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12 novembre 2024 2 12 /11 /novembre /2024 08:32

Nous publions ci-dessous une vidéo consacrée à un entretien avec l'essayiste  David Baverez. Au delà des critiques de formes et probablement des remarques inappropriées de la part de l'organisatrice  de l'entretien, il nous faut retenir les idées originales suivantes:

- La volonté américaine de dominer la nouvelle révolution industrielle (IA+semi-conducteurs+ quantique) se matérialise par des investissements gigantesques et probablement irrattrapables par le reste du monde.

- La valorisation financière du secteur de la nouvelle révolution industrielle  américaine  représente plus que les  PIB additionnés de la France et de  l'Allemagne . Les moyens financiers accordés à ladite industrie mobilisent une épargne planétaire assurant un dollar élevé et une confiance dans un déficit public américain durablement colossal. La confiance dans la dette publique américaine s'enracine aussi  dans la nouvelle révolution industrielle.  Les gains de productivité de demain seront beaucoup plus élevés  aux USA que dans le reste du monde. Situation durable et facilement mesurable au vu des entreprises déposantes de brevets de recherche: entre 2005 et 2023 le décrochage de l'UE par rapport aux USA est spectculaire. La vidéo n'aborde pas cette question mais on sait aujourd'hui que les principales entreprises déposntes aux USA relèvent toutes du numérique et que celles de l'UE sont en dehors de ce champ dactivité. 

Voilà pour les USA.

- La Chine maintiendra sa spécialisation dans les industries classiques en restant leader  de la  modernisation  :  électricité entièrement renouvelable par couplage de l'éolien, du solaire et des batteries, automobile électrique, Machines,Chimie et pharmacies ancrées sur des coûts énergétiques très faibles. 

- La Chine  connaîtra beaucoup de difficultés à gérer son déclin démographique et sa situation de pays à revenus intermédiaires l'empêchera de passer aisément aux économies de services. La difficulté est renforcée par le couplage naturel des services et d'une démocratie refusée. 

- La crise immobilière chinoise engendre une longue déflation avec blocage de la consommation  et probable récession rendue invisible par des statistiques de croissance manipulées. 

- La démocratie refusée en Chine se paie par la rupture entre capital privé et parti communiste, par le recul de l'investissement privé, par le maintien de subventions autorisant et oxygénant encore une industrie classique devenue trop importante. La crise de surproduction est probablement durable..

Voilà pour la Chine.

- La Chine tentera de faire payer sa déflation, non pas  à une Amérique qui se protège mais à l'Union Européenne. Ses surplus subventionnés devraient se déverser sur tous les pays européens. Une façon de sauver ce qui reste d'industries en Europe passe par le rétablissement des frontières avec la Chine et la taxation de toutes les importations.  La question du Carbone entre la Chine et l'Europe peut devenir centrale.

- En attendant, les forces centripêtes jouant en Europe seront difficilement contenues. Pour des raisons de calendrier l'entretien n'évoque pas centralement la question des droits de douanes européens sur les voitures électriques chinoises. Depuis, l'Allemagne a voté contre les droits et s'est trouvée remerciée par un déplacement de projet (usine Stellantis/Leapmotor) depuis la Pologne (qui a voté pour les droits) vers l'Allemagne. Beau geste de docilité,de la part du secteur privé,chinois, et pied de nez de la part d'une Allemagne qui se comporte en passager clandestin de l'UE.

Il y a sans doute beaucoup de points à éclaircir, voire des erreurs dans cet entretien. En particulier la coupure privé/public en Chine nous semble exagérée. Le capital privé cherche effectivement à échapper au totalitarisme en rusant sur des implantations nouvelles censées contourner la rupture aves les USA. Toutefois il reste complètement tenu par le contrôle des changes et obéira scrupuleusement aux injonctions du pouvoir. Ce qu'il vient de faire en remerciant l'amabilité  de l'Allemagne  dans l'affaire des droits de doaunes. Le capital privé chinois obéira à son marionnetiste public et  cherchera à développer les conflits à l'intérieur de l'UE. On notera aussi le relatif oubli des pays du sud qui seront handicapés par une épargne mondiale se dirigeant vers les USA et les,avantages,disparus d'un taux de salaire bas devenus largment inutile face aux aux installations industrielles imprégnées de robotique. L'industrialisation du sud ne sera pas aisée.

Nous recommandons toutefois une écoute qui permet aussi de voir le conflit en Ukraine sous un angle nouveau.  

Bonne réflexion. 

                                                                 Jean Claude Werrebrouck

 

 

 

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8 novembre 2024 5 08 /11 /novembre /2024 15:26

 Nous reproduisons ci-dessous un article publié le 7 mars dernier sur le blog. Au regard de l'élection américaine Il n'a pas perdu de son actualité. Bonne lecture.

La présente note n’aborde que la question de la réalisation matérielle d’une économie de guerre et laisse de côté les questions et décisions géopolitiques qui y mèneraient. Plus précisément encore,  elle s’intéresse strictement à la question du financement.

D’abord un peu d’histoire.

1 - On sait aujourd’hui que la monnaie métallique s’est progressivement imposée lors de la constitution des Etats premiers voici plusieurs milliers d’années. La monnaie est choisie par le pouvoir en formation et se trouve être moyen de paiement des services de guerriers et en même temps, moyen de règlement des premières ponctions fiscales sur les « sujets » du pouvoir, sujets qui deviennent des « endettés ». Ce choix se fait compte tenu des choix des autres Etats en formation. L’or monétaire -  fait politique naissant au terme d’un processus d’essais et d’erreurs-  est historiquement apparu comme moyen ultime de la liquidité et de règlement des dettes.

2 - Quelques milliers d’années plus tard, lors de la première guerre mondiale, le même phénomène va se reproduire non plus avec du métal mais avec du papier. Tout d’abord il faudra faire disparaître le métal en déclarant l’inconvertibilité des billets et donc le cours forcé. Cela sera fait en France dès le lendemain de la déclaration de guerre par la loi du 5 août 1914 qui va introduire le cours forcé des billets et la faculté d’émission de monnaie par la Banque de France, laquelle connait un quasi doublement (passage de 6,8 à 12 milliards de francs). La différence avec la situation créée par la naissance des premiers Etats est de taille : ces derniers furent prisonniers de la rareté de métal (les mines d’or sont naturellement limitées) alors que les Etats désormais solidement implantés peuvent – sans doute après beaucoup d’erreurs au cours des siècles précédents - se permettre une émission potentiellement illimitée de monnaie. A la création de l’illimitation monétaire pourra correspondre un projet d’illimitation de l’industrie et potentiellement illimitation de la guerre elle-même.

 Concrètement dès le mois de septembre 1914, il faudra mobiliser les épouses des soldats et les inviter à produire du matériel de guerre, dans des usines reconverties, et ce au service du front. Le matériel de guerre produit n’est pas une marchandise et se trouve payé par un Etat disposant de moyens monétaires illimités. Economiquement, l’offre globale diminue (les usines fabriquent moins de biens marchands) tandis que la demande globale ne faiblit pas : les revenus, notamment ceux des femmes travaillant dans les usines affectées à la guerre, sont toujours dépensés. Il en résulte logiquement une inflation que l’on essaiera, difficilement, de limiter avec des prélèvements sous forme d’emprunts, notamment emprunts perpétuels assortis de taux d’intérêt incapables de compenser la hausse des prix.

3 -  Aujourd’hui nous sommes dans une situation assez proche de celle des premiers Etats dont les efforts de guerre étaient aussi limités par la rareté du métal précieux. On ne peut passer concrètement à une économie de guerre car nous restons convaincus que nous n’en avons pas les moyens. De ce point de vue les hésitations  du Président de la République française face aux achats sur étagères de stocks d’obus répartis chez des Etats potentiellement vendeurs est intéressant : on est prêt à faire la guerre mais l’argent manque.

La Russie peut encore penser qu’elle est moins limitée en raison de sa maîtrise de  l’équivalent des mines d’or des premiers Etats , à savoir ses immenses ressources minières. Son passage en économie de guerre peut donc comme en 1914 en France correspondre à une diminution de l’offre globale. Mais  le marché national peut encore se nourrir, au moins partiellement,  d’une offre étrangère correspondant à une importation (augmentation de 20% des importations entre 2019 et 2023). D’où probablement une inflation plus faible que celle de 1914/1918 en France.  Avec toutefois des limites : la Russie peut-elle accumuler des roupies indiennes illiquides contre du pétrole ?

Illimitation monétaire pour une Europe en guerre ?

Tel n’est pas le cas pour une Europe sans véritable budget central, ses composantes, et en particulier la France, qui en raison de son arrangement institutionnel ne peut se permettre de retrouver la disponibilité illimitée de moyens monétaires pour produire du matériel militaire. Les budgets publics sont déjà très déséquilibrés et il est institutionnellement impossible de ne point en tenir compte. L’euro reste la muselière commune des Etats et la France - prête selon son président à se mobiliser bien davantage-  risque de voir sa note dégradée si son déficit public devait encore s’accroître pour actionner les usines de guerre. Et il est vrai que son déficit budgétaire exprimé en pourcentage du PIB  risque en 2024 d’être de loin le plus élevé de toute l’Union européenne. Encore grand pays sur le plan militaire, son talon d’Achille reste une finance extraordinairement dégradée.

Fort de ces considérations, quelles sont les stratégies possibles pour construire - face à l’éloignement américain et si telle était la volonté européenne -  une économie de guerre propre à contenir la poussée militaire russe ?

1 -  La première est celle suggérée précédemment, chaque pays tentant de se convertir en économie de guerre. Au-delà d’un accord de coopération très difficile à tenir, nous risquons des disparités gigantesques entre Etats, et seule l’Allemagne, en raison de sa situation toujours très excédentaire, pourrait se risquer à passer en économie de guerre avec un financement très élevé d’entreprises en reconversion vers la fabrication de matériel militaire. Les Etats financièrement très affaissés seraient bien incapables d’alourdir le poids de la dette. Un tel schéma entrainerait d’autres difficultés puisque les facilités de l’achat de matériel américain l’emporteraient sur les coûts de mise en place de la reconversion et de la mobilisation d’un personnel trop rare ( aujourd’hui 68% des achats européens se font déjà au profit d’entreprises d’armement américain). Au-delà l’Allemagne, jusqu’ici très tournée vers la Russie, apparaitrait comme la grande coupable d’un éventuel « containment »  de l’aventure russe.

2 -  La seconde serait  celle de se concentrer sur un achat commun de matériel américain sur la base d’un emprunt européen. Les capacités techniques en la matière sont considérables et permettraient de mobiliser d’énormes moyens militaires. Compte tenu de ce qui reste d’excédents de l’Union Européenne, il serait  encore possible d’emprunter plusieurs milliers de milliards d’euros, permettant de financer annuellement de l’ordre de 300 milliards d’euros de matériel de guerre supplémentaire. Compte tenu des dépenses militaires additionnées des divers pays de l’UE ( plus de 300 milliards d’euros) cela signifierait que le total des dépenses militaires européennes (300 +300= 600) commencerait à se rapprocher de celui des USA ( 886 milliards de dollars).  Cela signifie par conséquent un alignement, à terme, de moyens matériels sur le front ukrainien devant - compte tenu de la supériorité technologique du matériel occidental - faire réfléchir les autorités russes devenues incapables de contenir la puissance occidentale (Les dépenses annuelles deviendraient 5 fois supérieures à celle de la Russie).

