L’examen de l’histoire nous a permis de repérer les caractéristiques des 2 grandes modalités de gestion de la dette publique, avec en particulier le passage d’un mode à l’autre.
L’évolution de cette structure appelée « Etat », structure animée par des « entrepreneurs politiques », et analysée au niveau du présent Blog dans l’article : « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat », est fondamentale pour comprendre le passage d’un mode à l’autre. Globalement, c’est le passage des formes primitives de l’Etat vers les premières formes de respect du droit des gens, des droits de propriété, voire de la démocratie, qui explique le passage de la prédation pure, aux premières formes du mode marché de la dette publique. La naissance des banques centrales, relativement indépendante dans le cas anglais (1694), ou moins indépendante dans le cas français (1800), est conséquence des premières formes d’affermissement de l’Etat de droit. Et ces naissances vont faciliter en retour, le développement du mode marché de la dette.
Mode marché de la dette publique : un éclairage nouveau
Prêteurs (bourgeoisie rentière) et emprunteurs (entrepreneurs politiques), après des siècles d’apprentissage plus ou moins réussis, vont constituer un premier marché de la dette publique, marché rapidement important, car mutuellement devenu très avantageux.
Pour les rentiers, il est plus avantageux que celui de la dette privée, pour au moins deux raisons. Le débiteur public bénéficie d’une vie perpétuelle, car nous savons que « l’extériorité » devenue avec le temps « Etat », est un point fixe de toute société. En cela, il est à priori plus sécurisant qu’un débiteur privé, toujours mortel. Ensuite, et il s’agit d’une conséquence du statut de point fixe, les rentiers voient dans le marché de la dette publique, une profondeur et une liquidité incomparables. Cela signifie que le marché secondaire de la dette publique, est beaucoup plus important et beaucoup plus sécurisant que les marchés financiers privés. Notons que cette remarque, évidente à une époque où le capitalisme n’est que naissant, reste globalement vraie aujourd’hui. En particulier le marché de la dette publique américaine, est aujourd’hui le plus important du monde, et sa profondeur et sa liquidité extrêmes, garantissent encore de beaux jours à un dollar par ailleurs vilipendé.
Pour les entrepreneurs politiques, le mode marché est sans doute plus coûteux que la prédation simple et violente de jadis, et les « gains à l’échange » -si l’on ose dire- plus modestes. Ils sont pourtant réels, et ce pour les mêmes raisons que celles recensées chez les rentiers. Statut « d’extériorité » en dehors du droit commun, mais commençant à respecter les droits de propriété, et donc le commerce des promesses – ce qu’on appelait la « foi publique » - il peut bénéficier d’une « bonne notation », pour employer le langage d’aujourd’hui. Il peut même offrir des garanties que nul ne peut offrir : s’engager contractuellement à accroître ses ressources, par exercice de la violence sur d’autres acteurs de la société, en augmentant les impôts. Cette garantie de ressources, est encore mise en avant par certains Etats aujourd’hui, notamment les Etats américains que l’on dit fort endettés, et qui par cette clause, peuvent obtenir sur le marché, des prix avantageux. Par ailleurs, ce même statut donne profondeur et liquidité, et donc là aussi des prix avantageux. Et ces mêmes caractéristiques : profondeur et liquidité, procurent une grande souplesse sur les volumes, lorsque les besoins du Trésor s’accroissent.
Cette performance du mode marché de gestion de la dette publique, fût très vite constatée, et a permis des prouesses dans des situations difficiles. Certains historiens expliquent ainsi, que l’indépendance de la Banque centrale anglaise, et le mode marché de gestion de la dette, a permis au Trésor britannique de massivement s’endetter pour, au final, vaincre Napoléon sur les champs de bataille de l’Europe.
