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24 mai 2023 3 24 /05 /mai /2023 06:56

La question de la fin du dollar est à nouveau évoquée dans le cadre de la gestion de la crise ukrainienne. Nous voudrions ici montrer que cette potentielle issue n’est pas pour demain et que ce qu’on appelle privilège du dollar reste un point d’ancrage peu dépassable.

Comprenons d’abord ce que l’on entend par privilège du dollar. Prenons le cas d’un pays mal positionné dans la hiérarchie économique mondiale. Sa monnaie sera vraisemblablement en concordance avec son positionnement. Supposons que ce pays s’achemine vers un double déficit : celui de ses finances publiques et celui de son compte extérieur. Il peut certes financer son déficit public par création monétaire. Cette situation entraine un cocktail peu rassurant : une inflation résultant d’une masse monétaire croissante et une aggravation du déficit extérieur par augmentation des importations résultant elle-même des effets de la dépense publique. Le déficit extérieur pourrait être soldé en monnaie nationale mais il est très probable que les partenaires étrangers refuseront. La raison est simple : la monnaie en question est particulièrement difficile à utiliser. On ne peut que très difficilement s’en servir pour acheter des marchandises qui n’existent pas ou ne correspondent pas aux qualités appréciées. On ne peut pas non plus facilement la céder à des investisseurs qui, eux-mêmes, cherchent des capitaux très liquides pour les opérations correspondantes. Nous connaissons présentement cette circonstance à grande échelle avec la Russie qui accepte des Roupies au titre du paiement de son pétrole vendu à l’Inde, mais qui cherche une solution pour une utilisation de comptes en monnaie fort peu désirée. En clair lorsqu’on est mal positionné économiquement, le besoin total de financement reste une masse qui ne peut être allégée. Elle reste un poids lourd dans le sac de voyage du pays. Que la Russie accepte en continu l’abondement de comptes en roupies serait merveilleux pour l’Inde, pays démuni en matière énergétique qui pourrait ainsi se ravitailler par simple émission monétaire. Un peu comme si, miraculeusement, l’Inde devenait propriétaire sur son sol de gisements de pétrole.  Hélas, ce n’est pas possible et la Russie veut ou voudra être payée car elle ne trouve en Inde que peu de produits ou services répondant à ses besoins.

Si l’on prend maintenant le cas des USA, les choses sont très différentes. Le déficit public semble sans limite et tous les ans la comédie très médiatisée de l’autorisation du relèvement de la dette ( 34000 milliards de dollars aujourd’hui) par le congrès reste de l’ordre du théâtre comique. Dans le même temps, le déficit extérieur peut ne pas connaître de limite (948 Milliards de dollars en 2022). Les partenaires des USA acceptent sans difficulté la contrepartie monétaire d’un tel besoin de financement car sa liquidité est la plus importante du monde. Tout dollar est parfaitement convertible en n’importe quelle marchandise ou en n’importe quel actif et ce en quantité illimitée. A l’inverse des Roupies figurant aujourd’hui sur des comptes bancaires russes, les dollars figurent sur des comptes répartis sur la totalité de la planète et personne ne se soucie de leur parfaite convertibilité. L’énorme besoin de financement du pays n’est en aucune façon un sac trop lourd et se trouve à l’inverse une opportunité pour un fête continue. Et l’énorme émission monétaire qui se cache dans le doublement des actifs financiers depuis 2007 ne donne pas lieu à une inflation notable. Les USA ne sont pas l’Inde.

C’est cela que l’on appelle privilège du dollar.

Ce privilège de part son fonctionnement semble devoir logiquement se renforcer.

Son point de départ relève évidemment de la fin de la seconde guerre mondiale. A l’époque, l'Amérique était devenue l’usine du monde et, en correspondance, sa monnaie était au sommet de la hiérarchie. L’Amérique de l’époque aurait pu -entre autres- accepter des paiements en monnaies européennes, ce qui l’aurait amenée à stocker des monnaies inutilisables, donc des actifs sans valeur, un peu comme la Russie aujourd’hui au regard de l’Inde.  Rationnellement, elle a préféré le paiement à partir de crédits en dollars aux pays en cours de reconstruction. En élargissant le périmètre de ces crédits (plan Marshall) les USA assurent des débouchés à son industrie et font du dollar la monnaie la plus recherchée car la plus utilisable partout dans le monde.

La reconstruction achevée, la mondialisation qui va suivre ne peut que renforcer le privilège. La libre circulation du capital qui va se mettre en place s’opère d’abord sur l’actif déjà le plus liquide et donc va renforcer le rôle du dollar : les autres actifs ne peuvent avoir la même profondeur de marché et donc au nom de la sécurité, il vaut mieux choisir le dollar plutôt que le franc ou la pesetas. Mais, en choisissant le dollar, on rend encore plus liquide les actifs en question -ce qu’on appelle la profondeur de marché- ce qui augmente par effet de contagion les émissions en dollars et le libellé de tous les outils de sécurisation financière lesquels s’homogénéisent autour du dollar. Progressivement, le monde de l’international ne peut utiliser que le langage du dollar. Le privilège du dollar est donc aussi un effet de foule sans doute difficile à endiguer.

Même chose pour la libre circulation des marchandises -bientôt devenues  ensembles complexes et quasi infinies de chaînes de la valeur- qui fera que le contenu importé de chaque exportation dans le monde ne pourra que croître. Un tel contexte ne peut accepter pour chaque étape des contrats en monnaies nationales soumises à des parités mouvantes. Il faut facturer, à chaque échelon, dans la même devise et là encore, par un phénomène de foule, les contrats seront libellés en dollars tout au long de la chaîne. La sécurisation d’une chaîne et donc la minimisation du coût des risques de change passe donc par le dollar.  La tendance générale est donc, non pas la fin de l’hégémonie du dollar, mais au contraire sa conservation. C’est cette tendance qui explique que la fin très officielle de la libre convertibilité du dollar le 15 aout 1971 ( fin des accords de Bretton Woods), loin de correspondre à la fin du dollar ne fut que le début d’une nouvelle et fulgurante ascension.

Peut-il y avoir dédollarisation ?

 On peut l’attaquer aujourd’hui en limitant les modalités et les conditions de son utilisation. C’est curieusement le gouvernement américain qui, lui-même, semble vouloir limiter la liquidité et la crédibilité du dollar.   Par exemple les USA ont décidé d’un embargo sur les réserves en dollars de la Russie. Il faut savoir qu’un tel embargo est à priori efficace puisque tout actif libellé en dollar est de fait tenu par une banque américaine censée obéir à l’exécutif. Par exemple, le pouvoir Russe peut détenir des comptes en dollars dans des banques étrangères non américaines mais ces comptes ne sont que la contrepartie de comptes qui eux-mêmes relèvent de la gestion d’une banque américaine. Ainsi une entreprise russe exportatrice de matériels militaires en Inde peut exiger un paiement en dollars sur un compte qu’elle possède à New Delhi…mais ce paiement en dollar mobilisera en contrepartie un compte de banque américaine… Théoriquement, l’embargo peut donc être extraordinairement puissant et développer l’indisponibilité d’un dollar pour lequel il faudrait lui trouver un substitut. Pour autant un tel geste ne déclenche pas un mouvement de conversion au profit de monnaies devenues subitement plus utilisables. D’abord parce que tous les pays ne sont pas sanctionnés, mais surtout parce qu’en termes d’Etat de droit ou d’illibéralisme les USA apparaitront toujours comme plus libéraux que les autres. La fragmentation géopolitique du monde est en marche et les grands blocs qui semblent apparaitre (Occident global, Est Global et sud Global) sont eux-mêmes fragmentés. Sans doute pourra-t-il émerger ici ou là des échanges en monnaies nationales qui resteront en concurrence entre-elles. Mais c’est cette concurrence qui précisément va maintenir le privilège du dollar : les divers signes  monétaires peuvent  se faire concurrence mais le meilleur d’entre-eux restera le dollar. Pour une véritable disparition du privilège du dollar il faudrait une toute autre transformation, par exemple celle très utopique examinée dans nos articles des 3 et 9 mai 2023 (« Avenir probable des banques centrales »).

 

 

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9 mai 2023 2 09 /05 /mai /2023 06:20

La seconde partie du présent papier a longuement insisté sur le caractère polycentrique des infrastructures monétaires et ce, à l’échelle de la planète. L’irruption des banques en ligne,  des néo banques et autres « mobile money », développe davantage encore ce polycentrisme. C’était ce caractère qui imposait l’existence d’un dangereux marché monétaire, les banques devant se faire confiance entre elles pour assurer la circulation de la valeur et les banques centrales venant en surplomb pour garantir ce qui n’est pas facile à sécuriser. Pour reprendre l’exemple de la seconde partie de l’exposé, il est relativement facile quand on est SNCF de garantir la bonne circulation des TGV entre Paris et Nice, mais il est beaucoup plus difficile et complexe, quand on est système bancaire, de faire circuler la valeur entre banques. Et c’est au final l’une des grandes causes des crises financières. D’où l’idée un peu dérangeante de la seconde partie du texte de proposer la fin du présent système bancaire au profit d’un monopole des banques centrales. Ce que les économistes désignent par le terme de monopole naturel.

Cette proposition est pourtant d’autant plus crédible que, malgré les précautions, malgré l’imposition de règles de prudence sous la forme de réserves obligatoires, de fonds propres suffisants, de ratios nombreux et divers, de stress tests, etc. les accidents restent possibles et graves. C’est bien ce que nous constatons présentement avec les banques américaines et les effets de contagion possibles. Parce que l’infrastructure monétaire est polycentrique, les bilans comptables des banques ont toujours été victimes d’une évaporation potentielle que l’on ne retrouve pas dans l’économie réelle. Les bank run ont toujours existé et les paniques correspondantes pouvaient détruire rapidement les banques attaquées par des retraits massifs de la part de leurs déposants. Dans l’économie réelle, les bilans ont toujours été plus solides et les dettes (passif) ne donnent pas lieu à un bank run, tandis que les actifs, parce que largement matériels, ne sont pas susceptibles de connaître un effondrement comme peuvent le connaître les titres financiers à l’actif des banques.