Cette solution n’est toutefois pas facilement envisageable et un problème de remboursement de l’emprunt se pose. Si la règle de répartition des charges est celle des PIB, cela signifierait que le poids du service de la dette reposerait essentiellement sur l’Allemagne (probablement plus de 25% du total du service de la dette). De quoi reposer la question de l’Euro, celui des « pays sérieux », sanctionnés, et du « club med » avantagés. De quoi revenir aux années 2010. De quoi, au regard de l’ennemi, mettre en avant une Allemagne devenue ultime responsable d’un éventuel échec russe.

3 -  La troisième, qui ne serait qu’une variation de la seconde consisterait à ne pas glaner le matériel sur les étagères américaines et à se concentrer sur une authentique reconversion des usines européennes. Là encore le choix n’est pas simple et le déséquilibre entre la France et l’Allemagne serait mal vécu : pourquoi l’Allemagne ferait davantage survivre l’économie de guerre française et inversement, pourquoi la France serait moins généreuse vis-à-vis de l’économie de guerre allemande ? De quoi réanimer les vieilles querelles sur les chars, les sous-marins,  et les avions. Ajoutons que le NATO financé à 75% par les USA risquerait lui-aussi de poser quelque problème.

4 -  La quatrième solution serait celle de se débarrasser de l’arrangement institutionnel européen, à savoir mette l’euro hors du circuit de l’économie de guerre et mettre en place une monnaie numérique de banque centrale. Chaque pays serait libre d’imposer à la BCE l’émission monétaire le concernant au titre de sa propre mise en place de son économie de guerre. De quoi retrouver l’illimitation monétaire de 1914. De quoi aussi retrouver le circuit classique du Trésor puisqu’au final la totalité de la monnaie digitale se retrouve au bilan de la banque centrale. Le bilan de la banque centrale se trouve alourdi des dépenses au titre du passage à l’économie de guerre consenti par chaque pays. Bien évidemment, des déséquilibres vont se manifester entre offre globale et demande globale pour chaque pays. Plus un pays se lance dans son économie de guerre et plus le risque inflationniste est élevé. En effet, concrètement des revenus importants seront distribués si les journées de travail s’allongent, si un système de 3X8 se met en place, si des tensions se manifestent sur les intrants, etc. Sans compter, tous les effets de redistribution entre toutes les branches d’activité, effets provoqués par l’impact inflationniste. Le passage à une économie de guerre est donc nécessairement coûteux comme il l’était durant le premier conflit mondial.

Un tel système n’est évidemment pas sans inconvénient car il peut donner lieu à des comportements de passager clandestin et inviter les pays à distraire leur monnaie digitale allouée par la banque centrale vers d’autres objectifs en contravention avec, par exemple, les règles du marché unique. De ce point de vue, l’avantage de la monnaie digitale est sa traçabilité et donc la facilité du contrôle du respect des règles du jeu.

Une autre difficulté est évidemment celle des importations d’intrants voire de matériels complets. Soit les entreprises étrangères acceptent un compte en monnaie digitale, soit il faut  accepter la conversion en devises.

Il existe peut-être d’autres stratégies que celles susvisées. Toutefois il nous semble qu’au vu des contraintes d’un euro devenu, hélas, intouchable en raison du climat géopolitique présent, la stratégie de l’adoption d’une monnaie digitale de banque centrale domine les 3 autres.

Finalement, dans le brouillard géopolitique actuel, notons l’apparition d’une certaine ruse de la raison. C’est l’euro qui empêche la construction d’une économie de guerre, mais en même temps c’est ce même euro qui introduirait potentiellement son propre dépassement : la monnaie digitale de banque centrale, une monnaie tant vantée par les dirigeants de la BCE, risquerait  d’introduire à terme le temps de l’après euro.

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6 novembre 2024 3 06 /11 /novembre /2024 10:25

 

Peu de personnes connaissent, encore aujourd’hui, la nature de la monnaie et  encore moins les mécanismes de sa création. Les manuels d’économie expliquent sans doute que les crédits font les dépôts et qu’à ce titre les banques sont les grandes responsables de l’engendrement de la masse monétaire, mais en général ils ne vont guère plus loin. On pourrait pourtant se poser plus fondamentalement la question de la cause et de ses effets. Ainsi est-ce l’échange qui donne naissance au besoin de monnaie ou bien est-ce le besoin de monnaie qui crée l’échange ? Plus clairement est-ce la société marchande qui a engendré la forme monétaire ou est-ce la forme monétaire qui a engendré la société marchande ? De la même façon qu’on ne peut comprendre le monde physique qu’en identifiant clairement la chaîne de ses causes, on ne peut comprendre le monde humain, même celui d’aujourd’hui, sans en connaître son parcours depuis sa naissance. Et quand nous disons :  parcours, il ne s’agit pas de son histoire, mais de  sa logique de fonctionnement.

Un big bang monétaire éloigné de la circulation marchande[1].

Pendant un très grand nombre de dizaines de milliers d’années, l’ordre humain a reposé sur un fondement extra-humain qu’on ne peut qualifier d’ordre politique. Les grands défis de la vie : manger, se reproduire et se coordonner dépendaient d’un extérieur invisible, une structuration religieuse faisant de la vie une dette envers cet extérieur. L’ordre humain est devenu politique lorsque cet extérieur fut de plus en plus monopolisé par des humains devenant des relais intérieurs de l’extérieur. Cette politisation de l’ordre humain s’est déroulée, ici et là, il y a quelque 5000 ans, soit très récemment dans l’histoire de l’humanité. La dette de vie devient une dette entre les humains eux-mêmes et devient ce que l’on appellera un impôt. Dans ce contexte, le pouvoir qui devient un pouvoir humain choisit la forme du règlement de la dette de ceux qui deviennent des sujets. Cette forme sera le plus souvent du métal précieux apparaissant du point de vue du pouvoir comme la ressource politique la plus liquide, mais aussi la plus stockable, celle qui garantit sa domination. On comprend ainsi que ce qu’on appellera plus tard la monnaie ne s’identifie pas comme instrument de facilitation des échanges marchands à l’intérieur d’un monde qui devient économique. Ce qu’on appellera monnaie n’est qu’un simple instrument de domination politique, d’où les grandes batailles pour contrôler les mines de métal. La nature cachée de ce qui deviendra monnaie est ainsi rigide et complétement verticale.

Si le modèle de coordination des sujets reste sous l’emprise du vertical, les choses peuvent ne pas changer pendant des millénaires : le pouvoir contrôle le métal précieux, l’utilise en paiements des services que certains lui procurent ou exigent de lui et en voit le retour par la pression fiscale. Soit un cercle dont on voit un sommet moteur et une base induite. Toutefois les choses peuvent changer et se déformer.

La monnaie de la « société en forme de poire » et celle de la « société en forme de crêpe ».

Si maintenant la base prend de l’épaisseur et que des relations simplement contractuelles se développent, le cercle se déforme et des relations horizontales s’élargissent. On voit ainsi apparaître des échanges utilisant l’instrument politique monnaie, un instrument qui devient outil de l’échange marchand et instrument circulant  horizontalement dans l’espace correspondant. L’instrument politique de la verticalité devient instrument économique de l’horizontalité. Verticalité politique et horizontalité marchande utilisent le même outil. L’ordonnancement général de la société prend la forme d’une « poire » avec une monnaie politique verticale et une monnaie économique horizontale. Bien sûr, il s’agit de la même substance, le métal précieux en tant qu’objet le plus liquide et le plus stockable qui soit.

Sur plusieurs milliers d’années, la base de la poire va s’élargir car des mécanismes, non étudiés dans cette note, feront que l’existence collective passera moins par des principes transcendantaux et vont connaître une métamorphose progressive   accouchant au final de ce qui sera la nouvelle base fonctionnelle de la modernité, c’est-à-dire la liberté. Le résultat historiquement constaté est que l’extériorité qui structurait le monde des humains disparait et laisse émerger aujourd’hui - près de 5000 ans plus tard- un monde décomposé en « atomes de droits de l’homme », atomes appelés à se recomposer sur la base de la liberté contractuelle. Le résultat final est bien évidemment une société où le monde marchand est hégémonique. Les marchés s’étendent sans limite de profondeur, sans limite spatiale et sans limite temporelle. C’est dire en conséquence que la monnaie va tenir une place fondamentale, qu’elle cessera largement d’être regardée comme objet politique et que sa dimension économique sera hégémonique. Beaucoup plus récemment encore, l’euro apparaîtra comme instrument de disparition complète de la verticalité au profit de l’horizontalité : la forme de la société devient de plus en plus celle d’une crêpe. Non pas un disque qui suppose un centre spécifique mais une forme plate homogène et sans centre particulier.

Le faux combat entre les politiques et les marchands.

Bien avant l’euro, la monnaie est ainsi devenue instrument de circulation des marchandises, un instrument qui, lui-même, va se noyer dans la marchandise et devenir marchandise lui-même. Cet ancien outil du pouvoir va devenir outil d’une nouvelle profession, celle des marchands de monnaie. La verticalité politique est ainsi progressivement minée par l’horizontalité marchande : la verticalité se fracasse sur l’horizontalité. Une destruction qui sera progressive avec de nombreuses tentatives de résistance. Le politique devenu endetté - souvent pour des motifs de guerre - laissera se construire la toile des banques qui vont devenir créatrices de monnaies en utilisant de plus en plus sa forme simplement fiduciaire. La réaction du politique sera de construire lui-même des banques auxquelles seront accordées un monopole d’émission fiduciaire : les banques centrales naissent. Situation semblable à celle d’aujourd’hui où à priori les banques centrales veulent concurrencer les monnaies numériques privées en se réservant le droit de créer une monnaie digitale dite de banque centrale. Plus tard, les monnaies fiduciaires deviendront un monopole d’Etat et l’inconvertibilité des billets en métal sera au bout du chemin.

Le retour à la « société en forme de poire » ne sera pas durable et vers les années 1980, les banques centrales seront invitées à ne plus produire au profit des Etats et entreront au service de la seule horizontalité marchande : les banques centrales deviennent indépendantes. Désormais « la société en forme de crêpe » est garantie par les traités européens.

Il existe toutefois encore l’apparence d’un centre et la crêpe est encore un disque car il faut bien assurer la convertibilité de la monnaie bancaire hétérogène soumise aux risques de faillites de banques qui peuvent être victimes de fuites de monnaie vers d’autres banques plus réputées. D’où le rôle de régulation monétaire assuré par les banques centrales. L’apparition des nouvelles formes de monnaie complètement privées et complètement numériques risque de transformer ce qui est encore disque en crêpe. Nous sommes au bout de l’extension des droits de l’homme et les bitcoins se moquent de toute forme de centralité. Arrivés au bout du chemin Il existe un intérêt plus ou moins commun entre banques et Etats lesquels risquent un dépouillement monétaire complet.

Le périmètre minimal d’un accord politique.    

A l’échelle plurimillénaire on ne lit pas  très bien la chaîne des causes et il faut reconnaître que si le politique fut le premier décideur, la monnaie devait elle-même façonner le monde. Ainsi il est clair qu’aujourd’hui ses métamorphoses font le jeu de l’élargissement sans limite de l’économie. Certes, le matérialisme historique n’est pas satisfaisant, mais il n’est pas totalement faux. Si nous n’avons pas, dans cette courte note, analysé le mouvement de la société depuis un centre de gravité, plongé dans la transcendance vers un autre plongé dans l’illimitation des droits de l’homme et d’une réalité post politique, nous avons pu montrer les formes de sociétés associées aux formes d’utilisation de la monnaie : pyramide étroite, puis poire, puis disque, puis crêpe.