Si le mode marché est mutuellement avantageux pour les raisons sus évoquées, il se caractérise aussi, par de fortes externalités liées au statut très spécifique des entrepreneurs politiques. La théorie économique, dans sa version la plus Autrichienne, nous explique que les marchés ne fonctionnent correctement que si les agents supportent intégralement le coût de leurs actions. D’où sa très grande sensibilité au respect intégral des droits fondamentaux, en particulier la propriété. S’agissant du marché de la dette publique, les rentiers supportent sans doute le coût de leurs actions et vont prêter, jusqu’au moment où les avantages attendus, seront rejoints par le coût d’opportunité correspondant. Tel n’est pas le cas des entrepreneurs politiques, qui peuvent reporter les coûts sur la collectivité : ils ne paient pas les intérêts et ne vont pas rembourser le capital. A terme, ils ne paieront pas non plus le coût de ce report de charges sur le marché politique. C’est que les charges de l’emprunt- concrètement la fiscalité- sont très largement socialisées et rendues peu visibles, alors que les avantages, peuvent être mis en avant et rendus visibles, pour telle ou telle catégorie d’électeurs: constructions d’infrastructures, écoles, hôpitaux, etc. Electeurs qui par ailleurs, expriment une demande forte, pour laquelle ils souhaitent voir la charge reportée sur autrui, y compris sur des agents qui ne sont pas nés.
Cette externalisation des coûts, inhérente au marché politique, devient abyssale en démocratie libérale, lorsque les entrepreneurs politiques peuvent, de par la loi, se reproduire comme entrepreneurs politiques, par non limitation du nombre de mandats dans le temps. Ce que les politologues appellent « l’hyper professionnalisation des hommes politiques ».
Au total, il existe une tendance fondamentale à ce que le mode marché de la gestion de la dette s’impose, et que la dette elle-même connaisse un accroissement continu de son volume. Accroissement du reste bien vu des rentiers, qui peuvent négocier le cas échéant avec les entrepreneurs politiques, un programme de baisse de la pression fiscale ou/et d’augmentation des dépenses publiques…aux fins du gonflement du volume de la rente… dont ils sont les bénéficiaires. Le mode marché de la gestion de la dette publique, peut ainsi surplomber de forts antagonismes entre classes sociales. De quoi présenter, le très académique théorème de l’équivalence ricardienne, d’une toute autre façon…
Mais l’examen de l’histoire envisagée dans les deux publications précédentes, a aussi permis de constater qu’il n’était pas aisé de passer d’un mode de gestion à un autre. Ainsi ce n’est que lorsque le mode marché est devenu complètement impraticable, que l’on est passé au mode hiérarchique. Et pour cela, il a fallu un événement de grande ampleur : la guerre totale. Entre temps, on essaie, le plus longtemps possible, de préserver le mode antérieur, historiquement en rognant de plus en plus sur l’indépendance d’une banque, qui se fera de plus en plus obéissante, le mode hiérarchique étant en partie fait de monétisation.
Il est intéressant de s’interroger sur la présente situation, en la comparant à la fin du mode marché à partir des années 1920. L’événement de grande ampleur, qui aujourd’hui remplace la guerre, est la crise financière. C’est elle qui vient d’entrainer – par contagion - une insolvabilité radicale de nombreux Etats, insolvabilité au moins aussi radicale que celle constatée durant les deux guerres mondiales. La crise d’insolvabilité, comme la guerre, n’a rien d’un accident, et se trouve être la conséquence non attendue, de choix qui se sont noués sur les marchés politiques : fin du fordisme en difficulté, et fuite vers la mondialisation, avec les outils juridiques de régulation financière qui doivent l’accompagner ( cf. « La grande crise : les 8 fondamentaux pour conclure »).
Aisance du déploiement du mode hiérarchique d’hier.
La comparaison s’arrête pourtant très vite, et il très risqué d’affirmer que la solution au problème d’aujourd’hui, passera par le déploiement du mode hiérarchique, comme ce fût le cas en 1945. Il est en effet d’une très grande banalité, de dire que le monde des années 2010, est fort différent de ce qu’il était en 1945, et qu’à ce titre les solutions d’un Conseil National de la Résistance (CNR) paraissent peu adaptées.
