplement au profit du retrait du marché c'est-à-dire l’abstention : le consommateur de produits politiques n’achète plus.

Cette situation, forte probabilité d’un défaut très contagieux, associée à un conservatisme de l’offre politique globale, procure un avantage considérable à l’entrepreneur politique au pouvoir : il peut – dans la tempête, et dos au mur- révolutionner l’offre de façon immédiate. Et il le peut, car il détient – puisqu’au pouvoir-  les outils de la contrainte publique. Et il ne peut que révolutionner l’offre, s’il veut se donner une chance de gagner l’élection suivante. Parce que la réalité se transforme brutalement – défaut avec forte contagion et crise systémique, non maitrisable avec les outils classiques- l’entrepreneur politique au pouvoir n’a guère le choix. Il lui faut « dérailler », rapidement changer de paradigme, et révolutionner le mode d’accaparement des outils de la contrainte publique à des fins privées.

Dans le cas de la France , ce déraillement rapide , mobilisant de nouveaux outils aux fins d’une possible reconduction au pouvoir, est constitutionnellement prévu : Il s’agit de l’article 16 de la constitution de 1958.

Il convient toutefois de préciser les modalités économiques et juridiques du déraillement.

S’agissant des modalités économiques les choses sont simples : l’avalanche contagieuse des défauts, est stoppée net par le rétablissement de la souveraineté monétaire autorisée par l’article 16. Il s’agit simplement de reprendre autorité sur la banque centrale, de supprimer l’agence France Trésor devenue inutile,  et d’exiger l’achat gratuit de bons du Trésor par le banquier de l’Etat, comme cela se déroulait sans heurts,  avant la loi du 3 janvier 1973. Une telle décision, va contre les engagements bruxellois de la France, et débouche inéluctablement sur un conflit avec les tenants de l’autre paradigme, à savoir essentiellement l’Allemagne. Le défaut ayant une portée systémique, il est toutefois peu probable que l’Allemagne – dont le système bancaire est très exposé- puisse résister longtemps, à une offre française de redéfinition de l’euro, lequel devient monnaie commune, et cesse d’être monnaie unique. Et monnaie commune avec taux de change fixes et ré ajustables à intervalles réguliers. Dans la négociation qui en résulte, l’entrepreneur politique français a tout à gagner : il est suivi par les entrepreneurs politiques des maillons faibles, qui à force de se droguer à l’euro, ont tout perdu. Cela signifie la construction d’une nouvelle zone euro à l’initiative de la France, avec toutes les conséquences politiques qui peuvent en résulter. On peut du reste imaginer, qu’il y aurait vite contagion sur l’idée de souveraineté monétaire, et peu de pays conserveraient la doctrine de l’indépendance des banques centrales. Et l’entrepreneur politique français, a également tout à gagner sur le plan interne, puisqu’initiateur d’une nouvelle offre de produits politiques,  dont les coûts associés- par exemple une augmentation du coût des importations-  sont reportés au-delà des élections. En outre cette offre nouvelle, est aussi une nouvelle histoire et donc un projet qui ne se ramène plus à de la fade   « gouvernance de l’immédiateté et de l’insignifiance ». Ainsi, des produits comme le « retour à la croissance » ou « la ré industrialisation » pourraient, au moins temporairement, abandonner leur statut de slogans usés et reprendre quelques couleurs.

La question reste toutefois de savoir, si l’article 16 est utilisable dans le cas d’une crise systémique. Une lecture constitutionaliste du texte, semble indiquer que le recours à l’article 16, est subordonné à des ensembles de faits précis : « menaces graves et immédiates » sur « l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire, ou l’exécution de ses engagements internationaux ». Et menaces susceptibles d’interrompre le « fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels ». Si un défaut d’Etat en zone euro est extrêmement contagieux et entraîne une catastrophe financière, il y a bien menace sur le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Et on sait qu’un effet de « Bank run », avec disparition de la monnaie, débouche rapidement sur une dislocation de l’Etat de droit. Ce fût du reste la grande peur des Etats en septembre 2008. En revanche, la catastrophe financière ne semble pas être une menace sur « l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire, ou l’exécution de ses engagements internationaux ». Il appartiendra, comme  prévoit le texte, au Conseil Constitutionnel, d’apprécier la légitimité du recours à l’article 16 après 30 jours de mise en œuvre, mais uniquement sur la base de la saisine du président de l’Assemblée Nationale, ou du président du Sénat ou de 60 députés ou sénateurs. Il est toutefois douteux, au vu de l’étendue de la catastrophe, qu’une saisine du Conseil puisse se manifester, ou le cas échéant, que le conseil saisi, déclare non conforme l’utilisation de l’article 16. Il en résulte qu’effectivement, l’entrepreneur politique au pouvoir, peut être le grand bénéficiaire d’un risque de défaut contagieux sur l’euro-zone.

