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25 avril 2022 1 25 /04 /avril /2022 06:39

On trouvera ci-dessous le point de vue de XERFY sur la période qui vient de s'ouvrit.

Le concours de beauté des présidentielles s’est enfin achevé, avec son lot de promesses. Pourtant cette élection, moins que d’autres encore, ne peut prétendre avoir une portée référendaire sur une plateforme de propositions qui lierait fortement le président élu, puisque le front du refus, polarisé aux extrêmes  est majoritaire. On voit dès lors difficilement le prochain quinquennat s’engager tambour battant et rejouer encore une fois la scène de la blitzkrieg réformatrice sur les 100 et 200 premiers jours, comme cela fut le cas avec Nicolas Sarkozy, François Hollande ou lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Il est des moments où l’histoire est trop puissante et impose sa loi. Ce fut le cas de la crise de 2008 qui a percuté de plein fouet et rendu caduc le cahier des charges que s’était assigné Nicolas Sarkozy. Ce fut encore le cas pour François Hollande piégé dans les effets déflationnistes de la crise des dettes souveraines. Ou encore d’Emmanuel Macron transformé en chantre du « quoi qu’il en coûte » avec le Covid et confronté aujourd’hui à une donne géopolitique qui place au premier plan les enjeux stratégiques.


Face aux soubresauts du monde, tout chef d’exécutif, qu’il soit français ou européen, doit d’abord s’atteler à rebâtir une sécurité économique fortement menacée. Etre à la hauteur de l’histoire aujourd’hui, ce n’est pas arracher au forceps une réforme des retraites, du chômage, du RSA ou engager le volet 2 des ordonnances travail, en misant sur un très improbable état de grâce. Paradoxalement, ces réformes incrémentales de marché, aux effets diffus sur la croissance et les comptes publiques paraissent dérisoires au regard des pertes de richesse qu’occasionnerait un mauvais positionnement stratégique de l’appareil productif hexagonal. Le discours, faire les réformes de marché ou décrocher n’est plus audible, pour un temps au moins.


Le défi climatique figure dès lors au premier rang des défis présidentiels, puisque écologie et autonomie énergétique sont maintenant perçues comme deux enjeux indissociables. Que le chancelier allemand soit adepte ou non d’une relance des infrastructures de son pays, il est aujourd’hui dans l’obligation d’investir en urgence dans des terminaux flottants d'importation de gaz naturel liquéfié et de repositionner en profondeur le mix énergétique de son économie. Que le revirement du président en matière de planification écologique soit  sincère ou non, c’est d’abord sur ce terrain qu’il sera attendu. La crédibilité présidentielle sera fortement attachée à sa capacité à mettre le même volontarisme dans ce chantier que celui dont il a fait preuve, sur un mode directif et militaire concernant la reconstruction de la flèche de Notre-Dame. Le quinquennat sera écologique ou ne sera pas.


Mais cette planification ne peut s’arrêter aux seuls aspects énergétiques et engage une réflexion plus large sur l’autonomie et la capacité à extraire de la valeur de nos filières. Car ce que met en exergue le conflit ukrainien c’est, de façon plus générale, la vulnérabilité de nos approvisionnements à des matériaux stratégiques qui surexposent nos entreprises à des risques de rationnement et de volatilité extrême des prix. Révolution climatique et digitale ne peuvent plus être des slogans creux. Ils redéfinissent en profondeur nos besoins et exigent a minima une forte coordination en matière de stockage stratégique, de diversification des approvisionnements et de constitution de capacités productives sur le territoire national ou européen. Et il est clair que face à cet enjeu, ce n’est plus la communication clinquante autour d’une startup-nation survalorisée et foisonnant de micro-projets serviciels qui peut faire office de réponse adéquate. Le quinquennat sera stratégique, engagera de grands investissements, ou ne sera pas.  


Troisième grand enjeu enfin bâtir un pacte social robuste financièrement. Il est peu probable que la question de l’endettement et de sa soutenabilité soit occultée durant toute la durée du quinquennat. Se posera alors celle de la pertinence du compromis qui s’est insidieusement instauré en France, où la baisse de la fiscalité des entreprises est devenue le principal instrument de reconquête de notre compétitivité-prix et la défiscalisation du travail ou la distribution de chèques celui de la préservation du pouvoir d’achat. Cette double facture pour l’État est profondément déstabilisatrice pour les finances publiques. Elle va de surcroît devenir de moins en moins justifiable si l’enjeu numéro 1  de notre compétitivité est celui de notre bonne spécialisation : celle qui nous dégage d’énergies fossiles coûteuses, celle qui nous positionne sur les segments de valeur stratégiques et en plein essor du digital et du climat. Nous entrons dans une ère de reconstruction et de rattrapage qui relègue au second plan les enjeux de compétitivité prix. Nous entrons aussi dans une ère de pénurie de compétences, où il est de moins en moins justifiable pour l’État de compenser la modération salariale par des chèques. Et c’est dans ce cadre que devra être pensé la réforme des retraites. Non comme la variable d’ajustement d’un France qui investit et se positionne mal, minant sa base fiscale, mais comme une réponse à des besoins réels.  Bref, le quinquennat sera celui d’un nouveau paradigme social et productif ou ne sera pas.

 

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19 avril 2022 2 19 /04 /avril /2022 17:00

On lira ci-dessous le point de vue de XERFY (Olivier Passet) concernant le monde en devenir. Constatons que cette réflexion très brève  est  proche des derniers articles publiés sur le blog.[1]

Après la guerre chaude ukrainienne, le monde fait un pas de plus vers une nouvelle guerre froide. Cette dernière, en dépit des circonstances présentes, ne fait pas revivre la rivalité États-Unis/URSS. C’est bien la course hégémonique Chine/États-Unis qui franchit un nouveau cap, même si à ce stade les différents pôles du monde ne sont pas encore alignés en deux fronts rangés.


Le mythe d’une mondialisation commerciale pacifiant le monde est mort


La Première Guerre froide opposait deux superpuissances disposant d’une forte autonomie du point de vue de l’énergie et des matières premières. Côté américain, leur indépendance n’était pas totale. Malgré leurs vastes ressources, les US furent globalement importateurs nets d’énergie de 1953 à 2018, cette dépendance culminant à 30% vers 2005. Mais globalement, comme l’URSS, l’Amérique, contrairement à l’Europe, disposait des réserves pour un fonctionnement quasi autarcique de son économie. Et si la question du contrôle et de la sécurisation des approvisionnements énergétiques faisait partie des intentions cachées de la guerre d’influence que se livraient les blocs, notamment au Moyen-Orient, elle n’en était pas le ressort premier. Forte de sa relative indépendance, la préoccupation première des États-Unis après les deux premiers chocs pétroliers fut de déverrouiller les marchés, d’étendre sa zone de libre-échange en brisant les anciennes sphères d’influence coloniale, pour qu’à travers le commerce, les pétrodollars accumulés dans le monde soient en partie recyclés en Occident. La libéralisation et la réciprocité des échanges ont été le mantra de la politique américaine. Avec l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001, puis de la Russie en 2012, l’Occident pensait avoir franchi un seuil de plus dans l’aplanissement du monde. Avec pour credo que le multilatéralisme commercial achèverait la mue libérale de ces deux empires, participant à la pacification du monde.


