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9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 13:36

      

L’examen de l’histoire nous a permis de repérer les caractéristiques des 2  grandes modalités de gestion de la dette publique, avec en particulier le passage d’un mode à l’autre.

L’évolution de cette structure appelée « Etat », structure animée par des « entrepreneurs politiques », et analysée au niveau du présent Blog dans l’article : « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat », est fondamentale pour comprendre le passage d’un mode à l’autre. Globalement, c’est le passage des formes primitives de l’Etat vers les premières formes de respect du droit des gens, des droits de propriété, voire de la démocratie, qui explique le passage de la prédation pure, aux premières formes du mode marché de la dette publique. La naissance des banques centrales, relativement indépendante dans le cas anglais (1694), ou moins indépendante dans le cas français (1800), est conséquence des premières formes d’affermissement de l’Etat de droit. Et ces naissances vont faciliter en retour, le développement du mode marché de la dette.

Mode marché de la dette publique : un éclairage nouveau

Prêteurs (bourgeoisie rentière) et emprunteurs (entrepreneurs politiques), après des siècles d’apprentissage plus ou moins réussis, vont constituer un premier marché de la dette publique, marché rapidement important, car mutuellement devenu très avantageux.

Pour les rentiers, il est plus avantageux que celui de la dette privée, pour au moins deux raisons. Le débiteur public bénéficie d’une vie perpétuelle, car nous savons que « l’extériorité » devenue avec le temps « Etat », est un point fixe de toute société. En cela, il est à priori plus sécurisant qu’un débiteur privé, toujours mortel. Ensuite, et il s’agit d’une conséquence du statut de point fixe, les rentiers voient dans le marché de la dette publique, une profondeur et une liquidité incomparables. Cela signifie que le marché secondaire de la dette publique, est beaucoup plus important et beaucoup plus sécurisant que les  marchés financiers privés. Notons que cette remarque, évidente à une époque où le capitalisme n’est que naissant, reste globalement vraie aujourd’hui. En particulier le marché de la dette publique américaine, est aujourd’hui le plus important du monde, et sa profondeur et sa liquidité extrêmes, garantissent encore de beaux jours à un dollar par ailleurs vilipendé.

Pour les entrepreneurs politiques, le mode marché est sans doute plus coûteux que la prédation simple et violente de jadis, et les « gains à l’échange » -si l’on ose dire- plus modestes. Ils sont pourtant réels, et ce pour les mêmes raisons que celles recensées chez les rentiers. Statut « d’extériorité » en dehors du droit commun, mais commençant à respecter les droits de propriété, et donc le commerce des promesses – ce qu’on appelait la « foi publique » - il peut bénéficier d’une « bonne notation », pour employer le langage d’aujourd’hui. Il peut même offrir des garanties que nul ne peut offrir : s’engager contractuellement à accroître ses ressources, par exercice de la violence sur d’autres acteurs de la société, en augmentant les impôts. Cette garantie de ressources, est encore mise en avant par certains Etats  aujourd’hui, notamment les Etats américains que l’on dit fort endettés, et qui par cette clause, peuvent obtenir sur le marché, des prix avantageux. Par ailleurs, ce même statut donne profondeur et liquidité, et donc là aussi des prix avantageux. Et ces mêmes caractéristiques : profondeur et liquidité, procurent  une grande souplesse sur les volumes, lorsque les besoins du Trésor s’accroissent.

Cette performance  du mode marché de gestion de la dette publique, fût très vite constatée, et a permis des prouesses dans des situations difficiles. Certains historiens expliquent ainsi, que l’indépendance de la Banque centrale anglaise, et le mode marché de gestion de la dette, a permis au Trésor britannique de massivement s’endetter pour, au final, vaincre Napoléon sur  les champs de bataille de l’Europe.

Si le mode marché est mutuellement avantageux pour les raisons sus évoquées, il se caractérise aussi, par de fortes externalités  liées au statut très  spécifique des entrepreneurs politiques. La théorie économique, dans sa version la plus Autrichienne, nous explique que les marchés ne fonctionnent correctement que si les agents supportent intégralement le coût de leurs actions. D’où sa très grande sensibilité au respect intégral des droits fondamentaux, en particulier la propriété. S’agissant du marché de la dette publique, les rentiers supportent sans doute le coût de leurs actions et vont prêter, jusqu’au moment où les avantages attendus, seront rejoints par le coût d’opportunité correspondant. Tel n’est pas le cas des entrepreneurs politiques, qui peuvent reporter les coûts sur la collectivité : ils ne paient pas les intérêts et ne vont pas rembourser le capital. A terme, ils ne paieront pas non plus le coût de ce report de charges sur le marché politique. C’est que les charges de l’emprunt- concrètement la fiscalité-  sont très largement socialisées et rendues peu visibles, alors que les avantages, peuvent être mis en avant et rendus visibles, pour telle ou telle catégorie d’électeurs: constructions d’infrastructures, écoles, hôpitaux, etc.  Electeurs qui par ailleurs, expriment une demande forte, pour laquelle  ils souhaitent voir la charge reportée sur autrui, y compris sur des agents qui ne sont pas nés.

Cette externalisation des coûts, inhérente au marché politique, devient abyssale en démocratie libérale, lorsque les entrepreneurs politiques peuvent, de par la loi, se reproduire comme entrepreneurs politiques, par non limitation du nombre de mandats dans le temps. Ce que les politologues appellent « l’hyper professionnalisation des hommes politiques ».

Au total, il existe une tendance fondamentale à ce que le mode marché de la gestion de la dette s’impose, et que la dette elle-même connaisse un accroissement continu de son volume. Accroissement du reste bien vu des rentiers, qui peuvent négocier le cas échéant avec les entrepreneurs politiques, un programme de baisse de la pression fiscale ou/et d’augmentation des dépenses publiques…aux fins du gonflement du volume de la rente… dont ils sont les bénéficiaires. Le mode marché de la gestion de la dette publique, peut ainsi surplomber  de forts antagonismes entre classes sociales. De quoi présenter, le très académique théorème de l’équivalence ricardienne, d’une toute autre façon…

Mais l’examen de l’histoire envisagée dans les deux publications précédentes, a aussi permis de constater qu’il n’était pas aisé de passer d’un mode de gestion à un autre. Ainsi ce n’est que  lorsque le mode marché est devenu complètement  impraticable, que l’on est passé au mode hiérarchique. Et pour cela, il a fallu un événement de grande ampleur : la guerre totale. Entre temps, on essaie, le plus longtemps  possible, de préserver le mode antérieur, historiquement en rognant de plus en plus sur l’indépendance d’une banque, qui se fera de plus en plus obéissante, le mode hiérarchique étant en partie fait de monétisation.

Il est intéressant de s’interroger sur la présente situation, en la comparant à la fin du mode marché à partir des années 1920. L’événement de grande ampleur, qui aujourd’hui remplace la guerre, est la crise financière. C’est elle qui vient d’entrainer – par contagion - une insolvabilité radicale de nombreux Etats, insolvabilité au moins aussi radicale  que celle constatée durant les deux guerres mondiales. La crise d’insolvabilité, comme la guerre, n’a rien d’un accident, et se trouve être la conséquence non attendue, de choix  qui se sont noués sur les marchés politiques : fin du fordisme en difficulté, et fuite vers la mondialisation, avec les outils juridiques de régulation financière qui doivent l’accompagner ( cf. « La grande crise : les 8 fondamentaux pour conclure »).

Aisance du déploiement du mode hiérarchique d’hier.

La comparaison s’arrête pourtant très vite, et il très risqué d’affirmer que la solution au problème d’aujourd’hui, passera par le déploiement du mode hiérarchique, comme ce fût le cas en 1945. Il est en effet d’une très grande banalité, de dire que le monde des années 2010, est fort différent de ce qu’il était en 1945, et qu’à ce titre les solutions d’un Conseil National de la Résistance (CNR) paraissent peu adaptées.

Au sens Hayekien des termes, le monde du milieu du 20ième siècle, était encore un « ordre organisé ». Il est aujourd’hui bien davantage un « ordre spontané », et ce même si cet ordre nouveau, s’est construit à partir du fonctionnement des marchés politiques, fonctionnement qui a engendré un processus de déconstruction  de « l’ordre organisé ». Ce que nous appelions dans « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat », le stade historique du « démantèlement de l’Etat de droit ». Période qu’Habermas appelle temps de « la perte du pouvoir d’achat du bulletin de vote ».

Lorsqu’en effet, dans les années 20, puis plus brutalement en 1945, on passe au mode hiérarchique de gestion de la dette, l’acceptation des nouvelles contraintes est grande. Les règles coercitives en matière financière, ne seront que faiblement contestées en raison du holisme ambiant : il existe encore une idéologie de l’intérêt général, et une conception sacrificielle de l’ordre social. Il s’agit en effet de défendre la patrie, puis de reconstruire et moderniser. A titre d’exemple, le poids que devait prendre le Conseil National du Crédit à partir de 1946, mais surtout sa composition faite de tous les acteurs de la reconstruction, révèle clairement la dominante « ordre organisé », de la société française. Sans doute le marché politique existe-t-il, et sans doute fonctionne t’il aussi sur la base d’intérêts économiques antagonistes, il se déploie toutefois dans l’idéologie communautaire d’un intérêt général à construire. Le système financier, lui-même beaucoup plus faible en raison de la faible bancarisation, n’a guère les moyens de s’opposer à la stricte séparation des compartiments bancaires, à la rigueur des planchers de bons du Trésor, et à l’extrême surveillance du respect de leurs niveaux, au laminage de la rente par la vague inflationniste, etc. La construction du  gigantesque « circuit du trésor » décrit précédemment,  est lui-même révélateur de cette ambiance de holisme, qui fait que le marché est évacué, et avec lui le souci de la dette publique. Point n’est besoin d’une agence de la dette, puisque ce qui est perdu par le compartiment budgétaire (des dépenses publiques considérables) est récupéré – avec extrême autorité - par le compartiment monétaire (une banque centrale obéissante qui monétise, et un système bancaire, qui écume l’excès de dépenses publiques par les planchers de bons du trésor). La création monétaire est dans ces conditions parfaitement contrôlée : c’est le Trésor qui ordonne à la banque centrale l’essentiel de la création monétaire, le système bancaire, ne jouissant que d’un « multiplicateur du crédit » très réduit, en raison d’un taux de conversion en billets très élevé à l’époque, et du taux lui-même élevé, des planchers de bons du trésor.

Difficultés de déploiement du mode hiérarchique aujourd’hui

La situation est aujourd’hui très différente, et la « grande transformation » à la Polanyi, est presque achevée, avec une société qui est presque devenue une société de marché, le point fixe- « l’extériorité » disions-nous - n’étant plus idéologiquement l’Etat, mais « la main invisible » d’Adam Smith. La crise du fordisme aidant, des entrepreneurs économiques- pas nécessairement majoritaires- ont acheté législativement à des entrepreneurs politiques – qui étaient de moins en moins d’anciens résistants, modernisateurs du pays, et de plus en plus des énarques fascinés par l’entreprise, voire des avocats d’affaires – une franchise de péages, dans ce qui faisait les contraintes de « l’ordre organisé », mais qui en assuraient probablement  sa cohérence. Furent ainsi achetés des franchises fiscales, douanières, tarifaires, sociales, etc. le coût des franchises octroyées, étant lui-même en cohérence avec la déconstruction de l’ancien « ordre organisé ». En effet, la demande économique étant devenue mondiale, les conséquences des franchises en termes de diminution de la demande locale ou nationale, deviennent dépourvues d’intérêt. Et ces mêmes conséquences en termes de dette publique, deviennent une aubaine pour l’industrie de l’épargne, qui puise sa matière première dans l’activisme de l’Agence France Trésor. Plus récemment, la pression sur la nécessaire déconstruction de « l’ordre organisé » s’est accentuée, avec l’apparition d’un nouveau système technologique, marqué par l’affaissement des activités à rendements décroissants (industrie mécanique par exemple), au profit d’activités à rendements croissants (informatique). C’est que la passage à des coûts marginaux nuls, suppose tout de suite une tendance au monopole ( Microsoft, Google, etc.) sur  un marché mondial, qui  doit idéalement être le plus lisse possible, donc assez bien dépourvu « d’ordres organisés ».

Curieusement , cette exacerbation de la « grande transformation », rappelle la chute de Rome ou mieux le féodalisme. L’Etat est contesté par de nouveaux barbares,  qui conquérants  dans l’espace des marchés,  jouissent d’une grande autonomie par rapport au suzerain distributeur de privilèges. D’où  l’idée « d’Etat de droit oligarchique » chère à Jacques Rancière. L’achat de privilèges ou de franchises de péages,  ne vaut pas nécessairement diminution de prestations aux profits d’autres clients du marché politique. Ainsi, l’habitude fût prise - mondialisation oblige -  de reporter sur l’Etat une partie du coût de la reproduction de la force de travail : diminution des charges sociales, prestations de solidarité sur le chômage, RMI, aides diverses sur le logement, etc. Rappelons que l’âge démocratique ou oligarchique de l’Etat, ne transforme pas son essence, il est simplement une structure de marché, où la prédation est généralisée : « tout le monde peut voler tout le monde ». Avec la difficulté pour les entrepreneurs politiques, de donner du sens aux décisions prises, puisqu’il n’y a plus d’objectifs, qui naguère, n’étaient que les conséquences attendues d’une idéologie rassembleuse. D’où la mise en avant du pragmatisme et du technicisme , les décisions cessant- dans le monde des apparences - d’être des choix, et résultants plus simplement de l’évidence de «  faits qui s’imposent », l’exemple le plus récent étant le débat sur les retraites en France.   

Les marchés politiques continuant de fonctionner malgré l’irruption des nouveaux barbares, la déconstruction de « l’ordre organisé », correspond davantage  à sa déformation, plutôt qu’à sa liquidation tant redoutée. Les entrepreneurs politiques préférant tirer les ficelles d’un ordre disloqué, plutôt que devoir réduire ce carburant du pouvoir, qu’est l’offre de produits politiques. La déformation est du reste probablement plus forte en France que partout ailleurs, car l’offre de produits politiques, dépend aussi d’une demande qui ici, en raison de la forte prégnance de la valeur « égalité » chez les  français, plébiscite le maintien d’un Etat providence musclé. Cette déformation, se repère notamment, au travers du prisme de la dette publique dans son mode marché. Les déficits publics étaient lourds bien avant le transfert sur les Etats de la crise financière, et résultaient de la déformation de « l’ordre organisé » : les achats de franchises de péages, détruisent la cohérence, et à la rupture de la croissance de la demande économique, va correspondre la forte croissance de l’offre de titres de dettes publiques, bien évidemment sur le mode marché. Et ce qu’on appelle « dette sociale »,  gérée discrètement par la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES) est le signe  le plus évident - après la dynamique Agence France Trésor, fière de fêter ses 10 ans d’existence (8 février 2001)… et du doublement de son « chiffre d’affaires » - de cette déformation, devenue considérable, de « l’ordre organisé ».        

Mais à la déformation de « l’ordre organisé » global, succède- crise de la dette publique oblige- une considérable déformation du marché de la dette, avec effet de boucle sur l’ordre global.

Cette déformation résulte du fait, que le coût du passage au mode hiérarchique, apparait démesurément élevé. Il était peu coûteux  dans les années 20, et surtout en 1945, de passer du mode marché au mode hiérarchique. Le chemin inverse apparait aujourd’hui hors de portée. Pour ne prendre qu’un exemple, on pourrait imaginer- et certaines entreprises politiques dites populistes en rêvent- de rétablir un puissant circuit du trésor, rendant inutile les agences offreuses de dettes, qu’elles ne peuvent plus commercialiser, dans des conditions raisonnables pour le contribuable. La solution est donc le rétablissement des planchers de bons du Trésor. Plus de peur, voire de panique, derrière les écrans où se lisent les résultats des adjudications ; plus de risque d’inflation du cours des CDS ; plus de peur de la notation ; et possible relâchement de pression budgétaire. Sauf que les banques, désormais dans un « ordre spontané », quittent un territoire, sur lequel elles étaient solidement fixées dans « l’ordre organisé » de 1945. Sauf que les épargnants – probables victimes de la répression financière - achèteront sous d’autres cieux leurs contrats d’assurance-vie,  ce qui était impensable en 1945. Sauf que, plus globalement le pays se livrant à pareil acte, serait mis à l’index par la communauté des oligarques, ce qui n’était évidemment pas pensable en 1945.   La seule idée de fin de la banque universelle, au profit du rétablissement de la séparation des activités, est assortie de menaces des nouveaux barbares conquérants. C’est le cas de Barclays et de HSBC, qui menacent le gouvernement anglais de délocalisation en Asie…avec un argument du type intérêt général : le report des pertes éventuelles du compartiment « affaires » sur les résultats de la banque de dépôts…Mieux, le récent Davos a pu mettre en évidence les menaces directes et indirectes, des oligarques au regard de régulateurs trop pressants : plus de régulation se paiera de plus de « coulisse » et donc de risques systémiques  dira un grand banquier ; publier la liste des établissements systémiquement importants, revient à diminuer les activités de crédit, déclarera le représentant de l’Institut International de la Finance ; etc.