Or, cette évaporation potentielle et toujours menaçante s’accroit considérablement aujourd’hui. La  raison essentielle est que désormais, grâce aux nouvelles technologies, des centaines de milliards de dollars peuvent, d’un simple « clic », quitter le passif d’une banque. Jadis il fallait se présenter physiquement au guichet pour effectuer un retrait. Aujourd’hui les choses sont beaucoup plus simples et donc l’évaporation peut entraîner la ruine en quelques heures. Ajoutons que les facilités du numérique développent aussi la puissance des comportements mimétiques et donc celle de la contagion. Il faut donc en conclure que les outils prudentiels ne sont plus à la hauteur des dangers, et ce n’est pas en affûtant les divers ratios que les régulateurs imposeront aux banques, que l’on pourra raisonnablement lutter contre une évaporation beaucoup plus puissante et beaucoup plus radicale que par le passé. Le polycentrisme de l’infrastructure monétaire était supportable dans le cadre des technologies anciennes, il ne l’est plus aujourd’hui. De ce point de vue les récentes critiques contre les dirigeants de la FED sont probablement exagérées. La crédibilité de la FED n’est pas contestable par l’incompétence des ses dirigeants, elle l’est de part une évolution technologique qui durablement va rebattre les cartes.

Dans le même temps, les technologies nouvelles ont avec la blockchain et les crypto monnaies créé bien des inquiétudes pour les infrastructures monétaires : désormais la circulation de la valeur peut se réaliser sans la participation des banques. Cette inquiétude s’est évidemment propagée aux Etats eux-mêmes. La réponse est venue des banques centrales avec le projet de création d’une monnaie numérique de banque centrale, projet pour lequel la Chine est en avance. Nous avons à plusieurs reprises exposé dans le blog  la problématique de ces monnaies. Sans y revenir de façon détaillée on peut imaginer la nouvelle architecture qui pourrait en résulter tant du point de vue des banques que des Etats eux-mêmes. Architecture qui peut se résumer en quelques points :

1 - Désormais tous les acteurs sont invités à transférer leurs dépôts vers un compte à la banque centrale.

2 - Le Trésor et les banques conservent leur compte à la banque centrale. Le transfert des dépôts vers ladite banque  a pour contrepartie un dépôt en monnaie centrale figurant au passif des banques. Désormais, leur passif est pour l’essentiel de la monnaie centrale constitutive d’une dette envers la banque centrale.

3 - L’infrastructure monétaire devient un monopole naturel et la circulation de la valeur correspondante se déroule au seul niveau de la banque centrale. Tous les paiements se traduisent par la seule mobilisation de comptes en actif et en passif à la banque centrale. Il n’existe donc plus de marché monétaire et si les banques peuvent rester en concurrence pour des opérations de crédits et d’investissements, la méfiance source de crise et d’une bonne part des opérations spéculatives disparait. La circulation de la valeur est sécurisée.

4 - Parce que le passif des banques n’est plus constitué de dettes aisément disponibles ( dépôts des ménages et entreprises) mais d’une dette envers la banque centrale, l’émission monétaire n’échappe plus à cette dernière. Elle dispose techniquement du monopole de la création monétaire.

 5 -  Du point de vue des banques, la fonction d’infrastructure monétaire disparait en totalité. En revanche la fonction de gestion de l’épargne et de l’investissement reste inchangée. Elles restent en concurrence dans le cadre de cette activité. Toutefois ne disposant plus de la capacité à créer de la monnaie, elles dépendent de l’autorisation de la banque centrale laquelle peut créer de la monnaie à la demande des banques.

6 -  Les grandes fonctions sont institutionnellement séparées, les banques disposant  du monopole du crédit et la banque centrale se réservant le monopole naturel de circulation de la valeur. Il est interdit à la banque centrale de financer directement l’économie.

7 -  Un traitement particulier est réservé à la dette publique. Banques et banques centrales peuvent acheter de la dette publique mais il n’existe plus de marché primaire de la dette publique. Le financement des Trésors se déroule hors marché et ce financement sous contrôle démocratique ne se conçoit que pour les seuls projets d’investissements.

8 -   La politique de la Banque centrale, qui n’a plus rien à voir avec une politique monétaire traditionnelle, est politiquement définie par l’exécutif. C’est dire que la notion d’institution « sui generis » disparait au profit d’une institution publique détenue à 100% par les Etats.

9 -  La mission des banques centrales n’est plus de garantir la stabilité monétaire mais celle de garantir un volume de monnaie guidé selon des besoins démocratiquement définis. La transparence de gestion de la banque centrale est constitutionnellement assurée par un contrôle démocratique permanent.

10 -  Les banques centrales composites ou fédérales, telle la BCE, s’organisent pour laisser aux nations participantes imaginer leur adaptation au modèle proposé.

Bien évidemment nous sommes conscients du caractère provisoirement utopique de ce dernier.

 

 

 

 

 

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3 mai 2023 3 03 /05 /mai /2023 12:48

 

La vidéo présentée dans la première partie du présent texte suggère déjà qu’une révolution technologique met en danger notre infrastructure monétaire, laquelle commence à ressentir les limites de son modèle. Précisément il nous paraît nécessaire de parler d’infrastructure monétaire comme nous parlons d’infrastructure énergétique ou ferroviaire. De même que les électrons et les trains circulent sur des voies spécifiques, ce qu’on appelle la « valeur » supportée par un véhicule appelé « monnaie » circule sur des voies qui lui sont propres. De ce point de vue, l’humanité, probablement par essais et erreurs, sans déterminisme étroit, a érigé des institutions monétaires avec notamment des banques sans doute assez comparables à des gares ferroviaires. Il existe des usagers de ces institutions : déposants, épargnants, investisseurs, etc. qui sont assez comparables aux usagers de la SNCF.

Allons plus loin dans le comparatif infrastructure ferroviaire et infrastructure monétaire à partir d’un exemple.

Au niveau ferroviaire il est, en période de vacances d’été, des TGV qui s’accumulent en gare de Nice, TGV en provenance de la gare de Lyon à Paris. Tout simplement les parisiens partent vers le soleil. Sans retour vers Paris ces TGV empêcheront les parisiens restés sur place de partir eux-mêmes en vacances vers Nice. Dans le jargon de la finance il s’agit d’un problème de liquidité. Bien évidemment la SNCF très centralisée dispose des moyens de faire circuler les TGV (même relativement vides) vers Paris et les clients n’auront pas le souci de la liquidité du réseau.

Au niveau monétaire si l’on prend non plus Paris et Nice mais la BNP et la Société Générale, il se peut que l’argent circule massivement depuis cette dernière vers la première. Cela est dû par exemple au fait que beaucoup de clients de la Société Générale règlent des paiements à des clients dont le compte figure dans le bilan de la BNP. Cette accumulation peut gêner gravement la Société Générale si d’autres clients sont amenés à régler des paiements   dans le même sens. En effet les comptes bancaires figurent au passif de cette dernière et une partie[JCW1]  est utilisée pour effectuer des crédits ou acheter des titres, éléments figurants à l’actif de la banque. Si la Société Générale ne peut mobiliser les dits éléments il en résultera l’impossibilité de continuer à régler les sommes qui fuient vers la BNP. Encore un problème de liquidité. Il faut donc comme dans le cas de la SNCF – qui devait faire remonter les TGV vers Paris - faire « remonter » la monnaie depuis la BNP vers la Société Générale.

Or, le statut de l’infrastructure monétaire est ici beaucoup plus complexe que l’infrastructure ferroviaire. En effet, il pourrait y avoir une infrastructure centralisée avec donneur d’ordre unique qui ferait remonter autoritairement la monnaie vers la Société générale et règlerait les questions de la liquidité. Hélas, pour des raisons tenant au cheminement de l’Histoire, les infrastructures monétaires sont décentralisées et les banques sont privées et juridiquement indépendantes. Dans ce cas faire remonter la monnaie depuis la BNP vers la Société Générale présente des risques. D’abord la monnaie qui circule n’appartient pas aux banques comme les TGV appartiennent à la SNCF. Elle n’est que le véhicule d’une valeur qui ne leur appartient pas. Faire circuler de la monnaie depuis la BNP vers la Société Générale présente donc un risque, celui de voir ses clients ne plus pouvoir mobiliser l’intégralité de leurs avoirs, y compris sous la forme d’une simple conversion en billets. L’argent qui circulerait depuis la BNP vers la Société Générale n’est qu’une dette de la BNP envers ses clients et cette dette doit pouvoir être honorée à tout instant. Faire remonter les TGV depuis Nice vers Paris ne procure pas de soucis particuliers. Faire remonter de la valeur depuis la zone de fuite en est un. Ce n’est donc que par voie incitative - une rémunération - que la BNP fera remonter la valeur vers la Société Générale. Nous avons là l’origine de ce qu’on appelle le marché monétaire c’est-à-dire le lieu de l’échange de la monnaie entre banques. Sur ce marché se forme un prix qui est le taux de l’intérêt interbancaire.

Le véhicule de la valeur n’est pas la monnaie de la BNP ou celui de la Société Générale mais celui défini par l’Etat qui a pu confier sa gestion à un tiers qui est ce qu’on appelle la banque centrale. Ce qu’on appelle banque centrale est donc un tiers qui facilite le bon fonctionnement du marché monétaire et donc celui de l’infrastructure monétaire. Il est en cas de difficulté le préteur en dernier ressort et vient ici gommer les difficultés engendrées par le caractère non monopolistique de l’infrastructure. Car tout le problème est bien là : l’émiettement de l’infrastructure monétaire crée des problèmes de confiance entre acteurs et donc des crises que l’on appelle crises financières que les banques centrales tentent de gommer.

Nous n’allons pas revenir sur l’histoire complexe des banques centrales. Soulignons simplement qu’elles ont comme les banques la capacité de créer de la monnaie, ce qu’on appelle la monnaie centrale. Elles gèrent le compte des Etats et ce dans le cadre d’un rapport fort complexe : elles utilisent les prérogatives de la puissance publique soit pour prêter aux Etats, soit pour prêter aux banques. Dans le cadre de son cheminement historique que l’on ne peut que rappeler sans détailler, elles furent d’abord fusionnées avec les Etats en formation ( ce qu’on appelle le « big bang » des Etats dans le blog) et à ce titre font naître la forme monnaie comme véhicule de l’impôt dû au souverain. A ce stade, son émission donne lieu au versement d’une rente appelée seigneuriage. Après une très longue période où les Etats perdent le contrôle de l’émission, tandis que des banquiers inverseront le seigneuriage et deviendront les rentiers d’Etats endettés, les banques centrales modernes naissent et sont amenées à financer la dette publique avant de devenir formellement indépendantes à la fin du siècle dernier.