Or, c’est tout cet édifice de croyance qui s’est progressivement fissuré et s’effondre maintenant sous le coup des chocs récents. L’un après l’autre, ces chocs ont surligné le talon d’Achille lié à nos dépendances stratégiques inhérentes à la globalisation des échanges. Le mythe d’une mondialisation commerciale pacifiant le monde, homogénéisant les régimes, est bien mort. Celui d’un village monde a vécu lui aussi, où les enjeux de localisation et de géographie des chaînes de valeur étant indifférents pouvaient être laissés aux arbitrages de marché. Et avec lui aussi tout le dogme de l’efficience et de l’hyperfluidité des marchés à coût de transaction nul et son corollaire du flux tendu, du zéro stock assigné aux entreprises, comme Graal de la performance.


La logique de bloc reprend ses droits


Derrière cette bascule, plusieurs catalyseurs : la guerre en Ukraine qui rappelle la vulnérabilité des approvisionnements énergétiques européens, mais aussi la crise sanitaire qui a dévoilé notre incroyable dépendance médicamenteuse à la Chine, ou encore les menaces chinoises de tarir les exportations de terres rares vers les États-Unis, au moment du bras de fer commercial qui l’opposait à l’administration Trump en 2019.


Ces crises rapprochées ont mis en avant le fait que certaines zones du monde s’étaient constitué des monopoles stratégiques pouvant jouer comme autant d’armes redoutables sur nos économies. Les pays avancés ont pris la mesure de leur vulnérabilité sur des intérêts vitaux qui ont profondément changé de nature en l’espace de deux décennies. Avec pour arrière-plan : une profonde mue de nos systèmes productifs, dont l’architecture, livrée aux arbitrages de marché, focalisée sur les enjeux de rentabilité, a totalement sous-pondéré les questions de sécurité.


Or, l’importance névralgique de nos infrastructures digitales, dont dépendent toutes nos transactions de marché ou nos interactions sociales et l’accélération des agendas climatiques reconfigurent à marche forcée la géographie de nos dépendances stratégiques. Un grain de sable en amont de ces filières peut paralyser des pans considérables de nos économies. Au stade où nous en sommes, nos industries pharmaceutiques, de défense (par exemple pour les systèmes de guidage de missiles), de microprocesseurs, en passant par les voitures électriques et les énergies renouvelables (éoliennes offshore, panneaux solaires…) dépendent à 80 % de la Chine pour les principes actifs et les terres rares en amont des chaînes de valeur. Idem pour le palladium, en amont de l’industrie automobile, dont la Russie assure 40% des approvisionnements mondiaux.


Bref, la guerre de conquête idéologique de la globalisation a échoué. Et les pays occidentaux doivent jouer dorénavant en défense. Soit en rétablissant un équilibre de la terreur en matière commerciale, soit en réduisant leur dépendance vis-à-vis de leurs rivaux. La Chine jouera de son côté une autre partition, reflet de sa vulnérabilité à l’Occident : réduire sa dépendance aux devises et système de paiement occidental. La déconnexion économique ne sera pas totale. Mais la logique de bloc reprend ses droits, engageant le monde dans une guerre froide qui sera d’abord commerciale

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25 mars 2022 5 25 /03 /mars /2022 13:59

Oiivier Passet de Xerfy montre dans le billet suivant à quel point la crise ukrainienne est gênante pour la Chine. Rédigé il y a quelques jours, les idées qui y sont développées sont aujourd'hui confirmées par l'évolution du marché des titres en Chine: fuite des capitaux et "déchirure de la toile" comme supposé dans notre article précèdent? Bonne lecture.

La Chine est tiraillée entre des intérêts divergents face au conflit russo-ukrainien, devenu de fait un conflit russo-occidental. Sa neutralité diplomatique est à l’image du statu quo

+qu’elle souhaite conserver dans ses relations avec les deux blocs. Les dividendes immédiats qu’elle pourrait en effet engranger en cas d’une dégénérescence du conflit sont plus que contrebalancés par les effets collatéraux négatifs qu’elle en retirerait du point de vue commercial.

 


Le modèle économique de la Chine a besoin de l’Occident


Une situation qui dégénèrerait entre la Russie et l’Occident, conduisant à un gel des importations de l’Ouest venant de Russie, lui ouvre certes un accès quasi exclusif et bradé au pétrole, gaz et céréales russes. L’occasion pour l’empire du Milieu de s’accaparer le sous-sol et le grenier à blé de son voisin et de sécuriser sa boulimie, là où elle est en rivalité aujourd’hui avec les économies occidentales. En témoigne la signature dès mars d’un contrat de construction d’un second gazoduc reliant la Sibérie à la Chine via la Mongolie d’une capacité quasiment égale à Nord Stream 2. La consolidation de son partenariat avec la Russie torpille les sanctions occidentales. Et elle pourrait du même coup être tentée d’accélérer son hégémonie mondiale en misant sur l’affaiblissement économique de l’Europe et des États-Unis.


Mais ce versant de l’histoire oublie l’imbrication de ses intérêts avec l’Occident. La prospérité chinoise, bâtie sur un modèle extraverti d’exportation, a besoin de celle de l’Occident. Il suffit pour cela de prendre la mesure de son exposition commerciale aux marchés de l’Ouest. En misant sur la carte russe, la Chine se tirerait une balle dans le pied. La Russie représente moins de 2% de ses débouchés civils, quand les États-Unis en représentent 17,5 % et l’UE + Royaume-Uni près de 18%. Autrement dit, cet ensemble absorbe 35% de ses exportations en 2020. Lorsque l’on élargit le périmètre aux autres pays de l’ALENA et de l’Europe, cette part monte à 41,5% en 2020 et à plus de 51% si l’on ajoute le Japon et la Corée du Sud. En misant sur une embolie productive de l’Occident ou de l’Asie développée, la Chine saperait le cœur de réacteur de sa croissance.


C’est une partition qui s’expose de surcroît à des représailles, notamment sur les semi-conducteurs qui constituent son talon d’Achille dans sa dépendance aux pays avancés d’Occident et d’Asie : les circuits intégrés représentent son premier poste d’importation, devant le pétrole. Et en dépit de plans volontaristes, elle dépend encore en 2020 à plus de 80% de l’étranger, ce qui constitue une grande zone de vulnérabilité pour toute sa filière technologique.


L’Occident cherche à s’autonomiser de la Chine/Russie


De plus, à vouloir jouer les dividendes de court terme de la crise, le plus gros risque pour la Chine est d’accélérer la tentation occidentale de s’autonomiser économiquement de la Chine et de la Russie. En effet, la Chine serait perdante d’une scission du monde en blocs commerciaux autonomes et autocentrés. Pour des raisons d’asymétrie des échanges.