Au sens Hayekien des termes, le monde du milieu du 20ième siècle, était encore un « ordre organisé ». Il est aujourd’hui bien davantage un « ordre spontané », et ce même si cet ordre nouveau, s’est construit à partir du fonctionnement des marchés politiques, fonctionnement qui a engendré un processus de déconstruction de « l’ordre organisé ». Ce que nous appelions dans « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat », le stade historique du « démantèlement de l’Etat de droit ». Période qu’Habermas appelle temps de « la perte du pouvoir d’achat du bulletin de vote ».
Lorsqu’en effet, dans les années 20, puis plus brutalement en 1945, on passe au mode hiérarchique de gestion de la dette, l’acceptation des nouvelles contraintes est grande. Les règles coercitives en matière financière, ne seront que faiblement contestées en raison du holisme ambiant : il existe encore une idéologie de l’intérêt général, et une conception sacrificielle de l’ordre social. Il s’agit en effet de défendre la patrie, puis de reconstruire et moderniser. A titre d’exemple, le poids que devait prendre le Conseil National du Crédit à partir de 1946, mais surtout sa composition faite de tous les acteurs de la reconstruction, révèle clairement la dominante « ordre organisé », de la société française. Sans doute le marché politique existe-t-il, et sans doute fonctionne t’il aussi sur la base d’intérêts économiques antagonistes, il se déploie toutefois dans l’idéologie communautaire d’un intérêt général à construire. Le système financier, lui-même beaucoup plus faible en raison de la faible bancarisation, n’a guère les moyens de s’opposer à la stricte séparation des compartiments bancaires, à la rigueur des planchers de bons du Trésor, et à l’extrême surveillance du respect de leurs niveaux, au laminage de la rente par la vague inflationniste, etc. La construction du gigantesque « circuit du trésor » décrit précédemment, est lui-même révélateur de cette ambiance de holisme, qui fait que le marché est évacué, et avec lui le souci de la dette publique. Point n’est besoin d’une agence de la dette, puisque ce qui est perdu par le compartiment budgétaire (des dépenses publiques considérables) est récupéré – avec extrême autorité - par le compartiment monétaire (une banque centrale obéissante qui monétise, et un système bancaire, qui écume l’excès de dépenses publiques par les planchers de bons du trésor). La création monétaire est dans ces conditions parfaitement contrôlée : c’est le Trésor qui ordonne à la banque centrale l’essentiel de la création monétaire, le système bancaire, ne jouissant que d’un « multiplicateur du crédit » très réduit, en raison d’un taux de conversion en billets très élevé à l’époque, et du taux lui-même élevé, des planchers de bons du trésor.
Difficultés de déploiement du mode hiérarchique aujourd’hui
La situation est aujourd’hui très différente, et la « grande transformation » à la Polanyi, est presque achevée, avec une société qui est presque devenue une société de marché, le point fixe- « l’extériorité » disions-nous - n’étant plus idéologiquement l’Etat, mais « la main invisible » d’Adam Smith. La crise du fordisme aidant, des entrepreneurs économiques- pas nécessairement majoritaires- ont acheté législativement à des entrepreneurs politiques – qui étaient de moins en moins d’anciens résistants, modernisateurs du pays, et de plus en plus des énarques fascinés par l’entreprise, voire des avocats d’affaires – une franchise de péages, dans ce qui faisait les contraintes de « l’ordre organisé », mais qui en assuraient probablement sa cohérence. Furent ainsi achetés des franchises fiscales, douanières, tarifaires, sociales, etc. le coût des franchises octroyées, étant lui-même en cohérence avec la déconstruction de l’ancien « ordre organisé ». En effet, la demande économique étant devenue mondiale, les conséquences des franchises en termes de diminution de la demande locale ou nationale, deviennent dépourvues d’intérêt. Et ces mêmes conséquences en termes de dette publique, deviennent une aubaine pour l’industrie de l’épargne, qui puise sa matière première dans l’activisme de l’Agence France Trésor. Plus récemment, la pression sur la nécessaire déconstruction de « l’ordre organisé » s’est accentuée, avec l’apparition d’un nouveau système technologique, marqué par l’affaissement des activités à rendements décroissants (industrie mécanique par exemple), au profit d’activités à rendements croissants (informatique). C’est que la passage à des coûts marginaux nuls, suppose tout de suite une tendance au monopole ( Microsoft, Google, etc.) sur un marché mondial, qui doit idéalement être le plus lisse possible, donc assez bien dépourvu « d’ordres organisés ».