En attendant….le mode marché jusqu’aux limites extrêmes du possible….la monétisation.

Le risque d’explosion du mode marché de gestion de la dette restant croissant, et ne pouvant pas passer au mode hiérarchique , il convient alors d’élargir sans cesse la tuyauterie du mode marché , parfois de la mettre au repos, tel un pontage coronarien, ou d’y adjoindre une prothèse type stimulateur cardiaque, ou de reprofiler le « design » de la dette…. et surtout de restreindre les fuites du circuit du Trésor, donc de déformer encore un peu plus « l’ordre organisé ».

Elargir la tuyauterie, c’est par exemple la création du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), fonds déjà insuffisant, et dont le périmètre devrait selon le souhait de certains, atteindre les 15OO milliards d’euros pour devenir réellement efficace. La mettre au repos, c’est par exemple l’interruption momentanée d’un marché national de la dette publique ( Irlande, Grèce…) devenu impraticable en raison des prix constatés, avec branchement direct sur un oxygénateur : le FESF . Et oxygénateur qui ne fait que reporter le problème, car il faut bien lui-même le brancher sur d’autres marchés. Reprofiler le « design », c’est par exemple cacher la dette dans un produit structuré, type « Euro Medium Term Notes », ou c’est – sans doute vainement –  prêter pour racheter sa propre dette (problématique du « ouzo² » en Grèce), ou mieux encore négocier son rééchelonnement ou son prix. Adjoindre une prothèse, c’est par exemple actionner  l’oxygénateur ultime, qu’est ce prêteur en dernier ressort  appelé FED ou  BCE. Ainsi chaque fois que les prix deviennent insupportables sur le marché de la dette, on a vu la BCE intervenir massivement…en marge de ses propres règles…pour aussi, il est vrai, soulager les actifs bancaires lourdement chargés de dettes publiques, proches de la démonétisation. Et soulagement nécessaire, car les banques doivent continuer à acheter de la dette nouvelle, à peine d’explosion du mode marché. Il faut aussi soulager l’environnement de la tuyauterie, car le monde des marchés n’est pas simple, et il faut savoir penser aux détails : ainsi réfléchit-on sérieusement aux USA, à ce que les versions modernes des « Clearing House » puissent  –risques de contreparties obligent -  accéder aux guichets de la FED. C’est que la fermeture d’un circuit du Trésor, facile à imaginer dans « un ordre organisé », devient casse tête dans un ordre marchand en crise grave. Toutes ces solutions, et d’autres encore qui seront issues de l’imagination de ceux, qui dans les ministères des finances, et surtout à Bruxelles, ou à Washington, continuent encore de croire en la possibilité de maintenir le mode marché, sont  insuffisantes. Il faut donc agir en parallèle avec le rétrécissement des fuites : nous avons là la question de la rigueur budgétaire, d’abord au niveau national, et aujourd’hui en Europe à un niveau plus élevé. Ce qu’étrangement on appelle : « semestre européen ».

Mais là aussi, il est inutile d’insister, la situation est connue, et son caractère gravissime rend l’insolvabilité, radicale pour une grande majorité d’Etats européens : malgré la rigueur aujourd’hui, ou les « pactes de compétitivité » demain, l’endettement ne fait que croître, non pas pour une majorité, mais pour tous les pays européens. Nous avons déjà mentionné dans ce Blog, qu’aucun pays- y compris l’Allemagne- ne répondait à l’équation de stabilisation de la dette publique (cf : Crise financière et renouvellement de l’offre politique ».)

Dans ce même Blog, au-delà de l’article précité, nous avons, sous d’autres termes, souvent abordé la question du passage au mode hiérarchique : « Monnaie, recherche désespérément souverain sérieux », « l’Epuisement des entrepreneurs politiques », « l’Equilibre extérieur comme produit politique émergent »,etc. Et nous en avons souligné son coût, essentiellement parce que « l’ordre organisé » du 20ième siècle s’est largement évanoui. Avec les valeurs qu’il fécondait dans le cerveau des acteurs : la croyance en un avenir collectif. Avenir disparu, puisque le marché est un monde sans agenda, pour des individus englués dans le présent.

Cela signifie que le mode marché sera probablement conservé jusqu’à l’extrême  limite de ses possibilités : l’oxygénateur des banques centrales, donc le quantitative easing et la monétisation massive, à prix réduits, constituent l’horizon indépassable, de ceux qui connaissent le prix du passage au mode hiérarchique, dans un monde devenu société de marché. Comprenons que même le retour d’un seul et unique petit pays au mode hiérarchique, aurait un effet de boomerang gigantesque. Ainsi selon la BRI, l’exposition des banques françaises sur la seule dette grecques représente 3,1% du PIB de la France, ce qui signifierait l’effondrement complet du système financier Français.

 La monétisation quasi gratuite, par la banque centrale elle-même, est donc –sauf accident lourd obligeant en urgence le passage au mode hiérarchique avec des moyens brutaux, déjà imaginés dans « crise financière et renouvellement de l’offre politique » - un « second best » du point de vue de la plupart des acteurs importants. Et donc un « second  best » susceptible de séduire l’électeur médian.

Les nouveaux barbares des marchés, la jugeront préférable à la saisie, à la nationalisation, à la restructuration, voire même une régulation tatillonne. Les entrepreneurs politiques pourront mettre en avant l’idée d’un maintien relatif du champ des services publics. Les salariés y verront le maintien sous perfusion d’un Etat providence, à périmètre  plus ou moins réduit, car de plus en plus marchandisé. Et les rentiers intelligents comprendront qu’il vaut mieux perdre un peu, voire beaucoup – c'est-à-dire renouer avec la répression financière du 20ième siècle -  que de risquer, comme leurs ancêtres, la ruine complète.

Evidemment il ne s’agit que d’un « second best », qui plus est, précaire, puisqu’au delà de la menace inflationniste, il développe une base monétaire surdimensionnée, matière première de bulles périodiques. Au-delà, et malheureusement, il nous est difficile d’aller plus loin dans une démarche prospective appuyée sur l’Histoire, et « nul ne peut sauter par-dessus son temps ». Ou mieux encore, selon le proverbe turc repris par Edgar Morin : « les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra ».

 

                        

 

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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 06:47

 

 

Nous publions ci-dessous la seconde partie de notre voyage dans l’histoire, et ce aux fins de bénéficier du décentrement nécessaire, à la bonne compréhension des événements monétaires et financiers qui accablent le monde.

                Partie 2    La dette : entre le mode hiérarchique  et le mode marché.

L’article du 6 janvier 2011 introduisait déjà les apports de Ronald Coase  pour étudier les  modalités possibles de la gestion de la dette. Lorsque la Banque centrale est  sous l’autorité hiérarchique du Trésor, il peut en être de même de la dette pour laquelle  volume et  prix sont possiblement politiquement décidés. A l’inverse lorsque la Banque centrale est indépendante, la dette éventuelle ne peut –être  qu’externalisée et passe par la mobilisation du marché.

Selon le langage Coasien le choix de la hiérarchie ou du marché est lui-même affaire de prix : coût d’utilisation du mécanisme de l’autorité, à comparer au coût d’utilisation du mécanisme du marché. Sauf qu’ici, à l’inverse de l’entreprise, seule à décider, de ce qui doit être internalisé et de ce qui doit être externalisé, le Trésor, et le pouvoir politique qui l’active, se trouvent dans une situation globale fort complexe. Les entrepreneurs politiques se devant de repérer les choix  dominants – voire les croyances - de groupes de sujets ou citoyens nombreux, groupes numériquement inégaux, groupes disposant d’un inégal accès à l’information ou d’un pouvoir inégal de sa manipulation, et groupes aux intérêts fondamentalement divergents … et parfois contradictoires à l’intérieur d’un même groupe. C’est que chaque sujet ou citoyen, se trouve en effet à l’intersection de nombreux  groupes d’appartenance : épargnant, salarié ou dirigeant  dans  telle ou telle branche professionnelle, contribuable, etc. A cette complexité il faut aussi ajouter que l’alternative « autorité/marché » dans la gestion de la dette, n’est qu’un choix politique parmi tant d’autres produits politiques à commercialiser auprès des sujets ou citoyens. Et parmi ces innombrables produits, existent des produits, eux-mêmes additions de produits politiques, qui fixent le périmètre  de la dette : le niveau de  pression fiscale d’une part, et le volume des dépenses publiques d’autre part. En sorte qu’il est très difficile d’établir une théorie fine  -  à la Coase par conséquent -  des choix politiques concernant la gestion de la dette. D’où la conclusion qu’au fond ce sont de grandes   ruptures historiques, ruptures relevant probablement de la théorie de la complexité ou du chaos,  qui permettent  d’expliquer les grands choix en matière de la gestion de la dette : choix anglais, après la révolution de 1688, avec création d’une banque centrale indépendante (1694), une  dette publique cotée en bourse (1720) et les célèbres « consols » à 3% ; choix français, avec plusieurs ruptures ( 1789 et la « foi publique », 1945 et l’Etat tout puissant, 1973 et le libéralisme) ; choix allemand,  après la grande inflation qui fait suite à la première guerre mondiale. D’autres exemples pourraient être envisagés. Celui de la France, intéressant en ce qu’il présente plusieurs ruptures , sera ici plus particulièrement envisagé.

Une  préférence bien affirmée pour le mode marché.

Le  pouvoir qui se met en place en 1789 trouve  sa légitimité, par rupture avec ce qu’il croit être les turpitudes de l’ancien régime : la dette publique, souvent victime d’un « haircut » sous la monarchie, sera verbalement sacralisée. Tels sont les termes du décret du 13 juillet 1789 : « l’assemblée, interprète  de la nation…déclare que la dette publique ayant été mise sous la garde de l’honneur et de la loyauté française….nul pouvoir n’a le droit de prononcer l’infâme mot de banqueroute, nul pouvoir n’a le droit de manquer à la foi publique sous quelque forme et dénomination que ce puisse être ». Et il s’agit bien d’une simple déclaration verbale, puisque quelques années plus tard, le déluge des assignats devra consacrer la « mobilisation de la dette » (le paiement des arrérages n’est plus assuré) et plus encore la « banqueroute des deux/tiers » (30 septembre 1797). Pour autant, la naissance de la banque centrale étudiée en partie 1 du présent texte, révèle la volonté politique de s’approcher du système anglais, pour lequel le recours au marché semblait bien fonctionner, et devait même magnifiquement fonctionner, notamment pendant la période napoléonienne, où l’effort militaire se paiera par émission de « consols », jusqu’à 228% du PIB britannique. Les entrepreneurs politiques français  ( 2 empereurs, 3 rois et les dirigeants de la troisième république naissante) seront soucieux d’en revenir à la « foi publique », en utilisant aussi largement que possible les mécanismes du marché. Sans doute la banque centrale fonctionne t’elle en hiérarchie, mais -comme indiqué dans notre première partie, même si l’Etat a la main lourde - les apparences de l’indépendance sont mises en avant, avec notamment la fiction de conventions libres entre gouverneurs et ministres des finances.

 Pour le reste, il y a bien utilisation des mécanismes du marché et ce jusqu’en 1914. Et ce mécanisme est d’abord celui de la rente publique en tant qu’obligation perpétuelle, constamment  liquide, grâce notamment, à la Bourse de Paris. Sur l’ensemble du 19ième siècle, son volume s’accroit, pour représenter environ la moitié de l’épargne nationale, et concerner près de 3 millions de ménages en 1914. Au-delà de fluctuations impulsées par les grands évènements du siècle (doublement de la dette publique après les cent jours, révolution de 1848, guerre de 1870) et de quelques crises financières, dont le krach de 1882, le taux est régulièrement décroissant, et rejoint progressivement celui des « consols » britanniques. Le bon fonctionnement du marché de la dette, est assuré par-quelques règles simples, qui existaient déjà dans nombre de pays européens: contrôle du parlement sur les budgets et déficit maitrisé, défiscalisation des rentes sur l’Etat (au moins jusqu’en 1850), faible régulation financière, et banque centrale apparemment indépendante.

Il y a bien maitrise du déficit public, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas, puisque sur la période 1816 – 1899 on ne comptera que 7 années excédentaires. Et ce déficit est « demandé par le marché » puisque sa contrepartie, la rente défiscalisée depuis une loi du 22 frimaire de l’an 7, constitue une  partie non négligeable de la fortune de la bourgeoisie française, voire de l’ancienne noblesse, qui reçoit avec la restauration, un milliard de francs de rente au titre des réparations. Et cette demande est d’autant plus forte, que l’option de remboursement par anticipation, au pair, ferait disparaitre la rente en cas d’excédent, entrainant lui-même une baisse des taux. Il faut en effet comprendre que si le taux du marché devient inférieur au  taux d’émission, les fonctionnaires de la Direction du Mouvement Général des Fonds (DMGF) - l’équivalent du ministère des finances aujourd’hui - utilisaient cette option désavantageuse pour le rentier. La classe des rentiers dans son ensemble avait donc intérêt à un déficit ni trop important (pour risque de banqueroute) ni trop faible (pour limitation excessive de la rente). La grande bourgeoisie notamment parisienne – groupe social politiquement déterminant - déléguait ainsi aux entrepreneurs politiques de l’époque, la bonne gestion de ses affaires.

Il y a aussi, au-delà de l’incitation fiscale, bonne souplesse de la régulation financière. L’ordre des agents de change créé en 1723, pour notamment empêcher les ventes fictives d’effets publics visant à en faire baisser le prix, ne dispose pas d’un monopole réel, et un « shadow banking » devient avec ce qu’on appelle la « coulisse », une instance de transactions plus importante que la bourse officielle, avec déjà une cotation en continu.  Le marché à terme qui s’y développe est, lorsqu’il s’agit de vente à découvert, considéré par Bonaparte comme malveillance envers l’Etat. Pour autant, ce dernier est trop préoccupé par l’idée de « foi publique » pour l’interdire. Ultérieurement, les articles 421 et 422 du code pénal interdisant la spéculation sur effets publics seront de moins en moins en usage, tandis que la loi du 28 mars 1885 viendra interdire « l’exception de jeu », afin de donner aux contrats financiers une  garantie de bonne exécution des engagements. En clair, l’Etat est présent pour assurer la bonne liquidité de la dette publique. Exactement comme aujourd’hui, avec l’agence France Trésor et les autorités de régulation, qui n’ont d’autre objectif que d’assurer le bon fonctionnement des marchés.

Sans doute existe-t-il quelques freins au « tout marché » de la gestion de la dette. Ainsi, la création de la Caisse des Dépôts et Consignation , relève plutôt d’une gestion sur le mode hiérarchique, puisqu’il lui est imposé d’employer les fonds qu’elle reçoit en titres de la dette publique. Injonction plus grave encore à partir de 1837, avec les fonds de caisses d’épargne, et surtout 1881 avec la création de la Caisse Nationale d’Epargne. Il est vrai qu’à cette époque, la dette s’est considérablement accrue, avec l’obligation de verser le ¼ du PIB à l’Allemagne, au titre de la libération du territoire. Sans doute sommes nous déjà dans la stratégie du « circuit du Trésor », et le passage partiel au hors marché de la dette. Toutefois la période, sauf en ce qui concerne la banque de France, est globalement « libérale » et ressemble assez bien au vécu d’aujourd’hui.

La grande marche vers un mode hiérarchique de la gestion de la dette.

Inutile de reprendre dans le détail les transformations des rapports entre banque de France et Trésor, rapports déjà examinés dans le présent texte, sous le titre « des banquiers centraux écrasés », et transformations qui vont concerner la période 1914- 1973.