Si la majorité de ses débouchés extérieurs sont dirigés vers les pays avancés, à l’inverse, la Chine représente moins de 9% des débouchés américains et 4,5% des débouchés de l’Union européenne. Ce n’est donc pas un hasard si l’idée d’un découplage de l’économie américaine à celle de la Chine fait son chemin aux États-Unis. Et qu’elle germe également en Europe, les deux régions étant de plus en plus conscientes des risques stratégiques et climatiques inhérents à leur extrême dépendance à certains matériaux et composants incontournables.


L’État fédéral américain avait identifié en 2018, 35 minerais considérés comme stratégiques pour l’économie et la sécurité nationale, parmi lesquels les fameuses terres rares (indispensables aux systèmes de guidage de missiles, aux microprocesseurs, en passant par les voitures électriques et les énergies renouvelables) et sous un quasi-monopole chinois (l’empire du Milieu assurant plus de 80% des besoins US). Un plan visant à encourager la construction d’usines de minage et de raffinage aux États-Unis et diversifier l’approvisionnement est déjà couché sur papier. Et dès son accession au pouvoir, Joe Biden a quant à lui ouvert une commission qui a eu cent jours pour analyser les faiblesses de la chaîne de valeur américaine autour des minerais stratégiques, dédiant 80 millions de son plan d’infrastructure pour muscler les capacités de production et de raffinage américaines. Même éveil des consciences côté européen, avec la menace qui plane d’un embargo énergétique. Or, la volonté de sécurisation et d’autonomisation des ressources stratégiques ne s’arrête pas à la Russie. La Chine est en seconde ligne et elle le sait.


Mais entre intention et action occidentale, il y a un grand pas… Un grand pas que la Chine n’a pas intérêt à hâter si elle veut ménager ses rentes.

 

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15 février 2022 2 15 /02 /février /2022 10:19

Voici un bref texte très intéressant d'Olivier Passet. Bonne lecture.

Nos cerveaux n’ont pas encore accoutumé cette idée. Mais la question de la pénurie de main-d’œuvre va devenir prégnante dans un horizon très rapproché. Pour deux raisons simples :


1. Premièrement, l’arrière-plan démographique n’a plus rien à voir avec celui des années 2000. Là où nous avions une population en âge de travailler qui augmentait au rythme de 200 à 300 000 par an en moyenne jusqu’en 2010, nous avons basculé en l’espace de quelques années sur une décroissance de 50 000 par an. Et même si l’on suppose une mobilisation accrue de la main-d’œuvre plus âgée, la population active plafonnera sur un seuil de 29-30 millions de personnes qui s’étirera jusqu’en 2050.


2. Deuxièmement, le contenu en emploi de la croissance s’est nettement accru depuis quelques années. L’économie française crée des emplois dès le seuil de 1% de croissance et même moins, plutôt 0,7%, quand ce seuil était de 1,5 à 2% jusqu’au milieu des années 2000.


La peur du grand remplacement de l’homme par la machine


Le bilan du quinquennat en matière de chômage porte la marque de ces inflexions. Fin 2021 les créations d’emploi sont placées sur une orbite de 200 000 créations d’emploi par an sur 5 ans. Qui est sensiblement supérieure au rythme des créations sur longue période. Mais cette performance n’a rien d’extraordinaire par rapport à ce que l’on observait dans les années 2000, et notamment sous l’ère Jospin-Chirac. En revanche, son pouvoir d’absorption de la population en âge de travailler et donc de décrue du chômage est très supérieur. Potentiellement de 200 à 250 000 par an si l’on exclut les effets amortisseurs du rallongement de la durée d’activité de seniors.


Ce nouveau contexte est loin d’avoir été intériorisé encore. 40 ans de chômage de masse nous ont conditionnés à considérer le sous-emploi comme un problème irréductible et les difficultés de recrutement comme la conséquence d’une déqualification par le chômage de longue durée. Nous vivons toujours dans la peur du grand remplacement de l’homme par la machine, que les spéculations sur la fin du travail, avec le digital, ont ravivée.


Vers un problème de pénurie de main-d’œuvre


Ce n’est pourtant pas ce à quoi nous assistons : les taux d’emploi tendent à progresser dans les économies développées, et le digital, loin d’opérer une substitution entre l’homme et la machine n’a fait jusqu’ici que renforcer le lien de complémentarité entre capital et travail. Lorsque l’on rapporte le stock de capital productif à la main-d’œuvre, ce que l’on appelle l’intensité capitalistique, la croissance de ce ratio décélère, en France comme aux États-Unis, témoignant d’une moindre substitution du travail par le capital. D’une part, la composante immatérielle du capital ne cesse de croître, et absorbe une part de plus en plus importante de travail qualifié pour produire ses logiciels, ses algorithmes ou sa composante R&D. D’autant plus que le déclassement rapide de ce type de capital implique un renouvellement et des développements permanents. Et le digital recrée un espace de complémentarité avec le travail non qualifié à travers ses mineurs du web et son armée de petits boulots dédiés à la logistique.


Cette dynamique conduit inexorablement nos économies vers un problème de pénurie de main-d’œuvre. Un problème d’autant plus intense que la transformation écologique de nos économies requière une mobilisation sans précédent de la main-d’œuvre locale : renouvellement de nos infrastructures énergétiques, chantier de l’isolation thermique, raccourcissement des circuits, pratiques moins productivistes dans l’agriculture, etc. Tout cela joue dans le même sens. Alors que la population d’âge actif tend à s’éroder, les besoins locaux de main-d’œuvre tendent à croître.


Les difficultés de recrutement que nous vivons déjà, et que pointent les enquêtes et l’augmentation des emplois vacants, ne sont que le prélude d’une tendance plus profonde. L’exacerbation des tensions en sortie de crise tient à la violence et à la rapidité de la recomposition de l’offre qui impose des réallocations violentes. Elles vont s’apaiser au fil des trimestres. Mais cela ne remet pas en cause le fait que le marché du travail va se transformer très rapidement en espace de gestion de la pénurie.
Un problème qu’il faut anticiper si l’on ne veut pas saper la croissance potentielle. Ce qui va nous conduire à reposer de façon radicalement différente les questions de formation, de salaire et d’immigration. Rivé sur un clientélisme de court terme, le débat présidentiel ne s’est pas emparé de cet enjeu majeur et demeure rivé sur des antiennes d’un autre temps. 

 
 
 
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31 janvier 2022 1 31 /01 /janvier /2022 10:11

On trouvera ci-dessous un bref texte d'Olivier Passet (XERFY) qui vient appuyer les thèses que nous avons développé concernant le marché de l'électricité. Bonne lecture.

La France peut-elle se passer de nucléaire ? Sur le papier, oui. Dans les faits, non. Regardons d’abord à gros trait l’équation énergétique d’une France qui serait décarbonée en 2050.