La situation d’aujourd’hui est celle d’organismes qui, tenant le tout, garantissent sa reproduction. Elles tiennent le tout en garantissant le fonctionnement des agences des Trésors aux prises avec une dette publique devenu hors de contrôle. Pensons aux USA ou à l’Europe. Elles tiennent le tout en garantissant le bon fonctionnement de l’infrastructure monétaire et les banques qui en sont le support. Pensons aux gigantesques prêts à ces dernières.  Elles tiennent enfin le tout en empêchant l’irruption d’une crise financière consécutive à un endettement privé mondial hors de tout contrôle. Pensons aux achats directs et sans retenues d’obligations d’entreprises voire des produits dérivés.  Cette position exceptionnelle dans un théâtre éminemment dangereux confère aux banques centrales un pouvoir incomparable.

Ce pouvoir incomparable n’est pourtant pas exempt de faiblesse et nous avons souligné la difficulté présente entre l’exigence d’une capacité à maintenir le tout, et l’inflation qui vient la contester (cf. notre article du 8 avril sur le blog). Les injections considérables de monnaie qui, jusqu’ici, permettent de maintenir le tout pourraient sans doute diminuer drastiquement- et du même coup diminuer la pression inflationniste- si l’infrastructure  monétaire se rationalisait en passant par une architecture centralisée. Clairement, l’avenir de l’infrastructure monétaire au sens strict,  passe par la disparition des banques et leur remplacement par la banque centrale… qui pourrait faire plus et mieux. Des réalités technologiques nouvelles et les opportunités qu’elles offrent aux acteurs peuvent entraîner une telle disruption. Dans notre exemple, faire en sorte que la circulation de la valeur soit aussi simple et assurée que la circulation des TGV entre Paris et Nice  C’est ce que nous verrons dans la troisième partie du présent papier.

 

 

 

 

 

 


 [JCW1]

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27 avril 2023 4 27 /04 /avril /2023 08:43

 

Nous avons à plusieurs reprises souligné la progressive évolution des banques centrales en proto-Etats. Cela ne doit pas étonner les historiens de la monnaie qui peuvent nous rappeler les antiques hôtels des monnaies voire les banques centrales d'avant la prétendue indépendance de ces dernière acquises à la fin du siècle dernier. La vidéo proposée  s'appuie sur la monnaie digitale de banque centrale pour montrer les dérives possibles de l'avenir de la monnaie et la grande confusion qui pourrait résulter de ce qu'on pourrait appeler les "hôtels des monnaies à l'ère du numérique".  La vidéo proposée est bien évidemment caricaturale et manque d'une réelle profondeur d'analyse. Elle nous servira néanmoins d'introduction à un prochain billet.

Bonne écoute.

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18 avril 2023 2 18 /04 /avril /2023 08:34

Il n’y a plus à dénoncer un endettement et plus encore une spéculation pharaonique à l’échelle mondiale, une réalité  que chacun dénonce, croit en percevoir les dangers, mais pour laquelle aucune solution  n’est envisagée. Pour autant, si l’on veut une démarche sérieuse concernant l’analyse de la réalité et les éventuelles solutions, il faut savoir en démonter l’architecture et les origines de sa construction. Cela passe par le repérage d’enchaînements historiques.

Bien évidemment, l’endettement et surtout la spéculation relève d’une histoire déjà très ancienne : spéculation sur les moulins dans l’antique Athènes, « Système de Law » beaucoup plus tard, paris sur l’évolution de prix des matières premières et des produits agricoles…à toutes les époques, etc. Par contre ce qu’il faut noter c’est, qu’à la différence d’aujourd’hui tout reposait sur la richesse matérielle des biens produits : On spécule sur le devenir de ces derniers. Même chose avec le développement du capitalisme avec des modèles juridiques qui autorisent la liquidité du capital (les actions s’achètent et se revendent), tout en laissant encore ce dernier rattaché à la matérialité physique et à son devenir en termes de richesse. On sait que tel n’est plus le cas avec les produits dérivés qui n’ont qu’un lien très éloigné avec la richesse. Et quand les produits financiers n’ont plus pour objectif que de couvrir la spéculation elle-même, le lien avec la richesse est réellement coupé. D’où cette idée qu’il y aurait aujourd’hui une sphère réelle apparemment  séparée de la sphère financière.

Configuration d’un monde imperméable à la finance.

Le point de départ de cette séparation doit être recherché dans l’effritement de configurations institutionnelles rigides : préférence générale pour le faire soi-même plutôt que d’externaliser (d’où l’idée des grandes organisations chères à Burnham), taux de change fixes, contrôle de la circulation du capital et contrôle des changes, frontières et droits de douanes, prix contrôlés et stabilisés y compris parfois à l’échelle planétaire (pétrole à l’époque des « 7 sœurs » du cartel pétrolier). De quoi ne laisser la finance se déployer que dans les marges du monde. Cette rigidité correspondait aussi à un état technique du monde : la faiblesse des moyens d’informations, et coûts de transports élevés entravaient matériellement la recherche de paris financiers à l’échelle planétaire. Elle correspondait sans doute aussi à un état de la société où la réalité des institutions était aussi faite de corps intermédiaires, et plus généralement de corps politiques composés de grands partis porteurs de projets collectifs. L’individu esseulé et désirant n’était pas encore né.

A partir du début des années 70 tout une série de choix vont intervenir et transformer -petit à petit, par essais et erreurs, par ajustements- le monde. Ces choix vont largement être reliés par un enchaînement, plus ou moins multi-causal, qui, au total, accouchera du monstre financier actuel. Il n’y a pas eu de « grand architecte » ou de « grands comploteurs », mais des choix collectifs, voire individuels, ici ou là, qui vont en entrainer d’autres jusqu’à l’époque présente. La réalité du monde n’est pas celle d’un déterminisme historique.

Un monde qui laisse des zones de perméabilité prometteuses à la finance.

En un peu plus de 3 ans (Aout 1971- septembre 1974) 3 évènements, à priori non reliés, vont devenir les aiguilles qui vont déchirer progressivement les anciennes institutions et coudre, tout aussi progressivement, et sans doute de bric et de broc, la toile de la finance : fin du système de Bretton woods, révolution pétrolière, naissance des fonds modernes de pension.

Le premier, (15 août 1971) met fin sur décision américaine au système de taux de change fixes et à l’interdit des manipulations monétaires. Le second (septembre 1973) met fin au cartel pétrolier et libère complètement les prix du pétrole, lequel devient un instrument de pure spéculation. Le troisième (septembre 1974) désenchasse, au nom de la loi,  les caisses de retraites des grandes entreprises américaines, caisses qui deviennent des organismes financiers complètement autonomes.

Les zones de perméabilité peuvent s’grandir et devenir envahissantes

Les deux premiers évènements vont affecter tous les systèmes de prix. Certes, ces derniers étaient encore à l’époque marqués par une inflation non négligeable, mais ce qu’il y a de nouveau c’est qu’ils vont devenir instables, une caractéristique les transformant en matière première pour la spéculation au quotidien. Jusqu’alors il y avait certes de grands moments spéculatifs, par exemple ceux qui vont mener à la fin de la convertibilité du dollar, mais ces derniers concernaient essentiellement les Etats et leur monnaie dont la parité, garantie par ces derniers, pouvait le cas échéant être contestée. Désormais, le monde jusqu’ici largement sécurisé, devient officiellement insécure…et source du développement sans limite d’un marché de la sécurité à l’échelle planétaire (la fin de Bretton-Woods concerne toute la planète) … Toute une partie de la finance prend son essor sur la vente de produits nouveaux de sécurité financière. Et comme le risque de prix peut être techniquement reporté  (marché de la « couverture » et de ses produits) sans  jamais disparaître, d’emblée la finance se doit d’exiger un périmètre d’activité qui ne peut être que croissant. Et bien sûr, un périmètre qui ne peut s’ouvrir qu’avec du carburant monétaire généré par de la dette. Bien évidemment l’activité correspondante justifie un nouveau type d’emplois et de nouveaux métiers : ceux du marché que l’on vient de créer par modification de règles du jeu entre acteurs du monde. Il n’y a aucune production nouvelle et aucune croissance économique nouvelle, il n’y a qu’une modification de règles. Des règles qui permettent à des entreprises qui ne produisent rien de devenir quasiment aussi  grosses que les entreprises qui produisent. C’est le cas dans le secteur de l’énergie où le trader VITOL basé à Genève peut se comparer à Total Energies.  Les nouveaux emplois et nouveaux métiers générés par millions sont-ils productifs ?

Le troisième évènement est a priori moins visible que les deux premiers. Signal faible, Il est pourtant tout aussi efficace. Les caisses de retraites des entreprises étaient à l’abri de ces dernières. Devenues autonomes de par la loi, elles correspondent aux premières formes d’externalisations, vont devoir voler de leurs propres ailes et entrer en concurrence pour l’accès aux ressources permettant de s’acquitter des pensions. Ces ressources sont des actifs financiers (bons du Trésor ou titres d’entreprises) qu’il faudra désormais surveiller. Alors que les caisses de retraites des grandes entreprises n’avaient pas le pouvoir de surveiller l’entreprise qui les abritait, désormais il faudra se montrer très regardant si l’on veut disposer des moyens suffisants pour payer les retraites. Désormais le monde de l’entreprise doit être sous surveillance :  les cadres et managers conservent une apparence mais ne sont plus dans la réalité que les exécutants de décisions actionnariales.

Les abris ne sont plus possibles

Il faudra donc développer des outils anciens, par exemple les bourses qui vont devenir instrument de mesure, heure par heure, de ce qui se passe dans les entreprises. Bien sûr il faudra une ouverture et une cotation en continu. Il faudra aussi prévoir des liens entre toutes les Bourses de la planète. Et pour mieux surveiller les entreprises, il faudra aussi pouvoir les mettre en concurrence à l’échelle de la planète, ce qui suppose une totale liberté de circulation du capital, circulation qu’il faudra politiquement exiger. Mais la bourse elle-même doit être alimentée par de bonnes informations en provenance des entreprises. Celles-ci doivent par conséquent devenir transparentes et montrer -avec des chiffres- que toutes leurs composantes, toutes leurs  branches, voire tous leurs bureaux et ateliers sont réellement producteurs de valeurs actionnariales. C’est dire que l’externalisation doit se développer en continu, que l’entreprise doit se démanteler au profit d’une chaine planétaire de la valeur.