Curieusement , cette exacerbation de la « grande transformation », rappelle la chute de Rome ou mieux le féodalisme. L’Etat est contesté par de nouveaux barbares, qui conquérants dans l’espace des marchés, jouissent d’une grande autonomie par rapport au suzerain distributeur de privilèges. D’où l’idée « d’Etat de droit oligarchique » chère à Jacques Rancière. L’achat de privilèges ou de franchises de péages, ne vaut pas nécessairement diminution de prestations aux profits d’autres clients du marché politique. Ainsi, l’habitude fût prise - mondialisation oblige - de reporter sur l’Etat une partie du coût de la reproduction de la force de travail : diminution des charges sociales, prestations de solidarité sur le chômage, RMI, aides diverses sur le logement, etc. Rappelons que l’âge démocratique ou oligarchique de l’Etat, ne transforme pas son essence, il est simplement une structure de marché, où la prédation est généralisée : « tout le monde peut voler tout le monde ». Avec la difficulté pour les entrepreneurs politiques, de donner du sens aux décisions prises, puisqu’il n’y a plus d’objectifs, qui naguère, n’étaient que les conséquences attendues d’une idéologie rassembleuse. D’où la mise en avant du pragmatisme et du technicisme , les décisions cessant- dans le monde des apparences - d’être des choix, et résultants plus simplement de l’évidence de « faits qui s’imposent », l’exemple le plus récent étant le débat sur les retraites en France.
Les marchés politiques continuant de fonctionner malgré l’irruption des nouveaux barbares, la déconstruction de « l’ordre organisé », correspond davantage à sa déformation, plutôt qu’à sa liquidation tant redoutée. Les entrepreneurs politiques préférant tirer les ficelles d’un ordre disloqué, plutôt que devoir réduire ce carburant du pouvoir, qu’est l’offre de produits politiques. La déformation est du reste probablement plus forte en France que partout ailleurs, car l’offre de produits politiques, dépend aussi d’une demande qui ici, en raison de la forte prégnance de la valeur « égalité » chez les français, plébiscite le maintien d’un Etat providence musclé. Cette déformation, se repère notamment, au travers du prisme de la dette publique dans son mode marché. Les déficits publics étaient lourds bien avant le transfert sur les Etats de la crise financière, et résultaient de la déformation de « l’ordre organisé » : les achats de franchises de péages, détruisent la cohérence, et à la rupture de la croissance de la demande économique, va correspondre la forte croissance de l’offre de titres de dettes publiques, bien évidemment sur le mode marché. Et ce qu’on appelle « dette sociale », gérée discrètement par la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES) est le signe le plus évident - après la dynamique Agence France Trésor, fière de fêter ses 10 ans d’existence (8 février 2001)… et du doublement de son « chiffre d’affaires » - de cette déformation, devenue considérable, de « l’ordre organisé ».
Mais à la déformation de « l’ordre organisé » global, succède- crise de la dette publique oblige- une considérable déformation du marché de la dette, avec effet de boucle sur l’ordre global.