La nouvelle technologie monétaire, sa nouvelle forme fiduciaire, celle de sa numérisation, permet probablement un nouveau contrat de mariage entre le politique et le marchand. Ses anciennes formes sont en effet dépassées et la nouvelle monnaie numérique, de par son ADN technologique permet par un effort de centralisation de retrouver la loi des rendements continuellement croissants[2]. Modifier l’ADN de la monnaie c’est aujourd’hui lui restaurer sa dimension politique, exigée notamment pour ce que nous appelions  la reconstruction de la France[3]. Dans la forme pyramide, voire la forme poire, la création monétaire ne repose sur aucune dette et ne coûte rien. A l’inverse dans la forme disque ou crêpe, elle ne repose que sur de la dette et donc correspond à un coût. La croissance continue avec l’illimité de l’économique suppose une masse monétaire croissante qui ne correspond plus qu’à de la dette.  Plus trivialement expliqué, il faut passer de la forme crêpe, dépasser la forme disque et au moins retrouver la forme poire. Concrètement modifier l’ADN c’est au moins aller vers un scénario de négociation minimale, celui qui doit privilégier les intérêts contradictoires de l’Etat et du système bancaire. Si l’on reste dans la vision libérale du monde quel accord mutuellement avantageux est-il possible d’envisager ?

S’agissant de la France, il est impératif que ses entrepreneurs politiques au pouvoir retrouvent de l’Oxygène à peine de ruptures violentes. Il lui faut donc parvenir à imposer à la Banque de France un compte digital lui permettant de s’éloigner de l’ornière de la dette. S’agissant des banques, il faut leur trouver une garantie de non siphonnage de leur passif, mais aussi une disponibilité suffisante en dette publique et une rentabilité maintenue. L’accord potentiel doit aussi garantir le respect de tous les engagements au regard des tiers : entreprises, ménages, voire Shadow Banking. C’est dire aussi que la zone d’accord entre les deux protagonistes doit déboucher sur une création monétaire non inflationniste.

Architecture du scénario minimal.

-  Se mettre d’accord sur le volume de monnaie que les banques s’apprêtent à créer pour la période et décider d’un partage. Par exemple il serait décidé que, désormais, la moitié de la création proviendrait de l’abondement du compte du Trésor à la banque centrale. Une telle décision est sans doute difficile puisque cela revient à amputer les banques qui se nourrissent du monopole de la création monétaire. C’est la raison pour laquelle il faudra inventer une compensation à peine de rupture complète avec l’ordre européen et international.

- En toute logique le volume de monnaie numérique affecté sur le compte digital du Trésor correspond à de la dette publique nouvelle évitée - avec son coût correspondant c’est-à-dire les charges d’intérêt - ou/et une diminution de la pression fiscale.

- La monnaie digitale nouvelle, détenue par le Trésor, est mécaniquement transférée sur les comptes digitaux des ménages et des entreprises, au titre de la dépense publique. A déficit inchangé, Il en résulte une diminution des prélèvements fiscaux et de la dette publique nouvelle.

- Cette diminution se retrouve à l’euro près sur les comptes bancaires des entreprises et des ménages. Cela signifie que l’irruption de la monnaie digitale n’affecte en aucune façon le passif des bilans bancaires. En revanche, l’aisance plus grande de tous les agents favorise l’activité.

- La capacité de création monétaire n’est pas affectée puisque la liquidité des banques reste inchangée. Toutefois l’offre de titre par l’Agence France Trésor diminuant, une pression à la baisse s’exerce sur le taux de l’intérêt avec possible essaimage sur les dettes publiques étrangères, les banques se reportant sur des achats de dettes européennes ou extra européennes.

- En cas de résistance des banques face à une possible baisse de la rentabilité, des compensations peuvent être envisagées par modification des ratios prudentiels, par exemple ceux concernant l’évaluation des fonds propres, leur hauteur, ou la valeur des actifs (Bâle 3, FRTB[4], EDIS[5], etc.). Cela suppose une très grande compétence technique de la part des entrepreneurs politiques au pouvoir.[6]

- l’outil de gestion - du point de vue du Trésor - devient un choix face au déficit : on le réduit en minimisant la diminution des prélèvements fiscaux, ou on le maintient par transfert intégral de la monnaie digitale sur les comptes des agents.

Conclusion :

Le scénario proposé est le moins invasif sur l’ordre présent, ordre qui ne conçoit la hausse de la masse monétaire que par de la dette. Il le rogne certes puisque désormais se trouve organisé le retour d’un Etat souverain et donc - au moins très partiellement - un Etat qui redonne un caractère politique à la monnaie.

Il est urgent de profiter des études et débats qui ont lieu présentement au sein de la BCE et exiger que des représentants du gouvernement français puissent être invités à proposer des configurations susceptibles de rétablir un minimum de souveraineté. Le scenario ci-dessus proposé est souple, il invite à un repartage de la création monétaire et n’impose aucun monopole. Il met simplement fin à un abus historique trop complètement méconnu du grand public.

Un scénario de plus grande ampleur peut être envisagé et sera esquissé dans une note à venir.

                          


[1] Voir entre autres : http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/10/l-etat-britannique-va-t-il-abandonner-la-livre-sterling.html

[2] Voir : http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/10/scenarios-de-la-bataille-des-monnaies-numeriques-1.html

[3] Voir : http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/10/trancher-le-noeud-gordien-de-l-euro-pour-reconstruire-la-france.html

[4] Dispositif règlementaire européen appelé : « Fondamental Review Of The Trading Book ».

[5] Norme Européenne concernant la garantie des dépôts.

[6] Au-delà des arguments d’autorité peuvent être évoqués, ainsi celui de la lutte contre les trafics de drogue qui verrait son efficacité décupler par l’interdiction du cash classique.

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14 octobre 2024 1 14 /10 /octobre /2024 06:40

 La conflictualité qui est au cœur du modèle anthropologique français - modèle lui-même engendreur des Lumières et de ses principes : universalité, égalité, progrès- ne peut aisément optimiser sa régulation que par la maîtrise politique de la monnaie. Affirmation qu’il faut démontrer.

Concrètement, la concurrence au sein du bloc au pouvoir, qu’il soit de gauche ou de droite, débouche sur la multiplication incontrôlée de produits politiques nouveaux matérialisant la croissance continue d’un Etat-Providence. Simultanément la concurrence sur les marchés économiques interdit l’élargissement de cet Etat- providence. Le conflit majeur qui en résulte caractérisait le fonctionnement quotidien du capitalisme français depuis la fin de la seconde guerre mondiale et en assurait sa spécificité. D’une certaine façon un modèle de capitalisme parmi d’autres, Anglo- saxon, Rhénan, etc. Soulignons une fois de plus que ce type de modèle repose sur des valeurs anthropologiques fondamentales caractérisant la France depuis très longtemps.  

 Traditionnellement, le conflit -beaucoup plus important dans ce modèle que dans d’autres- fût historiquement bien résolu par la fin de la « loi  d’airain de la monnaie » (disparition de l’étalon-or), et la possibilité d’ assurer la maitrise monétaire par le politique. Régulièrement, les externalités provoquées par la concurrence sur les marchés politiques - la multitude infinie des produits politiques - se trouvaient effaçables par la dévaluation.

Une autre façon de soulager le fonctionnement des marchés économiques pouvait être les aides publiques aux entreprises. D’où cette curieuse architecture de l’Etat- Providence à la française où les financeurs (les entreprises) sont eux-mêmes financés. D’où cette critique brutale du monde libertarien vis-à-vis du capitalisme français et de la société correspondante : « un monde où tout le monde peut voler tout le monde ».

Singulièrement,  ce mode de résolution du conflit ne prive pas d’oxygène le monde économique : la compétitivité est maintenue et la croissance bénéficie de l’ouverture des marchés mondiaux. Clairement, le régime de la dévaluation répétée est une garantie de demande globale continuellement croissante qui autorise les investissements, la modernisation et donc la croissance. Cela s’appelait aussi les « trente glorieuses »… beaucoup plus puissantes en France que partout ailleurs.

L’irruption de la monnaie unique met fin au mode de fonctionnement du capitalisme français et va venir troubler le fonctionnement de la société correspondante. Désormais, il n’est plus possible de dévaluer et le conflit doit être rigoureusement internalisé, concrètement  payé par les divers acteurs… ou recourir à l’endettement. Les solutions du bloc au pouvoir sont politiquement complexes : recul des dépenses régaliennes, y compris les dépenses militaires et les aides à l’étranger, recul du périmètre des services publics (aspect quantitatif) ou  dégradation qualitative des dits services. Ces différents reculs doivent être compensés par des gains de productivité peu aisés à se manifester dans les activités de services,  elles-mêmes embouteillées par la multiplication et empilements des marchés politiques. Un autre type de recul doit se manifester : celui du coût du travail, avec ses diverses modalités comme la  baisse de sa protection ( indemnités de chômage), ou l’augmentation de sa durée (temps de travail et temps de vie active).

Très curieusement,  la traditionnelle aide aux entreprises ne peut guère diminuer, ces dernières étant les premières confrontées à un taux de change non manipulable. D’où ce travail de gribouille du bloc au pouvoir qui doit activement dégrader les services publics tout en augmentant l’aide aux entreprises. Travail de gribouille spectaculairement visible dans les comptes depuis 10 ans au moins.  En démocratie le résultat global ne peut être que mitigé et l’internalisation de la conflictualité ne peut être que difficile. Ces difficultés s’accroissent avec l’irruption de ruptures anthropologiques nouvelles et le passage de la lutte de classes aux luttes identitaires, l’ apparition de l’individu désirant au détriment  du citoyen, la prise de conscience des dégâts environnementaux, les nouvelles ruptures géopolitiques, etc... D’où l’impression de vivre sur un volcan et le risque d’un dépassement possible de la démocratie.

Cependant,  la difficile internalisation de la conflictualité à la française trouve encore une issue de secours avec la dette publique croissante. Cette dette publique croissante correspond bien à la résistance de la valeur égalité que les machés politiques doivent accepter par le développement sans limite de l’Etat social qui devient un Etat Providence pour tous. Cette dette publique croissante va  dans certaines limites retarder la fin de la croissance. Logiquement l’irruption de la monnaie unique bloque le développement de la demande globale et l’impossibilité de restaurer une compétitivité par dévaluation invite aux délocalisations : tout devient trop cher, que ce soit la charge des prélèvements publics, les taux de salaires ou le coût des exportations alourdies par un taux de change irréaliste. La résultante est un affaissement de la croissance et un tassement des ressources fiscales : on cesse progressivement de produire en France, l’assiette fiscale diminue et la demande globale stagne.