Parmi les titres à surveiller dans la nouvelle organisation des caisses de retraites il y a les bons du Trésor. Là aussi, il faut surveiller et veiller à la qualité organisationnelle des Etats. Et donc si l’architecture des entreprises est appelée à se modifier, il en est de même des composantes des Etats. D’où ici ou là des réformes structurelles à imposer si l’on veut que la dette publique maintienne une certaine crédibilité. Il n’y a pas que l’économie à surveiller, il y a aussi le politique.

La dynamique des 3 évènements qui se sont matérialisés au début des année 70 n’avait rien de mécanique et l’histoire aurait pu être autre. Par contre, on peut aussi dire que ces évènements sont probablement porteurs d’une réalité potentielle proche ou voisine de ce que l’on connait. Et cette probabilité est renforcée par le fait que ces trois évènements sont amenés à se mutualiser -sans doute avec des conflits secondaires- et à renforcer la puissance de leurs effets sur la réalité institutionnelle. D’abord l’intérêt est commun : les acteurs qui les font vivre ont intérêt à ce que le terrain de jeu s’élargisse. Par exemple les paris sur fluctuation de prix (évènements 1 et 2) offrent des garanties à la libre circulation mondiale du capital laquelle permet sa meilleure valorisation (évènement 3). Les acteurs qui vivent ces transformations institutionnelles ont ainsi intérêt à travailler ensemble et à produire des outils communs voire des exigences politiques communes. De ce point de vue le système bancaire est un haut lieu de rapprochement entre les divers acteurs : il faut développer la capacité à créer le carburant monétaire de la finance, et il faut profiter des anciennes compétences bancaires pour mieux surveiller la bonne valorisation du capital réel. Fonds de pension, assurances, banques doivent se rassembler et édifier des ensembles dont le total du bilan atteindra des hauteurs ahurissantes. De ce point de vue, il sera exigé que les Etats se retirent progressivement de la banque de jadis et que la dette publique cesse d’être, comme dans le cas de la France d’avant 1970, « hors marché » : il ne doit plus être question de planchers de bons du Trésor à geler dans les actifs bancaires. Il ne doit plus être question de « circuit du Trésor » cher à Block- Lainé. Bien évidemment il est urgent de supprimer tout financement direct du Trésor par la banque centrale, un tel financement rétrécirait le nouveau jeu de la finance.

 Ce travail en commun pour les porteurs de ces nouveaux métiers de la finance n’est pas exempt de contradictions : Il existe des conflits objectifs qu’il faudra dépasser. Ainsi la naissance de la monnaie unique (euro) est un formidable avantage pour la bonne circulation du capital et une meilleure homogénéisation dans la surveillance des marchés, mais il est un affaissement du terrain de jeu pour les spéculateurs sur les taux de change. Cela importera peu si l’euro permet davantage d’innovations financières et si au total l’élargissement planétaire des chaines de la valeur fait grossir le marché mondial des changes et les outils qui y sont vendus pour assurer la protection.

Une transparence faite d’opacité et de perte des repères.

La transparence exigée au regard du fonctionnement des entreprises de l’économie réelle et des Etats s’accompagne curieusement d’une opacité sur les flux monétaires. Ainsi l’épargnant ne sait plus ce que devient son épargne et ce qui se déroule à partir de son compte bancaire. Il croit que l’épargne sert à l’investissement alors qu’il n’est plus qu’une pièce dans la formidable machine à créer de la monnaie. Est-elle devenue machine, équipement, bien immobilier ? un swaps de prix ou de taux ? une garantie sur « Notionnel » ? Un « Credit Default Swaps » (CDS) ? une pièce de « Special Purpose Acquisition Companies » (SPAC) ? une subvention ? une promesse de disruption radicale ? une aide sociale ? un support de rémunération ? un support « d’ETF »(Exchange Traded Funds) ? Nul ne sait car nul ne sait comment s’est matérialisé le formidable pouvoir créateur des banques et le shadow banking qui lui est associé. Par contre, ce qu’il y a de sûr est que cette accumulation ne repose que sur une pointe d’épargne et un énorme corps de dettes.

Que les innombrables produits financiers soient obscurs et parfois incompréhensibles, qu’ils soient complètement étrangers à la réalité économique et surtout qu’ils pèsent de plus en plus lourds dans les PIB ne posent pas de véritables problèmes, s’il est possible d’en accroître en continu la valeur de marché. C’est très exactement ce qui se passe avec les diverses multiples opérations de quantitative easing. Que l’investissement réel diminue et que l’investissement financier  augmente sans limite ne gène plus si la rentabilité du second se trouve durablement garantie. C’est manifestement aujourd’hui le rôle des banques centrales qui achètent sans limite de la dette d’Etats mais aussi des titres privés dont la dette d’entreprise et plus encore des ETF. On peut même dans ce nouveau monde contribuer à tuer des territoires entiers en faisant apparaître des profits qui deviennent de plus en plus mystérieux. C’est, par exemple, le cas du Japon dont la banque centrale achète indifféremment d’énormes quantités de titres…qui contribue à l’affaissement du Yen…qui contribue au profit des entreprises nippones qui ont déserté le pays et se sont installées à l’étranger. C’est par exemple le cas des USA dont le congrès ne pourra dans les semaines à venir que voter pour un nouvel élargissement de la dette fédérale. Jadis il était culturellement osé de bloquer politiquement une crise financière. Curieusement, alors que le politique se trouve a priori écarté du jeu financier, et qu’il a juste le droit de s’intéresser aux réformes dites structurelles, il lui est asséné un devoir :  celui de maintenir la croissance et la bonne santé du monstre financier. Même la Suisse se trouve soumise à cette loi d’airain. Jusqu’à quand ?

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17 avril 2023 1 17 /04 /avril /2023 06:33

Il n’y a plus à dénoncer un endettement et plus encore une spéculation pharaonique à l’échelle mondiale, une réalité  que chacun dénonce, croit en percevoir les dangers, mais pour laquelle aucune solution  n’est envisagée. Pour autant, si l’on veut une démarche sérieuse concernant l’analyse de la réalité et les éventuelles solutions, il faut savoir en démonter l’architecture et les origines de sa construction. Cela passe par le repérage d’enchaînements historiques.

Bien évidemment, l’endettement et surtout la spéculation relève d’une histoire déjà très ancienne : spéculation sur les moulins dans l’antique Athènes, « Système de Law » beaucoup plus tard, paris sur l’évolution de prix des matières premières et des produits agricoles…à toutes les époques, etc.

Par contre ce qu’il faut noter c’est, qu’à la différence d’aujourd’hui tout reposait sur la richesse matérielle des biens produits : On spécule sur le devenir de ces derniers. Même chose avec le développement du capitalisme avec des modèles juridiques qui autorisent la liquidité du capital (les actions s’achètent et se revendent), tout en laissant encore ce dernier rattaché à la matérialité physique et à son devenir en termes de richesse. On sait que tel n’est plus le cas avec les produits dérivés qui n’ont qu’un lien très éloigné avec la richesse. Et quand les produits financiers n’ont plus pour objectif que de couvrir la spéculation elle-même, le lien avec la richesse est réellement coupé. D’où cette idée qu’il y aurait aujourd’hui une sphère réelle apparemment  séparée de la sphère financière.

Configuration d’un monde imperméable à la finance.

Le point de départ de cette séparation doit être recherché dans l’effritement de configurations institutionnelles rigides : préférence générale pour le faire soi-même plutôt que d’externaliser (d’où l’idée des grandes organisations chères à Burnham), taux de change fixes, contrôle de la circulation du capital et contrôle des changes, frontières et droits de douanes, prix contrôlés et stabilisés y compris parfois à l’échelle planétaire (pétrole à l’époque des « 7 sœurs » du cartel pétrolier). De quoi ne laisser la finance se déployer que dans les marges du monde. Cette rigidité correspondait aussi à un état technique du monde : la faiblesse des moyens d’informations, et coûts de transports élevés entravaient matériellement la recherche de paris financiers à l’échelle planétaire. Elle correspondait sans doute aussi à un état de la société où la réalité des institutions était aussi faite de corps intermédiaires, et plus généralement de corps politiques composés de grands partis porteurs de projets collectifs. L’individu esseulé et désirant n’était pas encore né.

A partir du début des années 70 tout une série de choix vont intervenir et transformer -petit à petit, par essais et erreurs, par ajustements- le monde. Ces choix vont largement être reliés par un enchaînement, plus ou moins multi-causal, qui, au total, accouchera du monstre financier actuel. Il n’y a pas eu de « grand architecte » ou de « grands comploteurs », mais des choix collectifs, voire individuels, ici ou là, qui vont en entrainer d’autres jusqu’à l’époque présente. La réalité du monde n’est pas celle d’un déterminisme historique.

Un monde qui laisse des zones de perméabilité prometteuses à la finance.

En un peu plus de 3 ans (Aout 1971- septembre 1974) 3 évènements, à priori non reliés, vont devenir les aiguilles qui vont déchirer progressivement les anciennes institutions et coudre, tout aussi progressivement, et sans doute de bric et de broc, la toile de la finance : fin du système de Bretton woods, révolution pétrolière, naissance des fonds modernes de pension.

Le premier, (15 août 1971) met fin sur décision américaine au système de taux de change fixes et à l’interdit des manipulations monétaires. Le second (septembre 1973) met fin au cartel pétrolier et libère complètement les prix du pétrole, lequel devient un instrument de pure spéculation. Le troisième (septembre 1974) désenchasse, au nom de la loi,  les caisses de retraites des grandes entreprises américaines, caisses qui deviennent des organismes financiers complètement autonomes.