Bien évidemment, le changement de paradigme autorisé par le recours à l’article 16 est un pari et un saut vers l’inconnu. Mais il faut noter aussi qu’il est dans, la présente situation de la France, le moyen le plus efficient dans la quête de la reconduction au pouvoir.

Sans préjuger des modalités précises des mesures prises, dans le cadre du recours à l’article 16, il y a comme dans toute mesure publique, d’abord déplacement de bien être entre groupes de personnes et effets secondaires, dont nul ne peut en évaluer, ni l’importance ni la direction. Le fonctionnement des groupes humains, ne relève pas de la mécanique, et les liens causes /effets sont infiniment complexes. Néanmoins, et en toute première approximation, il y a d’abord relâchement de la pression sur les Trésors puisque la dette nouvelle devient gratuite. On pourrait imaginer, qu’il en serait de même concernant le stock de dettes publiques, toutefois on peut se demander, s’il est juridiquement possible d’utiliser l’article 16, aux fins de promulgation d’ordonnances rétroactives. Cette gratuité nouvelle, correspond à des désavantages pour l’ensemble de la finance qui jusqu’ici, se nourrissait de la dette publique, laquelle était aussi matière première de base, pour confectionner d’autres produits financiers achetés par des épargnants. Dans le cas de la France, les désavantages sus visés seraient internationalisés, puisque jusqu’ici, prés de 70% de la nouvelle dette publique était vendue à des banques étrangères. Les réactions des banques françaises, déjà très atteintes par le défaut en un point de la chaine euro, seraient donc limitées, et il est faux de considérer, comme le fait Jean Peyrelevade, qu’elles ne pourraient pas supporter la gratuité de la dette publique.

Il y aurait aussi comme conséquence première, déplacement de bien- être à l’intérieur de la zone euro : tous ne pourront plus être passagers clandestins ainsi que nous le disions dans l’article du 28-01-2010. Les moins efficaces, paient  leur insertion avec des importations plus couteuses, et les plus efficaces (Allemagne) ne peuvent plus siphonner, la demande globale de l’ensemble des autres membres de la zone. On pourrait du reste imaginer, que les négociations nouvelles dans le cadre du nouveau paradigme, prévoiraient la mise en place des institutions de veille et sauvegardes, des équilibres des échanges extérieurs entre pays.(cf. le texte du 16 juillet : « l’équilibre extérieur comme produit politique émergent »)

Au-delà, il est évidemment difficile d’aller plus loin, tant  les prévisions dans un contexte de rupture radicale sont difficiles. La présente réflexion n’avait pas pour objectif d’éclairer le nouveau paradigme. Il se bornait à souligner, que dans la zone euro, mais certainement aussi ailleurs, les piles de dettes, toujours en très forte croissance, risquent d’exploser à une date peu éloignée de celle de l’inventaire comparatif des offres politiques, dans un pays clef de la zone (élections du printemps 2012 en France). La possible rencontre des événements, est favorable à l’entrepreneur politique au pouvoir, qui est en raison de sa maitrise des outils de la contrainte publique, et en particulier d’une disposition constitutionnelle redoutable , peut brutalement renouveler l’offre de produits,  et lui assurer une rente d’innovation, démonétisant les offres concurrentes.

 

 

 

 

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26 août 2010 4 26 /08 /août /2010 13:40

             

Ce que nous appelions fordisme boiteux dans l’article du 19 juillet dernier correspondait à la construction – depuis la fin des trente glorieuses- d’un désajustement macroéconomique entre offre globale et demande globale. La mondialisation (étape 2) permet d’échapper au partage classique des gains de productivité. Mais la demande globale se maintient par « artificialisation de la plus value relative » (étape 3), mais aussi par la magie financière  au profit des ménages (étape 4) et la magie financière au profit des vieux Etats- providence ( étape 5) . La crise elle-même apparaissant comme le dépassement des limites autorisées par la fuite en avant par la dette et donc la dislocation de la magie financière.

Nous disions aussi qu’il n’y aurait pas de rétablissement du paradigme perdu.