 

Le processus peut être cumulatif  jusqu’à épuisement et c’est bien ce qui se passe pour les années 2023 et 2024. Parce que la production stagne, la consommation comme l’investissement se trouvent bloqués. En sorte  que seule la dépense gouvernementale couverte par de la dette sera responsable d’une croissance de demande globale… assurant moins de 1% de croissance. Dans le même temps les rentrées fiscales sont bloquées. Il en résulte une dérive de la dette et seule la dette en 2023 comme en 2024 assure un minimum de croissance…purement comptable…. D’où l’étonnement : seul un accroissement de 100 milliards de la dette publique pour une croissance inférieure à 1% ! 3 euros d’endettement supplémentaire pour produire 1 euro de richesse produite, disions nous dans une note précédente: du jamais vu dans l’histoire. Avec un bloc au pouvoir qui ne prend pas conscience des limites atteintes et construit un budget 2024 comportant une estimation de déficit de 4,4 points de PIB pour  une dérive concrète à plus de 6 points. Du jamais vu dans l’histoire.

Arrivé aux limites, le fonctionnement récent des marchés politiques aboutit encore avec une belle inconscience à la continuation de l’impasse radicale. Comment oser diminuer la dépense publique sans se rendre compte qu’il y aurait immédiatement récession ? Comment oser alourdir la fiscalité sans immédiatement provoquer l’exode des capitaux et des patrimoines, voire le recul des IDE ? Comment oser ne rien faire sans provoquer une attaque sur le spread de taux ?

Face à un tel blocage la solution proposée est celle du contournement : une monnaie parallèle, quasiment  introduite par effraction. Puisque les marchés politiques sont incapables de saisir la violence réelle de l’euro, puisque ce dernier reste un objet tabou, il faut prendre le risque de le contourner et profiter du projet d’euro numérique de banque centrale pour organiser une nouvelle régulation à partir de ce qu’on a appelé un trou de souris[1].

Le trou de souris semble d’ailleurs lui-même devenir une réelle opportunité tant les chantiers de monnaie numérique de banques centrales semblent partir dans tous les sens… voire même les plus inattendus… Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, le Trésor britannique ne semble pas attendre les travaux de sa banque centrale et propose de se lancer par le biais de son agence le « Debt Management Office » ( l’équivalent de notre Agence France Trésor) dans la vente de dette publique par achats de monnaie numérique (probablement le Bitcoin) sur la blockchain. De quoi, pour un Trésor public, s’ouvrir un compte numérique de monnaie privée afin d’effectuer des dépenses publiques dans ladite monnaie….

Certes il faut gérer les urgences, mais il est grand temps de passer à autre chose.

(A suivre)

 

                                                                               Jean Claude Werrebrouck

 

                                                                                               

 

 

[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/10/trancher-le-noeud-gordien-de-l-euro-pour-reconstruire-la-france.html

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5 octobre 2024 6 05 /10 /octobre /2024 08:34

Il ne s’agit pas comme le veut la légende de se rendre maître de l’Asie, il s’agit simplement pour la France, mais aussi pour d’autres pays, de se libérer de la situation tragique dans laquelle elle se trouve. Inutile ici de rappeler que notre très faible croissance est improductivement suralimentée par une gigantesque béquille budgétaire brûlant 100 milliards de dettes supplémentaires tous les ans. Concrètement, il faut s’endetter de 3 euros pour enfanter une production matérielle de 1 euro, situation probablement jamais rencontrée dans l’Histoire.

Le présent texte cherche à proposer un chemin permettant de ne plus subir la force dévastatrice de l’objet « monnaie unique » tout en le respectant. Nous ne revenons pas sur sa force dévastatrice essentiellement concentrée sur un taux de change non maitrisé, non maitrisable, et complètement irréaliste. On sait que la surévaluation de la monnaie unique au regard de l’économie française entraîne une insupportable attrition de cette dernière, un phénomène qui devrait être compensé par des transferts issus de l’extérieur mais transferts totalement interdits et totalement irréalistes.

Pourquoi des transferts de ressources ?

Comprenons bien cette logique de transfert. Lorsque, dans un Etat Nation, un déséquilibre entre régions se manifeste, il n’est guère pensable que la région déficitaire se réanime par une dévaluation autorisant une meilleure compétitivité et le rétablissement d’un équilibre. Cette impossibilité résulte du fait que dans un Etat-Nation classique existe une seule et même monnaie. Le rééquilibrage passe donc tout simplement par un transfert de ressources organisé centralement.  Par exemple, la fermeture des houillères en France a entrainé des difficultés pour les régions correspondantes, difficultés au moins partiellement compensées par l’Etat central qui va créer un « Fonds d’Industrialisation du Bassin Minier » assurant des transferts de ressources.

Des transferts impensables à l’intérieur de la zone euro.

Cette logique fort simple et fort classique est impensable entre pays de la zone euro. Si la France a accepté un taux irréaliste en abandonnant le Franc, elle s’est créée un déséquilibre potentiel qui ne pouvait plus être compensé par une dévaluation ultérieure.  Désormais, un transfert est impensable et on ne voit pas pourquoi l’Allemagne financerait la France. La seule solution est donc la dévaluation interne et donc faire pression sur les coûts, en particulier exiger les sempiternelles réformes structurelles. La non réussite de ces réformes - difficultés à faire baisser la pression fiscale, difficultés à baisser le coût du travail, difficultés à réduire l’éventail des services publics et de l’Etat-Providence,  se paie d’un déficit budgétaire, se répétant, et engendrant un déficit incontrôlable….A moins d’abandonner l’euro et de procéder à une massive dévaluation permettant le rééquilibrage.

Il est interdit d’en parler…ni même d’y penser.

On sait tous qu’il faudrait retrouver quelque chose comme une monnaie nationale permettant de retrouver la maîtrise d’un taux de change, éventuellement à l’intérieur du cadre d’une monnaie commune. On sait aussi que plus aucune entreprise politique ne propose de sortir de la contrainte de l’euro. La monnaie unique a cessé d’être un enjeu politique depuis très longtemps et donc il est inutile de continuer à répéter qu’il faut en sortir. Le choix de la servitude volontaire est inconscient et admis par l’immense majorité des acteurs. Sa réalité est sublimée dans les sempiternelles réformes structurelles, faces cachées de la dévaluation interne remplaçant la nécessaire et impossible dévaluation externe. Le prix du refus collectif de la dévaluation interne se lit dans ce qui est devenu l’invraisemblable déficit budgétaire d’aujourd’hui.

Comment s’en sortir ?

Bien sûr, le présent texte ne cherche évidemment pas à justifier l’euro. Il ne cherche pas non plus à le vilipender une fois de plus. A l’inverse, il tente d’imaginer une solution de contournement et de déraillement progressif permettant de sortir d’une impasse historique majeure. Et si possible le contournement doit se faire de façon souple, coordonnée et consensuelle. Il n’est pas raisonnable d’ajouter un désordre supplémentaire à un monde déjà fort troublé et fort dangereux.

  Couper le nœud gordien est ici plus simplement entrer en dissidence masquée avec les règles du jeu de la finance - règles sacralisées dans les Traités européens - et de rétablir l’autorité de l’Etat. On trouvera dans le présent texte les propositions pratiques autorisant la fin d’une servitude volontaire…. et le départ d’une  « politique de l’offre » qui va au-delà du simple discours. Ces propositions s’énoncent en quelques points, parfois un peu techniques, mais nécessaires pour en assurer la complète compréhension.

Un long chemin difficile mais qui n’est pas  « chemin de croix ».

1 - Passer par un « trou de souris » et profiter des travaux actuels de modélisation de l’euro numérique de banque centrale (MDBC) pour accélérer sa mise en place expérimentale au sein de la banque de France.

2 - Ouvrir rapidement des comptes numériques au passif de la banque au profit de tous les agents : ménages, entreprises, institutions financières, administrations privées, Etat.

3 - Le compte numérique de chaque agent devient un actif librement utilisable au titre des règlements, économiques et financiers. Les agents qui disposent déjà d’un compte classique à la banque centrale (Trésor et banques) en détiennent désormais un second désigné « compte digital ».

4 - La banque de France est chargée de la circulation de la valeur digitale exactement comme RTE est chargé de la circulation de l’électricité. Toute circulation de la valeur digitale entre les agents passe par des opérations de débit et de crédit laissant inchangé le total du passif de la Banque centrale.

 

5 - La banque centrale devient, dans ces conditions, un monopole naturel assurant la garantie des opérations et le respect complet des droits de propriété. Les situations de « bank-run » deviennent impossibles et le compte numérique n’est pas juridiquement une dette de la banque envers son titulaire. Parallèllement, la confidentialité des opérations doit être juridiquement garantie. 

6 - La Banque centrale est créatrice de monnaie digitale selon des règles et quantités politiquement définies et autorisées. Constitutionnellement, l’instance politique est chargée de maintenir la valeur de la monnaie. A ce titre le montant de création monétaire digitale suit logiquement la variation du PIB. Un gonflement du total du bilan non décidé par le pouvoir politique devient impossible. Il en résulte un frein à l’inflation des actifs financiers et immobiliers avec leurs effets nocifs sur la structure et la répartition des patrimoines entre les agents.

7 - L’Etat créateur de monnaie peut aussi, dans le respect strict de l’objectif de stabilité des prix, décider de la répartition de la création monétaire digitale entre les agents : subvention, baisse d’impôt, aide à l’investissement, etc. Cette répartition est le fait de la banque centrale soumise aux ordres de l’Etat. La banque crédite les comptes numériques des agents visés.

8 - La monnaie digitale n’est pas directement convertible en monnaie classique et réciproquement la monnaie classique n’est pas directement convertible en monnaie digitale. Cette inconvertibilité ne donne lieu à aucune spéculation type loi de Gresham puisque les deux monnaies disposent strictement des mêmes caractéristiques et des mêmes utilités.

9 - L’inconvertibilité ne signifie pas un impossible pont de communication et par exemple l’achat d’un titre de la dette publique en monnaie digitale suivie d’une revente en monnaie classique est évidemment possible : la monnaie digitale reste l’euro avec toutes ses caractéristiques.

10 - Le système bancaire classique demeure – au moins temporairement- ce qu’il est en tant que créateur de monnaie classique : renoncement à l’idée de monnaie pleine, report  des délais d’application des nouvelles régulations (FRTB, « output floor »), etc. L’émission monétaire totale est donc l’addition de celle des banques et de celle de la Banque centrale, cette dernière étant elle-même créatrice des 2 monnaies.

11 - Le double compte du Trésor mérite une attention particulière. Son compte classique fonctionne selon la règle traditionnelle : il est le lieu de l’enregistrement des dépenses et recettes fixées dans le cadre de la loi de finance. Son compte digital suppose au moins à terme un appui sur une loi de finance digitale. Bien évidemment s’imposera ultérieurement une loi de finance consolidée, et ce dans la mesure où la monnaie digitale renforcera la puissance de l’Etat, un Etat désormais armé pour lutter contre les effets pervers de l’Euro.

12 - La création monétaire au profit du Trésor vient alléger le poids de la dette publique de marché. On pourrait sans doute aller plus loin et supprimer la totalité du marché de la dette publique mais ici la rupture avec l’orthodoxie serait trop grande et la finance serait totalement déstabilisée. On peut donc se contenter d’une création de monnaie digitale dont le flux viendrait alléger le mur de la dette. De quoi restreindre progressivement le champ d’activité de l’Agence France Trésor (AFT) face à ses « primary dealers » qui, en France, sont les «Spécialistes en Valeurs du Trésor » (SVT).