Il faut toutefois bien comprendre que le passage au mode hiérarchique, signifie de fait la fin de la « foi publique » et la promotion des idéologies collectives sur le thème de la « planche à billets ». Cela signifie des turbulences dans le fonctionnement des marchés politiques, et la mise en cause de la rente comme construction politique se cachant derrière le marché. D’où la possible résistance du banquier central, que l’on doit écraser. Ainsi lorsque les conventions - fictives disions nous - sont mal respectées par l’Etat, ce qui sera le cas avec le cartel des gauches et le « mur de l’argent », le banquier central, juste assimilé au rang de simple préfet, pourra prendre appui sur « l’opinion publique » pour réagir. Ainsi dans les années 20, le gouverneur Robineau et les régents se disent choqués par l’attitude du Trésor, le même gouverneur pouvant prendre appui sur l’opinion publique, et déclarer imprudemment, qu’il « préfère se couper le poignet que de signer un nouveau billet ». Curieusement les entrepreneurs politiques au pouvoir (cabinet Herriot par exemple entre 1924 et 1925) comprennent les remontrances des régents, et se déclarent farouchement opposés à la monétisation de la dette publique…monétisation dont ils sont les promoteurs obligés…

Face aux courants d’opinion, le passage au mode hiérarchique de la gestion de la dette, devra  se faire par contournements, et par emprunts de chemins nouveaux qu’il faut mettre en place. L’abandon du mode marché de gestion de la dette étant politiquement impossible, il sera, parallèlement à une monétisation massive, mené une politique de réactivation du marché. D’abord par une politique de diversification des produits, comme les bons de la défense nationale. Ensuite par une politique de lancement d’émetteurs extérieurs, correspondants du Trésor, comme le Crédit National en 1919. Il s’agit là d’une pièce importante du futur « circuit du trésor ». De fait ces émetteurs nouveaux, servent à élargir le marché de la dette publique, et correspondent à une tentative de privatisation, les bons émis par ses émetteurs, n’étant que des succédanés de bons du Trésor. Egalement, les entrepreneurs politiques au pouvoir, chercheront à rassurer le marché par création d’une caisse d’amortissement de la dette (1926). Mais le point central, sera la recherche de l’appui du système bancaire, que les fonctionnaires  du Mouvement Général des Fonds vont organiser, voire acheter  (avantages fiscaux, commissions sur placements) pour inonder le pays de bons du Trésor. Et face au risque de lobby financier, qui se monte souvent sous la bannière du Crédit Lyonnais, les entrepreneurs politiques disposent d’une arme redoutable : le réescompte des bons auprès de la Banque de France que son gouverneur (M Moret) est tenu d’accepter, malgré la monétisation déguisée, que ce dernier croit percevoir dans une telle démarche. Comme si aujourd’hui, monsieur Trichet - sous les ordres des entrepreneurs politiques européens- achetait sans limitation,  la dette publique  sommeillant dans les bilans bancaires, afin de réduire à zéro les spreads de taux chez les PIGS. Ce réescompte, deviendra loi organique du 24 juillet 1936, laquelle stipule que « tous les effets de la dette flottante émis par le Trésor Public et venant à échéance dans un délai de 3 mois maximum sont admis sans limitation au réescompte de l’Institut d’émission, sauf au profit du Trésor public ». Un nouveau chemin de monétisation est ainsi découvert, un chemin entre le mode marché et le mode hiérarchique.

Après la seconde guerre mondiale : un mode hiérarchique jusqu’à l’étouffement.

Tout d’abord la liquidité du trésor sera assurée par la promotion du « circuit » avec la multiplication des correspondants du Trésor. Déjà, depuis le Consulat, existait des acteurs financiers qui disposaient obligatoirement d’un compte auprès du Trésor Public, compte interdit de découvert, et donc compte contribuant à la liquidité du trésor. Ce dispositif, sans équivalent dans le monde, sera renforcé avec notamment l’article 15 de la loi organique du 2 janvier 1959.

Mais ce dispositif n’est efficace que pour le roulement de la dette flottante. Il faudra par conséquent, au-delà du mode hiérarchique, sur une banque centrale désormais nationalisée, étendre le même mode sur l’ensemble du système bancaire, afin de ponctionner une épargne, que le marché ne dirige plus spontanément vers la rente comme au 19ième siècle. C’est ainsi que sous l’autorité du Conseil National du Crédit -crée dans le cadre de la  loi du 2 décembre 1945, portant sur la nationalisation de la banque centrale et des 4 banques les plus importantes du pays – un système de planchers de bons du Trésor est institué. Concrètement, un pourcentage des exigibilités  bancaires (25% en 1948)  est converti en bons du Trésor. Il s’agit bien cette fois d’un mode de gestion hiérarchique de la dette publique, et ce d’autant que le taux est administré. Prix et quantités sont ainsi hors marché. A cela il faut ajouter que la surveillance est extrême, et qu’il ne saurait être question de frauder : le contrôle de la contrainte d’achat de bons est mensuel  en 1948, et deviendra quotidien en 1951. Il n’est donc pas question d’échapper à la fermeture du circuit et, la dette publique apportant des liquidités sur les comptes des bénéficiaires de la dépense, est réintroduite dans les ressources. Seule la bancarisation, qui devait suivre dans les années 60, permettra d’alléger la contrainte en raison de son rendement croissant, mais, il est vrai aussi, en raison de la relative extinction de la dette. C’est ainsi que le taux d’affectation des exigibilités en bons du Trésor, va progressivement diminuer, pout disparaitre en janvier 1967… et laisser la place au système des réserves obligatoires, qui seront d’une toute autre nature : la dette publique n’existe plus et une nouvelle histoire va commencer. Mais auparavant, puisque des fuites sont toujours possibles, la spéculation est étroitement contenue, et une fixation autoritaire du calendrier et du volume des émissions sur le marché financier, est confirmée par la loi du 23 décembre 1946. Le Trésor devient ainsi tout puissant. Et toute puissance qui va apparaitre dans les chiffres : en 1955 le Trésor est ainsi le premier collecteur de fonds, avec 695 milliards de francs contre seulement 617 milliards pour le secteur bancaire. Le « circuit du trésor », de par son très large périmètre, en vient ainsi à étouffer les marchés financiers.

Ultérieurement, le libéralisme montant critiquera le considérable effet d’éviction, dont le Trésor s’avère responsable et, une autre histoire – plus connue - va émerger pour progressivement constituer la réalité d’aujourd’hui, c'est-à-dire le retour au mode marché de la gestion de la dette, mode marché désormais en pleine crise….comme dans les années 20.

Les  conclusions  de cet examen des faits sur longue période seront examinées dans une prochaine publication.

 

 

 

 

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19 janvier 2011 3 19 /01 /janvier /2011 10:20

La gestion future de la grande crise passera aussi - à n’en pas douter-  par des modifications dans le fonctionnement financier des Etats et des banques centrales. A cet égard, il n’est pas inutile de se pencher avec précision sur les modalités historiques du fonctionnement et des rapports que ces 2 entités ont entretenus depuis le début du 19ième siècle, notamment  depuis la division  des activités financières de  l’Etat , en deux compartiments : le Trésor d’une part, et la Banque centrale d’autre part. En France, cette division  va intervenir progressivement, avec un texte – qui n’est pas une loi- en date du 18 janvier 1800,  et  portant création de la Banque de France. C’est cette division que nous retiendrons, pour la présentation de cette très instructive histoire. D’où les deux parties suivantes publiées séparément :

1         «  La Banque de France : des propriétaires le plus souvent expropriés » ; et  2  « La dette : entre l’autorité et le marché »

Partie 1- La Banque de France : des propriétaires le plus souvent expropriés.

Bonaparte ne conçoit pas la banque de France, comme la banque d’Angleterre créée en 1694, laquelle fût d’abord conçue pour  interdire à  l’exécutif la gestion de la dette publique. Ainsi, la Banque de France, sera dès sa naissance, une entité privée, fortement soumise aux injonctions publiques. D’où l’expression ambigüe de Bonaparte : « La Banque de France doit être entre les mains du gouvernement et n’y être pas trop ». Entité privée, au statut peu ordinaire,  puisque simple association de droit privé, rapidement encadrée par une loi (loi du 14 Avril 1803) qui fixe dans le détail, les gestes des actionnaires, et va jusqu’à préciser les rémunérations de ces derniers. Par son caractère invasif, la loi sus - visée, est de fait, déjà la nationalisation d’une banque… qui reste néanmoins  privée… Sans doute s’agit-il déjà d’une délégation de service public, puisque le même texte accorde un privilège d’émission pour une durée de 15 ans.

Des banquiers centraux souvent forts malmenés ….

Tout au long du 19 siècle et jusqu’à la loi de nationalisation de 1945, les droits de propriété des actionnaires seront amputés, et ce de façon croissante. Ainsi, la loi du 22 Avril 1806 réservera à l’empereur , le pouvoir de désignation du gouverneur et de ses deux suppléants. Une autre loi, celle du 16 juillet 1908, ne comporte pas moins de 63 articles, lesquels  encadrent complètement l’activité de la Banque. D’autres lois- très nombreuses (25 mars 1817, 4 juillet 1820, etc. )- feront bénéficier l’Etat d’une partie des profits mis en réserve par la Banque. Ces restrictions de liberté s’aggraveront bien évidemment pendant les crises (1848, 1970). Si la banque émet de la monnaie, le pouvoir monétaire est entièrement aux mains de l’Etat, lequel fixe à intervalles réguliers, le volume d’émission (plusieurs dizaines de lois concernent le sujet). L’émission est elle-même taxée selon des procédures complexes, ce qui revient à dire que l’Etat est fiscalement intéressé à la croissance monétaire. Comme si la création monétaire aujourd’hui, création résultant du crédit bancaire, donnait lieu à une taxation directe. La question étant alors de savoir quel monde fonctionne à l’envers : celui d’aujourd’hui, ou celui d’hier ?

Dès le milieu du 19ième siècle, la prédation de l’Etat- donc des entrepreneurs politiques- sur les profits de la banque se fait lourde. C’est ainsi que le « traité du 3 mars 1852 » décide du rééchelonnement de la dette de l’Etat envers la banque, et d’une baisse autoritaire du taux de l’intérêt. A partir du « Traité du 10 juin 1957 », les taux des avances seront obligatoirement inférieurs au taux d’escompte. Comme si l’Agence France Trésor d’aujourd’hui,  pouvait- le plus simplement du monde- imposer aux banques, les volumes et les prix de la dette publique.

Le même texte, celui du 10 juin 1057, fait officiellement naître le compte du trésor au bilan de la banque de France.

Après la catastrophe militaire de 1870, la Banque sera déjà durement sollicitée, et les lois vont se multiplier, pour selon un savoureux langage : « autoriser des avances faites à l’Etat ». On est déjà dans les premières phases de la monétisation de la dette, avec un rituel juridique qui va se faire de plus en plus précis : le ministre des finances signe une convention avec le gouverneur, convention autorisée par une loi. Déjà, à la fin du siècle, le gouverneur devient un personnage de simple représentation, et on voit mal comment  il pourrait refuser de signer des conventions, avec ce qui est une vraie autorité de tutelle. A l’extrême fin du siècle, les « avances  autorisées » deviennent gratuites (sans intérêts). C’est ce que précise l’article 6 de la loi du 17 novembre 1997, qui stipule que : « les anciennes avances portant intérêt cessent de l’être ». De la même façon, ces avances jouiront d’une maturité croissante, puisque la même loi, prévoit que : « la Banque ne pourra réclamer le remboursement de tout ou partie de ces avances pendant toute la durée de son privilège » lequel porte sur une durée de 23 ans. Et à Chaque  nouvelle loi,  de nouvelles avances seront prévues à titre gratuit.

Toujours en cette fin de siècle, l’Etat se fait encore plus invasif, et décide que la vente de bons du Trésor auprès du public- vente aussi assurée par les services de la Banque- se fera gratuitement. Tandis que le même Etat, est de plus en plus exigeant sur les profits d’escompte qu’il se met à « partager » avec la banque. Comme si à cette époque, l’adage selon lequel les profits seraient privatisés et les pertes socialisées, était renversé. Mieux, les conquêtes coloniales étant coûteuses, le décret du 22 février 1899 donne une nouvelle mission- à cette banque que les actionnaires ne dirigent plus depuis bien longtemps- celle d’effectuer des avances sur effets publics les plus divers,  y compris ceux émis par le gouvernement général de l’indo-chine.

Des banquiers centraux écrasés….

Si l’histoire du 19ième siècle est celle d’une dépossession progressive des actionnaires par le prédateur public, les choses s’aggraveront considérablement au 20ième siècle, jusqu’à la loi de nationalisation en 1945.

Anticipant la guerre mondiale, une première convention, en date du 11 novembre 1911, prévoit une avance de précaution, avec pour garantie, un seul bon du trésor à l’échéance du 31 décembre 1920. Curieusement, l’avance n’est pas gratuite : 1%. Toutefois, comme elle vient gonfler la masse monétaire, le rendement de la taxe de circulation de la monnaie émise augmente également, ce qui nous renvoie à la quasi gratuité de l’endettement. Cette convention de 1911 est la première d’une très longue série (plusieurs dizaines) portant sur des montants élevés (3 milliards de Francs pour chacune d’elles). La convention du 26 octobre 1917 ira plus loin, et -outre la monétisation massive- l’Etat exigera sa part de profit dans les bons du trésor escomptés, et surtout 85% du profit sur bons achetés par les gouvernements étrangers….en sorte que même l’endettement international devient peu coûteux  pour l’Etat. Il est vrai que -de fait insolvable- la banque réalise de substantiels profits. Situation qui n’est pas sans rappeler le système bancaire d’aujourd’hui- largement insolvable- et néanmoins distributeur de généreux revenus.

L’après guerre, voit s’ouvrir la longue période des « amortissements fantôme » de la dette de l’Etat vis-à-vis de la banque : le premier remboursant, sans intérêt, la seconde, à partir d’avances nouvelles nettement supérieures au remboursement. Ainsi pour ne donner qu’un exemple, l’article 3 de  la convention du 29 décembre 1920, en application d’une convention cadre antérieure, prévoit un remboursement annuel de 2 milliards de francs chaque année et , dit le texte : « en conséquence le montant des avances autorisées sera chaque 31 décembre réduit d’une somme de 2 milliards ». Et promesse qui ne pourra être tenue, tant la situation de la trésorerie est grave. D’où de nouvelles conventions, comme celle du 21 décembre 1922 - et de plusieurs autres - qui stipulent qu’ « à titre exceptionnel » le montant des remboursements sera réduit.

Les propriétaires de la Banque, continueront à n’être que simples spectateurs- intéressés certes- d’une histoire qui n’est point la leur, jusqu’au moment de la nationalisation. Entre temps, il faut préparer une nouvelle guerre, et à titre préventif, comme le précise la convention du 29 septembre 1938, la banque met à la disposition du Trésor la somme de 25 milliards contre des bons à 1%. Avec le déclenchement de la guerre, l’Etat exigera la session d’une partie de l’or de la banque (convention du 25 février 1940) . Entre le déclenchement des hostilités, et la libération, ce n’est pas moins de 25 conventions, soit en moyenne une chaque 70 jours, qui vont porter les avances, sans intérêt cette fois, à 411 milliards de francs. La banque, et ses propriétaires, seront remboursés en monnaie fondante, la dépréciation monétaire annuelle moyenne se fixant à environ 45% entre 1945 et 1949.

D’une certaine façon, la loi de nationalisation du 2 décembre 1945 apporte de la clarification : la banque de France était de fait publique depuis sa naissance, elle le devient en  droit le 1-1-1946, juridiquement un établissement public administratif. Les anciens propriétaires étaient de fait expropriés dès la naissance de la banque. Les nouveaux- idéologiquement le peuple souverain- seront de vrais propriétaires…. jusqu’à leur propre éviction, lorsque la banque deviendra d’abord indépendante, pour intégrer ultérieurement l’euro-système. Mais curieusement, nouveaux, et vrais propriétaires, qui vont maintenir la fiction d’une « indépendance » de la Banque. Ainsi le mode opératoire va demeurer, avec à chaque fois un double texte : convention entre ministre des finances et gouverneur, elle-même « autorisée » par un texte relevant de l’exécutif (décret) ou du législatif (loi). Comme si la convention, était d’essence contractuelle, entre institutions libres de leur destin. Comme si le gouverneur était autre chose qu’un simple préfet soumis à l’exécutif.

Au cours de cette période, la banque reste évidemment banque du Trésor, mais plus encore, l’Etat l’utilise largement dans la construction de ce que l’on pourrait appeler « les infrastructures du Fordisme  naissant ». C’est ainsi que le décret du 13 juin 1962 autorise la banque à effectuer des avances sur les obligations, les bons, et les parts de production émis avec la garantie de l’Etat, au profit d’EDF, GDF et Charbonnages de France. D’autres nombreux textes élargiront cette possibilité, au profit d’une foule d’organismes : Départements, communes, chambres de commerce, ports autonomes (3 août 1963) ; Sociétés de Développement Régional (23 juillet 1964) ; Caisse Nationale des Autoroutes (29 octobre 1965) ; Caisse Centrale de Crédit Hôtelier et Commercial (22 décembre 1965) ; Caisse d’Aide à l’Equipement des Collectivités Locales (24 janvier 1968) ; etc. Faits intéressants, puisque désormais, les investissements publics correspondants se font sans prélèvement de rente : si la banque réalise des profits sur les investissements publics, ils sont empochés par le propriétaire public.

……Mais des banquiers centraux libérés.