 Certains souhaitent apparemment aggraver les choses,  et  soutiennent que  la crise n’est pas mondiale et se borne pour l’essentiel aux vieux pays victimes d’un défaut de productivité devenu abyssal. Point de vue jusqu’ici majoritaire, d’où les purges qu’il faudrait infliger, et que l’on inflige, par exemple aux pays du « club med ». Comme le rappelle fort justement Paul Fabra, la mondialisation est plus que le libre échange, et les « moins bons » ne disposent pas « d’avantages comparatifs » qui faisaient que dans le célèbre exemple du vieux Ricardo, l’Angleterre ne disparaissait pas malgré la surproductivité absolue  du Portugal. Aujourd’hui, la mondialisation, est en théorie, un déménagement autrement radical, puisque tout ou presque, peut être produit à meilleur compte en Asie. Le défaut de productivité n’est pas seulement abyssal : il est irrattrapable. D’où notre proposition -dans  notre article du 16 juillet- d’un accord international sur l’obligation réglementaire d’un équilibre des comptes extérieurs de chaque pays. Les entrepreneurs politiques au pouvoir dans la plupart des pays, parce que nourris à la théorie néoclassique dominante, pensent qu’il y a va de leur intérêt  de continuer à agir  comme avant  le séisme de la crise.

D’autres, apparemment  moins écoutés  par les entrepreneurs politiques présents, pensent que le conflit de répartition de la valeur ajoutée doit connaitre une modification des rapports de forces. S’il y a eu développement de la magie financière, ce que nous appelions la « gigantesque finance » dans notre article du 6 mars dernier, c’est précisément en raison de la chute - en longue période-  de la part des salaires  dans la valeur ajoutée brute. Point de vue repris dans nombre de travaux économétriques et parfois- mais très rarement- contestés s’agissant de la France (Denis Clerc). Approximativement, cette thèse repose sur le mythe du paradigme des 30 glorieuses qui par la redistribution des gains de productivité permettait un partage satisfaisant des PIB. Il s’agit donc d’une pensée issue de la famille keynésienne, pensée qui depuis quelques mois, se structure chez des auteurs anglo-saxons comme Krugman  ou français comme Artus.

Il est tout d’abord exact de constater que le conflit traditionnel de répartition de la valeur ajoutée brute continue de fonctionner au  désavantage des salariés. Le tableau suivant mérite attention :

 Variation prévue de la productivité      Variation prévue de la part des salaires

           Entre  2008 et 20  (en%)                          entre 2008 et 2010 (en%)

Irlande                                  8,8                                                     -1,6

Espagne                               5,5                                                     -0,7

USA                                       4,6                                                     -2,2

France                                  1                                                        -0,4

Zone euro                            -0,2                                                   0,9

Japon                                    -0,6                                                   -0,3

Italie                                      -0,9                                                   0,7

Grèce                                    -1,9                                                   1,2

RU                                          -2                                                       0,6

Allemagne                           -3,4                                                   1,4

 

Sources : Commission européenne et calculs Alternatives économiques 

Il révèle,  en premier lieu, une corrélation entre l’importance des gains de productivité et la chute de la part des salaires dans la valeur ajoutée brute. C’est particulièrement vrai pour le cas des USA. Cela signifie que la première économie mondiale (14204 milliard de dollars pour 2008 contre 13565 pour la zone euro et 4909 pour le Japon) souffre d’un déficit de demande interne qui ne justifie pas un investissement élevé malgré l’accroissement des profits. Les ménages titulaires de salaires, voient leurs revenus décroître, et se mettent à épargner 6% de ces mêmes revenus en 2010 contre 1% en 2007. Autant dire qu’il ne peut être mis fin à l’abyssal déficit fédéral  (plus de mille milliards de dollars) sans effondrement de l’économie américaine.

En second lieu si la zone euro est en meilleure position sur le plan de la demande globale, elle souffre d’une extrême  hétérogénéité. L’Irlande et l’Espagne sont dans une situation désespérée, et là aussi , une baisse en valeur absolue des déficits publics risque de se matérialiser par une hausse des valeurs relatives, le dénominateur  (PIB) baissant plus rapidement que le numérateur (déficit absolu).La position de Standard § Poor’s qui vient de dégrader la note de l’Irlande est probablement justifiée. Les chiffres concernant la Grèce, ne révèlent pas encore l’importance des mesures prises au printemps dernier, mais rejoindront bientôt ceux des deux pays sus visés : la chute brutale du niveau de l’emploi  se traduira par une augmentation rapide de la productivité et une baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée brute.