Prenons comme point de départ 2019, année de consommation énergétique normale, non affectée par le covid. Cette consommation finale énergétique était d’à peu plus de 1 600 TWh. Si nous maintenions notre potentiel de croissance et que nous restions sur les gains d’efficacité énergétique que nous observons 20 ans, cette consommation serait de l’ordre de 1 400 TWh à l’horizon 2050. La stratégie nationale bas carbone française, elle, vise une diminution de 40%. Soit une cible de 930 TWh de consommation. C’est une hypothèse héroïque qui suppose un volontarisme exemplaire. Et qui fait figure de scénario très optimiste en comparaison de ce que programment nos voisins européens. Cet élément est important. Ayons comme point de repère que de se situer en 2050 à mi-chemin entre la tendance engagée et l’objectif ultra-volontariste, soit 1200 TWh, serait déjà positif.


Produire davantage à base de 100% renouvelable : possible, mais problématique


Deuxième élément à mettre au dossier. Notre acquis en termes de production décarbonée. La France produisait déjà en 2019 un peu plus de 500 TWh d’électricité sur des procédés non émetteurs de gaz à effet de serre. Dont 399 de nucléaire, 56 d’hydraulique, 35 d’éolien et même 40 en 2020, et 12 de solaire.


Troisièmement, décarbonner exige de renoncer à la quasi-totalité des énergies fossiles dans notre mix. Nous en consommons plus de 970 TWh à ce jour. Ce qui induit une électrification massive des usages. Dans les transports, le chauffage, les procédés industriels. Il ne s’agit pas pour autant d’un tout électrique. Les projections actuelles tablent sur une production de ces énergies de substitution de l’ordre de 350 à 400 TWh : aux énergies fossiles se substitueront aussi du biométhane, de l’hydrogène, des gaz de synthèse, des biocarburants, de la biomasse, etc. Sachant que ces sources alternatives exigent de faire appel à de l’électricité pour être produites. Sur cette base, la France devra être en mesure de satisfaire une consommation finale d’électricité de l’ordre de 650 TWh en 2050, au minimum, si l’on croit à l’objectif de baisse de 40% de la consommation… et sans doute nettement plus. On peut considérer qu’il existe une marge de sous-estimation qui va jusqu’à 200 TWh, notamment si l’on tient compte des besoins toujours croissants du numérique. Sur cette base, les besoins supplémentaires d’électricité décarbonée sont donc compris dans une fourchette de 150 à 350 TWh par rapport à l’existant pour la France.


Produire 150 à 350 TWh sur la base exclusive des énergies renouvelables, notamment l’éolien et le photovoltaïque, est-ce possible matériellement ? A priori, oui. L’Allemagne produit déjà plus de 230 TWH sur la base de ressources renouvelables. Et certains scénarios à 2050 prévoient jusqu’à 600 TWh d’électricité renouvelable. Sur une superficie terrestre inférieure d’un tiers à celle de la France. Sans parler de l’espace maritime qui représente moins de 8% de celui français. Possible, mais très problématique sur le plan paysager, lorsqu’il s’agit d’éolien terrestre, en termes de conflit d’usage, avec la pêche pour l’éolien en mer ou avec l’agriculture pour les parcs photovoltaïques. Est-ce possible à un coût compétitif ? Sur la base des seuls coûts de production, oui. Les réacteurs de 3e génération ont vu leur coût augmenter et ceux des énergies renouvelables diminuer. Mais les sources intermittentes induisent des coûts de réseau et des moyens supplémentaires pour gérer la flexibilité. Leur coût système est encore supérieur à celui du nucléaire. Elles reposent de surcroit massivement sur les technologies importées.


Le parc nucléaire doit être remplacé, au moins en partie


Possible donc, mais problématique, sauf que cette équation n’est pas la bonne. La puissance française de nucléaire installée n’est pas un acquis. Loin de là. Pour maintenir une production de l’ordre de 380 à 400 TWh, la France devra inévitablement remplacer un certain nombre de réacteurs. L’âge moyen du parc est de 36 ans. La fermeture des réacteurs de deuxième génération autrement, dit de la majorité des installations qui assurent aujourd’hui nos besoins, est une contrainte industrielle à l’horizon 2050-2060, même si leur durée de vie peut être étirée jusqu’à 60 ans. Ce démantèlement du parc existant diviserait par 4 notre potentiel existant, le ramenant de 61,4 GW à 16 GW pour une production qui serait ramenée à une centaine de TWh. Maintenir une capacité de 50 GW suppose la mise en service de 14 EPR et de plusieurs petits réacteurs modulaires, dont la puissance est comprise entre 50 et 300 mégawatts électriques. Un chantier comparable, quoique plus étalé, à celui qu’a relevé la France entre la fin des années 70 et la fin des années 80, et qui doit être lancé aujourd’hui s’il veut être réalisé dans les temps.


C’est la donne française. Soit elle joue le déclassement nucléaire et elle doit doubler voire tripler ses objectifs déjà élevés en termes d’éolien et de photovoltaïque, avec de fortes zones d’incertitudes en termes de conflit d’usage, d’acceptabilité et une forte dépendance aux technologies importées. Soit elle joue la carte nucléaire, relançant une filière sur laquelle des avantages sont déjà constitués, même s’ils sont affaiblis, reprenant pied de surcroit sur un marché mondial en plein essor. Bref, si les discours ont brutalement basculé sur le nucléaire, c’est bien par principe de réalité.

 

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28 octobre 2021 4 28 /10 /octobre /2021 06:22

Olivier Passet , comme d'habitude présente ici une fine analyse sur les cryptomonnaies. Bonne lecture.

Les cryptomonnaies c’est un peu comme un film de science-fiction. On ne comprend pas grand-chose au verbiage pseudo-scientifique qui sous-tend l’intrigue. Ce qui compte c’est de rejouer à plus soif le grand combat des forces du bien et du mal et de créer un vertige métaphysique sur la vulnérabilité de la condition humaine. Les cryptomonnaies ont leurs savants fous qui veulent devenir les maîtres du monde, leurs armées invisibles de mineurs, mercenaires de la cause, leur univers parallèle du Dark Web qui gangrène de façon rampante l’ordre établi. Elles ont leurs guerres hégémoniques, celles que livrent les FinTech pour évincer demain les banques et avec elles tout le système de supervision pyramidal des banques centrales et des États. Celles que se livreront demain les grandes puissances pour imposer leur crypto-devise au reste du monde. La presse regorge de papiers sur le combat de titan que fourbit la Chine avec son Crypto-Yuan, qu’elle verrouille à débauche de brevets, pour prendre de vitesse le crypto-dollar encore à l’ébauche au MIT et à la banque centrale de Boston. Mais on le sait aussi, le monde opaque du Web s’enflamme régulièrement de façon virale sur des mots magiques, qui doivent en l’espace de quelques années transfigurer le monde avant que le soufflet ne retombe, l’histoire logue reprenant ses droits. Il en fut ainsi du big data, de l’impression 3D,  de l’IE.