Cette déformation résulte du fait, que le coût du passage au mode hiérarchique, apparait démesurément élevé. Il était peu coûteux dans les années 20, et surtout en 1945, de passer du mode marché au mode hiérarchique. Le chemin inverse apparait aujourd’hui hors de portée. Pour ne prendre qu’un exemple, on pourrait imaginer- et certaines entreprises politiques dites populistes en rêvent- de rétablir un puissant circuit du trésor, rendant inutile les agences offreuses de dettes, qu’elles ne peuvent plus commercialiser, dans des conditions raisonnables pour le contribuable. La solution est donc le rétablissement des planchers de bons du Trésor. Plus de peur, voire de panique, derrière les écrans où se lisent les résultats des adjudications ; plus de risque d’inflation du cours des CDS ; plus de peur de la notation ; et possible relâchement de pression budgétaire. Sauf que les banques, désormais dans un « ordre spontané », quittent un territoire, sur lequel elles étaient solidement fixées dans « l’ordre organisé » de 1945. Sauf que les épargnants – probables victimes de la répression financière - achèteront sous d’autres cieux leurs contrats d’assurance-vie, ce qui était impensable en 1945. Sauf que, plus globalement le pays se livrant à pareil acte, serait mis à l’index par la communauté des oligarques, ce qui n’était évidemment pas pensable en 1945. La seule idée de fin de la banque universelle, au profit du rétablissement de la séparation des activités, est assortie de menaces des nouveaux barbares conquérants. C’est le cas de Barclays et de HSBC, qui menacent le gouvernement anglais de délocalisation en Asie…avec un argument du type intérêt général : le report des pertes éventuelles du compartiment « affaires » sur les résultats de la banque de dépôts…Mieux, le récent Davos a pu mettre en évidence les menaces directes et indirectes, des oligarques au regard de régulateurs trop pressants : plus de régulation se paiera de plus de « coulisse » et donc de risques systémiques dira un grand banquier ; publier la liste des établissements systémiquement importants, revient à diminuer les activités de crédit, déclarera le représentant de l’Institut International de la Finance ; etc.
En attendant….le mode marché jusqu’aux limites extrêmes du possible….la monétisation.
Le risque d’explosion du mode marché de gestion de la dette restant croissant, et ne pouvant pas passer au mode hiérarchique , il convient alors d’élargir sans cesse la tuyauterie du mode marché , parfois de la mettre au repos, tel un pontage coronarien, ou d’y adjoindre une prothèse type stimulateur cardiaque, ou de reprofiler le « design » de la dette…. et surtout de restreindre les fuites du circuit du Trésor, donc de déformer encore un peu plus « l’ordre organisé ».
Elargir la tuyauterie, c’est par exemple la création du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), fonds déjà insuffisant, et dont le périmètre devrait selon le souhait de certains, atteindre les 15OO milliards d’euros pour devenir réellement efficace. La mettre au repos, c’est par exemple l’interruption momentanée d’un marché national de la dette publique ( Irlande, Grèce…) devenu impraticable en raison des prix constatés, avec branchement direct sur un oxygénateur : le FESF . Et oxygénateur qui ne fait que reporter le problème, car il faut bien lui-même le brancher sur d’autres marchés. Reprofiler le « design », c’est par exemple cacher la dette dans un produit structuré, type « Euro Medium Term Notes », ou c’est – sans doute vainement – prêter pour racheter sa propre dette (problématique du « ouzo² » en Grèce), ou mieux encore négocier son rééchelonnement ou son prix. Adjoindre une prothèse, c’est par exemple actionner l’oxygénateur ultime, qu’est ce prêteur en dernier ressort appelé FED ou BCE. Ainsi chaque fois que les prix deviennent insupportables sur le marché de la dette, on a vu la BCE intervenir massivement…en marge de ses propres règles…pour aussi, il est vrai, soulager les actifs bancaires lourdement chargés de dettes publiques, proches de la démonétisation. Et soulagement nécessaire, car les banques doivent continuer à acheter de la dette nouvelle, à peine d’explosion du mode marché. Il faut aussi soulager l’environnement de la tuyauterie, car le monde des marchés n’est pas simple, et il faut savoir penser aux détails : ainsi réfléchit-on sérieusement aux USA, à ce que les versions modernes des « Clearing House » puissent –risques de contreparties obligent - accéder aux guichets de la FED. C’est que la fermeture d’un circuit du Trésor, facile à imaginer dans « un ordre organisé », devient casse tête dans un ordre marchand en crise grave. Toutes ces solutions, et d’autres encore qui seront issues de l’imagination de ceux, qui dans les ministères des finances, et surtout à Bruxelles, ou à Washington, continuent encore de croire en la possibilité de maintenir le mode marché, sont insuffisantes. Il faut donc agir en parallèle avec le rétrécissement des fuites : nous avons là la question de la rigueur budgétaire, d’abord au niveau national, et aujourd’hui en Europe à un niveau plus élevé. Ce qu’étrangement on appelle : « semestre européen ».