De fait, si la zone euro est en meilleure position en termes de demande globale, c’est- fort peu- en raison de la position de la France et presqu’uniquement en raison de la position de l’Allemagne. Si dans ce dernier pays la productivité a beaucoup baissé, c’est en raison des mesures prises concernant le chômage partiel. De fait la croissance allemande nouvelle (jusqu’à plus de 3% de croissance prévue pour 2010) va se traduire par l’augmentation de la productivité sans qu’il soit possible de dire quoi que ce soit sur l’évolution future de la part des salaires.

Nous n’avions pas à notre disposition les chiffres concernant la Chine. Toutefois l’effet de l’énorme plan de relance  a logiquement abouti - en maintenant artificiellement une très forte croissance - à une chute de la part de la consommation dans le PIB, laquelle n’a -avec seulement 32% du PIB- jamais été aussi faible. La Chine est donc aussi dans une position de faiblesse de la demande globale, avec une consommation trop faible mal compensée par des investissements pharaoniques dans le secteur public ou immobilier ( 62 millions de logements neufs seraient aujourd’hui inoccupés).

Au niveau mondial maintenant, selon Natixis, la productivité par tête progresserait de 3% en 2010, tandis que le salaire réel ne progresserait que de 1,5%.

Au total, les partisans d’une répartition de la valeur ajoutée plus favorable aux salariés semblent voir, dans l’inversion d’une tendance lourde d’augmentation de la part des profits, la solution à la crise, et la possibilité de voir le secteur privé, prendre le relai des relances publiques aujourd’hui à bout de souffle.

Les lecteurs de ce blog savent que les deux points de vue exposés mènent également à l’impasse.

 Les partisans de la « logique sacrificielle » ( Stiglitz) ne font qu’accélérer la catastrophe annoncée : la Grèce risque de mourir sur l’autel du « dieu productivité » lequel exige des  sacrifices toujours plus élevés et jamais libérateurs.  

Les partisans de la nouvelle répartition devraient comprendre que la mondialisation, telle que conçue jusqu’à maintenant, est une barrière à toute élévation de la demande globale. Dans les années 30, la barrière à l’élévation de la demande autorisant les débouchés à l’énorme production de masse d’un fordisme naissant, était l’absence d’entrepreneurs politiques, qui ne voyaient pas encore la gigantesque rente qu’ils pouvaient percevoir en faisant naître l’Etat- providence. Ce que Ford avait conçu par tâtonnements successifs : production de masse associée à des salaires élevés- le fameux « five dollars/day » de 1913-  n’était pas généralisable à l’ensemble de l’espace social. La barrière était la concurrence sauvage, empêchant une augmentation des salaires payée par la productivité, et assurant les débouchés de la production de masse. Ce sont les entrepreneurs politiques, qui ont vendu sur les marchés politiques, la régulation globale, c'est-à-dire la généralisation du fordisme : législation du travail, protection sociale etc. Pour le plus grand succès du paradigme fordien, et ce pendant plusieurs dizaines d’années dans beaucoup de pays. Aujourd’hui,c’est d’une nouvelle généralisation dont le monde a besoin. La forme nouvelle de la concurrence sauvage, est ce qu’on appelle la mondialisation dont on pense à tort, qu’elle est l’aboutissement naturel  du libre échange. Elle est au contraire ruineuse en ce qu’elle disloque les sociétés et contrarie des droits fondamentaux (cf. notre article du 5 juillet dernier). Les entrepreneurs politiques des pays dits émergents l’ont parfaitement compris. Les BRIC ne sont pas des entités solubles dans le marché mondial. Ce sont simplement des Etats en développement. Etats reprenant, de façon au moins temporaire,  tout ou partie des recettes qui firent le succès de l’occident.

La nouvelle généralisation, est pour le moment utopique en ce qu’elle bouleverse l’ordre des marchés politiques à l’échelle de la planète. C’est la raison pour laquelle, le paradigme qui sera plus probablement mis en place, passera par  la négociation planétaire de la sortie de la mondialisation. Comme on le sait, même pour ce qui n’est qu’un « second best », les esprits, comme les intérêts, sont encore très loin d’y voir autre chose qu’une utopie rétrograde. C’est la raison pour laquelle les idées en vogue aujourd’hui – idées que nous venons de rappeler dans le présent texte- additionnent leurs forces pour accélérer la course à la ruine généralisée.

Bonne rentrée à toutes et à tous.