La situation va progressivement se détériorer avec l’indépendance officielle de la Banque de France. L’évolution des marchés politiques, développera l’inscription législative de  la fin de la monétisation, et le retour de la rente financière qui lui est associée. D’où la loi du 3 janvier 1973, qui va dans son article 25, arrêter la dite  monétisation : « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la banque de France ». Mais loi qui n’interdit pas encore- dans son article 19- le jeu des avances et prêts qui assurent la liquidité du Trésor. Article toutefois de précaution, car de fait, la banque de France cessera d’être la Banque de L’Etat, et ne restera qu’instrument technique de bonne circulation de ses flux, avec un compte du Trésor à son bilan, de fait de plus en plus semblable, aux comptes des banques ordinaires qu’elle porte également. Il faudra attendre la loi du 12 mai 1998, loi modifiant les statuts de la banque, pour voir le propriétaire public, renoncer aux droits qui lui sont traditionnellement associés. C’est ainsi que le texte précise que le gouverneur et les sous gouverneurs : « ne peuvent ni solliciter ni accepter d’instructions du gouvernement ou de tout autre personne ». Comme si une assemblée générale d’entreprise, renonçait à tout contrôle de l’activité des managers. Et le texte ira plus loin, puisque son article 5 stipule : « qu’il est interdit à la Banque de France d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publics ». Et : « l’acquisition directe par la banque de titres de leurs dettes est également interdite » précisera le texte. Comme s’il était interdit, à un actionnaire de banque, d’obtenir un prêt en provenance de l’  établissement, dont il est en partie ou totalement propriétaire. Le propriétaire de la banque de France dans sa nouvelle version - idéologiquement le peuple souverain- devient ainsi davantage exproprié que les « deux cents familles » de l’époque napoléonienne.

C’est que la nouvelle Banque de France devient un objet juridique fort particulier, et ce n’est pas parce que l’article L-142-1 du code monétaire et financier, stipule que : « la banque de France est une institution dont le capital appartient à l’Etat », et que par ailleurs son gouverneur est nommé par décret, qu’elle reste- réellement- sous le droit français. D’où son classement dans la catégorie des « sui generis », ce qui signifie que la dite institution, est redevable de textes entièrement spécifiques. La nomination du dirigeant, devient l’inverse d’une mise sous tutelle, inverse dûment acté dans le texte de nomination ; le dirigeant, lui-même s’obligeant à : « rechercher impartialement l’intérêt général à long terme ». Et ces particularités devaient être confirmées et précisées, dans une décision du Conseil d’Etat en date du 22mars 2000 : « L’Etat ne peut en rien contrôler ni orienter l’action de la Banque de France, dans l’exercice des missions qu’elle accomplit, à raison de sa participation au système européen des banques centrales ».

Effectivement, l’entrepreneur politique au pouvoir, est désormais, avec radicalité, exproprié. Avec cette différence que si les « 200 familles » du 19ième siècle furent expropriées, l’entrepreneur politique au pouvoir, à l’extrême fin du 20ième siècle s’est lui-même exproprié. En quelque sorte l’expropriateur s’est volontairement exproprié. Mais cette auto-expropriation, n’est évidemment pas la fin du politique, et le renoncement, à l’utilisation des outils de la contrainte publique, à des fins privées. La « libération » des banquiers centraux, s’est faite au nom d’une loi, qui comme toute loi, déplace du bien être d’un groupe social vers un autre groupe, ici entre les rentiers et les autres acteurs, en particulier les contribuables.

 Derrière ce vaste mouvement de l’histoire des banquiers centraux français, se cache une réalité, elle aussi politique : la gestion de la dette publique, dont on verra qu’elle oscille entre 2 modes opératoires, celui  du « règlement » ou celui du « marché ». Question qui sera traitée dans une prochaine publication.

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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 17:38

                            

Notre texte concernant le scénario pour 2010 publié le 1er janvier de la dite année se penchait longuement sur la question du retour à la souveraineté monétaire. Il était assez optimiste en ce qu’il annonçait la difficulté croissante à faire admettre par le contribuable qu’il devrait payer pour une dette publique dont la responsabilité reposait au moins partiellement  sur  la rente financière. La réalité 2010 de la crise, est qu’un certain nombre de pays ont malgré d’extrêmes difficultés, ouvertement choisi de satisfaire la rente au détriment des Etats providences et des contribuables : Grèce , Irlande, mais aussi à des degrés moindres, la quasi-totalité des Etats européens. Les propos de la chancelière de la république fédérale, consacrés au partage du fardeau de la dette avec les créanciers étant, était-il espéré, vite étouffés par de prétendus rédempteurs  resserrements budgétaires. Prétendus, car on sait depuis peu (Patrick Artus), que le multiplicateur budgétaire sur la Grèce et l’Irlande est élevé, ce qui signifie- en principe- effondrement de la croissance,  suite à une faible variation du déficit budgétaire.

Sur l’exercice des droits attachés aux propriétaires des banques centrales.

La monnaie fût de tout temps un outil privilégié permettant de déplacer- selon le vocabulaire économiciste - du bien être d’un groupe à l’autre. Avant l’Etat de droit, elle était une violence pratiquée essentiellement au profit des entrepreneurs politiques au pouvoir : seigneuriage, dilution etc. la même violence , toutefois adoucie s’exerçait dans les débuts de l’Etat de droit au profit de la rente, la dette d’Etat étant selon Léon Say et sous la 3ième république « un engagement sacré », avant de se retourner durement contre elle avec « l’euthanasie du rentier » chère à Keynes, et les inflations du 20ième  siècle.

Les choix des années 70 qui devaient construire les autoroutes de la mondialisation étaient clairs : la violence de la monnaie ne peut plus s’exercer à l’encontre de la rente : mieux, cette dernière, durement réprimée au 20ième siècle, se doit d’être financée par l’Etat lui-même. C’est le sens qu’il fallait donner en France, à la loi du 3 janvier 1973 déjà étudiée dans nombre d’articles de ce blog. Loi organisant l’extinction des droits du propriétaire de la banque centrale, et plus clairement l’alliance des entrepreneurs politiques au pouvoir et des rentiers, à l’encontre de l’avenir de l’Etat providence construit au cours de la période antérieure. La machine à prédater- l’Etat- s’étant donné un cadre légal , on peut s’étonner du brutal retournement dans le fonctionnement de la machine publique : le seul fait de « lutter contre l’inflation », terme à la mode à l’époque, suffisait à retrouver la forme moderne de «  l’engagement sacré », et donc le respect des droits de propriété des créanciers. Non, le texte du 3 janvier 1973 va plus loin, et  organise un véritable renversement puisque désormais tout déficit public, dès le  premier euro,  devient rente financière.

Ce dernier point mérite quelques explications. Entre 1914 et 1973 et plus particulièrement entre 1945 et 1973, existe un double financement du Trésor : La vente de bons du Trésor, vente parfois forcée, à des banques et des ménages, d’une part, et les « avances au trésor » par la banque centrale, d’autre part. La liquidité du Trésor était ainsi assurée par ce qu’on appelait le « circuit du trésor », circuit dont les fuites étaient contenues par des actes d’autorité : augmentation des « planchers de bons du Trésor », emprunts obligatoires (très fréquents et quelquefois à taux zéro) , financement obligatoire (et légalisé par vote parlementaire)  par la banque centrale, etc.

La répartition du financement du Trésor entre « dette payante » et « dette gratuite » était fixée dans le cadre d’une politique monétaire « conjointement élaborée » -si l’on ose dire- par la banque centrale et l’Etat. Et politique qui faisait bon compte d’une industrie de l’épargne ou de l’assurance, totalement dans les mains de l’Etat et souvent durement réprimée par lui : son volume dépendant très largement du poids des avances de la banque centrale au Trésor dans le total des besoins de financement de ce dernier, d’une part, et du différentiel des taux d’inflation et de l’intérêt, d’autre part. Lorsque le poids des avances directes au trésor diminuait, il y avait augmentation de la « part de marché » de la « dette payante »  et donc aide à l’épargne privée ou à l’assurance, donc à la rente. La loi du 3 janvier 1973 est ainsi un acte majeur, acte beaucoup plus important qu’on le pense généralement : elle fonde une aide publique à l’industrie de l’épargne et de l’assurance, aide dont la hauteur est fixée par celle du déficit budgétaire.

 Plus le déficit public- financé non plus par la banque centrale mais par des agents privés- devient important et plus la rente grossit. En ce sens, cette période qui marque l’irruption de la mondialisation, est aussi celle d’une aide publique de plus en plus importante à la rente.

Car il est clair que les obligations publiques, ne donnent pas lieu à versement de rente, comme des obligations privées, voire l’ensemble des titres privés. Intérêts et dividendes ne sont ici que de la redistribution d’un profit entre agents privés. A l’inverse, la rémunération d’un bon du trésor est issue de prélèvements publics obligatoires dont la nature, la hauteur, l’assiette etc. sont fixés par les entrepreneurs politiques qui ont eux même comme objectif leur reconduction au pouvoir.

L’enjeu de 2010 avec ce que l’on croyait- naïvement- être la fin possible de l’indépendance de la banque centrale et la fermeture de l’agence de financement de la dette publique- l’Agence France Trésor, pour ce qui est de la France- n’était au fond que l’avènement d’une certaine neutralité des Etats. L’Etat démocratique reste une machine prédatrice en ce qu’elle autorise toujours l’usage monopoliste  des outils de la contrainte publique- ici la monnaie-  à des fins privées. Le rentier, ici rentier public, s’opposant aux autres classes de la société. Mais, de fait, ne plus subventionner l’épargne en décidant de rétablir les droits de l’Etat sur sa banque centrale revient à tuer le rentier et  l’épargne correspondante… Et les services correspondants. Il est ainsi difficile d’être neutre et l’Etat moderne reste marqué par ce qui en fait son essence : il ne peut que représenter des intérêts particuliers. Et il n’est pas facile de faire basculer le savant équilibre des marchés politiques : la lutte de classes – pour reprendre un langage que l’on  a démonétisé-  entre le rentier sur titres publics  et le contribuable, ou le consommateur d’Etat- Providence. Lutte de classes  peut-être  assez claire, pour ceux qui analysent au plus prés l’évolution des coefficients de Gini,concernant la répartition des revenus, depuis la remontée de la rente,  mais lutte  évidemment obscurcie, voire niée, par ceux qui y ont intérêt. Ainsi sera mis en avant l’idée selon laquelle, il existe des rentiers, qui  « petits », sont néanmoins « trop gros » pour être aussi de larges consommateurs de l’Etat-providence. En sorte que tuer la rente par le rétablissement de la souveraineté monétaire, est aussi s’attaquer à certains éléments des classes moyennes…. lesquelles contiennent peut-être  aussi l’électeur médian… qu’il faut impérativement satisfaire à peine de perdre les élections.

Dans le cas de l’Europe, la question est autrement redoutable puisque le problème, ne consiste pas à redéfinir un équilibre de marchés politiques internes à un Etat, mais à un ensemble beaucoup plus vaste, et par nature extrêmement hétérogène. C’est que l’électeur médian irlandais ou belge  n’exprime probablement pas les mêmes préférences que l’électeur médian allemand,  italien, ou français. Et le problème se complique aussi en raison d’un processus de dénationalisation de la rente publique, processus largement  encouragé par les procédures d’adjudications de la dette, initiées par les agences chargées de sa commercialisation. C’est ainsi que la dette publique française est aujourd’hui détenue à 70% par des investisseurs étrangers, contre moins de 23% en 1998.

Sans doute le rétablissement de la souveraineté monétaire, ne développerait- elle pas de conséquence rétroactives, au détriment  des rentiers existants, lesquels verraient leurs intérêts garantis, le problème se poserait néanmoins pour l’avenir. Au final devant l’inextricabilité du problème - la rente est devenue insupportable avec un accroissement de dette publique hors de tout contrôle, mais on ne sait comment la réduire sauf à durcir brutalement la lutte de classes-  les entrepreneurs politiques essaieront encore de louvoyer et de gagner du temps…

Sur la légitimité des agences de notation.

L’évaluation de la dette publique par des agence privées, ne peut s’envisager que dans le cadre de périodes historiques, où les intérêts du rentier sur titres publics, l’emporte sur ceux des contribuables ou/et des consommateurs des services publics. Depuis l’apparition de l’actuelle grande crise, certains y ont même vu une collusion d’intérêts entre agences et rentiers. Dans les cas inverses, cas qui correspondent par exemple aux années d’après les deux grandes guerres mondiales, l’existence même de ces agences était à tout le moins impensable.

C’est que l’euthanasie des rentiers, s’envisage mieux dans la discrétion que dans la transparence médiatique des agences, et il faut avoir conscience que de telles organisations, auraient eues à affronter  de sévères lois répressives, probablement aussi répressives que celles concernant le non respect du cours forcé des billets en 1870, ou à partir de  1914. Qui peut imaginer Fitch ou Moody’s entre 1919 et 1926, dans les tumultes financiers, qui précèdent le retour de Poincaré ? Là encore, les dispositifs institutionnels ou réglementaires ne sont que le reflet des évolutions des marchés politiques et des intérêts qu’ils expriment.

Au final, lorsque les marchés politiques, orientent la production de cette "usine à textes" qu’est l’Etat, vers des dispositifs réglementaires instaurant la délégation de la fermeture du « circuit du Trésor » au marché, il est logique que naissent sur le riche terreau de ce dernier, des entreprises susceptibles d’en évaluer le fonctionnement. Les actuels Etats et leurs représentants, auraient donc tort  de critiquer ce qu’ils ont indirectement engendré. A l’inverse, lorsque le fonctionnement des marchés politiques débouche sur une auto production du service de la dette, il n’y a plus de pression des marchés…. Et plus de clients pour des organisations privées se chargeant d’une évaluation de la dette. Nous retrouvons curieusement, dans ce dernier raisonnement, l’un des aspects célèbres de la théorie micro-économique : la logique dite du « make or buy ». Oui, la nécessité objective de la fermeture du « circuit du trésor » fait apparaitre un choix : gérer la dette par le règlement, ou gérer la dette par le recours au marché, avec- entre ces deux extrêmes- des dosages infiniment variés de règlements et de marchés. Tout dépend du rapport des forces politiques, et de ce qu’ils traduisent en termes d’intérêts des différents acteurs sociaux.

La plus ou moins grande indépendance de la banque centrale fait partie du cadre ainsi repéré. Ainsi le rapport complexe entre Trésor US et FED fait plutôt penser que l’Etat libéral américaine est dans une logique mixte de gestion de la dette, tandis que l’absolutisme de l’indépendance de la BCE, fait pencher vers une externalisation radicale de la gestion des dettes des Etats européens.

Sans doute sommes nous entrés dans une phase de prise de conscience des effets du recours au marché. Mais quelles entreprises  politiques suffisamment généralistes peuvent prendre le risque d’un nouveau basculement de l’histoire ? Là encore le mot d’ordre sera de gagner du temps. Tout au plus, continue t’on de parler d’organiser le marché des agences, de créer une agence publique dans le cas européen, etc.  Ce qui ne ferait au mieux qu’ajouter de la méfiance chez les acteurs du marché. On ne peut plus être dans le « buy » mais le basculement dans le « make » apparait politiquement impensable, dans le cadre de l’idéologie officielle, et des intérêts qu’elle représente encore. Là aussi la situation est devenue inextricable.

Sur la résistance acharnée des drogués à la monnaie unique.

En la matière, la vraie question, est celle de la possibilité de mettre fin à la clandestinité des passagers, accrochés à une drogue monétaire finalement ruineuse pour beaucoup. Caractéristique étudiée dans notre article du 28 Janvier 2010 : « l’Euro, sursaut ou implosion » et  ceux qui lui ont fait suite tout au long de l’année. Question évidemment liée à celle des droits des propriétaires sur les banques centrales. Toute l’année 2010 fût consacrée à la lutte contre la clandestinité : comptes publics non sincères (Grèce), bilan bancaires maquillés (Irlande, Espagne, etc.) stratégies non coopératives (entre Etats européens notamment), édification fragile de dispositifs de responsabilisation et de sanctions (Commission européenne), etc.

La dernière étape de la tentative d’éradication de la clandestinité sera sans doute la naissance des « euro bonds » et de l’agence bruxelloise qui sera chargée de leur commercialisation. Etape qui sera peut-être franchie en 2011…. sans doute fort difficilement. La raison en est que les marchés politiques allemands, même conscients de l’intérêt d’une dette mutualisée, sont aussi conscients d’une forte opposition, et notamment du risque d’interdit en provenance de la cour constitutionnelle de Karlsruhe.