Les zones de perméabilité peuvent s’grandir et devenir envahissantes

Les deux premiers évènements vont affecter tous les systèmes de prix. Certes, ces derniers étaient encore à l’époque marqués par une inflation non négligeable, mais ce qu’il y a de nouveau c’est qu’ils vont devenir instables, une caractéristique les transformant en matière première pour la spéculation au quotidien. Jusqu’alors il y avait certes de grands moments spéculatifs, par exemple ceux qui vont mener à la fin de la convertibilité du dollar, mais ces derniers concernaient essentiellement les Etats et leur monnaie dont la parité, garantie par ces derniers, pouvait le cas échéant être contestée. Désormais, le monde jusqu’ici largement sécurisé, devient officiellement insécure…et source du développement sans limite d’un marché de la sécurité à l’échelle planétaire (la fin de Bretton-woods concerne toute la planète) … Toute une partie de la finance prend son essor sur la vente de produits nouveaux de sécurité financière. Et comme le risque de prix peut être techniquement reporté  (marché de la « couverture » et de ses produits) sans  jamais disparaître, d’emblée la finance se doit d’exiger un périmètre d’activité qui ne peut être que croissant. Et bien sûr, un périmètre qui ne peut s’ouvrir qu’avec du carburant monétaire généré par de la dette. Bien évidemment l’activité correspondante justifie un nouveau type d’emplois et de nouveaux métiers : ceux du marché que l’on vient de créer par modification de règles du jeu entre acteurs du monde. Il n’y a aucune production nouvelle et aucune croissance économique nouvelle, il n’y a qu’une modification de règles. Les nouveaux emplois et nouveaux métiers générés par millions sont-ils productifs ?

Le troisième évènement est a priori moins visible que les deux premiers. Signal faible, Il est pourtant tout aussi efficace. Les caisses de retraites des entreprises étaient à l’abri de ces dernières. Devenues autonomes de par la loi, elles correspondent aux premières formes d’externalisations, vont devoir voler de leurs propres ailes et entrer en concurrence pour l’accès aux ressources permettant de s’acquitter des pensions. Ces ressources sont des actifs financiers (bons du Trésor ou titres d’entreprises) qu’il faudra désormais surveiller. Alors que les caisses de retraites des grandes entreprises n’avaient pas le pouvoir de surveiller l’entreprise qui les abritait, désormais il faudra se montrer très regardant si l’on veut disposer des moyens suffisants pour payer les retraites. Désormais le monde de l’entreprise doit être sous surveillance :  les cadres et managers conservent une apparence mais ne sont plus dans la réalité que les exécutants de décisions actionnariales.

Les abris ne sont plus possibles

Il faudra donc développer des outils anciens, par exemple les bourses qui vont devenir instrument de mesure, heure par heure, de ce qui se passe dans les entreprises. Bien sûr il faudra une ouverture et une cotation en continu. Il faudra aussi prévoir des liens entre toutes les Bourses de la planète. Et pour mieux surveiller les entreprises, il faudra aussi pouvoir les mettre en concurrence à l’échelle de la planète, ce qui suppose une totale liberté de circulation du capital, circulation qu’il faudra politiquement exiger. Mais la bourse elle-même doit être alimentée par de bonnes informations en provenance des entreprises. Celles-ci doivent par conséquent devenir transparentes et montrer -avec des chiffres- que toutes leurs composantes, toutes leurs  branches, voire tous leurs bureaux et ateliers sont réellement producteurs de valeurs actionnariales. C’est dire que l’externalisation doit se développer en continu, que l’entreprise doit se démanteler au profit d’une chaine planétaire de la valeur.

Parmi les titres à surveiller dans la nouvelle organisation des caisses de retraites il y a les bons du Trésor. Là aussi, il faut surveiller et veiller à la qualité organisationnelle des Etats. Et donc si l’architecture des entreprises est appelée à se modifier, il en est de même des composantes des Etats. D’où ici ou là des réformes structurelles à imposer si l’on veut que la dette publique maintienne une certaine crédibilité. Il n’y a pas que l’économie à surveiller, il y a aussi le politique.

La dynamique des 3 évènements qui se sont matérialisés au début des année 70 n’avait rien de mécanique et l’histoire aurait pu être autre. Par contre, on peut aussi dire que ces évènements sont probablement porteurs d’une réalité potentielle proche ou voisine de ce que l’on connait. Et cette probabilité est renforcée par le fait que ces trois évènements sont amenés à se mutualiser -sans doute avec des conflits secondaires- et à renforcer la puissance de leurs effets sur la réalité institutionnelle. D’abord l’intérêt est commun : les acteurs qui les font vivre ont intérêt à ce que le terrain de jeu s’élargisse. Par exemple les paris sur fluctuation de prix (évènements 1 et 2) offrent des garanties à la libre circulation mondiale du capital laquelle permet sa meilleure valorisation (évènement 3). Les acteurs qui vivent ces transformations institutionnelles ont ainsi intérêt à travailler ensemble et à produire des outils communs voire des exigences politiques communes. De ce point de vue le système bancaire est un haut lieu de rapprochement entre les divers acteurs : il faut développer la capacité à créer le carburant monétaire de la finance, et il faut profiter des anciennes compétences bancaires pour mieux surveiller la bonne valorisation du capital réel. Fonds de pension, assurances, banques doivent se rassembler et édifier des ensembles dont le total du bilan atteindra des hauteurs ahurissantes. De ce point de vue, il sera exigé que les Etats se retirent progressivement de la banque de jadis et que la dette publique cesse d’être, comme dans le cas de la France d’avant 1970, « hors marché » : il ne doit plus être question de planchers de bons du Trésor à geler dans les actifs bancaires. Il ne doit plus être question de « circuit du Trésor » cher à Block- Lainé. Bien évidemment il est urgent de supprimer tout financement direct du Trésor par la banque centrale, un tel financement rétrécirait le nouveau jeu de la finance.

 Ce travail en commun pour les porteurs de ces nouveaux métiers de la finance n’est pas exempt de contradictions : Il existe des conflits objectifs qu’il faudra dépasser. Ainsi la naissance de la monnaie unique (euro) est un formidable avantage pour la bonne circulation du capital et une meilleure homogénéisation dans la surveillance des marchés, mais il est un affaissement du terrain de jeu pour les spéculateurs sur les taux de change. Cela importera peu si l’euro permet davantage d’innovations financières et si au total l’élargissement planétaire des chaines de la valeur fait grossir le marché mondial des changes et les outils qui y sont vendus pour assurer la protection.

Une transparence faite d’opacité et de perte des repères.

La transparence exigée au regard du fonctionnement des entreprises de l’économie réelle et des Etats s’accompagne curieusement d’une opacité sur les flux monétaires. Ainsi l’épargnant ne sait plus ce que devient son épargne et ce qui se déroule à partir de son compte bancaire. Il croit que l’épargne sert à l’investissement alors qu’il n’est plus qu’une pièce dans la formidable machine à créer de la monnaie. Est-elle devenue machine, équipement, bien immobilier ? un swaps de prix ou de taux ? une garantie sur « Notionnel » ? Un « Credit Default Swaps » (CDS) ? une pièce de « Special Purpose Acquisition Companies » (SPAC) ? une subvention ? une promesse de disruption radicale ? une aide sociale ? un support de rémunération ? un support « d’ETF » ? Nul ne sait car nul ne sait comment s’est matérialisé le formidable pouvoir créateur des banques et le shadow banking qui lui est associé. Par contre, ce qu’il y a de sûr est que cette accumulation ne repose que sur une pointe d’épargne et un énorme corps de dettes.

Que les innombrables produits financiers soient obscurs et parfois incompréhensibles, qu’ils soient complètement étrangers à la réalité économique et surtout qu’ils pèsent de plus en plus lourds dans les PIB ne posent pas de véritables problèmes, s’il est possible d’en accroître en continu la valeur faciale. C’est très exactement ce qui se passe avec les diverses multiples opérations de quantitative easing. Que l’investissement réel diminue et que l’investissement financier  augmente sans limite ne gène plus si la rentabilité du second se trouve durablement garantie. C’est manifestement aujourd’hui le rôle des banques centrales qui achètent sans limite de la dette d’Etats mais aussi des titres privés dont la dette d’entreprise et plus encore des ETF. On peut même dans ce nouveau monde contribuer à tuer des territoires entiers en faisant apparaître des profits qui deviennent de plus en plus mystérieux. C’est, par exemple, le cas du Japon dont la banque centrale achète indifféremment d’énormes quantités de titres. , C’est par exemple le cas des USA dont le congrès ne pourra dans les semaines à venir que voter pour un nouvel élargissement de la dette fédérale. Jadis il était culturellement osé de bloquer politiquement une crise financière. Curieusement, alors que le politique se trouve a priori écarté du jeu financier, et qu’il a juste le droit de s’intéresser aux réformes dites structurelles, il lui est asséné un devoir :  celui de maintenir la croissance et la bonne santé du montre financier. Jusqu’à quand ?

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7 avril 2023 5 07 /04 /avril /2023 13:57

Nous publions aujourd'hui l'interview de Jacques de la Rosière, un travail réalisé par Olivier Berruyer et complété par d'intéressants graphiques construits par "lescrises.fr". Il s'agit d'une vidéo concernant le dernier ouvrage de celui qui fut gouverneur de la Banque de France et directeur général du FMI. 

L'homme, aujourd'hui âgé de 93 ans, a connu les grandes transformations du système financier mondial et s'étonne de l'énorme progression de la finance dans les bilans. Comment se fait-il que partout la croissance réelle diminue, que l'investissement réel stagne, voire recule, tandis que les actifs financiers sont multipliés par 3 en moins de 20 ans ? Jacques de la Rosière apporte d'intéressantes réponses sur les conséquences de ce que nous avons appelé  dans le blog la "boursouflure financière.". En revanche il n'aborde que de manière allusive les mécanismes qui ont abouti à cette anomalie et surtout à la question de son opacité. De façon empirique, on sait que les montagnes d'argent créées ne sont pas investies et assurent la simple liquidité. Ce que l'on sait aussi est que l'épargnant de base ne sait pas ce que devient l'argent placé dans la machine financière à une époque où l'on ne parle que de traçabilité. Cette opacité s'est construite progressivement avec pour résultat un monstre impersonnel que plus personne ne maitrise, et qui, surtout, aboutit à collectivement préférer des hausses de cours plutôt  qu'une hausse de la richesse produite. Les rachats d'actions, si rares il y a une vingtaine d'années, sont devenus un outil quotidien et sont préférés à l'investissement. Et sur cette réalité, peu d'économistes se sentent concernés et surtout aucune réforme n'est programmée ni même évoquée.. Le blog reviendra sur ces questions.

Bonne écoute et bonne réflexion

 

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4 avril 2023 2 04 /04 /avril /2023 07:47

 

 La remontée des taux par les banques centrales depuis la fin de la crise sanitaire mettait un terme à une longue période d’argent gratuit. Ladite période était marquée par un jeu entre  grands acteurs autour d’un agent central : les banques centrales.