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 16:01

 

Fondamentalement la grande crise est celle de l’effondrement des bricolages spontanément mis en place pour maintenir le paradigme finissant des 30 glorieuses. Ce que l’on peut aussi appeler l’effondrement du « fordisme devenu boiteux ». Ce qui correspond aussi à un effondrement du holisme correspondant et l’épanouissement d’un individualisme radical.

Principales étapes :

1)    Construction et privatisation des autoroutes de la finance avec totale liberté de circulation (années 70-80).

2)    La mondialisation devient pour les grandes entreprises préférable à l’ancien partage des gains de productivité (depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui).

3)    Maintien des revenus et du volume de la demande globale par « artificialisation de la plus value relative » : baisse de la valeur des biens importés issus de la mondialisation et construction des grands déséquilibres extérieurs (années 80, processus en voie de modération  aujourd’hui)

4)    Maintien des revenus et du volume de la demande globale par la magie financière : endettement croissant des ménages (années 90 jusqu’à aujourd’hui).

5)    Maintien du volume d’activités  des Etats- Providence par la magie financière  (depuis la fin des souverainetés monétaires jusqu’à aujourd’hui).

6)     Consommation croissante de marchandises internationales à partir de revenus non produits, avec en conséquences : divergence croissante entre citoyen en voie de disparition, salarié devenu davantage précaire ou flexible, et consommateur consumériste et parfois chômeur (depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui).

7)    Crise financière comme crise de surendettement (depuis l’été 2007  avec aggravation progressive depuis).

8)    Crise des Etats devenus incapables d’assumer leurs dettes et leurs « fonctions  protectrices » (prise de conscience aigüe depuis 2010).

Derrière ces étapes existent des groupes d’acteurs : financiers qui prendront une place centrale au terme de la mise en place des autoroutes de la finance ; grands industriels qui auront la capacité de s’arracher aux contraintes du fordisme ; petits entrepreneurs ; distributeurs, acteurs essentiels dans la chaîne de l’artificialisation de la plus value relative ; salariés ; consommateurs ; et bien sûr tout ce qui relève du personnel politico-administratif. Sans oublier que l’ensemble de ces acteurs se trouve plongé dans l’océan de la mondialisation, océan fortement peuplé d’acteurs nouveaux.

Les résultats du jeu des acteurs constituent chacune des étapes de la grande crise. Et ces résultats ne sont évidemment pas prédéterminés : l’humanité reste, aujourd’hui comme hier, complètement aveugle. Ils sont simplement le compromis de l’instant, compromis qui assure le pouvoir à ceux que nous appelons les entrepreneurs politiques du moment. Et, évidemment, le compromis n’est pas durable car ce qui caractérise une grande crise, c’est que le futur ne peut plus être la reconduction, même remaniée, du passé.

Il n’y aura pas de retour vers les  glorieuses et, ces trente cinq dernières années (1975-2010), correspondent au bricolage des acteurs en recherche du maintien du présent.  Sauf peut être pour la finance qui a du vivre la période des glorieuses, comme insupportable répression, et fût l’acteur révolutionnaire de la période suivante. Probablement pour le pire.

Ce qui caractérise une grande crise est le sentiment de l’impasse. En particulier impasse des Etats aujourd’hui, avec des entrepreneurs politiques qui doivent « relancer » mais en même temps assurent la déflation. Impossibilité de laisser les déficits, mais impossibilité de tirer la demande par des exportations nouvelles pour tous. Si tous exportent, qui achètera alors que la réduction des déficits est une diminution des demandes globales de tous ? Et une relance par redistribution du partage salaires /profit est impensable en mondialisation : la demande globale du pays qui s’y aventurerait serait complètement siphonnée par les concurrents. Et comment créer un régulateur au dessus des Etats lorsque les marchés politiques restent d’essence nationale, ont tendance à se multiplier plutôt qu’à se fédérer ?  

 Au total, impasse  du jeu global des acteurs qui fait émerger des états de plus en plus dégradés du monde des humains. Jeu global animé par des intérêts mais aussi des représentations du monde, telle celle figurant dans les théories économiques dominantes. Impasse qui est, en conséquence, aussi d’ordre épistémologique à l’instar de celle des mathématiciens grecs qui à partir de leur vision sur le concept de nombre seront dans l’impossibilité d’exprimer numériquement la diagonale du carré. Il n’y avait pas de solution pour calculer la diagonale du carré. Il fallait pour cela une autre vision du concept de nombre. Il n’y a pas de solution à la crise des années 2010 dans le paradigme d’aujourd’hui. Tout doit être réinventé.

Bonnes vacances à toutes et à tous.

 

 

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