En admettant le franchissement de l’étape constitutionnelle, il resterait que le passage à  la « dette unique » ferait penser au passage à la « monnaie unique » Avec les mêmes risques de clandestinité et les mêmes inefficacités pour la limiter. Avec la dette unique il faudra inventer de nouveaux critères de Maastricht qu’il faudra d’autant plus contourner qu’ils seront édifiés en temps de crise lourde. Ceux de la monnaie unique n’étaient guère vraiment redoutés en vertu de la prospérité générale renforcée par la drogue Euro. Ceux à venir apparaitront vite insupportables. Dublin, Athènes, Lisbonne, Madrid, ne sont pas seulement victimes d’un spread de taux , ils sont aussi victime d’une insolvabilité radicale, qui fait que leur consommation de « dette unique » deviendra vite ingérable. Et il faudra bien rationner leur appétit, sauf à voir apparaitre un spread entre l’ancien taux allemand et le taux sur la dette unique.

Curieusement, un acteur nouveau se manifeste sur le terrain de l’Euro : la chine. Celle-ci dispose du pouvoir de maintenir la clandestinité de chacun des passagers, et donc de maintenir à flots le bateau. Parce que possiblement acteur public sur un marché primaire de la dette exclusivement réservé aux « SVT », donc des acteurs privés, la banque centrale chinoise, aux ordres de l’Etat Chinois et de ses entrepreneurs politiques, peut maintenir un taux de change élevé de l’euro. De quoi maintenir l’extraversion de l’économie chinoise et les intérêts politiques qui lui sont associés…les chinois aussi aiment se droguer à l’Euro…

Le débat - sauf hypothèse d’un effondrement - risque ainsi de continuer, autant que possible, en raison du fait que pour certains, le problème de l’euro serait d’abord celui de son taux de change. Une telle position méconnait de fait les vertus cachées de la monnaie unique : « s’offrir une monnaie de réserve à l’américaine » disions nous dans le texte du 28-01-10, c'est-à-dire pouvoir importer sans limite et à coût dérisoire, notamment pour les « petits un peu ronds » plus souvent désignés « PIGS ». Ces derniers et leurs entrepreneurs politiques  au pouvoir, n’ont effectivement aucune envie de voir la zone disparaitre, disparition sonnant le glas des avantages de la clandestinité. C’est dire que là aussi, la situation semble inextricable : le bateau des passagers clandestins  prend l’eau de toutes parts…mais personne ne souhaite vraiment changer de navire…. D’où le thème guerrier du « tout sera entrepris pour sauver l’Euro ».

                                         Je souhaite une excellente année 2011 à tous mes lecteurs.

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9 décembre 2010 4 09 /12 /décembre /2010 13:01

                           

                              

                           

                           

                            

                        Dans une longue conversation publiée par le Monde, en date du 8 décembre 2010, Jacques Delors revient longuement sur la question de l’Euro. L’ancien président de la commission, reste un grand défenseur de la monnaie unique, et considère qu’elle nous a protégés, tout en réduisant les écarts de revenus moyens, entre pays de la zone.

                      Il fait également état de nombreux  regrets : Absence de pacte de coordination des économies, banque centrale dépourvue de missions essentielles telle la surveillance du chômage, absence d’un fonds conjoncturel et d’un système d’euro-obligations, impérialité d’un système bancaire  faisant tremblerlesgouvernements ,etc.                                                                                                                               

                        Pour ce qui est de l’avenir , Jacques Delors se dit, selon la formule de Gramsci , « pessimiste actif », et voit malgré « l’affaiblissement de l’esprit européen » des sources d’espoir dans le futur fonds européen de stabilité, et les tout aussi futurs mécanismes de sanctions, à l’encontre des contrevenants d’un pacte de stabilité rénové.

                        Au-delà du caractère convenu des propos publiés dans Le Monde, il nous faut souligner « l’idéalisme » du « pessimiste actif ».

                        C’est que les faits et vœux évoqués, sont autant de mots inappropriés à la correcte désignation de la réalité. Des signifiants décalés par rapport au signifié, diraient les linguistes.

                        La réalité est, en effet, vraiment très différente de la représentation proposée. L’euro, construit aussi par Jacques Delors et son équipe, n’était, et n’est toujours, que le bateau des passagers clandestins.

                        Il est incorrect de dire qu’il protège contre nos laxismes et que sans lui « beaucoup de pays européens auraient souffert ». Nous avons montré dans « l’euro, sursaut ou implosion », à quel point il était une « drogue » pour les « petits un peu ronds », qui pouvaient ainsi s’offrir « une monnaie de réserve à l’Américaine ». Qu’il était également une « drogue » pour les « grands minces », qui s’assuraient ainsi contre les dévaluations continues des voisins. La construction de l’euro, était ainsi l’organisation d’une « grande fête », et à cette matérialité, devait correspondre la montée d’un « esprit européen ».

                       Maintenant que la consommation de drogue est proche de l’overdose, pour l’ensemble des passagers clandestins, passagers dont  beaucoup sont ruinés, les lampions de la fête s’éteignent, et avec cette nouvelle matérialité, correspond l’affaissement de l’esprit européen. Comme quoi, c’est bien la réalité matérielle qui ordonnance , malgré tout, le monde des opinions.

                        Loin d’un esprit européen, la construction de l’euro n’était réellement que la prolongation du stade de « l’Etat-Nation » par d’autres moyens. Comme la guerre, disait-on, était la poursuite de la politique par d'autres moyens. Cette variété de « petit un peu rond » qu’était la France ,  pays qui historiquement à imposé l’euro, n’a pas voulu construire une réalité qui la surplomberait. Elle a simplement cherché, à poursuivre son déficit budgétaire, sans les pleurs correspondants. Les entrepreneurs politiques français n’ont pas cherché à construire un « au delà de la nation » ; ils ont simplement cherché, à continuer à pouvoir se gaver de déficits publics, sans en payer le prix monétaire. Sans doute fallait-il pour cela, dénationaliser la monnaie, pour rejoindre  la volonté commune des entreprises politiques allemandes, d’où l’indépendance de la Banque centrale. Mais une dénationalisation, sans renationalisation à un stade situé au-dessus, de l’Etat-nation. D’où la naissance d’une « monnaie sans souverain » pour reprendre la terminologie de notre article « Monnaie, recherche désespérément souverain sérieux ».

                               Les discours idéalistes, tel celui de Jacques Delors - ou plus encore, celui de son partenaire de la construction européenne, Helmut Schmidt, lequel va jusqu’à regretter le « manque de charisme », voire de compétences des nouveaux dirigeants- ne font qu’épaissir le brouillard dans lequel se trouvent plongés les lecteurs qui veulent réellement comprendre le monde tel qu’il est. La réalité est suffisamment embrumée, pour ne pas lui adjoindre une couche d’opacifiant supplémentaire.

 

 

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2 décembre 2010 4 02 /12 /décembre /2010 09:44

                                            

 Les images du bateau, et des passagers clandestins, évoquées dans « l’euro : sursaut ou implosion » se voulaient révélatrices de la réalité de la monnaie unique. Les passagers clandestins étaient les Etats eux-mêmes, et des Etats – puisque passagers clandestins- peu soucieux d’une stratégie de coopération. Le  bateau était lui-même le symbole de la monnaie, et une monnaie sans autre pilote qu’un fonctionnaire indépendant, voire en état d’apesanteur, et surtout dépourvu de gouvernail : la banque centrale est en effet indépendante et son rôle n’est que de maintenir le navire à flot, et ce, sans même lui assigner une direction.

Jadis, le pilote était l’Etat lui - même, et les passagers avaient le statut d’usagers d’un service monétaire largement soumis au caprice du prince. Bref la monnaie avait un maître, et il est vrai, souvent autoritaire, et peu scrupuleux, appelé souverain. En sorte qu’il était exact que « battre monnaie était un attribut de la souveraineté ». Et souvent avec la violence du souverain : seigneuriage, dilution, assignats, « banqueroute des deux-tiers », inflation, etc. (cf. : « la crise : scénario pour 2010 »)

Le fonctionnement des marchés politique en Europe, et leur histoire, devait pourtant  aboutir à une « grande transformation » à la Polanyi : puisque « l’extériorité » qui tient les hommes ensemble peut devenir le marché, lequel rend faussement et magiquement obsolète l’Etat, alors il est possible d’engendrer une monnaie sans Etat et donc sans souverain : l’Euro était né.

Bien sûr, le bateau des passagers clandestins ne connaissait point de port- bateau aussi habité par des passagers  voulant s’offrir à bon compte une « monnaie de réserve à l’américaine » (cf « l’euro :sursaut ou implosion »)- et  pouvait rencontrer quelques hauts fonds, susceptibles de le faire chavirer : nous y sommes.

La grande crise était constitutive de ces hauts fonds, et de ce point de vue, elle ne fait qu’enclencher ou aggraver une crise monétaire, inscrite dans les gènes de la monnaie unique. Curieusement, c’est cette rencontre avec les hauts fonds, qui semble engendrer une course impossible de la « grande transformation à l’envers ». C’est qu’en effet, les entrepreneurs politiques européens, aussi passagers clandestins, semblent vouloir ancrer le navire vers une extériorité, qui ne peut être qu’un souverain …dont on ne veut surtout pas...

C’est tout le sens qu’il faut donner, aux diverses rustines qui s’accumulent sur les flancs du navire, ayant eu à affronter les diverses convulsions des passagers : le Grec, l’Irlandais, etc.

Un premier pas dans la grande transformation à l’envers

Ainsi, une première extériorité que l’on peut appeler machine à fabriquer des rustines, fût mise en place dans le cadre d’un partenariat : Le Fonds Européen de Stabilité Financière. Evidemment, cette institution basée au Luxembourg, est bien une extériorité, mais elle ne saurait être un souverain. Elle n’est même pas une union de transferts budgétaire, constitutive d’une caisse d’aide aux passagers, qui veulent rester clandestins.

Elle n’est qu’une abstraction, seulement susceptible de lever des fonds, au profit des passagers clandestins, invités à davantage de coopération. Et levées de fonds garantis, par la garantie des autres passagers, lesquels refusent de devenir responsables solidairement   de façon illimitée. Ainsi la loi du 7 juin 2010, votée au parlement français, expose l’Etat correspondant,  dans la limite supérieure de 111 milliards d’euros. Les fonds levés, ne sont pas ceux des souverains, ne sont pas de la dette souveraine, et la responsabilité des souverains cautionneurs de dette est limitée, très exactement comme dans le cas de sociétés commerciales privées. Et cette machine, initiée par la crise grecque du printemps 2010, se devait d’être légère, à peine d’entrer en délicatesse avec la clause de « no bail out » de l’article 125 du traité, lequel veille au principe de non solidarité financière entre les souverains. Principe instituant, ou autorisant de fait, le caractère de passager clandestin pour chaque signataire du traité.

Parce que la machine à fabriquer des rustines, ne peut  remettre le bateau à flot que fort temporairement, en raison du fait qu’elle participe à l’engendrement de nouvelles dettes, qu’il faut pourtant faire disparaitre, son usage est promis à bel avenir. Clairement, le stock de dettes à l’échelle planétaire ne fait qu’augmenter, et le risque de nouveaux subprimes – de nouveaux hauts fonds - ne fait que se multiplier partout dans le monde. C’est que le Fonds Européen de Stabilité Financière est aussi une machine, parmi d’autres dans le monde, à fabriquer de la nouvelle dette s’appuyant sur la garantie d’Etats insolvables : quelle espérance de mobilisation de la participation française (111 milliards d’euros) en cas de défaut grec par exemple, sachant que cette garantie représente environ 40% des recettes 2011 de l’Etat Français ? Espérance d’autant plus réduite, que si un tel défaut devait se manifester, le dit Etat serait anéanti dans sa course à sauver les banques françaises, elles mêmes vitrifiées par le défaut grec, pour lequel elles sont si exposées : près de 0,3% du total des actifs bancaires , d’après l’étude de la Deutsche Bank en date du 26/11/2010…soit beaucoup plus que les capitaux propres…

Une autre étape de la grande transformation à l’envers

Le bel avenir de la machine à fabriquer des rustines est déjà écrit, avec fort gonflement de ses activités liées au secours, d’abord  du passager irlandais, qui maintient malgré toutes les pressions et protestations, son jeu non coopératif en matière fiscale, ensuite des passagers portugais, espagnol, et sans doute d’autres encore. La taille de la machine pouvant augmenter en raison des convulsions à venir, cela signifiera de nouvelles garanties de la part des grands Etats insolvables.

L’accroissement de la taille, ne la transformera pourtant pas en nouvelle extériorité jouissant de la puissance d’un réel souverain monétaire. Sans doute l’aide du Fonds Européen de Stabilité Monétaire est-elle assortie de pressions sur les passagers afin de réduire leur clandestinité, toutefois   les dites pressions ne les conduisent pas vers des stratégies coopératives. C’est que le remède est uniformément déflationniste : réduction des déficits budgétaires gonflés par la crise financière, par diminution des dépenses publiques et, parfois augmentation de la pression fiscale. La purge déflationniste de chacun des passagers malades, entrainant une contagion, ankylosant  le niveau d’activité du groupe, pris dans son ensemble.

Mieux le danger guette, et les clandestins peuvent se dire intéressés par leur assujettissement au bourreau déflationniste : il fait mal certes, mais peut être moins que si l’on restait victime du spread sur dettes souveraines. Si en effet les taux offerts par le fonds de stabilité, sont moins élevés que ceux offerts dans un marché en ébullition, il devient ainsi intéressant de se placer sous la houlette de l’Europe, le bourreau y étant peut-être moins cruel. C’est très exactement la question qui s’est déjà posée- le dimanche 28 novembre 2010 à Bruxelles- pour le passager irlandais à qui il fallait proposer un taux élevé (5,8%), taux sans doute irréaliste pour le malheureux passager clandestin, mais en même temps, peut- être trop faible, pour dissuader les passagers portugais et espagnol qui connaissent, ou vont connaitre, des taux marginaux d’endettement sur les marchés supérieurs à 5,8%. Cela signifierait qu’il y aurait, avec la machine à fabriquer des rustines, une possibilité supplémentaire pour gagner un peu de temps. En contrepartie, cela signifierait aussi que le Fonds Européen de Stabilité Financière serait pollué - avec des taux simultanément trop élevés et trop faibles - dans son action, par des effets pervers non initialement prévus. Le fonds « victime des marchés », alors qu’il devait constituer une extériorité, sur laquelle il eut été possible de s’appuyer.

Grande transformation à l’envers : une nouvelle étape.

Et les choses ne s’amélioreront guère en 2013 avec le futur mécanisme européen de stabilisation, lequel ne sera toujours pas une extériorité, comme le souverain de jadis l’était.

A priori, il traduira dans la rigueur du droit, un début de modification du rapport de forces sur les marchés politiques européens. Chez nombre de clandestins, il devient de plus en plus difficile pour les entrepreneurs politiques, de justifier le point de vue d’une finance et d’une rente, qui a pour contrepartie la relative disparition, des Etats providence construits autour du pacte politique des «  30 glorieuses ». Le cas de l’Irlande - qui pourtant n’avait pas connu la période en question - est à cet égard particulièrement éclairant : dans « l’accord » qui vient d’être proposé aux entrepreneurs politiques au pouvoir, il est expressément prévu, que le fonds irlandais de réserve des retraites, sera à hauteur de 15 milliards d’euros, mobilisé pour sauver les banques. La finance se nourrit ainsi fort directement dans le garde-manger, de ce qui est réellement des salaires indirects. L’approfondissement d’un tel modèle devenant politiquement ingérable, les entrepreneurs au pouvoir, sont désormais invités par les marchés politiques, à restaurer un minimum de souveraineté monétaire.

C’est tout le sens qu’il faut donner aux « clauses d’actions collectives », qui devraient commencer à s’introduire à partir du 1er juillet 2013, dans les contrats d’émissions de dettes souveraines. Et clauses souhaitées par l’entrepreneur au pouvoir à Berlin. Sur le fonds, un tel mécanisme, s’il devait être mis en place, est un début du partage du désastre engendré par la crise : finance et rentes, correspondantes seront mises à contribution, par le biais d’un défaut désormais négocié. Sur les marchés politiques, cela correspondra assez probablement, à l’achat de voix chez des contribuables invités à financer moins de rente, contre une perte probable de voix chez les épargnants.

Pour autant, il ne s’agit encore que d’un projet, projet pouvant à chaque instant être balayé par la violence de la crise. Un tel mécanisme est en effet lourd, complexe, et probablement non exempt de dangers. Il pose de vraies questions : les taux ne vont-ils pas incorporer le risque de défaut résultant de la disparition de l’aléa moral ?  Vont-ils faire disparaitre les spreads ? Ne vont-ils pas précipiter la panique, chez ceux qui voyaient dans la dette des clandestins, un placement particulièrement sûr ? Quel statut donner à la dette souscrite par des résidents ? Etc. Mais surtout, la renégociation elle-même se trouve extrêmement complexe, en raison de l’extrême imbrication des dettes, et des risques associés avec le principal d’entre-eux : la possible pérennisation d’un effet domino. C’est qu’il serait imprudent, de considérer que les externalités développées par un défaut irlandais, serait du même type que ceux d’un pays émergent.