13 - Désormais existeraient 2 sources au flux d’achats de bons du Trésor : les achats traditionnels par les « Spécialistes en Valeurs du Trésor» ( eux-mêmes pouvant mobiliser leur avoir en monnaie digitale) et plus strictement les achats sur seule monnaie digitale ( entreprises, ménages).

14 - La baisse de pression sur le déficit public connait plusieurs causes : recours affaibli aux SVT, création monétaire digitale au profit des agents (entreprises, banques, ménages). Il devrait en résulter une baisse des taux sans doute contrariée par des opérations de « Carry Trade » qu’il faudrait juguler. Ce qui suppose à terme une régulation restrictive sur les « paris » sur fluctuations de prix.

15 - L’opération monnaie digitale est probablement indolore pour le système financier : il est pleinement associé à l’émission de monnaie digitale et la dette publique, qui est sa matière première de base, ne disparait pas. La spéculation reste assise sur une grande disponibilité de « collatéral » en titres publics.

16 - De fait, la monnaie digitale est d’abord conçue pour suppléer au nécessaire transfert entre pays excédentaires et pays déficitaires et transfert rendu tout aussi bien indispensable (taux de change inadapté) qu’interdit par l’architecture de l’euro zone. Ce faux transfert de « réparation » ou de « compensation » doit être imaginé pour rétablir la compétitivité et donc rétablir l’équilibre de la balance extérieure. Ce transfert nécessaire - pourtant impossible- représente probablement plus de 10 points de PIB, ce qui donne une première idée du périmètre de la monnaie digitale à créer. Bien évidemment la restauration de la compétitivité pourra mettre fin – mais à terme- à la nécessaire monnaie digitale correspondante. A pleine puissance, ce transfert de réparation devrait dépasser le seuil de 300 milliards d’euros de monnaie digitale.

17 - La monnaie digitale est aussi conçue pour réparer un environnement qui ne peut être financé par un endettement porteur d’un intérêt. Classiquement, l’intérêt n’est pensable que parce que l’actif mobilisé est porteur de richesse (investissement en machines et équipements divers), ce qui n’est pas le cas de l’environnement en général. La monnaie digitale est donc aussi la possibilité de créer un financement sans dette. La création de monnaie digitale correspond donc aussi aux lourds travaux de réparation de l’environnement. Le même raisonnement peut être invoqué à propos du financement de la guerre.

18 - L’émission de monnaie digitale passe par une phase expérimentale visant à ne pas brutaliser les « faucons » de l’organisation de Bruxelles : « minage » (au sens du bitcoin) par la banque de France, porte-monnaie électronique distribué à tous les agents et pour un même montant (ménages, institutions financières, entreprises administrations privées, Trésor) sur la base de 100 euros, comptabilité hors-bilan. Le « minage » est établi dans un cadre temporel : 3 mois ? 6 mois ? 1 an ? Vu le nombre total d’agents (environ 30 millions de comptes) cela correspond à une création expérimentale sans dette de 3 milliards d’euros (A comparer avec une masse monétaire actuelle de 3500 milliards d’euros laquelle est contrepartie d’une dette ).

19 - La phase d’expérimentation est suivie dans ses effets : modes de circulation des 100 euros, lieux de concentration/accumulation, élasticité fiscale de la dépense, etc.

20 - Une montée en puissance peut-elle passer par un transfert du « minage » sur le seul Trésor ? Un tel choix, géopolitiquement plus difficile, est techniquement facilité par la puissante et très efficace infrastructure numérique des services fiscaux. Elle est également facilitée par l’utilisation d’une application devenant porte-monnaie sur téléphones portables. Le passage éventuel de l’émission de la banque centrale vers le Trésor change l’architecture générale telle que présentée dans les 7 premiers points de la présente note, mais ne change en aucune façon le résultat. On peut même penser que l’actuel et très officiel travail de réflexion sur un modèle de monnaie digitale de banque centrale (MDBC) devrait associer les services de la banque de France et ceux des services fiscaux.

 21 - A échéance sans doute plus lointaine, la très probable concentration du stock de monnaie digitale sur les entreprises, ouvre des pistes de transformation du système productif devant conduire au rétablissement des comptes extérieurs avec comme objectif final la fin d’une dépense nationale issue de revenus qui n’ont pas été produits. Avec l’espoir d’un effacement progressif des effets sociétaux négatifs associés à cet historique décalage et en particulier le rapport des individus au travail. Elle ouvre également des pistes sur la transition environnementale.

22 - Un outil de politique économique concret du transfert de la consommation vers la production est la dévaluation des stocks accumulés de monnaie digitale au détriment des entreprises très importatrices et la réévaluation des stocks de monnaie digitale au profit des entreprises autocentrées ou exportatrices. Le jeu des dévaluations/réévaluations doit mettre fin aux externalités négatives de la mondialisation sous contrainte de l’euro.

23 - Globalement la concentration de monnaie digitale depuis les ménages vers les entreprises doit atteindre plus particulièrement la Grande Distribution, composante sans doute importante de la désindustrialisation. Sans stratégie de recentrage clairement pratiquée, son stock de monnaie digitale devrait être dévalué. La Grande Distribution devra désormais mieux mesurer le coût d’opportunité de l’extension des chaînes de la valeur. A l’opposé, l’industrie de la défense beaucoup plus autocentrée et néanmoins très exportatrice devrait bénéficier de la réévaluation de son stock de monnaie digitale.

24 - L’efficience de l’outil dévaluation/réévaluation est régulièrement questionnée : périmètre et hauteur des dévaluations/réévaluations, mesure du rendement, rythme des opérations et de leur planification, mesure des effets pervers, solutions apportées, etc. A terme, peut-il émerger un dispositif automatique permettant d’éclairer en continu les choix stratégiques des entreprises au profit de la reconstruction du pays ?

25 - Une telle irruption de monnaie parallèle, d’abord à titre expérimental, puis probablement institutionalisé, doit être communiquée et faire l’objet d’une grande attention pédagogique. Plus fondamentalement, il serait important que, dans les Universités et écoles, les économistes mettent fin à la colonisation mentale de la jeunesse et, à ce titre, revoient fondamentalement et en urgence l’enseignement de la théorie monétaire.

26 - Les chances d’institutionnalisation du dispositif dépendent aussi de l’attitude des « faucons » face à l’exploitation d’un « trou de souris » par la France. Ces derniers auront à mesurer le coût d’opportunité de l’utilisation du dispositif de sanction européen. Faut-il renouveler sur une base très élargie le « Next Generation EU » que l’on découvre dans le nouveau plan Draghi, plan jugé inacceptable par les « faucons », ou bien laisser monter un dispositif qui fondamentalement rend l’euro fonctionnel. Précisément, le trou de souris pourrait s’élargir dans le cadre des débats qui semblent s’ouvrir à propos du diagnostic qui fonde le rapport Draghi.

Un peu de lumière au bout du chemin.

  • Il est à l’interne politiquement acceptable car l’Etat peut jouer le jeu de la défense d’une finance qui, jusqu’ici, semble vivement s’inquiéter de l’énorme risque de la MDBC telle qu’elle semble se construire aujourd’hui. La monnaie digitale est en effet une rupture technologique potentiellement révolutionnaire de toute l’organisation bancaire, avec potentiellement la possibilité de remplacer toutes les banques par un monopole celui de la banque centrale. Situation plus ou moins comparable avec ce qui s’est passé après la seconde guerre mondiale dans l’industrie de l’électricité avec la disparition de centaines d’entreprises au profit d’un EDF fonctionnant à rendements croissants. Idéologiquement, la finance menacée par une technologie disruptive peut rechercher la béquille d’un Etat bienveillant. Le projet peut donc apparaître rassurant et ne pas « soulever les marchés ». Bien évidemment la rupture technologique suppose une grande attention à certains de ses effets en particulier toutes les entreprises  directement liées à la logistique monétaire: Cartes Bancaires, infrastructures de marché,etc.), mais aussi les risques associés en termes de cyberattaques qui justifient parfois un nouvel intérêt pour le cash ( par exemple les pays nordiques qui craignent l'impérialisme russe). 
  • Il est au niveau bruxellois acceptable : l’euro reste la monnaie de la zone et les faucons n’ont plus à se battre contre des emprunts européens risquant de devenir des transferts réels de ressources depuis les fourmis vers les cigales. De quoi aussi rétablir un climat de confiance au niveau de la finance mondiale. Mais aussi de quoi intéresser la finance européenne et le régulateur européen qui ne verrait (sauf accompagnement d’une mesure brutale par l’Etat français type imposition d’une monnaie pleine) aucune limite à la capacité des banques à prêter.
  • Il est au niveau géopolitique d’un intérêt majeur : il permet un financement sans dette des investissements de réparation/conservation de l’environnement, des investissements d’infrastructures nécessaires au développement et des investissements dans le domaine de la défense et des réparations de guerre. Dans un futur sans doute plus lointain, le dispositif pourrait devenir instrument de « géofinance » à l’instar de l’utilisation du dollar américain dans la politique internationale américaine.
  • Il est au final la solution à la grande contradiction historique au cœur d’une culture française : celle de l’articulation du fonctionnement des marchés politiques d’une part, à celle des marchés économiques, d’autre part. De façon quasiment pluriséculaire, le fonctionnement des marchés politiques - animé autour de la sacralité de l’Etat- élargit le périmètre de l’Etat-Providence, tandis que celui des marchés économiques tend à le comprimer. Historiquement, la contradiction était levée par la dévaluation externe régulièrement répétée (Quatrième République et une bonne partie de la cinquième, marquée  à sa naissance par 2 dévaluations massives). L’euro vient interdire ce mode de régulation et le fonctionnement contradictoire des deux marchés se solde dans l’attrition de la production, la dégradation des services publics, et la fuite vers une dette à élargissement continu. Le « mode de vie français » - sous le régime de la monnaie unique- débouche mécaniquement sur un étranglement des entreprises et une dette abyssale. La solution de monnaie parallèle numérique réintroduirait le premier type de régulation avec le retour de la « production », la fin de la « dette », et l’acceptation de la « culture française ».

 

                                                                                                          

 

 

 

 

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25 septembre 2024 3 25 /09 /septembre /2024 08:15

1 - Les choses deviennent plus claires et il est intéressant de constater que les entreprises politiques et leurs  franchisés ou animateurs cessent d’utiliser ou de se cacher derrière les vieux produits politiques de toujours : « République», « intérêt général », « intérêt de classe », « intérêt collectif », « émancipation », « progressisme », « laïcité » etc. A quelques exceptions près, seul l’intérêt personnel de chaque entrepreneur apparait en pleine lumière. De quoi éloigner un peu plus le citoyen.

2 -  L’utilisation du terme « gouvernement de droite » dans une France droitisée n’a guère de sens et révèle simplement la perte des repères. L’entreprise politique RN dite « d’extrême droite » est difficilement qualifiable  dans la mesure où elle met en avant des produits politiques  réputés de gauche parmi des produits politiques réputés de droite. L’éloignement du signifiant   vis-à-vis du signifié risque de rendre peu prévisible les stratégies de motions de censure de ce lourd passager clandestin qu’est le RN.

3 -  On notera  la grande rationalité des entrepreneurs politiques de premier rang, qui déjà dans la lumière n’ont pas envie de la perdre dans un gouvernement qui risque de les enfermer dans un trou noir. Ces entrepreneurs, aux prises avec de grandes ambitions personnelles, sont même prêts à attendre voire à contribuer à l’aggravation du réel pour se positionner sur le marché de l’élection présidentielle. L’intérêt privé se préserve, voire se nourrit  de la poursuite de la dégradation collective.