Une stabilité acquise avec des bilans comptables géants

Classiquement la gestion de la pandémie correspondait à la distribution de revenus de substitution dans un contexte de blocage de l’économie. Au niveau des bilans comptables cela se matérialisait par des achats considérables de dette souveraine qui vont figurer à l’actif des banques. Cette dette devenait elle-même dépense publique irrigant au final les ressources bancaires nationales ou étrangères : l’argent dépensé par les Etats se trouvait dans les comptes au passif des banques nationales et étrangères. Il y avait donc accroissement de la taille des bilans bancaires pour un montant qui  est celui de la dépense publique additionnelle.

An niveau national, ce jeu était donc celui d’une livraison de monnaie par les banques, monnaie qui était ensuite récupérée par le canal de la dépense publique. Bien évidemment, si un Etat ayant mis sous camisole son économie était aussi le représentant d’une nation dont le déséquilibre des échanges extérieurs était important ( son économie muselée était déjà peu compétitive) les banques de cette nation devaient souffrir davantage. Dans la zone euro, cette souffrance était toutefois amortie par le biais des comptes TARGET des banques centrales. D’où ce slogan stupide si répandu : « l’euro nous protège ».

Sans banque centrale, ce jeu initié par les Etats n’aurait évidemment pas eu d’avenir. Très vite les largesses budgétaires se seraient heurtées aux banques et aux dernières promesses d’investissement dans une économie réelle muselée. C’est ce que les économistes appellent l’effet d’éviction : les crédits se dirigent massivement vers le Trésor assoiffé de liquidités et vont être assortis de taux croissants. Bien sûr un Etat complètement souverain pourrait signifier l’achat obligatoire de bons du Trésor par les banques. Ce fait constituait en France une tradition jusqu’au début des années 70 du siècle passé. Laissons toutefois cette hypothèse en dehors de notre scénario et admettons que logiquement dans le cas de rapports simplement marchands entre les divers acteurs les taux ne pourront que s’élever et que le coût du déficit et de l’endettement deviendra rapidement insupportable.

Précisément, les banques centrales vont se donner pour mission - et ce bien avant la crise sanitaire- de rendre indolore l’endettement public et ses effets sur le système bancaire. En achetant sur le marché secondaire les bons su Trésor que les banques venaient elles-mêmes de se procurer, elles vont assurer la parfaite liquidité d’un circuit dont elles vont devenir l’acteur principal.

D’abord pour les banques l’effet d’éviction disparait et le jeu de l’achat de bons peut  s’amplifier en toute sécurité. En tout premier lieu par le fait que sur le plan réglementaire les titres publics sont considérés comme dette sûre et donc ne consommant pas de capitaux propres. Mais surtout par le fait que l’actif des banques se trouve immédiatement regarni en argent frais : celui des banques centrales qui rachètent parfois dans les 24 heures les titres publics. Par ce jeu, l’actif des banques est donc en principe très solide.

Ensuite bien sûr pour les Etats qui vont voir la demande de bons du Trésor prendre de l’ampleur et vont donc pourvoir les vendre avec un taux faible. En effet les banques n’ont plus peur d’acheter de la dette publique et ne sont plus que des intermédiaires puisque ladite dette se trouvera financée par simple création monétaire.

Enfin pour les agents de l’économie réelle qui ne sont pas victimes d’éviction et vont pouvoir continuer à emprunter à taux réduits ( crédit immobilier, prêts aux entreprises).

Dans cette énumération on oublie pourtant un acteur essentiel : celui de la finance. Les banques qui sont sur le marché de la dette publique sont celles admises par le Trésor. En France, on les appelle les « Spécialistes en Valeurs du Trésor » (SVT) et sont de grands établissements bancaires à compétence universelle. A l’inverse des petites banques qui ne sont pas labellisées par le Trésor, ces banques sont aussi des agents financiers très importants. En achetant directement une  dette publique qui sera immédiatement rétrocédée à la banque centrale, ces grandes banques  sont nourries à l’actif par la générosité de la banque centrale et au passif par les dépenses publiques qui, au travers de l’économie, vont irriguer les comptes courants. Dans le cas de la BCE ou pourrait ajouter les « Long Term Refinancing Operation »(TLTRO) qui vont constituer de gigantesques prêts à taux négatifs au profit des banques.

De quoi voir le total du bilan de ces établissements prendre des tailles démesurées. Ainsi la BNP , bien sûr classée SVT, voit aujourd’hui le total de son bilan représenter près de 115% (oui, cent quinze pour cent) du PIB de la France…Après le crise de 2008, le bilan susvisé était déjà très élevé (près de 70% du PIB) mais la gestion de la crise suivie de celle du COVID vont permettre ce grand bond en avant. Donc un grand bond autorisé par le déficit public et la politique de la Banque centrale. Notons que cette explosion n’a pas affecté les petites banques qui elles sont très largement hors du circuit du Trésor. Comparons aussi ces bilans extravagants avec les bilans des plus grosses entreprises industrielles lesquelles  restent des nains….avec par exemple un bilan de moins de 2% du PIB de la France pour Total Energies  …

Les géants peu armés face à la maladie de l’inflation

Parce que la liquidité devient gigantesque et que les besoins de l’économie sont limités en raison de la crise sanitaire, la liquidité va se transformer en actifs financiers les plus divers : développement des produits de l’Assurance, prêts à la finance de l’ombre spécialisée dans les grandes spéculations, participations dans les fonds de pension, prises d’intérêts dans les hedge funds, développement illimité d’établissements de trading ayant pour cibles toutes les « utilities », développement illimité du « notionnel », etc. En sorte que les bilans consolidés des banques universelles vont non seulement devenir hors de proportion mais aussi devenir très hétérogènes. Alors qu’une banque classique est faite d’un bilan simple où près de  80% du passif est constitué de comptes courants de clients, avec un chiffre équivalent en actifs composé de crédits aux mêmes clients, une banque universelle présente

une profil très différent. Ainsi pour la BNP les comptes courants ne représentent que 38% du passif tandis que les produits financiers de l’actif comptent pour 37% du total du bilan. Cette déformation bilantaire fut très largement favorisée par les comportements corrélés du Trésor et de la banque centrale : la monnaie gratuite s’investit dans des actifs les plus divers et font gonfler des activités éloignées de celles de  la banque traditionnelle.

Ce gonflement devient nécessairement celui du prix des actifs déjà en circulation et de ceux qui viendront s’accumuler avec le maintien de la logique de l’endettement à la fois massif et continu. Mais  ce gonflement a pour contrepartie des pressions inflationnistes qui ne pourront rester cantonnées à la seule finance et se répercuteront sur l’économie réelle, à commencer par le secteur immobilier. La fin de la crise sanitaire, puis la guerre vont entrainer de nouvelles pressions inflationnistes qu’il faudra gérer, ce qui nous renvoie à la période de la hausse des taux initiées par les banques centrales. Toutes puissantes dans la période antérieure, elles vont perdre, au moins momentanément leur capacité à gérer l’existant. La raison est simple : il est plus satisfaisant pour nombre d’acteurs et surtout plus facile de faire gonfler les bilans bancaires avec de l’argent gratuit  que de les réduire avec des taux croissants.

On peut ainsi comprendre que les autorités monétaires vont attendre longtemps avant d’admettre l’idée de retour à l’inflation, et bien sûr la volonté de la combattre comme cela est prévu dans leur mission. Ce n’est donc que depuis peu de temps que la volonté de la combattre est apparue avec pour outil essentiel la hausse des taux.

Il faut bien comprendre ce que signifie l’inflation et son contrôle par les taux pour un grand établissement financier. En terme de bilan, l’actif s’évapore (les cours des obligations diminuent alors que le niveau général des prix augmente), tandis que les dettes (passif) restent ce qu’elles sont. Elles peuvent même augmenter en raison de la modification sructurelle des ressources : moins de dépots non rémunérés et augmentation des produits rémunérés à commencer par les livrets A et les OPCVM. Notons qu’il n’en va pas de même pour un bilan industriel. Pour reprendre - à titre d’exemple- le cas de Total Energies, les champs pétroliers dont l’entreprise est propriétaire ne sont pas affectés par la hausse des taux et encore beaucoup moins par l’inflation. En effet, dans ce dernier cas, l’entreprise qui, certes, peut connaître une hausse de ses coûts, dispose des moyens de les répercuter sur les prix de vente. La finance est donc infiniment fragile face à la volonté de la Banque centrale de relever les taux. En les relevant,  elle affaisse la partie de l’actif des banques ne correspondant pas aux crédits classiques. Pour la BNP c’est donc une partie des 37% de son bilan qui est rogné par l’action de la banque centrale. Mieux, pour la plupart des fonds en euros et en particulier pour l’Assurance-vie souvent composée de titres publics, c’est l’ensemble du stock de titres qui, achetés au cours de la période d’argent gratuit, se trouve rogné. Et comme les clients porteurs constatent que les obligations nouvelles sont autrement rentables que les placements en assurance-vie, la tentation de vendre- une vente faisant diminuer un peu plus les cours- est logique. Même chose pour les fonds de pension qui doivent continuer à verser les retraites alors que l’actif en obligations s’évapore. Les retraites par capitalisation sont ainsi menacées par 2 chemins tous deux issus de la politique de la banque centrale : celui des taux qui fragilise l’équilibre et celui de l’inflation initiée par la stratégie précédente. Le cas des fonds de pension est emblématique puisque cette stratégie des autorités monétaires va entrainer des choix catastrophiques, par exemple la création de swaps de taux censés nourrir les fonds pendant la période d’argent facile, swaps qui vont, se retourner avec la nouvelle stratégie. Quand on sait que ces swaps furent vendus par les banques avec le manteau sécuritaire de la banque centrale, et swaps que l’on va artificiellement gonfler avec un notionnel extravagant, il y a de quoi se sentir désappointé.   

Dans ce contexte on comprend mieux les craquements qui, ici ou là, se manifestent : Silicon Valley Bank, Silvergate, Signature, Crédit Suisse, Deutsch Bank, etc.

Tant pis pour l’inflation : on continue comme avant !

Si l’on considère que l’objectif des banques centrales est de maintenir l’ordre existant, il est très probable qu’elles préféreront la stabilité financière à celle des prix. La stabilité financière, donc le sauvetage du système financier, n’entraîne que des couts réduits pour le reste des acteurs du jeu de l’interaction sociale. Nous venons de voir en effet que l’économie réelle est relativement souple et peut accepter de jouer le jeu de l’inflation : son bilan reste sous contrôle. Il en est de même pour les Etats qui peuvent aussi réagir positivement à l’inflation : les ressources fiscales augmentent mécaniquement, les dépenses peuvent se museler et le capital à rembourser, plus lourd, décroit avec l’éloignement de la maturation.

Cette préférence est déjà très présente dans les choix qui se déroulent sous nos yeux et qui globalement passent  du « bail out » à celui du « bail in ». Clairement^, après la crise de 2008 toute la régulation financière s’est plutôt orientée vers le report du poids des futures crises sur les acteurs internes, donc les actionnaires et responsables du système financier. Tel n’est plus, étonnement, le cas aujourd’hui avec les premières décisions : les investisseurs en capital-risque ont récupéré leurs fonds déposés à la Silicon Valley Bank, le collatéral exigé pour les prêts sera désormais exprimé à sa valeur inscrite et non à sa valeur de marché (Bank Term Funding Program américain), accès sans garantie par la banque centrale Suisse de 100 milliards d’euros pour sauver ce qui peut l’être, etc. De ce point de vue, l’effacement d’une partie de la dette subordonnée ( Additionel Tiers 1) de Crédit Suisse est une exception déjà  vécue comme trop dangereuse par le système bancaire. Clairement, il s’agit tout simplement d’interdire toute crise financière, laquelle doit devenir impossible….et ainsi garantir le maintien de l’ordre existant.

Bien évidemment, le prix à payer de cette stabilité financière acquise aux forceps ne peut être que le renforcement des pressions inflationnistes. Tout aussi évidemment les banques centrales ne peuvent plus assurer la stabilité monétaire qui partout dans le monde était idéologiquement la mission qu’elles devaient assumer en contrepartie d’une prétendue indépendance obtenue à la fin du siècle dernier. De quoi continuer à alimenter des piles d’ouvrages et d’articles universitaires sur la « crédibilité » des banques centrales. On sait pourtant que les vrais débats sont ailleurs : devenus de véritables « proto-Etats » avec l’affaissement du politique, les banques centrales révèlent aujourd’hui leur réalité à savoir maintenir quelles que soient les circonstances un capitalisme complétement  financiarisé.

 

 

 

 

 

 

 

 

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27 mars 2023 1 27 /03 /mars /2023 06:02

L’électricité ne fût jamais – tels un feu d’artifice ou l’outil « Défense Nationale»- un bien public. On parle au mieux de service public mais jamais de bien public car l’électricité est un bien rival et excluable, qualités qu’il faut expliquer. Sa consommation par un secteur affecte la quantité disponible pour d’autres (il y en a moins), ce qui n’est pas le cas d’un feu d’artifice ou de la Défense Nationale (il y en a autant). Dans le même temps, les utilisateurs qui refuseraient de payer seront en principe exclus, ce qui n’est pas le cas du feu d’artifice ou de la Défense Nationale dont les coûts correspondants seront obligatoirement payés sous la forme de l’impôt. Pour autant nous avons - avec la crise de l’énergie- l’impression d’une glissade et les utilisateurs de l’électricité sont de plus en plus aidés sous la forme de boucliers tarifaires divers, donc sous la forme d’un impôt…comme les biens publics…. S’agit-il des prémisses d’un grand chambardement ?

Les grands moments de l’électricité.

Historiquement, l’électricité semble avoir été produite et utilisée selon des règles et des statuts divers dans le cadre de l’environnement technologique et économique du moment. De quoi réfléchir aux changements vécus et tant discutés aujourd’hui.

L’électricité est née dans le cadre d’un service public énonçant les règles auxquelles les producteurs devaient se soumettre. C’était, à la jonction des dix neuvième et vingtième siècle, l’époque des concessions où les producteurs, quel que soit le statut juridique, devaient progressivement respecter les règles d’égalité devant le service, mais aussi d’autres règles dont celles de continuité et d’adaptabilité. Rapidement, la règle d’égalité devait tenter de s’élargir avec l’idée toujours contestée de la disparition du service en raison d’un revenu insuffisant. Quoi qu’il en soit, l’électricité n’est pas une marchandise et son coût ne se transforme pas en prix mais en tarif règlementé.  C’était déjà l’époque des monopoles de petite taille en raison des coûts très élevés du transport et de l’inter connexion difficile entre communes. Mais déjà monopole en raison de coûts fixes très élevés et de coûts marginaux déjà très faibles (le raccordement d’un abonné supplémentaire étant peu coûteux au sein d’une agglomération). La tendance au monopole était elle-même favorisée par d’autres révolutions technologiques, par exemple celle qui devait remplacer les grandes chaudières au charbon dans l’industrie par le moteur électrique.

Beaucoup plus tard, au vingtième siècle, les coûts d’infrastructure et de transport s’abaissent et autorisent l’élargissement des monopoles et leur agglomération possible sous la forme d’un monopole naturel bénéficiant en continu de rendements croissants. Nous avons là le projet EDF qui ne sera plus une concession mais un monopole public. Le service public devient donc le fait d’un monopole national. L’électricité n’est toujours pas une marchandise, mais le monopoleur luttera toujours contre  l’évolution du service en instrument de redistribution : il n’est pas question de moduler les tarifs en fonction des revenus et le seul objectif de ses dirigeants est celui de la diffusion des rendements continuellement croissants à l’ensemble des acteurs économiques et des citoyens. Cette période est celle d’une spectaculaire réussite.

La troisième période est celle qui va commencer avec l’Acte Unique de 1986 et des technologies qui vont lui succéder rapidement. Le service public devient service universel lequel va introduire la fin progressive de l’égalité et donc la possible transformation des tarifs en simples prix. La forme juridique importe peu, par contre l’introduction de la concurrence devient obligatoire. L’électricité est ainsi amenée à devenir marchandise et son prix devient fonction de l’état de la concurrence et de la vie des marchés en général. Cette libéralisation est concomitante avec des réalités idéologiques et matérielles puissantes : accidents nucléaires, et questions climatiques ou environnementales. Dans les faits il s’agira de casser le vieux monopole public, d’en extraire son capital considéré comme injustement acquis ( obligation de livrer de l’électricité à des coûts très faibles dans le cadre de la réglementation ARENH), de lui imposer des règles d’un type nouveau (effacement obligatoire devant les productions intermittentes), de favoriser les technologies du renouvelable, de  les protéger malgré leur intermittence ( création des « contrats sur différences» ou CFD), de permettre l’auto-production et l’autoconsommation tout en les protégeant contre les risques d’insuffisance, etc.

Le service public n’obéit plus qu’à la seule règle de continuité, mais cette dernière est d’une certaine façon techniquement obligatoire en raison des risques collectifs énormes sur le non maintien de la fréquence (50MH). Finalement, le principe de continuité repose sur RTE qui très contraint par le caractère non stockable de l’électricité doit très strictement et très rigoureusement ajuster la demande appelée à l’offre disponible… et donc garantir la règle de la continuité. Cette règle est aujourd’hui garantie par 200 « dispatchers » qui -24H sur 24 et 7 jours sur 7- veillent à l’équilibre du réseau. A l’époque antérieure cette contrainte très forte était centralement gérée à partir d’un pouvoir absolu sur toutes les unités de production du monopole. Mais le passage au marché va développer une complexité qu’il faut expliquer.

Le marché de l’électricité et les gains à l’échange marchand

Dans un marché concurrentiel de marchandises classiques, demande et offre s’ajustent en fonction de ce que les économistes appellent le partage des gains à l’échange, notion qu’il faut expliquer. Un prix de marché - à partir duquel les échanges se nouent - est situé entre des bornes. En effet, si le prix est jugé trop faible pour le producteur, il se retire voire stocke en attendant des jours meilleurs. Si le même prix est jugé trop élevé pour le consommateur, il se retire et envisage le cas échéant des produits de substitution. A l’intérieur de l’espace de la négociation des limites haute et basse  se dessinent et vont ainsi constituer ce que les économistes appellent les gains à l’échange au profit des échangistes. Un prix proche du plafond au-delà duquel l’échange ne peut se nouer, voit des gains à l’échange très intéressants pour le vendeur et beaucoup moins pour l’acheteur. Symétriquement si le prix de marché est proche du plancher en dessous duquel l’échange ne peut se nouer, les gains à l’échange sont élevés pour l’acheteur et réduits pour le vendeur. Sauf cas particulier et sauf financiarisation (les marchandises devenant ici supports de produits financiers) les fluctuations de prix sont ainsi relativement réduites. Substitution et possibilités de stockage sont les instruments de cette réduction.

L’électricité en devenant marchandise conserve sa nature technique, celle d’un objet non stockable. Par ailleurs sa substituabilité est relativement faible, voire très faible. C’est dire que les limites que l’on trouve le plus souvent sur les marchés classiques n’existent plus et que la volatilité naturelle est beaucoup plus importante. Ainsi lorsque brusquement le prix de l’électricité devient très élevé, l’utilisateur contraint doit néanmoins se la procurer, ce que les économistes appellent l’inélasticité de la demande ou sa rigidité. Simultanément, l’échange entre fournisseurs et utilisateurs doit être assuré avec toute la rigueur nécessaire. Naguère, le prix n’existait pas et l’équilibre n’était qu’une question relevant de la seule sphère technique. Aujourd’hui, la sphère technique reste et peut même connaître une efficience accrue avec la digitalisation, mais elle se trouve en contact étroit avec une autre sphère, celle de l’économie. L’équilibre technique doit être assuré indépendamment des considérations de prix : élevé, très élevé, bas, très bas, peu importe.  C’est dire que le prix ne peut plus être corseté par des limites relativement étroites et se trouve par conséquent beaucoup plus soumis à la volatilité. Cette dernière est ainsi nourrie par une double force celle de la technique et celle de la transformation du statut : l’électricité est devenue marchandise. La volatilité ne va pas nécessairement dans le seul sens de la hausse de prix, hausse qui donne des gains à l’échange très élevés pour les fournisseurs.  Il peut à l’inverse exister des cas très singuliers où un fournisseur trouve des gains à l’échange en pratiquant des prix négatifs : il vaut mieux payer son client plutôt que de supporter les coûts d’une réduction de la production, ce qui procure évidemment des gains à l’échange providentiels et inattendus au client. A priori, ces gains à l’échange n’existaient pas à l’époque du monopole et des tarifs, époque où l’ajustement technique se réalisait sans prendre en compte tous les espaces de gains à l’échange possibles, d’où ce que les économistes pensent être une perte de valeur partageable. Plus clairement encore le marché serait porteur d’un accroissement de valeur, accroissement rendu plus accessible encore avec l’intervention de bourses facilitant la liquidité du marché.

Les bourses sont en principe apporteuses de lissage des prix en faisant mieux correspondre les offres et les demandes. Elles fonctionnent aussi selon la règle du « mérit order » qui maximise l’utilisation des unités les plus productives et laissent en réserve les unités les plus coûteuses. Elles facilitent sans doute des gains à l’échange par la souplesse qu’elles apportent sur les sous marchés qui correspondent aux grandes fluctuations de la demande (marché « intraday » qui concerne la journée, « day ahead » qui concerne le lendemain, et long terme qui concerne des futurs de 1 à plusieurs années).

S’il est probable que la transformation de l’électricité en marchandise a pu apporter de nouveaux gains à l’échange jusqu’alors peu visibles dans le cas du monopole, elle a  aussi apporté  de graves inconvénients et des interrogations.

Les faces cachées du marché de l’électricité et de ses gains à l’échange.

  • Des gains qui restent limités par la camisole d’une productivité bloquée.

Fondamentalement ce qu’on appelle gains à l’échange, que ce soit pour des marchandises classiques ou pour l’électricité, est limité par l’état des techniques. Il existait des gains à l’échange entre le pêcheur à la ligne qui vendait son poisson et le villageois qui l’achetait. Mais il existe un potentiel de gains à répartir autrement plus élevé lorsque la pêche se réalise à partir de navires usines. Ramenée à l’électricité la question est de savoir si la fin du monopole et le passage au marché s’est réalisé en générant des gains de productivité. La réponse est ici plutôt négative : Pour l’essentiel la fin du monopole et la concurrence n’ont  fait qu’engendrer des fournisseurs d’électricité qui n’ont réalisé aucune percée technologique. C’est dire que le marché n’a pas permis l’innovation. Il n’a pas non plus permis le déplacement des limites environnementales et les technologies du renouvelable sont victimes de l’effet « rebond » : leur développement est simultanément celui de l’intermittence et donc, mobiliser davantage d’éoliennes, c’est, jusqu’à aujourd’hui, développer inéluctablement la production d’énergies fossiles. 

Plus grave, la fin du monopole n’a fait que bloquer toutes les avancées potentielles du nucléaire, et ce n’est que maintenant, qu’ici ou là, se mettent en place quelques start-up du nucléaire. A cet égard l’exemple de Newcleo - avec sa nouvelle technologie permettant de boucler le cycle nucléaire et surtout la perspective de pouvoir construire en série des minicentrales - est intéressant, mais les premiers électrons ne seront produits au mieux qu’en 2032. Par ailleurs, si la chute des coûts se poursuit sur l’éolien ou le photovoltaïque, le boulet de l’intermittence mange les gains de productivité potentiels. Globalement, le passage au marché ne représente aucun gain d’efficience globale…ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas intéressant pour certains de ses acteurs.

  • Une coûteuse bureaucratie de marché

Une autre question est celle de l’architecture du marché et de son coût. La transformation du statut de l’électricité est bien évidemment un fait politique : le passage au marché est une décision qui suppose une construction, n’allait pas de soi. Le non-respect des droits de propriété d’EDF, qui telle une entreprise obligée de livrer sa production à des concurrents (ARENH), est une invention politique destructrice d’une culture : EDF n’a plus aucune raison « d’inventer ». Elle est aussi un vol puisque transfert de valeur : le tarif de l’ARENH est calculé sur des bases simplement comptables en oubliant le coût du renouvellement du parc, ce qui est régulièrement dénoncé par la Cour des Comptes. Cette construction irrespectueuse doit aussi s’accompagner d’une gigantesque réglementation dont une partie repose sur les quasi-décisions de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). Il faut, par exemple, réglementer l’accès à l’ARENH, car, bien évidemment, tous les fournisseurs en veulent davantage. D’où l’invention de règles sur des quotas ARENH en fonction du marché déclaré des fournisseurs, avec en conséquence des comportements opportunistes qu’il faut sans cesse surveiller voire punir. Dans un ordre d’idées semblable, Il faut désormais mettre en place de nouveaux outils pour assumer l’impossible stockage de l’électricité. Comme déjà vu plus haut, le monopole ne voyait dans l’ajustement offre/demande qu’une question technique à résoudre par la voie de la simple autorité. Sans doute, les modalités de l’ajustement tenaient-ils compte des coûts marginaux sur les diverses unités, mais nous avions un chef d’orchestre (les dispatchers) qui pilotait lui-même directement les musiciens. Avec le nouveau statut et la concurrence, le chef d’orchestre se fait plus modeste. Par exemple, il « demande » - en fonction d’un prix - la hausse ou la baisse des quantités produites  sur des unités qu’il ne pilote pas directement, ou  il « propose » en fonction d’un prix, de réduire temporairement une consommation, etc. Clairement, le chef d’orchestre doit imaginer une foule de techniques - par exemple les contrats des « responsables d’équilibre » ou les « certificats de capacités » acquis par contrats de gré à gré ou par mise aux enchères -  pour piloter une infrastructure qu’il maîtrise beaucoup moins. Et comme RTE n’est plus intégré dans le monopole historique et qu’il reste un monopole hors marché, il doit à ce titre négocier avec une bureaucratie, celle de la CRE. Cette instance dite de régulation est ainsi amenée par sa fonction de surveillance à contrôler une infrastructure complète : EDF et ses filiales, les autres producteurs, les fournisseurs, RTE et ses filiales, ENEDIS et ses filiales, etc. Bien évidemment, cette infrastructure complète se doit de s’équiper de très nombreux collaborateurs chargés des relations avec la bureaucratie officielle de régulation. Et donc ce qu’on appelle régulation du marché est en fait un ensemble de béquilles qu’il faut sans cesse contrôler pour que le marché politiquement inventé fonctionne. Le coût des béquilles n’a jamais été évalué et la Cour des Comptes reste muette sur ce point. Il est vrai que, par ailleurs, elle révèle régulièrement que le marché de l’électricité fonctionne aussi sur une réelle inconnue : la très grande difficulté d’établir les coûts réels des différentes filières de production. Comment en effet calculer le coût de l’éolien qui externalise ses propres coûts sur les unités fossiles ?

  • Un marché soumis à la financiarisation et la spéculation.

Parce que le produit électricité devenu marchandise reste une substance très spécifique (encore une fois, par nature, les électrons circulent et ne se stockent pas) , la bonne liquidité du marché  n’était pensable que par le biais de la construction de bourses (EPEX SPOT). Bien évidemment, parce que les fournisseurs ont préféré les facilités du négoce et ont boudé les contraintes de la production, la tentation était de concevoir des stratégies de « paris sur des fluctuations de prix ». Et tentation d’autant plus justifiable que, par nature encore une fois, l’électricité devenue marchandise est susceptible de connaître une grande volatilité de prix. Dans le même temps, ces mêmes fournisseurs devaient, d’un côté, imaginer - au-delà du cadeau ARENH -  des contrats d’approvisionnement négociés avec des producteurs, et de l’autre des contrats de vente avec des utilisateurs. Cette position était donc naturellement celle de la finance classique et donc invitait à utiliser tous les outils de cette dernière. Alors que sur nombre de marchés classiques, la financiarisation n’est qu’une simple possibilité, le marché de l’électricité que l’on venait de créer se devait de fonctionner en étroite collaboration avec la finance. Et une collaboration d’autant plus aisée techniquement que l’électricité est une substance beaucoup plus homogène que les marchandises classiques,  homogénéité porteuse de la contrainte de liquidité propre à la finance. Cette orientation plus « finance » que production réelle se lit frontalement dans les activités de la CRE. Cette dernière vient ainsi de publier des propositions claires sur les techniques financières à la Commission Européenne. Dans sa « Réponse à la consultation publique sur la réforme du fonctionnement du marché européen de l’énergie » en date du 14 février dernier, on notera que l’essentiel est consacré aux techniques financières. Ainsi, il n’est question que de « forwards » à améliorer, d’obligations prudentielles des fournisseurs qu’il faudrait mieux surveiller pour mieux  contrôler, voire sanctionner la qualité des stratégies de couverture , de « power purchase agreement » (PPA) à renforcer pour gérer les risques prix/volumes/profits, etc. On notera aussi que -peut-être consciente de quelques insuffisances- la même CRE s’est dotée d’un groupe de réflexion académique international dont les acteurs sont tous économistes de la finance de marché. Notons enfin que les propositions de la Commission Européenne sont toutes orientées vers la finance.  Parce que l’électricité devenue marchandise doit impérativement s’appuyer sur la finance, le véritable enjeu pour les autorités de régulation devient la recherche de stabilité. Et comme la finance est par nature faite de risques qu’il faut sans cesse couvrir er reporter sans jamais pouvoir les supprimer, il faut par conséquent inventer de nouvelles béquilles bureaucratiques. Ainsi on pourra s’étonner que - conscient des risques particuliers de marché sur un produit - l’électricité – qui n’était pas spontanément une marchandise - la CRE comme la Commission proposent des « teneurs de marché » pour limiter les dérives. Il faudrait ainsi dans le volcan d’une finance dont on ne peut sa passer lorsque l’électricité devient marchandise tenter d’introduire de la stabilité en introduisant un acteur de stabilisation….dont on voit mal qu’il pourrait être autre chose que le bras armé des Etats. ..

D’une certaine façon, et dans la précipitation, les Etats ont déjà inventé un ersatz de « teneurs de marché » : les boucliers tarifaires évoqués au début de la présente note.

 

 

 

 
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20 mars 2023 1 20 /03 /mars /2023 06:52

Nous publions ci-dessous une intervention d'un Universitaire peu connu, Nicolas Da Silva, qui vient de publier un ouvrage concernant la sécurité sociale et la question des retraites. La vidéo est construite autour des  questions d'Olivier Berruyer et de graphiques très intéressants  produits par "Elucid". On peut passer directement à la seconde minute. J'invite les lecteurs du blog à rapprocher cette vidéo du point de vue d'Alain Supiot, professeur honoraire  au Collège de France qui vient de publier dans "Le Monde" ( 16 mars) un article fondamental : "Un gouvernement avisé doit se garder de mépriser la démocratie sociale".. Le point de vue de Nicolas Da Silva est plus économique, celui d'Alain Supiot est celui d'un juriste de très haut niveau. Bonne écoute et bonne réflexion. 

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