Autant de questions qui justifient la grande instabilité des marchés en cette fin d’automne 2010. D’où d’autres voies à explorer.

Grande transformation à l’envers : d’autres difficiles étapes.

On pourrait maintenant imaginer, que la conjonction de la pression des marchés, associée à la résistance croissante des salariés, inviterait les entrepreneurs politiques européens à bousculer le champ institutionnel, au profit de la création d’une extériorité plus solide : un véritable Trésor européen en charge de l’émission de bons du trésor européen. L’affaire serait  redoutable, puisque les marchés politiques de chacun des passagers de l’euro, seraient amenés à réduire le périmètre de leurs activités, et donc le « carburant du pouvoir ». Il y aurait effectivement bouleversement du champ institutionnel, avec renégociation d’un nouveau traité, permettant notamment à l’union européenne, de percevoir des impôts de masse, type TVA, et de s’endetter, ce qui est aujourd’hui juridiquement impossible.

Reposant sur un PIB de 9000 milliards d’euros pour la seule zone euro, l’ensemble bénéficierait en première approximation, d’une puissance d’endettement considérable. De quoi imaginer la présence d’un vrai souverain, pour une monnaie jusqu’ici sans maitre.

Pour autant, cette transformation à l’envers, faisant naitre un nouveau souverain, est aujourd’hui encore difficile à envisager. Les fonctionnements des marchés politiques interne à chaque pays, d’une part, et entre les pays de l’euro zone , d’autre part, ne peuvent que s’y opposer.

Au niveau interne, donc au niveau de chacun des passagers, la naissance d’un embryon d’Etat européen, vaut  réduction des marchés politiques  internes. Ainsi qu’il vient d’être énoncé, le basculement d’une partie de la fiscalité interne, est réducteur du périmètre des activités des entrepreneurs politiques locaux. Et face à cette perte collective du « carburant du pouvoir », le risque est d’assister à la cartellisation des grandes entreprises politiques, aux fins de résister au projet. Pour éviter le processus de cartellisation négative, il faudrait que les avantages politiques d’une dette devenue européenne, surcompense les désavantages de la montée en puissance de cette nouvelle extériorité, que serait l’Etat européen embryonnaire.

En admettant même que l’analyse coût avantage soit indécise, quant à ses résultats au niveau interne (au niveau de chacun des passagers), la même analyse- menée au niveau externe- conduit plus probablement au refus de la naissance d’un souverain européen. Car la collectivisation de la dette, en faisant disparaitre les spreads, aboutit nécessairement à la fixation d’un taux d’intérêt unique, défavorable au passager le plus important : l’Allemagne. La qualité de la dette européenne devenant inférieure à la qualité de la dette allemande seule. Il y aurait donc un spread de taux, sur la dette européenne, par rapport à la dette allemande d’aujourd’hui. D’où, ici, la cartellisation des entreprises politiques allemandes, en vue d’opposer un front du refus.

Décidément, le chemin de la grande transformation à l’envers dans le but d’accrocher l’euro à un souverain, est parsemé d’embûches…

Resterait à envisager un autre chemin pour envisager la grande transformation à l’envers. Puisqu’il est très difficile de faire naître un souverain pour l’euro, peut être serait-il possible de faire au moins disparaître ce pouvoir indépendant qu’est celui de la BCE.

Dans la présente situation, le dispositif institutionnel du système européen de banques centrales, a pour effet, de contenir le périmètre de la clandestinité des passagers. La BCE ne peut en effet favoriser tel ou tel passager en achetant directement sa dette, geste qui lui est juridiquement interdit. Elle ne peut pas non plus, émettre sans retenue de la liquidité auprès des banques, de tel ou tel passager, en raison  de son statut de gardien de la stabilité monétaire.

Autant de dispositions qui limitent le périmètre de la clandestinité, ainsi que l’a clairement montré les péripéties de la crise irlandaise. Les entrepreneurs politiques locaux continuaient à chercher à gagner du temps - y compris en consommant cavalièrement, le fonds de réserve des retraites, pour retarder des adjudications, potentiellement calamiteuses en termes de taux - et laissaient sur active une BCE venant en aide aux banques insolvables. La BCE, jugeant qu’elle quittait le champ traditionnel de ses interventions, fut le promoteur de l’organisation d’une aide coordonnée, que les entrepreneurs politiques irlandais, furent amenés dans un premier temps, à refuser. Ces derniers, préférant sauver les banques, par les liquidités distribuées par la BCE, plutôt que d’accabler davantage un citoyen pourvoyeur de voix. « L’accord » du 28 novembre qui fût imposé aux entrepreneurs politiques irlandais, définit  bien les limites de la clandestinité dans le paradigme dominant : en cette fin d’année 2010, il appartient encore aux contribuables, de régler les factures de l’orgie financière.

Sans doute y aura-t-il, ici ou là, chez nombre de clandestins, cartellisation des marchés politiques pour faire évoluer le système européen de banques centrales. Et une cartellisation résultant possiblement d’une résistance croissante des citoyens. Pour autant, les choses ne sont pas simples, et il y aura probablement un nouveau front du refus, issu de la cartellisation des entreprises politiques allemandes. En admettant même qu’il puisse être mis fin à l’indépendance de la BCE, le risque le plus important, serait l’élargissement du périmètre de la clandestinité : l’euro était déjà pour nombre de clandestins une drogue - une « monnaie de réserve à l’américaine » - mais qui pourra, demain, si fin de l’indépendance il devait y avoir, contrôler l’ouverture du robinet à liquidités aux fins d’éviter l’over- dose ?

L’euro, risque ainsi de rester encore quelque temps, la monnaie en quête d’un souverain très difficile à faire émerger. De quoi la menacer dans sa survie.

 

 

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23 novembre 2010 2 23 /11 /novembre /2010 18:21

 

L’Irlande qui représente 2% du PIB de la zone euro consommait cet automne 25% des nouvelles liquidités émises par la BCE. Interventions pourtant insuffisantes pour contenir  « bank run » larvé ou/et nécrose du marché monétaire qui se manifestent depuis le début de l’année. Et collaboration insuffisante des entrepreneurs politiques au pouvoir, qui allant jusqu’à 32 points de PIB de déficit budgétaire pour maintenir un système financier pesant 15 fois le PIB du pays, se devaient de réduire encore un peu plus la dépense publique : prés de 10% de PIB sur 3 années.

Le risque de défaut menaçant l’ensemble du système financier mondial, il fallait une consolidation rapidement élevée et construite à l’initiative  de ce qu’on appelait le triumvirat (FMI, Union européenne et BCE) L’aide consentie à la Grèce au printemps dernier, était généreuse et représentait 45% de son PIB. Avec l’Irlande la générosité sera plus grande encore, et l’aide prévue s’établira à 65% du PIB irlandais.

Le BIS Quaterly review de septembre 2010(http://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt1009.pdf#page=19)

révèle clairement, que parmi les  « PIGS », l’Irlande est de loin le pays qui dispose en son sein, de la bombe la plus dangereuse pour la finance planétaire. Le total de la dette extérieure publique et privée, représentait en septembre dernier, la somme de 843 milliards de dollars, pour un PIB de seulement 180 milliards de dollars. La Grèce se contentant de seulement 297 milliards de dollars, pour un PIB de 320 milliards de dollars… auquel il faut ajouter une économie souterraine autrement plus importante que celle de l’Irlande…

L’Espagne, dont on dit qu’en raison de son poids, elle entrainerait dans l’abîme l’ensemble de la finance, est pourtant dans une situation moins dangereuse que l’Irlande. Elle dispose certes d’une dette extérieure totale de 1100 milliards de dollars… qu’il faut toutefois comparer à un PIB de 1400 milliards de dollars.

Dans l’insolvabilité généralisée, l’Irlande est donc bien en tête, et c’est la raison pour laquelle « tous veulent l’aider » y compris la Suède et la grande Bretagne, ce qui était loin d’être le cas pour la Grèce au printemps dernier.

Pour autant, l’insolvabilité de l’Etat Irlandais ne peut que s’aggraver, puisqu’il faudra désormais rembourser une nouvelle dette, venant s’ajouter à l’ancienne déjà rapidement croissante. Il sera ainsi difficile de rassurer les marchés. A titre de comparaison, pour bien saisir le pharaonisme des chiffres, imaginons que la France se voit octroyer une nouvelles dette- à moyen terme, c'est-à-dire moins de 4 années- d’environ 1500 milliards de dollars… pour l’aider à s’extirper de son insolvabilité… C’est pourtant ce qui se décide en cet automne 2010 pour l’Irlande.

A cet étranglement vient s’ajouter une autre difficulté : le « tigre celtique », n’était tel, qu’en raison de son caractère de paradis fiscal. Et un impôt sur les sociétés le plus faible d’Europe, était aussi épaulé par une  grande créativité, dans les processus d’optimisation fiscale. C’est dire que la matière première « impôt sur les entreprises», matière propre à maintenir debout les dominos, n’est guère très épaisse, et que le choix est fait de laminer les petites rentes d’un Etat providence, initialement déjà plus réduit que sur le continent. Pour maintenir, contre vents et marée, la rente financière dans son intégralité, il s’agit de s’attaquer aux salaires et à leurs annexes, et ce et y compris par la voie de la pression fiscale sur les revenus du travail.

Ce choix est celui des  entrepreneurs politiques irlandais, bousculés par les entrepreneurs politiques européens, qui conscients du tsunami qui gronde, désirent toujours gagner du temps en imposant de « nouvelles aides » dépourvues de tout bon sens. Le choix initial des entrepreneurs politiques irlandais : gagner du temps en laissant couler le robinet de la BCE, est ainsi contrarié par d’autres entrepreneurs politiques, qui veulent gagner du temps par d’autres moyens, ici en tentant de réduire le spread des taux, aux mimétismes ravageurs dans nombre de pays de la zone. Ces façons différentes de gagner du temps, étant eux-mêmes dictées par l’agenda de chacun au regard du refinancement de « sa » dette sur les marchés. L’Irlande pouvait attendre jusqu’au printemps 2012. Portugal, Espagne, et d’autres encore, sont obligés de commercialiser de la dette beaucoup tôt.

L’épuisement des entrepreneurs politiques est toutefois bien présent, et les «  blocs au pouvoir » s’effritent progressivement. Tous baignent dans le même paradigme, et tous restent fascinés par la mondialisation. Pour autant, certains prennent conscience de l’existence d’un mur de l’insolvabilité. Aucun ne fait encore le lien entre la construction des autoroutes  de la finance, la mondialisation, la construction de, l’euro etc. Mais certains savent, qu’il existe désormais une forêt de dominos dont l’instabilité est rapidement croissante. Et encore une fois, il suffit de consulter les statistiques de la BRI pour voir à quel point tous habitent un « château branlant ». En affirmant avec naïveté, devant le conseil européen, que la finance doit comprendre que les politiques sont élus par des électeurs, qui sont aussi des contribuables, jusqu’ici trop mobilisés à sauver le système bancaire, la chancelière allemande s’est exprimée dans le langage  de ce blog. Expression dangereuse, pouvant initier l’effondrement généralisé des dominos. Mais en même temps, expression signifiant que les marchés politiques peuvent brutalement faire émerger de nouveaux produits politiques : rééchelonnement de la dette, nationalisation, saisie brutale du système financier, fin de l’Euro etc.

Epuisés par maintenant plus de 3 années de course au gain de temps, les entrepreneurs politiques touchent de la main, et apprécient la dureté du mur de l’insolvabilité. Cette prise de conscience est le début de grands bouleversements sur les marchés politiques : certains entrepreneurs au pouvoir, tenteront de maintenir leur rente de pouvoir par un rapide changement d’offre. D’autres accéderont au pouvoir et seront amenés à négocier le monde de la probable dé mondialisation et de l’euthanasie des rentiers. Les choses ne seront pas simples, et on aurait tort de se réjouir brutalement de la fin de l’étranglement par la finance. C’est que cette dernière présente parfois un angle plus sympathique : son gigantisme, a aussi pour contrepartie, des produits d’épargne appréciés par des contribuables, irrités par ailleurs, de payer pour le maintien, sous perfusion, du système financier.

 

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2 novembre 2010 2 02 /11 /novembre /2010 14:16

 

 

A plusieurs reprises nous avons précisé,  que l’utopie mondialiste déstabiliserait les marchés politiques locaux, et faciliterait la naissance, ou le renouvellement d’entreprises politiques, faisant elle-même émerger d’autres produits,  au sein d’un nouveau marché de la loi. De façon plus précise encore, nous indiquions que le produit «  équilibre des échanges extérieurs » devait devenir un produit phare sur les marchés politiques ( °).

Le présent texte tente de préciser, le possible mécanisme juridique assurant l’inéluctable dé mondialisation, dans un cadre autorisant encore le libre échange. Et mécanisme qui pourra se substituer,  au caractère dangereux, et surtout sans avenir, de la guerre des monnaies, qui  aujourd’hui semble monter en puissance.

Parce qu’en Occident, la schizophrénie des acteurs exige à la fois, plus de rentes de protection qui enferment,  et davantage de « droits liberté » qui autorisent une autonomie toujours croissante, il est clair que l’exigence d’équilibre des balances extérieures ( protection contre le siphonage de la demande globale) ne peut passer par des mesures autoritaires concernant les importations. Et encore une fois, renoncer à l’utopie mondialiste, ne saurait correspondre au repliement sur le seul espace national.

La mise en place d’un marché de droits à importer, émis privativement par les exportateurs, est un possible équilibre entre les exigences contradictoires du couple (protection/liberté).

Concrètement, le fait d’exporter donne lieu, à émission d’un droit à importer pour un même montant, droit librement négociable sur un marché. Symétriquement, tout porteur de droit à importer jouit de la liberté d’importer les marchandises de son choix, en provenance de son choix.

Formellement, un tel marché serait assez comparable à celui du « Blue Next » où se négocie des droits à polluer. Sur ce dernier marché, les entreprises sont soumises à des normes en matière de volumes de carbone émis, normes qui peuvent être dépassées par achat de droits à polluer, émis par d’autres entreprises, qui polluent moins que la norme autorisée.

Mais la comparaison s’arrête vite dans la mesure où les inconvénients bien connus du « Blue Next », pourraient ne pas exister dans le cadre d’un marché de droits à importer. Les effets pervers du « Blue Next » sont clairement identifiés : existence d’un double marché (spot et à terme) se matérialisant par une forte volatilité, bouchant la visibilité des investisseurs en matériels de dépollution. Mais surtout, prime à la délocalisation des pollueurs qui peuvent fuir ( ce qu’on appelle la « fuite carbone ») ou baisse de compétitivité, de ceux qui ne peuvent quitter le territoire, (centrales thermiques par exemple) , tout en étant victimes d’importations moins coûteuses .

Le marché des droits à importer, pourrait en effet bénéficier d’un puissant régulateur, l’Etat, qui lui aussi, aurait la possibilité d’émettre des droits à importer, et qui pourrait par sa présence sur le marché, assurer une  stabilisation des prix. Les spéculateurs seraient interdits, aussi en raison du fait que la très grande multiplicité des acteurs, procure la liquidité nécessaire du marché, sans passer par la présence des seuls parieurs non importateurs et non  exportateurs. Bien évidemment, si la propension à importer est plus élevée que la propension à exporter, il en résulte une tension sur les prix, mais tension stabilisatrice. Le coût des importations  étant croissant, le mécanisme de l’élasticité- prix devrait permettre le rétablissement progressif de l’équilibre.

Tout aussi évidemment, l’ancrage  d’un tel système, serait d’autant mieux fondé, qu’il résulterait d’une négociation internationale, avec  accords d’étapes, sur l’objectif d’équilibre multilatéral des échanges. Les droits à importer relatifs à chaque pays, pourraient ainsi être internationalement négociés. Sans doute les exportateurs étrangers pourraient- ils délivrer à leurs clients importateurs, des droits afin de garantir ou fidéliser la clientèle, toutefois les droits étant nationaux et inconvertibles, de telles opérations seraient sans effets pervers sur l’objectif d’équilibre. Egalement, il va de soi que les Etats ne pourraient émettre que leurs propres droits à importer, faute de quoi, les Etats mercantiles ne se priveraient pas d’émettre de grandes quantités de droits étrangers,  au bénéfice de leurs exportateurs nationaux.

Le marché des droits à importer ne serait  pas d’essence malthusienne, et n’aurait pas le caractère de « licence d’importation » titre regardé avec méfiance par l’OMC. A l’inverse de cette dernière, le droit à importer, est d’abord une monnaie privée, émise au premier chef par des acteurs privés : les entreprises exportatrices. C’est dire que si l’Etat peut émettre des droits, c’est à tire accessoire, et qu’en revanche,  il lui est juridiquement interdit d’en  retirer  de la circulation, pour éventuellement s’engager dans une politique de limitation des importations. En clair, les Etats pourraient émettre des titres, sans possibilité d’en acheter.

