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11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 08:50

 le texte suivant constitue le résumé de mon intervention au colloque organisé à l'Assemblée Nationale par l'Association Pour un Débat sur le Libre Echange:

       "Protéger les intérêts économiques de la France : quelles propositions?"        

 

                

La mondialisation s’accompagne, pour presque tous les pays, de soldes extérieurs de plus en plus éloignés de l’équilibre. Parmi toutes les causes qui expliquent ces déséquilibres extérieurs, il y a aussi, au delà des taux de change- fixés soit administrativement soit  par le marché- le mode de gestion de la monnaie. Et, de ce point de vue, la monnaie peut, soit devenir la base d’une gigantesque pyramide d’endettement, soit être un objet, victime heureuse de ce qu’on appelait il y a bien longtemps, la répression financière. Tout dépendra ici du taux de l’intérêt réel, et de l’attitude des Etats vis-à-vis de l’organisation des systèmes financiers.

Lorsque les Etats font valoir la répression financière – ce qui était le cas de nombre de pays dont la France jusqu’au début des années 80 – la dette publique, lorsqu’elle existe, est sous contrôle. Les banques centrales, alimentant à coût nul les Trésors , ils ne sont gênés par aucun service de la dette étouffant l’investissement public, généralement modernisateur d’une économie, donc de son efficacité productive. Ainsi dans les décennies 50 et 60, la France pouvait à la fois financer la guerre d’Algérie, les plans de développement correspondants (par exemple le Plan de Constantine), une ambition spatiale et nucléaire, une gigantesque modernisation de son système éducatif, etc.

La même répression financière, développant des taux d’intérêts réels négatifs, permettait un investissement industriel plus aisé et une politique du logement fort ambitieuse. Avec  même la possibilité d’accéder à la propriété -pour les « baby boomers »-  dans des conditions qui feraient rêver les classes moyennes d’aujourd’hui. Avec aussi – il est vrai - en contrepartie, un contrôle des changes interdisant la fuite de capitaux cherchant à échapper à la répression financière.

Mais la répression financière, supposait aussi des gouverneurs de banques centrales dont le statut se ramenait à celui de simple préfet obéissant. Et cette obéissance était associée à celle du système bancaire lui-même en situation de subordination. Parce que la financiarisation était de fait interdite, les bilans bancaires ne se gonflaient pas artificiellement d’actifs, contrepartie de patrimoines plus ou moins fictifs. A l’époque, le bilan d’une grosse banque n’était pas beaucoup plus lourd que celui d’une grosse entreprise industrielle, et les capitaux propres étaient d’importance comparable. Pas comme aujourd’hui, avec une BNP dont l’actif est plus gros que le PIB de la France, alors que celui de Total se monte à moins de  7% du PIB français.

Lorsque les Etats sifflent la fin de la répression financière ( Loi du 3 janvier 1973 s’agissant de la France), ils risquent de s’endetter sérieusement puisque la gestion de la dette passe par le mode marché et non plus par celui de  l’autorité. Les banques centrales (176 aujourd’hui) deviennent toutes indépendantes et les gouverneurs devenus puissants dans leurs objectifs de garantir la stabilité monétaire, invitent les Etats à s’adresser exclusivement aux banques pour obtenir des prêts. Le système bancaire n’est plus en situation subordonnée et voit dans les Etats un simple partenaire de marché. Fini le temps où il devait respecter des planchers de bons du Trésor, avec contrôle journalier du respect des dits planchers par le ministère des finances. Fini également le temps où les Etats maitrisaient des taux de change aujourd’hui abandonnés au seul marché.

La fin de la répression financière est lourde de conséquences.

L’investissement public devient extrêmement coûteux puisqu’il faut payer un taux désormais positif. La fin de la répression financière est aussi la fin de l’âge d’or des investissements publics, dont on aurait tant besoin aujourd’hui : ils se sont sublimés en rentes improductives.

Mais surtout, la fin de la répression financière correspond curieusement à une augmentation vertigineuse de la création monétaire : la légendaire « planche à billets » devient interdite pour les Etats réputés mauvais gestionnaires, mais pas pour les banques qui -elles -seraient infiniment plus responsables.  Et il est vrai que désormais protégées par des gouverneurs de banques centrales garants de la stabilité monétaire, il devient intéressant de développer- en aval de la « planche à billets » académiquement désignée par l’expression de « multiplicateur du crédit »  - une immense machine à fabriquer de la dette, c'est-à-dire des actifs désormais stockables, en ce qu’ils ne sont plus rognés par de l’inflation. Parce que réputés sûrs, il faut gorger les bilans bancaires d’actifs de toutes sortes et se munir de capitaux propres modestes pour augmenter l’effet de levier et le profit actionnarial. D’où le gonflement vertigineux d’actifs, avec des patrimoines qui augmentent beaucoup plus vite que la richesse réellement produite. Pour ne donner qu’un exemple dans la décennie 2000, le PIB français augmente en moyenne de 28 Milliards d’euros par an, tandis que les seuls actifs financiers augmentent à un rythme 10 fois plus élevé (649 milliards d’euros).

Le temps de la banque monumentale -  véritable danger public car plus grosse que les Etats -  est ainsi arrivé.

La fin de la répression financière est ainsi le début de celle des Etats,  lesquels, pour certains d’entre-eux, vont s’embourber dans une monnaie unique ajoutant à leur propre répression. Et à celle de l’économie réelle, car à la banque monumentale se trouvera associée une industrie devenue le plus souvent famélique. Pour ne donner qu’un chiffre, la base industrielle de la France qui nourrissait 30% de son PIB au début des années 80, n’en nourrit plus que 13% aujourd’hui.

Désormais, des Etats, en particulier ceux de l’euro-zone, vont aussi perdre leur politique de change, ce qui signifiera qu’il devient impératif pour tous de s’aligner sur le « meilleur », pour tenter d’équilibrer les comptes extérieurs, et empêcher que certains –les « meilleurs » -  ne viennent siphonner la demande interne des « moins bons » . Opération héroïque, car baisse des taux, et taux de change unique ,  autorisés par la monnaie unique invitent- rationnellement lorsque l’on est déjà pas très bon - à ne pas s’améliorer, et à seulement s’enivrer   d’une « monnaie de réserve à l’américaine » : Grèce, Portugal, Espagne, mais aussi la France sont amenés – par le marché- à faire des choix délaissant plutôt l’industrie (il devient impossible comme naguère de se protéger par une dévaluation) et privilégiant plutôt l’immobilier (faiblesse des taux avec forte incitation bancaire attisée par les vertus de la planche à billets), et les services , notamment la Grande Distribution, grande bénéficiaire de la monnaie unique et de la mondialisation, et faiseuse du miracle/mirage d’une consommation populaire rapidement croissante. Un grec muni d’euros devient ainsi, l’équivalent d’un américain muni de dollars. De quoi implanter cet importateur pur qu’est Wall-Mart à Athènes.

Sans l’outil du taux de change, les comptes extérieurs deviennent  de plus en plus déséquilibrés : les « meilleurs »- les allemands- le seront de plus en plus, et les « moins bons »- les grecs-  seront de moins en moins bons. Même la France connait un déséquilibre de plus en plus incontrôlable : sa balance commerciale encore excédentaire au début des années 2000, risque cette année de frôler les 70 milliards d’euros de déficit.

Le temps de la grande crise siffle la fin de la récréation – les patrimoines, par effet boursier d’une prise de conscience,  cessent de s’éloigner sans limites de la richesse réelle-  et l’impérieuse nécessité pour les Etats de reprendre le pouvoir qu’ils ont imprudemment laissés à ce qui est devenu une fort dangereuse industrie financière.

La gestion de l’inéluctable effondrement du gigantesque château de cartes financier passe par le rétablissement de l’autorité monétaire : la fin de l’indépendance des banques centrales, le financement direct des Trésors par ces dernières, la renationalisation de la dette publique désormais nourrie par la forte épargne des ménages, l’amaigrissement considérable des bilans bancaires, le rétablissement des planchers de bons du Trésor,  et  la maitrise des taux de change. Cela ne signifie pas nécessairement la fin de l’euro-zone, mais au moins le passage de la monnaie unique à la monnaie commune.

Mais cela signifie surtout un accord international visant ce que Keynes recherchait avec son bancor en 1944 : un monde où les équilibres des échanges extérieurs de chaque participant est recherché, notamment- mais pas uniquement- par des procédures de modification des taux où – à intervalles réguliers - le « meilleur » se trouve juridiquement obligé de réévaluer et le « moins bon », juridiquement obligé de dévaluer. Le commerce international n’est pas une guerre et les échanges se doivent de viser- autant que possible-  l’équilibre.

La dé mondialisation n’est pas la fin du libre commerce international, elle n’est que l’outil empêchant l’humanité de connaître de forts grosses déconvenues.

                                                                                               Jean Claude Werrebrouck

 

 

 

 

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27 avril 2010 2 27 /04 /avril /2010 15:46

 

 On trouvera ci-dessous le texte d’une réponse à Jean Peyrelevade, réponse effectuée sur son Blog. Jean Peyrelevade, aujourd’hui à la retraite, fût un acteur essentiel de la réflexion économique à Matignon au début des années 1980. Il fût au cours de la même décennie, président du Crédit lyonnais. Il réfléchit actuellement, dans la foulée de la grande crise, à la refondation du capitalisme et prépare un livre sur le sujet.

Bonjour Monsieur Peyrelevade ;

L’ensemble de votre raisonnement et celui de vos collègues reposent sur la grande méfiance de l’Etat, donc de ses acteurs appelés hommes politiques, vis-à-vis d’une logique de l’intérêt général. C’est ainsi que vous affirmez que dans la plupart des mondes civilisés l’outil monétaire à été retiré de la main des Etats avec en conséquence l’idée d’indépendance des banques centrales. Cela signifie une forte conviction pour l’approche du « Public Choice » et de la réalité d’un intérêt général à ne pas pervertir.

Et c’est cette conviction qui forme votre univers axiomatique et les théorèmes qui vont lui correspondre. De la même façon que « les nombres sont dans la nature » chez les premiers mathématiciens grecs…avec la crise épistémologique qui devait s’en suivre, lorsqu’il faudra mesurer la diagonale du carré… Les Etats,  sont potentiellement pourvoyeurs d’un intérêt général . Intérêt à construire ou à reconstruire, d’où vos réflexions sur la refondation du capitalisme.

La plupart des économistes acceptent cette épistémé, sauf il est vrai deux écoles de pensée : les libertariens,  d’une part, et Marx d’autre part. Si maintenant on embrasse l’axiomatique de l’une de ces deux écoles par exemple la libertarienne,  l’ensemble de vos raisonnements se trouve compromis.

Reprenons si vous le voulez bien quelques uns des points que vous abordez en réponse à mon intervention du 22 avril :

Point 2 : vous affirmez que « la bonne alimentation monétaire de l’économie suppose un appareil décentralisé de distribution de crédit convenablement alimenté en monnaie centrale » ; et vous insistez sur la capillarité insuffisante d’un système centralisé. Il est pourtant facile de répondre que ce système décentralisé fût un échec réel, et que la politique monétaire indépendante de l’Etat, celle de président Greenspan, est l’une des causes de la grande crise que nous traversons.

Point 3 : vous critiquez mon idée d’un monopole de création de monnaie centrale par le seul Etat, lui-même pouvant devenir banque centrale et distribuant des capacités monétaires aux banques. Vous en déduisez que « la monnaie centrale créée pour financer le déficit public s’ajoute et devient inflationniste » Là encore vous considérez avec l’école du « Public choice » que l’on ne peut faire confiance aux hommes politiques. Le libertarien est fondamentalement d’accord avec vous , sauf que pour lui, la solution inverse, celle que nous connaissons dans la réalité concrète, est aussi l’utilisation de la contrainte publique à des fins privées : celle de la finance, qui emprunte à un taux proche de zéro, pour acheter de la dette publique  au taux du marché, et devenir simple captatrice de rente, sa valeur ajoutée, colossale, ne devenant qu’une pirouette complètement fictive, puisqu’aucune richesse n’a été créée. Car c’est bien un acte juridique qui a créé le système décentralisé que vous appréciez, et, comme toute règle de droit , elle déplace du bien être- selon l’axiomatique libertarienne - d’un groupe vers un autre (ici, depuis les contribuables vers la finance). Il n’y a donc pas à opposer le système centralisé de Maurice Allais, à celui que vous préconisez. Il y a simplement à reconnaître que ces deux systèmes consacrent des modes d’équilibre différents entre acteurs en compétition pour le contrôle de la contrainte publique. Et le mode centralisé de Maurice Allais est tout aussi capable de limiter l’inflation et d’assurer la capillarité. Le groupe au pouvoir, pouvant par exemple décider, que le déficit public ne se conçoit que dans la limite supérieure de l’investissement public, et que l’approvisionnement en monnaie centrale des banques se réalisant dans des conditions de transparence, qui n’existent pas aujourd’hui dans le contexte d’indépendance des banques centrales . Faut-il rappeler que malgré des injonctions sénatoriales, la FED reste dans une relative opacité ? Combien a-t-elle distribué ? Et à qui ? Sans doute l’histoire révèle t’elle , ainsi que vous le soulignez , nombre de cas de caisses publiques vides associées à une hyperinflation . Mais cette situation ne fait que confirmer l’axiomatique libertarienne qui voit dans l’Etat non démocratique la violence pure et non négociée du prédateur public. La démocratie n’étant que le passage du monopole de la prédation à un marché plus concurrentiel.

Point 6 : Vous souhaitez bonne chance aux rédacteurs de la règle constitutionnelle venant limiter l’ardeur inflationniste des hommes politiques devenant de véritables banquiers centraux. Vous avez sans doute raison. Mais dans l’axiomatique libertarienne, encore un fois, la loi n’est qu’un rapport de forces. Et l’irresponsabilité politique, en particulier financière, que certains déplorent dans beaucoup de pays, est elle-même le produit d’un rapport de forces. Un autre rapport de forces pourrait, par exemple en France, transformer radicalement les règles de la comptabilité publique et responsabiliser davantage les hommes politiques. Gageons que les juristes qui ont si bien réussi à organiser- depuis maintenant près de deux siècles - l’irresponsabilité des responsables, sont aussi capables de parcourir le chemin inverse.

Point 7 : vous soumettez l’Etat à la contrainte de marché. Cela colle bien à l’univers néoclassique qui, n’expliquant pas la problématique de l’origine et du développement de l’Etat, se borne à dire qu’il joue un rôle de béquille des marchés défaillants. Vous en déduisez que l’Etat doit convaincre la société civile de lui prêter. Mais ce marché entre offre et demande de dette souveraine est encore une fois le produit d’une décision politique. C’est bien une loi, en France celle du 4 janvier 1973 qui va interdire à l’Etat de disposer d’un banquier, et va organiser sa fragilité….en créant de nouvelles parts de marché pour la finance. C’est bien une autre loi qui en créant l’Agence France Trésor en 1999 va organiser et renforcer le marché de la dette souveraine. Et la loi de finance annuelle, en confirmant et en renforçant le déficit  traditionnel, donne satisfaction aux groupes bénéficiaires du déficit…et fait la joie des 16 spécialistes en valeurs du Trésor. Là encore ces faits empiriques bruts confirment bien le modèle libertarien de compréhension du monde. Comme quoi il s’agit d’une axiomatique robuste.

Une axiomatique étant elle –même une simple idéologie, j’invite à nous méfier du modèle libertarien qui souffre aussi de difficultés épistémologiques. Le sens de mon propos était beaucoup plus modeste et pourtant très ambitieux : je refuse de discuter des théorèmes émis par ceux qui oublient la réflexion épistémologique. Et je crois que notre grande crise est aussi une crise épistémologique de très grande ampleur.

Bien à vous.

 

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