Revenons déjà au terme de cryptomonnaie. Si l’on accorde un sens au mot, quelles sont les qualités qu’elles devraient posséder ?  1/crypto, cela veut dire qu’il s’agit d’un instrument virtuel qui opère de façon décentralisée, traçable, pratique, non manipulable, grâce à la blockchain, court- court-cuitant, les banques et les gouvernements. La fiabilité digitale est telle que l’on accepte une crypto monnaie, avec autant de confiance qu’une pièce ou qu’un billet, en dépit de sa non matérialité. Sans tiers de confiance, sans tout l’édifice pyramidal qui sous-tend le fonctionnement des monnaies classiques, même électroniques, qui fait que chaque transaction au plan micro se matérialise bien en bout de chaîne  par le changement de la position débitrice de la banque A et créditrice de la banque B auprès de la banque centrale. C’est ce que l’on appelle la compensation, essentiel à la cohérence et à la robustesse du système des paiements 2/ monnaie, cela veut dire que cet actif virtuel est désiré comme unité de compte, c’est-à-dire comme étalon stable de valeur, comme instrument de transaction largement accepté et comme instrument de réserve, pour conserver sans risque son épargne. Fiable, traçable, pratique, référent lisible de la valeur, instrument de transaction et de conservation de la richesse… c’est lorsque toutes ces propriétés sont réunies que l’on peut parler de cryptomonnaie. Autant dire alors qu’il n’existe encore aucune cryptomonnaie. Prenons le Bitcoin aujourd’hui, qui capitalise 60% des cryptomonnaies, sa volatilité est telle qu’il ne peut servir ni d’unité de compte, ni d’instrument fiable de transaction, pouvant se transformer en monnaie de singe d’une seconde, d’un jour à l’autre, et encore moins de support de conservation de la valeur. Le Bitcoin est peut-être crypto, mais il n’est pas monnaie.

Derrière ce terme sans contenu véritable, on finit par y mettre tout et n’importe quoi. Les portes monnaies électronique par exemple, ne sont que des avatars de nos porte-monnaie physiques et se greffent sur l’édifice des monnaies traditionnelles. Autre exemple les crypto-devises, qui elles sont bien de la monnaie banque centrale, pilotée par l’émetteur souverain, sans faire appel à la décentralisation de la blockchain. Ce que tentent les banques centrales à travers cela c’est d’inventer un substitut numérique aux espèces, la monnaie fiduciaire donc. Pour la Chine, il ne s’agit pas de mener une guerre hégémonique contre les États-Unis, mais d’abord une guerre contre-elle-même. Tracer les transactions, affaiblir les cryptomonnaie qui constituent des failles en termes de souveraineté, d’anonymat et de permissivité pour faire évader les capitaux. Rien de crypto la dedans. On devrait parler d’espèces digitales.

Alors, si derrière le terme fourre-tout des cryptomonnaie, il n’y a pas toujours du crypto et encore moins de la monnaie, qu’y a-t-il ? Une nouvelle gamme d’actif au rendement et au risque d’une ampleur inconnue. Qui les place aux antipodes de la monnaie. Pour les addicts de la spéculation c’est de la drogue puissance 10. Il suffit de comparer les cours du Bitcoin avec ceux de l’or, ou des actions américaines même les plus risquées avec le Nasdaq, pour comprendre que les gains et pertes potentielles sont d’un autre ordre. Contrairement à l’or ou aux actions, il n’y a aucun fondamental, aucun référent ultime qui empêche les arbres de monter jusqu’au ciel. Dans les années 2000, face à la pénurie d’actifs sans risque, la finance avait inventé des actifs sans risque artificiels à travers la titrisation. Dans les années 2010, elle a inventé leur antimatière, de super-actifs risqués, tout aussi artificiels mais qui permettent d’élargir la palette de diversification pour les plus riches. 97% des Bitcoins sont aujourd’hui entre les mains de 4% des adresses. Ce qui signifie que quelques acteurs en jeu peuvent avoir une influence massive sur le marché du Bitcoin : un jouet pour quelques privilégiés, comme une œuvre de Jeff Koons, les œuvres digitales sujet d’un fol engouement, qui deviennent de super-ascenseurs pour faire de l’argent avec de l’argent, sur un mode autoréférentiel, dès lors que la petite caste qui en maîtrise les cours décide qu’il en soit ainsi.

 

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30 juin 2021 3 30 /06 /juin /2021 12:43

Nous reproduisons ci-dessous l'excellente réflexion de XERFY concernant le rapport Blanchard/ Tirole. 

La nouvelle bible de la raison politique en économie est sortie. Les grands défis économiques sous la direction d’Olivier Blanchard et de Jean Tirole. Avec en appui une commission où se bousculent les signatures les plus prestigieuses, nationales et internationales, de « courants intellectuels et politiques très divers » comme le signale d’entrée les deux rapporteurs. C’est le but de ce type de rapport : faire autorité comme socle impartial des grands arbitrages de l’État.


Un point de référence sur l’état de l’art


Du point de vue strictement économique, ce qui fait l’intérêt de ces grandes compiles de propositions déjà rabâchées, à l’instar du rapport Attali par exemple, c’est qu’il constitue un point de référence sur l’état de l’art. Blanchard et Tirole ont fait le choix délibéré de constituer une équipe composée uniquement d’économistes plutôt qu’une équipe plus large intégrant des chercheurs en sciences sociales et des acteurs de terrain. Ce purisme fait la force et la faiblesse de ce rapport. Force, parce qu’il gagne en clarté de raisonnement, en homogénéité des concepts, en points d’appui empiriques. Et faiblesse parce que l’absence de confrontation aux autres disciplines ou aux expériences de terrain fait que le produit, même s’il tente de multiples ouvertures, parfois audacieuses, demeure inévitablement un produit de laboratoire où les acteurs de l’économie réelle, la géographie, les spécialisations productives du territoire, les process, les organisations, les centres de pouvoir — par exemple de la finance — demeurent inexistants ou évanescents. Et la question qui se pose in fine, même si l’on agrège les meilleurs cerveaux de la discipline, est de savoir si l’intelligence, au plan économique, peut produire de l’intelligence tout court.


L’économie désirable (et incarnée !) de Pierre Veltz


Face à une question qui pourrait être sans réponse et donc sans intérêt, je propose aux lecteurs du rapport Blanchard Tirole, de se rabattre ensuite sur un petit ouvrage sorti en janvier dernier et signé Pierre Veltz, titré « l’économie désirable ». 109 pages d’un ingénieur sociologue, qui lorsqu’il parle d’innovation ne s’intéresse pas à la R&D comme variable instrumentale abstraite sur lequel il suffit d’ajouter des milliards pour produire de l’innovation comme un fait magique. Il décrypte plutôt les process contemporains de l’industrie, leur pseudo-dématérialisation, désigne précisément les innovations motrices, inscrit sa vision de l’économie sur le territoire, aborde l’État non comme une entité globale et abstraite, mais à travers tous ses niveaux de gouvernance, qualifie les besoins et les attentes du consommateur, etc. En un mot, l’économie de Pierre Veltz est incarnée, sa réflexion part d’une analyse fouillée de la sphère productive contemporaine, des systèmes de construction de la valeur, des interdépendances, travail qu’il poursuit depuis de nombreuses années.


Et cette confrontation de deux approches, a priori à armes inégales, entre l’auteur seul qui met toute son intelligence à comprendre le réel et les 500 pages produites par un aréopage de Nobels ou nobélisables qui mobilisent le champ de connaissance exclusif et auto-suffisant de l’économie, pour tenter de produire de l’intelligence, est profondément déroutante et ne peut que rendre perplexe sur la capacité de l’économie à relever les défis de l’époque.


Le défi climatique, point d’achoppement du rapport


Un exemple minuscule pour illustrer mon propos. Face au défi climatique, que nous dit le grand rapport ? Il réaffirme la priorité d’une tarification carbone (taxes, quotas, permis et banque centrale qui stabilise le prix des permis), préconise un chèque pour éviter le syndrome gilets jaunes, se montre réticent à l’égard des règlementations dont on contrôle mal les effets redistributifs, concède une taxe carbone aux frontières, pour éviter les distorsions de concurrence même si l’on peine à contrôler le contenu carbone, R&D verte, etc. Tout cela est argumenté, logique, mesuré.


Et puis page 32 du bouquin de Veltz, que lit-on ? Lorsque vous regardez une vidéo sur Netflix, le rapport entre l’énergie consommée pour le visionnage de cette vidéo et l’énergie réellement consommée est de 1 à 2000. Idem pour n’importe quelle requête sur Alexa d’Amazon qui déclenche une chaîne algorithmique très énergivore à échelle planétaire. Or, cette face en apparence gratuite ou quasi gratuite pour l’utilisateur ne cesse de s’étendre. À quel stade dois-je taxer cette utilisation pour en limiter les externalités ? Puis-je taxer le bilan carbone de toute l’infrastructure numérique sans risque d’embolie du commerce ? Les principes énoncés par le rapport sont-ils applicables ? Non, faute de s’être intéressés à l’économie réelle et de raisonner dans un monde où l’entreprise est une entité abstraite intemporelle, sans spécialisation, et dont la fonction est de maximiser le profit et de reporter ses coûts en amont sur le prix de vente.


Bref, le rapport Blanchard Tirole dispose déjà de son contre-rapport. Il n’a pas été conçu comme tel… et cela lui donne encore plus de force.

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22 mars 2021 1 22 /03 /mars /2021 16:26

Nous présentons ci-dessous un texte de synthèse dont l’auteur est Olivier Passet. Toujours très bref et très clair il nous parait poser quelques questions que nous évoquerons en fin d'article.

Texte d’Olivier Passet. (XERFY 22 mars 2021)

La zone euro est plus vulnérable que jamais, et avec elle l’UE dans son ensemble. Nous avions jusqu’ici souligné les mécanismes endogènes qui la fragilisent : notamment les forces de divergence que renforce un régime de monnaie unique sans transferts budgétaires suffisants pour permettre à la périphérie de recoller au cœur ; l’incapacité des économies à produire une synergie positive de croissance, un véritable partenariat de production et d’innovation, prises dans le jeu d’une concurrence fiscale et sociale fratricide ; et bien sûr un carcan de règles qui limitent le pouvoir de réaction d’économies frappées de façon très asymétriques par les chocs de l’économie mondiale. Cette critique est classique et elle est contrebalancée par une ligne de défense tout aussi classique : la dimension protectrice de l’euro pour des petites et moyennes économies face à des turbulences de plus en plus surdimensionnées ; la capacité de l’Europe à se réformer et à déroger de façon opportune à ses règles, notamment sur le plan financier  depuis 2008. Et au bout du compte, l’Europe fait figure d’espace de frustration, mais aussi de robustesse, qui survit aux crises qui l’assaillent. 

Sauf que cette lecture ambivalente passe à côté d’un nouveau champ de menaces inégalé depuis la crise sanitaire, que je qualifierai d’exogènes, et qui bousculent toute la philosophie de la construction européenne. Pour dire les choses plus explicitement, depuis quelques années, le champ de la concurrence, s’est déplacé. Nous nous sommes toujours figurés la mondialisation comme une extension géographique de la concurrence entre les marchandises, les hommes et les capitaux… Or ce qui s’opère aujourd’hui sous nos yeux, c’est un déplacement de la concurrence sur les modèles économiques… nous sommes entrés sans bien le réaliser dans une guerre DES capitalismes, une guerre des systèmes de régulation dont nous ne connaissons pas encore l’issue et qui prend totalement de cours la mythologie européenne.

Il paraît en effet bien loin le temps où le modèle de démocratie libérale apparaissait comme l’aboutissement de l’histoire d’une mondialisation des échanges, qui devait inexorablement 1/pacifier le monde, les conflits étant bien trop coûteux devant l’entrelacs des intérêts économiques croisés et 2/ Faire triompher les modèles agiles qui avaient déjà le libéralisme politique et économique dans leur ADN. Le modèle de démocratie libérale devait laminer par un jeu darwinien les archaïsmes étatiques autoritaires. Or cette vision est battue en brèche. Les conflits ont changé de nature. La guerre est devenue civilisationnelle, moins idéologique, économique, beaucoup plus diffuse, à travers son expression terroriste, traversant les frontières et menaçant de l’intérieur parfois les nations. Elle s’est déplacée aussi sur le cyber-espace, où la dérégulation libérale, loin de pacifier  les relations, intensifie les dominations et les manipulations. Et les modèles autoritaires, centralisés, loin d’être vaincus par leur sclérose, se réinventent, se digitalisent et s’exportent. Les variants chinois et russe ont repris du poil de la bête, et la démocratie libérale qui croyait s’imposer de façon virale doit elle-même se remettre en question.

Or l’Europe s’est tout entière conçue sans le dire sur cette vision naïve de la fin de l’histoire, bâtissant une petite mondialisation régionale dans la grande. Intégration économique = paix ; union concurrentielle et monétaire = rééquilibrage des rapports de force. Dans un monde multipolaire, dominé par l’hégémonie américaine, le privilège du dollar, elle devait se doter de sa propre monnaie et se bâtir les mêmes économies d’échelle que son rival historique, à travers le grand marché. Et quelles que soient les discordances, le consensus sur ces deux évidences rendait le projet imprescriptible.

Or la covid percute avec une violence inouïe cette mythologie fondatrice qui paraît de plus en plus contrefactuelle et anachronique. Plutôt qu’un grand discours je préfère donner deux exemples criants. Celui des vaccins. L’Union fait la force, sauf quand elle n’est pas une union qui mutualise les ressources et les moyens. Et sur ce plan le verdict est sans appel. Le Royaume-Uni seul a été capable d’engager et de concentrer plus de moyens pour impulser la R&D, lancer des lignes de production et gérer la logistique que 27 pays réunis, qui représentent pourtant 5,5 fois le PIB britannique. Que dire ensuite du plan de relance européen, présenté comme une avancée majeure. 750 milliards sur 3 ans, dont 390 milliards de subventions, le reste étant des prêts. Moins de 1% de dépenses nouvelles   par an, quand les États-Unis ou la Chine organisent leur relance à des échelles 5 à 10 fois plus élevées et bien plus concentrées dans le temps.

In fine, l’UE apparaît de plus en plus comme un attelage lourd et discordant, une empêcheuse d’agilité et de ripostes défensives. Elle voit poindre à sa frontière avec le Brexit, le contre-modèle d’un pays qui renonce à l’illusion de la force collective et mise sur  un souverainisme véloce de marché. Une sorte de modèle Israélien à sa frontière qui n’attend pas tout de la taille et des forces magiques de la concurrence. Elle regarde à cette heure cette aventure solitaire comme un suicide programmé, sans voir que dans la guerre des modèles, le sien est en urgence absolue.

Réflexions :

L’intérêt de ce texte est qu’il stigmatise une marche européenne vers un anachronisme provoqué par  son ADN néolibéral. Olivier Passet ne propose pas de solutions mais l’impression est qu’au fond, à la crise de la configuration actuelle du continent européen, une bonne réponse serait plus d’Europe. Cette réponse fût traditionnellement l’outil de sa progression avec, chacun le sait, des résultants de plus en plus contestables.

L’idée de déplacement de la concurrence, depuis celle des entreprises, puis vers celle des Etats, enfin vers celle des modèles macro-économiques est intéressante. Elle reste néanmoins questionnable avec les nouvelles interrogations concernant la Chine. Les énormes investissements de ce pays présentés comme constructifs d’un auto centrage avec 2025 pour horizon, connaissent une réalité matérielle contestable. Ces investissements  restent d’abord des équipements en infrastructures, et beaucoup moins des équipements  porteurs de gains de productivité. Le discours du pouvoir interroge aussi puisqu’il consiste à privilégier les grandes entreprises d’Etat dont l’efficience est très faible. Si l’on ajoute à ceci que le volume de la population active va connaitre un déclin continu d’environ 0,5% l’an, il y a lieu de penser que la croissance potentielle de la Chine ne fait que faiblir. On peut même penser qu’à l’horizon 2025 la croissance potentielle américaine dépasserait celle de la Chine, ce qui viendrait mettre en cause l’idée de modèle chinois.

Hélas on ne voit pas de modèle européen rejoignant celui des Etats-Unis. Au-delà- comme en Chine d’une grave diminution de la population active- l’architecture organisationnelle de l’UE ne permet pas un accès au modèle américain. Le privilège du dollar d’une part et un protectionnisme caché par le discours libre-échangiste d’autre part, permet d’authentiques relances keynésiennes aux USA. En Europe la monnaie allemande cachée dans l’euro ne peut s’ajuster  à la hausse et vient détruire toutes les économies du sud. Une relance keynésienne est ainsi interdite puisqu’elle reviendrait à consacrer la suprématie des producteurs allemands acceptant d’être payés par impression de billets. Nous retombons toujours sur la question de l’euro.

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4 mars 2021 4 04 /03 /mars /2021 07:03

Nous publions ici un texte  d'Olivier Passet (XERFY) très complémentaire de notre article:http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/02/france-2022-un-nid-fragile-d-individus-devenus-passagers-clandestins.html . Oui, l'Etat français est très équipé pour les politiques de redistribution. Il l'est hélas beaucoup moins lorsqu'il s'agit de retisser un véritable système productif. Les compétences correspondantes ont disparu et le prétendu plan de redressement est alourdi par l'intervention de la bureaucratie européenne qui va en contrôler beaucoup plus que les 40% prévus. 

Le texte d'Olivier Passet, toujours de grande clarté,  est très court. Bonne lecture. 

Du point de vue financier la démonstration d’efficacité est indéniable. La vitesse de réaction n’a pas de précédent. La mobilisation des aides fléchées sur les entreprises et du système bancaire ont porté leurs fruits. Plus de 200 milliards ont été débloqués en un temps record pour sauvegarder de la trésorerie des entreprises, évitant des défauts de paiement en chaîne.

La pertinence des choix de dépense n’a presque pas fait débat. Tant les cibles névralgiques étaient évidentes :

1/ le sauvetage de l’emploi via le chômage partiel ; et lorsque l’on compare la baisse du volume d’heures de travail mobilisées en 2020 (-9,1%) à la baisse de l’emploi (-1,1%) on prend la mesure du séisme qui a été évité.

2/ Le fond de solidarité, pour prévenir l’asphyxie des TPE et des indépendants à l’arrêt face à leurs charges fixes; 

3/ Un moratoire sur les échéances sociales et fiscales ; à quoi s’ajoutent les 133 milliards du PGE.

Résultat: en moyenne les entreprises ont plus de cash aujourd’hui qu’avant-crise. Un cash, qui leur permet de lisser le choc. Et cette mise sous perfusion a préservé par ricochet le revenu disponible des ménages. Ce dernier a même progressé  de 1,1% en 2020, en total déconnection de la perte d’activité abyssale de l’économie. C’était le but recherché, et il est bien là. Une réactivité qui permet de préserver les ressorts d’un rebond lorsque prendront fin les restrictions. Certains diront que l’État a su s’endetter avec brio pour verser du revenu courant, et que ce géni est précisément le mal français. Mais c’est un faux débat. Il n’y avait pas d’alternative. Cette injection de cash, vite et fort  a sauvé du capital et ce distinguo entre revenu courant et investissement ne fait pas sens en temps d’urgence tant les deux sont intimement liés. D’ailleurs, en la matière le supposé mauvais génie français a été dépassé, à en juger par la croissance du revenu disponible des ménages ailleurs, par l’Allemagne, par exemple, par l’Europe du Nord, mais  surtout par l’Amérique du Nord. A contrario, la France aurait tort de s’octroyer une médaille en termes de réactivité financière, tant ce talent a été bien partagé.
Mais au-delà de l’urgence c’est maintenant qu’entre en jeu l’État investisseur. La dette est bien là et avec elle surgissent les discours lénifiants sur cette fameuse croissance de demain qui nous permettra de l’éponger. C’est l’objet du plan de relance de 100 milliards sur deux ans adopté en décembre. Nous sommes là sur l’autre mythologie de l’État, qui, à travers l’orientation de l’investissement, renforce le socle de la croissance potentielle et de la compétitivité. C’est ce que nous promet le bel empaquetage du plan de relance, où tous les mots clés de la transition écologique et digitale sont placés en devanture. Mais, précisément, sur ce terrain il est permis de douter. La transfiguration d’une économie ne se joue pas en deux ans. Elle nécessite des moyens soutenus dans la durée, un schéma d’ensemble qui désigne les technologies que l’on veut maîtriser, les segments de filière que l’on veut implanter sur le territoire, les partenariats que l’on veut créer, de telle sorte que la transformation devienne un facteur de rééquilibrage du commerce extérieur et d’enrichissement du contenu en emploi de la croissance. Or, cette vision systémique de l’offre n’existe pas, et aucune compétence n’y est dédiée. Résultat derrière le mot investissement c’est un grand plan de soutien à l’aéronautique, l’automobile, le ferroviaire, la construction qui se dessine, sans aucun contrôle en termes d’importations induites, de bilan carbone hors frontière, d’indépendance technologique. Et si nos plans d’urgence évitent la destruction de capital, nos pseudo-plans Marshall sont en revanche des plans de soutien à la demande déguisés. 


Mais la vraie grande défaillance, c’est celle de l’État producteur, qui a révélé ses carences en termes d’anticipation, de commandite, de logistique, de coordination des acteurs, de réquisition. Masques, vaccins, prise en charge des malades, capacité à maintenir l’activité économique lors du premier confinement… à tous ces niveaux l’État a répondu aux abonnés absents. S’emparant du mot « guerre », sans jamais être capable d’instaurer la mobilisation d’exception correspondante. Une inertie qui tranche avec la démonstration d’Israël, des États-Unis ou même du Royaume-Uni, États entreprenants, quelques soient leurs carences, capables de mobiliser l’armée, les stades, les officines, les drive pour vacciner à grande échelle, capables d’anticiper en amont les enjeux productifs de la vaccination via des commandes de masse en amont. Avec l’exemple édifiant de Valneva, biotech française, qui a trouvé son soutien financier outre-Manche. 


Et in fine ce sont les contours de la réforme de l’État qui prend forme. Une réforme obnubilée depuis des années par une chasse au gaspi stérile et qui est passée à côté de l’essentiel : sa réorganisation, quoiqu’il en coûte. 

 
 
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24 février 2021 3 24 /02 /février /2021 07:07

Un texte tout simple qui résume bien les choses depuis l'origine de la monnaie jusqu'au Bitcoin. Merci à Olivier Passet.

Allons-nous au-devant d’un nouveau big bang de la monnaie ? La confiance on le sait est consubstantielle de la monnaie. Sans elle, toutes les transactions se grippent. Et l’élément crucial de cette confiance, c’est d’abord le fait que la monnaie ne soit pas reproductible sans limites et a fortiori duplicable et falsifiable au risque de fausser les échanges. Or deux éléments décisifs bousculent aujourd’hui la confiance :

1. le fait que l’on crée de la monnaie sans limites, alimentant un sentiment d’argent magique ;
2. et l’engouement pour le bitcoin, qui crée le sentiment que face à la monnaie classique, à la crédibilité galvaudée, s’opère une bascule sur une monnaie d’un autre type, dont la quantité (21 millions) n’est pas manipulable puisqu’elle a été fixée une fois pour toutes.

La construction de la confiance dans un contexte de dématérialisation et d’abstraction croissante de la monnaie est une longue histoire.

Au commencement était la violence, l’acquisition par la force des biens. Le troc a été un premier élément de pacification sociale : acquisition de marchandises contre un équivalent. Et parmi ces marchandises, certaines sont devenues des référents : le bétail ou d’autres produits plus stockables, malléables, divisibles comme le sel, les coquillages, l’ambre, etc. Les métaux, présents dans les échanges dès 4 000 ans av. J.-C., s’imposent peu à peu : stables, homogènes, malléables, rares, mais disponibles, revêtus d’une forte dimension symbolique. Et c’est sous l’antiquité que se généralise un système de pièces, au poids invariable, de même forme et authentifiées d’un signe. Au fil des siècles, chaque royaume ou empire, pour unifier son territoire, crée sa monnaie. Symbole de souveraineté, forgeant l’identité royale, intermédiaire des échanges, réserve de valeur et unité de compte, tous les attributs irréductibles de la monnaie sont alors réunis. Et c’est au XVIe siècle avec Copernic que s’ébauche les premières formulations de la théorie quantitative : la monnaie se déprécie quand elle est trop abondante et l’idée, avant Gresham, que la mauvaise monnaie chasse la bonne.


La suite de l’histoire, c’est celle de l’émancipation de la monnaie de son substrat matériel au XVIIe siècle avec l’avènement de la monnaie papier à Amsterdam, Hambourg, Londres. Le métal précieux est détenu par un tiers de confiance, les premières banques de dépôt ou les orfèvres, en contrepartie d’un certificat de dépôt papier. Son acceptation dans les échanges est fondée sur la confiance des détenteurs, elle-même gagée sur la possibilité de récupérer la monnaie métal à tout moment. Avec au début une stricte égalité entre les certificats et le montant des espèces métalliques. Avant que les orfèvres ne réalisent que le stock métal ne descend jamais en dessous d’un certain niveau. Vers 1665, ces derniers vont alors émettre des certificats en échange de titre de dette. C’est là que naît le mécanisme central au cœur de la création monétaire contemporaine. Le crédit comme source de la création monétaire. La monnaie comme jeu d’écriture qui s’émancipe de la quantité de métal. Avec les ratés retentissants que l’on connaît : la banqueroute de Law en 1720 ou la crise des assignats en France. Et c’est ce système qui ne va jamais cesser de se perfectionner, à travers l’avènement d’un système hiérarchique de banques centrales et de banques de second rang, de règles qui confèrent à la monnaie fiduciaire et scripturale toute sa crédibilité.


L’étalon-or demeure néanmoins la caution ultime : le collatéral détenu par la banque centrale, qui fonde la confiance. La croissance du crédit ne peut se détacher de la quantité d’or. Le système vacille avec les besoins considérables de cash induits par la guerre de 1914, puis avec la crise de 1929. Il est partiellement rétabli en 1945 avec les accords de Bretton Woods. Système de convertibilité par procuration où chaque devise est convertible selon une parité fixe en dollar lui-même gagé sur l’or. Et c’est là qu’intervient le troisième big bang en matière de dématérialisation. En 1971, lorsque les États-Unis renoncent à la convertibilité. Pour la première fois, la monnaie n’est adossée à aucun actif tangible avec les désordres que l’on connaît. Et ce n’est pas un hasard si le monétarisme vit son avènement à ce moment-là de l’histoire. Le dollar à défaut d’être gagé sur l’or sera soumis à des règles quantitatives strictes. L’émission de dette en dollars, source de la création monétaire, évoluera en fonction des besoins de transaction des États-Unis et du monde. Une équation de plus en plus difficile à tenir, tant la taille des émergents et des transactions financières a explosé au fil des années.


Et nous sommes à ce point de l’histoire où plus personne ne sait ce qu’est la quantité de monnaie stabilisante. Tout ce que l’on sait, c’est que le système s’effondre et se fige si les banques centrales ne fournissent pas des tombereaux de liquidité. Et tout ce que l’on peut constater, c’est que la liquidité se loge peu dans les transactions réelles et gonfle la valeur des patrimoines, participant à la prolifération des milliardaires planétaires. Faisant de la monnaie un nouveau vecteur de violence sociale. Et face à ce système sans boussole font irruption les cryptomonnaies, déstabilisant la représentation de la souveraineté attachée à la monnaie. Alors certes, aujourd’hui, l'envolée du Bitcoin ne fait pas de lui une monnaie à part entière. Son contingentement strict ne lui permet pas d’être un référent stable d’expression de la valeur et d’accompagner harmonieusement les besoins de transactions. Sa valorisation excessive et son instabilité intrinsèque ne lui permettent pas d’être une unité de compte pratique. Il suffit d’exprimer le PIB américain en Bitcoin pour comprendre son caractère inopérant. En revanche, le système concurrent à l’ébauche a inventé son or digital. Autrement dit, le socle que précisément l’ancien système déboussolé a perdu…

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