 C’est dire aussi, que ne se cache derrière le dispositif, aucun contingentement : le droit à importer est un titre non spécialisé. C’est  aussi remarquer, qu’il n’est pas l’équivalent d’un droit de douane, dont le prix est fixé par l’autorité administrative, alors que le prix du droit à importer serait fixé par le marché, et sa hauteur très largement déterminée par le  dynamisme des exportations. Sans doute, ces dernières sont elles dépendantes, du prix des  droits à importer qui se fixent à l’étranger, mais ces mêmes droits, se fixent aussi sur les exportations de ces mêmes pays étrangers. On est donc très loin de la fermeture tant redoutée par les adeptes du mondialisme : la dé mondialisation n’est pas la fin du libre échange.

Nul ne connait la hauteur des bouleversements politiques qui interviendront sous la pression des déséquilibres croissants des balances des paiements, et de leurs conséquences sur les acteurs directs, toutefois, le recours au marché des droits à importer, tel qu’évoqué ci-dessus, est la solution élégante, qui permet de quitter- très progressivement- le mythe de la mondialisation, sans dangers extrêmes.  

 

 

(°)  les textes qui  s’intéressaient à ces question sont : « Paradigmes d’entrée et de sortie de crise »5-07-10 ; « Crise et renouvellement de l’offre politique » 16-09-10 ; « L’équilibre extérieur comme produit politique émergent » 28-09-10 ; et « Mondialisation ou libre échange » 19-10-10.

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27 octobre 2010 3 27 /10 /octobre /2010 12:24

                      

L’idée selon laquelle le système financier se serait transformé en gigantesque casino est devenue courante. Avec  l’apriori suivant : tout comme au  casino, il n’y aurait pas de production de valeur et, ce qui serait gagné par les uns, serait strictement compensé par les pertes des autres.

Le texte suivant tente d’apporter, quelques éclaircissements.

Des producteurs de valeur ajoutée ou  de gains à l’échange semblables

Tout d’abord il y a lieu de s’interroger sur l’apport du Casino. Par exemple, quel est le résultat du jeu de l’échange sur les tables de roulettes ? Manifestement les salles de roulettes sont l’équivalent d’un atelier de production de valeur ajoutée classique, et valeur ajoutée faite d’une production ( les sommes nettes perdues par les joueurs diminuées des consommations intermédiaires). Il y a activité spéculative, paris effectués sur des numéros ou des couleurs,  et ce qui est gagné ou perdu par les joueurs est strictement équivalent à ce qui est gagné ou perdu par la banque. Simplement les règles sont ainsi faites que les probabilités de gain de la Banque sont supérieures à celles des joueurs. De quoi payer  les charges de fonctionnement et le profit réclamé par les propriétaires.

Non seulement il y a production de valeur au sens de la comptabilité nationale,  laquelle ne pourra distinguer une salle de roulettes d’une usine d’assemblage de voitures, mais il y a aussi au sens de la théorie économique un véritable  gain à l’échange : Le propriétaire  du casino gagne à répondre positivement à la passion du jeu, et les joueurs gagnent à pouvoir s’adonner à leur passion.

Il y a également production de valeur au niveau des salles de marché, lesquelles ressemblent – au-delà des technologies utilisées – aux salles de roulettes. Donc production de valeur au sens de la comptabilité nationale et production de valeur au sens de la théorie économique.

La comparaison, à connotation négative, du monde financier avec les jeux de casino est ainsi peut-être non fondée.

Mais nous ne sommes qu’au début de la comparaison.

Le statut du futur : probabilisable ou incertitude radicale ?

Les règles du jeu de roulette sont simples et connues de tous les participants. Il s’agit donc d’un marché d’information parfaite, sans asymétrie d’informations, avec,  pour les joueurs, liberté de ne pas entrer dans le marché. L’environnement des salles de roulette est particulièrement stable, en particulier les mouvements de la société n’affectent  guère le résultat du jeu. Point n’est besoin de relier la salle à Reuters ou Bloomberg : le mouvement du monde n’affecte pas le hasard de la rencontre entre la boule et un numéro. Et les « états du monde » sont parfaitement connus : probabilité de 1/36 pour les numéros, de 1/2 pour une couleur ou le genre d’un numéro , etc. L’avenir (le résultat du jeu) est inconnu mais il ne saurait réserver de surprise : la boule ne peut se stabiliser sur un numéro ou une couleur qui n’existe pas dans l’univers du jeu de roulette.

Le jeu du marché dans les salles de marché est d’une toute autre nature. Contrairement à ce que laissaient penser  Black et Scholes, le monde des salles de marché est plus  fractal que  gaussien. Cela signifie que des risques extrêmes peuvent se produire, évidemment de façon totalement inattendue. Il s’agit du « Cygne noir » cher à Taleb et « cygne noir » que Mandelbraut avait théorisé dans les années 1960. Il est donc des états du monde totalement  imprévisibles, d’où a priori des surprises, comme celle de la présente crise financière.

 Le prix de marché remplace le numéro sortant du jeu de roulette, et ce prix est bien une extériorité qui dépend du rapport entre des hommes, rapport entre offre et demande ,  rapport qu’aucun ne maitrise et sur lequel tous exercent une influence en continue. Au jeu de roulette, la boule se stabilise. Personne ne peut connaitre son numéro d’ancrage, parce que le calcul théorique qui relève de la simple mécanique est tellement complexe, qu’il n’est pas maitrisable par le physicien, d’où l’utilisation du terme de hasard.

Le prix d’un contrat sur le marché à terme est d’une autre nature. Les causes du prix sont aussi infiniment complexes, d’où le trop facile et sans doute rassurant passage  vers un monde gaussien  alors même qu’il en est très éloigné. Prix et hommes agissent en boucle continue avec parfois des sauts déterminés par la contagion des croyances et rumeurs. C’est précisément parce qu’il y a du « social » dans la finance que le futur n’est pas probabilisable. Et c’est, à l’inverse, parce qu’il n’y en a pas dans les salles de jeu que le futur y est probabilisable.

Le caractère non probabilisable du futur dans la finance n’est certes pas confortable, mais il y a hélas  beaucoup plus grave : l’inégalité fondamentale entre les joueurs.

Les règles du jeu : claires ou porteuses d’asymétries radicales ?

A l’inverse des salles de jeu où d’une certaine façon la population est homogène au regard du jeu -malgré sa grande hétérogénéité de fait (niveau d’instruction, de richesse etc.)- le monde de la finance est extrêmement hétérogène. Et cette hétérogénéité se reconnait d’abord dans l’asymétrie d’informations, peut-être ensuite dans l’asymétrie de pouvoir de manipulation. Et le tout rend élastique le patrimoine financier d’une collectivité. Ce qui signifie que le monde de la finance est celui où tous peuvent gagner , et où tous peuvent  perdre, alors que dans les salles de jeu les patrimoines restent constants : ce qui est gagné par certains est perdu par d’autres. Reprenons ces différents points.

L’asymétrie d’informations est banale, et correspond au fait que tous ne disposent pas du même niveau de connaissance, concernant la réalité des produits, et la réalité des marchés. Plutôt que de parler d’asymétrie d’information, il vaudrait peut-être mieux parler d’asymétrie de connaissances. Au fond personne ne sait, puisque le prix est fonction d’une foule d’actions et de réactions, correspondants à une multitude d’informations. Et le plus souvent actions et réactions sur la base d’une chaine de causalités qui n’est pas scientifiquement établie. De ce point de vue, le prix surplombe les acteurs du marché, autant que le surnaturel  pouvait surplomber les hommes de la pré modernité : il reste encore assez  largement inaccessible et mystérieux. Pour autant, tous ne sont pas au même niveau de méconnaissance, et certains monopolisent des informations inaccessibles à beaucoup d’autres. C’est le cas des mathématiciens constructeurs de produits, qui précisément  apparaitront comme exotiques pour beaucoup d’acteurs. C’est aussi le cas de ceux qui maitrisent le mieux la vitesse de transmission de l’information, en se trouvant par exemple plus proche de sa source. Exemple qui nous fait penser au trading informatisé, et à la sophistication des algorithmes. Mais c’est aussi bien sûr,  le cas de ceux qui disposent d’informations confidentielles, et flirtent avec la notion de délit d’initié : il ne saurait- quoiqu’on en dise- exister de muraille de Chine, dans les grandes institutions financières.

Cette première asymétrie est fondamentale et permet de comprendre l’énormité des rémunérations des plus talentueux, avec la fantastique résistance à toute modération des bonus. De ce point de vue, le risque de délocalisation est très réel, et il sera impossible de réglementer sérieusement les rémunérations des principaux acteurs. Traders des marchés financiers,  et croupiers des salles de jeux, ne sont pas dans le même monde, et parce qu’aucune connaissance rare et stratégique n’est exigée chez ce dernier, sa rémunération ne sera guère comparable à celle du trader.

L’asymétrie du pouvoir de manipulation, est sans doute ce qui prolonge assez naturellement l’asymétrie des connaissances. Les cours, sur les marchés financiers, sont manipulables par les plus puissants, surtout s’ils disposent des possibilités de la globalisation financière, aujourd’hui il est vrai partiellement remise en cause par la « règle Volker ». Ainsi des offres volumineuses  d’achats immédiatement annulées, permettent de faire grimper un cours pendant un très court instant (quelques secondes et souvent beaucoup moins), et court instant mis à profit pour vendre. Le gain va ici chez le manipulateur de cours, gain éventuellement partageable avec celui qui aura été informé. Ce dernier cas est juridiquement un délit d’initié…qui ne peut évidemment être prouvé. La technologie fait ici barrage à l’application de la loi, et c’est la raison pour laquelle le regretté Maurice Allais voulait conserver la cotation unique quotidienne et manuelle.

Le pouvoir de manipulation peut aussi être plus radical lorsque la loi – c'est-à-dire le tiers qui surplombe le jeu- disparait au profit des acteurs du jeu lui-même, c'est-à-dire des professionnels impliqués, à qui l’on confie la régulation du système. C’est ce qu’on a appelé la dérèglementation ou la dérégulation. Chacun sait aussi que lorsque le régulateur public existe, il est souvent capté, ou à tout le moins sollicité par les lobbystes. A titre d’exemple, la récente directive européenne sur les « hedge funds » et les fonds de « private equity »,  a fait l’objet de 1690 propositions d’amendements en provenance de l’industrie.

« L’élasticité du volume des patrimoines financiers », fait qu’à l’inverse des tables de jeux, des bulles vont régulièrement  se former, et  exploser tout aussi régulièrement. Parce que les objets financiers ne sont jamais une réalité, mais une simple représentation ou un simple reflet, et quelque fois même reflet de reflet pour les produits les plus complexes, il y a toujours incertitude quant à leur valeur objective. Et incertitude concrêtement vérifiée, par le mouvement incessant des hausses et des baisses de prix. A l’inverse de nombre de marchandises réelles classiques, une hausse de prix, peut entrainer une augmentation de la demande, entrainant une nouvelle hausse, et par un processus de contagion mimétique, développer une bulle. Il en résulte des phénomènes d’enrichissement,  ou d’appauvrissement globaux, gravement perturbateurs à l’échelle macroéconomique. Et effets accrus en raison des interventions des banques centrales qui- à titre d’exemple- peuvent développer des hausses par le biais du « Quantitative Easing ».

La machine à produire d’incorrigibles inégalités.

Les différentes asymétries et bulles intrinsèques à la finance, sont génératrices d’une aggravation des inégalités sociales, et inégalités plus ou moins bien supportées selon les codes et normes sociales en vigueur, et donc selon les pays. De ce point de vue, l’emprise toujours plus grande des salles de marché, est beaucoup plus insupportable là où la passion de l’égalité est encore en vigueur (France), que là où la liberté est une valeur beaucoup plus importante que l’égalité ( Grande Bretagne).

Le Fordisme classique, redistribuait d’autant plus volontiers les gains de productivité, que le lieu d’où ils jaillissaient, était outil de production construit et utilisé collectivement. Il était difficile de savoir, quel ingénieur, quel agent de maitrise ou ouvrier, était plus responsable que d’autres dans l’émergence du surplus de production. D’où, à l’époque, le caractère très contenu des échelles de rémunération. La salle de marché, est un rassemblement d’individus autour d’un outil technique, qui permet de lire à l’euro près, ce que tel ou tel agent produit. L’atelier fordien était lieu de production indivise. La salle de marché est peuplée d’artisans, et chacun exige un bonus qui est une fraction d’une production artisanale très personnalisée.

Maintenant, la financiarisation du réel étant en pleine expansion, se met en place les deux lames d’un ciseau, qui d’un côté, tend vers une hausse sans limite des rémunérations liées à la finance, et de l’autre, une pression sur les basses rémunérations dans le secteur de la « réalité »,et ce, en raison des délocalisations  facilitées par ce que nous appelions les « autoroutes de la finance ». Les salles de jeu appauvrissent fréquemment  ceux qui jouent trop souvent (il existe un biais statistique en faveur du propriétaire du casino), mais les salles de marché appauvrissent ceux qui ne participent pas aux jeux financiers, ou plus exactement, tendent à déchirer les mondes où la valeur de l’égalité, était croyance et projet collectif. Ainsi, et d’une certaine façon, les salles de jeu ne développent  pas d’effets externes majeurs ( a priori pas trop de pollution) tandis que les salles de marché développent des externalités négatives de grande ampleur.

Pour autant ne pouvons-nous pas dire que la finance est  plus utile que le casino ?

Il ne reste que des paris sur fluctuations de prix ….à prix fort élevé.

Les salles de roulettes, au surplus  non reliées au sein d’une chaine planétaire, sont le lieu de spéculations aux conséquences simplement microéconomiques. Les salles de marché complètement intégrées sont le lieu de paris aux conséquences- externalités obligent-  macroéconomiques mondiales. Cette  démesure de la finance apparait pourtant très utile : elle assure- presque toujours - la liquidité sur toutes les opérations, celles des agents privés comme celles des agents publics. Et liquidité qui permet de s’abstraire des pesanteurs du réel.

Mais la recherche de la liquidité, bien compréhensible pour les acteurs de la réalité, c'est-à-dire les producteurs de marchandises, les exportateurs et importateurs, investisseurs, etc. qui doivent sécuriser leurs activités par des opérations de couverture, peut aussi être recherchée, par d’autres acteurs, très éloignés de la réalité, et de ses contingences matérielles. Il s’agit bien sûr, selon l’expression de Jorion, des « parieurs sur fluctuations de prix » que les acteurs institutionnels du monde de la finance, appellent improprement « investisseurs ». Il s’agit bien sûr des spéculateurs. Et spéculateurs dont on sait qu’ils sont- en raison de leur poids- les acteurs en position quasi hégémonique sur le marché.

Leur apport est ambigu et ne peut être mesuré facilement par la valeur ajoutée de la comptabilité nationale. Très certainement, les paris sur fluctuations de prix, prennent une place croissante dans la valeur ajoutée bancaire, notamment au niveau des méga- banques américaines. Pour autant, on sait depuis le regretté Alfred Sauvy,  que  l’une des insuffisances de la comptabilité nationale, est de sommer des valeurs ajoutées… qu’il faudrait pourtant soustraire. Et chacun peut  avoir en tête,  la consommation de carburant supplémentaire, provoquée par les bouchons dans les villes.

Replacé dans le contexte des salles de marché, les valeurs créées doivent- elles être ajoutées ou retranchées à la richesse nationale produite ? Il est possible de répondre à la question en la transformant : l’interdiction des  paris sur fluctuations de prix déboucherait-il sur une baisse relative du PIB ? Réponse assurément positive, si les paris interdits en questions (devises, matières premières, titres , etc.) aboutissaient à des grippages de l’économie réelle : moins d’échanges risqués et davantage de stocks à financer pour contrer une trop grande volatilité des prix, demande globale en baisse par « effet richesse » devenu assez probablement négatif, etc.