Mais là aussi, il est inutile d’insister, la situation est connue, et son caractère gravissime rend l’insolvabilité, radicale pour une grande majorité d’Etats européens : malgré la rigueur aujourd’hui, ou les « pactes de compétitivité » demain, l’endettement ne fait que croître, non pas pour une majorité, mais pour tous les pays européens. Nous avons déjà mentionné dans ce Blog, qu’aucun pays- y compris l’Allemagne- ne répondait à l’équation de stabilisation de la dette publique (cf : Crise financière et renouvellement de l’offre politique ».)
Dans ce même Blog, au-delà de l’article précité, nous avons, sous d’autres termes, souvent abordé la question du passage au mode hiérarchique : « Monnaie, recherche désespérément souverain sérieux », « l’Epuisement des entrepreneurs politiques », « l’Equilibre extérieur comme produit politique émergent »,etc. Et nous en avons souligné son coût, essentiellement parce que « l’ordre organisé » du 20ième siècle s’est largement évanoui. Avec les valeurs qu’il fécondait dans le cerveau des acteurs : la croyance en un avenir collectif. Avenir disparu, puisque le marché est un monde sans agenda, pour des individus englués dans le présent.
Cela signifie que le mode marché sera probablement conservé jusqu’à l’extrême limite de ses possibilités : l’oxygénateur des banques centrales, donc le quantitative easing et la monétisation massive, à prix réduits, constituent l’horizon indépassable, de ceux qui connaissent le prix du passage au mode hiérarchique, dans un monde devenu société de marché. Comprenons que même le retour d’un seul et unique petit pays au mode hiérarchique, aurait un effet de boomerang gigantesque. Ainsi selon la BRI, l’exposition des banques françaises sur la seule dette grecques représente 3,1% du PIB de la France, ce qui signifierait l’effondrement complet du système financier Français.
La monétisation quasi gratuite, par la banque centrale elle-même, est donc –sauf accident lourd obligeant en urgence le passage au mode hiérarchique avec des moyens brutaux, déjà imaginés dans « crise financière et renouvellement de l’offre politique » - un « second best » du point de vue de la plupart des acteurs importants. Et donc un « second best » susceptible de séduire l’électeur médian.
Les nouveaux barbares des marchés, la jugeront préférable à la saisie, à la nationalisation, à la restructuration, voire même une régulation tatillonne. Les entrepreneurs politiques pourront mettre en avant l’idée d’un maintien relatif du champ des services publics. Les salariés y verront le maintien sous perfusion d’un Etat providence, à périmètre plus ou moins réduit, car de plus en plus marchandisé. Et les rentiers intelligents comprendront qu’il vaut mieux perdre un peu, voire beaucoup – c'est-à-dire renouer avec la répression financière du 20ième siècle - que de risquer, comme leurs ancêtres, la ruine complète.
Evidemment il ne s’agit que d’un « second best », qui plus est, précaire, puisqu’au delà de la menace inflationniste, il développe une base monétaire surdimensionnée, matière première de bulles périodiques. Au-delà, et malheureusement, il nous est difficile d’aller plus loin dans une démarche prospective appuyée sur l’Histoire, et « nul ne peut sauter par-dessus son temps ». Ou mieux encore, selon le proverbe turc repris par Edgar Morin : « les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra ».