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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 22:00

 

Notre dernier texte « La compétitivité comme suicidaire panique collective » nous fait bien comprendre pourquoi les dettes publiques et privées sont devenues aussi importantes : elles sont  une compensation fondamentale  aux déséquilibres des échanges impulsés par la mondialisation. C’est la prise de conscience, d’abord brutale (en 2008), et aujourd’hui bien établie du caractère devenu himalayen de la dette,  qui a transformé les banques centrales et a fait de leurs « politiques non conventionnelles », la colonne vertébrale de leurs activités. Point de salut sans « Quantitative Easing ». Et il s’agit bien d’une planche de salut car, les évènements du printemps et de l’été dernier- notamment les atermoiements de la FED- ont  montré qu’il était impossible de revenir à la situation antérieure, c’est à dire de ne plus acheter sans limite de la dette publique et de ne plus acheter des titres privés démonétisés.

L’insuffisante demande globale planétaire issue de la mondialisation reste ainsi masquée par un « Quantitative Easing » dont on ne peut plus se défaire sans ruine mondiale. D’abord celle des banques, dont les actifs sont gonflés très artificiellement par la pompe des banques centrales. Ensuite celle des Etats, qui peuvent continuer à se financer par la garantie d’achat de la dette nouvelle à des taux très faibles. Enfin celle de l’économie réelle, qui certes ne bénéficie plus de crédits en quantité suffisante pour assurer l’accumulation, mais qui en premier lieu ne peut à priori plus être la victime secondaire d’un « bank- run » auquel est généralement associé une thésaurisation, et qui en second lieu continue de bénéficier d’énormes dépenses publiques. Au-delà, il faut aussi préciser que le « Quantitative Easing » permet aussi aux émergents excédentaires (Chine) de continuer leur croissance tandis que les déficitaires reçoivent une épargne en quête de rémunération attractive (Inde, Turquie, etc.)

Ainsi donc, quelques banques centrales sauvent le monde en acceptant ce pourquoi elles n’avaient pas été conçues. Jusqu’à quand ?

Logiquement, cette mondialisation engendrant de tels déséquilibres macro-économiques aurait dû connaitre un autre destin, et par exemple la Chine – poids lourd dans le phénomène – aurait dû connaitre une rapide ascension de son taux de change plutôt qu’un accroissement gigantesque de ses réserves en devises. Toute une littérature académique existe – autour de ce qu’on appelle «  l’effet Balassa- Samuelson »- pour expliquer que les pays émergents quels que soient les régimes de change adoptés, connaissent spontanément une pression à la hausse du taux de change. Or la Chine, en adoptant un système à rattachement plus ou moins fixe avec le dollar, a bloqué toute élévation du cours du Yuan et s’est constituée d’énormes balances dollars, converties pour l’essentiel en dette publique américaine.

Acte délibéré- politique par conséquent- pour maintenir un déséquilibre des échanges au regard des USA, avec une production nationale excessive par rapport à la demande interne, différence se soldant en achat de titres publics américains, qui permettent une production américaine alors même que la demande interne se fait insuffisante.

Très simplement, pour prendre l’exemple classique des énormes dépenses militaires américaines, c’est bien avec de la dette publique achetée par la Chine que le système militaro-industriel a pu fonctionner et trouver des débouchés, débouchés potentiellement beaucoup plus faibles si l’Etat fédéral avait maintenu un strict équilibre budgétaire.

 La « Chinamérique », ne fonctionnait sans crise de surproduction globale apparente que par la dette, et ce, pour le plus grand profit de la majorité des groupes  dominants dans les  2 pays. Ainsi La politique de développement et le maintien du groupe au pouvoir en Chine passait par une croissance reposant sur les exportations et la maitrise politique de son surplus, symétriquement les entreprises américaines s’implantant en Chine devaient bénéficier des bas salaires chinois.

Il faut donc comprendre, que cette dislocation planétaire propre à la mondialisation, suppose des taux de change adaptés, taux de change qui vont aussi développer des effets pervers sur une masse monétaire qui, théoriquement en très forte croissance (contrepartie de l’excédent extérieur), devra être contenue par toute une série de politiques de « stérilisation des liquidités ».

La logique de la mondialisation s’étant ainsi maintenue, les déséquilibres se sont rapprochés de l’insupportable pour les créanciers publics et privés, d’où la crise et la transformation en profondeur de la mission des banques centrales.

Cela étant un « Quantitative Easing » qui se pérennise faute de solutions à la crise développe des effets  pervers non négligeables.

 

Des effets pervers redoutables

 

Tout d’abord, la dette publique, bénéficiant de taux artificiellement bas aussi en raison des achats massifs des banques centrales, devient une matière première de mauvaise qualité pour tous les acteurs qui en font un minerai financier de base. Comment produire un actif financier performant, si une partie de la matière première est peu performante, et ce même si sa liquidité est quasiment garantie ? Le problème concerne la finance classique. Il concerne donc aussi les épargnants.

Il concerne aussi, ces autres grossistes en achat de dette publique que sont les compagnies d’assurance dont les bilans deviennent déséquilibrés, les engagements réels ou potentiels, n’étant plus suffisamment garantis par des titres à faibles rendements. Déjà, les assureurs parlent de répression financière et se disent victimes des politiques non conventionnelles des banques centrales. Ils sont d’ores et déjà tentés par des hausses de tarification. C’est donc aussi l’épargne, par exemple les contrats d’assurance vie, qui est concernée par les flux débordants de l’aisance quantitative.

Les banques sont à priori les grandes bénéficiaires, les actifs étant gonflés artificiellement. Toutefois la croissance étant faible, l’investissement même assorti d’un taux bas est peu justifié et surtout, son coût d’opportunité est beaucoup trop élevé par rapport aux activités directement ou indirectement spéculatives. Ainsi le montant des opérations de couverture ( 477 milliards de dollars/ jour à l’échelle du monde) s’accroit alors même que les flux d’investissements décroissent. D’où le maintien de bulles spéculatives gonflées avec la matière première fournie par les banques centrales.   Une matière première qui n'est pas exempte de coût en raison - tout au moins pour le LTRO européen- de sa contrepartie en consommation de collatéral devenu trop rare dans les échanges interbancaires.

 S’il est à priori impossible de ne pas accroître le flux de liquidités empêchant un approfondissement de la crise, existe-t-il un moyen de disposer d’un « Quantitative Easing » plus efficace et moins polluant ?

Les banques centrales savent qu’elles ne font que contenir la crise et cherchent à rendre plus efficace le « Quantitative Easing ». Ainsi la BCE réfléchit à une intervention directe sur les entreprises en leur accordant le crédit qu’elles peinent à trouver dans le réseau bancaire. Moins brutalement, elle pourrait essayer  de relancer la titrisation en se portant directement acquéreuse des crédits aux entreprises. Affaire à suivre.

Une autre possibilité est d’imaginer ce que certains appellent le « Quantitative Easing for the People » (QEP), idée reprise de façon surprenante par le président du régulateur financier britannique Lord Adair Turner. Il s’agirait d’un financement direct des ménages dont les comptes bancaires seraient crédités par les banques centrales.

Certains voient dans un tel financement le début d’un revenu de citoyenneté, revenu régulièrement évoqué depuis  plusieurs dizaines d’années. Un tel dispositif ne garantit pas une immunité globale et se trouve porteur de lourds effets pervers.

En premier lieu si de façon indirecte il apporte de la liquidité aux banques, celles-ci ne sont pas davantage invitées à investir et à réduire leurs inclinations spéculatives. En second lieu, aucune solution n’est trouvée au problème fondamental de la mondialisation qui est celui des déséquilibres. A l’inverse, il risque d’accroitre mécaniquement le flux des importations à proportion de la propension à importer des ménages. Poussé aux limites, le dispositif n’est évidemment pas viable macro-économiquement : Les émergents ne recevraient plus en paiement des excédents que des actifs trop visiblement démonétisés.

Au-delà des aspects juridiques – les banques centrales disposent de statuts interdisant le QEP- un réel problème politique se poserait, les citoyens n’étant pas rattachés à des banques centrales mais à des Etats. Sans compter que les banques centrales ne sont en aucune façon des espaces de délibérations citoyennes.

Le « Quantitative Easing » est donc une solution sans avenir, une solution qu’il faut pourtant porter à bout de bras le plus longtemps possible, faute de l’émergence sur les marchés politiques d’acteurs susceptibles de mettre fin à la mondialisation dans ses caractéristiques présentes.

Toutefois, il semble préparer la solution contre laquelle il est censé se battre, en nous rapprochant d’époques antérieures où la souveraineté monétaire- et souveraineté sans la loi d’airain de la monnaie- allait de soi, c’est-à-dire approximativement la seconde partie du vingtième siècle. C’est que l’indépendance des banques centrales – concept mensonger pour les lecteurs de ce blog –  se retourne dans les faits, puisque désormais les grands Etats se trouvent à nouveau financés à taux presque nul et ce pour des montants devenus illimités. Comme au beau milieu du vingtième siècle où chacun savait, qu’indépendance ou pas, publiques ou privées, les banques centrales validaient un rapport de forces -politiques/ finance- dans lequel le premier terme l’emportait largement sur le second. Et ce rapprochement est aussi celui des conditions faites à l’épargne : Après l’épargne libérée nourrie par la mondialisation et cette matière première qu’est la dette publique, épargne libérée qui faisait la fortune de toute une armada de conseillers en patrimoine, nous nous rapprochons de la répression financière tant dénoncée au cours des 30 glorieuses.

Les aventures lointaines du « Quantitative Easing   avancé » mènent -elles  à la reconquête de la souveraineté monétaire ? Mènent-elles au retour d’un stade- sans doute modernisé- des « Etat-Nations » ?

 

 

 

 

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23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 07:46

Dans « Rapatriement de la dette et dé mondialisation », nous avions critiqué le plan de compensation inter Etats et inter créanciers, censé aboutir à la renationalisation de la dette. Ce plan, présenté par Rodolphe Müller et Pierre- Alain Schied, réapparait aujourd’hui avec d’autres propositions, sous d’autres formes éminemment intéressantes.

Qu’il s’agisse de la récente proposition d’Edouard Balladur, ou de celle tout aussi récente  de Jean Michel Quatrepoint, il existe un point de convergence qui est souligné : la nécessité d’échapper, au moins partiellement, aux foudres des  agences de notation. Objectif qui passe par la renationalisation de la dette, plus curieusement par l’élargissement de la clientèle du Trésor, et finalement par ce que l’on n’ose dire : une dose de dé mondialisation financière.

Edouard Balladur propose la création d’une classique caisse d’amortissement chargée de rembourser la dette publique. Au fond il s’agit de l’équivalent de la CADES, ou mieux, de la caisse créée par Poincaré en 1926. Cette dernière devait participer au retour de la confiance, au regard d’un déficit abyssal, en s’appuyant à l’époque sur les bénéfices de la SEITA (Société d’Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes). La SEITA ayant disparue, il s’agirait d’alimenter la nouvelle caisse à partir de l’abondante épargne des français, et d’introduite à côté du classique livret A, un plan d’épargne relativement équivalent en terme de rémunération.

La proposition de jean Michel Quatrepoint écarte, elle, tout recours à une quelconque caisse, et privilégie  la vente directe de bons du Trésor aux ménages. Là non plus, rien de bien nouveau, la vente directe, étant plus ou moins la règle, avant la bancarisation de la société à la fin des 30 glorieuses. Désormais, existeraient 2 circuits de distribution et de transformation de la dette : l’actuel, qui procure en quelque sorte une exclusivité à l’industrie financière, avec grossistes (les SVT de l’Agence France Trésor), et les transformateurs revendeurs détaillants (banques, assurances, intermédiaires financiers) ; et le circuit court, ou direct, qui permet aux ménages de ne pas utiliser  les usines financières. L’exclusivité de fait, sinon de droit, de l’industrie financière dans la commercialisation de la dette, serait ainsi supprimée. On peut anticiper une forte résistance du secteur financier si un tel projet devait se concrétiser, avec notamment, on peut l’imaginer, le refus de la mise à disposition des  guichets des banques pour la vente au détail de bons du Trésor.

Sans entrer dans le détail de la chaîne  logistique de distribution du circuit court, on peut penser qu’un réseau considérable de revendeurs au détail existe déjà : guichets de beaucoup de comptables du Trésor, bureaux de postes, voire débitants divers qui déjà vendaient l’antique vignette automobile, et vendent encore des timbres fiscaux. Mais on peut aussi imaginer  davantage de modernité, avec notamment,  la possibilité pour les ménages, d’acheter de la dette publique en ligne. De la même façon que le commerce électronique a pu redessiner l’architecture de l’industrie du commerce, il pourrait en être de même pour  celle de la dette publique.

L’importance relative des deux circuits, qui restent à priori encore des modes marchés de gestion de la dette, dépend des choix des entrepreneurs politiques en termes de taux , de fiscalité, voire de quotas. Et choix qui doivent tenir compte des grands agrégats financiers. Les besoins 2011 du Trésor sont de 180 milliards d’euros, besoins qu’il couvre par les opérations de l’AFT, elles même surveillées par les marchés et les agences. L’épargne brute des ménages se montait en 2009 à 209 milliards d’euros. Il est donc clair que le second circuit, circuit court à imaginer, ne peut devenir hégémonique, sauf à négliger les autres utilisations possibles de l’épargne. Toutefois, l’objectif de renationalisation de la dette publique, est envisageable en dérivant plusieurs dizaines de milliards d’euros, du premier circuit vers le second.

Une telle opération, revient effectivement à casser le rocher de Sisyphe, et à rendre le poids de la dette plus supportable. Il y a bien élargissement de la clientèle du Trésor, qui voit sa zone de chalandise se renationaliser partiellement. Il y a donc bien début de dé mondialisation financière.

Il est toutefois clair que des effets pervers peuvent se manifester. S’il n’existe pas à priori de difficultés juridiques, la réussite du lancement du circuit court, est un impératif de crédibilité à ne pas manquer, à peine de turbulences sur le premier circuit. Tout échec de lancement, pouvant être interprété comme déficit de confiance, à effets contagieux sur le premier circuit. Mais l’effet pervers le plus évident est l’éviction. Si le déficit public n’entraine pas l’éviction en raison d’une émission de titres, qui n’absorbe que l’excès de liquidité, et laisse intact le volume de l’épargne préalable, il n’en va pas de même dans la perspective d’une renationalisation de la dette. Car la renationalisation, correspond à l’abandon d’une épargne étrangère, au profit d’une épargne nationale, dont le volume est resté inchangé. A titre d’exemple, si le circuit court porte sur 50 milliards d’euros que l’on dérive du circuit long, soit 180 milliards pour 2011, lui-même en provenance de non résidents à proportion  de 70%, cela signifie une ponction nette sur l’épargne nationale de 35 milliards d’euros. Sachant que cette épargne nationale fait l’objet de convoitises extrêmes -  partage conflictuel de la collecte du livret A et du livret de développement durable, entre la Caisse des Dépôts et les banques ; chasse à l’épargne incluse dans les bilans, aux fins de respecter les nouveaux ratios de solvabilité, imposés par Bâle III ; etc.   – le risque est d’aviver la tension sur les taux de l’intérêt.

A ce stade, il est  difficile de tirer un bilan coûts/avantages de la brisure du rocher de Sisyphe : d’un côté il peut y avoir desserrement de l’étau des agences de notation, mais celui de l’éviction peut se resserrer. Il est donc  impossible de prévoir quelle force l’emportera sur l’autre. Et de ce point de vue, les deux variantes du projet de renationalisation – variante Edouard Balladur, ou variante Jean Michel Quatrepoint – sont clairement équivalentes. Et assez clairement équivalentes en termes sociaux : que la rente se déplace depuis des non résidents vers des résidents, n’en change pas son poids, lequel est  toujours financé par les contribuables, et/ou utilisateurs de biens et services publics. Avec il est vrai, un réel changement au détriment de la finance, qui ne dispose plus de quasi droits d’exclusivité sur la matière première, et se voit concurrencée par un circuit court.

Il est au total difficile de casser le rocher de Sisyphe, en restant dans le carcan de la pensée dominante. Nous verrons dans une publication ultérieure, que c’est toutefois cette fin de l’exclusivité qui est porteuse d’un  avenir plus crédible.

Une autre façon de  diminuer la charge du rocher de Sisyphe serait de le « rogner » plutôt que de le «  casser ».

Il s’agit manifestement, de toutes les tentatives, qui tout en restant dans le cadre de la pensée dominante, flirtent à la frontière des deux modes possibles de  gestion de la dette : il s’agit de l’espace  de la restructuration. Espace large, allant de la renégociation sur des points de détails, jusqu’au défaut souverain, non pas subi, mais choisi. Limite extrême, marquant la volonté de siffler la fin du jeu du mode marché de la dette. Nous sommes présentement, entrés dans les zones basses du champ de la restructuration, avec en particulier, les récentes négociations et décisions concernant la Grèce. Ainsi le taux moyen sur capital prêté passe t’il de 5,2% à 4,2%, et les remboursements s’étendront sur 7 ans au lieu de 4. Ces zones basses se révélant rapidement insuffisantes, il faudra probablement aller plus loin, et atteindre les premières zones de répression financière. Ainsi Kenneth Rogroff imagine déjà des mesures plus brutales, telles des taux imposés à des fonds de pension ou des compagnies d’assurances. De telles mesures sont pourtant irréalistes, dans un espace entièrement homogénéisé par la mondialisation : la répression financière sur des taux , même modérée,  ne peut s’envisager que dans un univers fermé et hiérarchisé. Le rocher de Sisyphe ne se laisse pas rogner facilement. Il faut donc bien le briser….mais avec d’autres idées qui vont dans le sens de celles  d’Edouard Balladur et Jean Michel Quatrepoint…. tout en les dépassant radicalement. Ces idées seront prochainement développées sur le Blog.

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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 14:46


                                              

Nos articles antérieurs ont tous mis en évidence le caractère illusoire d’un possible remboursement des dettes publiques. Le texte qui suit décrit le circuit de la dette à partir d’un suivi des flux tels que représentés par la comptabilité nationale. sa lecture suppose une bonne connaissance de l'article "Banque centrale et Trésor: une très instructive histoire" et en particulier les développements consacrés aux modes marché et hièrarchique de gestion de la dette publique.

Soient les identités classiques suivantes :    Y= C + I + (G-T) +(X-M)

                                                                      et           Y= C + S

Dans lesquelles Y représente le PIB, C  la consommation, I  l’investissement, G les dépenses publiques, T  les prélèvements publics, X  les exportations, M  les importations, et S  l’épargne.

On en déduit que S = I + ( G-T) + ( X- M)

G – T représente le solde public, très déficitaire bien avant la crise  s’agissant de la France, il s’est considérablement aggravé depuis 2008. Ce solde a pour contrepartie, une augmentation des actifs financiers détenus par le secteur privé. En clair le solde représente des achats de bons du trésor par le secteur privé, d’abord des banques et compagnies d’assurances, puis des entreprises et des particuliers, résidents et non résidents.

Sans préjuger pour le moment du type de rapport qui peut s’établir entre le Trésor et la banque centrale, rapports étudiés dans les 3 articles consacrés à ce sujet, il est clair que la banque centrale est l’exécutrice  opérationnelle des consignes données, par les ordonnateurs et comptables du Trésor. C’est en effet elle qui va débiter et créditer les comptes des banques, qui elles mêmes enregistrent en débits et en crédits, les paiements de l’impôt et les dépenses publiques. Il est donc logique de considérer Trésor et banque centrale, comme un bloc que l’on pourrait appeler « blog gouvernemental », par opposition au reste, que l’on pourrait désigner « bloc non gouvernemental » et qui est constitué d’agents financiers et non financiers résidents ou non.

Les écritures comptables dans le cas d’un mode marché de gestion de la dette

Un déficit public ( G> T) correspond ainsi à des flux  nouveaux  repérables selon les écritures suivantes:                                                                             

                Banque centrale                                                        Banques

A  _____________I_________________P        A  _____________I_________________P                  

                               I Compte du Trésor +             Bons du Trésor +  I Comptes des agents

                                                              _                                             Non financiers  +

 

                                                         Agents non financiers

                                         A______________I___________P

                                 Comptes bancaires     +              

Dans ce schéma , nous retenons l’hypothèse du mode marché de gestion de la dette, celle-ci apparaissant sous la forme d’achats de bons du Trésor par le secteur privé, ici les banques. Nous pourrions du reste sans difficulté envisager l’achat de bons par les agents non financiers eux- mêmes.

Ce qui modifierait les bilans de la manière suivante :

                Banques                                                             Agents non financiers

A____________I______________P                   A______________I_______________P

                          Comptes des agents                    Bons du Trésor   +                   

                          Non financiers      +              Comptes bancaires     + 

                                                        _                                                 _

                                                                                                                                                                                      

Précisons que ces deux schémas, correspondent bien à la réalité institutionnelle telle que vécue tout particulièrement dans la zone Euro. La création monétaire est le fait du système bancaire par le jeu du multiplicateur de crédit, la banque centrale ayant le monopole d’émission de monnaie légale.

Dans le premier schéma, l’achat de bons du Trésor ne s’opère pas directement à partir des actifs monétaires, dont sont bénéficiaires les agents non financiers jouissant de la dépense publique. Tout se passe comme s’il y avait couverture du déficit, par activation de la planche à billets, activation contrariée par le retrait de liquidités provoqué par l’achat de bons du Trésor. D’une certaine façon il y a éviction, puisque le choix des banques est de faire crédit au Trésor, au détriment d’autres crédits possibles au secteur privé. Mais il ne s’agit que d’une apparence, puisque la liquidité a augmenté d’un même montant en raison du déficit. Ainsi, et contrairement à ce qui est généralement enseigné, la politique budgétaire expansionniste, ne donne pas lieu à effet d’éviction. C’est dire que  le secteur privé n’a rien à craindre de la dette publique, et il faut regretter que l’on continue à lire régulièrement, que les Etats siphonnent les autres actifs, en raison de l’ampleur des montants levés par les agences publiques . (cf le texte de Pierre Sabatier « la dette publique pénalisera le marché des actions » dans la dernière publication du Cercle Turgot : « Rigueur ou relance ?» Eyrolles 2011).

Dans le second schéma, l’achat de bons est le fait des agents non financiers, qui d’une certaine façon, trouvent une opportunité de placement d’actifs monétaires issus du déficit, dont ils sont les bénéficiaires. Au fond, le déficit abondant les comptes des agents non financiers, est lui-même une épargne en quête de placement, ici sous la forme de titres publics.

L’introduction des non résidents ne change guère les choses. Si X –M < 0, il y a bien engendrement d’actifs monétaires en quête de placement,  éventuellement sous la forme de titres publics. C’est d’ailleurs massivement la situation américaine, les non résidents chinois disposants des actifs, contrepartie du déficit de la balance commerciale, qu’ils transforment en titres publics américains.

En mode marché de gestion de la dette, il apparait que les actifs financiers publics sont le résultat de la production d’une usine financière, comme des automobiles  sont le résultat d’une chaine d’assemblage. Et si en principe le marché de l’automobile est un marché mutuellement avantageux – les échangistes gagnent à l’échange comme l’enseigne la micro économie- il en est logiquement de même sur les actifs financiers publics : il existe une demande de dette publique, laquelle satisfait au besoin d’épargner. Les usines productrices d’automobiles satisfont aux besoins du transport, et les Etats producteurs de dettes satisfont au besoin d’épargner. Ce producteur de dettes qu’est l’Etat, est de fait un producteur d’épargne.

Et la présentation comptable est éclairante , notamment le second schéma, où l’on peut reprendre le bilan des agents non financiers construit pour suivre le flux du déficit, et le traduire dans le cas du marché de l’automobile. A l’actif, l’achat de bons du Trésor est remplacé par l’achat d’automobiles. Au passif, les comptes bancaires sont  abondés des revenus contreparties de la production d’automobiles. Ils sont  ensuite  débités de la valeur des automobiles achetées.

                                              Agents non financiers

                          A________________I_________________P

               Automobiles     +                        Comptes bancaires  +

     Comptes bancaires     +                                        

                                           -                    

 

Pour en revenir au mode marché de la dette publique, il n’existe  une offre de dette, que dans la mesure où existe une demande, elle-même en concurrence, avec d’autres actifs financiers produits dans le secteur privé. Et si la demande d’actifs publics est importante, c’est sans doute en raison de ses qualités spécifiques. Quelles sont les spécificités des actifs financiers publics ?

La première est sans nul doute la grande sécurité qu’ils offrent. Il s’agit dans les conditions normales d’un Etat de droit, de la classe  d’actifs la moins risquée, et la plus liquide qui soit, et ce évidemment en raison de la nature fort spécifique de son émetteur. Emetteur qui encore une fois - dans un Etat de droit, une structure qui respecte les droits de propriété - est beaucoup plus solide que tout émetteur privé.

La seconde spécificité découle de la première : parce que sécurisants,  les actifs financiers publics sont à la base d’une pyramide financière de très grande taille. Ils constituent la matière première de base, de toute l’industrie de l’assurance, et d’une bonne partie de l’industrie financière de l’épargne. Ils constituent ainsi le socle d’une accumulation du capital.

Le Trésor est ainsi par son déficit, un producteur irremplaçable de la matière première financière, et certains considèrent même que les innovations financières, telles la titrisation, furent historiquement les erzats de cette matière première sans risques, qui aurait été produite en quantité insuffisante, par des Etats insuffisamment déficitaires ( cf François Meunier : « face à la crise française de la dette publique, il faut changer sa gouvernance » in « Rigueur ou Relance »).

Les écritures comptables dans le cas d’un mode hiérarchique de gestion de la dette.

On peut tout d’abord supposer une contrainte type « plancher de bons du Trésor », contrainte massivement utilisée en France jusqu’au début des années 70. Dans ce cas, il y a évidemment disparition d’un marché de la dette publique avec disparition d’un prix – le taux de l’intérêt -  fixé par le marché. Nous sommes renvoyés au premier schéma, simplement que les bons du Trésor  apparaissant au bilan des banques, ne sont plus de l’ordre de l’achat volontaire, mais le produit de la contrainte publique. Pour le reste rien ne change, et le crédit obligatoire envers l’Etat – les planchers de bons du trésor sont une obligation juridique qui fût historiquement sous haute surveillance – n’affecte pas la capacité des banques à créer de la monnaie.  Le multiplicateur du crédit restant intact, la seule perte des banques se mesure dans la rémunération qu’elles perçoivent au titre de l’achat des bons du Trésor.

L’autre mode hiérarchique classique est la monétisation obligatoire sous la forme d’avances au Trésor. Avec les écritures suivantes :

                          Banque centrale                                                         Banques

     A_______________I________________P              A_____________I______________P

Avances au Trésor  +    Compte du trésor  +         Comptes au Trésor  +    Comptes des     

                                                                    _                                                  agents NF +

                                 Compte des banques +

                                                                                                                                                                                                       Agents non financiers

                                         A_________________I________________P

                                            Comptes bancaires  +

 

Là encore le multiplicateur du crédit n’est en aucune façon affecté . A l’inverse, la base monétaire étant plus grande, les potentialités inflationnistes se manifestent.

 

L’introduction des échanges extérieurs dans la gestion de la dette

Lorsque (X – M) > 0 les actifs financiers des agents non financiers  résidents augmentent ,

 ce qui est une autre façon de dire que la base monétaire s’accroit. La gestion en mode marché de la dette publique en est facilitée. Ce qui nous renvoie, à titre d’exemple, à la situation japonaise où sur une longue période, et au-delà de quelques accidents conjoncturels, déficit public et excédents extérieurs vont cohabiter. Avec la particularité que l’épargne interne augmentant, le coût de la dette, plus faible, favorisera son autocentrage sur l’économie nationale. En clair la demande de titres publics est massivement le fait d’agents résidents. Concrètement la gigantesque dette publique japonaise se trouve très peu internationalisée.

 

Lorsque (X – M) < 0 les actifs financiers des agents non financiers  résidents diminuent , et ceux  des non résidents augmentent .  Dans le cas d’un règlement du déficit en monnaie nationale, il y a toutes choses égales par ailleurs baisse du taux de change. A l'inverse ,le taux n’est pas affecté si les actifs financiers correspondants au déficit, sont réintroduits  dans le circuit. C’est le cas américain, où le déficit commercial est transformé en actifs publics. C’est aussi une situation où déficit public et déficit extérieur vont cohabiter , ce qu’on appellera dans la littérature les « déficits jumeaux ». Dans le cas d’un règlement du déficit en monnaie étrangère, la base monétaire décroit – il y a destruction de monnaie nationale en contrepartie d’une sortie devises -  et la gestion de la dette en mode marché en est contrariée.

D’une façon générale, le mode marché de gestion de la dette peut se prolonger, sans  réelles difficultés, si les comptes extérieurs sont durablement excédentaires.

Le mode hiérarchique de gestion de la dette écarte évidemment les non résidents, lesquels ne peuvent se manifester qu’en mode marché. Et il est vrai, que le mode hiérarchique n’à guère besoin d’une épargne étrangère pour fermer le circuit du Trésor. En revanche les craintes qu’il inspire, notamment sa réputation inflationniste,  peuvent affecter le taux de change.

Le mode hiérarchique de gestion de la dette soulève la question de la stabilité monétaire dans le cas où la base monétaire s’accroit à un rythme durablement plus rapide que celui du PIB.

Comme on le sait le Traité de Lisbonne fixe, dans un texte situé très haut dans la hiérarchie des normes, le choix du mode marché de gestion de la dette. Pour autant, il n’est en aucune façon un texte libéral, et nous avons longuement souligné – cf « mais des banquiers centraux libérés » dans « Banque centrale et trésor : une très instructive histoire- partie 1 » - le démantèlement organisé du « bloc gouvernemental », la banque centrale devenant une institution « sui generis ». 

   

 

A la lumière de cette présentation très mécanique de la dette publique,  nous examinerons dans un article ultérieur, les choix possibles des entrepreneurs politiques.

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26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 15:34

                                                                                                                                            

                                                                                             

Au moment où les Etats européens s’acharnent à prendre des décisions douloureuses aux fins d’en finir avec la crise des finances publiques, il est intéressant de construire le scénario d’un monde où par décret, loi, voire dispositif constitutionnel, un plafond de dette serait fixé, plafond à partir duquel les ordonnateurs des dépenses publiques devraient cesser leur activité. Ce scénario est évoqué dans le tableau ci-dessous. Les résultats ne sont que prévisionnels, et sont construits à partir des informations et estimations disponibles forcément discutables, et révisables quotidiennement. Ainsi le taux d’intérêt moyen est une notion variable, et les valeurs indiquées sont probablement sous estimées puisque les taux instantanés à 10 ans étaient au 23 février de 8,77% pour l’Irlande, de 7,23% pour le Portugal, ou encore de 5,33% pour l’Espagne. A comparer avec les valeurs retenues, respectivement : 5,7 – 5,4 – 4,2. De la même façon les taux de croissance retenus sont eux-mêmes probablement optimistes en raison des politiques budgétaires restrictives et surtout simultanées dans la plupart des pays européens. Or on sait que le choc budgétaire à envisager, dépend fortement du mouvement de ces deux variables ( cf « Rachat de dette souveraine : ultime étape avant monétisation ? »). Recettes et dépenses publiques aujourd’hui programmées pour 2011, incluent les dépenses et recettes au titre des « Etats providences ». La dernière colonne est établie sur la base de l’hypothèse suivante : la totalité du choc est imputée sur les seules dépenses. On peut évidemment envisager un autre scénario.

 

Estimation du choc budgétaire à envisager pour stopper l’hémorragie de la dette publique

 

 

 

 

 

PIB 2010

En USD*

Dette publique

Fin 2010

En USD*

Déficit

2011

%PIB

Déficit

2010

%PIB

Taux

D’intérêt

moyen

Taux de

Croissance

2011

Dépenses

Publiques

2011

%PIB

Recettes

Publiques

2011

%PIB

Allemagne

3100

2387

-2,7

-4,2

2,7

2,2

47,2

42,5

Belgique

400

408

-4,6

-4,9

3,4

1,8

53,8

48,8

France

2200

1870

-6,3

-7,6

3,1

1,6

55,9

48,6

Italie

1940

2290

-4,3

-5,1

4

1,1

46

45,5

Espagne

1450

957

-6,4

-9,3

4,2

0,7

44,7

35,9

Portugal

250

215

-4,5

-7,3

5,4

-1

50,9

43

Irlande

175

136

-10,3

-17,7

5,7

0,9

46

33,9

Grèce

310

 

384

-7,4

-7,9

9

-3

48,4

38,5

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Charge

De la

Dette

%PIB

Solde

Budgétaire

2010

En USD*

Solde de

Stabilité

USD*

choc

budgétaire

En USD*

 

choc

Budgétaire

En %PIB

Choc

(hypothèse

Dépenses)

%dépenses

 

Allemagne

2,7

-130

12

142

4

10

 

Belgique

3,8

-19

6

25

6

11

 

France

2,9

-167

28

195

6

16

 

Italie

4,8

-99

66

165

8

18

 

Espagne

2,6

-134

33

167

11

25

 

Portugal

3,5

-18

11

29

13

22

 

Irlande

3,5

-30

65

95

54

118

 

Grèce

5,8

-24

46

70

13

46

 

 

*En milliards de dollars. Tableau construit à partir des statistiques de l’OCDE (oecd.org) et de la commission européenne (ec.europa.eu)

Les résultats sont éloquents. Ils révèlent des difficultés d’adaptation y compris pour l’Allemagne, pays dont la croissance de l’endettement fût considérable en 2010 (+18% selon l’Office Fédéral des Statistiques, chiffre publié le 21 février) ce qui est historique. L’énormité de cet accroissement fait du reste douter de la possibilité de tenir la règle constitutionnelle d’équilibre budgétaire à compter de 2016. Comme on le sait, cette croissance est due aux structures de défaisance mises en place pour sauver le système bancaire et en particulier l’Hypo Real Estate et la banque de Rhénanie-du-Nord – Westphalie WestLB.

Pour le reste, en dehors de la Belgique, deux groupes semblent devoir se constituer : France et Italie d’une part ; Espagne, Portugal, Irlande et Grèce d’autre part. Compte tenu de la double fonction des Etats (fonction régalienne et fonction sociale) on voit tout de suite que les choix sont extrêmement difficiles. Ainsi pour la France, pays équipé d’un Etat global dont les charges sont approximativement à 40% régaliennes et à 60% sociales, faire supporter le choc sur les seules dépenses, suppose un recul - certes massif- plus ou moins équilibré de son emprise. Tout ne peut être supporté par « l’Etat régalien » par exemple par la défense nationale, fonction régalienne par excellence : l’actuel budget des armées serait très loin d’y suffire. Et tout ne peut être supporté par « l’Etat providence », par exemple les dépenses de santé, dont l’annulation presque complète, serait requise pour satisfaire aux contraintes du choc (Il faudrait économiser environ 160 milliards d’euros sur un total d’environ 165 !). Quels que soient les choix retenus, ils sont douloureux. Eu égard au fonctionnement des marchés politiques, les choix seraient logiquement assez massivement orientés vers la minimisation des dépenses au titre de l’avenir : investissement global en berne, dégradation des équipements collectifs, vétusté des bâtiments publics  etc.

Bien évidemment, les cas irlandais et grecs sont autrement douloureux. Aucune issue n’est -pour ces pays-  envisageable : le texte bornant le plafond de la dette (loi, constitution) devenant le dernier, avant retour à « l’Etat de nature » pour les sociétés correspondantes.

Tout aussi évidemment, ce scénario du pire que l’on vient d’envisager ne se produira pas, et d’autres solutions que le mode marché de gestion de la dette seront mises en place. Toutefois, il faudra encore attendre, car les grandes entreprises politiques européennes, restent encore aujourd’hui, engluées dans le mythe selon lequel la crise de la dette pourra être dépassée avec les moyens classiques, c'est-à-dire aussi sans revisiter l’euro-système.

En attendant les compteurs continuent de tourner….

 

 

 

 

 

 

 

 

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22 février 2011 2 22 /02 /février /2011 10:59

 

Jacques Sapir vient de nous fournir quelques indications intéressantes concernant les efforts que doivent envisager les pays de la zone euro, pour ne pas aggraver leur endettement public en 2011. Si on se penche sur les maillons les plus faibles de la zone, à savoir la Grèce et l’Irlande , on voit immédiatement l’extraordinaire gravité de la situation dans le cadre du maintien d’un mode marché de gestion de la dette.

Un énorme choc budgétaire pour bloquer la croissance de la dette

Ainsi la Grèce , avec une dette de 124 points de PIB, un déficit public 2010 de -7,9 points de PIB, devrait connaitre en 2011 un excédent budgétaire de 12 points pour stopper l’hémorragie. En termes simples cela supposerait un choc budgétaire de 7,9 + 12 = 19,9 points de PIB.

L’Irlande, avec une dette de 78 points de PIB, un déficit public de -17,7 points de PIB, devrait connaitre en 2011 un excédent de 2,2 points pour stopper l’hémorragie. Soit un choc budgétaire 2011 de 17,7+ 2,2 = 19,9 points de PIB.

Curieusement, avec des situations structurellement assez différentes, les 2 Pays se devraient de connaitre un choc 2011 identiques, et choc  jamais rencontré au cours de l’histoire. Un choc modifiant  le périmètre des Etats dans des proportions encore jamais vues . Ainsi compte tenu du poids des Etats dans ces deux pays, le choc budgétaire correspondrait, soit à une division par 2 des dépenses publiques, soit à une augmentation des ressources publiques de plus de 6O% pour la Grèce, et de prés de 80% pour l’Irlande, soit à une combinaison de ses deux moyens. Impensable.

Comme les budgets des deux pays -certes en forte régression- ne programment pas un tel retournement, l’hémorragie va donc continuer en 2011. Notons du reste, que l’Espagne et le Portugal sont également dans une situation fort préoccupante, avec un choc budgétaire potentiel d’équilibre  de plus de 10 points de PIB.

Les calculs de Jacques Sapir, s’appuient évidemment sur l’équation d’équilibre de la dette, laquelle fait intervenir le taux de croissance économique d’une part, et le taux de l’intérêt d’autre part. En cas d’évolution négative de ces paramètres, la catastrophe est plus grande encore. Ainsi une élévation de 100 points de base des taux, et une diminution de 1 point du taux de croissance, se paient  d’un choc budgétaire passant de 19,9 à 25% de PIB.

Ce pharaonique  choc budgétaire est évidemment amorti  sur plusieurs années, et ce  en comptant sur un redémarrage de la croissance. Il faut toutefois avoir en tête que le temps ainsi passé, ne permet pas de bloquer l’aggravation de la dette. C’est dire qu’en 2012, malgré les importantes contractions budgétaires, la dette ne pourra que s’accroître . En clair, le choc réellement imposé en 2011 dans ces deux pays, quoique rude, est très loin des 19,9 points de PIB requis .

Au-delà, 3 éléments nous permettent de penser que le mode marché de gestion de la dette devra être rapidement abandonné pour ces deux pays. Le retour de la croissance dépend en effet de 3 éléments indispensables : une baisse des taux, un potentiel de dévaluation, un potentiel de marchés en développement. La baisse des taux est hors de portée, en raison même de l’impossibilité de bloquer l’hémorragie. Celle-ci continuant, les marchés intégreront cette information dans des taux qui ne peuvent que croître, et ainsi accroître le poids de la dette. Ensuite, par définition, Il n’existe pas dans la zone euro de possibilité de dévaluation. Puisqu’il y a monnaie unique, seule la déflation interne est possible. Enfin tous les pays de la zone connaissent des contractions budgétaires tandis que les échanges se font essentiellement à l’intérieur de la zone, un espace par conséquent déprimé. Au total,  Il n’y a  aucune possibilité de croissance limitant le poids de la dette. Et la situation de dépression n’est pas à exclure.

C’est parce que la situation apparait bloquée que Grèce et Irlande, ont déjà plus ou moins abandonné le mode marché de gestion de la dette, en utilisant les services du FESF, qui sans les faire passer au mode hiérarchique, permet de les mettre à l’abri de la pression des marchés.

Qui a intérêt au rachat de dette souveraine ?

Les risques et coûts correspondants étant reportés sur les autres pays, beaucoup réfléchissent sur la problématique du rachat de la dette censée alléger les charges. C’est ainsi que Jacques Delpla dans les Echos du 9/2/11 : « le scoubidou de la dette grecque » explique ce qu’il appelle « l’opération ouzo² ».

En termes simples, il s’agit de retourner les forces d’un marché contraire, afin de mieux protéger le débiteur public. Classiquement, lorsque le Trésor grec utilise les capitaux du FESF pour  rembourser les titres venus à échéance, il ne fait qu’honorer ses engagements et n’améliore en rien  sa situation, puisqu’en théorie, il lui faudra rembourser les fonds mobilisés pour ce premier remboursement. Maintenant, si avec les mêmes capitaux mis à disposition par le FESF, il rachète de la dette sur le marché secondaire, il diminue son endettement total de la différence entre la valeur d’émission des titres et leur valeur de marché, nécessairement plus faible, en raison du risque grec que les marchés intègrent.

Prenons un exemple : si le Trésor Grec utilise 50 milliards d’euros (sur les 110 qui à terme seront mis à sa disposition par le FESF) pour acheter  des titres qui, à leur valeur d’émission totalisent 50 milliards, et qui ne valent que 40 en raison de la décote de cours, il y a effectivement un gain de 10 milliards. Et gain qui permettra de faire face à d’autres échéances. Lorsque les capitaux du FESF servent directement à payer les échéances, ou à financer le déficit, il n’y a pas amélioration du bilan du Trésor. A l’inverse, lorsque ces mêmes capitaux, servent à acheter de la dette décotée sur le marché secondaire, il y a amélioration du Bilan du Trésor.

On peut du reste envisager que le « gain » revienne plutôt au FESF qui pourrait lui-même intervenir sur le marché, au moins pour partie, et ainsi alléger le poids de ses interventions sur le Trésor grec.

On voit pourtant très vite les limites d’une telle opération, dont l’objectif est fort différent de celui d’un rachat de capital, par des entreprises soucieuses de faire monter les cours, où d’augmenter la masse distribuable de profit. Plusieurs cas de figure peuvent être envisagés :

La totalité des capitaux mis à disposition sert au rachat de la dette ancienne. Dans ce cas, le financement de l’augmentation de la dette ( le choc budgétaire d’équilibre n’étant  pas atteint) se produit par un retour au marché classique. Mais surtout la dette ancienne voit son cours se raffermir, par hausse de sa demande et intégration par le marché de la volonté absolue de ne point faire défaut. Le bilan du Trésor ne s’améliore pas, et la valeur de rachat rejoignant la valeur d’émission, le gain disparait. Le spread de taux diminue…mais sur la base d’une dette globale qui continue à augmenter. Une façon originale de gagner encore un peu de temps.

Une partie faible des capitaux mis à disposition par le FESF sert discrètement au rachat de dette ancienne, ce qui permet à la partie restante de faire face aux échéances et au déficit courant, et donc de maintenir le pays à l’abri des marchés . Dans ce cas, le bilan du Trésor ne s’améliore guère, en raison d’un simple échange de dette qui n’est pas compensé par un écart de prix, entre nouvelle dette et dettes anciennes, dont les flux  sont  marginaux. L’intervention du Trésor sur la dette ancienne est trop faible pour en modifier le cours… et aussi trop marginale pour changer durablement les choses. Là encore on ne fait que gagner du temps. La dette reste sous surveillance, et le risque de défaut se reporte sur le FESF, donc sur l’ensemble de l’Europe.

Les capitaux mis à disposition sont répartis équitablement. Il s’agit d’une situation intermédiaire qui n’est claire pour aucun des acteurs : les cours peuvent remonter et le gain se réduire ; la dette ne peut se dégonfler- si elle se dégonfle -  que  très lentement ; les risques de défaut ne sont pas complètement évacués.

Au total, quelles que soient les modalités d’un rachat de dettes publiques avec les fonds disponibles du FESF, l’intérêt n’est guère évident. Plus exactement, les acteurs du jeu ainsi créé par le mécanisme du rachat, connaissent des intérêts  divergents. Lorsque l’ensemble des capitaux alloués par le FESF sert au rachat, l’acteur gagnant est le rentier, qui voit la garantie d’un remboursement, alors même qu’il peut empocher le prix du risque, sous la forme d’un taux qui était éventuellement plus élevé au moment de l’achat. L’acteur potentiellement perdant est le FESF, et donc les Etats qui en sont les actionnaires, puisque l’opération n’améliore pas le bilan du Trésor aidé. L’Etat bénéficiaire de l’opération « ouzo² » (Grèce, voire Irlande et éventuellement d’autres pays) est en position d’indifférence. Dans les autres cas (caractère marginal du rachat ou partage des fonds FESF entre rachat et intervention directe sur la liquidité du Trésor), le bilan est plus défavorable au rentier et moins aux actionnaires du FESF. 

On comprend dès lors que le gouvernement allemand, qui envisage peut –être encore de faire payer une partie du prix de la crise par les rentiers à partir de 2013, soit aussi le premier à s’opposer au principe du rachat, à grande échelle, de dette souveraine à partir de fonds européens. On comprend à l’inverse que le système financier y soit favorable.

 

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8 juin 2010 2 08 /06 /juin /2010 18:25

 

Parmi les nombreuses propositions à effet de juguler les dangers d’une  dette publique jugée insupportable , on notera l’intéressant article signé de Rodolphe A Müller et Pierre- Alain Schied dans Le Monde  du 8 juin. Constatant une corrélation positive entre la quiétude des marchés et le pourcentage de la dette domestique dans la dette publique totale, les deux auteurs  en viennent à proposer un plan de compensation inter Etats et inter créanciers aboutissant à la renationalisation de la dette.

Aucun détail concernant la procédure suivie n’est indiqué. Simplement il s’agirait d’une gigantesque compensation. Et sans doute compensation elle-même fort complexe puisque les dettes publiques nombreuses , en théorie égales au nombre d’Etats, sont appropriées par des agents nationaux fort nombreux et fort divers : Banques centrales, banques nationales et étrangères, compagnies d’assurances, fonds de pension, ménages.

Plus complexe encore- à supposer qu’il existe un accord politique international regroupant un nombre significatif d’Etats concernés et volontaires-  serait le taux de change entre les dettes compensées. Problème qui reste entier dans une compensation  entre Etats n’appartenant pas à un même zone monétaire. Mais problème qui demeure même à l’intérieur d’une zone, les nouvelles créances ne jouissant plus des rendements antérieurs. A titre d’exemple les créanciers français de dette publique Grecque verraient s’affaisser, au terme de la compensation,   la rentabilité de leur investissement.

Mais il y a beaucoup plus grave. La compensation généralisée aboutirait à la mise sur le devant de la scène, et donc sa mise à l’index,  de l’Etat le plus internationalement endetté. Le processus envisagé de rapatriement  favorise peu les Etats dont l’endettement est  faible ou reposant sur une base domestique. Ainsi le Japon ,qui certes dispose d’un Etat  très endetté, serait peu favorisé par la procédure de rapatriement. Il n’y a quasiment rien à rapatrier et seulement 5,8% de la dette publique est détenue par des étrangers. A l’inverse des pays comme le Royaume-Uni ou la France disposant d’Etats très endettés auprès de créanciers étrangers, respectivement 68% et 66% du montant total de la dette publique, se verraient au terme de la compensation encore très endettés internationalement. Tous, ou presque, seraient « renationalisés » à l’exception de ceux qui font le plus problème. Sans doute  le raisonnement précédent doit- il être enrichi par l’introduction de la variable du solde des créances et des dettes du compte privé de chaque nation : les créanciers privés pouvant détenir plus d’actifs internationaux que leur Etat de rattachement n’encourt de passifs. Il existerait donc deux catégories de pays endettés au terme de la compensation des dettes publiques : ceux disposant d’un secteur privé créancier net, et ceux pour qui la mise à l’index de leur endettement public  se double  d’ un endettement privé. En clair un pays comme l’Espagne, qui cumule tous les handicaps,  n’aurait aucune raison de se plier au jeu du rapatriement des dettes publiques.

Il existe donc fort peu de chances de voir, selon le vœu de Müller et Schieb, le rapatriement des dettes des Etats  calmant le jeu des marchés, pour la simple raison que les Etats seraient forts peu enclins à participer à une telle compensation, mais aussi parce qu’elle désigne le lieu exact de l’embrasement de la future panique de ces mêmes marchés.

Mais l’intérêt du faux remède proposé est-il sans doute ailleurs : il révèle le malaise de la doctrine de la liberté du déplacement des capitaux.  Car ce qui est proposé est bien de mettre fin à la libre circulation du capital et donc réintroduire de substanciels éléments de  dé mondialisation dans les moteurs financiers et économiques.

 Aucun point du texte proposé n’aborde la question. Pour autant comment rapatrier la dette des Etats par le jeu d’une compensation sans en premier lieu interdire toute nouvelle extraversion au niveau des agences nationales chargées de la commercialisation des dettes publiques . Très simplement si l’Etat français devait se lancer dans ce processus de rapatriement, il est clair que l’agence France Trésor recevrait immédiatement l’ordre de ne vendre de la dette ( marché primaire) qu’à des agents nationaux. Tant il vrai qu’on ne peut remplir un seau tant qu’au préalable les trous  ne soient  rebouchés.

« Rapatrier la dette » est donc bien un terme qu’il faut comprendre  par une expression sans doute plus exacte : « nationaliser la dette ». Au travers d’une solution qui se présente comme simplement technique, Müller et Schieb ne soupçonnent ils que leur proposition est tout simplement révolutionnaire ? Ils proposent la renaissance des Etats, avec leur compétence monétaire et surtout leur pouvoir monétaire. La crise des années 2010 atteint maintenant sa phase de plein épanouissement avec la conjonction de sa dimension « crise financière » et de sa dimension « crise des Etats » . D’autres dimensions sont maintenant attendues : politique, sociale, etc. les idées finiront sans doute par suivre pour la mise en place d’un nouveau paradigme. Elles sont aujourd’hui à dénicher dans les interstices du discours dominant sur la crise. Celui de Müller et Schieb en est un bel exemple.

 

 

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