4 - Cette réalité est particulièrement vérifiée   pour  l’entrepreneur politique central qu’est  le Président de la République.

5 -  Au-delà de quelques exceptions notables, le gouvernement est constitué de franchisés qui, vivant jusqu’à présent dans l’ombre, espèrent prendre un minimum de lumière dans ce qui est le trou noir. D’où un grand nombre d’inconnus et de franchisés démunis qui font le pari risqué de gagner quelque chose.

6 -  Les entreprises politiques qui se nichent dans les rangs de l’Assemblée nationale constituent des oligopoles de moins en moins coordonnés. En particulier, l’oligopole central  - parce que constitué de franchisés dépendant d’entrepreneurs politiques restés à l’extérieur -  ne peut que très difficilement devenir oligopole coordonné, ce que les politistes aimeraient appeler « coalition ». En effet les branches de l’oligopole central sont constituées de marionnettes n’obéissant qu’à leur marionnettiste qui, lui, appartient au groupe des entrepreneurs politiques extérieurs… lesquels sont en concurrence sur le marché de l’élection présidentielle.

7 -  La multiplication des situations d’incoordination à l’intérieur des oligopoles politiques et en particulier l’oligopole central ne développe pas comme sur les marchés économiques une concurrence saine. Dans ces derniers la multiplication des acteurs peut créer un marché fait d’un  tissu solide à l’instar de celui  d’une Italie devenue quatrième exportateur mondial. A l’inverse, la multiplication des entreprises politiques n’enfante qu’un marché fait d’un tissu désordonné. Alors que le marché économique de pleine concurrence peut être un guide, les marchés politiques de pleine concurrence deviennent un danger. Le marché politique français s’enkyste  probablement dans cette situation de désordre et de blocage.

8 -  Il est difficile dans un tel contexte de voir le premier ministre se substituer aux marionnettistes et se transformer lui-même en marionnettiste. Ce type de stratégie se heurterait à l’opposition des marionnettistes reconnus de l’oligopole gouvernemental et surtout devrait affronter avec radicalité l’oligopole NFP et le duopole RN. La stratégie dominante du premier ministre est donc de tenter d’assurer sa simple survie.

9 - Les stratégies de censure vont s’organiser à partir de l’évaluation de leurs coûts d’opportunité. Sachant qu’une censure entrainerait le risque d’une pression croissante sur le départ du Président de la République, quel avantage  -pour l’un et l’autre des oligopoles - retirer d’une élection présidentielle anticipée ? Sachant en outre que le président ne renoncera en aucune façon à son intérêt personnel :  Quel paysage gouvernemental ? Nous entrons ici dans un espace particulièrement complexe.

10 - L’asymétrie de la relation entre l’oligopole NFP  et le duopole RN  perturbe la logique de cartellisation. Il y a  asymétrie en ce sens que NFP est moins passager clandestin que RN : le premier ne peut qu’observer les produits politiques lancés par l’oligopole central et ne peut bénéficier d’une offre de censure qu’avec l’accord de RN. En pratique, l’occurrence de la cartellisation sera très contenue par l’oligopole gouvernemental qui évitera au maximum les produits engendrant la  cartellisation : réformes dites structurelles touchant l’économie, entrées de la réglementation européenne dans l’espace national, modernisation/rationalisation des services publics, etc.  En revanche, la règlementation accumulée depuis 2017 sera autant que possible vigoureusement  protégée par l’évincement de la loi au profit du décret.

11 - Le RN, en sa qualité de gros passager clandestin sortant visiblement de sa clandestinité, doit logiquement choisir une stratégie de déstructuration des 2 grands oligopoles qui lui font face. Le passage à la fragmentation puis à l’émiettement de ce qu’on appelle encore les partis sera pour  le RN le plus sûr moyen de mener à la victoire. L’outil de la fragmentation est la multiplication de « lignes rouges » sur les produits politiques proposés par l’oligopole gouvernemental : plus une proposition est tenue (par le RN) de monter vers des exigences élevées et plus la dislocation est assurée. Tel le travail des bucherons il s’agit pour le RN d’enfoncer des coins dans l’oligopole pour obtenir sa dislocation.  Cette stratégie suppose évidemment la mobilisation de nouveaux franchisés qu’il faudra former.

 

 

 

 

 

 

 

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7 septembre 2024 6 07 /09 /septembre /2024 09:09

Remarque préliminaire:

 Notre modèle d’analyse repose sur la constatation de la fin d’une idéologie d’un intérêt général. Ce qu’on appelle le politique a toujours été la monopolisation/appropriation de ce qui fonde le "commun" d’un ensemble humain. Et  une monopolisation assurant concrètement le pouvoir de certains acteurs sur d’autres. Plus concrètement encore, une  monopolisation/utilisation des outils de ce qui est "puissance publique" à des fins privées: conquête du pouvoir ou simple maintien. Cette monopolisation/utilisation reposait traditionnellement  sur une "extériorité" (Religion, Nature, Idéologie séculière, Raison). L’effacement des idéologies séculières (marxisme par exemple)  au profit d’une croyance nouvelle, celle de l’individu devenu "souverain", met à jour la réalité du fonctionnement politique. Ce que nous appelons les « entrepreneurs politiques » sont effectivement et visiblement  des agents équivalents à ce qui se passe dans le champ de l’économie où l’intérêt privé est la clé de compréhension de l’ensemble. . D’où la difficulté présente du narratif politique où le commun (Intérêt général, voire Raison) est toujours brandie alors qu’il s’efface pour tous, le commun n’ayant plus qu’une fonction strictement opportuniste et intéressée. Notre modèle d’analyse est donc aussi un choix épistémologique, choix qui ne peut se justifier que par sa capacité à expliquer la réalité empirique que nous vivons.

Les événements de ces derniers jours semblent confirmer le modèle d’analyse que nous tentons de développer depuis le début de l’été :

1 - L’entreprise politique RN est bien le pivot de l’assemblée, ce qui était déjà développé dans http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/08/le-rn-boussole-probable-de-l-assemblee-nationale.html

2 - L’entreprise politique RN devient un passager clandestin à l’intérieur du marché jouant dans  l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, ce que nous évoquions dans l’article du 1ier Aout : http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/08/prospective-sur-la-production-future-de-l-usine-assemblee-nationale.html

Le passager clandestin va le rester et hélas les journalistes ne voient pas la cartellisation cachée que nous annoncions le 1er Août entre le NFP et le RN. Dans ce même article, nous avons expliqué pourquoi il n’y aurait pas de coalition mais une cartellisation entre entreprises politiques. La cartellisation mobilise des moyens pour des fins différentes. La coalition suppose un accord d’objectifs, ce qui n’est évidemment pas le cas de la cartellisation.

3 -  Le passager clandestin n’a aucune raison de sortir de sa clandestinité et n’acceptera pas d’alimenter l’exécutif avec des ministres issus de sa famille. Un passager clandestin se définit comme un acteur bénéficiant d’une situation, une externalité positive disent les économistes , sans en supporter les coûts. L’entreprise RN n’a aucun intérêt à supporter les coûts associés à une quelconque appartenance gouvernementale : une partie de son offre programmatique (immigration/ sécurité) sera obtenue sans effort.

4 - Le passager clandestin RN est d’un type fort particulier : il n’est pas dans la soute de l’embarcation gouvernementale mais dans le navire de sauvetage. C’est dire que l’entreprise politique RN a le pouvoir de déclencher le naufrage, d'en choisir le moment, et ultérieurement de choisir qui sera rescapé. Concrètement il s'agit d'une menace aux effets potentiels considérables.  Ce qui renvoie au point 1 et au texte associé. 

5 - Le premier ministre a été nommé selon ce qui était annoncé dans http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/09/fin-d-ete-2024-economie-politique-de-la-france-politique.html Avec toutefois une nuance que nous n’avions pas correctement anticipée : celle d’un affaiblissement important du pouvoir du Président de la République. Ce dernier a nommé un acteur important des marchés politiques et l’acteur en question  n’a certainement pas signé la traditionnelle  lettre de démission non datée. Nous sommes dans une véritable cohabitation et il est assez probable que le Président devra siéger au Conseil Européen en compagnie de son premier ministre. Le Président se livrera à de nombreuses tentatives pour se maintenir à flot mais le rapport coût/avantages risque de devenir de plus en plus négatif. Au total une activité présidentielle à rendements décroissants et ce  jusqu'à l'effacement. 

6 - Le naufrage politique n’est pas terminé et s’explique bien à partir du texte du 2 juillet :

http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/07/macron-un-modele-d-entrepreneur-politique-de-l-age-de-la-mondialisation-partie-1.html

Il n’y a donc pas à s’étonner de la fragmentation à l’intérieur de ce que l’on croyait être les 3 blocs fondamentaux. Parce que la « fin de la société » débouche sur un « Etat Providence pour tout et pour tous » en congruence avec l’apparition du "consommateur souverain" ayant lui-même écrasé le citoyen, les entreprises politiques se délitent. A l’intérieur les «franchisés» - entrepreneurs politiques de base que sont les députés – se crispent sur le petit marché qu’est la petite circonscription. Non seulement le bloc présidentiel se délite, mais à l’intérieur de ce dernier les comportements opportunistes ne peuvent que s’épanouir et animer des forces centrifuges.

7 -  Il n’y a pas à débattre  - comme le font trop souvent les journalistes voire certains entrepreneurs politiques - de la question de la proportionnelle ou d’une nouvelle dissolution, ce que nous avons largement expliqué dans :

http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/07/macron-un-modele-d-entrepreneur-politique-de-l-âge-de-la-mondialisation-partie-1.html

Il n'y aura ni proportionnelle ni dissolution  aux effets catastrophiques sur ce qui reste de pouvoir au Président. 

 Il est difficile d’aller plus loin pour le moment. Mais on pourra touver une bonne interprétation de la situation dans:

http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/08/le-rn-boussole-probable-de-l-assemblee-nationale.html

Bien évidemment les questions financières vont très brutalement s’imposer, mais il est difficile d’anticiper  les solutions envisagées dans l’article du 18 décembre 2023 :

http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/la-reconstruction-passe-par-une-bonne-dose-de-de-financiarisation.html

Là encore il y aurait un espace de cartellisation possible entre   NFP et RN mais nous ne nous sentons pas en mesure d’anticiper quoi que ce soit. L'idée serait toutefois que la rencontre opportuniste se fasse  sur la question de l'euro en tant que réalité explicative principale d'une dérive incontrôlable des déficits publics. A voir d'ici quelques jours ou semaines.

 

 

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1 septembre 2024 7 01 /09 /septembre /2024 17:23

 

En cette fin d’été, le pays semble s’enfoncer dans une crise politique majeure et il est à craindre que l’annonce d’un premier ministre pour les jours à venir ajoutera de nouvelles difficultés. Le texte suivant se propose de dépasser les débats et d’analyser les stratégies des différents acteurs du jeu politique.

 

Le Président

Le Président ne peut concéder que le strict minimum de puissance à peine de disparition de tout avenir politique. Ses préférences individuelles portent davantage sur la conquête future de nouveaux pouvoirs que sur un enrichissement économique ou des fonctions politiques de second rang. C’est dire que de son point de vue il ne peut envisager un plan de carrière ni dans le monde des affaires ni dans des situations intermédiaires type présidence du FMI ou de la Banque mondiale. Le seul objectif restant est la Présidence d’un Etat fédéral européen, objectif de long terme compatible avec la jeunesse de son porteur. Toute son activité est donc orientée vers ce seul objectif et ce quel qu’en soit le prix.

 

Traditionnellement habitué à détenir l’intégralité de l’exécutif et du législatif, il n’a pu accepter son échec de 2022 et la disparition d’une Assemblée Nationale faite d’acteurs ayant fait le choix intéressé de la servitude volontaire. 2022 marque sa perte de toute puissance sur le législatif avec déjà son incapacité à nouer une coalition dans laquelle il ne pouvait disposer de place hégémonique : plutôt le 49.3 qu’une coalition. 2024 consacre une perte absolue sur le législatif, avec tentative du maintien du pouvoir exécutif. Une perspective de cohabitation est a priori insupportable pour le Président. D’où le rejet impératif d’une candidate issue du NFP, qui serait également potentiellement destructrice du projet européen  et .....  du projet de carrière du Président.

 

Les députés

Les entrepreneurs politiques de base c’est-à-dire les députés ont bien évidemment pour objectif de produire un travail positivement sanctionné sur le marché politique de base qu’est la circonscription de chacun. Deux facteurs peuvent guider leur attitude : une possible dissolution en 2025 et la perspective d’un changement de loi électorale introduisant la proportionnelle.

 

Sans proportionnelle, la menace de dissolution est extrêmement peu probable, car elle entraînerait - la candidate du NFP étant exclue - le grand risque de quasi disparition des députés restés porteurs d’un exécutif encore largement tenu par le Président. L’immense majorité des électeurs ne pourrait accepter le non-respect de la sanction de juillet 2024 ni la poursuite, même modérée, d’un macronisme sans Macron. En clair, si le Président veut retrouver la plénitude de son pouvoir cela ne passe pas par une nouvelle dissolution. Avec la proportionnelle, la menace de dissolution est tout aussi peu probable parce qu’elle ne pourrait qu’entraîner la quasi disparition d’Ensemble et de LR. Les élections de juillet sont à cet égard riches d’enseignements. Avec 28% de voix, la gauche obtient 31% des députés, Ensemble avec 23% de voix fait 28% des députés, et RN avec 34% des voix fait 25% des députés. C’est dire que l’introduction de la proportionnelle serait défavorable à la gauche qui selon les calculs (non vérifiés) du ministère de l’intérieur obtiendrait 162 députés contre 193, à Ensemble qui ne ferait que 130 députés contre 163. Par contre RN aurait obtenu 199 députés contre 143.

 

Dans le contexte présent dire qu’il est possible, grâce à l’introduction de la proportionnelle, de débaucher des députés socialistes élus par la bienveillance intéressée de LFI, pour constituer une majorité présidentielle et donc rétablir la plénitude des pouvoirs du Président de la République, est très dangereux. Chaque circonscription est spécifique et nul ne peut dire combien de socialistes arriveraient à sortir de l’orbite LFI avec l’introduction de la proportionnelle. Au-delà, cette introduction suppose le vote d’ une loi, laquelle au vu des chiffres sus visés ne peut être envisagée. Resterait alors l’hypothèse du ralliement des quelques députés socialistes qui pensent être assurés de se reconduire au pouvoir sans ou contre les voix LFI. Sans chiffrage possible, il est difficile de conclure mais le groupe correspondant ne peut dépasser quelques dizaines de personnes.

 

Au total, il n’y aura ni proportionnelle ni risque de dissolution. Les députés présents bénéficient d’un contrat beaucoup plus durable. Cela signifie que RN comme NFP disposent d’une puissance de feu durable et considérable face à un exécutif potentiellement très minoritaire. La motion de censure sera ainsi une arme courante débouchant sur la ruine de tout exécutif contrôlé par le Président de la République. Cette puissance de feu durable (NFP+RN) se situe vraisemblablement entre 300 et près de 340 voix à l’Assemblée nationale.

 

Un premier Ministre ?

 

Dans ce contexte il est très difficile pour le Président de trouver un entrepreneur politique déjà intégré sur de grands marchés politiques (présidents de région, anciens grands ministres, anciens premiers ministres ou président de la République). Le risque est colossal en termes d’avenir et la dimension économique est dérisoire, un Premier Ministre déchu par une motion de censure ne bénéficiant que d’une prime de licenciement ridicule par rapport à ce qui existe sur les marchés économiques. Ces arguments sont toutefois de second ordre par rapport à l’essentiel : celui du statut d’un tel premier ministre au regard du président. Face aux arguments de second ordre un tel premier ministre ne peut accepter l’emploi que dans un strict respect de cohabitation et donc d’indépendance par rapport au Président. C’est dire qu’il ne peut signer la lettre de démission non datée qui traditionnellement appartient à son statut de simple cadre licenciable à tout moment. Cette lettre jamais évoquée est essentielle pour les Présidents de la Cinquième République qui cumulent traditionnellement (hors période de cohabitation) les fonctions de garant des lois, de patron d’un exécutif et de patron d’un législatif. Sans une telle lettre, cela signifierait que le premier ministre deviendrait l’équivalent d’un cadre inamovible, ce qui est impensable puisqu’il deviendrait ainsi  un contre- pouvoir potentiel.

Si, par conséquent, le Président embauche un premier ministre issu des rangs classiques des marchés politiques, cela signifiera que l’embauché ne signera probablement pas de lettre de démission non datée susceptible de nuire à sa future carrière. Il se voudra titulaire d’un contrat à durée indéterminée et non sanctionnable par le Président : nous sommes en pleine cohabitation que le Président ne peut accepter.

 

C’est dire qu’il n’est pas impossible mais qu’il est peu probable de trouver un exécutif classique car il n’y a pas de potentiel d’échange mutuellement avantageux entre Président et Premier Ministre du milieu classique. Le seul espace d’échange mutuellement avantageux serait la non signature de lettre de démission non datée contre une promesse d’avancée dans la construction européenne…une hypothèse irréaliste en raison de l’alliance objective -et toujours cachée- entre NFP et RN et donc la menace de licenciement par l’Assemblée Nationale.

 

Il faut par conséquent trouver une personne plus malléable, sans doute plus éloignée des marchés politiques de premier rang, mais  qui verrait une prise de lumière avantageuse sur une carrière restée jusqu’ici assez terne. Le coût serait élevé parce qu’ici le Président imposerait la lettre de démission devenue véritable garantie de non cohabitation, mais les avantages de la prise de lumière sont certainement très supérieurs à la dépendance introduite par la signature. Vraisemblablement, la liste des candidats crédibles est donc importante.  Notons que le Premier Ministre en question serait au cœur d’un conflit de légitimité, l’une devenue très faible, l’autre très puissante et peu maîtrisable. Existe-t-il dans un tel contexte des espaces d’échanges mutuellement avantageux pour les acteurs ?

 

Les partis politiques

Resterait à introduire les partis ou groupes d’acteurs politiques. Très largement démonétisés par la disparition du citoyen au profit de l’individu désirant, ils sont majoritairement des fossiles faisant office d’enveloppes pour des stratégies poussives de recherche de pouvoirs par les entrepreneurs politiques de tous niveaux. Leur cartellisation -historiquement perçue comme mutuellement avantageuse- (libéralisme économique croissant et irréfléchi contre Etat-Providence pout tout et pour tous) eut pour prix la montée asymptotique d’une dette et une désocialisation sans limite. Externalités résultant d’un échange privé désastreux diront les économistes sérieux. De quoi faire naître ou grossir de nouvelles entreprises politiques et au total faire naître un marché complètement émietté donc incompatible avec le bipartisme de la Cinquième République. Des parts de marché en réduction qui restent pourtant des  points d’appui pour des stratégies individuelles. Globalement, il n’est pas dans l’intérêt de dirigeants -eux-mêmes affaiblis-  de mener une stratégie d’alliance avec un pouvoir en grande difficulté.

 

Face à cette situation de blocage généralisé et de guerre de position, il est pourtant clair que le président dispose de davantage de munitions. Son pouvoir de nomination même affaibli par une lettre de démission non datée, elle-même peu puissante et peu utilisable, reste un avantage compétitif : il pourra -pour quelque temps encore- faire prévaloir son intérêt privé au détriment des intérêts collectifs.

Il y a certes des limites que l’on ne peut anticiper car nul ne peut sauter par-dessus son temps. Toutefois fusiller des premiers ministres incapables de construire un pacte de non censure avec l’Assemblée Nationale n’aura qu’un temps. Enfin la stratégie de violence du Président se heurtera sur le mur de la dissuasion : il ne peut pas brandir l’article 16 de la Constitution sans se suicider. Le « coup de majesté » ne correspond pas au temps présent.

 

Le lecteur aura noté que nous sommes très loin de l’exposé d’un programme politique. Il est des périodes historiques où la réalité se lit à livre ouvert.

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26 août 2024 1 26 /08 /août /2024 07:35

 

Sans entrer dans le débat constitutionnel, la réalité du pouvoir s'incarnait, jusqu’en juillet dernier, d'abord dans un représentant de ce qui fait l'Etat (Gardien des lois et des institutions), un patron de l'exécutif et un organe législatif. Traditionnellement, le Président de la République cumulait ces pouvoirs : gardien des lois, « patron » d'un ensemble de « cadres » et de leur dirigeant  premier ministre, « patron » d'une majorité parlementaire. D'une certaine façon, la séparation des pouvoirs restait un principe parfois malmené, mais l'efficacité était relativement garantie. De quoi retrouver certaines caractéristiques du bonapartisme. 

La cinquième République au temps du fordisme triomphant

Cette réalité supposait parallèlement une matière première anthropologique où la citoyenneté restait un ciment de qualité : La République était unanimement respectée et empêchait la dissolution des acteurs dans le grand marché de l'économie. Concrètement, il pouvait exister des entreprises politiques appelées partis[1], mais les élections législatives, à l’inverse de ce qui se passait sous la quatrième république, ne pouvaient que produire une majorité et une opposition. Le résultat n’étant que la victoire ou l’échec du camp présidentiel. La difficulté ne se manifestait que lorsqu'une majorité nouvelle venait contester la majorité du président. D'où des cohabitations.

Globalement, dans l’enfance de la cinquième République, le marché politique était simple, il s’agissait d’un duopole (socialisme contre libéralisme) ne comprenant que peu de variétés, car l’essentiel des exigences s’inscrivait dans  la question de la gestion du social et du périmètre de l’Etat providence. La question centrale n’était au fond  que le partage des énormes  gains de productivité engendrés par le fordisme triomphant. La citoyenneté ne laissait percevoir que le couple traditionnel socialisme/libéralisme dans ses versions les moins détaillées et les plus enracinées dans l’histoire.

Ajoutons que les duopoles politiques aboutissaient traditionnellement à une offre globale peu variée en raison de l’impératif de la captation de l’électeur médian : chaque entreprise politique se devait de capter l’électeur médian pour obtenir la victoire et donc très simplement le RPR devait de plus en plus ressembler au PS, et réciproquement ce dernier devait de plus en plus ressembler au RPR, constatation bien conforme à ce que prédisait le théorème de l’électeur médian[2]. De la même façon qu’aux USA le parti démocrate devait de plus en plus ressembler au parti républicain. Ce ne sera qu’avec les effets massifs de la mondialisation sur le statut des individus que l’électeur médian deviendra très difficile à découvrir, ce qui provoquera en réaction de la variété dans les offres politiques.

 La production politique, de l’époque, était face à un marché de masse mais comme dans l’économie à l’époque de la naissance du fordisme, peu de produits étaient offerts…comme le modèle T de couleur noire... chère à Henri Ford en 1912… modèle produit en masse mais sans variétés possibles.  Les problèmes étaient sociaux et l'infinie complexité du sociétal restait congelée dans la citoyenneté. Des marchés politiques qui, plus tard, vont exploser avec la décongélation et explosion elle-même facilitée par les errances d’une mondialisation sans doute fort mal gérée. Quelle entreprise politique - au-delà des mots et slogans vides de sens type « libre-échange » contre « protectionnisme » - s’était intéressée sérieusement au mode d’articulation de la France, de son industrie et de son agriculture, au marché mondial ?

Un président très jeune et très moderne… refusant le changement de notre monde

Aujourd'hui, les choses sont très différentes et la réalité anthropologique est devenue celle du « consommateur souverain »[3]. C’est dire que le citoyen, comme l’électeur médian, s’est effacé[4]. Que l’on soit cadre de l’industrie, dealer, médecin, gilet jaune, périurbain, immigré, fonctionnaire, etc. on est d’abord - très riche ou très pauvre - « individu désirant ».   D'où la multiplication, face à un marché de masse, des produits des entreprises politiques. D’où aussi l'abondance des produits  issus des grandes usines de « l’Etat providence pour tout et  pour tous ». Bien évidemment, le marché devenant agité, le bipartisme disparait et laisse la place à des blocs multiples et fragmentés. Et des ensembles incapables de générer des offres de produits politiques cohérents. L’incohérence programmatique devient une réalité asymptotique et commune à tous les partis.

La fragmentation et la dislocation potentielle s’est plus clairement manifestée au cours du présent été en France. Une réalité complètement inadaptée aux règles de la cinquième République. Le président ne peut plus disposer d'une majorité présidentielle et ne peut plus être le patron réel, ni de l'exécutif, ni du législatif. Au surplus, il a sans doute accéléré le processus de fragmentation et d’élargissement du spectre politique par une stratégie du « en même temps ». La réalité est qu’il devient simple arbitre, une réalité qu’il ne peut accepter.

Bien évidemment, cette réalité va contre son projet de carrière future dans les instances européennes et il ne peut accepter et n'acceptera pas l'apparition et la mise sur le marché de produits politiques affaissant le projet européen. Le premier ministre ne sera plus un simple collaborateur mais il devra respecter le plan de carrière privé du président de la République. Le Président n'est plus patron du législatif mais il ne peut en accepter les conséquences qui, au-delà de l'Europe, détruirait son projet personnel de carrière. Il ira jusqu’au bout de sa logique d’entrepreneur politique schumpetérien au service d’un grand Etat fédéral européen qu’il veut chevaucher[5]. Et si le parlement résiste, il ira probablement plus loin et n'hésitera pas à recourir à une certaine forme de violence saluée par Bruxelles Il s’agit pour lui d’une question de survie.

Une violence qui en appellera une autre avec déjà la mise en avant de l'article 68 de la Constitution. Il est difficile d'aller plus loin pour le moment et constatons qu'il y a simplement conflit de légitimité. Dans le monde des apparences, monde repris par la majorité de la grande presse, le Président se veut fort d’une légitimité présidentielle même si l’élection de 2022 est venue brutalement l’affaisser. Toujours dans le monde des apparences, L’Assemblée Nationale est également légitimement constituée. Mais les entrepreneurs politiques et les dirigeants qui l’anime, pensent silencieusement que le vrai problème est l’éviction rapide du Président. Il ne s’agit donc pas de respecter les règles d’un jeu devenu impossible, mais de précipiter un départ…qui risque de ne rien régler si le futur président reste accroché à des dispositifs institutionnels ne pouvant s’emboiter à la réalité anthropologique.  

Autrefois les conflits de légitimité se réglaient de manière brutale et efficace. Pensons par exemple au « coup de majesté » du jeune Louis 13 face à une régence légitime mais abusive. Sauf effacement de « l’individu désirant » qui constitue la réalité anthropologique dominante, la cinquième République ne peut plus correctement fonctionner et il faudra un jour acter le retour au statut de simple arbitre des présidents. Si possible, sans « coup de majesté ».

                                                                                         Jean Claude Werrebrouck – 25 Aout 2024-

 

[2] Rappelons toutefois que le théorème de l’électeur médian n’est valable que si les préférences des agents sont unimodales

[4] En termes savants nous dirons que nous sommes en plein paradoxe de Condorcet.

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25 août 2024 7 25 /08 /août /2024 17:15

 

Sans entrer dans le débat constitutionnel, la réalité du pouvoir s'incarnait, jusqu’en juillet dernier, d'abord dans un représentant de ce qui fait l'Etat (Gardien des lois et des institutions), un patron de l'exécutif et un organe législatif. Traditionnellement, le Président de la République cumulait ces pouvoirs : gardien des lois, « patron » d'un ensemble de « cadres » et de leur dirigeant  premier ministre, « patron » d'une majorité parlementaire. D'une certaine façon, la séparation des pouvoirs restait un principe parfois malmené, mais l'efficacité était relativement garantie. De quoi retrouver certaines caractéristiques du bonapartisme. 

Cette réalité supposait parallèlement une matière première anthropologique où la citoyenneté restait un ciment de qualité : La République était unanimement respectée et empêchait la dissolution des acteurs dans le grand marché de l'économie. Concrètement, il pouvait exister des entreprises politiques appelées partis, mais les élections législatives, à l’inverse de ce qui se passait sous la quatrième république, ne pouvaient que produire une majorité et une opposition. Le résultat n’étant que la victoire ou l’échec du camp présidentiel. La difficulté ne se manifestait que lorsqu'une majorité nouvelle venait contester la majorité du président. D'où des cohabitations.

Globalement, dans l’enfance de la cinquième République, le marché politique était simple, il s’agissait d’un duopole (socialisme contre libéralisme) ne comprenant que peu de variétés, car l’essentiel des exigences s’inscrivait dans  la question de la gestion du social et du périmètre de l’Etat providence. La question centrale n’était au fond  que le partage des énormes  gains de productivité engendrés par le fordisme triomphant. La citoyenneté ne laissait percevoir que le couple traditionnel socialisme/libéralisme dans ses versions les moins détaillées et les plus enracinées dans l’histoire.

Ajoutons que les duopoles politiques aboutissaient traditionnellement à une offre globale peu variée en raison de l’impératif de la captation de l’électeur médian : chaque entreprise politique se devait de capter l’électeur médian pour obtenir la victoire et donc très simplement le RPR devait de plus en plus ressembler au PS, et réciproquement ce dernier devait de plus en plus ressembler au RPR, constatation bien conforme à ce que prédisait le théorème de l’électeur médian. De la même façon qu’aux USA le parti démocrate devait de plus en plus ressembler au parti républicain. Ce ne sera qu’avec les effets massifs de la mondialisation sur le statut des individus que l’électeur médian deviendra très difficile à découvrir, ce qui provoquera en réaction de la variété dans les offres politiques.

 La production politique, de l’époque, était face à un marché de masse mais comme dans l’économie à l’époque de la naissance du fordisme, peu de produits étaient offerts…comme le modèle T de couleur noire... chère à Ford en 1912… modèle produit en masse mais sans variétés possibles.  Les problèmes étaient sociaux et l'infinie complexité du sociétal restait congelée dans la citoyenneté. Des marchés politiques qui, plus tard, vont exploser avec la décongélation et explosion elle-même facilitée par les errances d’une mondialisation sans doute fort mal gérée. Quelle entreprise politique - au-delà des mots et slogans vides de sens type « libre-échange » contre « protectionnisme » - s’était intéressée sérieusement au mode d’articulation de la France au marché mondial ?

Aujourd'hui, les choses sont très différentes et la réalité anthropologique est devenue celle du « consommateur souverain ». C’est dire que le citoyen, comme l’électeur médian, s’est effacé. Que l’on soit cadre de l’industrie, dealer, médecin, gilet jaune, périurbain, immigré, fonctionnaire, etc. on est d’abord - très riche ou très pauvre - « individu désirant ».   D'où la multiplication, face à un marché de masse, des produits des entreprises politiques. D’où aussi l'abondance des produits  issus des grandes usines de « l’Etat providence pour tout et  pour tous ». Bien évidemment, le marché devenant agité, le bipartisme disparait et laisse la place à des blocs multiples et fragmentés. Et des ensembles incapables de générer des offres de produits politiques cohérents. L’incohérence programmatique devient une réalité asymptotique et commune à tous les partis.

La fragmentation et la dislocation potentielle s’est plus clairement manifestée au cours du présent été en France. Une réalité complètement inadaptée aux règles de la cinquième République. Le président ne peut plus disposer d'une majorité présidentielle et ne peut plus être le patron réel, ni de l'exécutif, ni du législatif. Au surplus, il a sans doute accéléré le processus de fragmentation et d’élargissement du spectre politique par une stratégie du « en même temps ». La réalité est qu’il devient simple arbitre, une réalité qu’il ne peut accepter.

Bien évidemment, cette réalité va contre son projet de carrière future dans les instances européennes et il ne peut accepter et n'acceptera pas l'apparition et la mise sur le marché de produits politiques affaissant le projet européen. Le premier ministre ne sera plus un simple collaborateur mais il devra respecter le plan de carrière privé du président de la République. Le Président n'est plus patron du législatif mais il ne peut en accepter les conséquences qui, au-delà de l'Europe, détruirait son projet personnel de carrière. Il ira jusqu’au bout de sa logique d’entrepreneur politique schumpetérien au service d’un grand Etat fédéral européen qu’il veut chevaucher. Et si le parlement résiste, il ira probablement plus loin et n'hésitera pas à recourir à une certaine forme de violence saluée par Bruxelles Il s’agit pour lui d’une question de survie.

Une violence qui en appellera une autre avec déjà la mise en avant de l'article 68 de la Constitution. Il est difficile d'aller plus loin pour le moment et constatons qu'il y a simplement conflit de légitimité. Dans le monde des apparences, monde repris par la majorité de la grande presse, le Président se veut fort d’une légitimité présidentielle même si l’élection de 2022 est venue brutalement l’affaisser. Toujours dans le monde des apparences, L’Assemblée Nationale est également légitimement constituée. Mais les entrepreneurs politiques et les dirigeants qui l’anime, pensent silencieusement que le vrai problème est l’éviction rapide du Président. Il ne s’agit donc pas de respecter les règles d’un jeu devenu impossible, mais de précipiter un départ…qui risque de ne rien régler si le futur président reste accroché à des dispositifs institutionnels ne pouvant s’emboiter à la réalité anthropologique.  

Autrefois les conflits de légitimité se réglaient de manière brutale et efficace. Pensons par exemple au « coup de majesté » du jeune Louis 13 face à une régence légitime mais abusive. Sauf effacement de l’individu désirant qui constitue la réalité anthropologique dominante, la cinquième République ne peut plus correctement fonctionner et il faudra un jour acter le retour au statut de simple arbitre des présidents. Si possible, sans « coup de majesté ».

                                                                                         Jean Claude Werrebrouck – 25 Aout 2024-

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