Il n’existe hélas pas d’études convaincantes en la matière. Nombre d’entre-elles soulignent les avantages de la financiarisation à l’échelle micro-économique. Toutefois, outre que l’échelle microéconomique est insuffisante, il s’agit souvent, de travaux menés à l’ombre des lobbys, qui évidemment ont intérêt à monter, ou entretenir un "casino", dont les asymétries leurs sont entièrement profitables. Lobbys qui invitent, évidemment,  au développement du processus d’abstraction du réel. Ainsi, vient de se monter sur le NYSE Euronext,  un marché de contrats sur poudre de lait, donc nouvel espace de paris, dont on ne sait s’il sera collectivement profitable, mais dont on peut parier qu’il sera profitable aux parieurs informés et compétents, que l’on trouve dans les méga- banques. Ainsi, ces dernières profiteront-elles davantage de cette nouvelle salle de jeu, que les éleveurs de troupeaux et producteurs de lait, encore peu initiés aux techniques des marchés à terme. En attendant l’ouverture de nouvelles salles de jeux, pour le beurre et le lactosérum, dès le printemps 2011…

Le processus d’abstraction du réel, et les nouvelles tables de jeux financiers qui en résultent, ne peut macro économiquement   se justifier, que si la valeur ajoutée (au sens de la comptabilité nationale) générée et captée par la finance, est inférieure à la croissance du PIB du pays considéré. Si elle est supérieure, cela signifie qu’il y a prédation. S’il y a égalité, les paris sur fluctuations de prix sont économiquement neutres. Raisonnement a priori de bon sens…A moins de considérer que l’ensemble macro économique fonctionne à rendements décroissants, et que la finance est replâtrage salvateur. Mais hypothèse à vérifier

 

Toutefois, et globalement, en l’absence d’études macroéconomiques sérieuses, sur les avantages et inconvénients des paris sur fluctuations de prix, force est  de constater, que cette continuelle abstraction du réel par ouverture tout aussi continuelle de nouveaux vrais- faux casinos, est à tout le moins contestable : il s’agit de s’engager dans  le développement de la « société en sablier » (Lipietz),c'est-à-dire un monde de plus en plus inégalitaire contre des avantages  non démontrés. Problématique , on le voit, typiquement  Rawlsienne… mais imaginée sur du sable…

Au total, le discours de la finance, concernant la formidable croissance mondiale dont elle aurait été le catalyseur, est à tout le moins une déclaration sans preuves. Certes la finance n’est pas vraiment un casino. Mais elle  est une formidable machine à créer de l’inégalité, et une inégalité très difficile à corriger, en raison des spécificités technologique de ce type d’industrie. La dévalorisation de la finance, et le jugement négatif qu’on peut lui porter, ne résulte pas des « paris », paris assimilés à ceux qui s’opèrent dans les salles de jeu, mais bien plutôt en raison des conséquences sociales de son simple fonctionnement.

 

 

 

 

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19 octobre 2010 2 19 /10 /octobre /2010 08:46

                                

Il est important de revenir sur le célèbre exemple de Ricardo pour bien comprendre toute la distance qu’il peut y avoir entre libre- échange et mondialisation.

Le libre échange ou  l’acceptation de l’improductivité britannique

L’auteur sus-visé cherche à démontrer que même en situation de désavantage absolu, un pays a toujours intérêt à se livrer à des opérations de commerce international. Dans son exemple, Ricardo évoque deux pays, le Portugal et l’Angleterre et deux marchandises, le vin et le drap.

Avant échange extérieur, les deux pays produisent et évaluent les deux marchandises selon les coûts suivants en travail par unité produite : 80H et 90H respectivement pour le vin et le drap pour le Portugal ;  120 et 100H pour ces deux mêmes marchandises s’agissant de l’Angleterre.

Si l’Angleterre est déclassée aussi bien pour la production de vin que pour la production de drap, elle a - dit Ricardo  - intérêt à se spécialiser dans le domaine où elle se trouve relativement  le moins désavantagé, c'est-à-dire le drap, le Portugal prenant en charge la production de vin.

Une telle spécialisation suppose évidemment une bonne mobilité des facteurs de la production, avec pour résultat la possibilité de produire plus de deux unités de vin (2,125 unités) pour le Portugal, et plus de deux unités de drap (2,2 unités)  pour L’Angleterre. Il existe bien un gain mondial à l’échange international comme il existe des gains à l’échange au niveau national. La question toutefois se pose de savoir comment sera réparti ce gain entre les deux pays.

Pour autant, si on raisonnait en dehors du contexte national/ international pour raisonner en mondialisation le résultat serait encore meilleur. Car les entrepreneurs anglais n’ont aucune raison de supporter l’improductivité des travailleurs britanniques et délocalisent leur production au Portugal. Cela suppose évidemment un grand réservoir de main  d’œuvre dans ce pays, mais désormais il serait possible de disposer de 2,125 unités de vin et de 2,44 unités de drap (220/90), soit une situation mondiale meilleure. De ce point de vue la mondialisation, faisant disparaitre les Etats, peut-être perçue comme avantageuse.

Evidemment l’exemple et les calculs sont frustres, mais ils correspondent assez correctement à ce qui s’est passé depuis la fin du fordisme. L’exemple de Ricardo revisité représente assez correctement ce qui s’est produit : zones dévastées (L’Angleterre ne produit plus grand chose) associées à des croissances miraculeuses (Chine).

Une réalité  empirique entre libre échange et mondialisation…

Si l’on cherche à se rapprocher de la réalité empirique d’aujourd’hui, il faudrait raisonner dans l’exemple de Ricardo sur le cas des USA et de la Chine. Mais plus important, il est des paramètres fondamentaux à introduire dans le modèle : il existe des productions non délocalisables, par exemple les services sociaux portant secours aux chômeurs, les services publics etc. Plus sérieusement encore, derrière les pays existent des acteurs ou groupes d’acteurs : entrepreneurs économiques aux intérêts divers, salariés et  consommateurs plus ou moins citoyens, enfin entrepreneurs politiques travaillant dans un champ institutionnel.

Pour autant, la réalité empirique d’aujourd’hui, semble à mi- chemin entre le libre échange qui devrait assurer une sorte d’optimisation mondiale de la production, et la mondialisation qui élimine l’existence même des improductifs. Clairement, les USA n’ont plus grand-chose à exporter, et la Chine peut, tous les jours davantage,   produire tout ce dont les américains ont besoin.

 Le modèle du libre-échange est celui où la nation n’est pas encore contestée, le marché politique pouvant fonctionner sur la base d’un mercantilisme classique. Les acteurs les plus importants, c'est-à-dire les entrepreneurs économiques travaillent sur des bases nationales et n’exigent pas la disparition ou l’adaptation du corpus législatif interne à une norme supérieure. Ce modèle est assez largement celui de la révolution industrielle, notamment anglaise, et celui du monde dit développé du 20ième siècle.

…Mais marchés politiques tentés par le mondialisme

Le modèle de la mondialisation n’existe pas, et a peu de chances de se manifester, et ce même si la réalité empirique semble - faussement ou maladroitement - s’en rapprocher. En théorie il signifie que les acteurs les plus importants, c'est-à-dire les entrepreneurs économiques exigent la fin des nations et l’apparition d’un ordre institutionnel planétaire susceptible de favoriser sans limite l’ordre économique. En clair, ils exigent que les nations , coupe- circuits, dans l’ordre du marché généralisé, subissent un affaissement drastique. Les entrepreneurs politiques ne peuvent que mollement répondre à cette exigence. Dans un premier temps ils peuvent en accepter les premiers effets en ce qu’ils s’inscrivent dans l’ambiguïté : le salariat se précarise, mais la consommation se porte bien, simplement, parce que dans la première phase, la Grande distribution se charge de faire baisser la valeur de la force de travail, ce que nous appelions le fordisme boiteux ou « l’artificialisation de la plus value relative" (cf:

  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-grande-crise-les-8-fondamentaux-pour-conclure-54153801.html).

 Avec le temps, le marché politique devient  plus difficile, et l’offre de produits de mondialisation (ensemble du système juridique revu et corrigé  pour autoriser une entrée en mondialisation) engendre  de grands changements, notamment  en termes de répartition du bien être (accroissement des inégalités de revenus et de patrimoine). Mais précisément l’offre  se manifeste néanmoins  parce qu’il existe un besoin et un marché potentiel.

Concrètement , la théorie économique- tel le marketing  engendrant en permanence de nouveaux besoins qui n’existent pas vraiment-  va faire naitre, d’abord chez nombre d’entrepreneurs économiques, mais aussi chez les salariés, le besoin  de s’éloigner de l’Etat : La macroéconomie ne bénéficie d’aucun statut scientifique, diront les autrichiens ; l’école des choix publics nous a sensibilisé sur les handicaps de l’intervention publique ; l’école des anticipations rationnelles  a confirmé le handicap ; et beaucoup considèrent que les modèles dont sont friands les ministères  sont un crime épistémologique. La parole académique, comme celle du marketing,  est ainsi venue modeler la pensée et les actions des praticiens du jeu social. Et si la finance s’est imposée dans la configuration qu’on lui connait encore, c’est aussi et surtout en raison de l’efficacité instrumentale de la théorie des marchés efficients ( Merton, Black et Scholes). De quoi faire reculer le règlement (l’Etat) et faire avancer le marché qui ferait beaucoup mieux.

 Avec, au passage, cette académique contradiction : on dénonce l’épistémologie des modèles macroéconomiques intégrant le postulat des bienfaits de l’Etat,  mais on accepte celle de l’efficience des marchés alors qu’il est possible de lui adresser les mêmes critiques : celles en provenance de la théorie du chaos. Dans un cas comme dans l’autre, puisqu’il s’agit de modèles, il existe une fissure – même très faible- entre le réel et sa représentation, fissure  qui se transforme en abîme entre ce qui se produit réellement et ce qui se prédisait. Comme quoi  le concurrentiel épanouissement des théories économiques est autant affaire de marketing que de science fondamentale.

   Et tout aussi concrètement,  l’inondation de la société par les mécanismes du marché fera apparaitre « l’homme délié » au détriment de l’homme citoyen. C’est dire par conséquent que les individus seront de plus en plus nombreux à connaitre une certaine fringale de produits de mondialisation. Cette dernière apparaissant comme la conquête de libertés nouvelles. L’homme citoyen était encore imprégné de cet ersatz  de holisme qu’était la patrie dévoreuse de devoirs autant que de droits. Désormais la société complètement inondée par le marché, ce que Polanyi appelait la « grande transformation », se reconnait mieux comme individus dévoreurs de « droits liberté » que l’on met en avant dans l’échange volontaire universalisé et intéressé.

A cheval sur un monde de plus en plus difficilement maitrisable, les entreprises politiques dont le carburant   fût historiquement la nation, furent ainsi amenées à répondre à l’utopie  de la mondialisation. Il existe donc curieusement une contradiction, entre un marché politique qui s’oriente vers son anéantissement, la disparition de l’Etat nation étant aussi celle des marchés politiques correspondants,  et un principe vital qui l’empêche d’aller jusqu’au suicide.  Avec cette caractéristique singulière : plus ils répondent positivement aux exigences  des acteurs les plus mondialistes et plus ils sont contestés dans leur fonctionnement. 

C’est qu’à la simplicité du holisme résiduel de la modernité naissante (19 et 20ième  siècle) correspondait la simplicité de son marché politique : peu de

produits, et beaucoup de gesticulations idéologiques et manipulatrices sur la base de valeurs simples. A l’explosion de l’individualisme radical correspond la complexité du social et la sur- agitation des marchés politiques : avalanche de produits censés compenser la perte des valeurs et du sens. La régulation de l’ensemble social n’est plus nourrie par la citoyenneté, mais par l’intérêt individuel, d’où la pluie de lois chargées de compenser l’effacement de ce que l’on appelait capital social, valeurs ou simple morale.

….Mais marchés politiques non suicidaires

Toutefois le monde connait déjà les limites de la mondialisation et les forces de rappel vers le simple libre échange se manifestent.

La première est celle qu’avait peut-être envisagé Ricardo, lequel stoppait son raisonnement au beau milieu de la démonstration : les capitalistes anglais supportent l’improductivité des travailleurs britanniques et ne délocalisent pas la production de drap alors même que l’économicité y pousse. Ricardo ne nous dit pas pourquoi le seuil de la délocalisation radicale n’est pas franchi. Peut-être  s’agit-il d’un problème de valeurs : les capitalistes anglais seraient aussi citoyens britanniques soucieux de ne pas ruiner leur pays. Cela signifierait aussi, que l’avantage de l’échange est bien perçu dans les vieux termes du holisme qui se prolonge alors même que la grande transformation est à l’œuvre : ce sont d’abord des nations qui gagnent à l’échange. L’inondation de la société par l’économie n’est pas encore la noyade. Et le libre échange n’est pas la mondialisation.

Aujourd’hui, il est difficile de penser que les entrepreneurs économiques restent animés par le primat de la citoyenneté, et la noyade de la société n’est pas la leur. Ils constituent pour les plus importants d’entre-eux la sur- classe mondialiste et restent entièrement gagnants au jeu de l’échange. Ce gain, correspondant à la noyade de la société,   s’oppose de plus en plus radicalement aux intérêts des entrepreneurs politiques qui seront de plus en plus amenés à refuser leur propre suicide. Ils vont pour cela construire de nouveaux produits répondants aux intérêts des salariés dont  la précarisation se fait menaçante. Si Ricardo pouvait penser que la main invisible était surplombée par la citoyenneté des capitalistes, aujourd’hui il nous faut plutôt penser qu’elle sera surplombée par l’intérêt des entrepreneurs politiques,  lesquels refusent le suicide par noyade volontaire. Les entreprenurs politiques seront ainsi amenés à renégocier les termes d’un libre échange assurant leur propre pérennité.

 Les marchés politiques européens  refuseront la mort

En termes empiriques il est facile de repérer que les Etats qui se sont le plus lancés dans la mondialisation, par abandon lourd de leur souveraineté, sont aujourd’hui très hésitants. Tel est le cas des pays de la communauté européenne, qui révèlent au grand public, leur refus d’aller plus loin dans l’affaissement des Etats et en arrivent à imaginer un lourd système de sanctions au détriment de ceux qui souhaitent se préserver des marges d’autonomie. L’abandon des souverainetés monétaires et budgétaires est de moins en moins bien acceptée, et les projets de systèmes de sanctions à l’encontre des Etats récalcitrants ne font que mesurer la résistance à l’affaissement des marchés politiques nationaux, et de ses entrepreneurs qui refusent la filialisation vis-à-vis d’un possible marché politique supra national (le grand Etat européen), et surtout la perte de parts de marché sur leur propre zone de chalandise.

Et précisément ces sanctions lourdes (on parle d’amendes se comptant en points de PIB pour les déficits excessifs, et amendes quasi automatiques en raison de la mise en action d’une règle  de majorité inversée) vont entrainer l’hostilité croissante des électeurs des pays concernés, lesquels exigeront de la part  de leurs  entrepreneurs politiques nationaux une authentique résistance. Les entrepreneurs politiques nationaux les plus intelligents seront ainsi sauvés par ceux qu’ils martyrisaient dans l’aventure mondialiste. D’où des revirements spectaculaires à attendre en termes d’offres politiques, idée  que nous risquions déjà dans notre texte:

 http://www.lacrisedesannees2010.com/article-crise-financiere-et-renouvellement-de-l-offre-politique-57894468.html.

L’hostilité ne peut en effet que grandir avec l’épuisement du fordisme boiteux qui ne cesse d’éloigner le salarié du consommateur. Il est, avec l’approfondissement de la crise financière, de moins en moins question de négocier- au moins fictivement- du pouvoir d’achat conquis par la plus value relative offerte sur des importations toujours croissantes contre davantage de précarité salariale (cf:

  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-grande-crise-les-8-fondamentaux-pour-conclure-54153801.html).

Au-delà de ce que l’on appelle les nouveaux besoins, Les gains en pouvoir d’achat sur produits importés sont désormais surcompensés par des taux de salaire déclinants. Avec impossibilité de sortir du couple prix des importations/salaires par utilisation d’une monnaie, l’euro, qui reste aujourd’hui encore la seule « monnaie sans souverain », c'est-à-dire  mondialisée.

Et cette hostilité vis-à-vis de la construction européenne est aussi la porte de secours des marchés politiques nationaux qui constatent de plus en plus que l’Europe est curieusement le continent le plus avancé vers la mondialisation. Les autres continents le sont en effet beaucoup moins, et s’avancent au mieux, sur la base d’un relatif libre- échange vers des Etats- nations, qu’il s’agit de préserver ou de construire. Et cette pointe avancée vers la mondialisation qu’est l’Europe est d’abord le fait de sa « monnaie sans souverain ». L’actuelle guerre des monnaies faisant ainsi intervenir sur le champs de bataille une armée sans général.

Le possible démantèlement prochain des institutions européennes s’annoncera aussi comme lutte pour la vie des principales entreprises politiques du continent. Et démantèlement qui ne signifie pas nécessairement disparition : comme les entreprises économiques, les entreprises politiques se doivent de renouveler en permanence le catalogue des produits, produits parmi lesquels il serait possible de trouver de nouveaux projets européens.

Singulièrement, comme l’improductivité des travailleurs britanniques ne signifiait pas leur disparition dans l’exemple de Ricardo, il n’est pas dit que l’improductivité des travailleurs grecs, condamne ces derniers à disparaitre. Après avoir été martyrisés, les improductifs seront peut-être protégés.

 

 

 

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